La lettre juridique n°381 du 4 février 2010 : Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Philippe-Henri Dutheil, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du Barreau des Hauts-de-Seine

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[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Philippe-Henri Dutheil, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du Barreau des Hauts-de-Seine. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212423-questions-a-le-point-de-vue-dun-batonnier-aujourdhui-b-philippehenri-dutheil-batonnier-de-lordre-des
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010

Régulièrement, les éditions juridiques Lexbase se plaisent à donner la plume au Bâtonnier d'un des 181 barreaux qui constituent le maillage ordinal de la profession d'avocat, afin qu'il ou elle évoque, avec nos lecteurs, son point de vue sur l'avenir des professions juridiques et, plus particulièrement, celui sur la profession qui l'anime au quotidien, et ses ambitions pour le barreau dont il ou elle a la charge. Aujourd'hui, rencontre avec... Philippe-Henri Dutheil, Bâtonnier de l' Ordre des avocats du Barreau des Hauts-de-Seine. Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le Barreau des Hauts-de-Seine ?

Philippe-Henri Dutheil : Le Barreau des Hauts-de-Seine compte environ 1 900 avocats inscrits, dont 55 % de femmes.

Il est le premier barreau d'affaires, avec plus des deux tiers de son effectif qui exerce l'activité de conseil (pour la plupart, au sein de cinq grandes structures). Leur clientèle est composée d'institutionnels, de sociétés nationales et internationales, etc.. Mais, notre Barreau est également composé de très nombreux confrères plus orientés sur l'activité judiciaire et dont la clientèle peut être qualifiée de "proximité" (composée, par exemple, de petites et moyennes entreprises et de particuliers). Des structures plus petites ou individuelles coexistent donc aux côtés des grands cabinets, ce qui en fait une originalité unique dans le paysage ordinal français.

Tous les avocats inscrits sont hautement qualifiés, leur formation correspondant aux besoins de conseil et de défense, aussi bien pour les activités commerciales, économiques et financières, que dans le domaine privé, la famille, les successions, l'immobilier ou la gestion de patrimoine. L'Ordre tient sa richesse de la diversité (sociale, économique, financière, etc.) du territoire qu'il recouvre.

Né il y a à peine quarante ans, le Barreau est, également, jeune au regard de l'âge des confrères : en dessous de quarante ans pour plus de la moitié d'entre eux.

Notre Barreau peut être défini comme moderne et dynamique (notamment, en ce qu'il est ouvert aux échanges électroniques avec le tribunal, aux nouvelles technologies et aux modes organisationnels des cabinets), mais aussi (et surtout) solidaire. Nous mettons, en effet, un point d'honneur à soutenir les confrères qui rencontrent des difficultés ponctuelles ou structurelles, en les écoutant, les conseillant et les orientant.

Lexbase : Depuis le 1er janvier dernier, le Barreau de Paris est dirigé par un tandem, Jean Castelain, Bâtonnier, et Jean-Yves Le Borgne, vice-Bâtonnier (1). Que pensez-vous de la création de ce nouveau statut ? Selon vous, la solution du "ticket" est-elle opportune pour le Barreau des Hauts-de-Seine ?

Philippe-Henri Duteil : Je suis sans réserve aucune pour la création de cette nouvelle fonction de vice-Bâtonnier et je suis, aussi, convaincu qu'elle constitue une solution pragmatique et efficace pour un Barreau comme le nôtre. Eu égard à sa diversité (il est aussi bien composé d'avocats tournés vers le conseil, qu'orientés sur le contentieux), un "ticket" améliorerait sans aucun doute la représentation des confrères, mais plus encore, l'efficacité même du travail du Bâtonnier.

Ce système aurait pour autre avantage considérable de répartir la charge de travail du Bâtonnier qui resterait, bien entendu, décisionnaire, mais organisée différemment qu'avec le seul outil des délégations, par exemple.

Lexbase : Dans les grandes lignes, quelles sont les positions du Barreau des Hauts-de-Seine sur les propositions de réformes préconisées dans le rapport "Darrois" ?

Philippe-Henri Dutheil : Le Conseil de l'Ordre a arrêté sa position sur les différentes préconisations du rapport "Darrois", le 4 novembre 2009, après avoir enrichi sa réflexion des travaux de plusieurs groupes de travail dédiés à chaque thème (acte d'avocat, interprofessionnalité, structure d'exercice, formation et aide juridictionnelle) et des échanges intervenus lors de deux conseils que j'ai ouvert à tous mes confrères, auxquels sont intervenus Jean-Michel Darrois et Thierry Wickers, président du CNB.

Nous adhérons à un certain nombre des propositions formulées par la commission "Darrois", à l'exception notable, de celles afférentes à l'aide juridictionnelle. Mais en liminaire, je tiens à indiquer que nous regrettons que l'interprofessionnalité ait été préférée à la création d'une grande profession du droit, tant il est vrai que l'exercice du droit à titre principal aurait pu être un facteur d'unité entre les professions concernées, lesquelles ont toutes à faire face à une concurrence accrue, notamment, de la part d'autres professionnels exerçant le droit à titre accessoire.

Sur le statut d'avocat en entreprise. Placer le droit au centre de la société, en ce compris, le monde économique et de l'entreprise, me semble un impératif. La création du statut d'avocat en entreprise permettrait d'atteindre au mieux cet objectif et de valoriser l'avocat dans le monde des affaires.

Pour autant, la question se pose de la compatibilité d'un tel statut avec le respect des principes essentiels qui régissent la profession et, en particulier, ceux du secret professionnel et de l'indépendance. Apporter une réponse à ces problématiques n'est, effectivement, pas simple, mais c'est loin d'être impossible, ainsi qu'en témoigne l'exemple canadien, véritable réussite.

Notre ordre a formulé des débuts de réponse. Il nous semble, ainsi, primordial que :

- ce statut corresponde à un exercice professionnel responsable de la fonction juridique dans l'entreprise, caractérisé, notamment, par le positionnement hiérarchique au sein de la structure employeur (fonction à hautes responsabilités, proche de la direction générale et fonction d'encadrement des juristes en interne) ;

- la compétence professionnelle de l'avocat en entreprise soit exclusivement orientée sur le service de l'entreprise, à l'exclusion de celui de ses clients ou du personnel ;

- le contrat de travail de l'avocat en entreprise contienne toute garantie quant à l'indépendance d'exercice professionnel de l'avocat et au respect par ce dernier des principes essentiels de sa profession ;

- l'exception déontologique soit réservée au Bâtonnier, en cas de difficulté ou de confit avec l'entreprise employeur ;

- la convention collective de l'avocat en entreprise soit celle de l'avocat salarié ;

- le contrat de travail n'exclut pas la possibilité d'accepter un statut à temps partiel, permettant à l'avocat d'être salarié par plusieurs entreprises ;

- l'avocat en entreprise ne soit pas inscrit sur un tableau séparé, celui -ci devant, plus généralement, pouvoir pleinement exercer toutes les prérogatives attachées à sa profession d'avocat.

Pour revenir, en particulier, sur les craintes tenant à la perte d'indépendance de l'avocat en entreprise, je ne suis pas convaincu que la question découle du statut.

Sur les réformes institutionnelles. Il est essentiel que les institutions soient réformées. En particulier, les moyens doivent être mutualisés. Je pense, bien entendu, au regroupement des CARPA (y compris les plus importantes) et des Barreaux. Sur ce dernier point, il devrait se faire intelligemment : le niveau de regroupement doit être suffisamment pertinent afin de ne pas supprimer la proximité ordinale. Cette réforme pourrait pousser jusqu'à la création d'un ordre national.

A mon sens, à ce jour, seul le CNB pourrait prétendre à un tel statut. Cela impliquerait, néanmoins, une réorganisation de l'institution, en particulier, en termes d'élection et de représentativité.

Sur les structures d'exercice. Eu égard à la diversité des structures d'exercice de notre Barreau, nous ne pouvons qu'adhérer à toutes les propositions tendant à une plus grande souplesse. En particulier, nous souhaitons vivement que soient améliorés :

- le statut actuel des associations d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle, en les dotant de la personnalité morale ; et

- le fonctionnement des SEL ; il serait plus simple de permettre l'adoption des structures sociétaires de droit commun, sous réserve du respect des principes essentiels de la profession, que de gérer de multiples réglementations de sociétés particulières.

Nous souhaitons, également, vivement qu'il soit permis :

- aux associés des SEL de ne pas prendre en compte, s'ils le souhaitent, la valeur de la clientèle de la société dans la valorisation des titres sociaux ;

- aux structures d'exercice française d'accueillir comme membres et/ou associés, des avocats étrangers exerçant pour son compte à l'étranger, ainsi que de prendre des participations dans des cabinets exerçant à l'étranger ;

- aux avocats membres d'une SEL d'exercer leur activité professionnelle tant dans la société mère que dans sa filiale, si la première contrôle la seconde.

Sur l'aide juridictionnelle. Nous rejetons toute taxation supplémentaire de l'avocat, qui contribue déjà grandement au financement de l'aide juridictionnelle.

Nous nous opposons, également, à la mise en place d'un système de "ticket modérateur justice", en ce qu'il taxerait les plus faibles.

Le système nécessite une refonte globale. Dans ce cadre, nous préconisons l'instauration d'une contribution de solidarité prélevée au travers des actes juridiques établis par les professionnels exerçant le droit à titre principal et accessoire (en ce compris, les contrats de protection juridique, ceux soumis à enregistrement et à publicité légale, etc.), ainsi que par les collectivités locales. Nous invitons, également, les magistrats à utiliser systématiquement les dispositions des articles 36 et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique (N° Lexbase : L8607BBE).

Lexbase : Une autre réforme fait beaucoup de bruit et suscite de nombreuses craintes, celle de la procédure pénale. Quelles positions votre Barreau a-t-il prises vis-à-vis des préconisations du rapport "Léger" ?

Philippe-Henri Dutheil : Il faut choisir entre un système inquisitoire et un système accusatoire.

On aurait pu penser que la commission "Léger" aurait opté pour le second, en annonçant un juge arbitre et un procureur enquêteur qui soutiendrait les charges à l'audience, face à l'avocat assurant la défense de son client. Elle ne l'a pas fait, mais a, au contraire, préféré se maintenir dans un système inquisitoire, avec un transfert de compétences de direction d'enquête, pour les affaires les plus complexes, du juge d'instruction au Procureur de la République. Ce faisant, elle entend, profondément, réformer les équilibres actuels. Le Procureur de la République est, en effet, au centre de la procédure et concentre tous les pouvoirs : il engage les poursuites, il fait l'enquête ou la contrôle, il choisit la procédure, il ordonne le renvoi devant la juridiction de jugement et il soutient l'accusation à l'audience.

Dès lors, une telle réforme implique nécessairement que soit totalement repensé le statut du parquet dans son rapport hiérarchique avec le pouvoir exécutif, sous peine de mettre en péril l'indépendance du pouvoir judiciaire et d'atteindre à la démocratie.

La défense des libertés doit être au coeur de la réforme ; au coeur de la procédure. Les libertés doivent être défendues dès le stade de la garde à vue, qui fait tant polémique actuellement. Il est impératif que l'avocat puisse assister son client dès sa mise en cause et tout au long de cette procédure, avec un accès aux éléments du dossier (sur ces points, le système français est bien en dessous des exigences posées par la Cour européenne des droits de l'Homme).

Enfin, la défense pénale est assurée majoritairement au titre de l'aide juridictionnelle. Le développement des droits de la défense est, donc, nécessairement, lié à une extension des missions de celle-ci. Toute réforme de la procédure pénale dans le but d'un meilleur exercice des droits de la défense est, donc, indissociable d'une réforme de l'aide juridictionnelle.

Il appartient à l'Etat de garantir, par la solidarité nationale, le droit pour chacun d'être effectivement entendu. Il s'agit d'un des fondements de la démocratie.

Lexbase : Quelles sont les actions de communication du Barreau des Hauts-de-Seine, sur les plans interne et externe ?

Philippe-Henri Dutheil : Le Barreau des Hauts-de-Seine mise beaucoup sur la communication, à l'image des autres grands Barreaux.

Celle avec les citoyens est essentielle, en ce qu'elle favorise l'accès au droit. Nos actions en la matière sont, donc, importantes et majoritairement tournées vers les plus démunis. Nous assurons, par exemple, des consultations juridiques gratuites au sein des "Restos du coeur" (qui disposent de huit points au sein de notre département). Nous avons, également, mis en place une antenne victime (démarche initiée par le Barreau de Seine-Saint-Denis) et de défense des violences faites aux femmes. Nous multiplions, enfin, les actions auprès des lycées.

En interne, nous nous concentrons sur les nouvelles technologies. Notre site internet comporte un volet ouvert au public, mais également un volet sécurisé accessible aux avocats (dont la vocation est d'être une toque dématérialisée). Nous lançons, sur notre site, un réseau social entre les avocats des Hauts-de-Seine, afin de tous les rapprocher. L'exercice solitaire de la profession n'est pas une fatalité.

Lexbase : Vous êtes arrivé à mi-mandat. Quel bilan faîtes-vous de l'année passée ? Quels sont vos objectifs et priorités pour l'année 2010 ?

Philippe-Henri Dutheil : En 2010, j'entends continuer toutes les actions menées jusqu'à présent. Elles sont principalement, d'une part, d'ordre solidaire et tournées vers l'amélioration des conditions d'exercice des confrères en exercice individuel et, d'autre part, visant à renforcer le barreau d'affaires que nous sommes.

Ainsi, nous mettons un point d'honneur à assurer une aide continue de nos confrères au début de leur activité et tout au long de leur vie professionnelle. A cette fin, différents services sont mis en place au sein de l'ordre, tels les services d'aides à l'installation, d'aides au développement, de tutorat des jeunes avocats, de prévention des difficultés et d'accompagnement lorsqu'elles surviennent, etc..

En partenariat avec un éditeur juridique, nous avons, également, mis en place des formations dispensées gratuitement à nos confrères et relatives aux problématiques récurrentes de marché et d'exercice de leur activité.


(1) Lire Création de la fonction de vice-Bâtonnier - Questions à Maître Jean -Yves Le Borgne, futur vice-Bâtonnier du barreau de Paris, Lexbase Hebdo n° 9 du 24 novembre 2009 - édition professions (N° Lexbase : N4667BMS).

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