La lettre juridique n°381 du 4 février 2010 : Droit des étrangers

[Jurisprudence] Chronique de droit des étrangers - Février 2010

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

le 21 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit interne de droit des étrangers, rédigée par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz. Au sommaire de cette chronique, tout d'abord, deux arrêts du Conseil d'Etat, l'un concernant l'octroi de la qualité de réfugié de la veuve du président rwandais, suspectée de complicité de génocide (16 octobre 2009), l'autre relatif à la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour d'un enfant susceptible de rejoindre une personne ayant reçu délégation de l'autorité parentale (9 décembre 2009). Le juge précise, dans le premier arrêt, dans quelle mesure l'appréciation que porte la commission de recours des réfugiés sur un contexte historique et sur le comportement des acteurs relève de son appréciation souveraine. Dans la seconde affaire, le juge affirme qu'en l'absence de circonstances particulières, le visa ne peut être refusé au motif qu'il serait de l'intérêt de l'enfant de demeurer auprès de ses parents ou d'autres membres de sa famille. Enfin, deux décisions de la Cour de cassation en date du 10 décembre 2009 viennent clarifier la situation des couples accompagnés d'enfants mineurs placés en rétention administrative en précisant que ce seul placement ne constitue pas un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (CESDH) (N° Lexbase : L4764AQI).
  • Rejet de la demande d'admission au statut de réfugié d'une personne suspectée de complicité de génocide (CE 9° et 10° s-s-r., 16 octobre 2009, n° 311793, Mme Agathe Kanziga, veuve Habyarimana N° Lexbase : A2341EMN)

Mme X est la veuve du président rwandais Juvénal Habyarimana. L'attentat qui a coûté la vie à ce dernier, le 6 avril 1994, est considéré comme le facteur déclenchant des massacres qui ont suivi dès le lendemain et, par la suite, du génocide perpétré principalement à l'encontre de la population tutsie du Rwanda d'avril à juillet 1994. La requérante n'a, toutefois, pas assisté à ces évènements car elle a pu, avec l'aide des militaires français, être exfiltrée vers la République centrafricaine dès le 9 avril 1994, puis vers la France le 17 avril 1994. Ce n'est qu'en avril 2004 que Mme X a saisi le préfet d'une demande préalable d'admission au séjour au titre de l'asile, puis l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Devant le silence de l'OFPRA, elle a saisi la commission des recours des réfugiés d'une décision implicite de rejet. Cette commission tient pour fondée l'existence de craintes personnelles et actuelles de l'intéressée en cas de retour dans son pays d'origine mais exclut, toutefois, cette dernière du bénéfice du statut de réfugié et de la protection subsidiaire en application des stipulations de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 (N° Lexbase : L6810BHP) (1). C'est pour contester l'application qui lui est faite de cette clause d'exclusion que Mme X se pourvoit en cassation à l'encontre de la décision de la commission.

Dans ce cadre, le Conseil d'Etat n'était pas chargé de porter une appréciation sur la demande d'asile de la requérante, mais de contrôler la manière dont la Commission des recours des réfugiés avait, par une décision particulièrement motivée, décidé d'exclure l'octroi du statut de réfugié. Ce faisant, le juge suprême a rejeté le pourvoi en rappelant que l'appréciation que porte la Commission sur un contexte historique et sur le comportement des acteurs relève de son appréciation souveraine. Il a considéré que la Commission des recours des réfugiés s'était fondée sur des faits pertinents et matériellement exacts et qu'elle n'avait pas dénaturé ces faits. Elle a, ainsi, pu légalement juger, d'une part, que les agissements du Gouvernement rwandais avant 1994, le climat d'impunité généralisée dans lequel il a laissé agir les groupes les plus extrémistes et la propagande qu'il a menée à l'encontre de la communauté tutsie constituaient des indices suffisants pour estimer que le génocide avait été préparé dès avant 1994 par les plus hauts responsables du régime au pouvoir et, d'autre part, que Mme X avait joué un rôle central au sein du premier cercle du pouvoir rwandais et pris part, à ce titre, à la préparation et à la planification du génocide.

En jugeant de la sorte, le Conseil d'Etat rappelle, qu'en l'espèce, il est juge de droit et non juge du fait. Toutefois, la frontière entre appréciation non contrôlée et qualification juridique des faits soumise au contrôle du juge de cassation est difficile à fixer. Sur la jurisprudence en la matière du Conseil d'Etat, il est difficile de porter des jugements définitifs dans la mesure où la qualité de réfugié est attribuée ou refusée au terme d'une subtile alchimie entre des éléments de fait éminemment variables d'un cas à l'autre et les termes de la Convention de Genève selon laquelle doit être considérée comme réfugiée toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité, et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays.

Néanmoins, il a pu être jugé, quant à la frontière entre appréciation non contrôlée et qualification juridique soumise au contrôle du juge de cassation, que l'appréciation, si les craintes de persécution alléguées par un demandeur d'asile sont de nature à l'admettre au statut de réfugié, relève du pouvoir souverain de la Commission des recours des réfugiés (2). L'appréciation portée par la Commission des recours sur la valeur des preuves produites ne peut être discutée devant le juge de cassation (3). Le Conseil d'Etat exerce, néanmoins, en la matière un contrôle de la dénaturation des faits. Il y a là application d'une jurisprudence classique dans ce contentieux (4). C'est, plus précisément, le cas de la notion de gravité des faits invoqués par un demandeur d'asile au soutien de ses allégations selon lesquelles il peut raisonnablement craindre des persécutions (5). Cette position ayant été confirmée s'agissant de la question de savoir si certains actes accomplis ont constitué des actes d'allégeance envers le pays d'origine, faisant entrer le réfugié dans le champ des stipulations du C de l'article 1er de la Convention, qui prévoient les conditions de cessation du statut (6).

Ce contrôle de dénaturation des faits, qui est inconnu de la Cour de cassation, permet de censurer l'appréciation des faits à laquelle se sont livrés les juges du fond, lorsque ces derniers ont donné des faits matériellement exacts une interprétation "fausse et tendancieuse". Il apparaît, ainsi, comme un tempérament de l'appréciation souveraine des juges du fond et permet au Conseil d'Etat de censurer des appréciations de fait qui lui paraissent gravement et manifestement erronées. En revanche, l'utilisation de ce correctif à l'appréciation souveraine est exceptionnelle, et les exemples de censure pour dénaturation des faits demeurent rares. Il y a donc une limitation du contrôle du juge plus ou moins justifié à partir du moment où l'application du droit des réfugiés est essentiellement fondée sur l'appréciation des faits et de leur caractère probant. On retrouve cette logique d'appréciation dans le cas d'espèce.

Au final et en rejetant le recours de Mme X, le Conseil d'Etat confirme la thèse selon laquelle cette dernière se trouvait au coeur du régime génocidaire et qu'elle ne pouvait valablement nier son adhésion aux thèses hutues les plus extrémistes, ses liens directs avec les responsables du génocide, et son emprise réelle sur la vie politique du Rwanda. Une telle décision du Conseil d'Etat devrait normalement s'accompagner d'une expulsion du territoire français, mesure qui devrait dépendre du ministère de l'Intérieur. Extrader cette personne vers le Rwanda ne semble, toutefois, pas possible dans la mesure où, jusqu'à présent, la justice française, à la suite du Tribunal pénal international pour le Rwanda chargé de juger les hauts responsables du génocide, a toujours refusé cette solution. L'expulsion de Mme X vers un pays d'accueil pourrait être envisagée mais cette décision lui permettrait d'échapper à la justice. Il reste une dernière solution qui consiste à tolérer l'intéressée sur le territoire français, tout en exigeant qu'elle rende des comptes à la justice de notre pays (7).

  • Conditions d'octroi d'un visa d'entrée et de long séjour permettant à un enfant de rejoindre une personne ayant reçu délégation de l'autorité parentale (CE 9° et 10° s-s-r., 9 décembre 2009, n° 305031, M. Sekpon N° Lexbase : A4276EP3)

M. X, de nationalité française, s'est vu confier la tutelle et la prise en charge d'une fillette béninoise par une ordonnance du tribunal de première instance de Cotonou (Bénin), rendue exécutoire par une ordonnance du tribunal de grande instance de Bordeaux. Le consul général de France à Cotonou a refusé à cette fillette un visa d'entrée et de long séjour en France. Cette décision de refus a fait l'objet d'un recours devant la Commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France (CRRV). Pour rejeter ce recours, la commission s'est fondée, sans que le préfet n'ait eu à se prononcer sur une demande de regroupement familial, d'une part, sur le motif tiré de l'intérêt supérieur de l'enfant et, d'autre part, sur le risque de détournement de l'objet du visa de séjour à des fins migratoires.

C'est le rejet du recours par la commission qui est contesté devant le Conseil d'Etat. La Haute assemblée considère qu'en l'absence de circonstances particulières, en estimant que l'intérêt de l'enfant était de demeurer dans son pays d'origine auprès de ses parents, la commission a entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation. Lorsque, comme en l'espèce, la délivrance d'un visa de séjour répond à l'intérêt supérieur de l'enfant, la circonstance que la délégation d'autorité parentale aurait pour motivation de permettre à l'enfant de s'installer durablement en France ne saurait caractériser un détournement de l'objet de ce visa, qui répond, au contraire, à un projet de cette nature. La décision implicite, confirmée par la décision de la commission de recours est annulée. Il est enjoint au ministre de l'Immigration de réexaminer, dans le délai d'un mois, la demande de visa d'entrée et de long séjour (8).

Après la phobie des mariages de complaisance qui font suspecter tous les mariages mixtes, assiste-t-on au même phénomène avec les tutelles et prises en charges d'enfants étrangers ? L'importance de ce nouveau contentieux devant le Conseil d'Etat conduit à se poser la question. Initialement, la question s'est posée à propos de refus de visa d'entrée en France à des étrangers adoptés par des ressortissants français. La suspicion à l'encontre de l'adoption de personnes étrangères existe surtout pour les adoptions de majeurs ou de pré-majeurs, beaucoup moins dans l'hypothèse d'enfants très jeunes. Du fait du petit nombre d'enfants adoptables en France, les trois-quarts des enfants adoptés aujourd'hui sont des enfants en provenance de l'étranger pour lesquels les candidats à l'adoption ont dû obtenir un agrément administratif. De plus, les adoptions d'enfants prononcées en France sont, en général, des adoptions plénières, les enfants ayant moins de quinze ans, et non des adoptions simples. Ces adoptions confèrent immédiatement la nationalité française de l'adoptant à l'enfant (C. civ., art. 20, al. 2 N° Lexbase : L2232ABB), ce qui règle la question de son séjour (9).

C'est d'abord en jugeant que, même en cas d'adoption simple, l'adoptant est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits de l'autorité parentale, dans les mêmes conditions qu'à l'égard de l'enfant légitime, que le Conseil d'Etat a eu à connaître de la question. Ainsi, le refus de visa opposé à une mineure, résidant en Chine alors que son père adoptif vit en France, porte, par lui-même, une atteinte effective au respect dû à la vie familiale tant de l'enfant que de son père (10). En revanche, lorsqu'il s'agit d'adoption de personnes majeures, il ne peut plus être question d'autorité parentale, même si l'adoption créée un lien de parenté, des obligations alimentaires réciproques ou des droits de succession. Eu égard à l'âge de l'adopté, le refus de visa ne porte pas, selon le Conseil d'Etat, "une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ce refus lui a été opposé" (11).

Si la jurisprudence en matière d'adoption a été clairement fixée par le Conseil d'Etat, la question restait posée quant à la tutelle et la prise en charge d'un enfant étranger. Le Conseil d'Etat avait déjà pu juger que la décision d'un tribunal marocain de confier la tutelle d'un enfant mineur de nationalité étrangère âgée de 14 ans à une personne de nationalité française ne saurait, par elle-même, conférer à cet enfant mineur le droit d'obtenir un visa d'entrée et de long séjour sur le territoire français (12). Selon la décision, il appartenait aux autorités consulaires d'apprécier dans quelle mesure l'intérêt de l'enfant justifie que celui-ci quitte son pays d'origine pour rejoindre les personnes désignées par le juge comme tuteurs de l'enfant. Il ressortait des pièces du dossier que l'enfant n'était pas isolé au Maroc où vivait une partie de sa famille, que la requérante n'alléguait d'aucune circonstance particulière justifiant qu'il serait dans l'intérêt de l'adolescent de quitter le Maroc où il a toujours vécu, et n'apportait pas la preuve que sa grand-mère maternelle serait dans l'impossibilité de le prendre en charge.

L'arrêt d'espèce revient sur cette jurisprudence en considérant que le visa ne peut "être refusé pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait, au contraire, de demeurer auprès de ses parents ou d'autres membres de sa famille", alors qu'il ressort des pièces du dossier que l'enfant a toujours vécu au Bénin auprès de ses parents. Le Conseil d'Etat rappelant, tout comme le fait la Cour européenne des droits de l'Homme (13), que c'est l'intérêt supérieur de l'enfant qui doit primer dans ce genre d'affaires. Les juges ne pouvaient donc raisonnablement passer outre le statut juridique créé valablement à l'étranger et certifié en France correspondant à une vie familiale au sens de l'article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR).

Pour qu'il y ait atteinte au droit au respect de la vie familiale, il faut prouver le lien de parenté, mais aussi la réalité, l'effectivité de la vie familiale. La prise en charge et la tutelle étant prononcée par une juridiction française, le lien de parenté devait être admis sans discussion. A partir de là, pour le Conseil d'Etat, l'atteinte s'analyse plus à travers le droit de mener une vie familiale pour l'avenir, qu'à travers la protection d'une vie familiale effective existante. Si l'on suit le raisonnement du Conseil d'Etat, seule une fraude, une irrégularité dans la décision étrangère d'octroi de tutelle ou de prise en charge devrait justifier aujourd'hui un refus de visa dans ces cas concrets de tutelle et de prise en charge d'enfants en bas âge.

  • Le seul fait de placer en rétention administrative un étranger en situation irrégulière accompagné de son enfant mineur ne constitue pas, en soi, un traitement inhumain ou dégradant interdit par la CESDH (Cass. civ. 1, 10 décembre 2009, 2 arrêts, n° 08-14.141, FP-P+B+I N° Lexbase : A4182EPL et n° 08-21.101, FP-P+B+I N° Lexbase : A4183EPM)

Deux couples, l'un de nationalité arménienne, l'autre de nationalité sri lankaise, en situation irrégulière ont été placés en "rétention administrative" dans l'attente de leur expulsion. Chacun des couples a été enfermé avec un très jeune enfant, âgé, respectivement de deux mois et demi, et d'un an. Les préfets des départements de l'Ariège et de l'Ille-et-Vilaine ont sollicité, de la part des juges des libertés et de la détention, la prolongation de la rétention, puis ont formé un recours contre les décisions qui les ont déboutés. Pour confirmer les décisions des premiers juges, les magistrats délégués des premiers présidents des cours d'appel de Toulouse et de Rennes ont retenu que les personnes en rétention étant accompagnées d'enfants en bas âge, leur maintien dans un centre de rétention, même disposant d'un espace aménagé pour les familles, constituait un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3 de la CESDH (14). Les juges fondaient leur décision, d'une part, sur les conditions de vie anormales imposées à de très jeunes enfants dès leur naissance et, d'autre part, sur la grande souffrance morale et psychique infligée à la mère et au père par cet enfermement, souffrance manifestement disproportionnée avec le but poursuivi, c'est-à-dire la reconduite à la frontière.

Ces arguments n'ont pas été retenus par les juges de la Cour de cassation pour accepter la violation de l'article 3, en raison de leur caractère trop abstrait. La seule rétention administrative d'un jeune enfant ne peut être considérée, en elle-même, comme un traitement inhumain et dégradant. La Cour de cassation rappelle ici que l'obligation faite au juge de veiller au respect, par les autorités nationales, des dispositions de la CESDH ne peut les conduire à refuser d'appliquer une loi pour des motifs abstraits d'ordre général, et qu'ils ne peuvent écarter l'application d'une disposition légale qu'après avoir recherché la façon concrète dont elle est mise en oeuvre. Ce n'est que s'il est établi que l'application de la loi en question aux situations de fait dont ils sont saisis serait de nature à constituer une violation de la CESDH qu'ils doivent en écarter l'application. Il convient de noter, au surplus, que la solution a été rendue sur avis non conforme de l'avocat général, lequel a estimé que le fait de placer en rétention administrative un étranger en situation irrégulière accompagné de son enfant mineur devait rester une mesure exceptionnelle, les circonstances de fait comme le très jeune âge de l'enfant suffisant à caractériser, en l'espèce, une violation de l'article 3 de la norme européenne.

L'arrêt d'espèce est révélateur du fait que le maintien en rétention administrative des étrangers a tendance à devenir, chaque jour davantage, un contentieux de masse pour le juge judiciaire à qui, en sa qualité de gardien de la liberté individuelle, le législateur a confié la mission d'ordonner la prolongation de cette mesure au-delà du délai initial de 48 heures dont dispose l'administration (15), lui laissant la possibilité, à titre exceptionnel, d'assigner à résidence l'étranger lorsque celui-ci dispose de garanties de représentation effectives (16). Si cette compétence résulte clairement des textes, la Cour de cassation a cependant, sur le fondement de l'article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L1332A99), donné au juge judiciaire des pouvoirs étendus de contrôle qui ne résultaient pas de manière évidente de la seule lecture des textes. C'est dans les limites dictées par le respect de la règle de la séparation des pouvoirs que s'est progressivement élargi le champ d'intervention du juge judiciaire. Celui-ci est chargé, en cas de contestation, non seulement de vérifier, de manière de plus en plus étendue la régularité des actes d'interpellation et de contrôle d'identité, de placement en garde à vue ou de détention ayant immédiatement précédé le maintien en rétention de l'étranger (17), mais encore de contrôler certaines modalités essentielles de cette mesure, y compris quant à l'effectivité de l'exercice des droits qui y sont attachés (18). En revanche, ce n'est que depuis un arrêt rendu le 6 février 2007 (19) que les Hauts juges ont fait expressément référence à l'article 5 de la CESDH (N° Lexbase : L4786AQC) qui garantit le droit à la liberté et à la sûreté, en condamnant toute arrestation et détention irrégulières. Pour le moins remarqué, cet arrêt a auguré une prise en compte plus systématique des exigences de la CESDH dans le contrôle judiciaire des mesures administratives d'éloignement (20).

Mais si la Cour de cassation accueille pleinement l'autorité interprétative des décisions européennes, elle ne se contente pas de conformer sa jurisprudence aux arrêts de la juridiction strasbourgeoise, elle développe, également, sa propre jurisprudence, ce dont témoigne l'arrêt d'espèce. La Cour de cassation fait ainsi preuve d'une certaine prudence dans l'arbitrage qu'elle est appelée à réaliser entre la police des étrangers, définie à l'échelon national, et la protection due à l'homme en vertu des Traités. Contrôler la conventionalité des mesures de police des étrangers s'apparente à un véritable exercice d'équilibrisme entre, d'un côté, la souveraineté de chaque Etat pour définir sa politique d'immigration, et, de l'autre côté, le respect des droits fondamentaux reconnus à chacun par les instruments internationaux de promotion des droits de l'Homme.

En censurant les juges du fond dans leur interprétation en l'espèce, c'est à cet exercice que se livre la Cour de cassation. Les juges du fond sont allés assez loin dans l'interprétation des mesures législatives, en considérant que la seule rétention administrative d'un jeune enfant avec ses parents relève d'un traitement inhumain et dégradant. Cette position est critiquable d'un point de vue juridique car elle admet, a fortiori, que c'est la loi, en elle-même, qui est inhumaine. Le juge sort ici de son rôle lié à l'application de la loi en portant un avis sur l'opportunité d'adopter, ou non, telle disposition, d'où la censure logique de la Cour de cassation. Cette dernière n'a pas, au surplus, retenu les arguments marquants et contraire de l'avocat général qui s'appuyait sur la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL), laquelle proscrit la privation de liberté et énonce que l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions qui le concerne (21). L'avocat général s'appuyait, également, sur une argumentation développée par la Défenseure des enfants qui recommandait, notamment, de ne recourir au placement en centre de rétention qu'à titre tout à fait exceptionnel lorsque aucune autre mesure n'a été possible, et de privilégier l'assignation à résidence des parents et de leurs enfants, ou leur placement en résidence hôtelière (22), ce qui aurait été possible dans les deux affaires présentées. Au final, la Cour de cassation aurait pu déclarer la rétention contraire à l'article 3 de la CESDH, mais sa décision rappelle, au contraire, le respect nécessaire de l'obligation faite aux juges de ne pas aller au-delà de la stricte application de la loi. Elle met, ainsi, fin, aux dernières résistances de certains magistrats pour appliquer des lois envers lesquelles ils sont a priori hostiles.

Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz


(1) En vertu du a du F de l'article 1er de ce texte, ce statut n'est pas applicable "aux personnes dont on aura de sérieuses raisons de penser qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ce crime".
(2) CE Contentieux, 27 mai 1988, n° 66022, Mugica Garmendia (N° Lexbase : A7677APZ), Rec. CE, p. 219.
(3) CE Contentieux, 21 octobre 1983, n° 44469, Ngunga (N° Lexbase : A2701AMY).
(4) Voir, par exemple, CE Contentieux, 10 juillet 1996, n° 167955, Ranamukage (N° Lexbase : A0505APE).
(5) CE Contentieux, 27 mai 1988, n° 66022, Mugica Garmendia, (N° Lexbase : A7677APZ), Rec. CE, p. 219.
(6) CE Contentieux, 15 mai 2009, n° 288747, Gundogdu (N° Lexbase : A9600EGN).
(7) Une information judiciaire a, en effet, été ouverte contre elle à la suite de la plainte déposée le 13 février 2007, par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) pour "complicité de génocide" et "complicité de crime contre l'Humanité".
(8) Sur le fondement de l'article L. 911-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3329ALU).
(9) La situation est totalement différente pour l'adoption simple d'enfants plus âgés, voire adultes. L'adoption simple a des effets plus limités, car elle ne confère pas de plein droit la nationalité française. L'on peut craindre que l'adoption soit demandée uniquement pour l'obtention d'un visa de séjour en France, ou pour éviter des reconduites à la frontière dans le cas où la personne adoptée est déjà en France.
(10) CE Contentieux, 8 juin 1998, n° 183053, Chéa (N° Lexbase : A7653ASA), JCP éd. G, 1998, II, n° 10182, comm. F. Monéger.
(11) CE Contentieux, 20 mai 1998, n°182852, Mlle Oufkir-Gonthier (N° Lexbase : A7650AS7), JCP éd. G, 1998, II, n°10182, comm. F. Monéger.
(12) CE 10 s-s., n° 255329, 25 octobre 2004, Siyate épouse Michaud (N° Lexbase : A6732DDP).
(13) Voir, en ce sens, CEDH, 28 juin 2007, req. 76240/01, Wagner et J.M.W.L. c/ Luxembourg (N° Lexbase : A5260EA3).
(14) Cf. CA Toulouse, 21 février 2008, D., 2008, p. 2910, obs. F. Lombard et A. Haroune, et CA Rennes, 29 septembre 2008, n° 271/2008.
(15) Cf. C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 552-1 (N° Lexbase : L5812G4Z).
(16) Cf. C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 552-4 (N° Lexbase : L5852G4I).
(17) Cf. Cass. civ. 2, 28 juin 1995, n° 94-50.002, Préfet de la Haute-Garonne c/ M Bechta (N° Lexbase : A6192ABX), Bull. civ. II, n° 221.
(18) Cf. Cass. civ. 1, 31 janvier 2006, 3 arrêts, n° 04-50.093, M. X, se disant Wen Wu Li c/ Préfet de Police de Paris, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6031DMC), n° 04-50.121, Mme Aurelia Oncioiu c/ Préfet de Police de Paris, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6032DMD) et n° 04-50.128, M. Youcef Boudlal c/ Préfet du Val-de-Marne, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6619DM4), Bull. civ. I, n° 45.
(19) Cass. civ. 1, 6 février 2007, n° 05-10.880, Préfet de la Seine-Saint-Denis, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9477DT8), D. 2007, Jurisp., p. 917, note S. Trassoudaine, AJDA, 2007, p. 814, note O. Lecucq.
(20) Voir, par exemple, pour une autre application de l'article 5 de la CESDH, Cass. civ. 1, 25 juin 2008, n° 07-14.985, Préfet du Calvados, FS-P+B (N° Lexbase : A3681D99), D., 2008, act. jurispr., p. 1902.
(21) Voir, respectivement, art. 37 et 3 de cette Convention.
(22) Rapport de la Défenseure des enfants au Comité des droits de l'enfant des Nations-Unies, décembre 2008, p. 81.

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