La lettre juridique n°381 du 4 février 2010 : Avocats

[Focus] Ouverture de la fiducie aux avocats : rien ne sert de courir...

Lecture: 7 min

N1577BNQ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Focus] Ouverture de la fiducie aux avocats : rien ne sert de courir.... Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212419-focus-ouverture-de-la-fiducie-aux-avocats-rien-ne-sert-de-courir
Copier

par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 03 Mars 2011

Auparavant permise aux seuls établissements financiers et d'assurances, la fiducie a été étendue aux avocats (C. civ., art. 2015 N° Lexbase : L2309IB7) par l'article 18 de la "LME" (loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie N° Lexbase : L7358IAR). Dans un contexte de forte concurrence -d'autant plus accentué par la crise-, ces derniers ont accueilli plutôt chaleureusement ce nouveau champ d'activité.
Mais, s'ils ont été séduits par la théorie, ils ne s'intéressent encore que de loin à la pratique (la plupart n'envisageant pas d'intervenir comme fiduciaire à bref ou moyen terme). Pour certains, il ne s'agit que d'une question de temps : celui nécessaire à la fiducie pour s'inscrire dans les esprits et les réflexes (1). Mais, ce chemin sera d'autant plus long que le régime ne sera pas clarifié.

La fiducie n'est, en effet, pas pressée de s'installer en droit interne (I), le dernier texte en date étant le décret du 23 décembre 2009 (décret n° 2009-1627, relatif à l'exercice de la fiducie par les avocats N° Lexbase : L1259IGQ) (II). Ces dispositions, publiées près d'un an et demi après la "LME", ne règlent, en effet, pas tous les points en suspens, retardant, encore, l'exercice effectif de cette activité (III).

I - Mise en place progressive de la fiducie

La "LME" a ouvert aux avocats la qualité de fiduciaire et a habilité le Gouvernement à prendre, par voie d'ordonnance à intervenir dans les six mois à compter de sa publication, les mesures nécessaires pour rendre effective cette extension. Mais, ce dernier n'a usé de cette habilitation que pour régler de menus détails (cf. ordonnance n° 2009-112, portant diverses mesures relatives à la fiducie N° Lexbase : L6939ICY), l'essentiel du régime restant à définir.

En particulier, il fallait, encore, envisager la fiducie sous l'angle des principes essentiels de la profession d'avocat, notamment, en termes de secret professionnel, d'indépendance, de conflits d'intérêts, de compétence, d'incompatibilités, de mesures de contrôle et d'assurances (2). Le CNB s'est chargé de cette mission et a modifié le Règlement intérieur national de la profession d'avocat (RIN) (N° Lexbase : L4063IP8) par décision des 3 et 4 avril 2009 (décision à caractère normatif n° 2009-001, portant réforme du RIN).

Notamment, le texte prévoit l'obligation, pour l'avocat fiduciaire :

- de bien identifier les parties contractantes et les bénéficiaires de l'opération ;

- d'utiliser un papier à lettre distinct et de faire mention de cette qualité dans toute correspondance ou document et de mentionner le caractère non-confidentiel, à l'égard des organes de contrôle de la fiducie, des correspondances échangées avec le destinataire au titre de cette mission ;

- de séparer tous documents relatifs à l'activité fiduciaire des autres dossiers de l'avocat ;

- de tenir une comptabilité séparée relative à l'activité fiduciaire, chaque fiducie devant faire l'objet d'un compte identifié ;

- de distinguer la rémunération de l'avocat de celle des autres intervenants ;

- d'apprécier les confits d'intérêts par rapport au constituant et aux bénéficiaires, étant précisé que l'avocat fiduciaire ne peut être bénéficiaire de la fiducie et qu'il ne peut appartenir à la même structure que l'avocat conseil du constituant ;

- de suivre une formation spécifique dans les matières liées à l'exécution de ses missions fiduciaires ;

- de respecter les règles d'incompatibilités ; et

- de répondre des fautes et négligences commises dans l'exercice de son activité de fiduciaire et de souscrire, par conséquent, une assurance de responsabilité civile professionnelle.

Le décret du 23 décembre 2009 intègre la plupart de ces exigences au sein du décret du 27 novembre 1991 (décret n° 91-1197, organisant la profession d'avocat N° Lexbase : L8168AID) et en profite pour les préciser d'avantage.

II - Les précisions apportées par le décret du 23 décembre 2009

Le décret du 23 décembre 2009 apporte des précisions quant aux obligations d'assurances (A), de déclaration préalable à l'Ordre (B) et de tenue d'une comptabilité séparée (C).

A - Assurance de responsabilité civile professionnelle

Aux termes de l'article 2026 du Code civil (N° Lexbase : L6522HWM), l'avocat fiduciaire "est responsable, sur son patrimoine propre, des fautes qu'il commet dans l'exercice de sa mission". Cette responsabilité est susceptible d'être reconnue à l'égard du constituant (au titre de la responsabilité contractuelle de droit commun posée à l'article 1147 du Code civil N° Lexbase : L1248ABT), ainsi qu'à l'égard du bénéficiaire, qui aurait subi une diminution de la valeur des biens, droits ou sûretés transférés, du fait du fiduciaire.

Elle se différencie de la responsabilité civile professionnelle "classique" de l'avocat, qui, elle, couvre les négligences et fautes de celui-ci, intervenues dans le cadre du conseil des parties sur le contrat de fiducie en tant que tel.

Pour couvrir la responsabilité spécifique posée à l'article 2026, ainsi que la restitution des fonds, effets, titres ou valeurs concernés par la fiducie, le RIN impose à l'avocat de souscrire à titre individuel une assurance spéciale, dont il doit justifier auprès de l'Ordre dont il relève, lors de la souscription, puis, annuellement.

Le décret du 23 décembre 2009 impose que l'attestation d'assurance jointe à la déclaration préalable d'activité (cf. § II - B) spécifie le montant de la couverture accordée et sa période de validité et qu'elle soit, parallèlement, transmise par l'avocat au constituant et, le cas échéant, au bénéficiaire. Tout renouvellement ou toute modification des contrats d'assurance doit, en outre, être porté à la connaissance de ces derniers dans le délai d'un mois à compter de sa survenance. Enfin, en cas de cessation de la garantie pour quelque cause que ce soit, l'assureur doit immédiatement en informer, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, le constituant, le bénéficiaire, ainsi que le Bâtonnier.

Quant à l'assureur, il a, aux termes du décret, communication, sur simple demande, par l'avocat fiduciaire, de la comptabilité et, le cas échéant, du rapport du commissaire aux comptes afférent aux opérations de la fiducie. Il en est de même de la liste et des adresses des dépositaires.

Le décret pose, également, différents seuils, qui ne préjudicient pas à la souscription volontaire, par l'avocat fiduciaire, d'une garantie financière supplémentaire :

- les contrats d'assurance ne doivent pas comporter une limite de garantie inférieure à 1 500 000 euros par année pour un même assuré (au lieu de 305 000 euros dans le cadre des activités classiques de l'avocat) ; et

- ils ne doivent pas prévoir de franchise à la charge de l'assuré supérieure à 10 % des indemnités dues, dans la limite de 3 050 euros (étant précisé que cette franchise n'est pas opposable aux victimes).

Aujourd'hui, aucun assureur ne propose une assurance couvrant l'activité de l'avocat fiduciaire et répondant aux exigences précitées.

B - Déclaration préalable au conseil de l'Ordre

Le RIN impose à l'avocat qui désire étendre son activité à la fiducie d'en informer préalablement l'Ordre. Cette obligation est insérée, par l'article 2 du décret du 23 décembre 2009, à l'article 123 du décret du 27 novembre 1991 : "l'avocat qui souhaite exercer en qualité de fiduciaire en informe par écrit, avant d'accomplir tout acte relatif à cette activité, le conseil de l'ordre dont il relève".

Ni le RIN, ni le décret du 23 décembre 2009 ne prévoient de sanction en cas de non respect de cette obligation de déclaration.

C - Obligations comptables

Le décret du 23 décembre 2009 intègre les différentes obligations posées par le RIN en matière de comptabilité à l'article 231 du décret du 27 novembre 1991, à savoir :

- "les activités de l'avocat fiduciaire doivent faire l'objet d'une comptabilité distincte de ses comptes professionnels et personnels et de son sous-compte CARPA ;

chaque fiducie fait l'objet d'un compte identifié et clairement séparé dans la comptabilité tenue par l'avocat ; et

- l'activité fiduciaire peut faire l'objet d'un contrôle de comptabilité" exercé par l'Ordre.

S'il précise certains points régis par le RIN, le décret du 23 décembre 2009 en laisse d'autres totalement de côté.

III - Les questions en suspens

En dépit de la cascade des textes ("LME", ordonnance du 30 juin 2009, décision à caractère normatif de l'assemblée du CNB modifiant le RIN, décret du 23 décembre 2009), certaines modalités essentielles de l'exercice de l'activité de fiduciaire par l'avocat ne sont toujours pas définies. Il en va, surtout, ainsi des conditions de formation (A), de la gestion des conflits d'intérêts (B) et de la création d'une structure d'accueil des fonds comparables à la CARPA (C).

A - La formation

L'article 6.2.1.5 du RIN pose une obligation générale de compétence, qui n'a encore été précisée par aucune norme : "l'avocat s'oblige à suivre une formation spécifique dans les matières liées à l'exécution de ses missions fiduciaires", celle-ci pouvant s'inscrire dans le cadre de la formation continue.

Comme le souligne le CNB, il s'agit d'une disposition a minima. A cet égard, la Commission des règles et usages du Conseil a recommandé que soit créée d'urgence et indépendamment des réflexions en cours sur la formation une spécialité supplémentaire consacrée au droit fiduciaire.

B - Les conflits d'intérêts

Que doit faire l'avocat lorsque un conflit apparaît en cours d'exécution de la convention de fiducie ? A-t-il la faculté ou l'obligation de se retirer ? Aucun texte ne vient répondre clairement à ces interrogations. Il faut, pour le moment, se contenter d'une disposition ponctuelle et générale du RIN, aux termes de laquelle les conflits d'intérêts s'apprécient par rapport au constituant et au bénéficiaire.

C - La création d'une structure d'accueil comparable à la CARPA

On peut le déplorer (notamment, pour des raisons pratiques, eu égard à la lourdeur que peut revêtir la comptabilité), les comptes et sous-comptes CARPA sont exclus dans le cadre de l'activité fiduciaire. Néanmoins, depuis plus d'un an déjà, le CNB préconise une réflexion sur la création d'une structure d'accueil comparable pour les fonds relatifs à l'activité fiduciaire. A ce jour, personne ne s'est saisi de la question.

Tant qu'aucune réponse ne sera apportée à ces différentes interrogations, l'exercice par l'avocat de l'activité de fiduciaire sera théorique. Espérons que le prochain texte à intervenir sur le sujet soit le dernier : les avocats pourront, alors, enfin explorer cette "Terre promise"...


(1) Lire Fiducie-sûreté : (r)évolution de la notion de propriété et des procédures collectives - Questions à Maître Reinhard Dammann, avocat associé, Clifford Chance, Lexbase Hebdo n° 360 du 20 juillet 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N1124BL9).
(2) Lire Avocat fiduciaire : quelles modalités d'exercice ? - Questions à Véronique Furnal, avocate associée du cabinet Gatienne Brault et Associés, Lexbase Hebdo n° 353 du 2 juin 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N6342BK4).

newsid:381577

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.