La lettre juridique n°381 du 4 février 2010 : Procédures fiscales

[Chronique] Lois de finances pour 2010 et rectificative pour 2009 : chronique de procédures fiscales

Réf. : Lois de finances pour 2010 (loi n° 2009-1673 N° Lexbase : L1816IGD) et de finances rectificative pour 2009 (loi n° 2009-1674 N° Lexbase : L1817IGE)

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par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne-Aix Marseille III

le 07 Octobre 2010


Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, chaque semaine, depuis un mois, une chronique thématique consacrée aux dispositions phares des lois de finances pour 2010 (loi n° 2009-1673) et de finances rectificative pour 2009 (loi n° 2009-1674), adoptées par le Parlement et validées par le Conseil constitutionnel à l'exception notamment de la taxe carbone. Cette semaine, Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne-Aix Marseille III, revient sur les mesures visant a renforcer les dispositifs anti-abus de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, tant au plan du droit international qu'au plan du droit interne ; le contexte et les engagements internationaux n'étant, certainement pas, totalement étrangers à cette évolution.

I - Le renforcement du dispositif anti-abus

La transparence a été le souci du législateur pour modifier des dispositions existantes.

A - L'article 123 bis du CGI

Pour lutter contre l'usage abusif des régimes fiscaux privilégiés, en ce qui concerne les contribuables relevant de l'impôt sur le revenu, un dispositif de rattachement à leur base imposable des revenus de certaines entités extérieures a été prévu par le législateur à l'article 101 de la loi de finances pour 1999. Codifié à l'article 123 bis du CGI (N° Lexbase : L3247IGD), ce dispositif concerne les personnes physiques domiciliées en France qui détiennent directement ou indirectement 10 % des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une entité établie ou constituée hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié.

L'entité extérieure peut être une personne morale, un organisme, une fiducie ou une institution comparable. Le caractère privilégié du régime fiscal auquel elle est soumise s'apprécie au regard des dispositions de l'article 238 A du CGI (N° Lexbase : L4758HLS). Seules sont toutefois concernées les entités extérieures dont l'actif ou les biens sont constitués de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou de comptes courants.

Avec cette disposition les personnes physiques sont imposées au titre de revenus mobiliers, y compris en l'absence de toute distribution. Le dispositif exclut la prise en compte d'éventuels déficits de l'entité étrangère, dont la compensation avec les revenus de capitaux mobiliers de la personne physique imposable en France pourrait déterminer une réduction d'assiette imposable.

On peut considérer que l'ancienne rédaction de l'article 123 bis du CGI (N° Lexbase : L2136HLP) posait un problème de compatibilité avec l'article 43 du Traité CE garantissant la liberté d'établissement.

La loi de finances rectificative a modifié l'article 123 bis, pour le sécuriser au regard de la jurisprudence communautaire et pour introduire une présomption de détention minimale de 10 % déclenchant l'application du dispositif lorsque la personne physique détient des intérêts dans une entité située à l'étranger.

B - L'article 209 B du CGI

L'article 209 B du CGI (N° Lexbase : L3313IGS) permet à l'administration d'imposer en France les résultats des filiales et des succursales implantées dans des territoires à fiscalité privilégiée.

Le Conseil d'Etat, en formation d'Assemblée, a jugé le 28 juin 2002 que l'ancien article 209 B du CGI n'était pas compatible avec le jeu des conventions fiscales internationales et estimait par ailleurs qu'il était contraire au principe communautaire de la liberté d'établissement (CE Ass., 28 juin 2002, n° 232276, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Schneider Electric N° Lexbase : A0219AZ7). Cet article a fait l'objet d'une réécriture dans le cadre de la loi de finances pour 2005 (loi n° 2004-1484 du 31 décembre 2004, art. 104 N° Lexbase : L5203GUA).

La nouvelle rédaction fait une distinction entre l'implantation à l'intérieur et celle réalisée à l'extérieur de l'Union européenne. Dans la première hypothèse la liberté d'établissement est sauvegardée. Toutefois, l'administration peut invoquer les dispositions de l'article 209 B CGI lorsque l'implantation dans un autre Etat de l'Union européenne constitue, de son point de vue, un montage artificiel dont le but est de contourner la législation française. Dans la seconde hypothèse il convient de faire la différence selon que l'implantation se fait sous forme de filiales ou de succursales.

Les bénéfices réalisés par une filiale sont réputés distribués à la société mère française. Dans les conventions de double imposition, les revenus distribués sous forme de dividendes ou autrement sont imposables en tant que revenus de capitaux mobiliers dans l'Etat de résidence du bénéficiaire. Cette présomption de distribution suppose que la société française dispose du contrôle majoritaire de sa filiale.

En revanche, lorsqu'une société française implante une succursale dans un territoire à fiscalité privilégiée, il s'agit d'un simple établissement non doté de la personnalité juridique. Les résultats correspondants sont imposés en France en tant que bénéfices et non en tant que revenus réputés distribués. S'il existe une convention fiscale qui lie la France à ce territoire, celle-ci réserve le droit d'imposer les résultats de l'établissement à l'Etat sur le territoire duquel il est situé. Pour que la France puisse se prévaloir de l'article 209 B, il faut que la convention le prévoie de façon expresse. Dans ce cas la double imposition est neutralisée par l'imputation sur l'impôt dû en France des impôts payés à l'étranger.

En 2009, dans le cadre d'une politique générale visant à renforcer la lutte contre les territoires non coopératifs, le législateur a souhaité renforcer sa législation à l'encontre des entreprises étrangères implantées dans ces Etats ou territoires. Avec la nouvelle rédaction de l'article 209 B du CGI, les entreprises françaises contrôlant des entités juridiques situées hors de France, dans un Etat ou territoire non coopératif, qui voudront bénéficier des dispositions de l'article 209 B permettant aux entités dont les revenus financiers et intragroupe restent en deçà d'un certain seuil, d'échapper à l'imposition devront démontrer qu'elles respectent ces seuils. Ce qui signifie que la charge de la preuve est, désormais, renversée.

C - Les prix de transfert

A suivre la définition de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), les prix de transfert sont "les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées". Ils peuvent être définis comme étant les prix des transactions entre sociétés d'un même groupe et résidentes d'Etats différents, ils supposent des transactions intragroupes et le passage d'une frontière.

Les entreprises sont concernées non seulement pour les ventes de biens et de marchandises, mais aussi pour toutes les prestations de services intragroupes tel que le partage de certains frais communs entre plusieurs entreprises du groupe, la mise à disposition de personnes ou de biens, ou encore les services que peut rendre une entreprise du groupe aux autres entreprises. La notion de groupe suppose l'existence de liens de dépendance, juridiques ou de fait, entre les différentes entreprises qui le composent.

Les pays de l'OCDE ont accepté le principe que le prix de transfert soit "le prix de pleine concurrence", pour les opérations intragroupe, afin d'éviter les distorsions de concurrence entre les entreprises et des conflits entre les différentes administrations fiscales. En conséquence, le prix pratiqué entre des entreprises dépendantes doit être le même que celui qui aurait été pratiqué sur le marché entre deux entreprises indépendantes. L'article 57 du CGI (N° Lexbase : L3365IGQ) reprend ce principe en exigeant que les conditions convenues par les parties ayant un lien de dépendance, dans le cadre de leurs relations financières ou commerciales, soient celles auxquelles on pourrait s'attendre si les parties n'avaient aucun lien de dépendance.

Il appartient à l'entreprise de s'assurer que les prix de transfert qu'elle pratique ne s'écartent pas du prix dit "de pleine concurrence". L'OCDE préconise des méthodes pour fixer un prix de pleine concurrence mais l'entreprise peut choisir l'une de celles préconisées, ou une autre, dès lors qu'elle est en mesure de la justifier.

La législation n'impose pas de joindre une documentation relative aux prix de transfert à la déclaration annuelle de résultat de l'entreprise. Toutefois l'article L. 13 B du LPF (N° Lexbase : L3346IGZ) énonce qu'en cas de vérification de comptabilité, l'entreprise doit être en mesure de justifier de la pertinence de la méthode choisie et surtout le caractère normal de la rémunération en se fondant à la fois sur une analyse fonctionnelle et sur un examen de comptabilité. Autrement dit l'entreprise doit fournir "une documentation" justifiant de son prix de pleine concurrence. L'analyse fonctionnelle consiste pour l'entreprise à s'interroger sur sa place et son rôle économique au sein du groupe, à recenser les fonctions exercées, les risques encourus, les actifs corporels et incorporels utilisés.

La documentation fournie doit contenir des informations juridiques, économiques, fiscales, comptables et méthodologiques quant aux modalités de détermination du prix de transfert. Il est utile de préciser la nature des relations qui lient l'entreprise française et l'entreprise étrangère, les modalités pratiques de facturation entre les deux entreprises, mais aussi une analyse du marché et un raisonnement économique justifiant la méthode retenue. L'entreprise doit conserver tous les documents utilisés pour la définition et la mise en oeuvre du prix de transfert, elle peut avoir recours à des conseils extérieurs.

Lorsque l'administration a réuni des éléments faisant présumer qu'un transfert de bénéfices est susceptible d'exister et que l'entreprise vérifiée ne fournit pas les informations demandées, dans le cadre du débat oral et contradictoire, l'article L. 13 B du LPF l'autorise à demander, selon une procédure écrite, des informations juridiques, économiques, fiscales, comptables, méthodologiques sur les modalités selon lesquelles a été défini le prix de transfert entre l'entreprise française et une entreprise liée située à l'étranger. Si l'entreprise ne répond pas, ou pas de façon satisfaisante, l'administration lui adresse une mise en demeure de répondre ou de compléter sa réponse dans un délai de trente jours. A défaut de réponse, ou de réponse satisfaisante, l'administration évalue les bases d'imposition à partir des éléments dont elle dispose et applique une amende pour chaque exercice visé par la demande.

Au nom d'une plus grande transparence dans les transactions impliquant les groupes internationaux, le législateur a renforcé les obligations des contribuables. En effet, la loi de finances rectificative pour 2009 modifie le dispositif en rendant obligatoire la production de la documentation dès lors qu'un certain seuil du chiffre d'affaires (400 000 000 d'euros) ou le total du bilan est dépassé. Cette obligation vaut pour toute personne morale établie en France dès lors qu'elle-même ou qu'une entité juridique la détenant, ou détenue par elle, dépasse le seuil précité. Un décret en Conseil d'Etat viendra préciser la documentation à produire.

En outre une obligation particulière est introduite concernant les transactions de toute nature réalisées avec des entités situées dans un Etat, ou territoire non coopératif. Les entités françaises devront être en mesure, sous peine de sanction, de produire l'ensemble des documents exigés des sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés.

II - Les procédures fiscales

La lutte contre l'économie souterraine semble avoir guidé le législateur.

A - Les articles L. 135 du LPF et 59 quater du Code des douanes

Dans le cadre de la lutte contre les activités lucratives non déclarées portant atteinte à l'ordre public et à la sécurité publique, l'article 5 de la loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 (N° Lexbase : L6285A4K) a levé le secret professionnel pesant sur les agents de la direction générale des impôts, direction générale de la comptabilité publique, direction générale des douanes et des droits indirects, direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, au profit des agents et officiers de police judiciaire, s'agissant d'informations fiscales, douanières et financières. Les informations issues de fichiers informatiques sont comprises dans le champ d'application. La loi vise "la lutte contre les activités lucratives non déclarées portant atteinte à l'ordre public et à la sécurité publique". En conséquence le champ d'application du texte s'étend à toutes les enquêtes ou investigations portant sur des faits qui constituent, ou sont susceptibles de constituer, une infraction pénale. Dans une instruction l'administration fiscale avait précisé qu'il ne lui appartenait pas "de juger du bien fondé de la demande ni du cadre juridique retenu pour la formuler" (instruction du 21 novembre 2002, BOI 13 K-6-02 N° Lexbase : X0806ABH).

A la suite, l'article 16 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : L1768DP8), a, par voie de réciprocité et dans un cadre identique, levé au bénéfice des administrations financières précitées le secret professionnel pesant sur les agents du ministère de l'Intérieur.

Afin de faciliter les échanges le législateur a modifié le Livre des procédures fiscales et le Code des douanes de telle sorte que les échanges ne se fassent plus simplement sur demande, mais de façon spontanée sans méconnaître des règles du secret professionnel. Cet échange de documents financiers, fiscaux et douaniers et de renseignements peut se faire à tous les stades d'une enquête, y compris lors d'une enquête préliminaire conduite à l'initiative d'officiers ou d'agents de police judiciaire.

B - L'article 1649 quater-0 B bis du CGI

L'article 1649 quater-0 B bis du CGI (N° Lexbase : L2845IGH) vise à renforcer le dispositif existant de lutte contre les activités lucratives non déclarées. Il s'agit d'appréhender, à l'aide de présomptions, les revenus non déclarés de contribuables se livrant à des activités délictuelles ou autres trafics illicites portant atteinte à l'ordre public et à la sécurité publique. Le trafic de stupéfiants est l'exemple emblématique de ce que le législateur veut taxer.

Toutes les personnes qui se trouveraient en possession de tels biens, ou de sommes d'argent provenant du trafic de ces biens, seraient présumées, sauf preuve contraire, avoir perçu au cours de la même année, des revenus imposables à l'impôt sur le revenu d'un montant égal à la valeur de ces biens ou sommes d'argent.

Si les circonstances sont susceptibles de menacer le recouvrement de la créance fiscale, l'administration dressera à l'encontre du contribuable un procès-verbal de flagrance fiscale. Pour ce faire la procédure de flagrance fiscale (LPF, art. L. 16-0 BA N° Lexbase : L2754IG4) est élargie aux activités illicites portant atteinte à l'ordre public et à la sécurité publique. L'administration peut, dans le cadre de son droit de communication ou de la levée du secret professionnel, s'informer et recueillir des informations auprès de la police et de l'autorité judiciaire.

Dans cette situation des saisies conservatoires peuvent être faites sur la base du montant des revenus que les contribuables, se livrant à ces trafics, seraient présumés avoir perçus compte tenu de la valeur des biens ou sommes d'argent se trouvant en leur possession.

Rappelons que, déjà, l'article L. 10 A du LPF (N° Lexbase : L3032IAK) confie aux agents de l'administration fiscale des attributions extra fiscales en leur permettant de rechercher et de constater des infractions au travail dissimulé (C. trav., art. L. 8221-1 N° Lexbase : L3589H9S). L'article L. 10 B (N° Lexbase : L5574GUY), quant à lui, permet au Procureur de la République d'obtenir le concours des agents de l'administration fiscale, pour qu'ils participent à la réunion des éléments de preuve de certaines infractions sur lesquelles des investigations sont engagées. Dans ce dispositif, il appartient au Procureur de la République de décider, sous sa responsabilité, de la mise en oeuvre de l'article L. 10 B précité.

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