La lettre juridique n°381 du 4 février 2010 : Contrat de travail

[Jurisprudence] La prise d'acte justifiée ouvre droit à l'indemnité de préavis et de congés payés afférente

Réf. : Cass. soc., 20 janvier 2010, 2 arrêts, n° 08-43.471, Société Roger Mondelin, FS-P+B (N° Lexbase : A4709EQH) et n° 08-43.476, Société Adonis, FS-P+B (N° Lexbase : A4710EQI)

Lecture: 8 min

N1526BNT

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] La prise d'acte justifiée ouvre droit à l'indemnité de préavis et de congés payés afférente. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212422-jurisprudence-la-prise-dacte-justifiee-ouvre-droit-a-lindemnite-de-preavis-et-de-conges-payes-affere
Copier

par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010


Si la prise d'acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail constitue un mode de rupture sui generis du contrat de travail, il emprunte son régime soit au licenciement, soit à la démission, selon que les fautes de l'employeur seront considérées ou non comme de nature à justifier la rupture immédiate du contrat de travail (I). Ces principes, bien intégrés depuis 2003, ont conduit la Chambre sociale de la Cour de cassation à consacrer, par deux arrêts du 20 janvier 2010, le droit pour le salarié qui a valablement pris acte au paiement de l'indemnité de préavis et de congés payés afférente, ce qui est parfaitement justifié (II).



Résumés

Pourvoi n° 08-43.471 : dès lors que la prise d'acte par le salarié de son contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il est fondé à obtenir des dommages et intérêts, l'indemnité de préavis et les congés payés afférents, et l'indemnité de licenciement auxquels il aurait eu droit en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et ce, peu important qu'il ait, à sa demande, été dispensé par l'employeur d'exécuter un préavis.

Pourvoi n° 08-43.476 : dès lors que la prise d'acte par le salarié de son contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il est fondé à obtenir des dommages et intérêts, l'indemnité de préavis et les congés payés afférents, et l'indemnité de licenciement auxquels il aurait eu droit en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et ce, peu important son état de maladie au cours de cette période.

I - La prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat de travail : un mode de rupture autonome soumis à un régime dépendant

  • Régime de la prise d'acte

La prise d'acte constitue pour les salariés un mode de rupture immédiat (1) et définitif (2) du contrat de travail, qui produit soit les effets indemnitaires d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul (3), lorsque les griefs formulés contre l'employeur étaient suffisamment graves pour justifier la rupture immédiate du contrat, soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission.

Comme cela a été souligné à plusieurs reprises, la prise d'acte ne possède aucun régime procédural ou indemnitaire propre. Mais si elle emprunte son régime indemnitaire au licenciement ou à la démission, elle ne s'en inspire pas sur le plan procédural, ce qui explique que l'employeur ne puisse pas être condamné en raison du non-respect de la procédure de licenciement (4), ou que le salarié qui prend acte de la rupture de son contrat de travail ne doit aucun préavis à son employeur, et ce même si cette rupture s'avère ultérieurement non justifiée et qu'elle produit, par conséquent, les effets indemnitaires de la démission.

  • Conséquences de l'assimilation au régime indemnitaire du licenciement

L'adoption du régime indemnitaire du licenciement sans cause réelle et sérieuse, lorsque l'exercice de la prise est justifié, conduit à admettre que l'employeur puisse être condamné à rembourser à Pôle emploi les allocations de chômage versées au salarié, dans une limite des six mois (5), et que le salarié a droit à des dommages et intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse, à l'indemnité de licenciement, mais aussi à l'indemnité de préavis et à l'indemnité compensatrice du droit aux congés payés, pour la période du préavis (6), dès lors que c'est bien par la faute de l'employeur qu'il a été conduit à mettre un terme immédiat au contrat de travail.

C'est bien ce qu'affirment, pour la première fois aussi clairement s'agissant du droit au préavis, les deux arrêts rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation en date du 20 janvier 2010 (pourvois n° 08-43.471 et n° 08-43.476).

II - L'affirmation justifiée du droit au préavis et à l'indemnité de congés payés afférente

  • Droit à l'indemnité de préavis et maladie

Dans la première affaire (pourvoi n° 08-43.471), un salarié employé comme chef des ventes avait, le 10 mai 2002, adressé à son employeur un pli recommandé relevant un certain nombre de modifications apportées aux conditions d'exécution de son contrat de travail, concluant qu'il n'était plus en mesure d'exécuter celui-ci et sollicitant un rendez-vous. Par lettre recommandée en date du 13 mai 2002, ce salarié informait par écrit son employeur de sa démission, pour les faits déjà dénoncés, et relevait qu'il avait été dispensé, à sa demande, d'exécuter son délai de préavis de démission compte tenu, notamment, de son état de santé.

Il avait, par la suite, saisi la juridiction prud'homale de différentes demandes fondées sur la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, les juges du fond lui ayant attribué, notamment, une indemnité de préavis et l'indemnité de congés payés afférente.

L'employeur prétendait, dans son pourvoi, pouvoir échapper au paiement de ces deux indemnités dans la mesure où le préavis n'avait pas été exécuté par le salarié à sa demande et en raison de son incapacité à le faire, compte tenu de son état de santé.

  • Une solution logique

L'argument est rejeté, et fort logiquement.

Le préavis dont le salarié avait été dispensé, à sa demande, était le préavis de démission, régime dans lequel il s'était situé à l'époque de la rupture du contrat de travail. Or, l'indemnité de préavis dont il s'agissait ici était l'indemnité de préavis de licenciement, préavis dont le salarié avait, en réalité, été privé puisqu'il était censé avoir été contraint de rompre sans délai le contrat de travail compte tenu des fautes commises par son employeur. Il ne s'agissait donc pas du même préavis et le fait que le salarié ait obtenu de ne pas exécuter son préavis de démission était ici sans objet, dans la mesure où la prise d'acte produisait bien les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par ailleurs, il a été jugé de longue date que, même lorsqu'il n'était pas physiquement apte à exécuter son préavis, le salarié pouvait prétendre à une indemnité compensatrice lorsque la rupture du contrat de travail était imputable à une faute de l'employeur, qu'il s'agisse du manquement à son obligation de reclassement (7) ou de l'existence d'un harcèlement à l'origine de l'arrêt de travail (8).

  • Droit à l'indemnité de préavis et gravité des fautes relevées

Dans la seconde affaire (pourvoi n° 08-43.476), un salarié avait démissionné par lettre du 27 septembre 2004 avec effet au 11 octobre 2004 en reprochant à son employeur divers manquements. Au vu de ces griefs, la juridiction prud'homale avait requalifié la démission en prise d'acte et accordé au salarié diverses indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu'une indemnité compensatrice du droit au préavis, ce que contestait l'employeur dans le cadre de son pourvoi, en vain.

Pour la Cour de cassation, en effet, dès lors que les juges considèrent la prise d'acte comme justifiée, celle-ci doit normalement conduire à allouer au salarié une indemnité de préavis, assortie de l'indemnité de congés payés afférente, sans qu'il soit utile de caractériser des fautes d'une particulière gravité.

  • Une solution justifiée

Cette affirmation est parfaitement logique.

Si, en effet, le salarié n'a pas accompli de préavis, c'est en raison des fautes commises par l'employeur qui l'ont conduit à rompre immédiatement son contrat. C'est donc par la faute de l'employeur que le préavis n'a pas été exécuté, ce qui constitue une cause classique de versement de l'indemnité compensatrice (9).


(1) Par conséquent, le délai octroyé à l'employeur pour renoncer à la clause de non-concurrence part de la prise d'acte et non d'un éventuel licenciement qu'il aurait prononcé par la suite et qui serait nul et de nul effet, le contrat de travail ayant déjà été rompu : Cass. soc., 8 juin 2005, n° 03-43.321, M. Patrick Edline c/ Société Imprimerie Mavit-Sival, FS-P+B sur le 3ème moyen (N° Lexbase : A6513DI3), et lire nos obs., Prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat de travail et renonciation par l'employeur à la clause de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 172 du 16 juin 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N5494AIC). C'est également à cette date que l'employeur doit remettre au salarié les documents de fin de contrat, certificat de travail et attestation Assedic mentionnant la rupture du contrat par la prise d'acte : Cass. soc., 4 juin 2008, n° 06-45.757, Société HSBC France, FS-P+B (N° Lexbase : A9241D8R).
(2) La Cour de cassation interdit, en effet, la rétractation : Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-40.863, M. Jean-Claude Mariucci, F-D (N° Lexbase : A1880ENX).
(3) Cass. soc., 21 janvier 2003, n° 00-44.502, Société Sogeposte, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7345A4S) et les obs. de G. Auzero, "Autolicenciement" d'un salarié protégé : réflexions autour de la rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié, Lexbase Hebdo n° 57 du 6 février 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N5763AAP) ; Cass. soc., 5 juillet 2006, n° 04-46.009, M. Jean-Louis Barbot, FS-P+B (N° Lexbase : A3701DQ7) et nos obs., Prise d'acte de la rupture du contrat de travail par un salarié protégé, Lexbase Hebdo n° 224 du 20 juillet 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N1109ALN).
(4) Cass. soc., 16 septembre 2009, n° 07-42.919, M. Ali Si Mohammedi, exploitant sous l'enseigne "L'Auberge du Palmier", F-D (N° Lexbase : A8692ELI).
(5) Cass. soc., 3 mai 2007, n° 05-44.694, Assedic Vallées du Rhône et de la Loire, F-D (N° Lexbase : A0600DW7).
(6) Solution admise a contrario par : Cass. soc., 4 avril 2007, n° 05-43.406, M. Bernard Garnier, F-P+B (N° Lexbase : A9002DUX), qui avait refusé d'accorder une indemnité compensatrice de droit à congés payés pour la période postérieure à la prise d'acte après avoir relevé que celle-ci produisait les effets d'une démission.
(7) Cass. soc., 26 novembre 2002, n° 00-41.633, Société Peintamelec c/ M. Jean-François Nadot, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0743A4B), Dr. soc., 2003, p. 237. Lire les obs. de C. Figerou, Inexécution du préavis consécutive à une inaptitude d'origine non professionnelle : la Cour de cassation revient sur sa position, Lexbase Hebdo n° 50 du 5 décembre 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N5001AAH).
(8) Cass. soc., 20 sept. 2006, n° 05-41.385, Mme Martine Hureau-Mignucci, FS-P+B (N° Lexbase : A3093DRY), Bull. civ. V, n° 274.
(9) Par exemple, s'agissant d'un salarié ayant été contraint de rompre le contrat en raison d'un défaut de paiement de ses salaires : Cass. soc., 18 octobre 1989, ° 88-43.277, M. Henri Robert c/ Monsieur Martin, ès qualités de syndic à la liquidation des biens de la société immobilière Val de France, F-D (N° Lexbase : A0475CIG), Bull. civ. V, n° 603.

Décisions

1° Cass. soc., 20 janvier 2010, n° 08-43.471, Société Roger Mondelin, FS-P+B (N° Lexbase : A4709EQH)

Rejet CA Versailles, 15ème ch., 22 mai 2008

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-4 (N° Lexbase : L5554ACP, L. 1231-1, nouv. N° Lexbase : L8654IAR), L. 122-5 (N° Lexbase : L5555ACQ) et L. 122-14-11 (N° Lexbase : L5575ACH, L. 1237-1, nouv. N° Lexbase : L1389H9C), L. 122-13 (N° Lexbase : L5564AC3, L. 1237-2, nouv. N° Lexbase : L1390H9D) et L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9, L. 1235-1 N° Lexbase : L1338H9G et L. 1232-1 N° Lexbase : L8291IAC nouv.)

Mots clef : prise d'acte ; effets ; licenciement sans cause réelle et sérieuse ; indemnité de préavis ; dispense de préavis

Lien base :

2° Cass. soc., 20 janvier 2010, n° 08-43.476, Société Adonis, FS-P+B (N° Lexbase : A4710EQI)

Rejet CA Nancy, ch. soc., 11 avril 2008

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-4 (N° Lexbase : L5554ACP, L. 1231-1, nouv. N° Lexbase : L8654IAR), L. 122-5 (N° Lexbase : L5555ACQ) et L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9, L. 1235-1 N° Lexbase : L1338H9G et L. 1232-1 N° Lexbase : L8291IAC nouv.)

Mots clef : prise d'acte ; effets ; licenciement sans cause réelle et sérieuse ; indemnité de préavis ; maladie du salarié

Lien base : ([LXB=E9679ESB ])

newsid:381526

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.