La lettre juridique n°929 du 5 janvier 2023

La lettre juridique - Édition n°929

Contrat de travail

[Brèves] Quelle est la valeur de la signature manuscrite numérisée de l’employeur ?

Réf. : Cass. soc., 14 décembre 2022, n° 21-19.841, FS-B N° Lexbase : A49638ZT

Lecture: 2 min

N3721BZT

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par Lisa Poinsot

Le 04 Janvier 2023

► L’apposition de la signature manuscrite numérisée de l’employeur sur le contrat de travail à durée déterminée du salarié ne vaut pas absence de signature.

Faits et procédure. Un salarié, engagé en CDD saisonnier, prend acte de la rupture de son contrat de travail estimant que le lien de confiance est rompu du fait de la transmission pour signature d’un contrat de travail comportant une signature de l’employeur photocopiée et non manuscrite.

Il saisit ensuite la juridiction prud’homale notamment d’une demande de requalification de son contrat en CDI.

La cour d’appel énonce, dans un premier temps, que l’apposition d’une signature sous forme d’une image numérisée ne peut être assimilée à une signature électronique au sens de l’article 1367 du Code civil N° Lexbase : L1033KZB.

Elle constate, dans un second temps, qu’il n’est pas contesté que la signature en cause est celle du gérant de la société et permet parfaitement d’identifier son auteur, lequel est habilité à signer un contrat de travail.

Elle en déduit que l’apposition de la signature manuscrite numérisée du gérant de la société ne vaut pas absence de signature, en sorte que la demande de requalification doit être rejetée.

Le salarié forme alors un pourvoi en cassation en soutenant qu’une signature manuscrite scannée n’est ni une signature originale ni une signature électronique et n’a aucune valeur juridique, de sorte qu’en l’absence de signature régulière par l’une des parties, le CDD n’est pas considéré comme étant établi par écrit et est réputé conclu pour une durée indéterminée.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation approuve le raisonnement de la cour d’appel et rejette le pourvoi sur le fondement de l’article L. 1242-12, alinéa 1er du Code du travail N° Lexbase : L1446H9G.

Ainsi, une signature manuscrite simplement scannée (non électronique) est valable.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les sanctions du non-respect des règles relatives au contrat à durée déterminée, La requalification sanction du CDD en CDI, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E7876ESI.

 

newsid:483721

Entreprises en difficulté

[Brèves] Fixation de la rémunération du conciliateur : la régularité de l’ordonnance du président du tribunal n’est pas subordonnée au contradictoire

Réf. : Cass. com., 14 décembre 2022, n° 21-16.655, F-B N° Lexbase : A49608ZQ

Lecture: 3 min

N3707BZC

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par Vincent Téchené

Le 04 Janvier 2023

► La régularité de l’ordonnance par laquelle le président du tribunal de commerce arrête le montant de la rémunération du conciliateur, qui peut être frappée par le débiteur, le conciliateur et le ministère public, du recours institué à l'article R. 611-50 du Code de commerce, n’est pas subordonnée à l'organisation préalable d'un débat contradictoire.

Faits et procédure. Un conciliateur a saisi le président du tribunal de commerce d'une demande de fixation de ses honoraires. La débitrice a formé un recours contre l'ordonnance fixant la rémunération du conciliateur à une certaine somme.

La cour d’appel (CA Aix-en-Provence, 25 mars 2021, n° 20/02498 N° Lexbase : A33724MT) ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'ordonnance ayant fixé la rémunération du conciliateur, la débitrice a formé un pourvoi en cassation.

Décision. La demanderesse soutenait d’abord que le contradictoire s'imposait en première instance, à défaut de circonstances justifiant qu'il y soit dérogé, et n'avait pas été respecté à son égard, la décision ayant été rendue sur requête. Dès lors en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel aurait violé l'article 455 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6565H7B, ensemble l'article 6 § 1 de la CESDH N° Lexbase : L7558AIR.

La Cour de cassation rejette ce premier moyen. Elle rappelle qu’il résulte des articles L. 611-14 N° Lexbase : L7278IZL et R. 611-47 N° Lexbase : L6098I3A du Code de commerce que le président du tribunal de commerce, après avoir préalablement fixé les conditions de la rémunération du conciliateur, lesquelles sont subordonnées à l'accord du débiteur sur les critères de sa détermination et de son montant maximal, en arrête le montant par une ordonnance rendue sur requête.

Elle énonce alors que la régularité de cette ordonnance, qui peut être frappée par le débiteur, le conciliateur et le ministère public, du recours institué à l'article R. 611-50 du code précité N° Lexbase : L6100I3C, n'étant pas subordonnée à l'organisation préalable d'un débat contradictoire, le premier président n'avait pas à répondre au moyen inopérant tiré de l'absence d'un débat contradictoire devant le juge taxateur.

Toutefois, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 455 du Code de procédure civile.

En effet, pour fixer la rémunération du conciliateur à la somme de 300 000 euros HT, l'arrêt d’appel a retenu que, le 30 septembre 2019, le président de la société débitrice a validé l'ensemble des diligences retranscrites par le conciliateur.

Or, pour la Haute juridiction, en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la débitrice qui faisait valoir que cette validation par le président était inefficace dès lors que celui-ci n'était pas le représentant légal de la débitrice qui était une société anonyme, cette fonction étant exercée par le directeur général, la cour d'appel a violé le texte précité.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les règles communes de la conciliation, La rémunération du conciliateur, in Entreprises en difficulté, (dir. P.-M. Le Corre), Lexbase N° Lexbase : E3265E4P.

 

newsid:483707

Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Acte anormal de gestion et réintégration de commissions dans les bénéfices imposables à l’IS

Réf. : CAA Nancy, 10 novembre 2022, n° 20NC02550 N° Lexbase : A42158SW

Lecture: 9 min

N3761BZC

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public (IDPS) - Université de Paris XIII

Le 06 Janvier 2023

Mots-clés : EURL • impôt sur les sociétés • bénéfices imposables • acte anormal de gestion • déficit reportable

Une EURL – ayant pour activité la conception, la vente, l’installation et l’entretien d’appareils de climatisation – est confrontée à une proposition de rectification sur le fondement de l’article L. 55 du LPF N° Lexbase : L5685IEB. L’administration procède à la réintégration – dans les bénéfices imposables à l’IS – des commissions versées à une société de consulting. Ces commissions - versées sur le fondement d’un contrat d’agent commercial – sont qualifiées d’acte anormal de gestion. L’EURL n’accepte pas les rectifications proposées ; la Commission départementale des impôts directs émet un avis favorable aux redressements. Le supplément d’IS – assorti de la pénalité pour manquement délibéré - est mis en recouvrement. Après rejet de la réclamation préalable de la société, saisine du TA de Strasbourg il y a : celui-ci ne fait pas droit à la demande des requérants visant à la décharge de l’imposition supplémentaire et au rétablissement du déficit reportable.


 

Devant la CAA de Nancy, l’EURL développe une double argumentation à l’appui de ses prétentions. Premièrement, elle estime que la décision d’externaliser son service commercial relève de sa liberté de gestion, liberté que l’administration ne saurait jauger et juger (cf. le principe de libre administration des entreprises). Une fois ce rappel théorique opéré, le propos de la requérante porte sur le fardeau probatoire : l’administration ne rapporte pas la preuve que les sommes versées à la société de consulting relèvent d’une gestion commerciale anormale. Les arguments de l’administration – cf. le fameux faisceau d’indices – ne démontrent pas l’absence d’intérêt d’avoir recours à la société de consulting. Or, le démarchage de nouveaux clients est essentiel pour l’activité économique ; il suffit de se rapporter à l’évolution du chiffre d’affaires pour entrevoir l’utilité des prestations émanant de la société de consulting. Secondement, l’EURL récuse l’argumentation de l’administration s’agissant des fonctions assumées par les deux personnes ayant touché les commissions ; elles n’assument aucune fonction commerciale, possèdent uniquement des attributions techniques (cf. leur contrat de travail). Avec ces contrats, rémunération au forfait jour il y a ; les deux intéressés ne sont donc pas empêchés de développer une activité commerciale au sein de la société de consulting.

La CAA de Nancy rejette la demande de l’EURL dans sa décision du 10 novembre 2022. Certes, le juge d’appel retient que l’EURL a justifié du principe même de la déductibilité des bénéfices des commissions litigieuses. Certes, elle peut augmenter les rémunérations de ses deux cadres par le truchement d’une externalisation de leurs attributions commerciales au sein d’une société tierce recevant des commissions. Cependant, l’EURL ne peut pas déduire les sommes versées : car les prestations visées ont été effectuées dans le cadre de contrats de travail la liant elle et ses cadres, et non la société de consulting elle-même. Il s’ensuit que le versement des commissions ne relève pas d’une gestion commerciale normale ; l’administration peut réintégrer les sommes en question dans les bénéfices imposables de l’EURL.

Voyons plus en détail le cheminement herméneutique adopté par le juge. Celui-ci fait tout d’abord lecture de l’article 39 (1) du CGI N° Lexbase : L3894IAH, applicable pour la détermination de l’IS sur le fondement de l’article 209 du CGI N° Lexbase : L6979LZI : le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, notamment « les frais généraux de toute nature ». Puis, la CAA de Nancy s’attarde longuement sur la question de la charge de la preuve. Il revient au contribuable de justifier du montant des créances de tiers/d’amortissements/de provisions/de charges qu’il souhaite déduire du bénéfice net (cf. CGI, art. 38 N° Lexbase : L5626MAM). De même, revient-il au contribuable de justifier de toute correction de leur inscription en compatibilité, à savoir du « principe même de leur déductibilité ». Cette obligation découle d’un principe rappelé par le juge : « les éléments de preuve qu’une partie est seule en mesure de détenir » ne peuvent être réclamés qu’à cette dernière. Quant aux charges, la justification est apportée par le contribuable dès lors : qu’il produit des « éléments suffisamment précis » portant sur leur nature … qu’il démontre l’existence et la valeur de la contrepartie obtenue. Si le contribuable est en mesure d’apporter de tels éléments à l’appui de ses assertions, le fardeau probatoire se déplace et vient peser sur les épaules fiscales de l’administration : il appartient en effet à cette dernière de prouver la non-déductibilité par nature des charges litigieuses, l’absence de contrepartie, l’existence d’une contrepartie dépourvue d’intérêt, ou encore l’existence d’une rémunération excessive. Dans l’hypothèse où une entreprise déduit en charge une dépense supportée, l’administration peut lui demander de fournir tous les éléments pouvant justifier la réalité et la valeur des prestations. La CAA de Nancy rappelle que le seul fait que le contribuable ne réponde pas suffisamment aux demandes de l’administration ne suffit pas « à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse ». Il revient à l’administration de fournir au juge toutes les données démontrant la pertinence de ses prétentions, à savoir le caractère non déductible de la dépense.

Reste à cogiter sur la notion de gestion commerciale normale et son Janus négatif : l’acte anormal de gestion. Le bénéfice imposable à l’IS est celui provenant des opérations de toute nature (cf. CGI, arts. 38 et 209 visés en amont), « à l’exception de celles qui en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale ». Quant à l’acte anormal de gestion, il s’entend comme l’acte par lequel une entreprise s’appauvrit « à des fins étrangères à son intérêt ». L’administration – qui doit apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour soutenir la thèse de l’anormalité d’un acte de gestion – est « réputée apporter cette preuve si l’entreprise ne justifie pas avoir bénéficié de contreparties en retour. Par le truchement de cette formule – circulaire et vicieuse – le juge fait en réalité peser le fardeau probatoire sur les épaules du contribuable.

Dans l’espèce qui nous intéresse, l’EURL déduit de ses bénéfices les sommes de 32 765, 44 euros et de 105 461,55 euros (HT) à titre de commissions. Celles-ci ont été versées à une société de consulting en rémunération de prestations d’agent commercial. Ces commissions ont été versées à la suite de ventes qui ont bien été conclues ; elles ne sont aucunement fictives. Le juge arrive à cette conclusion dans la mesure où l’EURL a produit nombre d’éléments à l’appui de ses écritures. Elle a donc justifié le principe même de la déductibilité – de ses bénéfices - des commissions. En effet, l’EURL a produit des factures établies par son fournisseur (avec détail de chaque commission) ; elle a encore produit le contrat d’agence commerciale conclu avec la société de consulting (exclusivité, pour cette dernière, de représentation commerciale pour tous ses produits et prestations). Quant à la convention elle-même, elle dispose que : l’agent commercial est rémunéré par une commission égale à 5 % de chaque vente (HT) de produits et prestations conclue avec des anciens clients … l’agent commercial est rémunéré par une commission égale à 8 % (HT) conclue avec de nouveaux clients. Au regard de l’ensemble de ces éléments, il appert qu’il y a justification du principe même de la déductibilité des commissions.

Cependant néanmoins, toutefois… comment ne pas relever – ce que la CAA fait aussitôt – que les prestations de commercialisation fournies par la société de consulting ont été « matériellement assurées par MM. C… et B… ? Or, ces deux personnes – associés fondateurs de la société de consulting – sont également salariées de l’EURL et anciens cadres d’entreprises dont la société requérante avait acquis la clientèle ». Après ce constat, le juge détaille les contrats de travail au cœur du litige : M. B… a été recruté (CDI) en qualité de technico-commercial Niveau VIII à temps complet (salaire mensuel brut de 6556, 06 euros), M. C… a été recruté (CDI) en qualité de technico-commercial/responsable administratif Niveau VIII (identique salaire). Reste qu’à la lecture de l’organigramme de l’EURL, les fonctions de directeur commercial sont exercées par M. B… tandis que les fonctions directeur technique sont assumées par M. C… Certes, ledit organigramme a fait l’objet d’une modification : M. B… devient directeur technique climatisation et M. C… devient directeur technique chauffage. Certes, les avenants à leur contrat indiquent qu’ils exercent de tels emplois à l’exclusion de toute autre fonction. Certes, l’EURL déclare et répète que les intéressés exercent uniquement des attributions techniques en matière de chauffage et climatisation. Cependant, derrière la norme transparaît – tel un palimpseste fonctionnel – la réalité des tâches assumées : MM. B… et C… assument également d’évidentes fonctions commerciales, à savoir démarcher et recruter de nouveaux clients. Grattant le palimpseste, la CAA estime ainsi que la version de l’EURL n’est pas crédible. Tout d’abord, il aura fallu la pressante demande du vérificateur pour que la société révèle des documents attestant l’affectation exclusive des salariés à des fonctions techniques. Il n’est jamais bon que le juge mette en exergue un passé synonyme de réticence documentaire quand survient un contrôle… Surtout, l’argumentation de l’EURL – les deux agents disposaient d’un temps suffisant pour assumer leurs fonctions commerciales au sein de la société de consulting – ne convainc pas la CAA. Il suffit de se rapporter – cf. le travail du vérificateur - aux plannings de travail des MM. B… et C… : ceux-ci continuent d’assurer au sein de la société de consulting leurs fonctions commerciales et d’assumer leurs attributions techniques « dans les mêmes conditions pour lesquelles ils avaient été recrutés ».

La CAA ne prétend pas remettre en cause la liberté d’agir de l’EURL : par une décision de gestion dont elle est entièrement maître, elle peut assurer une augmentation des rémunérations de ses salariés. Il lui est loisible de le faire non par le truchement de salaires mais via « une externalisation de leurs attributions commerciales au sein d’une société tierce à laquelle elle a versé des commissions ». Aucun souci quant à l’institutionnalisation de ce processus. Mais l’EURL ne saurait prétendre déduire les sommes versées aux deux agents à partir du moment où les prestations sont effectuées « dans le cadre de contrats de travail qui les liaient à elle » et non pas par la société de consulting.

Au regard de l’ensemble des éléments rapportés, l’administration est réputée apporter la preuve que le versement des commissions ne s’apparente pas à une gestion commerciale normale. Réintégration des sommes correspondantes dans les bénéfices imposables de l’EURL il pouvait donc y avoir.

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Fiscalité internationale

[Brèves] Accord entre la France et la Suisse sur un régime fiscal en matière de télétravail

Réf. : MINEFI, communiqué n° 461, du 22 décembre 2022

Lecture: 3 min

N3776BZU

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par Marie-Claire Sgarra

Le 06 Janvier 2023

La Suisse et la France sont convenues d’une solution pour l’imposition des revenus du télétravail : dès le 1er janvier 2023, le télétravail sera possible jusqu’à 40 % du temps de travail par année sans remettre en cause l’État d’imposition des revenus d’activité salariée, notamment pour le personnel frontalier.

Pour rappel, la Suisse et la France, par la « Déclaration conjointe de la France et de la Suisse concernant la mise en place d’un accord provisoire applicable aux travailleurs transfrontaliers en vue d’aboutir à des règles d’imposition pérennes en matière de télétravail » du 29 juin 2022 [en ligne], se sont accordées sur l’importance de définir de nouvelles règles d’imposition pérennes en matière de télétravail afin d’accompagner cette évolution.

Les discussions entre la Suisse et la France, auxquelles des représentants des cantons ont été étroitement associés, se sont tenues au second semestre de l’année 2022 et ont conduit à un accord sur un régime fiscal pérenne en matière de télétravail.

► Concernant les travailleurs relevant de l’accord de 1983 signé entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse agissant au nom des cantons de Berne, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura, la France et la Suisse se sont accordées pour que l’exercice du télétravail, dans la limite de 40 % du temps de travail, ne remette en cause ni le statut de frontalier, ni les règles d’imposition à la résidence des revenus d’activité salariée qui en découlent. Ces dispositions seront précisées par un accord amiable prenant effet à compter du 1er janvier 2023 ;

► Concernant les autres travailleurs, qui relèvent des règles prévues par la convention fiscale bilatérale signée en 1966 en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et la fortune, un accord sur un régime pérenne a également été trouvé entre les deux États, sous forme d’un avenant modifiant cette convention. Celui-ci prévoit de maintenir l’imposition dans l’État de situation de l’employeur, si le travail effectué à distance depuis l’État de résidence n’excède pas 40 % du temps de travail. En contrepartie du maintien du droit d’imposer les revenus d’activité salariée dans l’État de l’employeur, une compensation adéquate est prévue en faveur de l’État de résidence de l’employé.

Les dispositions de l'avenant à la convention sont prévues pour s’appliquer à compter du 1er janvier 2023. Son entrée en vigueur sera toutefois conditionnée par sa signature, puis sa ratification, par chacun des deux États. Le texte sera rendu public lors de sa signature, prévue vers la fin du premier semestre 2023.

Précisions. Dans l’intervalle, la France et la Suisse sont convenues d’en appliquer les modalités, s’agissant du télétravail, par accord amiable. Celui-ci pourra s’appliquer au plus tard jusqu’au 31 décembre 2024 si l’avenant est signé d’ici au 30 juin 2023 et en tenant compte de l’avancement du processus de ratification.

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Marchés publics

[Brèves] Impossibilité d’invoquer le Code de la consommation pour annuler un marché public !

Réf. : CAA Lyon, 4e ch., 24 novembre 2022, n° 20LY03771 N° Lexbase : A33888UZ

Lecture: 3 min

N3699BZZ

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par Yann Le Foll

Le 04 Janvier 2023

► Une commune ne peut exciper de l’illégalité de la reconduction tacite d’un contrat (dans la mesure où une clause de reconduction y aurait été introduite en méconnaissance des dispositions du Code de la consommation) pour demander l’annulation de ce contrat.

Rappel. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat.

Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif, notamment, aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel (CE, ass., 28 décembre 2009, n° 304802 N° Lexbase : A0493EQC).

En premier lieu, si les contrats signés avec les sociétés Locam et IDSys contiennent une clause prévoyant leur tacite reconduction pour des durées d'un an, la présence de telles clauses, qui sont détachables de ces contrats, est en principe sans incidence sur la légalité des contrats initiaux.

Par ailleurs, si la conclusion d'un contrat en application d'une clause de tacite reconduction, en méconnaissance des obligations de mise en concurrence préalable issues des dispositions du Code des marchés publics, constitue un manquement aux règles de passation de ces contrats, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu notamment des montants des contrats en cause, l'irrégularité tenant à la conclusion, en février 2014, 2015 et 2016 de nouveaux contrats avec la société Locam et les 1er avril 2015 et 2016 de nouveaux contrats avec la société IDSys en application des clauses de tacite reconduction n'est pas d'une gravité telle que le litige ne puisse être réglé sur le terrain contractuel.

En outre, les dispositions du Code des marchés publics, désormais reprises dans le Code de la commande publique, régissent la passation et l'exécution des marchés passés par les personnes publiques mentionnées à son article 2 N° Lexbase : L4461LRN avec des professionnels pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services. Par suite, la commune de Marnaz ne peut utilement invoquer, pour contester les clauses de tacite reconduction présentes dans les contrats litigieux, les dispositions des articles L. 215-1 N° Lexbase : L7383MDS et suivants du Code de la consommation qui ne s'appliquent qu'aux relations entre un professionnel et un non-professionnel ou un consommateur.

Décision. La commune de Marnaz n'est donc pas fondée à demander à la cour d'écarter les contrats en litige ou certaines de leurs clauses, qui ne sont ni illicites, ni entachés d'un vice d'une particulière gravité, et de régler le litige sur le terrain extracontractuel en condamnant les sociétés Locam et IDSys à lui reverser les sommes qu'elle a versées en application de ces contrats.

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Procédure pénale

[Jurisprudence] L’équité de la procédure à l’épreuve des conséquences de la durée déraisonnable du procès

Réf. : Cass. crim., 9 novembre 2022, n° 21-85.655, FP-B N° Lexbase : A12898SK

Lecture: 21 min

N3579BZL

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par Francis Habouzit, Maître de conférences, Institut de recherche juridique de la Sorbonne, Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Le 04 Janvier 2023

Mots-clés : délai raisonnable • procès équitable • droits de la défense • principe du contradictoire • nullité • fonctionnement défectueux du service public

Cet arrêt de la Chambre criminelle rappelle fermement que le dépassement du délai raisonnable est sans incidence sur la validité de la procédure. Dès lors, la juridiction de jugement ne peut se dispenser d’examiner l’affaire au fond. Le juge doit en revanche prendre en compte, lors de l’examen du bien-fondé de l’accusation, la durée déraisonnable du procès et ses éventuelles conséquences sur l’équité de la procédure.


 

À l’instar de Beccaria, louant dans son célèbre opuscule les vertus de la « promptitude du châtiment [1] », la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) « souligne l’importance qui s’attache à ce que la justice ne soit pas rendue avec des retards propres à en compromettre l’efficacité et la crédibilité [2] ». Si l’article préliminaire du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1305MAL prescrit qu’« il doit être définitivement statué sur l’accusation […] dans un délai raisonnable »,  ce n’est donc pas pour la seule protection des personnes mises en cause, comme semble pourtant le concevoir la Chambre criminelle, dans un arrêt du 9 novembre 2022 [3].

À la suite d’un signalement de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – faisant état de soupçons de l’existence de commissions versées par une société au président du syndicat intercommunal, pour obtenir le renouvellement d’une délégation de service public –, une information judiciaire est ouverte par le procureur de la République le 26 juin 2002 des chefs de corruption et trafic d’influence. Ces poursuites sont ensuite étendues à des faits de recel, d’abus de biens sociaux et complicité de ce délit, ainsi que favoritisme et entente, recel de ces infractions, faux et usage de faux. Enfin, le 27 juin 2005, le juge ordonne la jonction de cette instruction avec l’information ouverte le 23 janvier 2003 du chef d’abus de biens sociaux impliquant une autre société.

Après la mise en examen de six personnes, dont l’une est décédée en 2019, le juge d’instruction a rendu une ordonnance de renvoi pour qu’elles soient jugées pour complicité de corruption active, recel, abus de biens sociaux, faux et usage. La juridiction de première instance, par un jugement du 11 janvier 2021, a annulé les actes d’enquête et d’information judiciaire ayant conduis au renvoi, en considérant que seule la nullité de l’entière procédure constitue une sanction effective de la violation du droit à un procès équitable [4]. À la suite d’un appel du ministère public et des parties civiles, la cour d’appel a quant à elle prononcé l’annulation partielle des poursuites, dans un arrêt du 15 septembre 2021, et ordonné le renvoi à une audience ultérieure des deux prévenus pour les faits ne relevant pas du volet corruption de l’affaire [5]. Les juges d’appel ont en effet choisi de sanctionner procéduralement la durée déraisonnable du procès, au motif que les deux décennies écoulées depuis la mise en mouvement de l’action publique auraient irrémédiablement affecté l’équité du procès. Ils soulignent d’abord, qu’en raison du dépassement du délai raisonnable de la procédure, deux des prévenus n’ont plus les capacités physique et intellectuelle de participer à leur procès, de prendre part au débat contradictoire et d’exercer leurs droits de la défense, y compris avec l’assistance de leurs avocats. Ensuite, la cour d’appel ajoute qu’il découle de cette situation, et du décès de l’une des personnes mises en examen, l’impossibilité pour l’ensemble des parties de bénéficier d’un débat contradictoire et d’exercer de manière effective leurs droits de la défense.

Le procureur général près la cour d’appel et les deux prévenus poursuivis pour abus de biens sociaux, de recel, de faux et d’usage, se pourvoient en cassation. Pour sa part, le procureur général fait grief à l’arrêt d’avoir partiellement annulé les poursuites et estime que la cour d’appel a violé les articles préliminaire N° Lexbase : L1305MAL, 437 N° Lexbase : L3445IGP, 591 N° Lexbase : L3975AZA, 593 N° Lexbase : L3977AZC et 802 N° Lexbase : L4265AZY du Code de procédure pénale. Considérant dans une première branche l’alinéa 5 du III de l’article préliminaire relatif au délai raisonnable comme une recommandation, il argue d’abord que sa méconnaissance « ne porte pas nécessairement atteinte aux principes de fonctionnement de la justice pénale et aux droits de la défense et ne compromet pas irrémédiablement l’équité du procès et l’équilibre des droits des parties [6] ». Il ajoute que, dans tous les cas, sa méconnaissance ne saurait avoir une incidence directe sur la validité des procédures. Dans une seconde branche, il affirme ensuite que « que l’impossibilité pour la cour d’appel d’interroger personnellement des témoins à charge ou des co-prévenus ou de permettre aux parties de les interroger ou de les faire interroger n’est pas de nature à entraîner la nullité de la procédure et ne porte pas nécessairement atteinte au respect des droits de la défense [7] ».

Quant aux prévenus, ils font bien entendu grief à l’arrêt de les avoir renvoyés pour qu’ils soient jugés. Ils considèrent que la cour d’appel a violé l’article 6 de la Convention N° Lexbase : L7558AIR ainsi que les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, en retenant qu’ils pouvaient exercer leurs droits de la défense de manière effective, malgré l’atteinte au droit à être jugé dans un délai raisonnable, et alors qu’ils ne sont pas en mesure d’interroger des témoins et mis en cause.

 Dans cette affaire, la Cour de cassation était amenée à se prononcer sur l’incidence du dépassement du délai raisonnable sur la validité de la procédure, dans l’hypothèse où cette violation de l’article 6 aurait privé les prévenus d’un procès équitable. Le pourvoi du procureur général près la cour d’appel s’efforce toutefois de dissocier la question du droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable de celle des autres garanties procédurales. D’un côté, il est demandé à la Cour si la violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable porte nécessairement atteinte aux droits procéduraux des parties, si elle compromet définitivement l’équité du procès et si la violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable peut affecter directement la validité des procédures ? De l’autre, l’impossibilité d’interroger des témoins et des prévenus porte-t-elle nécessairement atteinte aux droits de la défense et une telle atteinte est-elle de nature à fonder l’annulation de la procédure ?

Au visa de l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme, préliminaire et 802 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel en toutes ces dispositions, sauf celles ayant ordonné le renvoi de certains prévenus. La Chambre criminelle, réunie en formation plénière, rappelle que le dépassement du délai raisonnable ne peut conduire à l’annulation de la procédure. Elle souligne, d’une part, que la cour d’appel a faussement déduit de l’article 6, §1 de la Convention et de l’article préliminaire du Code de procédure pénale qu’elle devait annuler les poursuites. Et d’autre part, elle reproche aux juges du fond de ne pas avoir statué sur le bien-fondé de l’accusation au regard des éléments qui lui étaient soumis, conformément à l’article 427 du Code de procédure pénale N° Lexbase : C65447LX.

Emblématique de cette problématique, cette affaire de la « chaufferie de la Défense » a conduit la Cour de cassation à se prononcer de nouveau sur la sanction de la durée déraisonnable de la procédure, au moment où le constat d’une temporalité pathologique du procès a été mis en exergue tant par les états généraux de la Justice que par une nouvelle condamnation de la France [8]. L’évidence aujourd’hui de cette situation déplorable explique peut être le mouvement des juges du fond, déclenchée par cet arrêt d’appel et consistant à sanctionner la durée déraisonnable du procès par l’annulation de la procédure, de l’acte de renvoi ou des poursuites [9].

 Au-delà de constater la crispation de la Cour sur le principe de l’indifférence de la violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable sur la validité de la procédure, l’intérêt de cette décision réside dans le développement inédit des motifs de la juridiction suprême et de la manière dont le juge pénal doit prendre en compte la durée déraisonnable du procès. Ce qui est en jeu dans cet arrêt, ce n’est finalement pas tant la conventionnalité de l’absence de sanction procédurale du dépassement du délai raisonnable que la capacité du juge à remédier aux conséquences néfastes de la durée déraisonnable de la procédure sur l’équité du procès.

De manière prévisible, la Chambre criminelle tente de convaincre que l’office du juge en matière de dépassement du délai raisonnable (I.) est de nature à pallier le risque pesant sur l’équité du procès. Il est toutefois difficile de se satisfaire de l’absence de sanction procédurale du dépassement du délai raisonnable (II.) qui, à tout le moins, apparaît insusceptible de répondre aux inquiétudes des juges du fond.

I. L’office du juge en matière de dépassement du délai raisonnable

Si la juridiction réaffirme d’abord avec force la solution de l’indifférence de la durée déraisonnable du procès sur la validité de la procédure (A.), elle prescrit ensuite les modalités de l’appréhension de la durée déraisonnable du procès lors du jugement sur l’action publique (B.), destinée à sauvegarder l’équité de la procédure.

A. L’indifférence de la durée déraisonnable du procès sur la validité de la procédure

Dans un premier temps, la Cour de cassation rappelle que le dépassement du délai raisonnable est sans incidence sur la validité de la procédure [10]. Cette affirmation ne surprendra guère, bien qu’il eut été possible de voir dans le choix de la Chambre de statuer en formation plénière l’augure d’un revirement de jurisprudence. A posteriori, il se révèle un moyen pour les conseillers de la Chambre criminelle d’exprimer leur attachement à ce principe, qu’ils justifient par de nombreux arguments.

D’abord, l’arrêt énonce que la violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable n’est pas une cause de nullité. La Cour nous indique qu’il ne s’agit pas d’une règle d’ordre public, car « le droit d’être jugé dans un délai raisonnable protège les seuls intérêts de la personne concernée par la procédure en cours [11] ». En s’appuyant sur un arrêt de la CEDH [12], elle consacre ainsi une conception restrictive de l’objet du droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, puisqu’il ne trouverait « son assise [que] dans la nécessité de veiller à ce qu’un accusé ne demeure pas trop longtemps dans l’incertitude de la solution réservée à l’accusation pénale qui sera portée contre lui [13] ». Ce droit ne serait finalement qu’un corollaire de la présomption d’innocence, alors même qu’il s’applique en matière civile et, plus généralement, à toutes « décisions de justice [14] ». De manière moins surprenante, la Cour refuse de considérer que sa violation serait une inobservation d’une formalité substantielle, qui ouvrirait la voie à une requête en nullité. La raison de ce choix est que la durée déraisonnable de la procédure ne compromet pas en soi les droits de la défense. A priori de l’examen du bien-fondé de l’accusation, la Chambre criminelle considère les atteintes au procès équitable virtuelles et donc insusceptibles de fonder l’annulation de la procédure. La Cour de cassation reproche in fine aux juges d’appel de les avoir jugées irrémédiables.

Au demeurant, la Chambre criminelle souligne ensuite plus directement l’impossibilité, et même son hostilité, à ce que la violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable soit une cause de nullité. D’un côté, elle rappelle les obstacles procéduraux fondés sur les dispositions de l’article 385 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3791AZG, au premier titre desquels la purge des nullités opérée par la clôture de l’instruction. De l’autre, la Cour affirme de manière péremptoire que « la durée excessive d’une procédure ne peut aboutir à son invalidation complète, alors que chacun des actes qui la constituent est intrinsèquement régulier [15] ». Elle fait ainsi peu de cas de la possibilité pour celle-ci de violer l’article 6 de la Convention en raison de la durée totale du procès. Elle se contente finalement d’affirmer que cette solution est conforme avec la jurisprudence des juges de Strasbourg, en raison d’un mécanisme d’indemnisation du fonctionnement défectueux du service public de la Justice [16] et de divers dispositifs destinés à prévenir une durée déraisonnable du procès (évocation, clôture ou renvoi de l’affaire à un autre juge par la chambre de l’instruction [17] ; demande de clôture de l’instruction par les parties [18]).

Refusant d’ouvrir une voie à l’annulation de la procédure lorsque sa durée déraisonnable met en cause l’équité du procès, la Cour de cassation affirme que la juridiction doit examiner l’affaire au fond et prendre en considération à ce stade les éventuelles conséquences de la violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable. La juridiction suprême poursuit ainsi en exposant les modalités de l’appréhension de la durée déraisonnable du procès lors du jugement sur l’action publique (B.).

B. L’appréhension de la durée déraisonnable du procès lors du jugement sur l’action publique

Dans un second temps, la Cour de cassation énonce que « la juridiction de jugement qui constate le caractère excessif de la durée de la procédure ne peut se dispenser d’examiner l’affaire sur le fond [19] ». La Chambre criminelle fait ainsi le pari de prescrire aux juridictions de jugement de prendre en compte la durée déraisonnable du procès et de remédier à ses éventuelles conséquences durant l’examen du bien-fondé de l’accusation.

Premièrement, la Cour de cassation rappelle qu’il revient au juge, sur le fondement de l’article 427 du Code de procédure pénale, d’apprécier la valeur probante des éléments de preuve qui lui sont soumis et sont débattus contradictoirement devant lui. Il doit ainsi « prendre en considération l’éventuel dépérissement des preuves imputable au temps écoulé depuis la date des faits, et l’impossibilité qui pourrait en résulter, pour les parties, d’en discuter la valeur et la portée [20] ». Dès à présent, relevons toutefois que l’appréciation par le juge de la valeur probante des éléments de preuves n’apparaît pas de nature à suppléer à l’exercice des droits de la défense.

Deuxièmement, la Cour de cassation souligne la nouvelle hypothèse dans laquelle le juge peut sursoir à statuer, introduite par la loi du 23 mars 2019 [21]. Lorsque l’état de santé d’une personne citée ou renvoyée devant une juridiction de jugement rend durablement impossible sa comparution dans des conditions lui permettant d’exercer sa défense et que la prescription de l’action publique se trouve ainsi suspendue, le président de cette juridiction peut décider, après avoir ordonné une expertise, qu’il sera tenu une audience publique pour statuer uniquement sur l’action civile [22]. Ce dispositif octroie ainsi au juge la possibilité de suspendre une instance qui ne semble plus pouvoir se dérouler de manière équitable. Cependant, il ne permet pas de mettre un terme au procès, ce qui ne préserve pas les droits des autres parties et qui, dans le cas d’une incapacité permanente, emporte une prolongation de la procédure ad vitam aeternam susceptible de provoquer un déni de justice.

Troisièmement, la juridiction suprême propose de prendre en compte les conséquences du dépassement du délai raisonnable au titre du prononcé de la peine, que ce soit au travers de sa nature, de son quantum et de son régime ou d’une éventuelle dispense de peine. Au-delà du fait qu’il est difficilement concevable qu’une atténuation de la peine prononcée soit de nature à remédier à une violation de l’article 6 de la Convention, la supposée adéquation des critères de l’article 132-1 du Code pénal N° Lexbase : L9834I3M pour prendre en compte les conséquences de la durée excessive de la procédure rend des plus perplexes (circonstances de l’infraction, personnalité de l’auteur et situation matérielle, familiale et sociale).

Au raisonnement de la cour d’appel consistant à considérer irrémédiable l’inéquité de la procédure, à la manière d’un fruit qui aurait commencé à pourrir et dont on ne peut plus que retrancher la partie en putréfaction, la Chambre criminelle oppose quelques remèdes dont il est possible de douter de la capacité à garantir un procès équitable, en l’absence de sanction procédurale du dépassement du délai raisonnable (II.).

II. L’absence de sanction procédurale du dépassement du délai raisonnable

Alors que les conditions étaient réunies pour un revirement de jurisprudence, la Chambre criminelle a choisi de marteler le principe de l’indifférence de la durée déraisonnable du procès sur la validité de la procédure. Elle décrit néanmoins l’office du juge confronté à la violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable et ses éventuelles conséquences sur les autres garanties procédurales. Cependant, les prescriptions de la Chambre criminelle pour sauvegarder l’équité de la procédure constituent une solution peu convaincante (A.), d’où découle une réception fort incertaine (B.) par les juges du fond.

A. Une solution peu convaincante

La Cour de cassation affirme l’impossibilité d’une annulation de la procédure en raison de la violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable, avant d’exposer comment les éventuelles conséquences de la durée déraisonnable du procès sur son caractère équitable peuvent être prises en compte au stade du jugement. Si la première étape du raisonnement appelle des remarques, c’est la seconde qui échoue à convaincre de l’inopportunité, en toute circonstance, d’une sanction procédurale du dépassement du délai raisonnable.

Au soutien du principe, il y a d’abord l’argument de l’irrecevabilité des exceptions de nullité invoquées devant la juridiction de jugement [23]. Cet obstacle n’a néanmoins rien d’absolu comme le démontre la possibilité pour le juge de relever d’office son incompétence et d’annuler ainsi l’acte de renvoi ordonné par la juridiction d’instruction [24]. Il faut en outre envisager l’hypothèse d’une procédure méconnaissant l’exigence de délai raisonnable, sans avoir fait l’objet d’une instruction, pour laquelle les exceptions de nullité seront recevables devant la juridiction de jugement, si elles sont invoquées in limine litis [25]. Ensuite, le refus de la Cour de cassation de considérer que la méconnaissance du délai raisonnable est une violation d’une règle d’ordre public est critiquable. Le droit à être jugé dans un délai raisonnable n’est pas seulement un droit subjectif, mais une composante du droit au procès équitable et à ce titre une garantie de l’État de droit, indispensable à une bonne administration de la Justice.

Enfin, le rejet d’une sanction procédurale au dépassement du délai raisonnable tient à ce que la violation de l’article 6 n’est pas de nature à compromettre en elle-même les garanties du procès équitable. Cette position implique toutefois que l’appréhension des conséquences de la durée déraisonnable de la procédure assure l’équité du procès. De notre point de vue, celle-ci correspond avant toute chose à l’équilibre des prérogatives des parties et du juge. Un tribunal indépendant et impartial ne suffit pas à garantir un procès équitable. Or, à la perturbation de cet équilibre par la méconnaissance du délai raisonnable, la Chambre criminelle nous propose de s’en remettre à l’office du juge et à son intime conviction. Cette solution n’est pas satisfaisante, car l’accroissement de son rôle dans le procès n’est pas de nature à se substituer aux prérogatives perdues par les parties, en raison du fonctionnement défectueux du service public de la justice. De cette solution peu convaincante découle ainsi une réception fort incertaine de cette décision par les juges du fond (B.).

B. Une réception fort incertaine

L’arrêt rendu par la formation plénière de la Chambre criminelle mobilise une solution à la fois ancienne et constante [26]. S’il est publié au bulletin comme au rapport, c’est donc en raison de son contexte et de son objectif ; cette décision constitue à n’en pas douter une tentative de mettre un terme au mouvement des juges du fond que nous avons tantôt souligné. La Cour mobilise en ce sens une motivation développée, explicitant les raisons du maintien du principe et décrivant l’office du juge confronté au dépassement du délai raisonnable du procès et à ses éventuelles conséquences. Alors même que les travaux de réforme du Code de procédure pénale se structurent et que la théorie des nullités ne devrait pas être tenue à l’écart des débats, aucun signe d’un appel à une intervention législative ne transparait dans cette décision. Ce qui n’est pas surprenant, au regard des refus de la Chambre criminelle de transmettre par le passé des questions prioritaires de constitutionnalité arguant de l’inconstitutionnalité de l’absence de sanction procédurale à la méconnaissance du délai raisonnable [27].

Si le sens et l’objectif de la décision ne font donc guère de doute, il en va autrement de sa portée. Il n’est effectivement pas certain que cette décision, dénuée d’apport substantiel, soit suivie par les juges du fond, d’autant que les modalités de prise en compte de la durée déraisonnable de la procédure et de ses éventuelles conséquences ne sont pas complètement nouvelles. Dans un arrêt du 28 mai 2014, la Chambre criminelle avait déjà souligné la possibilité de prendre en compte cette violation de l’article 6 de la CEDH au titre du prononcé de la peine [28], ce qui a appelé des critiques [29]. De même, l’argument tenant à la possibilité de sursoir à statuer a également été mobilisé par le procureur général, sans emporter l’adhésion de la cour d’appel. Difficile pour les juges du fond d’estimer dans ces conditions que leur invitation à reconsidérer la gravité de la méconnaissance du délai raisonnable et sa portée sur l’équité de la procédure ait été entendue. Dès lors, il y a fort à parier que les débats sur l’absence de sanction procédurale à la durée déraisonnable du procès se prolongeront après cette décision, à l’instar de la procédure dans cette affaire de la chaufferie de la Défense.

À retenir :

  • la méconnaissance du délai raisonnable est sans incidence sur la validité de la procédure ;
  • une sanction procédurale à la durée déraisonnable du procès n’est pas une exigence conventionnelle ;
  • la durée excessive de la procédure et ses conséquences sont prises en compte par l’appréciation de la valeur probatoire des éléments de preuve, la possibilité de sursoir à statuer et l’individualisation du prononcé de la peine.
 

[1] C. Beccaria, M. Chevalier (trad.), Des délits et des peines, Paris, Flammarion, GF, 2006 (1764), p. 139.

[2] CEDH, 23 octobre 1990, Req. 11296/84, Moreira de Azevedo c/ Portugal, § 74 N° Lexbase : A6339AWP.

[3] Cass. crim., 9 novembre 2022, n° 21-85.655, FP-B N° Lexbase : A12898SK.

[4] T. corr. Nanterre, 11 janvier 2021, n° 10/01194045395.

[5] CA Versailles, 9e, 15 septembre 2021, n° 21/3005 N° Lexbase : A35617A7.

[6] Cass. crim., 9 novembre 2022, op. cit., § 8.

[7] Ibid.

[8] Rapport du comité des États généraux de la Justice, Rendre la Justice aux citoyens, octobre 2021-avril 2022, Paris, 2022, p. 36 [en ligne] ; 63 ; CEDH, 12 mai 2022, Req. 43078/15, Tabouret c/ France N° Lexbase : A86357WQ.

[9] T. corr. Avignon, 17 novembre 2021 ; T. corr. Tours, 12 janvier 2022 ; T. corr. Marseille, 17 janvier 2022, n° 22/390 ; T. corr. Basse-Terre, 31 janvier 2022 ; T. corr. Tarascon, 2 février 2022 ; T. corr. Rouen, 22 février 2022 ; T. corr. Rouen, 8 mars 2022 ; T. corr. Nanterre, 24 mars 2022. Sur ce point v. : R. Parizot, Le délai raisonnable ou la métaphore du tabouret, AJ pénal, no 7, 2022, p. 344‑346 ; M. Pugliese, Délai raisonnable : peut-on annuler le temps perdu ?, AJ pénal, no 7, 2022, p. 350.

[10] Cass. crim., 9 novembre 2022, préc., § 11.

[11] Ibid., §12.

[12] CEDH, 8 juillet 2008, Req. 8917/05, Kart c/ Turquie, § 68 N° Lexbase : A0887EA4.

[13] Cass. crim., 9 novembre 2022, préc., § 9.

[14] COJ, art. L. 111-3 N° Lexbase : L7804HND.

[15] Cass. crim., 9 novembre 2022, préc., § 14.

[16] COJ, art. L. 141-1 N° Lexbase : L2419LB9.

[17] C. proc. pén., art. 221-1 N° Lexbase : L3610AZQ à 221-3 N° Lexbase : L2789KGE.

[18] C. proc. pén., art. 175-1 N° Lexbase : L7476LPL.

[19] Cass. crim., 9 novembre 2022, préc., § 23.

[20] Ibid., § 24.

[21] Loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : L6740LPC.

[22] C. proc. pén., art. 10 N° Lexbase : L7396LPM.

[24] Cass. crim., 7 juin 2000, n° 99-82.788 N° Lexbase : A4746CGU : D. 2001, 518.

[25] C. proc. pén., art. 385.

[26] Cass. crim., 7 mars 1989, n° 87-90.500 N° Lexbase : A4411CGH ; Cass. crim., 3 février 1993, n° 92-83.443 N° Lexbase : A4098ACR ; Cass. crim., 24 avril 2013, n° 12-82.863, F-P+B N° Lexbase : A6828KCU : Pradel, chron., D. 2013, 1993 ; Kassoul, note, Gaz. pal., 2013. n° 264 ; Ass. plén., 4 juin 2021, n° 21-81.656 N° Lexbase : A23604UX : Matsopoulou, note, Rev. soc., 2021. 650 ; Robert, note, JCP, 2021, n° 839 ; Matsopoulou, note, RSC, 2022, 337.

[27] Cass. crim., 14 décembre 2011, n° 11-90.099, F-D N° Lexbase : A5116H8Y, 11-90.100, F-D N° Lexbase : A5126H8D, 11-90.101, F-D N° Lexbase : A5108H8P, 11-90.10, F-D N° Lexbase : A5126H8D ; Cass. crim., 3 décembre 2013, n° 13-90.027, F-D N° Lexbase : A8426KQ7.

[28] Cass. crim., 28 mai 2014, n° 13-83.198, F-D N° Lexbase : A6285MPH.

[29] Il « s’agit d’un mélange des genres peu souhaitable ; à un dérèglement procédural doit répondre une sanction procédurale, tandis que la peine est une réponse à la commission d’une infraction » : R. Parizot, Le délai raisonnable ou la métaphore du tabouret, op. cit., note 41.

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Responsabilité médicale

[Point de vue...] Bilan des 20 ans de la loi « Kouchner » : ses zones d’ombre, ses limites et son hypocrisie

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par Jean-Christophe Coubris, Avocat associé, Cabinet Coubris, Courtois & Associés

Le 18 Janvier 2023

Mots-clés : loi « Kouchner » • droits des malades • responsabilité • indemnisation • réparation • accouchement • chirurgie esthétique • ONIAM

Les patients victimes d’un événement médical indésirable ont vu leur sort considérablement évoluer depuis vingt ans, grâce à l’adoption de la loi du 4 mars 2002 dite loi « Kouchner ». Lexbase Droit privé propose de dresser un bilan de ces vingt années d’application de la loi, à travers le regard d’un spécialiste en la matière, Maître Jean-Christophe Coubris, Avocat associé, Cabinet Coubris, Courtois & Associés. 


 

« Parfois le législateur va tenter, tant bien que mal, d’apporter une aide à ce malheureux patient (ou à ses proches lorsqu’il y a eu décès ou handicap grave), qui ne peut seul s’engager dans un combat aussi inégal face aux sachants en blouse blanche, face à l’hôpital avec un grand H.  
La loi du 4 mars 2002, dite loi Kouchner, relative aux droits des malades, en est le parfait exemple, avec ses zones d’ombre, ses limites et parfois même son hypocrisie » [1].

Les patients victimes d’un événement médical indésirable ont vu leur sort considérablement évoluer depuis vingt ans, grâce à l’adoption de la loi du 4 mars 2002 dite loi « Kouchner » [2].

Jusque-là, le parcours que la victime devait emprunter pour tenter de faire valoir ses droits se révélait long et fastidieux, à telle enseigne que les plus motivées d’entre elles, déjà lourdement éprouvées par l’accident médical qu’elles venaient de subir, renonçaient à s’y soumettre.

L’obtention de son dossier médical, la désignation d’un expert, les frais dont il convenait de faire l’avance, l’aléa thérapeutique, constituaient autant d’obstacles pour les patients désireux de faire la lumière sur l’origine de leur dommage.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, les droits de ces derniers ont significativement progressé.

Le souhait affiché de cette loi était en effet de replacer le patient au cœur de son parcours de santé, en lui permettant d’obtenir toutes les informations utiles sur ce dernier, en l’associant pleinement aux décisions médicales le concernant, et en facilitant ses démarches en cas de survenue d’un dommage dans le cadre de sa prise en charge, avec la création des Commissions de Conciliation et d’Indemnisation (CCI).

Cette loi était supposée signer en somme la fin du paternalisme médical, de l’infantilisation du patient, lequel devenait ainsi un véritable acteur de sa prise en charge.

L’objectif affiché de cette loi était également d’unifier les règles de mise en œuvre du droit à indemnisation des usagers du secteur privé et des usagers du secteur public.

Pour les uns comme pour les autres, le principe est celui de la responsabilité pour faute du professionnel ou de l’établissement de santé, sauf en matière d’infection nosocomiale contractée dans un établissement de santé, pour laquelle s’applique alors une responsabilité sans faute prouvée, c’est à dire de plein droit.

Autre avancée majeure de cette loi du 4 mars 2002 : lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement n’est pas engagée, un accident médical peut ouvrir droit à réparation au titre de la solidarité nationale, lorsque certaines conditions se trouvent réunies.

C’est là une consécration de l’aléa thérapeutique dont le juge administratif avait admis l’indemnisation en vertu de sa jurisprudence « Bianchi » [3], mais que le juge judiciaire, pourtant plus favorable aux victimes à bien d’autres égards, n’a jamais voulu entériner.

Ainsi on pouvait se réjouir de voir désormais les patients du secteur public et du secteur privé relever des mêmes règles de mise en jeu de la responsabilité, et de bénéficier de l’indemnisation de leurs préjudices par la solidarité nationale en cas de survenue d’un accident médical non fautif.

Il s’agissait à première vue d’avancées significatives, tout à fait prometteuses.

J’ai été l’un des premiers à le reconnaître et à m’en réjouir.

Mais force est de constater, avec le recul de vingt ans de mise en pratique, qu’il y a encore beaucoup à faire pour améliorer le sort des patients victimes. 

Cette loi « Kouchner » a en effet montré des zones d’ombre, des limites et même parfois des contradictions, qui conduisent parfois le juriste que je suis à se demander si le législateur n’aurait pas fait preuve, à certains égards, d’une relative hypocrisie.

Les avocats, et les magistrats font certes de leur mieux pour tenter de palier les lacunes d’un système imparfait, mais leur œuvre créatrice trouve ses limites quand le texte ne laisse place à aucune marge d’interprétation.

Une nouvelle intervention du législateur, après deux décennies de mise en œuvre du dispositif, permettrait de parfaire ce dernier, de sorte à le rendre plus juste et lisible pour le patient/justiciable.

I. Les zones d’ombre

L’ONIAM, établissement public crée par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 pour permettre l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux non fautifs, a tout mis en œuvre pour limiter la portée de cette avancée, d’une part, en tentant de faire admettre une vision toujours plus restrictive de la notion d’accident médical non fautif, d’autre part, en limitant au minimum le montant des indemnisations des victimes de tels événements, au moyen d’un barème resté longtemps extrêmement éloigné des réalités économiques.

Ainsi notamment, certains actes à « visée médicale » ne sont pas considérés comme des actes de soins au sens de l’article L. 1142-1, alinéa 1 du Code de la santé publique N° Lexbase : L0696H9N, excluant ainsi une indemnisation par l’ONIAM alors même que les autres critères pour une indemnisation au titre de l’accident médical non fautif seraient remplis.

L’accouchement par voie basse. Je pense notamment aux accouchements par voie basse au cours desquels un tel accident peut survenir, tel qu’une hémorragie de la délivrance ou de graves déchirures du périnée.

Mais sous prétexte qu’il s’agirait là d’un « événement naturel », l’ONIAM est parvenu à faire admettre en jurisprudence que la notion d’acte de soin devait être exclue alors pourtant qu’un accouchement par voie basse, est nécessairement médicalisé dès lors qu’il se déroule en établissement de santé.

Néanmoins, nous nous félicitons de voir la Cour de cassation ouvrir la voie à une forme d’aléa thérapeutique chaque fois qu’elle est en mesure de rattacher le dommage à un acte de soin clairement identifié, tel que les manœuvres obstétricales ou encore l’analgésie péridurale. 

En 2019, elle est venue préciser les conditions d’indemnisation des lésions subies à l’occasion d’un accouchement par voie basse, admettant la notion d’acte de soins au sens de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique dès lors que des manœuvres obstétricales avaient été pratiquées [4].

Ces évolutions jurisprudentielles motivent nos combats judiciaires, afin d’améliorer le sort des patients.

La chirurgie esthétique. On pourrait également citer l’exemple des actes de chirurgie esthétique qui sont depuis 2016 également exclus du dispositif de la solidarité nationale, mais cette fois sur décision du législateur qui a estimé qu’il ne s’agissait pas là d’acte de soin méritant de pouvoir bénéficier de l’intervention de la solidarité nationale en cas de dommage. 

L’étonnant dans l’histoire est que le législateur soit intervenu pour contrecarrer une jurisprudence favorable à la victime [5], en accueillant les arguments fondant le pourvoi de l’ONIAM, que la Cour de cassation avait pourtant rejetée.

Dans cette affaire, nous représentions les ayants droit d’une jeune victime de 22 ans, admise pour une liposuccion et décédée des suites d’un malaise cardiaque survenu avant l’anesthésie, à la suite de l’injection de deux produits sédatifs.

Nous étions donc sur le terrain de l’affection iatrogène et nous nous battions pour obtenir une indemnisation par la solidarité nationale. 

Après de nombreuses années de procédure contre l’ONIAM, la Cour de cassation statuait en notre faveur en considérant que les actes de chirurgie esthétique réalisés dans les conditions prévues aux articles L. 6322-1 N° Lexbase : L8852KUE et L. 6322-2 N° Lexbase : L4900LWE du Code de la santé publique, ainsi que les actes médicaux qui leur sont préparatoires, constituent bien des actes de soins au sens de l’article L. 1142-1.

Aujourd’hui, une telle solution ne serait plus possible, le Code de la santé publique l’excluant expressément.

Pourtant, les motivations qui poussent les patients à recourir à tels actes sont souvent intimement liées au psychisme et font incontestablement de bon nombre d’interventions de chirurgie esthétique, de véritables actes de soins.

Et en tout état de cause, les victimes de dommages survenus à l’occasion de tels actes demeurent des victimes d’un acte médicalisé, qui ne devraient pas être plus mal considérées que les autres.

Il serait dès lors salutaire que le législateur revienne sur cette exclusion et en profite pour remplacer la notion d’acte de soin par celle plus large, d’acte médicalisé, qui permettrait ainsi d’inclure les parturientes.

II. Les limites

Si la loi du 4 mars 2002 a instauré un dispositif de règlement amiable des litiges médicaux qui se veut rapide, simple, efficace et peu coûteux, il se révèle en pratique plus complexe et moins accessible qu’il n’y paraît.

L’assistance du patient victime. Les demandeurs qui décident de saisir les commissions de conciliation et d’indemnisation seuls comme la loi le leur permet, se retrouvent rapidement perdus face aux arcanes administratives et aux experts, médecins-conseils et avocats présents lors de la réunion d’expertise qui suit généralement la saisine des commissions.

Cette étape fondamentale est souvent une épreuve pour les patients victimes, qui se trouvent bien démunis et mal armés face à tant d’individus venus défendre la cause de leurs clients et qui maîtrisent parfaitement les enjeux des dossiers.

Quant aux experts, même s’ils font de leur mieux pour rendre leurs propos accessibles aux victimes et pour se détacher de leur qualité de médecin pour n’endosser que celle d’expert impartial, il arrive encore souvent qu’ils manquent quelque peu d’objectivité, de patience, de pédagogie et d’humanité face à des individus profondément blessés par leur parcours de soins.

Pour rétablir l’équilibre des forces en présence, chaque demandeur devrait être assisté d’un avocat et/ou d’un médecin-conseil dans le cadre de cette procédure CCI, et notamment ne jamais se rendre seul à l’expertise. 

L’enjeu humain et médico-légal est fondamental pour la suite des événements tant les conclusions du rapport d’expertise vont conditionner l’issue du processus initié en saisissant la CCI.

Les seuils. Par ailleurs, les conditions d’accès aux CCI et à l’indemnisation par la solidarité nationale apparaissent bien trop restrictives alors pourtant que l’esprit de la loi du 4 mars 2002 était de faciliter l’accès des victimes d’accidents médicaux au dispositif créé.

La question de l’abaissement de la gravité des seuils est un vrai débat ; le rapport d’activité de l’ONIAM pour 2020 faisait état de 40 % de dossiers déclarés irrecevables, faute de satisfaire aux seuils de compétence requis.

En effet, la recevabilité de chaque dossier devant les CCI est subordonnée à l'atteinte de l'un des seuils de gravité du dommage fixés par l'article D. 1142-1 du Code de la santé publique N° Lexbase : L2332IP3, modifié par le décret du 19 janvier 2011 [6].

Initialement, le législateur avait exclu bon nombre de victimes, en retenant parmi les seuils alternatifs, la notion d’interruption temporaire de travail qui excluait du système l’ensemble des inactifs (retraités, enfants, étudiants notamment).

Fort heureusement, depuis 2011, cette aberration n’existe plus puisque ce seuil a été remplacé par la notion d’arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d’un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à 50 % pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou non consécutifs sur une même période de douze mois [7].

On ne peut que saluer cette évolution, permettant aux retraités et aux enfants victimes d’un accident médical de bénéficier de la procédure amiable. 

Mais l’on regrette que le seuil de DFTP (déficit fonctionnel temporaire partiel) ait été fixé à un minimum de 50 %, ce qui est tout de même considérable et abouti à exclure bon nombre de victimes.

Un autre seuil de gravité du dommage est représenté par un taux de déficit fonctionnel permanent de 24 %, mais là encore ce seuil est extrêmement élevé et abouti à laisser sur le bord de la route de nombreuses victimes de dommages moins lourds certes, mais tout de même d’une certaine gravité.
Il suffit ainsi de se référer au barème des incapacités du concours médical pour appréhender l’aspect restrictif de ce taux, qui correspond par exemple à une perte totale de mobilité d’une épaule, à la perte d’un œil, à l’amputation d’un pied, à l’amputation de la verge ou encore à une stérilité totale (quoique l’évaluation de ce dernier dommage oscille entre 20 et 25 %).

Lors du vote de la loi dite « Kouchner », de telles restrictions étaient justifiées par la crainte d’un afflux de demandes et partant, par la crainte de voir l’ONIAM incapable de faire face aux dépenses afférentes.

Avec le recul, nous savons que le nombre de saisine des CCI est resté en deçà des projections.

L’ONIAM souvent égratigné par la Cour des comptes notamment pour ses difficultés de gestion, n’est pas en proie à un manque de fonds, mais davantage à « un budget systématiquement sous exécuté » et « à une carence du recouvrement sur les assureurs défaillants » (30 millions d’euros tout de même sur les indemnisations réglées entre 2011 et 2015) [8].

« En revanche, si notre taux de rejet est important, c'est parce que nous appliquons la loi sur les seuils de gravité », reconnaîtra lui-même, le directeur en poste à l’époque [9].

Enfin, la notion de troubles particulièrement graves dans les conditions d’existence est un seuil qui a du sens, à géométrie variable, et moins rigide que ceux évoqués précédemment, mais qui demeure rarement retenu en pratique par les commissions.

La réparation. Une fois l’obstacle des seuils contourné ainsi que celui de la reconnaissance du droit à indemnisation, encore faut-il parvenir à obtenir une juste réparation des préjudices subis.

Il s’agit là d’un enjeu majeur pour les victimes d’accidents médicaux qui n’ont bien souvent plus de moyen de subsistance depuis la survenue du dommage et des besoins coûteux inhérents au handicap dont elles se trouvent désormais atteintes.

Le principe de réparation intégrale a précisément pour but de replacer artificiellement la victime dans la situation dans laquelle elle se trouvait avant le dommage.

Mais sur ce terrain de la réparation, des inégalités persistent.

La loi du 4 mars 2002 a certes uniformisé les règles de fond pour ce qui concerne la reconnaissance du droit à indemnisation, mais d’importantes disparités demeurent lorsqu’il s’agit d’apprécier le quantum de l’indemnisation.

Des variables tenant au lieu de réalisation de l’acte de prévention, de diagnostic ou de soins (public – privé), au cadre procédural (amiable ou judiciaire) ou encore au payeur (assureur - Oniam) vont impacter l’appréciation des dommages et intérêts revenant à la victime.

À dommage équivalent, il existe un écart de 30 à 50 % entre les sommes allouées par le juge judiciaire et celles allouées par le juge administratif, ce dernier se basant bien trop souvent sur le référentiel ONIAM, dont il est unanime y admis, y compris par la cour des comptes, qu’il est sous-évalué.

Dans le même ordre d’idées, dans la grande majorité des cas, les offres proposées par les assureurs dans le cadre amiable sont inacceptables, même si la présence d’un avocat aux côtés de la victime les incite à davantage de sérieux.

Ce constat est d’autant plus vrai lorsque l’on étudie les offres de l’ONIAM, même lorsqu’il intervient en substitution de l’assureur, en cas d’offre insuffisante ou de défaut d’offre. Et à l’inverse de ce qui se passe avec les compagnies d’assurance avec lesquelles le dialogue reste ouvert, avec l’ONIAM, il n’est pas question de tenter la moindre négociation, leur barème d’indemnisation étant littéralement infranchissable.

Cela est d’autant plus contestable qu’en tant que fonds de solidarité, l’ONIAM va bénéficier de la déduction des sommes dues à la victime, de l’ensemble des indemnités que celle-ci aura pu percevoir au titre du même préjudice.

Si l’ONIAM a pour ambition de favoriser une indemnisation en l’absence de recours au juge, les victimes bien conseillées contestent quasi systématiquement ses offres devant la juridiction compétente afin d’obtenir l’indemnisation intégrale de ses préjudices, en dehors de l’application de tout barème, qui constitue nécessairement une entrave à l’appréciation concrète de ses préjudices.

Prenons l’exemple de l’assistance par tierce personne :

Le référentiel établi par plusieurs cours d’appel, sous la plume de Monsieur le Conseiller Mornet [10], qui est un guide apprécié par les juridictions judiciaires car basé sur des données macro-économiques réelles, retient un taux horaire variant entre 16 et 25 euros selon le type d’aide requis.

On est là bien loin de ce que prévoit le barème de l’ONIAM.

« L’indemnisation de ce poste par l’ONIAM dépend du niveau de qualification de la tierce personne requise. Le taux horaire proposé par l’ONIAM est de 13 euros par heure pour une aide non spécialisée et de 18 euros par heure pour une aide spécialisée » [11] ; ce taux horaire ne permet pas de rémunérer une aide quelconque en respectant les minima salariaux.

Or, même en présence d’une tierce personne dite familiale, c’est pourtant ce que l’indemnisation allouée à ce titre devrait permettre afin de laisser à la victime, le choix de recourir un fine à un professionnel qualifié.

Autre exemple des disparités entre les indemnisations offertes par l’ONIAM et celles allouées par le juge judiciaire

Les souffrances endurées :

Évaluation

Sommes proposées par le référentiel Mornet

Sommes proposées par l’ONIAM

1/7 très léger

Jusqu’à 2000 €

811 à 1098  €

2/7 léger

2000 à 4000 €

1572 à 2126 €

3/7 modéré

4000 à 8000 €

3076 à 4162 €

4/7 moyen

8000 à 20 000 €

6121 à 8281 €

5/7 assez important

20 000 à 35 000 €

11 502 à 15 561 €

6/7 important

35 000 à 50 000 €

20 014 à 27 078 €

7/7 très important

50 000 à 80 000 €

32 453 à 43 907 €

Exceptionnel

80 000 € et plus

Les enjeux sont donc considérables. Mais la difficulté ne s’arrête pas là.

Lorsque nous conseillons à une victime de saisir la juridiction compétente afin de prétendre à une meilleure indemnisation, c’est sur la base du rapport d’expertise rendu dans le cadre du dispositif amiable de sorte à ne pas rallonger davantage le délai de résolution de son dossier.

Or, le cheval de bataille de l’ONIAM est de considérer que le rapport d’expertise déposé dans le cadre de la procédure CCI ne lui est pas opposable, alors même qu’il en a eu connaissance dans le cadre de la procédure puisqu’il siège au sein des CCI. 

Et de plus en plus souvent, les magistrats lui donnent gain de cause et ordonnent la tenue d’une nouvelle réunion d’expertise.

La victime doit alors se soumettre une nouvelle fois à cet exercice éprouvant, elle doit accepter l’idée que les conclusions du premier expert sur la base desquelles elle aura fondé sa stratégie procédurale, soient remises en cause, discutées de nouveau.

Bref, là où elle pensait mener la dernière passe d’armes, elle se retrouve brutalement à devoir reprendre le combat à son commencement, ce qui est extrêmement difficile à admettre.

III. L’hypocrisie

La loi « Kouchner » s’est révélée encore décevante à un autre égard.

La notion d’anormalité. Une fois le seuil de gravité du dommage atteint, encore faut-il pouvoir établir que ce dernier a eu « pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé, comme de l’évolution prévisible de celui-ci » [12].

Cette notion d’anormalité n’a pas été définie par le législateur et là encore, la jurisprudence a dû faire œuvre créatrice.

Lorsque les conséquences de l’acte ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles la victime était exposée de manière suffisamment probable en l’absence de traitement, la condition d’anormalité se trouve remplie si la probabilité que le risque survenu ne se réalise était faible [13].

Encore faut-il ne pas se tromper d’anormalité, et se référer non à celle de la complication, mais à celle des conséquences de la complication. Cette distinction est cruciale.

Un risque faible est aujourd’hui inférieur à 5 % environ, mais là encore, rien n’est acquis et la jurisprudence pourrait parfaitement revenir sur cette appréciation hautement subjective [14].

Sur ce terrain encore le sort de la victime est incertain.

Ce critère constitue ainsi un obstacle supplémentaire que la victime devra franchir pour obtenir la réparation de son accident médical non fautif, ce d’autant qu’il dépend sans doute plus que tout autre, de l’analyse plus ou moins étayée et poussée des experts désignés sur cette question de la fréquence de réalisation du risque qui s’est réalisé.

Et il faut bien comprendre que la parole de l’expert est d’or, elle constitue bien souvent pour les magistrats la preuve parfaite qu’il est bien difficile de contester.

Or, l’appréciation de la fréquence du risque inhérent à tel ou tel acte, dans telle ou telle hypothèse, est extrêmement délicate.

Faute de mieux, les experts se fondent parfois sur des études contestables, dont la qualité serait à revoir.

Par ailleurs, dans une société qui n’accepte plus l’inconnu, qui voudrait tout maîtriser, la tendance actuelle est à la majoration de l’estimation des risques.

La problématique est la même pour les notices de produits de santé qui évoquent tous les risques possibles et imaginables, de sorte à se prémunir contre tout reproche tenant à un défaut d’information.

La science médicale dévoyée devient le meilleur avocat du corps médical.

Répondre au critère de l’anormalité est à mon sens un faux problème ; le vrai problème se situe dans la rareté de l’événement.

Comme le souligne à juste titre Laurent Bloch, « le critère d’anormalité pollue en permanence le débat et dans bien des hypothèses, il spolie la victime d’un droit à indemnisation qui semblait lui revenir de sorte que, de façon certes provocante, il est permis de se demander si l’indemnisation n’est pas réservée à des malades en pleine santé. Ne faudrait-il pas repenser les filtres de l’indemnisation en occultant le critère d’anormalité ? le critère de gravité et le rôle classique de l’état antérieur ne seraient-ils pas suffisants ? » [15].

Le dispositif dit « anti-perruche ». Je conclurai par ce qui constitue selon moi l’hypocrisie ultime de cette loi du 4 mars 2002 : son amendement dit « anti-Perruche » qui a fait couler beaucoup d’encre.

La problématique n’était clairement pas d’ordre philosophique comme le corps médical aurait souhaité nous en convaincre ; il s’agissait uniquement de sinistres à très forts enjeux financiers pour les assureurs de responsabilité, qui les redoutaient au plus haut point.

Les primes d’assurance des gynécologues obstétriciens comme celles des spécialistes du diagnostic prénatal ont d’ailleurs longtemps été parmi les plus élevées.
Selon cet article 1er, les enfants nés avec un handicap du fait d’un défaut de diagnostic d’une pathologie ou d’une malformation in utero, n’ont plus droit désormais à la réparation des préjudices en résultant, à moins qu’ils ne soient nés avant son entrée en vigueur.

Ils pourront alors, grâce au combat mené par les parents d’un jeune homme victime d’un tel défaut de diagnostic, continuer de bénéficier de la jurisprudence dite « Perruche » [16].

Pour les enfants nés après l’entrée en vigueur de la loi « Kouchner », rien n’est à espérer car les bien-pensants considèrent que « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance », mais tel n’était pas là le propos de la jurisprudence « Perruche ».

Voici selon moi l’aberration majeure de cette loi supposée renforcer les droits des patients : comment considérer ce recul comme un progrès pour ces enfants et leur famille ?

Sous la pression du lobby des assureurs, le législateur a fait preuve ici d’un mépris sans précédent.

Au total, vingt ans après l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, il est évident que la situation des victimes d’accidents médicaux est plus favorable. Les avancées sont certaines, et l’on ne peut que s’en réjouir.

Pour autant, le système est perfectible et mérite que l’on continue de se battre aux côtés de ceux dont la vie a brutalement basculé.

Le moins que notre système puisse leur offrir, ceux sont des règles claires, lisibles, prévisibles, et des délais de traitement raisonnables.

Il appartient dès lors à notre législateur de tirer les enseignements de ces vingt ans de pratique et de corriger ce qui doit l’être. Ici encore davantage qu’en toute autre matière, la sécurité juridique doit primer afin de réassurer ces hommes et ces femmes atteints dans leur chair, qui n’aspirent qu’à recevoir la juste réparation de ce qui a été à jamais brisé.

 

[1] Extrait J-Ch. Coubris, Au nom de toutes les victimes, Flammarion, 2021.

[2] Loi n° 2002-303, du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé N° Lexbase : L1457AXA.  

[3] CE Contentieux, 9 avril 1993, n° 69336 N° Lexbase : A9435AME.

[4] Cass. civ. 1, 19 juin 2019, n° 18-20.883, FS-P+B+I N° Lexbase : A7775ZEP.

[5] Cass. civ. 1, 5 février 2014, n° 12-29.140, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5810MDK.

[6] Décret n° 2011-76, du 19 janvier 2011, relatif au caractère de gravité des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales prévu à l'article L. 1142-1 du code de la santé publique N° Lexbase : L2346IPL.

[7] Décret n° 2011-76 du 19 janvier 2011, préc..

[8] Rapport Cour des comptes 2017 : « l’indemnisation amiable des accidents médicaux : une mise en œuvre dévoyés, une remise en ordre impérative »

[9] Article d’O. Plichon, Erreur médicale : les incroyables failles de l'indemnisation des victimes, Le parisien, 14 décembre 2016 [en ligne].

[10] B. Mornet, L’indemnisation des préjudices en cas de blessures ou de décès, septembre 2022.

[11] Référentiel ONIAM, 1er avril 2022.

[12] CSP, art. L. 1142-1, II.

[13] CE 4e et 5e s-s-r., 12 décembre 2014, n° 365211, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6170M7N.

[14] CE 5e-6e ch.-réunies, 4 février 2019, n° 413247, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0007YW8 – CE 5e-6e ch.-réunies, 30 novembre 2021, n° 443922, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A73207DH.

[15] L. Bloch et C. Castaing, L’indemnisation des victimes d’accidents médicaux non fautifs par l’ONIAM – Bilan d’application de la loi Kouchner, LEH Edition, 2022

[16] Ass. plén., 17 novembre 2000, n° 99-13.701 N° Lexbase : A1704ATB.

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[Questions à...] Quels enjeux pour la dématérialisation de l’accès aux services publics ? - Questions à David Charbonnel, Maître de conférences en droit public OMIJ, Université de Limoges

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Le 04 Janvier 2023

Mots clés : dématérialisation • accès aux services publics • égalité des citoyens • fracture numérique • illectronisme

La dématérialisation de l’accès aux services publics, si elle est un gage de rapidité et d’efficacité certain pour les publics acclimatés au numérique, pose de nombreux problèmes à une population plus éloignée de cette révolution du XXIème siècle du fait d’un manque d’accompagnement ou tout simplement d’équipement technique personnel. Ce qui n’est pas sans poser de problème quant au respect du principe d’égalité des citoyens, à l’heure où de nombreuses démarches administratives ne peuvent plus s’effectuer en « présentiel » (timbres, papiers d’identité, impôts, Pôle Emploi, accès aux musées), obligeant les habitants à pallier les insuffisances de la puissance publique, comme en témoigne la création depuis plusieurs années d’associations de lutte contre la fracture numérique, permettant le prêt, la location ou la vente d’appareils reconditionnés à des personnes éloignées de ces enjeux, ou encore la naissance d’e-bus (dispositifs mobiles de France Services) allant directement à leur rencontre afin de lutter contre l’illectronisme. Pour faire le point sur ces enjeux d’une actualité brûlante, Lexbase Public a interrogé David Charbonnel, Maître de conférences en droit public OMIJ, Université de Limoges*.


 

Lexbase : Comment définiriez-vous les modalités du fonctionnement des services publics à l’ère de la dématérialisation ?

David Charbonnel : Il est difficile de dire avec précision et concision ce que sont les modalités du fonctionnement des services publics à l’ère de la dématérialisation, et ce pour trois raisons complémentaires. En premier lieu, parce que leur transformation est inachevée, la dématérialisation étant un mouvement qui, durable et itératif, ne cesse de produire ses effets. En deuxième lieu, parce que l’évolution en cours, aux aspects techniques nombreux et complexes, est généralisée et qu’offrir une vision à la fois exhaustive et synthétique des modalités particulières sous lesquelles les services publics fonctionnent constitue une vaine prétention. En troisième et dernier lieu, parce que les reconfigurations y relatives sont différenciées : la dématérialisation se réalise dans des proportions qui varient selon le potentiel numérique de chaque service public, ce potentiel étant directement lié à l’objet du service considéré et au type de rapports qu’il implique.

Il est néanmoins possible de souligner quelques traits significatifs de l’influence du numérique [1]. En ce qu’elle participe de la politique de modernisation et de simplification administrative, la dématérialisation est synonyme d’une mise à niveau – pour employer un vocabulaire informatique – des modalités du fonctionnement des services publics afin de tenir compte des nouvelles possibilités offertes et des nouveaux besoins suscités par les progrès technologiques. Ses conséquences sont remarquables au stade de l’accès à la prestation d’intérêt général plus encore qu’à celui de son exécution, laquelle n’est pas toujours dématérialisable. Aujourd’hui, cet accès se fait largement à distance, depuis n’importe quel endroit – ou presque –, à n’importe quel moment. Le numérique tend à doter le fonctionnement des services publics de nouveaux attributs : l’agilité, la flexibilité, la réactivité, la rapidité, l’atemporalité, la disponibilité, l’ubiquité, la proximité... sont autant de qualités réputées conformes aux exigences du monde moderne. En tout état de cause, le numérique répond à une exigence démocratique : il change la relation administrative en permettant à l’usager de s’approprier, d’une manière ou d’une autre, les voies d’accès aux services publics et par suite aux droits qui lui sont reconnus. Le numérique répond également à une exigence gestionnaire : il modifie les modes d’organisation et les moyens d’action des autorités administratives puisqu’il favorise, notamment, la rationalisation des procédures et des effectifs et l’automatisation du traitement des informations et des demandes.

La dématérialisation représente, en bref, un espoir de progrès et de développement des modalités du fonctionnement des services publics, de sorte que ceux-ci remplissent toujours mieux leur fonction. Le Comité Action publique 2022 ne proposait-il pas, en 2018, d’« investir dans le numérique pour offrir un service public augmenté, plus efficient et qui réinvente ses relations avec les usagers » [2] ?

La dématérialisation ne peut et ne doit cependant pas faire l’objet d’une lecture univoque et, pour ainsi dire, insouciante.

Lexbase : Quels textes de référence encadrent ce fonctionnement ?

David Charbonnel : Si l’on comprend la question comme visant précisément le fonctionnement dématérialisé des services publics, viennent immédiatement à l’esprit, parce qu’elles cristallisent dans la période la plus récente les interrogations sur la portée du changement numérique (voir la réponse à la quatrième question), les dispositions des articles L. 112-8 N° Lexbase : L1776KN4 à L. 112-10 du Code des relations entre le public et l’administration issues de l’ordonnance n° 2014-1330 du 6 novembre 2014, relative au droit des usagers de saisir l’administration par voie électronique N° Lexbase : L7638I4N – qui a modifié l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005, relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives N° Lexbase : L4696HDB. Ces dispositions consacrent le droit pour l’usager préalablement identifié de saisir l’administration par voie électronique en vue de réaliser une demande, une déclaration ou de transmettre un document, une information [3]. L’administration, qui ne peut demander que cet envoi soit confirmé ou réitéré autrement, a l’obligation corrélative de mettre en place un ou plusieurs téléservices [4] sous la forme d’une téléprocédure permettant de réaliser en ligne l’intégralité de la démarche, ou d’un simple formulaire de contact, d’une simple adresse de messagerie dédiée (CRPA, art. R. 112-9-2 N° Lexbase : L7485LAH). Aux termes de l’article 1er – non codifié – de l’ordonnance du 8 décembre 2005 précitée, un téléservice est défini comme « tout système d’information permettant aux usagers de procéder par voie électronique à des démarches ou formalités administratives ». Le droit ainsi reconnu ne s’applique toutefois pas à toutes les situations. Certaines sont exclues pour des motifs d’ordre public, de défense et de sécurité nationale, de bonne administration, ou lorsque la présence personnelle du demandeur apparaît nécessaire. Les exclusions sont déterminées par plusieurs décrets ministériels en date du 5 novembre 2015 et, s’agissant des démarches effectuées auprès des collectivités territoriales, de leurs établissements publics ou des établissements publics de coopération intercommunale, par le décret n° 2016-1491 du 4 novembre 2016 N° Lexbase : L9969LAH.

D’autres textes encadrant le fonctionnement dématérialisé des services publics pourraient être cités, en ce qu’ils portent sur la protection des données personnelles, imposent l’ouverture et facilitent la réutilisation des données publiques, renforcent l’accès au réseau depuis les territoires et au bénéfice des publics vulnérables… Que l’on songe, bien sûr, à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés N° Lexbase : L8794AGS – modifiée et en particulier adaptée au droit de l’Union européenne – qui est une sorte de lex generalis. Que l’on songe, encore, à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016, pour une République numérique N° Lexbase : L4795LAT, et à ses nombreux apports faisant d’elle une étape décisive du processus [5]. L’ensemble normatif en la matière est relativement fourni et, au surplus, composé de textes d’inégale valeur. Mais il peut s’envisager de manière cohérente à la lumière d’une stratégie globale, celle-là même qui fait du numérique le levier des réformes de l’action publique entreprises au cours de la décennie passée.

Rappelons enfin et peut-être surtout, nonobstant ces références, que le fonctionnement des services publics, fût-il dématérialisé, continue de reposer sur un socle de principes généraux existant toujours en dehors et au-delà des textes. La transformation numérique est censée s’opérer suivant les principes d’égalité, de continuité et d’adaptation constante gouvernant le régime juridique de tous les services publics. Ce dernier principe, derrière lequel tout particulièrement affleurent l’intérêt du service et le pouvoir d’organisation qui y est attaché, en est même le fondement premier.

Lexbase : Si les bénéfices semblent évidents (gain de temps pour les usagers, économies de personnel pour l’administration), n’y a-t-il pas un risque d’effets pervers ?

David Charbonnel : Évoquer les bénéfices de la dématérialisation du fonctionnement des services publics, c’est revenir aux deux exigences démocratique et gestionnaire auxquelles le mouvement répond. Et il faut alors ajouter comme bénéfice évident, et sans doute principal aux yeux de certains publics, le développement de nouvelles options facilitant l’exercice effectif des droits.

Reste, en effet, que ce premier constat favorable doit être dépassé. Se caractérisant par son ambivalence [6], la dématérialisation engendre simultanément des conséquences néfastes, dont certaines semblent même imprévues. Le Défenseur des droits, notamment, a eu l’occasion de les mettre en lumière à l’occasion de deux rapports thématiques parus en janvier 2019 et en février 2022, respectivement intitulés Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics et Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ? Qu’il soit permis d’évoquer deux de ces conséquences indésirables pour montrer que la dématérialisation est aussi un facteur d’exclusion sociale.

D’une part, le numérique produit de nouvelles inégalités devant le service public. Ses effets sont bénéfiques à supposer que l’usager dispose des capacités et des moyens suffisants pour accéder à la prestation et que, au surplus, les dysfonctionnements et problèmes techniques restent contenus. Or une partie non négligeable de la population est déconnectée, soit parce qu’elle n’a pas les aptitudes requises (personnes handicapées, majeurs protégés par exemple), soit parce qu’elle n’a pas les équipements nécessaires (conditions de précarité tout spécialement), soit enfin parce qu’elle habite des zones où la couverture internet est déficiente (territoires ruraux en l’occurrence). Dans ces trois hypothèses, qui dévoilent des situations de vulnérabilité et peuvent du reste se cumuler, l’usager est en droit d’accéder aux services numériques mais n’est pas en position de le faire. L’accès dématérialisé aux services publics existe, sauf pour lui.

D’autre part, le numérique crée de nouvelles discontinuités géographiques dans l’accès aux services publics. Il accélère le recul de ceux-ci sur le territoire [7]. Il faut dire que la logique gestionnaire, et plus précisément financière, qui préside à la dématérialisation se confond largement avec celle qui sous-tend les décisions entérinant la suppression de guichets. Dans cette configuration, l’accessibilité numérique – y compris depuis des points d’accès multiservices – se substitue à l’accessibilité spatiale des services publics, contre laquelle elle joue cependant même qu’elle est supposée en pallier les insuffisances. Le rapport du Défenseur des droits de février 2022 est ici instructif ; il souligne que le remède est en train d’alimenter le mal : « dans certains départements, les associations signalent déjà (…) que des organismes de sécurité sociale refusent de prendre en charge une partie des démarches à leurs guichets et renvoient les assurés vers les France services, voire, sur certains territoires, ferment encore des guichets, comptant sur France services pour prendre en charge la relation à l’usager » [8].

Ces conséquences suscitent inévitablement la défiance à l’égard de la dématérialisation. Les solutions mises en œuvre pour y remédier, principalement axées sur l’accompagnement numérique des usagers (déploiement des structures et des conseillers France Services, formation des aidants numériques, remise d’un pass numérique…), finissent de convaincre que la raison gestionnaire l’emporte et que la stratégie poursuivie par les pouvoirs publics est bien le tout numérique. Ces derniers tentent d’apporter des réponses d’inclusion à des problèmes d’exclusion qu’ils ont amplifiés, sinon créés, par leur volonté de dématérialiser à grande échelle et à marche forcée. De ce point de vue, en définitive, les effets pernicieux de la dématérialisation, à l’image du reflux territorial des services publics, ne seraient pas nécessairement pervers, c’est-à-dire imprévus.

Lexbase : Comment le juge administratif se positionne-t-il en la matière ?

David Charbonnel : Le juge administratif accompagne le mouvement de dématérialisation sans défense excessive, pourrait-on écrire, de l’usager et de ses intérêts. La position adoptée par le Conseil d’État, bien qu’elle puisse récemment témoigner d’une conscientisation des effets néfastes du numérique, ne contribue guère à réduire les limites du droit à l’accès normal aux services publics que l’usager tient de la jurisprudence [9] et qu’il peut opposer aux décisions administratives prises pour l’organisation et, le cas échéant, pour la dématérialisation de ces derniers.

Ordinairement, le juge administratif se fait une idée abstraite de ce qu’est l’accès normal aux services publics. Afin de pouvoir saisir des situations juridiques hétérogènes, il raisonne à l’aide d’un standard de qualité moyenne et à partir des conditions générales de fonctionnement du service public considéré, au maintien desquelles l’usager n’a d’ailleurs aucun droit acquis [10]. Et il se contente, dans ce cadre, de rechercher les seules erreurs manifestes d’appréciation commises par l’autorité administrative compétente dans l’adaptation des modalités d’accès au service.

Ainsi, par exemple, dans sa décision « Commune de Saint-Méen-le-Grand » du 1er octobre 2018 [11], le Conseil d’État n’invalide pas la fermeture d’une trésorerie communale justifiée par la faible activité du service et « par la généralisation des téléprocédures pour les professionnels et le renforcement des procédures informatiques pour les particuliers et les collectivités territoriales ». La solution finale importe moins en l’occurrence que le raisonnement tenu, qui confirme l’insuffisance des garanties offertes par un contrôle minimum et éclaire la position de retrait du juge administratif en la matière. Le Conseil d’État estime que, « alors même qu’une partie de la population (locale) serait défavorisée et que l’offre de transports publics serait insuffisante, le pouvoir réglementaire a pris en compte le critère d’accessibilité pour les usagers du service public » en transférant les activités de la trésorerie supprimée dans deux communes voisines… Il observe également que, « compte tenu de la couverture numérique du territoire et des distances à parcourir, le déplacement de la trésorerie n’est pas de nature à rendre difficile pour la commune et les élus l’accès aux services comptables ».

Plus récemment, à l’occasion d’une décision « Conseil national des barreaux et autres » du 3 juin 2022 [12], le Conseil d’État est venu considérer que le pouvoir réglementaire peut rendre obligatoire le recours à un téléservice – en l’espèce, pour le dépôt des demandes de titres de séjour. Les dispositions des articles L. 112-8 à L. 112-10 du Code des relations entre le public et l’administration, en particulier, n’y font pas obstacle – contrairement à ce que pouvait laisser entendre la décision « La Cimade et autres » du 27 novembre 2019 [13]. Le droit à la saisine électronique des autorités administratives s’en trouve diminué puisqu’il ne joue en tant que tel que dans la mesure où il existe un accès multimodal aux services publics, que dans la mesure où on laisse le choix à l’usager… Certes, le Conseil d’État prend le soin d’indiquer que le pouvoir réglementaire doit en tout état de cause « permettre l’accès normal des usagers au service public » et « garantir aux personnes concernées l’exercice effectif de leurs droits ». Il doit, pour ce faire, tenir compte « de l’objet du service, du degré de complexité des démarches administratives en cause et de leurs conséquences pour les intéressés, des caractéristiques de l’outil numérique mis en œuvre ainsi que de celles du public concerné, notamment, le cas échéant, de ses difficultés dans l’accès aux services en ligne ou dans leur maniement ». L’examen du standard de l’accès normal est voulu plus concret que d’ordinaire. Il s’entend d’un accès effectif dont la garantie implique de prévoir le cas échéant, eu égard à la diversité et à la complexité des situations en cause, des mesures d’accompagnement dans la réalisation des démarches en ligne, voire des solutions de substitution par l’organisation d’un accès physique au service [14]. Mais la position du Conseil d’État, pour nuancée qu’elle soit, n’en devient pas pour autant audacieuse. Elle conforte au contraire la dynamique du tout numérique, en même temps qu’elle confirme le primat de l’intérêt du service sur celui du public et l’essence objective du droit à l’accès normal aux services publics. Car c’est bien de l’accès dématérialisé qu’il faut prouver la défaillance pour justifier l’ouverture ou le maintien en dernier recours d’un accès physique, ainsi devenu l’exception dans les nouveaux schémas de pensée.

* Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.

[1] Voir en particulier le dossier L’Administration à l’ère du numérique, RDP 2020, n° 5, L. Cluzel-Métayer, C. Prébissy-Schnall, A. Sée (dir.), La transformation numérique du service public : une nouvelle crise ?, Mare & Martin, 2022.

[2] Rapport Service public, Se réinventer pour mieux servir, juin 2018, p. 39.

[3] G. Koubi, Le droit de saisir l’administration par voie électronique : la “demande”, JCP éd. A 2018, n° 14, p. 20, D. Guignard, Le droit des usagers de saisir l’administration par voie électronique, JCP éd. A 2018, n° 42, p. 53.

[4] Voir le dossier Les téléservices publics, RFAP, 2013, n° 146.

[5] L. Cluzel-Métayer, La loi pour une République numérique : l’écosystème de la donnée saisi par le droit, AJDA, 2017, p. 340.

[6] P. Idoux, L’ambivalence du développement des téléservices : de nouveaux services publics ou des services publics numérisés ?, RDP 2020, p. 1145.

[7] D. Charbonnel, La dématérialisation contre l’accessibilité spatiale des services publics, RDSS, 2022, n° 5, p. 789.

[8] Rapport Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ? préc., p. 20-21.

[9] CE, 25 juin 1969, n° 69449 N° Lexbase : A7261B8G, Lebon p. 334.

[10] CE, Sect., 27 janvier 1961, n° 38661 N° Lexbase : A5804MDC, Lebon p. 60, concl. J. Kahn.

[11] CE 3°-8° ch. réunies, 1er octobre 2018, n° 404677 N° Lexbase : A2238X8E.

[12] Voir en outre CE Sect., 3 juin 2022, n° 461694, 461695, 461922, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A05907ZU.

[13] A. Sée, Le recours aux téléservices ne peut être obligatoire, Dr. adm. 2020, n° 7, p. 47. Voir par la suite TA Rouen, 18 février 2021, n° 2001687 N° Lexbase : A996484S ; TA Guyane, 28 octobre 2021, n° 2100900 N° Lexbase : A69347A3 ; TA Strasbourg, 28 février 2022, n° 2104547 N° Lexbase : A78747R3.

[14] Voir récemment TA Guadeloupe, 11 octobre 2022, n° 2100695 N° Lexbase : A10818Q4 ; TA Versailles, 25 novembre 2022, n°s 2105520 et 2105521 N° Lexbase : A37048UQ.

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Social général

[Brèves] Publication de la loi « Marché du travail » : tour d’horizon des principales mesures

Réf. : Loi n° 2022-1598, du 21 décembre 2022, portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi N° Lexbase : L1959MGN

Lecture: 6 min

N3735BZD

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par Lisa Poinsot

Le 04 Janvier 2023

► Publiée au Journal officiel du 22 décembre 2022, la loi n° 2022-1598, du 21 décembre 2022, prévoit des dispositions portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi.

Contexte juridique. Le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions de la loi portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi (Cons. const., décision n° 2022-844 DC, du 15 décembre 2022 N° Lexbase : A60038ZD).

Pour aller plus loin : lire Ch. Moronval et L. Bedja, Validation par le Conseil constitutionnel de la loi « Marché du travail », Le Quotidien, 19 décembre 2022 N° Lexbase : N3709BZE.

Réforme de l’assurance chômage

Par dérogation aux règles de droit commun (C. trav., art. L. 5422-20 N° Lexbase : L0240LMT à L. 5422-24 N° Lexbase : L0230LMH et L. 5524-3 N° Lexbase : L0255LME), un décret pris en Conseil d’État doit déterminer les mesures d’application des dispositions législatives à l’assurance chômage pour la période allant du 1er novembre au 31 décembre 2023 au plus tard.

Ce décret doit être pris à la suite d’une concertation avec les organisations de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel.

Suppression de l'accès aux allocations chômage

La loi supprime l'accès aux allocations chômage en cas d'abandon de poste et de refus de CDI pour les salariés en contrat court.

  • Présomption de démission du salarié en cas d’abandon de poste

Le salarié,  qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur (qui ne peut être inférieur à un minimum qui sera fixé par décret), est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai (C. trav., art. L. 1237-1-1 N° Lexbase : L2119MGL).

Le contrat est alors considéré comme rompu à l’expiration du délai de mise en demeure, de sorte que l’employeur n’a pas à engager une procédure de licenciement.

Le salarié présumé démissionnaire ne bénéficie d’aucune indemnité de licenciement et n’a pas le droit aux allocations chômage. L’employeur doit remettre à ce salarié les documents de fin de contrat.

Pour aller plus loin : lire Amendement sur l’abandon de poste - Questions à Loïc Lewandowski, Avocat associé, HOGO Avocats, Lexbase Social, octobre 2022, n° 921 N° Lexbase : N2996BZY.

.

  • Refus de CDI 

Le nouvel article L. 1243-11-1 du Code du travail N° Lexbase : L2120MGM prévoit qu’en cas de proposition par l’employeur de poursuivre la relation contractuelle de travail après l’échéance du terme du CDD sous la forme d’un CDI pour occuper le même emploi ou un emploi similaire, avec une rémunération au moins équivalente pour une durée équivalente, relevant de la même classification et sans changement du lieu de travail, l’employeur notifie cette proposition par écrit au salarié. Si ce dernier refuse cette proposition, l’employeur en informe Pôle emploi en justifiant du caractère similaire de l’emploi proposé.

Il en va de même en ce qui concerne la relation contractuelle entre l’entreprise utilisatrice et un salarié selon le nouvel article L. 1251-33-1 du Code du travail N° Lexbase : L2121MGN.

L’article L. 5422-1 du Code du travail N° Lexbase : L0207LMM est complété afin de prévoir qu’un demandeur d’emploi peut être privé du bénéfice de l’allocation d’assurance chômage lorsqu’il a refusé deux propositions de contrat à durée indéterminée.

Par ailleurs, il est ajouté que les conditions d'activité antérieure pour l'ouverture ou le rechargement des droits et la durée des droits à l'allocation d'assurance peuvent être modulées en tenant compte d'indicateurs conjoncturels sur l'emploi et le fonctionnement du marché du travail (C. trav., art. L. 5422-2-2 N° Lexbase : L2126MGT).

Financement de l’allocation d’assurance chômage

L’article L. 5422-12 du Code du travail N° Lexbase : L2127MGU est complété. Désormais, les données nécessaires à la détermination du nombre de fins de contrat de travail et de contrat de mise à disposition, y compris celles relatives aux personnes concernées par les fins de contrat prises en compte qui sont inscrites sur la liste des demandeurs d'emploi, peuvent être communiquées à l'employeur par les organismes chargés du recouvrement des contributions d'assurance chômage.

Cette nouvelle disposition est applicable aux taux notifiés aux employeurs pour les périodes courant à compter du 1er septembre 2022.

Remplacement de plusieurs salariés

Un seul CDD ou un seul contrat de mission peut être conclu pour remplacer plusieurs salariés. La conclusion de ce contrat ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

Cette expérimentation, dérogeant aux articles L. 1242-2 N° Lexbase : L6966LLL et L. 1251-6 N° Lexbase : L8647LGD du Code du travail, a une durée de deux ans à compter de la publication d’un décret.

Électorat et éligibilité des salariés présentant des attributs de l’employeur

Les articles L. 2314-18 N° Lexbase : L8492LGM et L. 2314-19 N° Lexbase : L8491LGL du Code du travail sont respectivement réécrits et complétés. Leur application est rétroactive, à savoir à compter du 31 octobre 2022.

Pour aller plus loin : lire Y. Ferkane, Électorat et éligibilité des salariés présentant des attributs de l’employeur : les suites législatives de la décision du Conseil constitutionnel du 19 novembre 2021, Lexbase Social, décembre 2022, n° 928 N° Lexbase : N3622BZ8.

La validation des acquis de l’expérience (VAE)

Un service public de la VAE est créé. Le groupement d'intérêt public, qui sera charcgé de la VAE, devra mettre en place un guichet unique, via une plateforme numérique, mis à la dispisition des candidats. Ce dispositif doit être ouvert à toute personne dont l'expérience est en lien avec la certification visée.

La VAE est prononcée par un jury dont la composition et les modalités de fonctionnement du jury chargé de prononcer la VAE sont fixées par décret.

Par ailleurs, à titre expérimental pour une durée de trois ans, les contrats de professionnalisation conclus par les employeurs de droit privé peuvent comporter des actions en vue de la VAE. Ainsi, dans des secteurs tendus, le contrat de professionnalisation pourra être le support de l'accès à la certification professionnelle, en associant la voie de l'alternance à celle de la VAE.

Ratification d’ordonnances

La loi du 21 décembre 2022 ratifie vingt ordonnances datant de 2020 et de 2021, prises pendant la crise sanitaire, dans les domaines du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle.

À noter. Des décrets sont attendus pour une entrée en vigueur effective de la majorité de ces dispositions.

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Sécurité sociale

[Textes] LFSS 2023 : volet cotisations sociales, recouvrement et fraude

Réf. : Loi n° 2022-1616, du 23 décembre 2022, de financement de la Sécurité sociale pour 2023 N° Lexbase : L3789MGG

Lecture: 43 min

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par Christophe Willmann, Professeur à l’Université de Rouen

Le 04 Janvier 2023

Mots-clés : loi de financement de la Sécurité sociale • recouvrement • cotisations sociales • fraude • entreprises • apprentissage

La LFSS 2023 (loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022, de financement de la Sécurité sociale pour 2023) [1] exclusivement envisagée en son volet « cotisation » et organisation du recouvrement, à l’exclusion des prestations, présente une double originalité : c’est la première LFSS depuis la réforme des LFSS engagée par la loi n° 2022-354 du 14 mars 2022, relative aux lois de financement de la Sécurité sociale N° Lexbase : L9028MBY [2]. La LFSS 2023 a été votée dans un contexte politique très particulier, puisque la majorité présidentielle n’est pas en majorité au Parlement, contraignant le Gouvernement au recours massif de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution N° Lexbase : L1311A9G

Le Conseil constitutionnel [3] a validé pour l’essentiel les dispositions du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023. Il a censuré certaines dispositions, notamment la limitation de l’indemnisation par l’assurance maladie d’arrêts de travail prescrits dans le cadre de la téléconsultation (art. 101).

La LFSS 2023 comporte un volet « soutien à l’activité économique et aux actifs », c’est-à-dire, des mesures de baisse du coût du travail (exonération de charges sociales), mais très modeste, d’une portée limitée ; contrairement au volet « paiement/recouvrement des cotisations sociales et lutte contre la fraude », très développé dans cette LFSS 2023.


I. Mesures de soutien à l’activité économique

La LFSS 2023 ne contient qu’une mesure d’exonération de charges sociales, destinées aux employeurs recrutant un travailleur occasionnel ou un demandeur d’emploi (« TO-DE »), dans le secteur agricole ; et une mesure destinée au secteur industriel et commercial, l’ajustement de la déduction forfaitaire de cotisations patronales sur les heures supplémentaires.

Une présentation des réformes des mesures pour l’emploi, limitée à la seule LFSS 2023, serait trompeuse : il faut en effet élargir le champ de l’analyse et traiter les réformes introduites par la LF 2023 (loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023) [4] et autres mesures réglementaires (décret n° 2022-1714 du 29 décembre 2022 N° Lexbase : L3185MG3, décret nº 2022-1665 du 27 décembre 2022 N° Lexbase : L2624MGB, décret nº 2022-1632 du 22 décembre 2022 N° Lexbase : Z928212N, …).

A. Mesures pour l’emploi, inscrites dans la LF 2023 (et autres véhicules législatifs et réglementaires)

Aides à l’embauche d’alternants. Le décret n° 2022-1714 du 29 décembre 2022 a modifié le montant et les modalités d’attribution de l’aide unique aux employeurs d’apprentis versée par l’État aux employeurs de moins de 250 salariés au titre des contrats d’apprentissage conclus en vue de l’acquisition d’un diplôme ou d’un titre à finalité professionnelle équivalant au plus au baccalauréat. L’aide unique est versée uniquement au titre de la première année d’exécution du contrat d’apprentissage et son montant s’élève à 6000 euros maximum [5].

Le décret n° 2022-1714 du 29 décembre 2022 a défini également, pour ceux qui ne bénéficient pas de l’aide unique et pour les employeurs de salariés en contrat de professionnalisation, les modalités d’attribution, sous certaines conditions, d’une aide exceptionnelle versée aux employeurs pour la première année d’exécution des contrats d’apprentissage et de professionnalisation conclus entre le 1er janvier et le 31 décembre 2023, d’un montant de 6000 euros maximum. Cette aide exceptionnelle est attribuée aux employeurs d’apprentis et de salariés en contrat de professionnalisation de moins de trente ans, sous réserve pour les entreprises d’au moins 250 salariés, de s’engager à respecter un quota d’alternants dans leur effectif en 2025. Cette aide est attribuée pour les contrats d’apprentissage et contrats de professionnalisation visant un niveau minimal de diplôme ou de titre à finalité professionnelle.

Expérimentation des emplois francs. Le projet de décret transmis aux partenaires sociaux le 30 novembre 2022 prolonge d’une année, l’expérimentation des emplois francs jusqu’à fin 2023, alors qu’elle devait prendre fin au 31 décembre 2022 [6].

Recours à l’activité partielle. La loi de finances pour 2023 (loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023) a pérennisé deux mesures dérogatoires prises durant la crise sanitaire pour inclure, de manière temporaire, certains employeurs et salariés au titre de l’activité partielle. Ces mesures autorisent le recours à l’activité partielle : 1ère, par les entreprises étrangères ne comportant pas d’établissement en France et qui emploient au moins un salarié sur le territoire français ; 2ème, par certains employeurs de droit public exerçant à titre principal une activité industrielle et commerciale, au titre de leurs salariés de droit privé.

Plancher d’indemnité d’activité partielle. Le décret nº 2022-1665 du 27 décembre 2022, a également pérennisée la fixation d’un plancher d’indemnité d’activité partielle au niveau du taux horaire du SMIC pour les salariés à temps partiel et les intérimaires.

Le taux horaire de l’indemnité d’activité partielle ne peut être inférieur au taux horaire du SMIC. Lorsque le taux horaire de rémunération d’un salarié des entreprises de travail temporaire est inférieur au taux horaire du SMIC, le taux horaire de l’indemnité d’activité partielle qui lui est versée est égal à son taux horaire de rémunération.

Revalorisation du taux horaires minimaux de l’allocation d’activité partielle. Les taux horaires minimaux de l’allocation d’activité partielle ont été revalorisés au 1er janvier 2023 (décret nº 2022-1632 du 22 décembre 2022). Dans les entreprises bénéficiant du taux de prise en charge de droit commun (allocation de 36 % de la rémunération brute antérieure) il passe à 8,03 euros. Dans les entreprises ayant mis en place l’activité partielle de longue durée (60 % de la rémunération brute antérieure), il passe à 8,92 euros.

CDD « tremplin » et entreprises adaptées de travail temporaire. La loi de finances pour 2023 (loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022, de finances pour 2023) a prolongé deux expérimentations qui devaient s’éteindre au 31 décembre 2022 : les CDD « tremplin » et les entreprises adaptées de travail temporaire. Mis en place par la loi « Avenir professionnel » pour expérimenter l’accompagnement des transitions professionnelles des travailleurs handicapés vers le milieu ordinaire, ces deux dispositifs devaient prendre fin le 31 décembre 2022.

B. Mesures pour l’emploi, inscrites dans la LFSS 2023

1) Mesures destinées au secteur agricole

Exonération liée à l’emploi de travailleurs occasionnels et demandeurs d’emploi (« TO-DE »). L’exonération spécifique de cotisations sociales, mise en place en 2018 par la LFSS 2019 [7], à destination des travailleurs occasionnels et des demandeurs d’emploi (TO-DE) devait être abrogée le 1er janvier 2021, mais la LFSS 2021 a prolongé jusqu’au 1er janvier 2023 cette exonération (loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 N° Lexbase : L1023LZW, art. 16) [8].

Cette exonération est largement utilisée par 73 000 entreprises, soit près de la moitié des entreprises du secteur de la production agricole employant des salariés. 900 000 contrats bénéficiant du dispositif, pour un volume d’activité de l’ordre de 150 millions d’heures par an, soit 25 % du total des heures de travail dans le secteur de la production primaire, pour une masse salariale évaluée à plus de 1,75 milliards d’euros en 2020.

Présentation. Dans le secteur agricole, le dispositif d’exonération applicable pour l’emploi de travailleurs occasionnels et de demandeurs d’emploi (« TO-DE ») consiste en une exonération des cotisations patronales, ouverte aux employeurs agricoles qui embauchent en CDD (ou en CDI sous certaines conditions) des travailleurs saisonniers.

Seuls les employeurs de la production agricole sont éligibles. En sont exclus, les coopératives (transformation, conditionnement et commercialisation, ainsi que coopération d’utilisation de matériel agricole), les paysagistes, les entreprises de service (tertiaire agricole) et les entreprises de travaux agricoles, ruraux et forestiers, dont les activités justifient plutôt le recours à des salariés permanents.

L’exonération « TO-DE » est limitée à une période maximale d’emploi de 119 jours ouvrés par année civile pour un même salarié ; elle n’est pas cumulable au cours de la même année civile avec une autre exonération totale ou partielle de cotisations patronales. Si la durée d’emploi dépasse la limite de 119 jours, l’employeur peut renoncer à cette exonération pendant la période où elle s’est appliquée au profit des allègements généraux de cotisations sur l’ensemble de la période de travail effectuée au cours de l’année.

Objectifs. Ce dispositif est destiné à soutenir la compétitivité face à la concurrence internationale et européenne. En effet, la réduction du coût du travail permet de renforcer la compétitivité des entreprises agricoles françaises, confrontées à une importante concurrence de la part d’entreprises étrangères.

L’exonération de charges sociales constitue un facteur d’attractivité pour les employeurs de saisonniers qui bénéficient le plus souvent d’une exonération totale de cotisations patronales en raison de la courte durée des contrats saisonniers (21 jours en moyenne) et de leur rémunération moyenne (1,14 SMIC).

Apports de la LFSS 2023. La LFSS pour 2019 avait prévu l’extinction du dispositif « TO-DE » au 1er janvier 2021 et un dispositif transitoire au titre des années 2019 et 2020 selon des modalités de calcul rénovées : l’exonération de charges sociales était totale pour les rémunérations inférieures ou égales à 1,20 SMIC, dégressive au-delà de ce seuil et enfin nulle à hauteur d’1,6 SMIC. Le dispositif transitoire a été prolongé jusqu’en 2022 par la LFSS pour 2021.

La LFSS 2023 a prolongé ce dispositif pour soutenir un secteur confronté à la concurrence internationale, dans un contexte de crises qui ont marqué le secteur agricole français en 2021 et 2022 : crise sanitaire ; crise climatiques (inondations de 2021, épisodes de gel inédits de 2021 et 2022, sécheresse de 2021 et sécheresse de 2022 annoncée) et crise géopolitiques (guerre en Ukraine).

La LFSS 2023 (art. 8) a donc modifié l’article 8 de la loi n° 2018-12 du 22 décembre 2018, de financement de la Sécurité sociale pour 2019 N° Lexbase : L5466LNR, en reportant la date de validité du dispositif (l’année : « 2023 ») jusqu’en 2026.

B. Mesures destinées au secteur industriel et commercial

Ajustement de la déduction forfaitaire de cotisations patronales sur les heures supplémentaires. La déduction forfaitaire de cotisations sociales patronales des entreprises de 20 à 249 salariés a été mise en place par la loi nº 2022-1158 du 16 août 2022, portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat (N° Lexbase : L7050MDH ; art. 2). La déduction est applicable aux rémunérations dues au titre des heures supplémentaires réalisées à compter du 1er octobre 2022.

Le montant de la déduction forfaitaire de cotisations sociales patronales sur les heures supplémentaires effectuées à partir du 1er octobre 2022 s’élève à 0,50 euros par heure supplémentaire (décret du 1er décembre 2022) [9]. Il atteint 3,50 euros par jour pour les salariés en convention de forfait-jours (soit sept fois le montant horaire).

La LFSS 2023 a apporté plusieurs modifications au régime de la déduction forfaitaire de cotisations patronales sur les heures supplémentaires :

  • la LFSS pour 2023 permettra son imputation sur les cotisations dues au titre de l’ensemble de la rémunération du salarié, alors que cette déduction était initialement imputable sur les seules cotisations dues au titre des majorations salariales. Cette modification, applicable aux cotisations dues au titre des périodes courant à compter du 1er octobre 2022, est destinée à aligner la déduction avec celles applicables aux entreprises de moins de 20 salariés ;
  • la déduction pourra également s’appliquer lors du rachat de jours de RTT auquel les salariés peuvent procéder avant le 31 décembre 2025.

II. Paiement et recouvrement des cotisations sociales

Parmi les mesures relatives aux cotisations sociales, la LFSS pour 2023 prévoit notamment : la possibilité pour l’agent chargé du contrôle URSSAF d’utiliser les informations obtenues dans le cadre du contrôle d’une autre entité du même groupe ; la modification des sanctions du travail dissimulé applicables au donneur d’ordre (réduction de dix points du taux des majorations de redressement en cas de règlement rapide et réduction du plafond d’annulation des réductions ou exonérations de cotisations en cas de premier manquement depuis cinq ans) ; le report du transfert du recouvrement de cotisations Agirc-Arrco aux URSSAF, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2024.

La LFSS 2023, dans la continuité des précédentes LFSS, comprend un volet « lutte contre la fraude sociale » comprenant plusieurs mesures : une majoration de 10 % du remboursement des sommes versées à tort en cas de fraude ; une hausse des barèmes de pénalités en cas de fraude (plafonds portés à 300 % du préjudice financier et huit fois le plafond mensuel de la Sécurité sociale, majorés à 400 % dans la limite de seize plafonds mensuels de la Sécurité sociale en cas de fraude en bande organisée) ; le conditionnement du versement des prestations sociales à la détention d’un compte bancaire situé en France ou en zone SEPA.

A. Mesures de paiement et de recouvrement

Contrôle URSSAF d’une entreprise appartenant à un groupe - Présentation. Afin de limiter les procédures redondantes, la LFSS 2023 a entendu clarifier les règles applicables aux agents chargé du contrôle dans le cadre du contrôle d’une autre entité du même groupe, pour fonder ses constats. Jusqu’à présent, la Cour de cassation [10] imposait aux agents de contrôle de recourir à la procédure du droit de communication (CSS, art. L. 114-19 N° Lexbase : L2825MGQ), jugée longue, incertaine et susceptible de porter atteinte au respect des règles relatives à la durée du contrôle. Enfin, les agents de contrôle ne pouvaient interroger que les personnes rémunérées par la société contrôlée. Ils ne pouvaient ainsi pas interroger des personnes appartenant à une autre société du groupe dont les informations seraient susceptibles de fonder un redressement ou de révéler des pratiques contraires à la réglementation.

Objectifs. La LFSS 2023 a voulu mettre en œuvre le principe du « dites-le nous une fois » [11], en permettant aux URSSAF, à l’occasion d’un contrôle, d’utiliser des informations dont ils ont déjà eu connaissance à l’occasion d’un autre contrôle. Finalement, la réforme est destinée à définir l’assiette des cotisations au plus juste, afin d’éviter toute tentative d’évitement social et de rétablir les salariés dans leurs droits.

Apport de la LFSS 2023. La réforme portée par la LFSS 2023 doit porter uniquement sur les informations collectées auprès d’autres entreprises d’un même groupe. Dans le cadre de leurs enquêtes, les agents de contrôle voulant obtenir des informations auprès de tiers disposent de l’outil du droit de communication. Désormais (LFSS 2023 ; CSS, art. L. 243-7-4 N° Lexbase : L2552MGM, réd. LFSS 2023), dans le cadre de leurs missions, les agents chargés du contrôle peuvent utiliser les documents et informations obtenus lors du contrôle de toute personne appartenant au même groupe que la personne qu’ils contrôlent. Un « groupe » est entendu comme l’ensemble des personnes entre lesquelles existe un lien de détention ou de contrôle (au sens des articles L. 233-1 N° Lexbase : L9087KB8 et L. 233-3 N° Lexbase : L5817KTM du Code de commerce).

L’agent chargé du contrôle est tenu d’informer l’entreprise contrôlée de la teneur et de l’origine des documents ou informations, sur lesquels il se fonde. Sur sa demande et après que cette faculté lui a été précisée, il communique une copie des documents à l’entreprise contrôlée.

Durée du contrôle Urssaf dans les PME (moins de 20 salariés) – Présentation. En 2018, la loi (loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (dite « ESSoC » N° Lexbase : L6744LLD, art. 33) avait mis en place une expérimentation, pour une durée de trois ans, d’une limitation de la durée maximale des contrôles dans les entreprises de moins de dix salariés à trois mois, ce délai étant renouvelable une fois (application aux entreprises de moins de vingt salariés de l’article L. 243-13 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L1297I78).

Cette mesure a bénéficié déjà à près de 20 000 entreprises contrôlées chaque année. Menée d’août 2018 à août 2021, l’expérimentation a concerné près de 20 000 contrôles dont 7 700 se sont achevés en moins de trois mois ; les autres ayant donné lieu à une prolongation. Le pourcentage de contrôles ayant duré moins de trois mois est passé de 26,64 % en 2018 à 55,90 % en 2020. Dans la majorité des cas, une demande de renouvellement a été formulée. Depuis la fin de la phase d’expérimentation, cette initiative a été maintenue par le réseau des URSSAF et continue d’être mentionnée dans la charte du cotisant contrôlé.

Objectifs. L’objectif premier est de donner de la visibilité aux plus petites entreprises sur la durée d’un contrôle et ainsi de les sécuriser. Pour les URSSAF, des gains d’efficience sont également attendus, puisque la réforme permettrait de réduire le temps passé sur des contrôles à moindre enjeux. Enfin, la réforme s’inscrit dans le cadre des mesures portant sur les droits des cotisants, afin de sécuriser les procédures de contrôle.

Apports de la LFSS 2023. En raison de la difficulté, pour les plus petites entreprises, à transmettre les pièces demandées dans les temps et à s’organiser pour recevoir les agents de contrôle, la LFSS 2023 a modifié le seuil des entreprises éligibles, qui passe de dix salariés à vingt salariés. En effet, jusqu’à présent, les contrôles visant les entreprises versant des rémunérations à moins de dix salariés ou les travailleurs indépendants ne pouvaient s’étendre sur une période supérieure à trois mois, comprise entre le début effectif du contrôle et la lettre d’observations (CSS, art. L. 243-13).

Application aux employeurs du régime agricole de la prolongation du contradictoire prévue pour le régime général – Présentation. Le législateur et le pouvoir réglementaire ont engagé, depuis quelques années, un mouvement de convergence entre le Code rural et de la pêche maritime et le Code de la Sécurité sociale. Cet alignement des deux régimes poursuit un objectif d’équité de traitement entre les cotisants, même si toutes les mesures favorables aux cotisants introduites ces dernières années dans le Code de la Sécurité sociale n’ont pas encore été transposées dans le Code rural et de la pêche maritime.

Apports de la LFSS 2023. La LFSS (CRPM, art. L. 724-11 N° Lexbase : L1578LZH, réd. LFSS 2023) a modifié l’article L. 724-11 du Code rural et de la pêche maritime [12] pour ouvrir la possibilité aux cotisants du régime agricole de solliciter une prolongation du délai pour apporter des éléments de réponse aux observations formulées par les agents de contrôle selon les mêmes modalités que celles applicables au régime général. Le délai initial de trente jours peut désormais être prolongé de trente jours supplémentaires, l’absence de réponse de l’agent de contrôle valant acceptation. Mais la prorogation de ce délai sera impossible dans les cas d’abus de droit et de travail dissimulé.

Mesures relatives à la DSN. La LFSS 2020 (art. 18 ; CSS, nouvel art. L. 133-5-3-1 N° Lexbase : L2609LWK ; nouveau II bis de l’art. L. 133-5-3 N° Lexbase : L5112LUU) avait autorisé les URSSAF à mettre à disposition des déclarants toutes les informations nécessaires à l’établissement de leur DSN qui sont calculées ou connues de l’administration.

La LFSS 2023 (art. 6-I-B, 4ème ; CSS, art. L. 133-5-3, nouvelle réd.) modifie le régime de la DSN, puisque désormais, elle comporte à la fois un flux déclaratif sortant de l’entreprise vers l’administration, mais aussi un flux entrant, permettant aux Urssaf et autres administrations de communiquer les informations utiles pour qu’elles soient directement prises en compte pour l’établissement des déclarations suivantes. L’objectif poursuivi est de faciliter la détection par l’entreprise des erreurs qu’elle aurait pu commettre dans ses déclarations sociales et leur rectification dans les déclarations suivantes

Les entreprises recevront également le résultat complet de l’exploitation de leurs déclarations, au regard de la conformité à la législations sociale, par exemple en cas d’incohérence ou d’atypies dans le calcul de leurs cotisations ou l’application des allégements généraux.

B. Organisation du recouvrement

La LFSS 2020 s’était inscrite dans la continuité et le prolongement d’un certain nombre de réformes récentes du recouvrement social [13], dont la doctrine a largement rendu compte [14]. La LFSS 2023 a poursuivi ce mouvement réformiste. Ainsi, depuis le 1er janvier 2023, les URSSAF assurent la collecte des cotisations sur salaires d’assurance maladie et de retraite des salariés du notariat et des clercs, conformément à la loi de financement de la Sécurité sociale de 2020 [15].

Transfert du recouvrement des cotisations de Sécurité sociale. Dans le prolongement du rapport « Gardette » [16], la LFSS 2020 (art. 18 ; CSS, art. L. 213-1, nouvelle réd. ; nouvel art. L. 213-1-1) avait étendu les missions des URSSAF au recouvrement de l’ensemble des cotisations et contributions sociales suivantes :

  • les cotisations de retraite complémentaire des salariés AGIRC-ARRCO ;
  • les cotisations de retraite des agents des fonctions publiques territoriales et hospitalières, des agents non titulaires de la fonction publique ainsi que les cotisations de retraite additionnelle des agents de la fonction publique, (jusqu’à présent collectées par la Caisse des dépôts et consignations) ; les cotisations finançant l’allocation temporaire d’invalidité des agents des collectivités locales, les contributions au fonds pour l’emploi hospitalier (…) ;
  • les cotisations de certains régimes spéciaux (industries électriques et gazières, clercs et employés de notaires, ministres du culte) (LFSS 2019, art. 18) [17].

Les avantages attendus étaient triples : améliorer la performance du recouvrement (et donc une diminution des pertes pour créances irrécouvrables) ; étendre le périmètre du contrôle URSSAF ; enfin, réaliser des économies de gestion substantielles à terme. L’extension du recouvrement devait s’effectuer en plusieurs temps, selon un calendrier échelonné entre 2020 et 2023. La LFSS 2023 a pris acte du retard dans ce programme d’unification du recouvrement, s’agissant des cotisations d’assurance retraite collectées par les caisses dont la gestion est assurée par la Caisse des dépôts et consignations et du recouvrement de cotisations Agirc-Arrco.

La LFSS 2023 (art. 7-III-B) a pourtant reporté à 2025 le transfert du recouvrement des cotisations d’assurance retraite collectées par les caisses dont la gestion est assurée par la Caisse des dépôts et consignations (CNRACL, IRCANTEC, ERAFP, FEH). L’URSSAF Caisse Nationale et la CDC ont sollicité son report d’au moins un an compte tenu du report du transfert du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco et du retard observé sur le déploiement de la DSN dans la sphère publique [18]. Selon les travaux parlementaires [19], la CDC ne paraît pas volontaire pour mener à bien le projet de transfert de son activité de recouvrement. A minima, l’échéance du 1er janvier 2024 lui semble très ambitieuse compte tenu de l’avancement des travaux.

La LFSS 2023 (art. 7-III-A) a reporté le transfert du recouvrement de cotisations Agirc-Arrco aux URSSAF à 2024. Selon les travaux parlementaires [20], la crise sanitaire a bouleversé le calendrier prévu initialement. Les difficultés rencontrées par les employeurs, qui doivent faire face à une charge de gestion accrue du fait des mesures de soutien mises en œuvre pendant la crise (exonérations de cotisations sociales, fonds de solidarité, activité partielle) et à l’apurement progressif des dettes de cotisations constituées durant la crise, ne permettaient pas de procéder au transfert dans de bonnes conditions au 1er janvier 2022, d’autant que celui-ci ne sera pas sans conséquences sur la trésorerie des entreprises.

Pour l’année 2023, les cotisations de retraite complémentaire demeurent donc déclarées et payées auprès de l’Agirc-Arrco. Afin de préparer au mieux ce transfert, il a été proposé aux éditeurs de logiciels de paie une expérimentation (dite phase pilote) dès le début de l’année 2022 afin de leur permettre, dans un environnement de test, de s’approprier l’ensemble des fonctionnalités et nouveautés prévues dans le cadre de ce transfert [21].

C. Fraudes au paiement des cotisations

La fraude sociale, désormais bien analysée grâce aux travaux de la doctrine [22], un arsenal de mesures vient renforcer les moyens de lutte contre la fraude sociale et visant à accroître la capacité des organismes sociaux à faire face aux fraudes complexes ou de grande ampleur, avec trois priorités : améliorer la prévention et la détection des fraudes, mieux sanctionner la fraude des offreurs de soins et prestataires de service et accroître le rendement et l’effectivité du recouvrement des créances.

1) Fraude aux cotisations

Sanctions du travail dissimulé applicables au donneur d’ordre - Présentation. Le donneur d’ordre manquant de vigilance est solidairement tenu des sanctions encourues (annulations d’exonérations et de réductions de cotisations et contributions sociales), mises en œuvre à l’égard de son sous-traitant. De plus, il encourt ces sanctions (not., annulation), en tant que donneur d’ordre, cette seconde sanction ne s’adaptant pas à la gravité des faits commis par le sous-traitant. Pourtant, le sous-traitant contrôlé peut bénéficier d’une modulation à la baisse des sanctions pour inciter au règlement rapide du redressement, cette modulation n’étant pas applicable au donneur d’ordre qui est tenu de payer la même dette du fait de la solidarité financière.

En 2021, la solidarité financière à l’encontre de donneurs d’ordres a été engagée par les services de contrôle à 293 reprises, pour un montant global redressé de 9,7 millions d’euros. L’annulation des exonérations et réductions de cotisations et contributions des donneurs d’ordre a été appliquée à 361 reprises entre 2019 et 2021 dont 82 annulations ayant bénéficié d’un plafonnement à 75 000 euros (soit environ 23 % du total des annulations). En 2021, le montant de ces annulations a atteint 2,1 millions d’euros.

Objectifs. En rendant le donneur d’ordre acteur du recouvrement de la dette de son co-contractant (puisque la pénalité encourue par le donneur d’ordre étant dépendante du règlement effectué par le co-contractant) et en lui ouvrant le bénéfice d’une réduction en cas de versement rapide de la dette qui lui incombe au titre de la solidarité financière, le législateur poursuit un objectif d’optimisation des opération de contrôle et de lutte contre le travail dissimulé : le recouvrement des sommes dues au titre de la lutte contre le travail dissimulé, qui sont actuellement très basses (6,8 % des sommes chiffrées), devraient s’améliorer.

Apports de la LFSS 2023. La LFSS 2023 applique au donneur d’ordre la réduction de 10 points du taux des majorations de redressement prévue en cas de règlement rapide des sommes dues (CSS, art. L. 243-7-7, II N° Lexbase : L6948LNN ; LFSS 2023, art. 6-I-F). Elle module la pénalité destinée au donneur d’ordre non vigilant (CSS, art. L. 133-4-5 N° Lexbase : L2608LWI), en intégrant un élément de gravité dans la méconnaissance de son obligation de vigilance et de gravité dans le montant de la fraude (LFSS 2023, art. 6-I-A) [23]. Ainsi sont prévus deux niveaux de pénalités : le premier, dans le cas où le donneur d’ordre méconnaît pour la première fois son obligation de vigilance ; le second, en cas de récidive.

La sanction est plafonnée à hauteur d’un montant correspondant à l’ensemble des réductions ou des exonérations de cotisations ou de contributions dont a bénéficié le donneur d’ordre La pénalité encourue par le donneur d’ordre reste plafonnée à 15 000 euros pour une personne physique et à 75 000 euros pour une personne morale. Ce montant ne peut pas dépasser, s’il s’avère inférieur, le montant mis sa charge au titre de la solidarité financière (C. trav., art. L. 8222-2 N° Lexbase : L3605H9E et L. 8222-3 N° Lexbase : L3607H9H) dont il est susceptible d’être redevable auprès de l’organisme de recouvrement.

En cas de réitération d’un manquement à l’obligation de vigilance, les plafonds de 15 000 euros et de 75 000 euros disparaissent, et la sanction est strictement proportionnée au montant mis à sa charge au titre de la solidarité financière.

Communication, par les greffiers des tribunaux de commerce, de renseignements utiles à la lutte contre le travail illégal et la fraude aux prestations. La LFSS 2023 (art. 98-I-3° ; CSS, art. L. 114-16 N° Lexbase : L2821MGL, nouvelle réd.) autorise les greffiers des tribunaux de commerce, parce qu’ils peuvent disposer de renseignements utiles à la lutte contre le travail illégal et la fraude aux prestations, à communiquer celles-ci aux différentes administrations impliquées dans la lutte contre la fraude aux cotisations sociales (travail illégal, fraude au dispositif d’indemnisation du chômage partiel) et de la fraude aux prestations sociales (perception indue de prestations sociales).

Genèse. Dans le cadre de leur mission de tenue des registres légaux (registre du commerce et des sociétés, registre des bénéficiaires effectifs notamment), les greffiers des tribunaux de commerce recueillent de nombreuses informations juridiques, économiques et financières sur les entreprises. Les entreprises sont tenues de faire des déclarations au greffe, lors de leur constitution ou de leur disparition, en y joignant les pièces justificatives, sur lesquelles le greffier exerce un contrôle de conformité.

Enjeux. Constituent pour le greffier des indices lui faisant soupçonner qu’une société a été créée ou reprise dans le seul but d’être le support à des fraudes : la remise de faux documents lors de l’inscription d’une société au registre du commerce et des sociétés (fausses pièces d’identité, fausses publications aux journaux d’annonces légales, attestations de dépôt de fonds falsifiées,…), des modifications de statut, des changements fréquents de siège social et/ou de gérance sur de courtes périodes, des cessions de parts sociales multiples précédant une liquidation judiciaire. Ces sociétés, dont l’existence est souvent éphémère, peuvent :

  • avoir une activité commerciale effective mais non déclarée en recourant au travail illégal par dissimulation d’activité et/ou de salarié ;
  • être des « coquilles vides » sans activité autre que la réalisation d’une escroquerie aux organismes sociaux (déclarer de faux accidents du travail en vue de percevoir des indemnités journalières auprès de l’Assurance maladie, déclarer des salariés fictifs dans le but de percevoir des allocations chômage au préjudice de Pôle emploi, fournir de faux bulletins de salaire afin de faciliter le droit au séjour ou l’accès aux prestations sociales au préjudice des CAF, ou présenter de fausses créances à la Délégation UNEDIC AGS lors d’une procédure collective, …).

La transmission des informations ainsi recueillies par les greffiers des tribunaux de commerce aux agents des organismes de protection sociale ou des services de l’État compétents en matière de fraude sociale, faciliterait les contrôles par une identification précoce des sociétés potentiellement frauduleuses.

Apport de la LFSS 2023. La LFSS 2023 (art. 98-I-3° ; CSS, art. L. 114-16, nouvelle réd.) permet expressément aux greffiers des tribunaux de commerce, en cas de suspicion de fraude, de transmettre les informations ou documents recueillis dans l’exercice de leurs missions aux agents des organismes de protection sociale et de l’État.

Droit de communication de renseignements par des tiers aux agents chargés au sein des organismes sociaux du recouvrement des créances nées après le constat d’une infraction de travail dissimulé - Genèse. Le recouvrement des créances nées après le constat d’une infraction de travail dissimulé peut être complexe, en raison de la disparition /insolvabilité fréquente (économique ou organisée) des entreprises visées. Les procédures de recouvrement de ces créances sont longues et coûteuses pour un résultat incertain. Depuis 2018 (loi n° 2018-898, du 23 octobre 2018, relative à la lutte contre la fraude N° Lexbase : L5827LMR), les agents dédiés au recouvrement de ces créances ont accès aux fichiers des comptes bancaires de la DGFIP (application FICOBA), mais ils n’ont pas la possibilité d’interroger les banques sur les soldes des comptes détenus par les débiteurs, contrairement aux agents de recouvrement d’indus de prestations des autres branches et des agents de l’administration fiscale en charge du recouvrement de l’impôt.

Apports de la LFSS 2023. Afin de prévenir les pratiques favorisant l’évasion sociale et de renforcer l’efficacité financière des contrôles, la LFSS 2023 a ouvert aux organismes chargés du recouvrement du régime général et du régime agricole, la faculté d’obtenir auprès des banques, la communication des renseignements utiles au recouvrement des créances notifiées à la suite du constat d’une infraction de travail dissimulé. La LFSS 2023 (art. 98-I-7° ; CSS, art. L. 114-19, nouvelle réd.) ouvre le bénéfice aux agents chargés du recouvrement des créances LCTI.

Prérogatives de police judiciaire (cyber-enquête), aux organismes de protection sociale et à l’inspection du travail – Genèse. La lutte contre les fraudes à enjeux faisant notamment appel à des montages sophistiqués a été identifié comme une des priorités du plan ministériel d’action de lutte contre la fraude sociale 2021- 2023. La CNAM s’est dotée de « task force » chargées de coordonner certains contrôles (centres de santé, test Covid) ; la CNAF a créé un Service national de lutte contre les fraudes à enjeux composé de trente contrôleurs spécialisés nationaux répartis dans cinq unités sur le territoire et utilisant des technologies nouvelles (moyens cyber).

Apports de la LFSS 2023. La LFSS 2023 (art. 98-I-9° ; CSS, art. L. 114-22-3 N° Lexbase : L2827MGS, nouvelle réd.) a défini un cadre juridique d’intervention sécurisé, notamment par l’attribution de nouveaux pouvoirs de police judiciaire d’enquête au bénéfice des agents de contrôle.

2) Fraude aux prestations

Sanction applicable dans les branches famille et vieillesse - Genèse. Les cas dans lesquels le directeur d’une caisse versant des prestations de la branche famille ou vieillesse peut prononcer des sanctions administratives (avertissements ou pénalités) en cas de manquement des assurés ou d’autres acteurs, voire de fraude, sont en cadrés (CSS, art. L. 114-17 N° Lexbase : L2822MGM). La procédure actuelle est longue et complexe : envoi d’une notification des griefs reprochés et du montant envisagé de la pénalité ; envoi possible d’observations écrites ou audition de l’assuré dans un délai d’un mois ; notification d’une décision sur le montant de la pénalité ; recours gracieux possible [24] ; notification d’une seconde décision du directeur sur le montant de la pénalité. Chacune des deux décisions du directeur peut être contestée devant le juge judiciaire (parallèlement au recours gracieux effectué auprès du directeur dans le premier cas).

Apports de la LFSS 2023. La LFSS 2023 (art. 98-I-5° ; CSS, art. L. 114-17-1 N° Lexbase : L2823MGN, nouvelle réd.) simplifie la procédure en l’alignant sur celle qui est applicable en cas de sanction administrative prononcée par le directeur de caisse dans la branche maladie (CSS, art. L. 114-17-1), laquelle présente les mêmes garanties quant au respect du droit de la défense pour les assurés. Cette procédure présente l’avantage d’être plus rapide et plus lisible pour les personnes contrôlées.

Barèmes de pénalités applicables en cas de fraude à l’assurance maladie - Genèse. En cas de fraude établie, les plafonds de pénalité sont portés à 200 % et quatre fois le plafond mensuel de la Sécurité sociale en cas de préjudice non déterminé ou clairement déterminable, et jusqu’à 300 % des sommes indûment présentées au remboursement dans la limite de huit plafonds mensuels de Sécurité sociale en cas de fraude commise en réseau (CSS, art. L. 114-17-1, 2° du VII). Ces sanctions, peu élevées, ne sont pas adaptées aux enjeux financiers liés à certaines catégories de professions de santé (pharmaciens, transporteurs, fournisseurs…).

Apports de la LFSS 2023. La LFSS 2023 (art. 98-I-5° ; CSS, art. L. 114-17-1, nouvelle réd.) a réévalué ces plafonds à hauteur de 300 % du préjudice financier ou huit fois le plafond mensuel de Sécurité sociale à défaut de sommes clairement déterminables, et jusqu’à 400 % du préjudice financier ou seize fois le plafond mensuel de Sécurité sociale en cas de fraude en bande organisée.


[1] LSQ - L’actualité, 2 décembre 2022, nº 18684.

[2] Travaux parlementaires : T. Mesnier, Rapport Assemblée nationale n° 4378 et 4379, 15 juillet 2021 ; T. Mesnier et J.-M. Vanlerenberghe, Rapport Assemblée nationale n° 4903 et 4904 et Sénat, n° 347, 12 janvier 2022, Genèse : Proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, présentée par L. Saint‑Martin et É. Werth, députés ; HCFIPS, Note sur les propositions de loi organique de l’Assemblée nationale et du Sénat relatives aux lois de financement de la Sécurité sociale, du 10 juin 2021.

La revue Droit social, dans son numéro 11/2022, a publié un dossier intitulé « Financement de la protection sociale », constitué des articles suivants : Finances sociales, par Ch. Willmann, p. 860 ; Finances sociales : pour un big bang juridique, par R. Pellet, p. 867 ; Finances sociales parlementarisées : rôle du législateur (LFSS), par T. Mesnier et Ch. Willmann, p. 881 ; La création de la Commission des comptes de la Sécurité sociale ou les limites d’un renouvellement de la démocratie sociale, par F. Tristram, p. 890 ; Le financement de la Sécurité sociale devant le juge constitutionnel, par A.-C. Dufour, p. 896 ; Le réseau Urssaf, acteur central du financement de la protection sociale, par O. Dervillers, p. 904 ; Les finances sociales à l’épreuve de la crise de la Covid-19, par B. Ramdjee, p. 911 ; Les finances du National Health Service au Royaume-Uni, par A. Guigue, p. 920 ; Le financement des assurances santé aux États-Unis : une fédéralisation contestée, par O. André, p. 928.

La revue Droit social, dans son numéro 12/2022, a publié un dossier intitulé « Financement de la protection sociale », constitué des articles suivants : Finances sociales : pour un big bang juridique, par R. Pellet, p. 956 ; La fiscalisation des ressources de la Sécurité sociale, une notion à redéfinir, par A. Dort, p. 965 ; L’Urssaf développe l’approche ESG dans ses missions financières, par E. Laurent, p. 973 ; La pédagogie par le solde : le financement à l’épreuve de l’équilibre des finances sociales, par Ch. Willmann, p. 984 ; Un financement des dépenses de santé en quête d’efficacité, par R. Marié, p. 993 ; Le financement des médicaments innovants : une adaptation du modèle français, par O. Debarge, p. 1000 ; La pérennité financière des retraites : des réformes et... encore des réformes, par J. Attali-Colas, p. 1009 ; L’instrumentalisation périlleuse du Fonds de solidarité vieillesse, par J.-F. Calmette et K. Lucas Geoffroy, p. 1017 ; La compensation généralisée entre régimes de retraite, par P.-É. du Cray, p. 1022 ; Cinquième branche de la Sécurité sociale : vers une simplification du financement du soutien à l’autonomie ?, par L. Levoyer, p. 1028 ; Le financement de l’assurance chômage : un facteur d’insécurité sociale, par L. Joly, p. 1033.

[3] Cons. const., décision n° 2022-845 DC, du 20 décembre 2022, Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023 N° Lexbase : A070783L ; JCP Social, n° 51-52, 27 décembre 2022, act. 431 ; LSQ - L’actualité, nº 18698, 22 décembre 2022 ; L. Bedja, LFSS 2023 : quelques censures prononcées par le Conseil constitutionnel, Le Quotidien, décembre 2022 N° Lexbase : N3728BZ4 .

Le PLFSS 2023 avait supprimé, pour l’assuré, le bénéfice du versement d’indemnités journalières si son incapacité physique n’avait pas été constatée par son médecin traitant ou un médecin l’ayant déjà reçu en consultation depuis moins d’un an, prévu que, dès lors que l’arrêt de travail était prescrit à l’occasion d’une téléconsultation. Selon le Conseil constitutionnel, ces dispositions peuvent avoir pour effet de priver l’assuré social du versement des indemnités journalières alors même qu’un médecin a constaté son incapacité physique de continuer ou de reprendre le travail, en violation du onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 (« tout être humain qui (...) se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence »).

[4] B. Lucas, Budget général Programme 1 0 2, Projets annuels de performances, Annexe au PLF 2023, Accès et retour à l’emploi, 5 octobre 2022 ; Budget général, Projet annuel de performances, Annexe au PLF 2023, Travail et emploi, 5 octobre 2022 ; D. Da Silva, Rapporteur spécial, Rapport n° 273 Assemblée nationale, 6 octobre 2022, J.-R. Cazeneuve, Rapporteur général, Annexe n° 47 Travail et emploi ; P. Dharréville, Avis n° 364 Assemblée nationale, 19 octobre 2022, Tome III Travail et emploi ; J.-R. Cazeneuve, Rapport n° 599 Assemblée nationale, 6 décembre 2022 ; J.-F. Husson, Rapporteur général, Rapport n° 184, Sénat, 6 décembre 2022 ; J.-R. Cazeneuve, Rapporteur général, Rapport n° 623 Assemblée nationale, 15 décembre 2022.

[5] LSQ - L’actualité, 2 janvier 2023, nº 18704.

[6] Ibid..

[7] Loi n° 2018-1203, du 22 décembre 2018 N° Lexbase : L5466LNR.

[8] Ch. Willmann, LFSS 2021 : cotisations sociales, fraude et organisation du recouvrement marqués par la crise sanitaire, Lexbase Social, janvier 2021, n° 849 N° Lexbase : N5976BYY.

Travaux parlementaires : T. Mesnier et alii, Rapport Assemblée nationale n° 3432, 14 octobre 2020, préc., p. 97 ; T. Mesnier et alii, Rapport Assemblée nationale n° 3587, 19 novembre 2020, p. 48 ; J.-M. Vanlerenberghe et alii, Rapport Sénat n° 107, 4 novembre 2020, Tome II Examen des articles, p. 42 ; PLFSS 2021, Annexe 5 Présentation des mesures d’exonérations de cotisations et contributions et de leur compensation, préc., Fiche n° 36. Exonération pour l’emploi de travailleurs occasionnels agricoles, p. 163 ; PLFSS 2021, Étude d’impact, art. 13. Prolongement du dispositif d’exonération lié à l’emploi de travailleurs occasionnels demandeurs d’emploi (TO-DE), p. 33.

[9] Décret n° 2022-1506, du 1er décembre 2022, relatif à la déduction forfaitaire des cotisations patronales sur les heures supplémentaires pour les entreprises d’au moins vingt et de moins de deux cent cinquante salariés N° Lexbase : L0239MGX.

[10] Cass. civ. 2, 7 janvier 2021, n° 19-19.395, F-D N° Lexbase : A88374BW.

[11] C. Cloarec-Le Nabour et J. Damon, La juste prestation pour des prestations et un accompagnement ajustés, Rapport au Premier ministre, septembre 2018, spec. p. 28-41 ; Cour des comptes, La Sécurité sociale, Rapport sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale, octobre 2022.

[12]  « La durée de la période contradictoire peut être prolongée sur demande du cotisant reçue par l’organisme avant l’expiration du délai initial, à l’exclusion des situations où est mise en œuvre la procédure prévue à l’article L. 725-25 du Code de la Sécurité sociale ou en cas de constat des infractions mentionnées aux 1° à 4° de l’article L. 8211-1 du Code du travail. » ;

[13] Principales réformes :

- arrêté du 29 mars 2019 modifiant l’arrêté du 8 mars 2019, fixant le modèle de la charte du cotisant contrôlé N° Lexbase : L8244LPZ ;

- loi n° 2018-727 du 10 août 2018, dite « ESSOC », Ch. Willmann, Relation entreprises -Inspection du travail/URSSAF : fluidité, confiance, efficacité, Lexbase Social, septembre 2018, n° 753 N° Lexbase : N5394BX3 ;

- décret no 2016-941, du 8 juillet 2016, relatif au renforcement des droits des cotisants N° Lexbase : L2678K93, Ch. Willmann, Les nouveaux droits des cotisants, dans le cadre des opérations de contrôle, Lexbase Social, juillet 2016, n° 664 N° Lexbase : N3822BWH ; N. Jean-Marie, Réforme du contrôle URSSAF : aux tribunaux de transformer l’essai !, SSL, n° 1732 du 18 juillet 2016.

[14] Droit social, dans son numéro 9/2019, a publié un dossier intitulé « Le recouvrement social », V. not. : Propos introductifs, par Ch. Willmann et B. Ferras, p. 676 ; Le recouvrement social à la croisée des chemins, par Ch. Willmann, p. 678 ; La recherche permanente d’un « modèle » ? Unité, spécificités et évolutions du recouvrement social en France, par B. Ferras, p. 685 ; Quelques singularités constitutives du recouvrement social, par Y.-G. Amghar, p. 698 ; Vers une performance renforcée du recouvrement social ? Les évolutions envisagées par le comité action publique 2022 et leurs conditions de réussite, par D. Mathey et J. Roger, p. 703 ; Unifier le recouvrement social, implique de concilier la simplification pour les redevables avec la diversité des besoins des organismes, par M. Delaye, p. 713 ; Consentement et résistance au recouvrement social, par A. Spire, p. 720 ; L’accompagnement des entreprises en difficulté : l’aménagement du recouvrement URSSAF, par D. Ronet-Yague, p. 736 ; L’Urssaf et les entreprises en difficulté : une voie de passage désormais bien balisée, par O. Dervillers, p. 743 ; Le droit à l’erreur, un nouveau levier de transformation de la relation entre les cotisants et les organismes de la branche recouvrement, par J.-M. Guerra, p. 751 ; Droit à l’erreur : le choc de confiance ?, par M. Keim-Bagot, p. 755 ; E. Dellacherie, préc., p. 758 ; Les enjeux économiques et sociaux du redressement, par J.-Y. Kerbourc’h, p. 768.

[15] Loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019, de financement de la Sécurité sociale pour 2020 N° Lexbase : L1993LUD ; décret n° 2022-1553 du 9 décembre 2022 N° Lexbase : L0986MGM. Flash Defrénois, 14 décembre 2022, n° 50-52, p. 15. Le décret n° 2022-1553 du 9 décembre 2022 organise le transfert du recouvrement vers le réseau des URSSAF des cotisations assises sur les salaires dues au régime spécial des clercs et employés de notaire. Il organise également le transfert des opérations de déclaration, de paiement, de contrôle et du contentieux qui les concernent. Il modifie les règles relatives au délai implicite de rejet du recours précontentieux et au délai d’opposition des tutelles sur les délibérations du conseil d’administration et autres commissions, et prévoit l’exclusion des remises librement négociées entre le notaire et le client pour les émoluments dépassant le seuil de 200 000 euros de l’assiette de la taxe sur les émoluments. Il modifie enfin diverses dispositions relatives au calcul des indemnités journalières maternité et paternité, à la transition entre pension d’invalidité et pension de retraite, au cumul entre pension de retraite et revenu d’activité, et supprime la déduction de l’indemnité pour frais funéraires du montant du capital décès.

[16] Rapport d’A. Gardette, Réforme du recouvrement fiscal et social, Rapport aux ministres, le 31 juillet 2019.

[17] Annexe 9 à la PLFSS 2020, Fiche d’évaluation préalable, préc, art. 10, Unification du recouvrement dans la sphère sociale ; O. Véran, Rapport Assemblée nationale n° 2340, 16 octobre 2019, Tome II, Commentaires d’articles et annexes, préc. ; J.-M. Vanlerenberghe, Rapport Sénat n° 104, 6 novembre 2019, Tome II, Examen des articles, préc..

[18] R.-P. Savary et C. Apourceau-Poly, Rapport Sénat n° 725, 21 juin 2022, Rapport d’information fait au nom de la mission d’évaluation et de contrôle de la Sécurité sociale de la commission des affaires sociales sur l’unification du recouvrement social, p. 99.

[19] Ibid., p. 101.

[20] R.-P. Savary et C. Apourceau-Poly, Rapport Sénat n° 725, 21 juin 2022, préc., p. 70.

[21] La direction de la Sécurité sociale, représentant l’État, l’URSSAF et l’Agirc-Arrco, proposent aux éditeurs de logiciels, par le présent document, une charte de partenariat concrétisant leurs engagements mutuels et ceux des éditeurs de logiciels afin de garantir le succès de la réforme.

[22] K. Zarli-Meiffret Delsanto, La fraude en droit de la protection sociale, Thèse récompensée par le Prix de droit social de l’UIMMn Jury 2017, Presses Universitaires D’Aix-Marseille, 2018.

[23] PLFSS 2023, Annexe 9 Fiches d’évaluation préalable des articles du projet de loi, p. 23, « Article 6 – Modernisation du contrôle, du recouvrement social et du droit des cotisants » ; S. Rist; C. Janvier, P. Christophe, C. Isaac-Sibille, T. Bazin, Rapport Assemblée nationale n° 500, 17 novembre 2022, p. 25-27.

[24] Le directeur doit alors se prononcer après avis de la commission des pénalités ; Avis de la commission (sous un mois) qui propose le montant de la pénalité (si elle estime la personne responsable).

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Sociétés

[Jurisprudence] Le cadre légal relatif aux clauses statutaires d’exclusion au sein de la SAS est conforme à la Constitution

Réf. : Cons. const., décision n° 2022-1029 QPC, du 9 décembre 2022 N° Lexbase : A02288Y4

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par Bernard Saintourens, Professeur émérite de l’Université de Bordeaux

Le 04 Janvier 2023

Mots-clés : société par actions simplifiée • associé • exclusion • clause statutaire • cadre légal • conformité à la constitution (oui).

Le premier alinéa de l’article L. 227-16 du Code de commerce, en ce qu’il dispose que les statuts d’une SAS peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions, et le second alinéa de l’article L. 227-19 du même code, en ce qu’il retient que de telles clauses d’exclusion peuvent être adoptées ou modifiées par une décision prise collectivement par les associés selon les conditions et formes prévues par les statuts, sont conformes à la Constitution.


Les possibilités offertes, par le régime normatif applicable aux sociétés par actions simplifiées, d’insérer dans les statuts des clauses qui prévoient qu’un associé peut être tenu de céder les actions qu’il détient, participent certainement de l’attractivité de cette forme de société. Le caractère contraignant, voire brutal, pour l’associé qui serait ainsi visé par une décision d’exclusion, prise en application des telles clauses statutaires, pouvait toutefois être diversement apprécié et même conduire, le cas échéant, à faire hésiter certains investisseurs à s’intégrer dans cette structure sociétaire avec le risque de devoir la quitter contre leur gré.

C’est une étape importante, si ce n’est décisive, qui est franchie par la décision du Conseil constitutionnel, en date du 9 décembre 2022 [1]. Une question prioritaire de constitutionnalité a été transmise, le 12 octobre 2022, par la Cour de cassation [2] pour l’examen de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, et spécifiquement au regard des articles 2 N° Lexbase : L1366A9H et 17 N° Lexbase : L1364A9E de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789, du premier alinéa de l’article L. 227-16 du Code de commerce N° Lexbase : L6171AIE et du second alinéa de l’article L. 227-19 du même code N° Lexbase : L2386LRS. On rappellera que le premier texte visé dispose que « dans les conditions qu’ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions » et, qu’au regard de la rédaction du second, issue de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 N° Lexbase : L1638LR4, de telles clauses peuvent être adoptées ou modifiées par une décision prise collectivement par les associés « dans les conditions et formes prévues par les statuts », ce qui aboutit à ce que, l’unanimité pouvant être écartée, un associé se trouve exclu en application d’une clause à laquelle il n’a pas donné son consentement.

C’est en considération de l’atteinte, éventuelle, au droit de propriété, tel qu’il est garanti par les articles précités de la Déclaration de 1789, que les textes du Code de commerce sont soumis à l’appréciation du Conseil constitutionnel.

Par sa décision du 9 décembre 2022, le juge constitutionnel vient déclarer que les dispositions en cause sont « conformes à la Constitution », apportant ainsi, par l’autorité attachée à l’institution, un renfort significatif pour la permanence de l’usage du cadre législatif propre aux SAS à propos des clauses statutaires d’exclusion.

Pour aboutir à cette conclusion, le Conseil constitutionnel suit un cheminement en cinq étapes qui doivent être suivies pour tenter de mesurer la pertinence et la portée de sa décision. Il faut, en effet, relever que si les positions exprimées à propos de chacun des points soumis à son appréciation conduisent à la validation du dispositif relatif aux SAS, elles forment autant de conditions qui doivent être remplies, dans chaque société qui en ferait usage, pour pouvoir en invoquer le bénéfice.

I. La clause d’exclusion n’est pas « une privation de propriété »

La première étape suivie par le Conseil constitutionnel, dans son raisonnement devant le conduire à déclarer conformes à la Constitution les dispositions du Code de commerce en cause, apparaît comme la plus difficile à analyser. Le juge constitutionnel expose, d’abord, que ces dispositions « ont pour seul objet de permettre à une société par actions simplifiée d’exclure un associé en application d’une clause statutaire », ce qui relève de la simple constatation d’évidence. Ensuite, toujours sur le même registre de l’évidence, le Conseil constitutionnel relève qu’ « il en résulte qu’un associé peut être contraint de céder ses actions ». La conclusion qu’en tire le juge constitutionnel apparaît pour autant déroutante lorsqu’il retient que les dispositions visées n’entraînent pas « une privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789 ».

On rappellera que le libellé de ce texte proclame que la propriété est « un droit inviolable et sacré » et que « nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». Or, dans le cas de la mise en œuvre d’une clause d’exclusion, l’associé visé se trouve bien dépossédé de la propriété des actions qu’il détenait ; il en est effectivement « privé » ; il était propriétaire d’actions et, par l’effet de son exclusion, il ne le sera plus.

On regrettera que, sur un point aussi sensible, le juge constitutionnel se limite à faire usage de la conjonction de coordination « donc » qui, si elle peut être employée dans une démarche de démonstration, amenant la conséquence de ce qui précède, ne saurait se substituer aux arguments préalablement exposés et qui conduisent à la conclusion du raisonnement, annoncée par ladite conjonction. On se surprend à espérer que les étudiants des facultés de droit n’imiteront pas trop le Conseil constitutionnel quand il s’agira de développer une démonstration, en se contentant de recourir à un « donc », sans doute fort commode, mais un peu insuffisant pour emporter la conviction de la valeur de la position avancée. En l’espèce, eu égard au respect dû vis-à-vis de l’institution, on prendra comme acquis que les dispositions relatives aux clauses statutaires d’exclusion, applicables aux SAS, n’entraînent pas une privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789.

II. La clause d’exclusion poursuit un « objectif d’intérêt général »

Pour retenir que, par les dispositions visées, le législateur a poursuivi « un intérêt général », le Conseil constitutionnel retient plusieurs éléments d’appréciation.

En premier lieu, il est relevé qu’en permettant à une SAS de contraindre un associé à céder ses actions, « le législateur a entendu garantir la cohésion de son actionnariat et assurer ainsi la poursuite de son activité ». La remarque est certainement judicieuse au regard de l’usage qui est fait des clauses d’exclusion. Par ce moyen juridique, légalement validé, les associés peuvent imposer à l’un d’entre eux de quitter la société, permettant ainsi que, dans l’entre-soi des associés subsistants, la continuité de l’activité de la société puisse avoir lieu telle qu’elle leur convient, sans devoir subir la présence de l’associé qui, par ses prises de position et l’exercice des droits attachés à sa qualité, pouvait être perçu comme un gêneur.

En second lieu, le juge constitutionnel fait état de ce que, lors de l’adoption de la loi du 19 juillet 2019, qui a permis que l’adoption ou la modification d’une clause d’exclusion puisse être décidée sans recueillir l’unanimité des associés, le législateur a entendu éviter « des situations de blocage pouvant résulter de l’opposition de l’associé concerné à une telle clause ». Effectivement, la réforme de 2019 a bien été présentée, et adoptée, pour empêcher qu’un associé puisse faire obstacle, par son vote hostile à l’insertion de la clause dans les statuts, à ce qu’il soit lui-même, le cas échéant, visé par ladite clause. Le constat sur lequel se fonde le Conseil constitutionnel est avéré et ne semble guère pouvoir être contesté. On notera, toutefois, qu’en considérant que, ce faisant, le législateur a poursuivi un « objectif d’intérêt général », le juge constitutionnel retient une conception assez accueillante de l’intérêt général, puisque, selon les hypothèses, l’intérêt qui sera satisfait par une clause d’exclusion, adoptée sans exigence d’unanimité, pourrait bien être seulement celui d’un seul coassocié majoritaire qui, par l’insertion de la clause statutaire, va pouvoir se débarrasser de son associé. Dans la famille des intérêts préservés, on a sans doute vu plus « général », mais puisque le juge constitutionnel dit qu’il en est ainsi, on est tenu de le croire.  

III. La clause d’exclusion doit stipuler le motif invoqué

Sans doute ce troisième point invoqué par le Conseil constitutionnel est-il celui qui repose sur un argumentaire de droit des sociétés plus technique et, en définitive, plus sensible. La décision analysée fait état de ce qu’il résulterait « de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que la décision d’exclure un associé ne peut être prise qu’à la suite d’une procédure prévue par les statuts » et ajoute que cette décision « doit reposer sur un motif, stipulé par ces statuts, conforme à l’intérêt social et à l’ordre public, et ne pas être abusive ».

L’aspect tenant à l’exigence d’une précision contenue dans les statuts du motif susceptible d’être invoqué pour justifier la décision d’exclure un associé ne manquera pas de susciter des interrogations. En effet, par un arrêt en date du 9 novembre 2022 [3], la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient justement de juger qu’est licite une clause, figurant dans les statuts d’une SARL à capital variable, quand bien même cette clause ne précise pas les motifs d’exclusion. Sur ce point, le caractère constant de la position jurisprudentielle de la Haute juridiction, sur lequel le Conseil constitutionnel s’appuie, est douteux, tout au moins au regard de la généralité de la formulation.

Sans doute faut-il alors retenir que, pour le juge constitutionnel, le principe doit demeurer d’une identification préalable dans la clause statutaire des motifs susceptibles de justifier une décision d’exclusion et que la position adoptée, dans l’arrêt précité, ne constitue d’une exception admise pour les seules sociétés à capital variable. En toute hypothèse, en ce qui concerne les SAS, il ne sera désormais plus possible d’invoquer l’extension de la position adoptée pour les sociétés à capital variable, sauf à perdre le bénéfice de la conformité à la Constitution du cadre légal. Les statuts d’une SAS devront comporter les motifs d’exclusion qui pourront être repris pour valider une décision d’exclusion d’un associé. Les praticiens sont prévenus.

En relevant, en outre, que la décision d’exclusion d’un associé ne doit pas être « abusive », le Conseil constitutionnel renvoie vers la position traditionnelle de la Cour de cassation, initiée par un arrêt en date du 21 octobre 1997 [4], selon laquelle « il appartient aux tribunaux, quand ils en sont saisis, de vérifier que l’exclusion n’est pas abusive ». Pour le juge constitutionnel, il s’agit-là d’un point essentiel dans la démarche aboutissant à déclarer conforme à la Constitution les dispositions du Code de commerce soumises à son appréciation. Non seulement la cause invoquée doit avoir été prévue dans la clause statutaire, mais elle doit correspondre à la réalité des circonstances et ne pas masquer une autre raison d’exclusion. Le contrôle judiciaire d’un éventuel abus de droit dans la mise en œuvre d’une clause d’exclusion participe de son acceptabilité normative.  

IV. L’exclusion impose le rachat des actions

Le paramètre financier lié à l’exclusion d’un associé est logiquement pris en compte par le Conseil constitutionnel dans sa démarche visant à déclarer conforme à la Constitution le dispositif légal relatif aux clauses d’exclusion au sein des SAS.

Le juge constitutionnel se réfère opportunément à l’article L. 227-18 du Code de commerce N° Lexbase : L6173AIH qui est consacré à la détermination du prix auquel sera effectuée la cession forcée des actions détenues par l’associé exclu. Ce renvoi vers le cadre normatif établi pour la détermination du prix des actions est important en ce qu’il doit attirer l’attention des praticiens sur les options qu’il ouvre et la nécessité de prendre, à leur propos, les décisions les plus pertinentes.

On rappellera seulement ici la possibilité de fixer dans la clause statutaire relative à l’exclusion les éléments à partir desquels le prix des actions sera déterminé ainsi que la date à laquelle il conviendra de se placer pour effectuer l’évaluation. En cas de contestation, ces éléments s’imposeront à l’expert, désigné en application de l’article 1843-4 du Code civil N° Lexbase : L1737LRR, comme vient de le rappeler la Chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt en date du 9 novembre 2022 [5], à propos d’un retrait d’associé, mais dont la position est transposable à propos d’une exclusion compte tenu du renvoi identique à l’article 1843-4 du Code civil. Ce n’est qu’à défaut de précision de la clause statutaire sur la date à laquelle l’évaluation du prix doit être faite que l’expert sera tenu de se placer à la date à laquelle la société a procédé au remboursement des titres, selon la position retenue par la Chambre commerciale [6].

V. La décision d’exclusion peut être contestée devant le juge

En dernier lieu, la possibilité pour l’associé exclu de contester en justice la décision qui le vise, tant au regard du motif invoqué que du prix de rachat de ses titres, est retenue comme participant de la conformité à la Constitution des dispositions légales en cause.

En réalité, on ne voit pas comment il pourrait en être autrement. Tout associé, comme tout citoyen, a le droit de saisir le juge compétent pour qu’il soit statué sur le contentieux invoqué. Ce droit au juge doit, évidemment, trouver sa place à propos d’une décision d’exclusion dont un associé ferait l’objet et n’apparaît pas, dès lors, comme étant de nature à influer sur la validation du dispositif légal relatif aux clauses d’exclusion au sein des SAS. Sans doute, faut-il comprendre que le Conseil constitutionnel fait référence à la faculté pour l’associé de contester en justice la décision d’exclusion comme une sorte de filet de sécurité qui va permettre que l’exclusion soit examinée par un tribunal afin de vérifier qu’elle est bien mise en œuvre en conformité avec le cadre normatif spécifique aux SAS, mais, plus largement, au regard du droit commun.

En définitive, la décision rapportée vient enraciner plus solidement encore le droit spécial applicable aux SAS sur le terrain, sensible, des clauses statutaires permettant de procéder à l’exclusion d’un associé. Pour autant, si la conformité à la Constitution des dispositions légales sur ce point ne manquera pas d’être invoquée, en cas de contentieux, il ne faudra pas oublier que cette position est conditionnée par les éléments mis en avant par le Conseil constitutionnel pour la justifier. Si un seul point fait défaut, le paravent constitutionnel pourrait bien s’effondrer.  

 

[1] Cons. const., décision n° 2022-1029 QPC, du 9 décembre 2022 N° Lexbase : A02288Y4, P. Cathalo, Lexbase Affaires, octobre 2022, n° 739 N° Lexbase : N3605BZK.

[2] Cass. com., 12 octobre 2022, n° 22-40.013, FS-B, QPC N° Lexbase : A55188NP, P. Cathalo, Lexbase Affaires, octobre 2022, n° 732 N° Lexbase : N2952BZD.

[3] Cass. com., 9 novembre 2022, n° 21-10.540, FS-B N° Lexbase : A12918SM, B. Saintourens, Lexbase Affaires, novembre 2022, n° 736 N° Lexbase : N3343BZT.

[4] Cass. com., 21 octobre 1997, n° 95-13.891, publié N° Lexbase : A1823ACI, Rev. Sociétés, 1998, p. 99, note B. Saintourens.

[5] Cass. com., 9 novembre 2022, n° 20-20.830, F-B N° Lexbase : A12928SN.

[6] La première chambre civile retient, pour sa part, « le jour du retrait » : Cass. civ. 1, 30 octobre 2008, n° 07-19.459, F-D N° Lexbase : A0656EBW ; pour la troisième chambre civile, c’est la date « la plus proche du retrait » qui doit s’imposer à l’expert : Cass. civ. 3, 12 juin 2002, n° 00-22.505, inédit N° Lexbase : A9084AY4.

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