Lexbase Affaires n°346 du 11 juillet 2013

Lexbase Affaires - Édition n°346

Bancaire

[Jurisprudence] L'année bancaire en voie de disparition

Réf. : Cass. civ. 1, 19 juin 2013, n° 12-16.651, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2042KH4)

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par Alexandre Bordenave, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

Le 11 Juillet 2013

Louis XVI était, l'Histoire nous l'enseigne, un authentique féru d'horlogerie. On ne sait, en revanche, si cette passion royale pour la mesure de l'écoulement du temps contribua à attiser le délire naturo-laïciste des révolutionnaires qui substitua, en 1792, au calendrier grégorien le bien-mal nommé calendrier républicain. L'égarement sans-culottide fut, au moins en la matière, de courte durée puisque, sauf la tragique parenthèse de la commune de Paris, le modèle grégorien retrouva ses lettres de noblesse dès 1806. Pourtant, comme nous l'exposions dans une chronique déjà ancienne (1), demeure un enclos au sein duquel l'usage est de considérer l'année comme l'enfilade de douze mois de trente jours, soit 360 jours au total : la banque. On dit souvent de cette habitude qu'elle est d'origine lombarde ; toujours est-il qu'elle s'alliait fort bien à la logique révolutionnaire qui, dans un décret conventionnel du 8 décembre 1794, imposait que "l'intérêt annuel des capitaux [soit] compté pour et par trois cent soixante jours seulement" (2).
Cette manie vient, à nouveau, d'être condamnée par la Cour de cassation. Ainsi, par la voix de sa première chambre civile, a-t-elle jugé dans un arrêt du 19 juin 2013 que "le taux de l'intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l'acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doit, comme le taux effectif global, sous peine de se voir substituer l'intérêt légal, être calculé sur la base de l'année civile". En l'espèce, une banque avait octroyé à un particulier un crédit immobilier remboursable in fine dont les intérêts étaient conventionnellement calculés "sur la base d'une année de trois cent soixante jours (soit douze mois de trente jours)". L'emprunteur défaillant, le prêt fut remboursé par une caution solidaire qui exerça ensuite une action subrogatoire contre le débiteur principal. Devant les juges d'appel, ce dernier se défendit en arguant de la nullité de la stipulation d'intérêts faisant référence à une année de 360 jours. Il ne fut pas entendu et porta donc sa cause devant la Cour de cassation qui cassa l'arrêt d'appel et lui donna raison comme nous l'avons exposé précédemment.

Plus que le droit, c'est l'équité qui vient au secours de cette solution gauchement adossée aux textes applicables au taux effectif global (TEG). Son juste fondement aurait dû être les dispositions relatives aux clauses abusives (I), car l'appel à celles en matière de TEG est spécieux (II).

I - L'occasion manquée d'un recours à la qualification de clause abusive

Calculer l'intérêt sur une année de 360 jours n'est pas neutre financièrement : il ne s'agit pas que d'une modalité technique de simplification, mais bien d'un biais d'accroissement de la rémunération du banquier (A). Aussi, la législation sur les clauses abusives trouverait-elle naturellement à s'appliquer à des situations équivalentes à celle de l'espèce de l'arrêt du 19 juin 2013 (B).

A - A année plus courte, intérêts plus élevés

Quittons un temps codes et recueils de jurisprudence pour un simple exemple chiffré permettant de saisir en quoi la pratique de l'année lombarde est avantageuse pour les prêteurs de deniers. Imaginons un prêt de 26 062 013 euros, remboursable in fine, portant intérêt à 10 % l'an et consenti pour une durée de 266 jours :

- si l'année de référence est une année civile de 365 jours, le montant total des intérêts dus est de (26 062 013 x 10 % x 266) / 365, soit 1 899 313,82 euros ;

- si l'année de référence est une année de 360 jours uniquement, le montant total des intérêts dus est de (26 062 013 x 10% x 266) / 360, soit 1 925 693,18 euros.

Dans notre exemple, le simple fait de retenir une année composée de douze mois de trente jours augmente donc le chiffre d'affaires de la banque pour le seul prêt considéré d'environ 26 380 euros, au détriment direct de l'emprunteur. Dans une perspective d'équilibrage de la relation contractuelle entre les banques et leurs clients, il est donc inconcevable que le droit ignore cette situation.

B - La matrice bienveillante des clauses abusives

L'article L. 132-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6710IMH) dispose, en son alinéa 1er, que "dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat".

Compte tenu de ce que nous venons de présenter quant à l'effet négatif pour l'emprunteur d'une convention d'intérêts retenant une année de 360 jours, il paraît assez aisé de la faire entrer dans le champ des clauses incriminées par l'article L. 132-1 du Code de la consommation. D'ailleurs, sans aller jusqu'à se prononcer de la sorte, la Commission des clauses abusives penche dans cette direction puisqu'elle recommandait en 2005 d'éliminer "des conventions de compte de dépôt souscrites par des consommateurs ou non-professionnels les clauses ayant pour objet ou pour effet de permettre à l'établissement de crédit de calculer les intérêts sur une année de 360 jours sans que le consommateur soit mis à même d'en apprécier l'incidence financière" (3).

C'est de cette audace qu'on aurait apprécié voir se parer la première chambre civile de la Cour de cassation. Bien qu'il ne figure pas parmi les moyens soulevés par le pourvoi, ce chef de cassation aurait dû s'imposer par sa simplicité, sa généralité et son évidence étayée par le calcul qui a illustré nos propos. De par le passé, même récent (4), la Cour de cassation a su prendre des décisions fortes en qualifiant certaines clauses d'abusives : en ne le faisant pas à l'occasion de l'arrêt du 19 janvier 2013, s'agissant de l'année bancaire de 360 jours, elle vient de perdre une occasion de faire oeuvre utile de jurisprudence en opérant une banale substitution de motif.

En effet, ce n'est pas, hélas, de cet oeil que le vit la Haute juridiction : préférant coller au pourvoi, son arrêt est rendu sous un visa dont nous pensons qu'il est emprunt de maladresse.

II - La maladresse du recours aux dispositions relatives au taux effectif global

L'arrêt étudié est rendu sous un quadruple visa : d'une part, celui des articles L. 313-1 (N° Lexbase : L6649IM9), L. 313-2 (N° Lexbase : L1518HI3) et R. 313-1 (N° Lexbase : L3654IPZ) du Code de la consommation, tous relatifs au TEG et, d'autre part, celui de l'article 1907 du Code civil (N° Lexbase : L2132ABL) qui oblige à fixer par écrit le taux de l'intérêt conventionnel.

Ce visa évoque bien des arrêts rendus par le passé, ce qui n'assoit pourtant pas sa légitimité (A), et crée un ensemble disharmonieux avec le droit positif du TEG (B).

A - La faiblesse du fondement juridique de l'arrêt du 19 juin 2013

A ce stade, il est utile de procéder à une brève synthèse de l'état de la jurisprudence avant l'arrêt du 19 juin 2013 en retenant deux axes :

(i) Depuis un arrêt du 10 janvier 1995, donc aujourd'hui arrivé à sa majorité, est imposé un calcul du TEG sur l'année civile. Rien de plus logique à cela ; le TEG remplit deux fonctions : l'information et la comparaison (en particulier, au taux de l'usure) et il est donc indispensable qu'il soit calculé sur la base claire et incontestable que constitue l'année civile.

(ii)Un arrêt du 24 mars 2009, à propos duquel nous avions écrit (5), avait précisé que "si le TEG doit être calculé sur la base de l'année civile, rien n'interdit aux parties de convenir d'un taux d'intérêt conventionnel calculé sur une autre base".

On se souvient que la décision précitée du 10 janvier 1995 avait suscité un débat doctrinal où se confrontaient les avis de ceux pensant qu'il limitait l'exigence de la référence à l'année calendaire au seul TEG, comme Monsieur Auckenthaler (6), et ceux avançant que la solution devait aussi s'appliquer au taux d'intérêt conventionnel, à l'image de Messieurs les Professeurs Gavalda et Stoufflet (7) à qui l'arrêt du 19 juin 2013 donne donc raison. Quant à l'arrêt du 24 mars 2009, il convient de le relire ex post comme limité aux seuls emprunteurs professionnels puisque le revirement partiel qu'opère l'arrêt commenté est circonscrit aux seuls consommateurs et non-professionnels.

Ce faisant, la première chambre civile peine à nous convaincre au nom d'un argument de texte basique : ni les articles L. 313-1, L. 313-2 et R. 313-1 du Code de la consommation, ni l'article 1907 du Code civil ne disposent qu'il est obligatoire de stipuler un intérêt calculé sur 365 jours. Le principe de liberté contractuelle commanderait d'ailleurs le contraire, avec le bémol des clauses abusives que nous mentionnions précédemment. Nous nous permettons donc, tout en marquant notre approbation quant à la solution retenue, de voir dans le visa de l'arrêt du 19 juin 2013 un fondement juridique plutôt faible.

B - La disharmonie avec les règles relatives au taux effectif global

Cette faiblesse vire franchement à la maladresse dès lors que l'on met cette décision en perspective avec les dispositions applicables en matière de TEG. Car il y a quelque incohérence à réserver le bénéfice de la solution aux seuls consommateurs et non-professionnels tout en se fondant sur les règles relatives au TEG dont la Cour de cassation n'a de cesse de répéter qu'elles s'appliquent également aux professionnels (8).

Si le fondement de l'interdiction professée par l'arrêt du 19 juin 2013 réside dans la législation applicable au TEG et que le TEG concerne aussi bien les emprunteurs professionnels que non-professionnels, alors nous ne voyons pas bien pourquoi la Cour de cassation a limité sa prohibition du référentiel de l'année bancaire aux seuls consommateurs et non-professionnels. Si la Cour de cassation voulait opérer cette distinction, elle aurait dû le faire sur la base du dispositif concernant les clauses abusives qui ne s'applique qu'aux consommateurs et non-professionnels et qui est destiné à traiter des situations de déséquilibre telle que celle naissant d'une stipulation d'intérêts avec une année de 360 jours.

Ou alors, pour finir sur une note taquine, osons nous demander s'il ne faut pas déceler dans l'arrêt du 19 juin 2013 une intention de la Cour de cassation de ne plus appliquer le TEG dans les prêts aux professionnels. Voilà qui serait un vrai progrès juridique, car nous sommes d'avis que le TEG n'a aucun objet dans un prêt fait à un emprunteur professionnel, à même de comprendre par ses propres moyens le coût de son endettement et ne bénéficiant presque plus de la protection contre les taux usuraires. Plus sérieusement, ce n'est vraisemblablement pas ce qu'avaient en tête les magistrats de cassation, mais il nous paraît pertinent de souligner combien frapper du sceau du TEG une décision sans rapport direct avec le sujet est un procédé douteux aux effets incertains.

Contrairement à d'autres (9), comme nous l'évoquions précédemment, nous croyons que, l'arrêt du 19 juin 2013 rendu, celui du 24 mars 2009 a fait son temps, au moins en partie. Il nous paraît donc avoir ici un revirement partiel : la capacité des parties à stipuler clairement un calcul d'intérêts sur une année de 360 jours est désormais réduite aux seuls emprunteurs professionnels. Restent, par ailleurs, les principes, acquis depuis un certain temps déjà, qui veulent que, à défaut de précision contractuelle, l'année retenue pour le calcul du taux conventionnel ne peut être que l'année civile (10) et que le TEG ne peut être calculé que sur la base de cette dernière (11).

Concluons sur notre satisfaction de voir que, toute pataude qu'elle soit, la décision qui nous a retenus aboutit à ce que l'année de 360 jours ne soit presque plus. Certes, on eût préféré que ce fut sur une base juridique plus solide pour accompagner cet abandon par la France, tel un fils prodigue, de quelques souvenirs rappelant indirectement des années sombres de son histoire, celles-là où elle revécut dans sa chair le martyre d'Etienne (12).


(1) Nos obs., Les distorsions du temps bancaire, Lexbase Hebdo n° 348 du 30 avril 2009 - édition privée (N° Lexbase : N0465BKG).
(2) Cf. Recueil général des lois, décrets, ordonnances, etc. depuis le mois de juin 1789 jusqu'au mois d'août 1830, annoté par M. Lepec, 1839, t. 5, p. 414.
(3) Commission des clauses abusives, recommandation n° 05-02 du 14 avril 2005, relative aux conventions de compte de dépôt (BOCCRF du 20 septembre 2005).
(4) En matière bancaire, Cass. civ. 1, 23 janvier 2013, n° 10-28.397, FS-D (N° Lexbase : A8772I3B).
(5) Cass. com., 24 mars 2009, n° 08-12.530, FS-P+B (N° Lexbase : A2120EEA) et nos obs., préc. note 1. Voir également, RDBF, 2009, comm. 116, obs. F. Credot et Th. Ssamin ; Banque et Droit, mai-juin 2009, p. 22, obs. Th. Bonneau.
(6) JCP éd. G., 1995, II, 22475.
(7) JCP éd. E., 1995, I, 465, n° 13.
(8) Par ex., Cass. com., 5 octobre 2004, n° 01-12.435, FS-P+B (N° Lexbase : A5566DDI), RTDCom., 2005, p. 153, note D. Legeais.
(9) V. Avena-Robardet, Le taux conventionnel ne peut être calculé sur la base de 360 jours. Revirement ?, D., Actualités, 1er juillet 2013.
(10) Cass. com. 17 janvier 2006, n° 04-11.100, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A5342DMS), Bull. civ. IV, n° 11 ; RTDCom., 2006, 460, obs. D. Legeais.
(11) Cass. civ. 1, 5 octobre 2004, op. cit.
(12) Ce très modeste article est dédié à celui qui en est le commencement et la fin, Louis-Etienne, né le 26 juin 2013, pour le plus grand bonheur de ses parents.

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Bancaire

[Brèves] Sur le caractère excessif d'une indemnité due en cas de résiliation pour inexécution d'un crédit-bail

Réf. : CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 25 juin 2013, n° 12/07204 (N° Lexbase : A3288KHA)

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N7982BTS

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Le 11 Juillet 2013

Constitue une clause pénale, l'indemnité due en cas de résiliation pour inexécution d'un crédit-bail et correspondant à la totalité des loyers à échoir au jour de la résiliation du contrat majorés d'une pénalité de 10 % et de la valeur résiduelle du matériel, sous déduction du prix de revente de celui-ci, qui est stipulée, à la fois, pour contraindre le locataire à l'exécution du contrat et comme l'évaluation conventionnelle forfaitaire du préjudice subi par le bailleur du fait de l'interruption des paiements prévus. Tel est le sens d'un arrêt rendu le 25 juin 2013 par la cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 25 juin 2013, n° 12/07204 N° Lexbase : A3288KHA). En l'espèce, le contrat portait sur un matériel acquis pour 85 700 euros HT, conclu le 27 avril 2009. Il prévoyait, d'une part, le paiement de 60 loyers mensuels de 1 526,32 euros HT et 12 loyers de 664,77 euros HT qui ont été réglés jusqu'en janvier 2011, et , d'autre part, une valeur résiduelle de 857 euros. Le matériel a été revendu pour le prix de 14 500 euros. Au regard de ces éléments, l'indemnité réclamée à hauteur de 88 809,98 euros est manifestement excessive eu égard au préjudice réellement subi par le bailleur et les premiers juges l'ont justement réduite à 52 000 euros (cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E9511AS3).

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Baux commerciaux

[Brèves] Sur l'application dans le temps des dispositions de la "LME" relatives au délai de préavis et à la date d'effet du congé

Réf. : Cass. civ. 3, 3 juillet 2013, n° 12-21.541, FS-P+B (N° Lexbase : A5503KIN)

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N7990BT4

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Le 12 Juillet 2013

Les effets légaux d'un contrat étant régis par la loi en vigueur à la date où ils se produisent, l'article L. 145-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L5736ISA), dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (dite "LME" ; N° Lexbase : L7358IAR), est applicable aux congés délivrés postérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi, même si le bail a été conclu antérieurement. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation du 3 juillet 2013 (Cass. civ. 3, 3 juillet 2013, n° 12-21.541, FS-P+B N° Lexbase : A5503KIN). En l'espèce, le propriétaire d'un local commercial donné à bail avait délivré au preneur après la date d'expiration, le 30 mars 2009 pour le 30 septembre 2009, un congé pour motif grave et légitime avec refus de renouvellement sans offre d'une indemnité d'éviction. Le preneur l'a assigné en annulation du congé et en constatation de la poursuite du bail. Les juges du fond ayant déclaré le congé valable, le preneur s'est pourvu en cassation, soutenant que le congé n'était pas conforme aux dispositions de l'article L. 145-9 du Code de commerce dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la "LME" du 4 août 2008. La Cour de cassation rejette cependant le pourvoi en énonçant que les effets légaux d'un contrat sont régis par la loi en vigueur à la date où ils se produisent. Elle approuve en conséquence les juges du fond qui ont retenu que la loi du 4 août 2008, modifiant l'article L. 145-9 du Code de commerce et imposant de délivrer congé pour le dernier jour du trimestre civil et au moins six mois à l'avance, était applicable aux contrats en cours. Le congé donné le 30 mars 2009 pour le 30 septembre 2009 était donc valable (cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E9332AED).

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Baux commerciaux

[Brèves] Sur les conséquences de l'erreur affectant la date d'effet du congé du preneur

Réf. : Cass. civ. 3, 3 juillet 2013, n° 12-17.914, FS-P+B (N° Lexbase : A5549KID)

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N7991BT7

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Le 16 Juillet 2013

L'erreur commise par le preneur sur la date à laquelle son congé devait produire effet n'affecte pas l'efficacité du congé donné, sans équivoque, en fin de période triennale au moins six mois à l'avance. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation du 3 juillet 2013 (Cass. civ. 3, 3 juillet 2013, n° 12-17.914, FS-P+B N° Lexbase : A5549KID). En l'espèce, un bail commercial avait pris effet le 1er mars 1998 et avait été renouvelé le 1er mars 2007. Par acte extrajudiciaire, le preneur avait donné congé au bailleur le 31 août 2009 pour le 31 mars 2010. Le bailleur avait contesté le congé en estimant qu'il n'avait pas satisfait aux exigences de l'article L. 145-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L2243IBP). Le bailleur soutenait que le congé avait été délivré pour une date différente de celle prévue pour l'échéance du bail, soit le 28 février 2010. Selon le bailleur, le congé ne pouvait donc prendre effet qu'à l'expiration de la période triennale suivante, soit le 28 février 2013. La cour d'appel ayant constaté la validité formelle du congé a estimé que le congé traduisait la volonté non-équivoque du preneur de mettre fin au bail à l'expiration de la première période triennale. L'erreur commise pas le preneur quant à la date d'effet du congé, donné six mois à l'avance, ne privait donc pas d'efficacité ledit congé. La Cour de cassation approuve cette solution (cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E8606AEH)

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Baux commerciaux

[Brèves] Sur la notification du mémoire préalable en présence de propriétaires indivis

Réf. : Cass. civ. 3, 3 juillet 2013, n° 12-13.780, FS-P+B (N° Lexbase : A5521KIC)

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N7989BT3

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Le 11 Juillet 2013

La notification du mémoire préalable aux bailleurs par une même lettre n'est pas régulière dès lors qu'elle n'a pas été effectuée à chacun d'entre eux. Tel est l'enseignement d'un arrêt du 3 juillet 2013 (Cass. civ. 3, 3 juillet 2013, n° 12-13.780, FS-P+B N° Lexbase : A5521KIC). En l'espèce, le locataire de locaux à usage commercial appartenant à M. et Mme S. avait, par acte d'huissier de justice du 30 mars 2009, notifié à chacun d'eux une demande de révision du loyer fondée sur les dispositions de l'article L. 145-39 du Code de commerce (N° Lexbase : L5767AIG). Par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 avril 2009, adressée à "monsieur et madame S.", le preneur avait notifié son mémoire en révision du loyer, puis avait saisi à cette fin le juge des loyers commerciaux. Les juges du fond ont déclaré la demande recevable au motif que la preuve de la connaissance du mémoire par chacun des époux est établie par la lettre de leur conseil en date du 26 mai 2009, que la première assignation du 7 juillet 2009 démontre que la réception du mémoire est antérieure de plus d'un mois à la date d'assignation du 9 octobre 2009 et que la signification du mémoire préalable par la même lettre aux deux époux n'est pas constitutive d'une nullité de fond. Les bailleurs se sont pourvus en cassation, estimant que la notification du mémoire n'était pas régulière. La procédure en fixation du loyer en renouvellement est une procédure sur mémoire (C. com., art. R. 145-23 N° Lexbase : L0053HZY). Le juge ne peut, à peine d'irrecevabilité, être saisi avant l'expiration d'un délai d'un mois suivant la réception par son destinataire du premier mémoire établi (C. com., art. R. 145-27 N° Lexbase : L0057HZ7). Ces mémoires sont notifiés par chacune des parties à l'autre, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (C. com., art. R. 145-26 N° Lexbase : L0056HZ4). La Cour de cassation, censurant les juges du fond, a estimé que l'action des preneurs était irrecevable, à défaut de notification du mémoire à chacun des bailleurs. La notification du mémoire effectuée à "monsieur et madame S." a donc été jugée irrégulière par la Cour de cassation. Chacun des bailleurs aurait dû, séparément, être destinataire de la notification du mémoire (cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E4762AE4).

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Baux commerciaux

[Brèves] Sur l'absence d'obligation du bailleur d'assurer la jouissance paisible et le maintien de l'environnement commercial

Réf. : Cass. civ. 3, 3 juillet 2013, n° 12-18.099, FS-P+B (N° Lexbase : A5596KI4)

Lecture: 1 min

N8012BTW

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Le 11 Juillet 2013

Il n'existe pas d'obligation légale pour le bailleur d'un local situé dans un centre commercial ou une galerie commerciale d'assurer le maintien de l'environnement commercial. Tel est l'enseignement d'un arrêt du 3 juillet 2013 (Cass. civ. 3, 3 juillet 2013, n° 12-18.099, FS-P+B N° Lexbase : A5596KI4). En l'espèce, la société A., preneur à bail d'un ensemble immobilier avait sous-loué une partie de ces locaux le 7 octobre 1997 à la société T. En décembre 2008, la société A. avait décidé de fermer la partie des locaux qu'elle exploitait et qui étaient contigus au local sous-loué. La société T. l'a alors assignée en résiliation du sous-bail à ses torts et en paiement de dommages et intérêts. En cours d'instance les parties se sont accordées pour résilier amiablement le bail au 15 juillet 2009. La société T., néanmoins, avait souhaité bénéficier d'une indemnité au titre des conséquences de l'abandon déloyal du centre commercial de la société A. sur la commercialité des lieux. Les juges du fond ont rejeté les demandes de la société T. au motif qu'il n'existait pas d'obligation légale pour le bailleur d'assurer le maintien de l'environnement commercial et que le contrat de sous-location prévoyait uniquement la mise à disposition du local, qu'il n'existait donc aucune obligation pour la société A. de maintenir son activité durant la sous-location. La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société T., la cour d'appel ayant exactement retenu qu'il n'existait aucune obligation légale pour le bailleur d'un local situé dans un centre commercial ou une galerie d'assurer le maintien de l'environnement commercial et qu'à défaut de stipulation particulière, le bailleur, ainsi qu'il résultait des stipulations relatives aux modalités d'exploitation, s'était engagé uniquement à mettre à disposition les locaux visés au bail. La société A. n'avait donc pas commis de faute en quittant les lieux avant le terme du contrat de sous-location (cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E4006AGH).

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Baux commerciaux

[Brèves] Renonciation du preneur à se prévaloir de la fixation du bail renouvelé à la valeur locative : nécessité d'un accord clair et précis des parties sur le montant du loyer

Réf. : CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 26 juin 2013, n° 09/24268 (N° Lexbase : A9100KHI)

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N7981BTR

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Le 11 Juillet 2013

S'il est loisible aux parties de fixer amiablement par avance le montant du loyer du bail renouvelé, c'est à la condition que cet accord résulte de la volonté exprimée par les deux parties soit qu'elle résulte d'une disposition expresse et précise soit qu'elle s'interprète au regard des dispositions convenues entre-elles. Le fait pour les parties d'avoir convenu en cours de bail de nouvelles modalités de fixation du prix du loyer en prévoyant que le loyer pour partie variable deviendra entièrement fixe, et que, en cas de renouvellement, les dispositions ainsi stipulées seront intégrées automatiquement dans le nouveau bail, ne saurait s'entendre comme un accord des parties sur le prix du bail renouvelé, à défaut de stipulation précise et de tout autre élément permettant de retenir un accord de volontés des parties sur ce point. Le fait d'interdire au bailleur de se prévaloir des dispositions intégrées dans le bail comme motif de déplafonnement lors du renouvellement traduit, au contraire, l'absence de tout accord des parties sur le prix du loyer en cas de renouvellement. Ainsi l'accord des parties ne contient aucune disposition permettant de présumer une quelconque renonciation du preneur à se prévaloir lors du renouvellement des dispositions de l'article L. 145-33 du Code de commerce (N° Lexbase : L5761AI9) suivant lesquelles le loyer du bail renouvelé doit correspondre à la valeur locative d'autant qu'en acceptant de renoncer au loyer pour partie variable, les parties ont convenu de se soumettre aux dispositions du statut des baux commerciaux pour ce qui est notamment de la fixation du loyer de renouvellement. Le fait que la locataire ait réglé postérieurement à l'expiration du bail le loyer annuel correspondant au loyer indexé ne saurait davantage s'analyser comme une renonciation implicite à voir fixer le prix du loyer à la valeur locative, alors qu'elle était tenue, à défaut de fixation provisionnelle, de continuer à payer le loyer au prix ancien et que la renonciation à un droit ne se présume pas. La circonstance enfin que cet accord ait été signé à une date proche du renouvellement est au surplus indifférente. Il s'ensuit qu'en ce qu'il a dit que le preneur était mal fondé à solliciter la fixation judiciaire du loyer, le jugement de première instance doit être infirmé. Tel est le sens d'un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 26 juin 2013 (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 26 juin 2013, n° 09/24268 N° Lexbase : A9100KHI ; cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E5359A8Y).

newsid:437981

Commercial

[Brèves] "Tapis rouge versus tapis vert" : quand se placer dans le sillage du festival de Cannes constitue un acte de parasitisme

Réf. : TGI Paris, 3ème ch., 7 juin 2013, n° 11/07892 (N° Lexbase : A5815KHT)

Lecture: 2 min

N7979BTP

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versus tapis vert" : quand se placer dans le sillage du festival de Cannes constitue un acte de parasitisme - ">

Le 11 Juillet 2013

Constitue un acte de parasitisme, le fait pour un site de poker d'organiser un tournoi de poker avec des frais d'inscription ayant pour thème "Tapis rouge au Festival de Cannes", pour lequel les gains étaient composés d'un séjour à Cannes pendant le Festival comprenant une "montée des marches" et une "projection d'un film officiel en compétition", alors que ce site n'a pas obtenu les accréditations délivrées par l'association qui organise ledit festival et nécessaires pour y avoir accès. Telle est la solution retenue par le TGI de Paris dans un jugement du 7 juin 2013 (TGI Paris, 3ème ch., 7 juin 2013, n° 11/07892 N° Lexbase : A5815KHT). Le tribunal relève en effet que l'association qui organise chaque année le festival de Cannes met en oeuvre des moyens tant financiers qu'humains très importants pour en faire une manifestation mondialement connue et bénéficiant d'une aura particulière dans le monde du cinéma et auprès du grand public. Pour préserver le caractère unique de la manifestation, l'accès à la montée des marches du Palais des Festival et aux projections officielles qui y font suite est exclusivement réservé aux personnes qu'elle a habilitées à y assister, et qu'il n'est pas possible d'acheter des places pour y participer. Les billets d'accès indiquent qu'ils sont strictement personnels et incessibles. Or, la communication du site de poker en ligne autour de ce tournoi était essentiellement basée sur la possibilité pour le gagnant de se rendre au festival de Cannes, et d'assister à cette manifestation à une place privilégiée, puisqu'il était indiqué qu'il aurait "la chance de monter les marches parmi les stars et d'assister à la projection d'un film en compétition officielle pour la Palme d'or". Ce faisant, ce site a tiré profit, pour promouvoir son tournoi, de la notoriété du festival ainsi que de son caractère exclusif et exceptionnel en faisant une manifestation glamour fréquentée chaque année par des personnalités du monde entier. La perspective de participer à un tel événement normalement inaccessible étant bien évidemment attractive pour le joueur de poker, elle est de nature à augmenter le nombre de participants payants au tournoi organisé et donc les gains du site internet. De cela les juges déduisent que le site de poker a tiré indûment profit des investissements réalisés par l'association pour l'organisation du festival de Cannes, ce qui caractérise un comportement parasitaire engageant sa responsabilité civile délictuelle, le fait que le site internet bénéficie de sa propre notoriété ne retirant rien à son comportement parasitaire.

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Concurrence

[Chronique] Chronique de droit de la concurrence et de la distribution - Juillet 2013

Lecture: 12 min

N7953BTQ

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par Pauline Le More, avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat

Le 18 Juillet 2013

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit de la concurrence et de la distribution, animée par Maître Pauline Le More, avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat. L'auteur commente, tout d'abord, les dispositions issues de la proposition de Directive, adoptée le 11 juin 2013 par la Commission européenne, visant à faciliter l'introduction d'actions en dommages et intérêts par les victimes de pratiques anticoncurrentielles. Une attention particulière est également portée à l'actualité jurisprudentielle puisque Maître Le More a sélectionné deux décisions importantes : la première, rendue le 24 juin 2013 par le Conseil d'Etat, a trait aux sanctions administratives pour défaut de notification d'une opération de concentration (CE 9° et 10° s-s-r., 24 juin 2013, n° 360949, publié au recueil Lebon) ; la seconde, rendue le 11 juin 2013 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, constitue le dernier épisode en date de l'affaire dite des "Parfums" en matière d'entente verticale sur les prix (Cass. com., 11 juin 2013, n° 12-13.961, FS-P+B).
  • Proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit interne pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des Etats membres et de l'Union européenne, adoptée le 11 juin 2013 par la Commission européenne

Le 11 juin 2013, la Commission européenne a adopté la proposition de Directive visant à promouvoir les actions en réparation, intentées par les personnes physiques ou morales et fondées sur une infraction des règles de concurrence nationale et communautaire.

Dans l'Union européenne, et malgré les études et travaux entrepris (cf., par ex., Parlement européen, (2012), 475-120, Etude Collective Redress in Antitrust, IP/A/ECON/ST/2011-19 ; Commission européenne, Projet de document d'orientation - La quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l'article 101 ou 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, juin 2011), le contentieux indemnitaire des pratiques anticoncurrentielles demeure peu développé.

Au niveau communautaire, seuls 25 % de l'ensemble des décisions constatant une infraction aux règles communautaires de concurrence, à savoir les ententes et abus de position dominante, dans le cadre de décisions intervenues les sept dernières années, donnent lieu à des actions en dommages et intérêts initiées par les victimes desdites pratiques (consommateurs finaux ou partenaires commerciaux), selon le communiqué de presse de la Commission (Commissions européenne, communiqué IP/13/525 du 11 juin 2013), qui se garde bien de faire état de leurs résultats effectifs... Le bilan français ne semble pas beaucoup plus brillant (voir par ex., M. Chagny, Le contentieux indemnitaire des pratiques anticoncurrentielles devant la Cour de cassation : en attendant les initiatives européennes ?, Comm. com. électr., 2010, comm. 122), même si les études chiffrées et exhaustives à ce sujet manquent. Les règlements amiables ne sont certes pas pris en compte dans ces données chiffrées. Pour autant, il existe depuis plusieurs années un consensus sur le caractère "sous-développé" de ce contentieux aux niveaux national et communautaire.

La proposition de Directive tente de palier ces difficultés en interpellant tant les juridictions nationales que les autorités nationales de concurrence, et en encourageant la mise en oeuvre de règles procédurales, et ce pour faciliter la mise en oeuvre effective de telles actions.

Sont ainsi, notamment, préconisés :

- l'instauration d'un pouvoir d'injonction des juridictions nationales pour obtenir auprès des entreprises la communication des éléments de preuve permettant aux victimes des infractions de faire valoir leur droit à réparation. Or, en France du moins, la circulation des pièces détenues par l'Autorité de la concurrence est régie par l'article L. 462-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L4964IUE), issu de la loi du 20 novembre 2012 (loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 , relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer N° Lexbase : L4861IUL, JORF du 21 novembre 2012). L'Autorité de la concurrence exclut toute transmission aux juridictions de pièces élaborées ou recueillies dans le cadre d'une procédure de clémence, visée aux articles L. 464-2, IV N° Lexbase : L4967IUI et R. 464-5 (N° Lexbase : L8657IBA) du Code de commerce et détient un pouvoir discrétionnaire pour accorder la divulgation de ces pièces dans les autres types de procédure. Il convient de noter que la proposition de Directive prévoit également des limites à la divulgation en cas de procédure de clémence ou de transaction (article 6) ;

- que les décisions des autorités de concurrence nationale constatant une infraction prouvent automatiquement l'existence de l'infraction devant les juridictions nationales de tous les Etats membres, et ce afin de faciliter la charge de la preuve de la faute incombant aux demandeurs à l'action. Or là encore en France, à la différence d'autres Etats membres, tels que l'Allemagne ou la Suède, les juridictions françaises ne sont pas liées par les décisions d'autorités de concurrence étrangères ou par les propres décisions de l'Autorité de la concurrence française. Les décisions de l'autorité de concurrence française ou étrangère (à l'exception de celles de la Commission européenne) ne constituent, en effet, pour le juge national français, que de simples éléments parmi d'autres à prendre en considération.

D'autres corpus de règles sont également visés par la proposition de Directive. Ils concernent les délais de prescription, les règles en matière de responsabilité en cas de répercutions des prix causés par l'infraction anticoncurrentielle, ainsi que le règlement consensuel des litiges. Le calendrier du processus législatif européen demeure encore inconnu.

Le même jour, était diffusée la communication de la Commission relative à la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur les infractions à l'article 101 (N° Lexbase : L2398IPI) ou 102 (N° Lexbase : L2399IPK) TFUE (2013/C JOUE167/07 du 13 juin 2013).

Peut-être ces initiatives européennes donneront-elles d'ores et déjà une nouvelle impulsion aux actions judiciaires menées par les victimes d'infractions de concurrence et actuellement pendantes devant les juridictions françaises ?

  • Défaut de notification d'une opération de concentration : la régularité des sanctions pécuniaires infligées par l'Autorité de la concurrence (CE 9° et 10° s-s-r., 24 juin 2013, n° 360949, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2160KHH)

L'article L. 430-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L2090ICE) impose aux personnes physiques et morales acquérant le contrôle de tout ou partie d'une entreprise de notifier l'opération à l'Autorité de la concurrence. Les opérations sujettes à cette obligation sont définies à l'article L. 430-1 du même code (N° Lexbase : L6589AIU), aux termes duquel "I. - Une opération de concentration est réalisée :
1° Lorsque deux ou plusieurs entreprises antérieurement indépendantes fusionnent ;
2° Lorsqu'une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins ou lorsqu'une ou plusieurs entreprises acquièrent, directement ou indirectement, que ce soit par prise de participation au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou plusieurs autres entreprises
".

A défaut de notification, l'Autorité de la concurrence peut enjoindre les parties défaillantes sous astreinte de notifier l'opération, à moins de revenir à l'état antérieur à la concentration (C. com., art. L. 430-8, I, al. 1er N° Lexbase : L2125ICP). Selon l'alinéa 2 du même article, "en outre, l'autorité peut infliger aux personnes auxquelles incombait la charge de la notification une sanction pécuniaire dont le montant maximum s'élève, pour les personnes morales, à 5 % de leur chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France lors du dernier exercice clos, augmenté, le cas échéant, de celui qu'a réalisé en France durant la même période la partie acquise et, pour les personnes physiques, à 1,5 million d'euros". La notification incombe à l'entreprise qui acquiert le contrôle et, en cas de fusion ou de contrôle commun, à toutes les parties. Elle doit, en principe, être effectuée avant la réalisation effective de l'opération de concentration sauf en cas de nécessité particulière motivée.

En l'espèce, à la suite d'un audit interne mené par la filiale à 100 % de la société belge Etablissements Fr. Colruyt, la société Colruyt France, exploitant des supermarchés dans le quart nord-est de la France, s'est rendue compte que trois opérations d'acquisition du groupe Colruyt n'avaient pas été notifiées à l'Autorité de la concurrence française, alors qu'elles auraient dues l'être aux termes des articles L. 430-1 et suivants du Code de commerce.

Après que l'Autorité de la concurrence se soit saisie d'office le 6 mai 2011 sur le fondement de l'article L. 462-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L4970IUM) de ce défaut de notification des trois opérations, les deux sociétés du groupe Colruyt ont officiellement notifié ces opérations près d'un mois plus tard, soit le 10 juin 2011. Par décisions des 28 novembre 2011, 20 décembre 2011 et 6 février 2012, l'Autorité de la concurrence a autorisé sans conditions particulières ces trois opérations. Ces décisions sont, à défaut de recours, devenues définitives. (Aut. conc., décision n° 11-DCC-172 du 28 novembre 2011 N° Lexbase : X1583AKT ; Aut. conc., décision n° 11-DCC-198 du 20 décembre 2011 N° Lexbase : X1625AKE ; Aut. conc., décision n° 12-DCC-11 du 6 février 2012 N° Lexbase : X1768AKP).

La procédure administrative pour défaut de notification avant la réalisation des opérations suivait néanmoins parallèlement son cours. Par décision du 11 mai 2012, l'Autorité de la concurrence (Aut. conc., décision n° 12-D12, 11 mai 2012 N° Lexbase : X2478AKY) infligeait une amende de 392 000 euros à la société mère, Ets. Fr. Colruyt en raison du défaut de notification de la prise de contrôle exclusif de la société UCGA Unifrais et de ses filiales le 30 avril 2009. Elle ne sanctionnait pas, en revanche, le défaut de notification de l'acquisition en date du 31 mars 2003 de la société Etablissements Jean Didier et Cie SA, d'une part, et de l'acquisition en date du 30 juin 2004 de huit sociétés constituant le groupe Mallet, d'autre part, en raison de la prescription quinquennale des faits conformément à l'article L. 462-7, I du Code de commerce (N° Lexbase : L4976IUT).

Ce type de décisions de sanctions, qui relevait antérieurement de la compétence du ministre de l'Economie, n'est pas nouveau (cf. arrêté du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, relatif à l'absence de notification d'une concentration consistant en la prise de contrôle de certains actifs de la société Arcadie Centre Est par le Groupe Bigard, BOCCRF, n° 7 bis, 25 septembre 2008 ; arrêté du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, relatif à l'absence de notification d'une concentration consistant en la prise de relatif à l'absence de notification d'une concentration consistant en la prise de contrôle de Novatrans par SNCF Participations, BOCCRF n° 2 bis, 28 février 2008 ; lettre de sanction du ministre de l'Economie et de l'Industrie, relatif à l'absence de notification d'une concentration consistant en la prise de 8 décembre 2007, à Monsieur le Président de la société Pan Fish, relative à une concentration dans le secteur du saumon, BOCCRF n° 1 bis, 25 janvier 2007). Plus récemment, par décision du 1er février 2013, l'Autorité de la concurrence sanctionnait l'association sommitale Réunica à hauteur de 400 000 euros en raison de l'absence de notification de la fusion entre les groupes Reunica et Arpège, actifs dans le secteur des prestations sociales complémentaires (Aut. conc., décision n° 13-D-01 du 31 janvier 2013 N° Lexbase : X1795AMG).

Dans l'affaire Colruyt, les entreprises ont saisi le Conseil d'Etat d'un recours. Les arguments des entreprises du groupe Colruyt se fondaient essentiellement sur les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'Autorité de la concurrence aurait manqué d'impartialité prônée par l'article 6 de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR) en s'auto-saisissant, d'une part. Les dispositions de l'article L. 430-8 du Code de commerce contreviendraient au principe de légalité des délits et des peines, prévu à l'article 7 de la Convention (N° Lexbase : L4797AQQ), d'autre part. Enfin, à titre subsidiaire, les requérants contestaient le caractère proportionné de l'amende infligée.

Le Conseil d'Etat rejette l'ensemble de ces moyens.

Il balaye le reproche classiquement fait à l'Autorité contre le manque de séparation organique entre les services de l'instruction et décisionnaires. Selon les Conseil d'Etat, "les conditions dans lesquelles l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office" et "la circonstance que l'acte par lequel elle s'est saisie d'office a été adopté par le président et trois des vice-présidents membres du collège, qui ont ensuite participé au délibéré de la décision de sanction du 11 mai 2012, ne peuvent être regardées comme ayant porté atteinte au principe d'impartialité rappelé par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales".

Le Conseil d'Etat rappelle, ensuite, que le principe de légalité des délits et des peines, notamment garanti par l'article 7 de ladite Convention ne fait pas davantage obstacle, lorsqu'il est appliqué à des sanctions qui n'ont pas le caractère de sanctions pénales, à ce que les infractions soient définies par référence aux obligations auxquelles est soumise une personne en raison de l'activité qu'elle exerce, de la profession à laquelle elle appartient ou de l'institution dont elle relève. Or, les dispositions combinées des articles L. 430-3 et L. 430-1 du Code de commerce sont suffisamment claires et précises pour permettre aux professionnels concernés de déterminer si l'opération à laquelle ils sont parties est une opération de concentration et d'identifier la ou les personnes tenues de notifier l'opération à l'Autorité de la concurrence. En l'espèce, en imputant le manquement à l'obligation de notification à la société mère de la société Colruyt France, l'Autorité de la concurrence a fait une exacte application des règles d'imputabilité du manquement constaté.

La Cour administrative suprême souligne, en outre, le caractère grave du manquement à l'obligation de notification préalable d'une opération de concentration pour justifier l'importance de la sanction, quels que soient les effets anticoncurrentiels de cette opération sur le ou les marchés pertinents concernés.

Enfin, elle met en évidence le caractère proportionné de la sanction, l'Autorité de la concurrence ayant tenu compte des circonstances invoquées par la société pour expliquer le manquement qu'elle avait commis et apprécié les difficultés financières dont la société se prévalait. Or, la sanction de 392 000 euros ne représente "que" 0,05 % du chiffre d'affaires réalisé par l'entreprise en France, alors que la sanction maximum encourue aurait pu atteindre 5 % de ce chiffre d'affaires.

Cet arrêt, comme la décision de l'Autorité de la concurrence en la matière, est un avertissement clair donné aux entreprises qui doivent être particulièrement vigilantes en amont des opérations d'acquisitions envisagées. L'absence d'effets anticoncurrentiels de celles-ci ne saurait justifier une absence de notification, voire une minoration du calcul des amendes encourues.

  • Entente verticale et preuve de la concertation (Cass. com., 11 juin 2013, n° 12-13.961, FS-P+B N° Lexbase : A5726KG8)

La longue procédure de l'affaire dite des "Parfums" donne à la Cour de cassation une nouvelle occasion, dans un ultime (et troisième) soubresaut, d'examiner les critères de preuve de la concertation d'une entente verticale anticoncurrentielle.

On se rappelle que le 13 mars 2006, le Conseil de la concurrence, devenue Autorité de la concurrence, condamnait treize sociétés exploitant des marques de parfums et cosmétiques de luxe pour s'être entendues avec leurs distributeurs sur les prix de vente au consommateur à la fin des années quatre-vingt dix. Pour les mêmes faits, elle infligeait des sanctions pécuniaires à l'encontre de trois chaînes nationales de distribution. Réformé par un premier arrêt de cour d'appel, l'arrêt été cassé par la Cour de cassation. La première cour de renvoi annulait alors la décision du Conseil pour durée excessive de la procédure et violation des droits de la défense. Toutefois, la Cour de cassation, une nouvelle fois saisie, cassait l'arrêt. La deuxième cour de renvoi réduisait alors les amendes infligées (Cons. conc., décision n° 06-D-04, 13 mars 2006 N° Lexbase : X6215ADK ; infirmé par CA Paris, 1ère ch., sect. H, 26 juin 2007, n° 2006/07821 N° Lexbase : A9298DWB ; cassé par Cass. com., 10 juillet 2008, n° 07-17.276 N° Lexbase : A7963D9S ; renvoi CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 10 novembre 2009, n° 2008/18277 N° Lexbase : A4437ENN ; cassé par Cass. com., 23 novembre 2010, n° 09-72.031, FS-D N° Lexbase : A7610GLG ; renvoi CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 26 janvier 2012, n° 2010/23945 N° Lexbase : A5938IBK, cassé par l'arrêt rapporté).

Par ce troisième arrêt, et sans entrer dans les détails d'un arrêt qui a l'instar des précédentes décisions est particulièrement long et étayé, la Cour de cassation se place davantage sur le terrain des critères de preuve d'une entente verticale anticoncurrentielle. En présence de pratiques de prix minimaux conseillés, il n'est pas nécessaire de mettre dans la cause et d'incriminer chaque distributeur, pourvu que le périmètre de l'entente dénoncée soit bien circonscrit. Pour autant, en matière de fixation de la sanction, encore faut-il apporter la preuve de la participation effective du distributeur incriminé pendant toute la période de référence des pratiques en cause. Au visa de l'article 455 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6565H7B), aux termes duquel, entre autres, "le jugement doit être motivé", la Cour de cassation censure l'arrêt de la cour d'appel sur ce seul point.

Une troisième Cour de renvoi devra donc se prononcer sur la sanction de 3 150 000 euros infligée à l'un des distributeurs. La Cour européenne des droits de l'Homme sera-t-elle à son tour sollicitée en raison de la durée particulièrement longue de cette procédure ?

newsid:437953

Entreprises en difficulté

[Brèves] Consultation publique en vue d'une nouvelle approche européenne en matière d'insolvabilité des entreprises

Réf. : Consultation publique sur une nouvelle approche européenne en matière de défaillances et d'insolvabilité des entreprises

Lecture: 2 min

N7949BTL

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Le 11 Juillet 2013

La Commission européenne a lancé, le 5 juillet 2013, une consultation publique sur une nouvelle approche européenne en matière de défaillances et d'insolvabilité des entreprises, l'accent étant mis sur les solutions permettant d'aider les entreprises saines à survivre et de donner une seconde chance aux entrepreneurs honnêtes, tout en protégeant le droit des créanciers à récupérer leurs fonds. La proposition de modernisation du règlement européen relatif à l'insolvabilité, qui date de 2000, constitue une première étape cruciale pour adapter la législation de l'Union (lire N° Lexbase : N5654BTL). Mais à l'évidence, une simple révision du règlement ne suffira pas, à elle seule, à résoudre les problèmes qui sous-tendent les insolvabilités transfrontières, par exemple les divergences parfois marquées qui existent entre les législations nationales relatives à l'insolvabilité. Par conséquent, la communication que la Commission a adoptée en décembre 2012, parallèlement à la proposition de Règlement relatif à l'insolvabilité, a donné lieu à un processus de réflexion pour définir une nouvelle approche européenne en matière de défaillances des entreprises, compte tenu des divergences entre les réglementations nationales relatives à l'insolvabilité. La consultation lancée s'inscrit dans ce cadre. L'une des questions soulevées dans la consultation concerne la nécessité d'harmoniser le "délai de réhabilitation", un facteur souvent considéré comme essentiel pour rendre possible le démarrage d'une nouvelle activité. Actuellement, le délai de fermeture d'une entreprise en faillite varie considérablement selon les pays de l'Union, s'étendant de quatre mois en Irlande à plus de six ans en République tchèque. Dans certains pays, il est même impossible pour les entrepreneurs qui ont fait faillite d'obtenir une réhabilitation. Cette consultation porte également sur les dispositions qui régissent l'exercice de la profession de liquidateur. Par ailleurs, elle pose la question de savoir si les règles qui définissent les obligations et les responsabilités des gérants en cas d'insolvabilité occasionnent des problèmes dans la pratique et si des dispositions devraient être élaborées au niveau de l'UE afin de garantir que les gérants d'entreprise coupables d'abus et à qui l'on a interdit d'exercer dans un pays ne puissent pas gérer une société dans un autre pays. Enfin, la consultation vise à évaluer si, dans la pratique, des problèmes ont été engendrés par l'incertitude juridique qui découle des différentes conditions régissant l'annulation, devant les tribunaux nationaux, des actes d'un débiteur insolvable qui sont préjudiciables à ses créanciers. La consultation est ouverte jusqu'au 11 octobre 2013.

newsid:437949

Entreprises en difficulté

[Brèves] Exception en faveur à la règle de l'arrêt du cours pour les intérêts de prêts conclus pour une durée égale ou supérieure à un an : application de la clause pénale et du principe de capitalisation

Réf. : Cass. com., 2 juillet 2013, n° 12-22.284, F-P+B (N° Lexbase : A5384KIA)

Lecture: 2 min

N7985BTW

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Le 11 Juillet 2013

D'une part, l'exception à la règle de l'arrêt du cours des intérêts, édictée à l'article L. 622-28, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3512IC3) en faveur de ceux résultant de contrats de prêts conclus pour une durée égale ou supérieure à un an, vise, aux termes mêmes de ce texte, tous intérêts, sans en exclure les intérêts de retard prévus par ces conventions. La clause pénale prévoyant leur calcul à un taux supérieur à celui du prêt s'applique, sous réserve de l'exercice du pouvoir de modération du juge, même en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde à l'égard de l'emprunteur, à moins que cette clause de majoration n'aggrave sa situation qu'en cas d'ouverture d'une procédure collective. Aussi, la clause sanctionnant tout retard de paiement concernant tout débiteur, qu'il soit ou non soumis à une procédure collective, ne porte pas atteinte à l'égalité entre créanciers dans une procédure de sauvegarde. D'autre part, la capitalisation devant être admise au titre d'une clause pénale pouvant être réduite, après l'ouverture d'une procédure collective à l'égard du débiteur, aucun texte ne prive d'effet la clause, conforme aux dispositions de l'article 1154 du Code civil (N° Lexbase : L1256AB7), prévoyant la capitalisation des intérêts de retard, dès lors que leur cours est continué. Tels sont les principes énoncés par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juillet 2013 (Cass. com., 2 juillet 2013, n° 12-22.284, F-P+B N° Lexbase : A5384KIA). En l'espèce, plusieurs établissements de crédit ont consenti à une société (la débitrice), deux prêts d'une durée supérieure à un an, chacun des contrats de prêt stipulant que toute somme impayée produirait des intérêts de retard au taux du prêt majoré de trois points et que ces intérêts seraient capitalisés conformément à l'article 1154 du Code civil. Une procédure de sauvegarde ayant été ouverte le 19 juin 2009 à l'égard de la société débitrice, l'un des établissements de crédit a, pour sa quote-part, adressé au mandataire judiciaire des déclarations de créance portant, notamment, sur les intérêts dont le cours n'avait pas été arrêté. La société débitrice a formé un pourvoi en cassation contre les arrêts d'appel qui ont admis à son passif des intérêts moratoires au taux majoré ainsi que leur capitalisation. Enonçant les principes précités, la Cour régulatrice approuve la décision des seconds juges et rejette, en conséquence, le pourvoi de la débitrice (cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E8110EWB).

newsid:437985

Entreprises en difficulté

[Brèves] Mention des modifications du capital de la société débitrice au plan de redressement et litige sur la qualité d'associé

Réf. : Cass. com., 2 juillet 2013, n° 12-18.902, F-P+B (N° Lexbase : A5550KIE)

Lecture: 2 min

N7986BTX

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Le 11 Juillet 2013

Il résulte des dispositions des articles L. 626-3 (N° Lexbase : L4103HBL) et L. 626-15 (N° Lexbase : L4064HB7) du Code de commerce, rendues applicables au plan de redressement par l'article L. 631-19, I du même code (N° Lexbase : L0720IXX), que les modifications du capital de la société débitrice, que le jugement arrêtant le plan ne peut imposer, sont simplement mentionnées au plan et doivent être votées par l'assemblée compétente des associés. Ce jugement ne préjuge pas de la qualité d'associé sur laquelle il n'a pas à se prononcer, si elle demeure litigieuse, de sorte qu'il n'interdit pas, à moins que cette qualité ait été irrévocablement écartée par décision de justice, à la personne se prétendant associée unique de la société débitrice de faire reconnaître contre les personnes s'étant engagées, dans le cadre de la préparation du plan, à souscrire à une augmentation du capital, ses droits d'associé en contestant la décision collective modifiant sans son accord les statuts qui lui fait seule grief. Mais, saisie seulement d'une tierce-opposition au jugement arrêtant le plan et non du litige opposant les parties sur la propriété des parts sociales composant le capital de la débitrice, la cour d'appel, qui n'a pas tranché la question de cette propriété dans le dispositif de sa décision, a justifié le rejet de la tierce-opposition de la personne qui se prétend associée unique de la débitrice, dès lors que cette dernière n'avait pas d'intérêt à critiquer le jugement d'arrêté du plan lui-même. Telle est la solution énoncée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juillet 2013 (Cass. com., 2 juillet 2013, n° 12-18.902, F-P+B N° Lexbase : A5550KIE). En l'espèce, une promesse synallagmatique de cession de la totalité des parts d'une SARL ayant été consentie un arrêt du 27 octobre 2009 a rejeté, d'un côté, les demandes du bénéficiaire de la promesse tendant à faire juger que les conditions suspensives assortissant la promesse étaient réputées accomplies et à ordonner le transfert des parts et, de l'autre, la demande des promettants concluant à la caducité ou à la résolution de la promesse. La SARL cible a été mise en redressement judiciaire le 19 janvier 2009 et, le 20 septembre 2010, le tribunal a arrêté un plan de redressement par voie de continuation prévoyant, notamment, que les promettants souscriront à une augmentation du capital. Faisant valoir qu'elle était l'associée unique de la SARL débitrice et que l'augmentation du capital constituait une fraude, la bénéficiaire de la promesse synallagmatique a formé tierce-opposition à cette décision. La cour d'appel a déclaré recevable mais mal fondé ce recours. Un pourvoi est formé par la bénéficiaire de la promesse. Enonçant la solution précitée, la Cour régulatrice approuve les juges du fond et rejette, en conséquence, le pourvoi. (cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E1579EUZ et N° Lexbase : E1592EUI).

newsid:437986

Entreprises en difficulté

[Brèves] Recours contre le jugement d'ouverture : recevabilité de la tierce-opposition formée par l'ancien dirigeant de la débitrice

Réf. : CA Paris, Pôle 5, 9ème ch., 27 juin 2013, n° 12/07740 (N° Lexbase : A9271KHT)

Lecture: 1 min

N7980BTQ

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Le 11 Juillet 2013

L'ouverture d'une liquidation judiciaire expose, le cas échéant, ses dirigeants (anciens et/ou actuels) à des poursuites dans les hypothèses prévues par le titre V du livre VI du Code de commerce et que dès lors, l'ancien dirigeant de la société débitrice a un intérêt personnel à contester la décision ayant placé la société en liquidation judiciaire. N'étant plus dirigeant social au jour du dépôt de la déclaration de cessation de paiements, il n'était pas partie exerçant les droits propres de la société au jour du jugement critiqué ayant ouvert la liquidation judiciaire, ce qui lui ouvre la possibilité de faire tierce-opposition. Tout en critiquant essentiellement la date de cessation de paiements fixée par le tribunal, la tierce-opposition n'a pas pour objet premier, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, de demander le report de la date de cessation de paiements, mais de critiquer le jugement lui-même d'ouverture de la liquidation judiciaire, plus particulièrement sur la date de cessation de paiements qu'il a retenue. Dès lors, l'article L. 631-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L3375ICY), réservant à l'administrateur judiciaire, au mandataire judiciaire et au ministère public la possibilité de saisir la juridiction en report de la date constatant la cessation de paiements est inapplicable dans le cadre du recours exercé par l'ancien dirigeant, de sorte que sa tierce-opposition au jugement d'ouverture est recevable. Tel est le sens d'un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 27 juin 2013 (CA Paris, Pôle 5, 9ème ch., 27 juin 2013, n° 12/07740 N° Lexbase : A9271KHT ; cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E7879ETY).

newsid:437980

[Brèves] Défaut de déclaration de la créance au passif d'une procédure collective : décharge de la caution

Réf. : Cass. civ. 1, 3 juillet 2013, n° 12-21.126, F-P+B (N° Lexbase : A5599KI9)

Lecture: 2 min

N7984BTU

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Le 13 Juillet 2013

Le droit de participer aux répartitions et dividendes attaché à la déclaration de créance au passif d'une procédure collective constitue un droit préférentiel au sens de l'article 2314 du Code civil (N° Lexbase : L1373HIP). Telle est la solution énoncée par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 3 juillet 2013 (Cass. civ. 1, 3 juillet 2013, n° 12-21.126, F-P+B N° Lexbase : A5599KI9). En l'espèce, le remboursement d'un prêt a été garanti par un cautionnement. Une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l'égard de la débitrice et la banque créancière, qui n'avait pas déclaré sa créance, a notifié la déchéance du terme du prêt et assigné la caution en paiement. La Cour régulatrice, saisie d'un pourvoi contre l'arrêt ayant rejeté les prétentions de la créancière, a confirmé en tout point l'analyse des juges du fond :
- la banque ne conteste pas ne pas avoir déclaré sa créance dans les délais requis et, si ce défaut de déclaration n'éteint pas la créance, le créancier ne peut plus participer aux répartitions et dividendes prévus dans le cadre de la procédure collective en application de l'article L. 622-26 du Code de commerce (N° Lexbase : L2534IEL);
- les décisions de redressement ou de liquidation judiciaire font l'objet de la publicité prévue par les articles R. 641-7 (N° Lexbase : L9285ICU) et R. 621-8 (N° Lexbase : L3592IND) du Code de commerce et, notamment, sont publiées au BODACC, la banque ayant accès à ce bulletin en sa qualité d'organisme professionnel ;
- cette absence de déclaration de la créance constituant une omission fautive de la caisse entraînant l'impossibilité pour la caution de bénéficier d'un recours subrogatoire à l'égard de l'emprunteur principal, la caution apporte ainsi la preuve que la subrogation a été rendue impossible par le fait du créancier. Il revient alors à ce dernier, pour ne pas encourir la déchéance de ses droits contre la caution, d'établir que la subrogation devenue impossible n'aurait pas été efficace. Or la banque ne produit aucun élément permettant de retenir que la subrogation n'aurait apporté aucun avantage à la caution, de sorte qu'en application de l'article 2314 du Code civil, celle-ci se trouve déchargée de ses engagements.
Pour la Cour régulatrice, la cour d'appel a ainsi, d'une part, fait ressortir que le droit de participer aux répartitions et dividendes constitue un droit préférentiel, d'autre part, retenu souverainement que la créancière ne pouvait que connaître la décision publiée d'ouverture de la procédure collective. Elle a enfin énoncé, à bon droit, que la caution est fondée à invoquer la décharge de son engagement consécutive à la perte d'un droit préférentiel causée par le seul fait du créancier, une faute intentionnelle de ce dernier n'étant pas requise, et qu'il appartient au créancier de rapporter la preuve que cette perte n'a causé aucun préjudice à la caution, ce que la banque n'a pas démontré .

newsid:437984

[Brèves] La créance de dommages-intérêts fondée sur une faute commise par le créancier à l'égard de la caution de la créance cédée n'est pas transmise au cessionnaire de ladite créance

Réf. : Cass. com., 2 juillet 2013, n° 12-18.413, FS-P+B (N° Lexbase : A5540KIZ)

Lecture: 2 min

N7987BTY

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Le 18 Juillet 2013

Il résulte de l'article 1692 du Code civil (N° Lexbase : L1802ABD) que la cession de créance ne transfère au cessionnaire que les droits et actions appartenant au cédant et attachés à la créance cédée. Il s'ensuit que le cessionnaire d'une créance ne peut être tenu d'une dette née d'un manquement du cédant, antérieur à la cession, sauf connexité avec la créance cédée. Tel n'est pas le cas d'une créance de dommages-intérêts fondée sur une faute commise par le cédant à l'encontre de la caution garantissant le paiement de la créance cédée. Tel est le principe énoncé par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juillet 2013 (Cass. com., 2 juillet 2013, n° 12-18.413, FS-P+B N° Lexbase : A5540KIZ). En l'espèce, une banque a consenti à une société, en vue de l'acquisition du droit au bail d'un local commercial, un prêt devant être garanti par le nantissement de ce droit au bail, dont deux personnes physiques (les cautions) se sont rendues cautions solidaires. Les échéances de ce prêt ayant cessé d'être honorées, la société (la cessionnaire) à laquelle la banque avait cédé sa créance, a assigné en paiement les cautions qui ont invoqué une faute du cédant. Pour condamner la société cessionnaire, venant aux droits de la banque, à payer aux cautions une indemnité de 85 000 euros, et ordonner la compensation de cette créance avec celle dont elle était détentrice envers elles, la cour d'appel a retenu que la banque a manqué à ses obligations contractuelles à l'égard des cautions, en débloquant les fonds sans avoir fait inscrire à titre provisoire le nantissement sur le fonds de commerce et le droit au bail et en négligeant de s'assurer que cette inscription avait été prise par le notaire, son mandataire, dans un délai permettant d'assurer la sauvegarde de leurs intérêts, cette faute leur ayant causé préjudice et les créances étant liquides et exigibles. Sur pourvoi formé par la société cessionnaire, la Cour de cassation énonçant le principe précité, casse au visa des articles 1294, alinéa 1er (N° Lexbase : L1404ABM), et 1295, alinéa 2 (N° Lexbase : L1405ABN), du Code civil, ensemble l'article 1692 du même code, l'arrêt des seconds juges (cf. l’Ouvrage "Droit des sûretés" N° Lexbase : E0104A8D).

newsid:437987

Internet

[Brèves] Hadopi : suppression de la coupure d'accès à internet

Réf. : Décret n° 2013-596 du 8 juillet 2013, supprimant la peine contraventionnelle complémentaire de suspension de l'accès à un service de communication au public en ligne et relatif aux modalités de transmission des informations (N° Lexbase : L3143IXP)

Lecture: 1 min

N7977BTM

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Le 11 Juillet 2013

Le III de l'article R. 335-5 du Code de la propriété intellectuelle créé par le décret n° 2010-695 du 25 juin 2010 N° Lexbase : L6317IMW) prévoyait, pour les internautes téléchargeant illégalement de la musique ou des films, la peine complémentaire de suspension de l'accès à un service de communication au public en ligne pour une durée maximale d'un mois. Cette disposition est abrogée par un décret publié au Journal officiel du 9 juillet 2013 (décret n° 2013-596 du 8 juillet 2013, supprimant la peine contraventionnelle complémentaire de suspension de l'accès à un service de communication au public en ligne et relatif aux modalités de transmission des informations prévue à l'article L. 331-21 du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L3143IXP). Désormais seule une peine d'amende contraventionnelle de cinquième classe pourra être prononcée pour l'infraction de négligence caractérisée prévue à l'article R. 335-5. Le décret précise également les modalités de transmission sécurisée des informations nécessaires à l'identification des abonnés : elle doit se faire par une interconnexion au traitement automatisé de données à caractère personnel ou par le recours à un support d'enregistrement assurant leur intégrité et leur sécurité (C. prop. intell., art. R. 331-37, nouv.).

newsid:437977

Internet

[Jurisprudence] "Google Suggest" et infractions de presse : la voie est close

Réf. : Cass. civ. 1, 19 juin 2013, n° 12-17.591, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7895KGI)

Lecture: 13 min

N7946BTH

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par Antoine Casanova, avocat à la cour, Cabinet Danièle Véret

Le 11 Juillet 2013

Courant 2009, la société de droit américain Google Inc., qui exploite le célèbre moteur de recherche éponyme, a développé une fonction de saisie automatique dénommée "Google Suggest" intégrée à son moteur de recherche. Cette fonction fournit à l'internaute, à mesure que ce dernier saisit les termes de sa recherche dans le champ du moteur de recherche, des propositions de requêtes liées aux termes saisis et basées sur l'activité de recherche de l'ensemble des internautes utilisant le moteur de recherche Google ainsi que sur le contenu des pages référencées par ce dernier (1).

Plusieurs requérants ont reproché à la société Google Inc. le fait que cette fonctionnalité associait, au sein des propositions de requêtes, leur nom patronymique ou leur dénomination sociale à des termes pouvant être considérés comme des propos injurieux, diffamatoires ou dénigrants (2). Dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 19 juin 2013, la société Lyonnaise De Garantie considérait que le fait de suggérer l'expression "Lyonnaise de Garantie escroc", parmi les propositions de requêtes, était constitutive du délit d'injure publique au sens de l'article 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW). Selon cet article, l'injure se définit comme "toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait", à la différence de la diffamation qui, quant à elle, se définit comme "toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé" (3). La société Lyonnaise De Garantie a assigné la société Google Inc. ainsi que son directeur général à l'époque des faits, en sa qualité de directeur de publication, afin d'obtenir le retrait sous astreinte de l'expression litigieuse des propositions de requêtes fournies par la fonction "Google Suggest" ainsi que des dommages et intérêts. En défense, la société Google Inc. faisait principalement valoir que les propositions de requêtes suggérées aux internautes par la fonction "Google Suggest" n'étaient pas "l'expression d'une pensée humaine" mais simplement "l'aboutissement d'un processus entièrement informatisé" et qu'ainsi les éléments constitutifs du délit d'injure publique n'étaient pas réunis (4).

Dans son arrêt en date du 14 décembre 2011, la cour d'appel de Paris a relevé, à l'instar des juges de première instance, que "tous les libellés de recherche lancées par les internautes n'étaient pas pris en compte par le moteur de recherche de Google dans le souci, notamment, d'éviter les suggestions qui pourraient offenser un grand nombre d'utilisateurs tel que les termes grossiers" et, qu'en conséquence, la société Google Inc. aurait pu intervenir pour empêcher la suggestion de la proposition litigieuse (CA Paris, Pôle 2, 7ème ch., 14 décembre 2011, n° 11/15029 N° Lexbase : A8714IIL). La cour d'appel de Paris retenait également que "le fait de diffuser auprès de l'internaute l'expression 'Lyonnaise de Garantie escroc' correspond à l'énonciation d'une pensée rendue possible uniquement par la mise en oeuvre de la fonctionnalité en cause [Google Suggest] et d'en assurer le fonctionnement", de sorte que, selon elle, il était impossible de dénier à l'expression litigieuse le caractère de pensée humaine au motif que l'expression suggérée ne serait que le résultat de la "mise en oeuvre d'algorithmes", comme le soutenait la société Google Inc.

La cour d'appel de Paris a donc retenu que "l'adjonction de l'épithète 'Escroc' est outrageante envers la SAS Lyonnaise de Garantie en ce qu'elle la dévalorise et la rabaisse", qu'elle ne peut être considérée comme un simple agrégat et qu'elle doit ainsi être considérée comme une injure publique au sens de la l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881.

La première chambre civile de la Cour de cassation retient, quant à elle, une solution totalement opposée en se fondant sur l'absence d'élément intentionnel de l'exploitant de la fonctionnalité.

I - La fonction "Google Suggest" n'est pas la traduction d'une volonté

Comme il l'a été rappelé ci-avant, l'injure, comme la diffamation, sont des délits, et donc, comme pour tout délit, la jurisprudence a très tôt rappelé que leur consommation nécessite la caractérisation d'un élément intentionnel (5).

La caractérisation de l'élément intentionnel des infractions de diffamation et d'injure est facilitée puisque la jurisprudence considère, depuis longtemps, que concernant les infractions de diffamation et d'injure, l'élément intentionnel est présumé (6). La Chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi rappelé dans un arrêt du 10 mai 2006 "que les expressions outrageantes, termes de mépris ou invectives sont réputés de droit prononcés avec une intention coupable et que seule l'excuse de provocation est de nature à leur ôter leur caractère punissable" (7).

C'est pourtant, précisément sur la question de l'élément intentionnel que la première chambre civile de la Cour de cassation censure l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 14 décembre 2011. A la différence des juges du fond, la Cour de cassation ne considère pas qu'il y ait eu une volonté de la société Google Inc. de tenir les propos litigieux. La première chambre civile de la Cour de cassation retient ainsi que "la fonctionnalité aboutissant au rapprochement critiqué est le fruit d'un processus purement informatique dans son fonctionnement et aléatoires dans ses résultats". Elle en déduit que "l'affichage des 'mots clés' qui en résulte est exclusif de toute volonté de l'exploitant du moteur de recherche d'émettre les propos en cause ou de leur conférer une signification autonome au-delà de leur simple juxtaposition et de leur seule fonction d'aide à la recherche".

En se référant à l'absence de volonté de la société Google Inc. d'émettre les propos qualifiés d'injure par la cour d'appel de Paris, la Cour de cassation se place sur le terrain de l'élément moral de l'infraction de presse. Selon elle, même sur le plan civil, le délit de presse nécessite une "intention coupable" pour être retenue et engager la responsabilité de son auteur. La Cour de cassation censure donc la solution de la cour d'appel de Paris qui avait retenu que "le fait de diffuser auprès de l'internaute l'expression 'Lyonnaise de Garantie escroc' correspond à l'énonciation d'une pensée rendue possible uniquement par la mise en oeuvre de la fonctionnalité en cause". La Cour de cassation a donc été sensible à l'argument sans cesse avancé par la société Google Inc. au cours des différents contentieux suscités par sa fonction "Google Suggest", à savoir que les propositions de requêtes sont générées automatiquement en fonction de l'ensemble des requêtes effectuées par les utilisateurs du moteur de recherche.

Si les résultats proposés par la fonction Google Suggest ne traduisent pas une volonté d'émettre les expressions litigieuses, il ne peut y avoir d'injure au sens de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881. Le résultat est une simple juxtaposition de termes visant à aider les internautes dans leurs recherches. Cette solution est extrêmement favorable à la société Google Inc. En effet, en considérant que la fonction Google Suggest ne traduit pas la volonté de la société Google Inc. d'émettre les expressions suggérées aux internautes utilisant son moteur de recherche, la Cour de cassation écarte toute chance de succès d'une action fondée sur les délits de presse.

II - Un changement de cap dans la jurisprudence de la Cour de cassation

La solution retenue par la première chambre civile de la Cour de cassation, en plus d'être extrêmement favorable à la société Google Inc., marque un changement de cap intéressant par rapport à la solution qu'elle avait retenue dans son précédent arrêt relatif à la fonction "Google Suggest".

Dans son arrêt du 19 février 2013, la Cour de cassation avait confirmé un arrêt de la cour d'appel de Paris en date, lui aussi, du 14 décembre 2011, qui avait accordé à la société Google Inc. le bénéfice de l'excuse de bonne foi pour des propositions de requêtes considérées comme diffamatoires (8). La cour d'appel de Paris avait considéré que l'association de termes tels que "violeur", "viol" ou bien encore "sataniste" au nom patronymique d'une personne faisait "nécessairement peser sur l'intéressé sinon une imputation directe de faits attentatoires à l'honneur ou à la considération du moins la suspicion de s'être trouvé compromis dans une affaire de viol, de satanisme, d'avoir été condamné ou d'avoir fait de la prison". La cour d'appel de Paris avait donc considéré qu'il s'agissait d'une diffamation (9). En défense, la société Google Inc s'était prévalue de l'excuse de bonne foi. L'excuse de bonne foi est un fait justificatif développé par la jurisprudence, qui permet à l'auteur de propos considérés comme diffamatoires d'échapper aux sanctions. La cour d'appel de Paris a retenu l'excuse de bonne foi au bénéfice de la société Google Inc..

Dans son arrêt en date du 19 février 2013, la première chambre civile de la Cour de Cassation confirme la solution retenue en avançant que "la cour d'appel a retenu à bon droit que les critères de prudence dans l'expression et de sérieux de l'enquête se trouvaient réunis au regard d'un procédé de recherche dont la fonctionnalité se bornait à renvoyer à des commentaires d'un dossier judiciaire publiquement débattu".

Or, comme il l'a été rappelé ci-avant, l'excuse de bonne foi est une exception au délit de diffamation. Cela suppose que les composantes du délit, l'élément matériel mais aussi l'élément intentionnel, aient été, au préalable, caractérisés. En effet si les éléments composant le délit ne sont pas caractérisés, il n'est pas nécessaire de se pencher sur la question de l'exception de bonne foi puisque le défaut de l'un des éléments constitutifs du délit suffit à empêcher le succès de l'action.

En confirmant l'application par la cour d'appel de Paris de l'excuse de bonne foi pour des propos contenus dans une proposition de requête suggérée par la fonction "Google Suggest", la Cour de cassation reconnaissait implicitement, mais nécessairement, que les éléments matériels et intentionnels du délit étaient réunis. Elle a donc implicitement reconnu dans cet arrêt que les propositions de requêtes suggérées par la fonction "Google Suggest" traduisaient une volonté de la société Google Inc suffisante à caractériser l'élément intentionnel du délit de diffamation.

L'arrêt sous examen du 19 juin 2013 constitue donc un changement de cap, puisque dans cette nouvelle solution, la Cour de cassation estime que la fonction "Google Suggest" est exclusive de toute volonté de la société Google Inc. d'émettre les propos litigieux. Si la solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 19 juin 2013 était transposée à l'affaire ayant conduit à son arrêt du 19 février 2013, l'excuse de bonne foi n'aurait même pas été analysée. En effet, il aurait alors été considéré que les propos en cause ne pouvaient être qualifiés de diffamation, faute pour la société Google Inc. d'avoir eu la volonté de tenir de tels propos à l'égard de la personne physique voyant son nom associé aux termes litigieux.

La solution retenue par la première chambre civile dans l'arrêt du 19 juin 2013 doit être, selon nous, approuvée en ce qu'elle rappelle nettement que l'injure et la diffamation sont avant tout des délits intentionnels, et que, partant, la volonté de tenir les propos reprochés doit être prouvée. La dualité de nature de ces délits, à la fois civils et pénaux, ne doit pas faire oublier le principe de légalité. Or, les propositions suggérées par la fonction Google Suggest sont le fruit d'un algorithme basé sur l'activité de recherche de l'ensemble des internautes utilisant le moteur de recherche Google, de sorte qu'il est évident que ces résultats ne traduisent pas une volonté de la société Google Inc. de tenir de tels propos.

De plus, la solution retenue par la Cour de cassation permet d'éviter l'écueil lié à la qualification des termes litigieux en injure ou en diffamation. En effet, dans certain cas, l'hésitation entre les deux qualifications est plus que permise. Or, la diffamation et l'injure ont des régimes juridiques proches mais non identiques, notamment quant aux exceptions permettant d'éviter une condamnation. Ainsi les excuses de bonne foi et de vérité n'existent pas en matière d'injure, celle-ci ne connaissant que l'excuse de provocation (10).

Avec la solution retenue par l'arrêt du 19 juin 2013, le risque n'existe plus, puisque, que les propos litigieux soient qualifiés d'injure ou de diffamation, l'issue sera la même, faute d'élément intentionnel.

Cette solution réduit considérablement les risques de sanction de la société Google Inc. quant à sa fonction "Google Suggest", sans pour autant lui conférer une immunité car d'autres fondements existent.

III - La fonction "Google Suggest" en partie protégée

Si la fonction "Google Suggest" est exclusive de toute intention de tenir les propos litigieux, toute action fondée sur les délits de presse pour des expressions proposées par cette fonctionnalité du moteur de recherche, est vouée à l'échec.

La question qui se pose alors de savoir si la société Google Inc. peut craindre d'être condamnée du fait de sa fonction "Google Suggest" via d'autres fondements juridiques.

Plusieurs fondements ont été utilisés au cours de différentes affaires ayant trait à la fonction "Google Suggest", notamment la loi "Informatique et libertés" (loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 N° Lexbase : L8794AGS), l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) mais également le droit d'auteur.

Très récemment, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté une action fondée sur la loi "Informatique et libertés" du 6 janvier 1978 qui visait à faire reconnaître que la fonction "Google Suggest" constituait un traitement illicite de données à caractère personnel. Le TGI a ainsi considéré, le 12 juin 2013, au visa de l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978, que "le système de suggestion incriminé mis en place sur les moteurs de recherche des sites internet Google, ne répond pas à la définition que donne ladite loi du fichier, soit tout ensemble structuré et stable de données à caractère personnel accessibles selon des critères déterminés', dès lors que les mots suggérés ne présentent pas les caractères de stabilité et de structure imposés par le texte" (11).

Comme la société Google Inc. l'a rappelé au cours des différents contentieux suscités par "Google Suggest", son fonctionnement repose sur une base de données constituée par la société Google Inc. à partir de l'ensemble des requêtes effectuées par les utilisateurs du moteur de recherche, de sorte que, si la fonction ne répond pas, en elle-même, au critère de la définition du fichier au sens de la loi "Informatique et libertés", il n'est pas certain que la base de données qui lui sert de support ne puisse pas être considéré comme un fichier au sens de cette loi.

La jurisprudence révisera peut-être sa position sur ce point. En attendant, est-il possible pour un demandeur de se fonder sur l'article 1382 du Code civil ?

Depuis une série d'arrêts rendus le 12 juillet 2000 par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, il est de jurisprudence constante que "les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil" (12).

En revanche, la jurisprudence considère que le fondement de l'article 1382 du Code civil est ouvert dès lors que les propos litigieux touchent non pas à une personne mais à des produits ou services offerts par celle-ci (13). A la différence des dénominations sociales, les marques désignent non pas une personne morale, mais toujours des produits ou des services. En conséquence, dès lors qu'un propos litigieux vise une marque, le fondement de l'article 1382 du Code civil est envisageable (14).

Dans le cas où la fonction "Google Suggest" suggèrerait des propositions de requête contenant des termes pouvant être considérés comme dénigrant des produits ou des services, sa responsabilité pourra être poursuivie sur le fondement de l'article 1382 du Code civil. Dans ce cas, l'argument tiré de l'absence de volonté de la société Google Inc. de tenir les propos litigieux sera inopérant dans la mesure où sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, la volonté importe peu.

La fonction Google Suggest a déjà fait l'objet d'un contentieux sur le fondement de l'article 1382 du Code civil. En effet, courant 2009, la société Direct Energie a saisi en référé le tribunal de commerce de Paris afin que l'association de sa dénomination sociale avec le terme "arnaque" parmi les dix premières propositions de requêtes soit jugée comme étant constitutive d'une faute civile au sens de l'article 1382 du Code civil et partant, d'un trouble anormal au sens de l'article 873 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0850H4A). Le tribunal de commerce de Paris a fait droit à la demande de la société Direct Energie et a ainsi enjoint à la société Google Inc. de supprimer cette proposition de requête (15).

Cette ordonnance de référé a été confirmée par la cour d'appel de Paris dans son principe, puisque cette dernière a retenu "que le rapprochement dans une même expression du nom d'une société avec le mot arnaque" portait atteinte à l'image et à la réputation de cette société, mais la sanction prononcée par le juge consulaire a été réformée. En effet, la cour d'appel a rappelé que, sur le fondement de l'article 873 du Code de procédure civile, le juge devait "limiter la mesure à celle strictement suffisante" à la cessation du trouble et choisir "la moins attentatoire à la liberté d'expression" (16). La cour d'appel de Paris a ainsi limité la mesure à l'obligation pour la société Google Inc. de "faire mention sur son écran d'entrée d'une information destinée à I'internaute et permettant à celui-ci de comprendre comment est établie la liste des suggestions".

Le rejet de la voie des infractions de presse par la Cour de cassation n'aboutit donc pas à une totale immunité de la fonction "Google Suggest", dans la mesure où le fondement de l'article 1382 du Code civil reste ouvert pour les cas où les propositions de requêtes visent un produit ou un service.

Cet état de la jurisprudence laisse tout de même planer une certaine incertitude dans le cas où la dénomination sociale est identique à la marque sous laquelle les produits et services de la société sont distribués. C'était d'ailleurs le cas dans l'affaire ayant opposé la société Google Inc. à la société Direct Energie. Faut-il dans ce cas systématiquement considérer que le fondement de l'article 1382 du Code civil est ouvert ou opter pour une analyse au cas par cas en fonction des termes contenus dans les propositions de requêtes suggérées par la fonction "Google Suggest" ? Si cette dernière solution semble préférable, elle ne manquera pas de susciter certaines difficultés d'application.

Le fondement de l'article 1382 du Code Civil étant possible, même si certaines difficultés d'application, ne manqueront pas de se poser aux juges, la fonction "Google Suggest" ne bénéficie donc pas d'une totale immunité malgré la décision très protectrice retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 19 juin 2013.

Relevons par ailleurs que, sur le fondement du droit d'auteur, la première chambre civile de la Cour de cassation s'est récemment montrée relativement sévère avec la fonction "Google Suggest". Il s'agissait d'une affaire opposant le Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP) à la société Google Inc (17). Le SNEP faisait valoir que la fonction "Google Suggest" suggérait systématiquement d'associer aux noms d'artistes ou aux titres musicaux des termes renvoyant à des systèmes d'échange ou de téléchargement de fichiers. Au visa des articles L. 335-4 (N° Lexbase : L4532DYI) et L. 336-2 (N° Lexbase : L3536IEP) du Code de la propriété intellectuelle, la Cour de cassation a considéré qu'en orientant "les internautes, par l'apparition de mots-clés suggérés en fonction du nombre de requêtes, vers des sites comportant des enregistrements mis à la disposition du public sans l'autorisation des artistes-interprètes ou des producteurs de phonogrammes", la fonction "Google Suggest" "offrait les moyens de porter atteinte aux droits des auteurs ou aux droits voisins". La Cour de cassation a alors censuré l'arrêt de la cour d'appel de Paris qui avait débouté le SNEP de ses demandes tendant à obtenir de la société Google Inc. la suppression des propositions de requêtes litigieuses.

Les actions visant à obtenir la suppression de propositions de requêtes via la fonction "Google Suggest" ne sont donc pas toutes vouées à l'échec, tout dépend du fondement dont peut se prévaloir le demandeur.


(1) Descriptif de la fonction "Google Suggest" fournie par la société Google Inc. sur son site internet.
(2) Voir notamment, T. com. Paris, ord. référés, 7 mai 2009 et CA Paris, Pôle 1, Chambre 2, 9 décembre 2009, n° 09/13133 (N° Lexbase : A7326EQE) ; TGI Paris, 17ème ch., 4 décembre 2009, n° 09/13239 (N° Lexbase : A0586EQR); CA Toulouse, 2ème ch., 1ère sect., 14 décembre 2011, n° 10/05185 (N° Lexbase : A2361H8X) ; ou encore Cass. civ. 1, 19 février 2013, n° 12-12.798, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2377I8K).
(3) Loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse, art. 29 (N° Lexbase : L7589AIW).
(4) Voir CA Paris, Pôle 2, 7ème ch., 14 décembre 2011, n° 11/15029 (N° Lexbase : A8714IIL) ainsi que TGI Paris, 4ème ch., 18 mai 2011, n° 11/01475 (N° Lexbase : A2462HTD).
(5) Cass. crim., 19 novembre 1930.
(6) Cass. crim., 18 janvier 1850.
(7) Cass. crim., 10 mai 2006, n° 05-82.971, F-D ([LXB=PANIER]).
(8) Cass. civ. 1, 19 février 2013, n° 12-12.798, FS-P+B+I, préc. note 2.
(9) CA Paris, Pôle 2, 7ème ch., 14 décembre 2011, n° 11/15029 préc. note 4.
(10) Cass. crim., 10 mai 2006, n° 05-82.971, F-D, préc. note 7.
(11) TGI Paris, 17ème ch., 12 juin 2013.
(12) Ass. plén., 12 juillet 2000, deux arrêts, n° 98-10.160, publié (N° Lexbase : A2598ATE) et n° 98-11.155, publié (N° Lexbase : A2599ATG) ; Cass. civ. 2, 8 mars 2001, n° 99-14.995, publié (N° Lexbase : A4952ART) ; Cass. civ. 3, 1er octobre 2008, n° 07-15.338, FS-P+B (N° Lexbase : A5872EAQ).
(13) Voir notamment Cass. civ. 3, 23 janvier 2003, n° 01-12.848, FS-P+B (N° Lexbase : A7304A4B).
(14) Voir notamment Cass. civ. 1, 8 avril 2008, n° 07-11.251, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8043D7Z), qui a retenu que "les actes reprochés aux associations par l'utilisation litigieuse de ses marques ne visaient pas la société mais les marques déposées par elle et en conséquence les produits ou services qu'elles servent à distinguer, de sorte qu'il était porté atteinte à ses activités et services et non à l'honneur ou à la considération de la personne morale".
(15) T. com. Paris, ord. référés, 7 mai 2009.
(16) CA Paris, Pôle 1, 2ème ch., 9 décembre 2009, n° 09/13133, préc. note 2.
(17) Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, n° 11-20.358, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7513IQC).

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Propriété intellectuelle

[Evénement] Le droit comparé de la saisie-contrefaçon droit d'auteur en France et au Canada - Compte-rendu de la réunion de la Commission ouverte mixte Propriété intellectuelle et Paris-Québec du 4 juin 2013

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

Le 11 Juillet 2013

Les Commissions ouvertes Propriété intellectuelle (COMPI) et Paris-Québec du barreau de Paris ont tenu, le 4 juin 2013, en présence de Luc Deshaies, Bâtonnier du barreau de Montréal, une réunion sous la responsabilité de Maître Richard Willemant, avocat au barreaux de Paris et de Québec, et de Maître Fabienne Fajgenbaum, avocat au barreau de Paris, excusée pour son absence et représentée par son associé Maître Serge Lederman, avocat au barreau de Paris. A cette conférence, qui avait pour thème "Le droit comparé de la saisie-contrefaçon droit d'auteur en France et au Canada", sont intervenus, Florence Lucas, avocat aux barreaux du Québec et de Paris, et Nicolas Binctin, Professeur de droit privé à l'Université de Poitiers. Comme le relève Maître Lederman dans ses propose introductifs, la saisie-contrefaçon a une place importante dans le cadre des actions en contrefaçon en France. Elle a un double objet : probatoire, mais aussi conservatoire en cas de saisie réelle. En pratique, c'est donc une étape préalable très souvent empruntée par les demandeurs. Le fait de ne pas se ménager une preuve certaine et incontestable des actes de contrefaçon allégués avant l'introduction de l'action est susceptible de fragiliser les chances de succès.

Au contraire, Florence Lucas explique qu'au Québec la saisie-contrefaçon n'est pas du tout considérée comme un préalable à une action en contrefaçon ; elle est au contraire une procédure assez exceptionnelle et mérite que l'on s'y intéresse en raison, d'une part, de ses spécificités et, d'autre part, du fait qu'elle se pratique ex parte. Ainsi, du fait de son caractère non-contradictoire, cette procédure porte en elle le risque d'une atteinte aux droits fondamentaux des personnes qui la subissent, notamment, au droit au respect de la vie privée, du secret professionnel et des secrets commerciaux. La jurisprudence québécoise, soucieuse de préserver ces droits fondamentaux, a donc posé des conditions très restrictives de recours à la saisie-contrefaçon qui contrastent avec la pratique française.

Seront donc examinés successivement, les mécanismes de saisie-contrefaçon qui existent en France et au Québec puis l'analyse de ces mécanismes par rapport aux droits fondamentaux, afin d'étudier les mesures mises en place dans ces deux juridictions pour protéger les droits et libertés des personnes saisies.

I - Les mécanismes de la saisie-contrefaçon en France et au Québec

A - En France : la procédure de saisie-contrefaçon selon le Code de la propriété intellectuelle (par Nicolas Binctin, Professeur de droit privé à l'Université de Poitiers)

La saisie-contrefaçon ressort, en droit positif, de la transposition en 2007 (loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007, de lutte contre la contrefaçon N° Lexbase : L7839HYY) de la Directive de 2004 (Directive (CE) n° 2004/48 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle N° Lexbase : L2091DY4) qui a elle-même procédé à une mise en conformité des règles européennes avec l'accord de l'ADPIC (article 50). Cette transposition a pour effet d'harmoniser la saisie-contrefaçon pour la quasi-totalité des droits de propriété intellectuelle (livres V, VI et VII du Code de la propriété intellectuelle, relatifs respectivement aux dessins et modèles, aux brevets et aux marques) à l'exception de droit d'auteur pour lequel le législateur a maintenu quelques éléments d'un ancien régime. Si certains y voient la défense des spécificités du droit d'auteur, selon Nicolas Binctin, rien ne justifie réellement l'existence de ces deux procédures, qui au surplus a pour effet de complexifier inutilement le système de la saisie-contrefaçon. Il existe donc une saisie-contrefaçon ordonnée par le commissaire de police, et une saisie-contrefaçon ordonnée par un magistrat.

  • Qui peut agir ?

Deux grandes catégories de personnes peuvent agir en saisie-contrefaçon : les titulaires de droit, c'est-à-dire les auteurs eux-mêmes ou les cessionnaires des droits d'auteurs, et les sociétés de gestion collectives qui peuvent défendre les droits de propriété dont elles ont reçu la gestion. Ce mécanisme crée une profonde différence entre le droit d'auteur et les droits de propriété industrielle. Dans le premier cas sont ainsi exclus les concessionnaires exclusifs, les licenciés exclusifs, ou encore les distributeurs exclusifs, qui pourront seulement demander la réparation de leur préjudice. Au contraire, en droit des brevets, par exemple il est prévu que le licencié exclusif peut agir en cas d'inaction du titulaire des droits.

  • Selon quelle procédure ?

Il existe tout d'abord une procédure ancienne, traditionnelle, qui est la saisie par le commissaire de police (C. prop. intell., art. L. 332-1, al. 1er N° Lexbase : L3516IEX). Cette procédure est également exceptionnelle puisqu'elle permet la saisie des exemplaires contrefaisants et des recettes réalisées. Elle est utilisée de façon extrêmement rare, tant en raison des réticences des praticiens que des commissaires de police. Le maintien de cette procédure ne se justifie donc pas et peut tout à fait être qualifiée de surannée.

Il existe ensuite une procédure de saisie-contrefaçon sur autorisation du président du TGI, rendue sur la base d'une requête (C. prop. intell., art. L. 332-1, al. 2). Le pouvoir d'opportunité du juge semble ici assez limité. Il s'agit en effet d'une procédure de l'évidence, dans laquelle le juge dispose d'un pouvoir d'équilibrage assez précaire et qui se traduira par exemple par la demande de constitution de garanties par le saisissant.

La saisie sera opérée par un huissier, éventuellement accompagné par des experts, informaticiens, serruriers, les forces de l'ordre... L'huissier va collecter les informations qu'il identifie, établir le procès-verbal et remettre, sur le champ, une copie du PV à la personne saisie en indiquant les recours dont elle dispose pour contester la procédure.

  • Que peut-on saisir ?

Les éléments saisissables sont assez larges : certains relèvent directement de l'atteinte au droit d'auteur ; il est également possible de saisir les recettes de la contrefaçon, mais aussi les outils qui permettent la contrefaçon. Le but est de pouvoir stopper l'activité économique de la personne qui est suspectée de contrefaçon, ce qui démontre le pouvoir important qu'offre cette procédure. Il est ainsi possible d'obtenir la suspension de la production, des reproductions, la saisie des exemplaires, des matériels ayant permis la production des éléments contrefaits, la saisie des documents économiques attachées à l'exploitation commerciale (clients, fournisseurs, réseaux de distribution), des recettes de l'exploitation des produits contrefaits. C'est donc l'économie complète de la contrefaçon qui peut se trouver appréhender par cette procédure, qui se caractérise donc par sa très grande performance à défendre la propriété. Il n'existe pas en droit civil d'outil de défense de la propriété, notamment mobilière, comparable. Cela s'explique certes par la nature incorporelle du droit de propriété intellectuelle mais manifeste aussi une volonté notable de proposer un cadre de défense spécifique.

  • Selon quelles modalités ?

La saisie sera opérée par un huissier, éventuellement accompagné par des experts, informaticiens, serruriers, les forces de l'ordre... L'huissier va collecter les informations qu'il identifie, établir le procès-verbal et remettre, sur le champ, une copie du PV à la personne saisie en indiquant les recours dont elle dispose pour contester la procédure.

Enfin, une fois la saisie réalisée, la personne à l'origine de la procédure devra engager une action dans les 20 jours ouvrables ou 31 jours civils de la saisie. A défaut d'action dans ce délai, la personne saisie pourra demander la mainlevée de la saisie ou son cantonnement, là où pour les dessins et modèles, les brevets, les marques, ou encore les obtentions végétales, il sera possible d'en demander la nullité. Il est tout de même à noter que l'arrivée du terme de ce délai n'entraîne pas automatiquement ces sanctions ; le juge ne peut pas le relever d'office. En revanche, le juge ne dispose pas d'une opportunité d'appréciation, puisqu'il ne s'agit que du constat d'un fait objectif et devra donc prononcer ladite sanction dès lors qu'elle est demandée.

Il est à noter que cette procédure de saisie-contrefaçon est harmonisée sur l'ensemble du territoire des 28 Etats membres de l'Union européenne (la Croatie étant entrée dans l'UE le 1er juillet 2013). Si elle apparaît tout à fait "banale" en droit français puisqu'elle préexistait à la Directive de 2004, certains Etats ne connaissaient pas de procédure similaire avant la transposition du texte européen, comme c'était le cas de l'Allemagne qui vivait avec un droit de la propriété intellectuelle très mur et pourtant sans saisie-contrefaçon.

B - Au Québec : la procédure de "saisie-contrefaçon" suivant la loi sur le droit d'auteur et le Code de procédure civile du Québec (Florence Lucas, avocat aux barreaux du Québec et de Paris)

Au Québec il existe deux procédures pour former une saisie-contrefaçon de droit d'auteur :
- la saisie-revendication en vertu de l'article 38 de la loi sur le droit d'auteur ;
- la saisie-conservatoire en vertu du Code de procédure civil du Québec

Le choix de l'une ou l'autre de ces procédures s'opèrera en fonction du but du plaideur -du titulaire des droits- : soit il souhaite saisir des exemplaires contrefaits, et auquel cas il revendiquera des droits de propriété fictifs sur lesdits exemplaires et optera pour la saisie-revendication ; soit il souhaite aller au-delà et conserver des éléments sur le système plus global de la contrefaçon et optera donc pour la saisie-conservatoire.

1° - La saisie-revendication en vertu de l'article 38 de la loi sur le droit d'auteur

Le principe de cette procédure repose sur le fait qu'un contrefacteur ne peut pas avoir de revendication sur une chose qui ne lui appartient pas. Par conséquent, le titulaire des droits est réputé en être le propriétaire. La loi crée une fiction juridique qui permet au titulaire des droits de recouvrer la totalité des exemplaires contrefaits et de tout autre objet de droit d'auteur, et notamment les planches destinées à la confection de ces exemplaires contrefaits.

Selon la jurisprudence, l'article 38 de la loi sur le droit d'auteur n'est toutefois pas générateur d'un droit de procéder à la saisie en tant que telle ; encore faut-il que la législation, soit provinciale, soit fédérale, prévoit des dispositions spécifiques à la procédure de saisie avant jugement, permettant alors d'utiliser ce moyen de procédure. Aujourd'hui, tant la loi fédérale canadienne que loi provinciale québécoise (article 734 du Code de procédure civile du Québec) prévoient une procédure de saisie avant jugement pour les meubles, les tribunaux ayant considéré que ces dispositions permettaient de faire jouer l'article 38 et donc la saisie avant jugement en ce qui concerne le droit d'auteur.

Dès lors que le contrefacteur est considéré comme ne disposant d'aucun droit sur les exemplaires contrefaits et que le titulaire des droits est, au contraire, réputé en être le propriétaire, les tribunaux estiment qu'il peut en disposer à sa guise (décision "Apple computer c/ Macintosh", 1981).

Cette fiction juridique de propriété existe indépendamment de la bonne foi du défendeur qui détient les exemplaires contrefaits en sa possession et s'ajoute à toute réclamation de dommages-intérêts (décision "Breen c/ Hancock House", 1985).

La preuve à déposer est une preuve prima facie de contrefaçon du droit d'auteur. Cette preuve est très facile à rapporter. Il s'agit en fait d'une analyse spécifique au cas par cas suivant les faits propres à chaque dossier. Il est à noter que dans un important arrêt de 2002, la Cour suprême du Canada a retenu que l'artiste ou l'auteur qui invoque la violation d'un droit moral ne peut pas recourir à une saisie avant jugement et que ce recours ne lui est ouvert que s'il y a eu violation du droit d'auteur, au sens donné à ce droit au paragraphe 3 de la Loi sur le droit d'auteur (Cour suprême du Canada, décision "Theberge c/ Galerie du Petit Champion", 2002).

Concernant, ensuite l'intérêt pour agir, il est à noter que le droit de saisir est réservé "au titulaire du droit d'auteur comme s'il en était propriétaire". Dès lors, comme en droit français, les personnes qui disposent d'une licence exclusive du droit d'exploitation ne peuvent pas pratiquer une telle saisie-revendication. Néanmoins, le cessionnaire et notamment le concessionnaire de licence exclusive de l'article 13-3, qui suppose une cession de droit, peut intenter une action en dommages-intérêts ou faire pratiquer une saisie-revendication de la l'article 38.

La procédure est très simple. Il s'agit d'une saisie avant jugement de l'article 734 du Code de procédure civile, qui se pratique sans la nécessité d'une autorisation du juge. Elle exige seulement de se présenter devant le greffe auquel on demande la délivrance d'un bref de saisie qui est facile à obtenir sur les simples allégations très générales de violation de droit d'auteur.

Il existe une spécificité en ce qui concerne la saisie d'un logiciel contrefait qui ressort d'un arrêt de 2000, selon lequel un ordinateur ne peut pas faire l'objet d'une fouille sans la permission du juge, aux conditions et suivant les modalités fixées par celui-ci ("D&G c/ Bouchard", 2000).

2° - La saisie-conservatoire en vertu du Code de procédure du Québec

La saisie-conservatoire est un recours si extraordinaire et si exceptionnel, que les juriste canadiens lui ont donné le nom d'arme nucléaire du droit civil au Québec. Ce recours ex parte et in camera a essentiellement pour objectif de protéger et conserver des éléments de preuve. Il s'agit d'une saisie avant jugement ordonnant au défendeur de se laisser perquisitionner et de se laisser saisir, afin de protéger et conserver les éléments de preuve qui, sans l'intervention de la Cour, risqueraient d'être détruits ou de disparaître. Cette saisie-conservatoire est appelée "ordonnance ou injonction Anton Piller" du nom de la décision rendue en 1976 par la Cour d'appel d'Angleterre, division civile, dans l'affaire "Anton Piller KGc.Manufacturing Processes Ltd". Elle fut, par la suite, importée dans le droit Canadien. La requête pour ordonnance "Anton Piller" est utilisée de façon assez fréquente devant la Cour fédérale, particulièrement dans les cas de violation de propriété intellectuelle, notamment en cas de violation de marques, de brevets ou de concurrence déloyale. En droit d'auteurs, elle a été utilisée dans certaines affaires.

Les tribunaux ont posé des conditions très restrictives pour obtenir une ordonnance d'injonction "Anton Piller" :

- un droit d'action prima facie et un commencement de preuve très solide ou très convaincant ;

- un préjudice réel ou possible, très grave pour le demandeur (forte probabilité d'un préjudice ou d'un dommage sérieux ou irréparable tel qu'une interférence dans les relations commerciale, une perte de clientèle, de manque à gagner, mais également une atteinte à la réputation) ;

- une preuve manifeste que le défendeur a en sa possession des documents ou des biens pouvant servir de preuve. Le défendeur n'est pas nécessairement le contrefacteur mais un intermédiaire qui détient les objets contrefaits ;

- la possibilité ou la probabilité que le défendeur détruise cette preuve avant que ne puisse être introduite une demande inter partes. Cette preuve est a priori extrêmement difficile à rapporter. La cour a fini par poser une présomption de risque de destruction qui découle de la malhonnêteté évidente du contrefacteur, compte tenu de ces agissements et de l'ampleur de ces derniers ;

- l'urgence, qui est une condition commune à toutes les injonctions provisoires, catégorie d'acte à laquelle appartient l'ordonnance de type "Anton Piller". Toutefois, il est à noter que compte tenu du fardeau de la preuve et de l'importance des éléments à rassembler et donc du temps nécessaire, les tribunaux se montrent plutôt cléments en ce qui concerne la condition d'urgence ;

- une pleine et entière divulgation des faits pertinents. Etant donné qu'il s'agit d'une procédure ex parte, le demandeur est tenu de divulguer et d'alléguer, dans sa requête pour ordonnance "Anton Piller", tous les faits dont il a connaissance, avantageant ou non sa position. Toute dissimulation de faits par le demandeur ou son procureur peut entraîner une annulation de l'ordonnance et engager la responsabilité du demandeur en dommages-intérêts compensatoires à être versés au défendeur.

C - Synthèse de la partie I (par Nicolas Binctin, Professeur de droit privé à l'Université de Poitiers)

Dans les deux régimes, il existe une double procédure mais à l'esprit très éloigné. D'abord, la loi canadienne reconnaît une propriété de l'auteur sur les objets saisis ce qu'ignore le droit français. La procédure de saisie-revendication est très tournée vers la saisie réelle des exemplaires et est très facile à obtenir alors que la saisie-contrefaçon en droit d'auteur interne, si elle est facile à obtenir en ce qui concerne la saisie documentaire sera plus contraignante lorsqu'il s'agit d'une saisie réelle notamment parce que la constitution de garanties pourra être demandée au regard de la valeur des objets saisis. La procédure canadienne impose de cibler très précisément les informations recherchées par la saisie, là où la loi française semble beaucoup plus ouverte. Par ailleurs, la procédure de saisie-contrefaçon permet l'obtention quasi-automatique d'une ordonnance alors que la procédure canadienne de type "Anton Piller" est beaucoup plus aléatoire en raison des conditions très strictes posées par la jurisprudence.

II - L'analyse des mécanismes de saisie-contrefaçon français et québécois à la lumière des droits fondamentaux

A - Les doutes de l'exclusion totale du contradictoire dans la saisie-contrefaçon en France (par Nicolas Binctin, Professeur de droit privé à l'Université de Poitiers)

Même si le droit français connaissait la procédure de saisie-contrefaçon avant la transposition de la Directive 2004/48, elle doit aujourd'hui être conforme aux sources internationales c'est-à-dire à la Directive de 2004 mais également à l'article 50 des ADPIC. Le juge français a une obligation d'interprétation conforme du droit interne à la lumière du droit européen et a une possibilité de contrôle de conformité du droit interne aux engagements internationaux. Dans ce cadre, on peut se demander si la formule du droit français de la saisie-contrefaçon qui exclut radicalement toute approche contradictoire est bien en adéquation avec les sources internationales.

En effet, l'article 50 des ADPIC comme l'article 7, 1°, in fine de la Directive prévoient que la saisie-contrefaçon peut être opérée en-dehors d'un débat contradictoire afin de bénéficier de l'effet de surprise et obtenir les éléments probatoires recherchés. Mais ces deux textes indiquent que le caractère non-contradictoire ne relève que de l'exception puisqu'il est clairement stipulé que "le cas échéant" ces mesures peuvent être prises sans que l'autre partie soit entendue, notamment lorsque tout retard est susceptible de causer un préjudice irréparable au titulaire du droit ou lorsqu'il existe un risque démontrable de destruction des éléments de preuve.

Or, la transposition de la Directive n'a pas intégré ces éléments processuels dans la saisie-contrefaçon de droit interne. La lecture française de cette procédure est très traditionnelle et repose sur l'extrême nécessité de l'effet de surprise pour une défense efficace des droits du titulaire. La solution française s'éloigne radicalement de la rigueur de la procédure canadienne d'"Anton Piller" mais aussi, probablement, de la lettre et de l'esprit des accords ADPIC et de la Directive de 2004. Il est donc tout à fait possible de douter de la légalité de la législation française.

D'ailleurs la plupart des autres Etats de l'Union européenne, qu'ils eurent ou pas antérieurement à la transposition de la Directive une procédure de saisie-contrefaçon, ont prévu des hypothèses dans lesquelles le magistrat chargé d'ordonner la mesure peut écarter la démarche sans débat pour réintroduire, sous différentes formes en fonction des Etats, soit un débat contradictoire, soit d'entendre au préalable la partie adverse. Naturellement, l'idée d'une mesure avec effet de surprise est conservée mais elle n'est pas la seule voie processuelle puisque la délivrance de l'ordonnance pourra être soumise, conditionnée à la prise en considération, par le magistrat, de l'intérêt de la partie saisie. La solution française semble donc s'écarter largement d'un droit processuel soucieux des droits de la défense. S'il est nécessaire d'assurer une protection des droits des titulaires en droit d'auteur comme en droit de la propriété industrielle, il n'est pas certain qu'il ne faille pas également procéder à une balance des droits fondamentaux que sont le droit de propriété et les droits de la défense.

Sur ce point, Nicolas Binctin relève que la Cour de cassation (n° 12-23.349) doit se prononcer sur la validité d'une saisie-contrefaçon ordonnée sans débat contradictoire, alors qu'une action au fond avait déjà été engagée (1).

B - Au Québec : les limites liées à la protection des droits fondamentaux du défendeur saisi (Florence Lucas, avocat aux barreaux du Québec et de Paris)

Les conditions très strictes posées pour l'obtention d'une ordonnance de type Anton Piller sont la première des garanties de la transparence de la procédure et donc des droits du défendeur saisi, notamment de ses droits à la défense, parce qu'il s'agit d'une décision ex parte, mais également de son droit au respect de sa vie privée, à l'inviolabilité de son domicile consacré par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, ou encore au secret professionnel. La cour et les tribunaux très conscients de ces risques d'atteinte graves ont édicté ("Celanese Canada Inc. c/ Murray Demolition Corp", 2006) des conditions strictes à son exécution. Ainsi, le saisi bénéficie d'une triple protection :
- une ordonnance soigneusement rédigée, décrivant les documents à saisir et énonçant les garanties applicables au traitement des documents ;
- la présence d'un avocat superviseur, vigilant et indépendant, nommé par le tribunal ;
- un sens de la mesure de la part des personnes qui exécutent l'ordonnance, l'accent devant être mis sur son objet précis, à savoir la conservation d'éléments de preuve et non d'en permettre l'utilisation précipitée.

1° - Une ordonnance soigneusement rédigée

Le contexte de la saisie-conservatoire de type "Anton Piller" n'est pas celui d'une perquisition en matière criminelle ; il n'y a donc pas lieu d'utiliser la force. A défaut, l'avocat superviseur aura l'obligation d'intervenir. En effet dans de telles circonstances sont encourus la nullité de la saisie, la possibilité de la faire cesser ainsi qu'une condamnation à verser des dommages-intérêts, voire à disqualifier les avocats. Il est donc demandé à la personne si elle se laisse saisir, l'avocat superviseur devant l'informer sur les conséquences de son acceptation et de son refus et dans quelle mesure cela peut lui être préjudiciable. La sanction du refus d'obtempérer à l'ordonnance s'obtient entre autres par le biais d'une condamnation pour outrage au tribunal et par les présomptions qui en découleront. Il est important de noter que le saisi a le droit à l'assistance d'un avocat et bénéficie d'un délai de consultation.

L'ordonnance restreindra la saisie aux documents concernant strictement le litige, qui, au-delà de l'atteinte portée au droit d'auteur, pourra porter sur d'autres aspects tels que la concurrence déloyale, l'atteinte à la réputation, etc.. En effet, dans la mesure où l'on se situe dans le cadre d'une procédure du Code de procédure civile, il sera possible d'étendre les conclusions. Le ciblage précis des documents a pour but d'éviter qu'une personne, par le biais d'une procédure "Anton Piller", ait accès à des documents qui ne sont pas pertinents pour la solution du litige mais qui pourraient revêtir un intérêt commercial. L'ordonnance mentionnera d'ailleurs que l'usage des documents saisis est retreint au contexte même du litige. Dans certains cas, il est possible d'exiger que soient fournis un cautionnement, un engagement d'indemnisation du défendeur dans l'éventualité où l'ordonnance s'avèrerait injustifiée ou si l'exécution était faite en ne respectant pas strictement les prescriptions de l'ordonnance émise par le juge.

2° - L'avocat superviseur

L'avocat superviseur indépendant (Independent Supervising Solicitor ou ISS) joue un rôle primordial dans la bonne exécution de l'ordonnance "Anton Piller". Dès l'affaire "Anton Piller", il a été suggéré qu'un avocat indépendant, c'est-à-dire, n'appartenant pas à la firme d'avocats représentant le requérant supervise l'exécution de l'ordonnance. Il semblerait que, depuis la décision "Celanese Canada c/ Murray" de 2006, sa présence ne soit plus seulement suggérée mais qu'elle soit obligatoire. L'avocat superviseur agit comme un officier du tribunal. Son rôle visa à :

- superviser l'exécution de l'ordonnance, suivant les règles prescrites par le tribunal pour s'assurer que l'ensemble des conditions émises par le juge sont bien respectées ;

- expliquer au défendeur en termes simples la teneur de l'ordonnance en s'assurant qu'il comprend la situation et en lui donnant clairement la possibilité de réfléchir et de consulter son propre avocat afin de décider s'il consent ou non à l'exécution ;

- conserver les preuves saisies sous scellés ;

- rédiger un rapport écrit sur l'exécution de la saisie qui comprendra ses premiers contact avec la partie adverses, les évènements survenus, uns liste complète des éléments saisis, en prendre des photos et ses commentaires sur la légitimé et le défaut de certains gestes.

En fait l'ISS va s'assurer que l'ordonnance est respectée et que les droits du défendeur le sont également, notant tout abus de la part des personnes autorisées. Il veille aussi à ce que le défendeur respecte ses obligations en vertu de l'ordonnance et notera toute violation à ce sujet, ouvrant ainsi, le cas échéant, la porte à l'outrage au tribunal.

3° - La conservation de la preuve, comme but ultime

Le but de la saisie de type "Anton Piller" est d'avoir accès à la preuve le plus rapidement possible et à des fins essentiellement conservatoire. Dans une décision de 2011, "Cogeco Diffusion c/ Lavoie", la cour suprême du Québec reprend les principes dégagés depuis 2006 pour assurer la garantie des droits des personnes saisies en lui permettant de contester les éléments de preuve saisis selon une procédure très précise.

Toute d'abord une période à compter de la saisie est accordée au défendeur, pendant laquelle il peut examiner la preuve, avant même que le requérant puisse voir les documents, pour soulever certaines objections qui seraient liées à la vie privée, au secret professionnel, au secret commercial.

Les objections qui sont soulevées sont remises à l'avocat superviseur indépendant qui fera une description précise des documents pour lesquels les objections ont été formées afin qu'un débat sur la pertinence de ces objectifs puisse s'ouvrir.

La preuve doit être déposée sous scellés, les avocats superviseurs devant apposer leurs signatures sur le sceau. Ces éléments scellés sont placés sous la garde des ISS jusqu'à ce qu'une autre ordonnance du tribunal soit rendue, sans que la demanderesse ou ses avocats n'y aient accès à moins que les défendeurs n'y consentent ou ordonnance de la cour à effet contraire.

Enfin, dans l'éventualité où les défendeurs omettent ou refusent de soulever une objection, la demanderesse ou leurs avocats ont l'autorisation d'avoir accès à la preuve ou d'en faire une copie à l'échéance d'un court délai de 72 heures. En mettant des balises temporelles au droit de former des objections, le but est ici d'empêcher que les défendeurs ne freinent de façon injustifiée la procédure. Un laps de temps relativement court est également laisser aux défenseurs pour présenter devant une cour des requêtes en annulation de la saisie, et notamment pour demander de vérifier les modalités d'exécution de la saisie et les conditions dans lesquelles l'ordonnance a été obtenue. Là encore le but est d'éviter de paralyser l'action de la demanderesse, qui rappelons-le subit prima facie une atteinte au respect de ses droits d'auteur.

La saisie de type "Anton Piller" est une procédure très encadrée, exceptionnelle et particulièrement lourde. L'intervention de nombreux acteurs en fait également une procédure extrêmement coûteuse (à partir de 40 000 euros), ce qui conduit les praticiens à ne la conseiller que dans des cas d'atteinte grave au droit d'auteur (en France, le coût est d'environ 10 000 euros)

C - Synthèse comparative de la partie II (par Nicolas Binctin, Professeur de droit privé à l'Université de Poitiers)

A l'évidence, il existe une grande différence entre les systèmes français et canadiens. En effet, là où les tribunaux canadiens ont instauré des mesures importantes pour protéger les intérêts des tiers saisis, la loi française, en transposant imparfaitement la Directive, semble moins concernée par ce mouvement. On peut néanmoins se demander si les juges français s'inspireront de l'exemple canadien.

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Propriété intellectuelle

[Brèves] Prescription des actions en paiement des créances nées des atteintes portées au droit moral et au droit patrimonial de l'artiste-interprète

Réf. : Cass. civ. 1, 3 juillet 2013, n° 10-27.043, F-P+B (N° Lexbase : A5615KIS)

Lecture: 2 min

N7983BTT

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Le 17 Juillet 2013

Si le droit moral de l'artiste-interprète est imprescriptible et son droit patrimonial ouvert pendant cinquante ans, les actions en paiement des créances nées des atteintes qui sont portées à l'un ou à l'autre sont soumises à la prescription du droit commun. Tel est le principe énoncé par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 3 juillet 2013 (Cass. civ. 1, 3 juillet 2013, n° 10-27.043, F-P+B N° Lexbase : A5615KIS). En l'espèce, un artiste interprète a participé, le 18 septembre 1979, en tant que soliste, à une séance d'enregistrement d'une oeuvre, chanson destinée à intégrer la bande sonore d'un film et avait perçu à ce titre une rémunération. Il a, le 13 novembre 2003, assigné une société en reconnaissance et indemnisation de ses droits d'artiste-interprète méconnus, son nom n'étant jamais apparu sur le générique ni sur les pochettes du disque ultérieurement édité, et aucune part aux produits de l'exploitation ne lui ayant jamais été proposée. La cour d'appel de Versailles (CA Versailles, 15ème ch., 29 septembre 2010, n° 06/03991 N° Lexbase : A9694GAB) a accueilli sa demande, rejetant la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par la société. Les juges parisiens ont en effet retenu que, selon l'article L. 211-4, 1° du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2851HPB), la durée des droits patrimoniaux est de cinquante années à compter du 1er janvier de l'année civile suivant celle de l'interprétation pour les artistes-interprètes. En application de l'article L. 212-1 de ce même code (N° Lexbase : L3432ADH), le droit moral de l'artiste-interprète au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation, attaché à sa personne, est inaliénable et imprescriptible. Or, le demandeur ayant la qualité d'artiste-interprète, les délais de prescription de dix ans prévus aux articles L. 110-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L7242IAH) et 2270-1 du Code civil (N° Lexbase : L2557ABC) dans leur rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 (N° Lexbase : L9102H3I) ne lui sont pas applicables. Mais énonçant le principe précité, la Cour régulatrice casse l'arrêt des seconds juges, au visa des articles 2270-1 du Code civil et L. 110-4 du Code de commerce, dans leur rédaction alors applicable, ensemble les articles L. 211-4 et L. 212-2 du Code de la propriété intellectuelle.

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Propriété intellectuelle

[Brèves] Déchéance d'une marque pour défaut d'exploitation

Réf. : TGI Paris, 3ème ch., 6 juin 2013, n° 12/08312 (N° Lexbase : A8438KHY)

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Le 11 Juillet 2013

Dans un jugement du 6 juin 2013, le TGI de Paris a prononcé la déchéance d'une marque pour défaut d'exploitation, conformément à la demande reconventionnelle formée par une société attraite pour contrefaçon par le titulaire de la marque litigieuse (TGI Paris, 3ème ch., 6 juin 2013, n° 12/08312 N° Lexbase : A8438KHY). Le tribunal rappelle qu'il appartient à la société qui a agi en contrefaçon et qui prétend donc être titulaire de la marque litigieuse de rapporter la preuve de l'exploitation de ses marques pendant un délai de cinq ans à compter de la publication ; elle peut aussi rapporter la preuve de ce qu'elle a repris l'exploitation des marques postérieurement à cette période de cinq ans à condition que cette exploitation ait commencé avant les trois mois précédant la demande en déchéance et sans que le propriétaire n'ait eu connaissance de l'éventualité de cette demande conformément au dernier alinéa de l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3738ADS). Il lui appartient donc à la de démontrer un usage sérieux du signe à titre de marque pour les produits et services pour lesquels celles-ci sont enregistrées et donc la preuve d'un contact entre le produit porteur de la marque protégée et sa clientèle et ce dans les cinq ans précédant le 25 novembre 2012. Or, le TGI relève que la seule production du catalogue par correspondance du prétendu titulaire de la marque sur lequel figure en haut à droite de la page de garde "L'Homme moderne" est insuffisante à rapporter la preuve de l'exploitation des marques, le signe "L'Homme moderne" étant uniquement utilisé à titre d'"enseigne" et non en tant que marque. Par ailleurs la société prétendument titulaire de la marque litigieuse ne procède à aucun travail d'analyse entre les produits proposés dans le catalogue et ceux visés dans les classes déposées. Elle ne donne, non plus, aucune information sur les services qu'elle mettrait en oeuvre et notamment ceux de vente en ligne, en magasin et de correspondance correspondant aux services visés dans le dépôt des marques. Dans ces conditions, faute pour cette société d'établir la preuve de l'exploitation sérieuse de ses marques pour les produits et services visés à l'enregistrement, la déchéance des deux marques françaises semi-figurative et verbale "L'Homme moderne" est prononcée. Elle est, par conséquent, irrecevable à agir en contrefaçon de ses marques à l'encontre des deux sociétés défenderesses faute d'être titulaire de droits sur ce signe à la date de la contrefaçon alléguée.

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