La lettre juridique n°381 du 4 février 2010 : Avocats/Institutions représentatives

[Evénement] Rentrée solennelle de la Conférence du Barreau du Val-de-Marne : "Suis-je le gardien de mon frère ?"

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[Evénement] Rentrée solennelle de la Conférence du Barreau du Val-de-Marne : "Suis-je le gardien de mon frère ?". Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212421-evenement-rentree-solennelle-de-la-conference-du-barreau-du-valdemarne-i-suisje-le-gardien-de-mon-fr
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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

le 07 Octobre 2010

Le 22 janvier 2010 se tenait au Palais de justice de Créteil, la Rentrée solennelle de la Conférence du Barreau du Val-de-Marne. Et l'auditoire de la salle des assises a été, d'abord, à l'écoute attentive du discours du Bâtonnier de l'Ordre, Arnauld Bernard, puis, ensuite, captivé par la joute oratoire opposant le premier secrétaire de la Conférence, Joao-Philippe Goncalves, à la deuxième secrétaire, Dina Cohen-Sabban, sur le thème "Suis-je le gardien de mon frère ?", et qui s'est achevée sous les applaudissements chaleureux d'un public conquis. Lexbase Hebdo - édition professions vous propose cette semaine de revenir sur les temps forts de cette rentrée. Revenant sur l'aide juridictionnelle, le Bâtonnier Arnauld Bernard n'a pas caché son inquiétude : les avocats et les justiciables "supporteront-ils encore longtemps que leur pays ne consacre à la défense des plus démunis que 10 ou 100 euros quand d'autres en dépensent dans le même temps 100 ou 1 000 ?". Et de réaffirmer haut et fort que le Barreau du Val de Marne sera toujours présent pour ses avocats, pour ses justiciables !

Evoquant, ensuite, le futur "acte d'avocat", le Bâtonnier a rappelé l'importance de le plébisciter sachant que "c'est un outil dont le CNB a su démontrer l'utilité et convaincre les pouvoirs publics qu'il fallait le promouvoir puisqu'il ne concurrençait en aucun cas l'acte authentique". De plus, selon lui, cet acte d'avocat est un vecteur essentiel pour arriver à la grande profession du droit, et d'envisager, pourquoi pas, de véritables "Assises interprofessionnelles" auxquelles seraient également conviés les experts comptables et mandataires de justice. "La grande profession du droit n'est peut-être pas encore née mais comme pour tout idéal, il faut y tendre et rassembler les acteurs de ces professions". L'ambition est affichée !!

La question d'actualité de la garde à vue a, également, été évoquée par le Bâtonnier qui, à l'instar de son homologue versaillais (1), a dénoncé les propos du syndicat Synergie Officiers (2) assimilant les avocats à une "bande de commerciaux dont les compétences en matière pénale sont proportionnelles au montant des honoraires perçus". Il a rappelé que les avocats étaient là pour combattre toutes les dérives et les abus et a illustré son propos en citant un extrait de procès-verbal d'audition récent, puisque du 5 novembre 2009 :

"Nous, X...l, Capitaine de Police en résidence à ..., poursuivant l'enquête, dans les formes de droit, disons prendre attache téléphonique avec le Magistrat de permanence près la section criminelle du Parquet de Créteil, ce dernier en la personne de M. Y, informé de notre enquête, nous donne pour instruction de réauditionner, autant que faire se peut, les gardés à vue, afin d'obtenir des aveux circonstanciés".

Enfin, abordant les réformes en cours et notamment la perspective de l'avocat d'entreprise, s'il ne se prononce pas ouvertement en sa faveur, le Bâtonnier ne le rejette pas non plus, le principal étant que ce nouveau mode d'exercice respecte tant l'éthique de la profession, que sa déontologie, notamment son secret professionnel, et que le principe du contrôle du Bâtonnier ne souffre aucune exception.

Au final, le Bâtonnier Arnauld Bernard aura tenu à rappeler, tout au long de son allocution, l'attachement aux principes forts de la profession, "tant ils représentent les garanties que nos clients attendent de nous et que nous devons maintenir à leur profit".

"Suis-je le gardien de mon frère ?"... Tel était le thème sur lequel les premier et deuxième secrétaires de la Conférence ont débattu en seconde partie de la rentrée solennelle.

Vaste sujet... Actuel sujet... En partant d'une simple question, les deux jeunes orateurs s'étaient assignés comme but d'amener leur public à s'interroger au plus profond d'eux-mêmes sur l'essence même de la profession d'avocat. Et l'on peut, sans conteste, avouer que cette mission a été parfaitement remplie...

Le thème choisi l'a été en hommage à Robert Badinter, parrain de l'association des anciens secrétaires de la Conférence, et figure emblématique du milieu juridique de par les actions menées et les combats gagnés. Cette question est celle qu'il n'a jamais cessé de poser à toutes les juridictions devant lesquelles il a plaidé, à toutes les institutions avec lesquelles il a collaboré. C'est également cette question qui se posait aux jurys populaires amenés à se prononcer sur la peine de mort et le sort des accusés qui leur étaient présentés... Alors si, aujourd'hui, l'enjeu est moins fatal, la peine de mort ayant été abolie, reste, néanmoins, ce que Joao-Philippe Goncalves qualifie de "mort sociale" : la réclusion à perpétuité...

L'occasion était alors donnée de revenir sur les conditions carcérales en France et de soulever l'insalubrité et l'inhumanité des prisons.

A travers un discours résolument provocateur, Dina Cohen-Sabban ("les candidats sélectionnés devraient réaliser leur chance d'intégrer une telle administration : logés, nourris, blanchis aux frais de l'Etat ! [...] - Etre en prison c'est déjà avoir un toit alors que l'immobilier est en crise [...]") souhaitait montrer la résignation dont fait preuve la profession sur ce point : "je connais le sort des détenus et pourtant... je m'y résous. Tout au plus m'arrive-t-il d'écrire au juge d'instruction ou au directeur de maison d'arrêt pour leur demander d'intervenir, pardon : de 'bien vouloir intervenir' pour que mon client, victime de la violence de ses co-détenus, puisse bénéficier d'un changement d'affectation... Le silence, mon silence est coupable ! Je sais... et je ne dis rien. Je sais... et je ne fais rien. Nous avons la prison que l'on mérite, nous répondra-t-on, et bientôt nous aurons la justice que l'on mérite !".

"Suis-je le gardien de mon frère ?"... La question pourrait également se poser dans les rapports au sein de la profession. Si, lors de l'entrée à l'Ecole de la formation du Barreau les élèves sont accueillis par ces mots "nous sommes indépendants, libres et solidaires, plus que dans toute autre profession. Mais, plus que dans toute autre profession, nous sommes unis - épaule contre épaule comme vous l'êtes à cet instant", l'Histoire, passée et présente, semble révéler quelques entorses à ces beaux mots... En France d'abord, et sous l'Occupation, un nom : Pierre Masse. En Iran, et aujourd'hui, une femme : Shirin Ebadi.

L'un, premier secrétaire de la conférence en 1906, avocat exceptionnel, député, secrétaire d'Etat à la Guerre dans les heures difficiles de 1917, sénateur, qui unissait dans une commune passion la France, la République et la profession d'avocat, "mais" de confession israélite, sera dénoncé par ses pairs, sous le régime de Vichy, du camp de Drancy il sera déporté à Auschwitz le 30 septembre 1942, d'où il ne reviendra jamais. L'autre, première femme magistrate en Iran, sera obligée de quitter ses fonctions au lendemain de la Révolution iranienne et de la prise du pouvoir par les théocrates ; devenue avocate elle s'attachera à la défense des droits de l'Homme et aux dossiers frileux dont personne ne veut ; se battant pour la liberté et pour la réforme de la Charia, elle est menacée, condamnée et emprisonnée ; Prix Nobel de la paix en 2003, elle déclenche la haine des Mollahs et les pressions se font plus nombreuses ; personna non grata en Iran, elle continue son combat de l'extérieur ; mais la pression s'intensifie et son entourage proche en fait les frais...

De par ces deux parcours si différents dans la forme, mais si semblable dans le fond, nos deux secrétaires de la Conférence ont souhaité montrer que la Justice agonise et se meurt, qu'elle se destine à devenir une enveloppe vide si rien n'est fait. A l'image de Pierre Masse et Shirin Ebadi, l'avocat aujourd'hui se doit de plaider avec toujours la même ferveur, la même flamme, de plaider comme si c'était la première et la dernière fois, de se battre pour ses convictions, pour la défense des intérêts du justiciable, parce que les principes essentiels de la profession ne doivent pas être oubliés. Et d'avoir toujours à se poser cette question "Suis-je le gardien de mon frère ?".


(1) Lire, Rentrée du Barreau de Versailles : une rentrée "enthousiaste" pour une profession engagée et unie, Lexbase Hebdo n° 12 du 10 décembre 2009 - édition professions (N° Lexbase : N6002BMA).
(2) Tract diffusé le 17 novembre 2009 par le syndicat Synergie-Officier intitulé "G.A.V. illégales : campagne publicitaire des avocats ?"

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