La lettre juridique n°899 du 24 mars 2022

La lettre juridique - Édition n°899

Droit pénal spécial

[Jurisprudence] Une définition des stupéfiants consacrée, un abandon de compétence légitimé

Réf. : Cons. const., décision n° 2021-967/973 QPC, du 11 février 2022 N° Lexbase : A96467M9

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par Benoît Auroy, Maître de conférences à l’Université de Rennes 1

Le 23 Mars 2022

Mots-clés : stupéfiants • définition • incrimination • renvoi • compétence • légalité • nécessité

Par deux fois au début de l’année 2022, le Conseil constitutionnel a consacré une définition de la notion de stupéfiant. On peut s’en féliciter, tant les classements en la matière pouvaient sembler arbitraires en l’absence d’une telle définition juridique contraignante. Il est toutefois regrettable que la démarche constitutionnelle soit l’occasion de légitimer le renvoi opéré par le législateur au pouvoir réglementaire dans la détermination des substances concernées par les infractions liées aux stupéfiants. Une telle opération juridique est pourtant centrale dans les incriminations applicables en la matière.


 

Dans une étude menée en 2019 sur la notion de stupéfiants, un auteur constatait le caractère opportuniste des classifications opérées et concluait en ces termes : « si théoriquement la notion de stupéfiant semble pouvoir être circonscrite, elle reste en pratique largement insaisissable et, de ce fait, en partie introuvable » [1]. Or, à peine trois ans plus tard, le Conseil constitutionnel fut interrogé sur cette notion à l’occasion de deux questions prioritaires de constitutionnalité renvoyées par le Conseil d’État [2] et la Cour de cassation [3].

Il faut dire que la matière a connu un important changement avec la loi du 7 décembre 2020 [4]. On sait, en effet, que les infractions à la législation sur les stupéfiants constituent l’archétype de l’incrimination par renvoi, en même temps qu’elles illustrent les dérives du procédé. L’article 222-41 du Code pénal N° Lexbase : L2147AMH prévoit ainsi que « constituent des stupéfiants […] les substances ou plantes classées comme stupéfiants en application de l’article L. 5132-7 du Code de la santé publique ». Mais ce dernier n’énonce aucune définition. Jusqu’à la loi du 7 décembre 2020, il affirmait que « les plantes, substances ou préparations vénéneuses sont classées comme stupéfiants ou comme psychotropes […] par arrêté du ministre chargé de la santé pris sur proposition du directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ». Depuis cette loi, c’est le directeur général de l’ANSM [5] qui procède directement au classement [6]. S’il érige en infraction un certain nombre de comportements liés aux stupéfiants, le législateur laisse donc au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les substances concernées. Aussi, les requérants lui reprochaient-ils de ne pas avoir pleinement exercé sa compétence.

Plus précisément, ils estimaient la combinaison des articles 222-41 du Code pénal et L. 5132-7 du Code de la santé publique N° Lexbase : L0695LZR contraire à l’article 34 de la Constitution N° Lexbase : L1294A9S qui attribue compétence exclusive au pouvoir législatif s’agissant des crimes et délits. Ils considéraient également que les classements opérés en matière de cannabis méconnaissaient le principe de nécessité des peines prévu à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC) N° Lexbase : L1372A9P. Dans une décision du 11 février 2022, le Conseil constitutionnel reconnaît cependant la constitutionnalité de l’article 222-41 du Code pénal et de l’article L. 5132-7 du Code de la santé, dans sa rédaction antérieure à la loi du 7 décembre 2020 comme dans celle actuellement en vigueur.

Pour rejeter, tout d’abord, le grief tiré du renvoi opéré par le législateur, le Conseil constitutionnel commence par affirmer que la notion de stupéfiants « désigne des substances psychotropes se caractérisant par un risque de dépendance et des effets nocifs pour la santé ». Il reprend ici une définition qu’il avait élaborée un mois plus tôt, dans une décision du 7 janvier 2022 [7]. Que penser alors de celle-ci ? Pour l’Académie de Médecine, un stupéfiant désigne une « substance, médicamenteuse ou non, douée d’un effet narcotique et euphorisant susceptible d’induire une toxicomanie » [8]. Les définitions constitutionnelle et médicale paraissent donc converger [9], même si, à la différence de la seconde, la première s’attache au caractère nocif pour la santé de la substance, et ce, sans préciser la nature de ses effets [10]. La conclusion qu’en tire le Conseil constitutionnel laisse, en revanche, plus dubitatif. Selon lui, cette définition serait « suffisamment claire et précise pour garantir contre le risque d’arbitraire », de sorte que le législateur n’aurait pas « conféré au pouvoir réglementaire la compétence pour déterminer les éléments constitutifs des infractions qui s’y réfèrent ».

Deux constats suffisent, cependant, pour remettre en cause un tel raisonnement. D’une part, il existe des substances qui semblent répondre en tout point à la définition énoncée, sans, pour autant, être considérées comme des stupéfiants. C’est le cas de l’alcool. Consommé sans modération, il influe sur le psychisme du sujet. Il peut aussi provoquer une dépendance et des effets nocifs pour la santé. Admettrait-on que le vin puisse, demain, entrer dans le champ d’application des incriminations relatives au trafic de stupéfiants à la suite d’une simple décision du directeur d’un établissement public ? D’autre part, le critère du risque de dépendance et d’effets nocifs est beaucoup plus difficile à mettre en œuvre qu’il n’y paraît. Il repose sur une pluralité de facteurs eux-mêmes délicats à apprécier. En matière pharmaceutique par exemple, il n’existe guère de médicament qui soit absolument insusceptible de produire des effets secondaires. L’utilisation d’un traitement repose sur un bilan favorable entre, d’un côté, le bénéfice espéré pour le patient, et de l’autre, la gravité des effets secondaires et leur probabilité. À partir de quelle gravité pourra-t-on considérer que l’effet susceptible d’être produit par la substance est « nocif pour la santé » au point de la considérer comme un stupéfiant ? Quelle probabilité que cet effet survienne justifiera également un tel classement ? Enfin, le caractère nocif d’une substance dépend bien souvent de la quantité absorbée par le sujet et, là encore, la définition laisse entière cette question [11]. On le voit, si la définition constitutionnelle est assez satisfaisante d’un point de vue théorique, son application est nettement plus délicate. Elle laisse une importante marge d’appréciation au pouvoir réglementaire [12]. Il est, dès lors, contestable d’affirmer que le législateur a pleinement exercé sa compétence pénale en la matière.

Il est d’autant plus contestable de l’affirmer que tous les renvois opérés par les textes d’incrimination ne sont pas équivalents. S’agissant du délit de favoritisme par exemple, l’article 432-14 du Code pénal N° Lexbase : L7454LBP incrimine le fait, pour certaines personnes, de procurer à autrui un avantage injustifié « par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics ». Manifestement, le contenu précis de la disposition méconnue est indifférent pour le législateur. Dès lors que l’objet de celle-ci est bien de garantir l’égalité des candidats, le constat de sa violation suffit à légitimer la répression. Dans les incriminations en matière de stupéfiants au contraire, la notion concernée par le renvoi joue un rôle déterminant. Si le législateur a réprimé certains comportements, c’est uniquement parce qu’ils concernent une substance possédant cette nature particulière de stupéfiant.

Pour rejeter, ensuite, le grief tiré de la méconnaissance du principe de nécessité des peines par le classement du cannabis sur la liste des stupéfiants, le Conseil constitutionnel affirme que « les dispositions contestées n’instituent, par elles-mêmes, aucune incrimination », de sorte que ledit principe est inapplicable. Une fois encore, les juges reprennent trait pour trait la précédente décision du 7 janvier 2022, alors même qu’ici, les requérants contestaient bien la constitutionnalité des articles 222-41 du Code pénal et L. 5132-7 du Code de la santé publique combinés, et non celle des seules dispositions du Code de la santé publique. On peut trouver la justification un peu courte. Certes, ces deux textes ne formulent ni pénalité ni comportement incriminé [13]. Ils s’attachent uniquement à la notion de stupéfiants. Mais, puisqu’ils précisent la condition préalable des infractions liées au trafic de stupéfiants, ils participent à l’incrimination de ces dernières. Il aurait donc pu paraître plus satisfaisant que le Conseil constitutionnel se prononce sur le fond. Le grief aurait-il alors eu une chance de prospérer ? Vraisemblablement pas, car, ici comme ailleurs, le contrôle constitutionnel semble devoir se limiter à l’erreur manifeste d’appréciation.

En définitive, les décisions récentes du Conseil constitutionnel relatives aux stupéfiants sont appréciables en ce qu’elles consacrent une définition juridique substantielle de la notion. Sans doute cette définition ouvre-t-elle la voie à un contrôle judiciaire des nombreuses substances classées comme stupéfiantes [14]. En revanche, il est plus regrettable que le Conseil constitutionnel légitime sans réserve un abandon partiel de sa compétence par le législateur. Le pragmatisme de la méthode d’incrimination justifie-t-il réellement de malmener ainsi le principe de légalité ? Les débats actuels sur le cannabis révèlent pourtant la dimension politique que peut revêtir le classement d’une substance au rang de stupéfiant.

 

[1] C. Ballot-Squirawski, À la recherche de la notion de stupéfiants, in Les infractions en matière de stupéfiants (dir. E. Dreyer), Gaz. Pal., 2019, n° 17, p. 76.

[2] CE, 8 décembre 2021, n° 456556 N° Lexbase : A53027E4.

[3] Cass. crim., 24 novembre 2021, n° 21-83.406, F-D N° Lexbase : A50457D9.

[4] Loi n° 2020-1525, du 7 décembre 2020, d’accélération et de simplification de l’action publique N° Lexbase : L9872LYB.

[5]  Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

[6] Sous réserve des modifications qui seront opérés, l’arrêté du 22 février 1990, fixant la liste des substances classées comme stupéfiants N° Lexbase : O8565B8Q, demeure en vigueur, comme l’énonce l’article premier de la décision du directeur de l’ANSM du 9 décembre 2021 [en ligne].

[7] Cons. const., décision n° 2021-960 QPC, du 7 janvier 2022 N° Lexbase : A69367HD.

[8] Dictionnaire médical de l’Académie de Médecine, 2022, v. « stupéfiant » [en ligne].

[9] V. également C. Ballot-Squirawski, op. cit., qui avait identifié trois critères : la dangerosité de la substance, son abus (défini par les notions de « dépendance » et de « tolérance ») et le détournement de sa fonction.

[10] Il est vrai que le Code de la santé publique distingue formellement les stupéfiants des psychotropes (v. par ex., CSP, art. L. 5132-1 N° Lexbase : L4601IRT). Mais, au-delà des classements juridiques, on peut penser que la seconde catégorie englobe, en réalité, la première. En effet, le terme « psychotrope » renvoie à une action sur le psychisme, l’activité mentale. Comment concevoir une substance qui serait « narcotique et euphorisante » sans influer sur l’activité mentale du sujet ? En somme, si un stupéfiant paraît nécessairement constituer un psychotrope, l’inverse n’est pas vrai.

[11] À haute dose, même le paracétamol peut conduire à de graves effets secondaires, telle une hépatotoxicité.

[12] V. également Y. Bisiou, Cannabis homéopathique et définition des stupéfiants, nouvelles évolutions du droit de la drogue, Dalloz actualité, 4 mars 2022, note ss. Cons. const., 11 février 2022, op. cit. [en ligne].

[13] Ce sont les articles 222-34 N° Lexbase : L2009AMD à 222-40 N° Lexbase : L2221AM9 du Code pénal qui répriment les infractions liées au trafic de stupéfiants.

[14] V. Y. Bisiou, Qui perd gagne : vers une définition des stupéfiants ?, Dalloz actualité, 31 janvier 2022, note ss. Cons. const., 7 janvier 2022, op. cit. [en ligne].

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Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Brèves] Inopposabilité de la décision de prise en charge à l’égard de l’employeur : le défaut d’imputabilité ne peut servir au soutien de cette prétention

Réf. : Cass. civ. 2, 17 mars 2022, n° 20-19.294, FS-B N° Lexbase : A86417Q4

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par Laïla Bedja

Le 28 Mars 2022

► Au soutien de son action aux fins d'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie au titre de la législation professionnelle, l'employeur ne peut se prévaloir que de l'irrégularité de la procédure d'instruction conduite par la caisse ou de l'absence de caractère professionnel de cette pathologie (CSS, art. L. 461-1, R. 441-11 et R. 441-14) ; le défaut d'imputabilité à l'employeur de la maladie professionnelle qui n'a pas été contractée à son service n'est pas sanctionné par l'inopposabilité de la décision de prise en charge ; toutefois, l'employeur peut contester cette imputabilité si sa faute inexcusable est recherchée ou si les conséquences financières de la maladie sont inscrites à son compte accidents du travail et maladies professionnelles.

Les faits et procédure. Une salariée a souscrit une déclaration de maladie professionnelle que la caisse primaire d’assurance maladie a pris en charge. L’employeur conteste l’opposabilité de la décision de prise en charge à son égard.

La cour d’appel. Pour déclarer la décision de prise en charge inopposable à l’employeur, la cour d’appel relève que la déclaration de maladie professionnelle ainsi que le certificat médical initial du 9 septembre 2011 fixaient la date de première constatation médicale au 12 décembre 2000 tandis que l'avis du médecin-conseil visant le tableau n° 57 mentionnait le 5 février 2009 comme date de première constatation. Il ajoute qu'en 2000, la salariée travaillait chez un autre employeur, chez lequel elle indiquait avoir aussi été exposée à des gestes répétitifs des bras en élévation. Il en déduit qu'en l'absence de justification du report de neuf ans de la date de première constatation médicale, la caisse ne justifie pas des conditions du tableau n° 57 vis-à-vis de l'employeur (CA Paris, 6, 12, 14 février 2020, n° 16/14711 N° Lexbase : A71423EA).

La caisse a alors formé un pourvoi en cassation.

La décision. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction casse et annule la solution rendue par la cour d’appel au visa des articles L. 461-1 N° Lexbase : L8868LHW, R. 441-11 N° Lexbase : L0573LQB et R. 441-14 N° Lexbase : L0577LQG du Code de la Sécurité sociale.

Voir en ce sens : Cass. civ. 2, 19 décembre 2013, n° 12-19.995, FS-P+B N° Lexbase : A7637KSN.

Pour aller plus loin : ÉTUDE : La procédure de reconnaissance de la maladie professionnelle, La contestation de la décision de la caisse, in Droit de la protection sociale, Lexbase N° Lexbase : E3092ETP.

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Assurances

[Brèves] La transaction conclue entre la victime et l’assuré : la participation de l’assureur aux négociations ne lui rend pas la transaction opposable

Réf. : Cass. civ. 1, 16 mars 2022, n° 20-13.552, FS-B N° Lexbase : A63727Q3

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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

Le 24 Mars 2022

► Lorsqu’un assureur a stipulé que la transaction intervenue en dehors de lui ne lui sera pas opposable, le seul fait de participer à la négociation ne permet pas de considérer qu’il a participé à la conclusion de l’accord et donc de considérer que la transaction lui est opposable.

Faits et procédure. Les faits ayant donné lieu à l’arrêt rendu le 16 mars 2022 par la première chambre civile ne sont pas banals : une société s’est vu confier l’impression de billets de banque dont certains avaient été volés pendant la réalisation du contrat. Après avoir assigné son assureur afin d’obtenir sa garantie, la société ayant imprimé les billets a conclu une transaction avec la société lui ayant passé la commande. Deux précisions méritent d’être ajoutées. D’une part, le contrat d’assurance précisait qu’une transaction conclue en dehors de l’assureur serait inopposable à celui-ci, stipulation autorisée par l’article L. 124-2 du Code des assurances N° Lexbase : L0107AA9. D’autre part, l’assureur avait été associé au déroulement des négociations, tout en ayant fait part de sa volonté de ne pas participer à la transaction. Le seul fait d’être associé au déroulement des négociations permettait-il d’admettre que l'assureur avait donné son accord à cette transaction ?

Solution. Au visa de l’article L. 124-2 du Code des assurances et de l’ancien article 1134 alinéa 1er du Code civil, siège de la force obligatoire des conventions, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel (CA Paris, 2-5, 14 janvier 2020, n° 18/17529 N° Lexbase : A95663AK) pour violation de la loi, considérant qu’il ne résulte pas du fait, d’une part, que l’assureur ait été informé des modalités de la transaction, et d’autre part que s’il a, par son attitude exprimé sa volonté de ne pas y participer, il avait été associé au déroulement des négociations, que l’assureur « avait participé à la conclusion de l’accord ». La transaction lui était donc inopposable. Rares sont les arrêts à envisager la question. L’arrêt attire donc l’attention. En effet, par le passé, la Cour de cassation avait considéré que la présence des représentants de l’assureur aux pourparlers ayant abouti à la transaction suffisait à considérer que la transaction n’avait pas été conclue en dehors de lui quand bien même il ne l’avait pas signée (Cass. civ. 1, 30 juin 1970, n° 69-10.411 N° Lexbase : A5589CK9).

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Collectivités territoriales

[Questions à...] Quelle présence (ou pas) des emblèmes religieux sur le domaine des personnes publiques ? Questions à Clément Benelbaz, Maître de conférences en droit public, Université Savoie Mont Blanc

Réf. : CE, 3°-8° ch. réunies, 11 mars 2022, n° 454076, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A38327QY

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Le 29 Août 2022

Mots-clés : communes • laïcité • domaine public • domaine privé • statue

Dans un arrêt rendu le 11 mars 2022, la Haute juridiction a précisé que l'interdiction « d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux [...] en quelque emplacement public que ce soit » n’est pas limitée aux seules dépendances du domaine public, mais peut aussi trouver application au domaine privé des personnes publiques. Cette décision étend donc le champ de la neutralité devant s’appliquer aux communes qui ne peuvent exciper du fait que le terrain en litige serait un endroit reculé de la commune qui accueille des processions depuis plusieurs siècles. Pour faire le point sur cette question, Lexbase Public a rencontré Clément Benelbaz, Maître de conférences en droit public, Université Savoie Mont Blanc, membre du Centre de recherche en droit Antoine Favre, membre associé du CERCCLE, Université de Bordeaux.


 

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler ce que dit précisément la loi de 1905 sur les monuments religieux dans l'espace public ?

Clément Benelbaz : La loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Églises et de l'État N° Lexbase : L0978HDL, en son article 28, « interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ». Le cas échéant, il revient au juge administratif de se prononcer sur la nature religieuse ou non de l’emblème, du signe ou du logotype en cause.

Dans son rapport, Aristide Briand précisait que l’interdiction a le même but que les autres articles de la loi, c’est-à-dire réaliser la neutralité stricte des personnes publiques. Il précisait d’ailleurs, et cette précision est de taille : « Les emblèmes religieux déjà élevés ou apposés demeurent et sont régis par la législation actuelle. L’article ne dispose que pour l’avenir » [1].

Des explications furent ensuite données lors des débats à la Chambre : « Il s’agit ici d’emblèmes, de signes extérieurs ayant un caractère spécial, c’est-à-dire destinés à symboliser, à mettre en valeur une religion », en somme, « des objets qui ont un caractère nettement symbolique, qui ont été érigés moins pour rappeler des actions d’éclat accomplies par les personnages qu’ils représentent que dans un but de manifestation religieuse » [2].

De plus, le législateur avait pris soin de définir ce qu’il entendait par l’expression « emplacement public » : celui-ci concerne les rues, les places publiques ou les édifices publics, autres que les musées ou les églises, et tout ce qui relève de la propriété de l’État, du département ou de la commune, car « ce domaine est à tous, aux catholiques comme aux libres penseurs ». Ces derniers doivent être protégés contre toute forme de manifestation religieuse par le biais de signes ou de symboles. Il n’est donc nullement question « d’empêcher un particulier, si c’est son goût, de faire décorer sa maison de la manière qui lui plaira, même si cette maison a sa façade sur une place ou une rue » [3]. Dès lors, et dans l’esprit du législateur de 1905, l’obligation de neutralité dans les emplacements publics ne s’imposait qu’aux seules personnes publiques, et en aucun cas aux particuliers, ce qui d’ailleurs limite singulièrement l’extension de l’obligation de neutralité dans la sphère privée [4].

La loi de 1905 souhaitait par ailleurs respecter le passé, et l’interdiction ne pouvait valoir que pour l’avenir, mais il fallait aussi protéger le « regard des citoyens qui peuvent ne pas partager [des] croyances ».

Quant aux statues, une subtilité peut apparaître lorsqu’il s’agit de commémorer une personnalité qui est en plus un religieux. Il convient d’ailleurs de souligner que ces questions avaient précisément été soulevées lors des débats de la loi de 1905. En effet, plusieurs députés dont E. Aynard et J. Auffray avaient demandé s’il serait alors possible d’ériger des statues de religieux, comme Monseigneur Affre [5]. J. Auffray interrogeait également s’il serait possible « d’élever une statue à Jeanne d’Arc sans la saluer dans ce qu’elle a été et sans reconnaître par un signe ou un emblème quelconque que Jeanne d’Arc a été, le temps le voulait, une chrétienne et une catholique » [6]. Il relevait en effet qu’il est « impossible de faire une statue de Jeanne d’Arc sans y mettre des signes ou des emblèmes religieux ».

Aristide Briand précisa alors l’esprit de la loi : « On peut honorer un grand homme, même s’il est devenu un saint, sans glorifier spécialement la partie de son existence qui l’a désigné à la béatification de l’Eglise […] Une commune pourra toujours honorer la mémoire d’un de des enfants en lui érigeant une statue sans donner à ce monument le caractère marqué d’une manifestation religieuse » [7].

On le voit, dans l’esprit du législateur, il était clairement distingué entre le culturel et le cultuel. Même si cela est délicat, il semble alors nécessaire de dissocier les différentes actions d’un même personnage, sans pour autant nier ce qu’il a été dans l’ensemble de sa vie.

Finalement, les seules exceptions seront d’une part les signes ou emblèmes religieux érigés avant 1905 sur le domaine public (une statue [8] ou un calvaire par exemple) : ce qui était cultuel est devenu culturel. D’autre part, il s’agit de celles énoncées de façon stricte dans la loi de 1905 : les terrains de sépulture dans les cimetières, les monuments funéraires, les musées ou expositions peuvent se voir dotés de symboles religieux [9].

Ce sont finalement toutes les propriétés publiques qui sont supposées être neutres, afin de ne pas froisser la sensibilité d’un administré : celui-ci, qu’il soit usager ou simple passant, ne doit pas se voir imposer un signe symbolisant un attachement particulier à un courant de pensée, à un parti politique, ou encore à des convictions religieuses.

Lexbase : A-t-elle été toujours bien respectée par les communes ?

Clément Benelbaz : La question de la neutralité des personnes publiques, c’est-à-dire plus précisément de leurs bâtiments, mais aussi de leurs propriétés, semblait a priori tranchée par la loi de 1905. Pourtant, il n’est pas rare de croiser par hasard ou non, un certain nombre d’édifices religieux érigés après 1905, qu’il s’agisse de calvaires situés à des intersections ou de croix monumentales sur certains sommets [10], lesquels ne donnent pas nécessairement lieu à contentieux.

Surtout, il est frappant de constater que depuis quelques années, un certain nombre de remises en cause de l’article 28 apparaissent, puisque plusieurs signes et symboles religieux, essentiellement catholiques d’ailleurs, ressurgissent sur l’espace public.

À l’approche des fêtes de Noël, il est devenu fréquent de voir des crèches dans des mairies ou dans certains services publics. Plusieurs communes ou régions ont fait parler d’elles en installant de telles structures. Il en est de même au sujet de statues, représentant des saints, la Vierge, ou encore un pape. Ce qui était un phénomène confidentiel a fini par prendre une ampleur juridique. Aussi faut-il attendre qu’un contentieux naisse pour que les règles soient rappelées, ou pas d’ailleurs.

Lexbase : Quelle a été jusqu'ici la position du juge administratif ?

Clément Benelbaz : En dernier lieu, il revient nécessairement au juge d’interpréter le signe dont il est question, et de déterminer si celui-ci est religieux ou non. En effet, il est tout à fait possible de déterminer la signification d’un signe ou d’un symbole, sans pour autant porter une appréciation sur le contenu de la croyance, sa véracité, ou de juger si le rite est bien respecté. En ce qui concerne les crèches de Noël par exemple, très logiquement, leur place dans un service public aurait dû être strictement interdite, en application simple de l’article 28 de la loi de 1905.

Cependant, dans la pratique, certains détournements ont en effet pu être constatés au sujet de l’interprétation de ce signe religieux. Ainsi, le Conseil d’État a rendu deux arrêts le 9 novembre 2016 sur les crèches, mais sans véritablement régler la question ni clarifier la situation [11]. En effet, le juge autorise, sous conditions, leur installation : relevant que la crèche est « une représentation susceptible de revêtir une pluralité de significations » et qui présente un caractère religieux, le Conseil d’État estime également qu’il s’agit d’un élément « faisant partie des décorations et illustrations qui accompagnent traditionnellement, sans signification religieuse particulière » les fêtes de fin d’année. En somme, sont à la fois reconnues aux crèches une dimension religieuse et une dimension non religieuse, donc culturelle. Dès lors, les arrêts considèrent que si la crèche est culturelle, en raison notamment du contexte, elle sera autorisée ; si en revanche elle est accompagnée « d’élément de prosélytisme », ou s’il n’y a pas d’usages locaux, elle sera interdite. De même, le Conseil d’Etat distingue selon les lieux : dans l’enceinte des bâtiments publics, sauf circonstances particulières, le caractère culturel sera difficilement admis. En revanche, dans d’autres emplacements publics, « eu égard au caractère festif », la crèche peut être autorisée.

Les décisions de novembre 2016 ajoutent sans doute à la confusion, en créant d’abord des exceptions là où le texte de 1905 n’en mentionne pas, notamment quant au contexte et au lieu de l’installation du signe religieux. Ensuite, en faisant de la crèche un objet mixte, qui peut être tantôt cultuel tantôt culturel, la solution retenue manque de clarté et de prévisibilité : comment savoir à l’avance si la crèche est cultuelle ou culturelle, donc si elle est autorisée ou non ? Telles sont les interrogations qui restent en suspens, et l’application de cette jurisprudence du Conseil d’État montre que les problèmes demeurent plus nombreux que les solutions qui se trouvaient, sans doute, dans le texte initial [12].

Quant aux statues religieuses, ici encore les interprétations et applications divergent. Ainsi, en Bretagne, la commune de Ploërmel avait suscité la controverse en décidant, en 2006, d’ériger sur une place publique une statue de 7,5 mètres de haut du pape Jean-Paul II, qui était surmontée d’une croix monumentale. L’affaire fit grand bruit, et la décision municipale fut contestée devant le juge administratif. La question se posait en effet de savoir si l’ensemble (croix et statue) pouvait être considéré comme un signe ou emblème religieux. Si tel était le cas, alors il était interdit, en application de l’article 28.

Le Conseil d’État, dans une décision du 25 octobre 2017 [13], estima que si l’arche surplombant la statue ne pouvait, en elle-même, être regardée comme un signe ou un emblème religieux, il en allait différemment de la croix, « eu égard à ses caractéristiques ». En clair, le juge demanda à la commune de retirer la croix, en revanche, la statue du pape seul pouvait être maintenue.

Ici, la signification religieuse ne faisait aucun doute, en tout cas pour la croix. Par conséquent, elle ne pouvait être élevée sur une place publique. En réalité, la statue seule pouvait l’être, car rien n’empêche, dans la loi, de commémorer un homme ou une femme pour ses œuvres politiques, sociales, culturelles ou locales, quand bien même il aurait été un religieux.

La question s’était par exemple déjà posée en 1988, et la ville de Lille avait pu placer dans un lieu public un buste représentant le cardinal Liénart, au motif qu’il avait été une personnalité locale [14]. Ces solutions sont alors conformes à la lettre et à l’esprit de la loi de 1905.

Mais qu’en est-il alors de statues dont la représentation est exclusivement religieuse ? La question s’est par exemple posée récemment au sujet de l’installation en 2018 d’une statue de l’archange saint Michel sur le parvis de l’église des Sables-d’Olonne. Certes ici la statue avait longtemps été exposée dans la cour d’une ancienne école privée, pour être ensuite récupérée par la commune, et finalement installée sur le domaine public. Pour autant cette dernière mesure fut jugée illégale [15] : ni sa dimension culturelle, historique ou traditionnelle ne saurait prévaloir sur sa signification religieuse, estimèrent les juges.

De la même façon, dans une affaire de 2015, le tribunal administratif de Grenoble avait jugé que l’installation en 2011 d’une statue de la Vierge dans un parc municipal en Haute-Savoie était illégale [16]. La solution fut identique au sujet d’une statue réalisée en 1945, puis donnée à la commune de la Flotte-en-Ré, et installée en 1983 sur une avenue [17] : le fait qu’elle comporte une plaque portant la mention « vœux de guerre » n’en faisait pas pour autant un monument funéraire, ou un élément du patrimoine local ou historique. Ces solutions sont également conformes à la loi de 1905.

Pourtant, dans l’affaire de la statue de la Vierge de Saint-Pierre-d’Alvey, le tribunal administratif de Grenoble avait justifié son maintien, alors qu’elle avait été implantée en 2014 sur le domaine public par une association privée [18]. Dès lors, on peut avoir le sentiment d’une laïcité à géométrie variable, qui diffèrera selon le lieu ; de plus, on constate que les arguments avancés par les communes pour justifier le maintien de telles statues tendent à rendre culturel ou historique un élément strictement religieux.

Lexbase : La décision ici commentée vous semble-t-elle justifiée ?

Clément Benelbaz : L’arrêt du Conseil d’État sur l’affaire de la Vierge de Saint-Pierre-d’Alvey permet de revenir à la fois à la cohérence des règles de domanialité publique, mais aussi de la loi de 1905, en rappelant finalement sa lettre et son esprit.

En effet, le tribunal administratif avait estimé que l’affectation des biens à l’exercice du culte s’appliquait non seulement à un édifice cultuel, mais aussi à ses dépendances nécessaires, « fonctionnellement indissociables » de l’édifice cultuel. De plus, pour les juges, l’article 28 de la loi de 1905 permettait d’apposer des signes religieux sur un emplacement public « déjà affecté au culte à la date de l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905 ».

En l’espèce, le jugement s’appuyait sur des archives départementales de la Savoie, faisant état d’une instance devant le Sénat de Chambéry de 1787, ainsi que sur diverses attestations et photographies, démontrant que l’emplacement du village sur lequel cette statue a été érigée comportait, depuis au moins le XVIIIe siècle, une croix, vers laquelle se dirigeaient des processions. Dès lors, ces dernières avaient un caractère ancien et régulier, avant 1905, et il convenait de considérer que la parcelle formait une « dépendance de l’église de la commune située environ à deux kilomètres à vol d’oiseau ». Ce jugement du tribunal administratif de Grenoble soulevait donc un certain nombre d’interrogations, à la fois en termes de domanialité publique, mais aussi d’interprétation de l’article 28 de la loi de 1905 et finalement de ce qui constitue ou non un signe religieux.

Le Conseil d’État valide ici le raisonnement de la cour administrative d’appel de Lyon : la parcelle ne saurait constituer un édifice servant au culte ni une de ses dépendances immobilières nécessaires, aucun lien fonctionnel n’existant entre les deux. De plus, elle ne rentre dans aucune des exceptions prévues par l’article 28 de la loi de 1905. Enfin et surtout, le Conseil d’État considère que l’interdiction de l’article 28 n’est pas limitée aux seules dépendances du domaine public, elle s’applique également au domaine privé des personnes publiques.

Cette précision est indispensable : elle permet d’éviter que des collectivités contournent la loi, en estimant que seul leur domaine public se devait d’être neutre ; car en déclassant le bien et en le transférant au domaine privé, elles auraient pu selon elles y ériger des signes religieux [19].

C’est finalement, estime le Conseil d’État, toute la propriété des personnes publiques qui doit respecter la neutralité ; cette solution se rallie à la lecture et à l’interprétation initiales de l’article 28 de la loi de 1905.

* Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.

[1] Rapport Briand, p. 334.

[2] Annales de la Chambre des députés, séance du 27 juin 1905, p. 1047.

[3] Ibid.

[4] C’est une des raisons d’ailleurs pour laquelle la loi n° 2010-1192, du 11 octobre 2010, interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public N° Lexbase : L1365INU, ne peut en aucun cas, et contrairement à ce qui est souvent soutenu, trouver son fondement dans la laïcité, en tout cas pas dans celle issue de 1905. On le voit également, les « affaires » du burkini, si on s’en tient au texte et à l’esprit de la loi de 1905, n’avaient aucun lieu d’être…

[5] Archevêque de Paris, il fut tué par une balle perdue lors des insurrections de 1848, alors qu’il tentait de s’interposer entre les insurgés et l’armée. L’Assemblée nationale, comme plusieurs communes, lui rendront hommage.

[6] Chambre des députés, 2e séance du 28 juin 1905, JO, 29 juin 1905, p. 2560.

[7] Chambre des députés, 2e séance du 27 juin 1905, JO, 28 juin 1905, p. 2528.

[8] S’il s’agit aussi d’une personnalité locale, elle peut donc être érigée après 1905.

[9] Voir Rapport Briand, p. 334 ; Annales de la Chambre des députés, séance du 28 juin 1905, p. 1085 pour les cimetières. Pour les monuments funéraires : CE, 4 juillet 1924, Abbé Guerle, Rec., p. 640 ; D., 1924, 3, p. 48, concl. R. Mayer. En l’espèce, une femme, dont le fils avait été tué pendant la guerre, était venue se recueillir devant le monument aux morts, et avait déposé une croix en fleurs. Le maire l’avait considérée comme un emblème religieux, faite enlever, puis avait pris un arrêté interdisant le dépôt de croix, emblèmes religieux ou autres, autour du monument aux morts. L’arrêté fut annulé. Quant aux musées et expositions, il n’est pas possible d’apposer un crucifix dans la salle d’un conseil municipal ou dans la salle des mariages, y compris lorsque l’installation du crucifix intervient à la suite du transfert de la mairie dans de nouveaux locaux : CAA Nantes, 4 février 1999, n° 98NT00207 N° Lexbase : A5549BMH, Rec., p. 498 ; et du même jour, CAA Nantes, 4 février 1999, n° 98NT00337 N° Lexbase : A0199BHT. Néanmoins, si le crucifix a été retiré du mur à la suite d'une décision de justice, il peut ensuite être placé dans une vitrine d’exposition au titre du patrimoine historique de la commune : CAA Nantes, 12 avril 2001, n° 00NT01993 N° Lexbase : A2364BHZ.

[10] À titre d’exemple, la Croix du Nivolet, un des monuments emblématiques de la Savoie et surplombant Chambéry, fut inaugurée en 1861 par l’Evêque de Maurienne, mais en 1909, un ouragan la plia gravement. Elle fut alors profondément modifiée : en béton armé et d’une hauteur de 21,50 mètres, elle fut inaugurée en 1911. Dégradée en 1944 puis en 1960, elle est alors électrifiée, et EDF procède en 1989 à une nouvelle installation, que l’entreprise publique finance d’ailleurs.

[11] CE, 9 novembre 2016, n° 395122 N° Lexbase : A0617SGX et n° 395223 N° Lexbase : A0618SGY, AJDA, 2016, p. 2375, note L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, JCP éd. A, n° 48, décembre 2016, 2309, note N. Chifflot.

[12] Ainsi, le tribunal administratif de Lille a estimé que la crèche installée dans la mairie d’Hénin-Beaumont était contraire au principe de neutralité : TA, Lille, 30 novembre 2016, n° 1509979 N° Lexbase : A7977SLZ, AJDA, 2016, p. 2348, JCP éd. A, n° 49, 12 décembre 2016, act. 948.

[13] CE, 25 octobre 2017, n° 396990 N° Lexbase : A6295WW3.

[14] CE, 25 novembre 1988, n° 65932 N° Lexbase : A7861APT, Rec., p. 422, AJDA, 1989, p. 172, note J.‑M. Pontier, RFDA, 1989, p. 162, DA, 1989, n° 34, JCP éd. G, 1988, IV, p. 412.

[15] TA Nantes, 16 décembre 2021, n° 1900981 N° Lexbase : A07077RM.

[16] TA Grenoble, 29 janvier 2015, n° 1200005 N° Lexbase : A2504NBD ; TA Grenoble, 24 novembre 2016, n° 1601629 N° Lexbase : A07057RK.

[17] TA Poitiers, 3 mars 2022, n° 2100952 N° Lexbase : A07087RN. En l’occurrence, la statue avait été endommagée à la suite d'un accident de la circulation, et la commune avait décidé d’en réaliser une copie pour la réinstaller, ce qui provoqua le contentieux.

[18] TA Grenoble, 3 octobre 2019, n° 160308 N° Lexbase : A6619ZQ9, JCP éd. An° 46, 18 novembre 2019, 2322, note C. Benelbaz.

[19] C’est d’ailleurs ce qui fut le cas en l’occurrence puisque la commune soutenait devant le Conseil d’État que l’emplacement était une dépendance du domaine public communal par détermination de la loi. Dans l’affaire de la statue de saint Michel, il était également soutenu par la commune que le parvis de l’église était une dépendance de l’édifice du culte.

newsid:480877

Construction

[Brèves] Société d’attribution : l’associé ne peut prétendre à l’attribution s’il n’a pas répondu aux appels de fonds

Réf. : Cass. civ. 3, 16 mars 2022, n° 21-11.579, FS-B N° Lexbase : A63697QX

Lecture: 3 min

N0836BZY

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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignement à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

Le 24 Mars 2022

► La participation aux appels de fonds est l’une des principales obligations des associés de la société d’attribution ; il n’est donc pas étonnant qu’elle soit une condition du partage.

La SCI d'attribution, dite SCIA, est une forme de société civile très utile pour financer des projets immobiliers d'envergure. Les coûts d'achat du bien peuvent ainsi être mutualisés et, une fois la propriété acquise par les associés, le bien pourra être partagé. Pourtant, cette forme de société de construction est peu utilisée en pratique.

La rareté des contentieux induits conduit à mettre en lumière l’arrêt rapporté.

En l’espèce, une SCI est transformée en SCIA. Ses associés se sont répartis les parts de la société et ont défini les fractions d’immeuble auxquels ces parts donnent droit, en jouissance, pendant la durée de la société et en propriété lors de la dissolution de la société. À la suite d’une mésentente entre associés, il est demandé la désignation d’un liquidateur avec, notamment, pour mission de proposer un projet de partage. Les associés ne parviennent pas à se mettre d’accord. Notamment, un des associés agit en homologation du projet de partage ayant pour conséquence l’attribution à son profit d’une fraction de l’immeuble.

Les autres associés considèrent que cette demande est irrecevable, faute pour lui d’avoir réglé sa quote-part de travaux. Les associés sont, en effet, tenus de répondre aux appels de fonds nécessités par l’acquisition, la construction ou l’aménagement de l’immeuble en proportion de leurs droits dans le capital. L’associé qui n’aurait donc pas satisfait à cette obligation ne pourrait donc prétendre ni à une entrée en jouissance de la fraction de l’immeuble à laquelle il a vocation, ni à se maintenir dans cette jouissance ni à obtenir l’attribution en propriété à laquelle il a vocation.

La sanction du défaut de paiement des appels de fonds est donc particulièrement sévère.

La Haute juridiction confirme cette sévérité. Selon les articles L. 212-3 N° Lexbase : L7219ABY et L. 212-4 N° Lexbase : L8946LQE du Code de la construction et de l’habitation, l’associé d’une société ayant pour objet la construction ou l’acquisition d’immeubles en vue de leur division par fractions destinées à être attribuées aux associés en propriété ou en jouissance ne peut prétendre à une telle attribution s’il n’a pas répondu aux appels de fonds nécessités par l’acquisition, la construction ou l’aménagement de l’immeuble.

Cette exigence constitue une condition de son droit de participer à un partage et non une condition de recevabilité d’une action en partage ou en homologation de partage.

La solution n’est pas nouvelle et reste logique.

Le partage ne peut intervenir qu’après décision définitive sur les comptes de l’opération de construction. Il doit comporter des attributions de fractions d’immeubles et une répartition du passif conformes aux dispositions statutaires et à l’état descriptif de division.

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Droit des étrangers

[Brèves] Maintien en zone d'attente d’un étranger pendant un délai maximal de 4 jours sans l'intervention du juge judiciaire : conformité à la Constitution

Réf. : Cons. const., décision n° 2021-983 QPC, du 17 mars 2022 N° Lexbase : A80577QH

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N0811BZ3

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par Marie Le Guerroué

Le 23 Mars 2022

► En permettant à l'administration de maintenir en zone d'attente un étranger pendant un délai maximal de quatre jours sans l'intervention du juge judiciaire, les dispositions de l'article L. 221-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 juillet 2015 et de l'article L. 222-1 du même code, ne méconnaissent pas l'article 66 de la Constitution ;

► ces dispositions, qui ne méconnaissent pas non plus le droit à un recours juridictionnel effectif, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

Procédure. Le Conseil constitutionnel avait été saisi par la Cour de cassation (Cass. QPC, 16 décembre 2021, n° 21-17.228, FS-B N° Lexbase : A54337GC) de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 221-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile N° Lexbase : L3826LZQ, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, relative à la réforme du droit d'asile N° Lexbase : L9673KCA, et de l'article L. 222-1 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016, relative au droit des étrangers en France N° Lexbase : L9035K4E. La question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « au-delà de quatre jours à compter de la décision initiale » figurant à l'article L. 222-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Les requérants reprochent à ces dispositions de permettre le maintien en zone d'attente d'un étranger pendant un délai de quatre jours sans l'intervention d'un juge judiciaire et sans préciser les règles de computation de ce délai. Il en résulterait, selon eux, une méconnaissance de la liberté individuelle et du droit à un recours juridictionnel effectif.

Décision du Conseil constitutionnel. En application de l'article L. 221-1 précité, l'administration peut décider de maintenir en zone d'attente l'étranger qui n'est pas autorisé à entrer sur le territoire français, ainsi que l'étranger qui demande à entrer en France au titre de l'asile. Les dispositions contestées prévoient que, au-delà d'un délai de quatre jours à compter de la décision de maintien de l'étranger en zone d'attente, la prolongation de cette mesure doit être autorisée par le juge des libertés et de la détention (JLD). Elles ont ainsi pour effet de permettre de le priver de liberté durant ce délai sans l'intervention du juge judiciaire. En premier lieu, pour les Sages, le maintien en zone d'attente est destiné à permettre à l'administration d'organiser le départ de l'étranger qui ne satisfait pas aux conditions d'entrée en France ou, dans le cas d'un étranger qui demande à entrer en France au titre de l'asile, de vérifier si l'examen de sa demande relève de la compétence d'un autre État membre ou si elle n'est pas irrecevable ou manifestement infondée. L'étranger ne peut être maintenu en zone d'attente que pour le temps strictement nécessaire à l'accomplissement de ces diligences. En second lieu, selon les dispositions contestées, le délai de quatre jours commence à courir dès le prononcé de la décision initiale de maintien en zone d'attente. Ces dispositions ne prévoient, par ailleurs, aucun motif de prorogation de ce délai. Dès lors, en permettant à l'administration de maintenir en zone d'attente un étranger pendant un délai maximal de quatre jours sans l'intervention du juge judiciaire, les dispositions contestées ne méconnaissent pas l'article 66 de la Constitution N° Lexbase : L1332A99.

Conformité. Par conséquent, les Sages déclarent que ces dispositions, qui ne méconnaissent pas non plus le droit à un recours juridictionnel effectif, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, sont conformes à la Constitution.

newsid:480811

Droit financier

[Brèves] Délit d'initiés : un journaliste financier peut communiquer des informations privilégiées lorsque c'est nécessaire et proportionné

Réf. : CJUE, gde ch., 15 mars 2022, aff. C-302/20 N° Lexbase : A48437QG

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par Vincent Téchené

Le 23 Mars 2022

► La divulgation par un journaliste d’une information privilégiée portant sur la publication prochaine d’un article relayant des rumeurs concernant des sociétés cotées en Bourse est licite lorsqu’elle est nécessaire pour mener à bien une activité de journalisme et respecte le principe de proportionnalité.

Faits et procédure. Un journaliste a publié sur le site internet d’un journal deux articles relayant des rumeurs de dépôt d’offres publiques d’achat sur les titres de Hermès (par LVMH) et de Maurel & Prom. Les prix indiqués dépassaient largement les cours de ces titres sur Euronext. Cette publication a fait augmenter considérablement les cours de ces titres. Peu avant la publication des articles, des ordres d’achat ont été passés sur les titres en question par certains résidents britanniques, qui les ont vendus une fois cette publication intervenue. Le journaliste s’est vu infliger par l’Autorité des marchés financiers (AMF, décision du 24 octobre 2018, sanction N° Lexbase : L6147LMM) une sanction pécuniaire d’un montant de 40 000 euros parce qu’il aurait fait part de la publication prochaine de ses articles à ces résidents britanniques et leur aurait ainsi communiqué des « informations privilégiées ».

Saisie d’un recours en annulation de cette décision, la cour d’appel de Paris (CA Paris, 5-7, 9 juillet 2020, n° 18/28497 N° Lexbase : A76887LC) a interrogé la Cour de justice à titre préjudiciel sur l’interprétation des dispositions du droit de l’Union sur les opérations d’initiés (Règlement n° 596/2014, du 16 avril 2014, sur les abus de marchés N° Lexbase : L4814I3P) :

  • une information portant sur la publication prochaine d’un article de presse relayant une rumeur de marché peut être considérée comme une information privilégiée, relevant de l’interdiction de divulguer de telles informations ?
  • quelles sont les exceptions à l'interdiction de divulguer des informations privilégiées, dans le contexte particulier de la presse ?

Décision. Selon la Cour de justice, une information portant sur la publication prochaine d’un article de presse relayant une rumeur de marché concernant un émetteur d’instruments financiers est susceptible de constituer une information « à caractère précis » et, donc, de relever de la notion d’« information privilégiée », lorsqu’elle fait notamment mention du prix auquel seraient achetés les titres, du nom du journaliste ayant signé l’article ainsi que de l’organe de presse en assurant la publication.

Toutefois, elle précise que la communication d’informations privilégiées à des fins journalistiques peut être justifiée, en vertu du droit de l’Union, au titre de la liberté de la presse et de la liberté d’expression. Les fins journalistiques peuvent englober des travaux d’investigation préparatoires à la publication réalisés par un journaliste pour vérifier la véracité des rumeurs. En revanche, la divulgation d’une information privilégiée par un journaliste n’est licite que lorsqu’elle est considérée comme nécessaire à l’exercice de sa profession et comme respectant le principe de proportionnalité.

Doivent ainsi être examinées par la juridiction nationale les questions suivantes :

  • d’une part, est-ce qu’il était nécessaire pour le journaliste qui cherche à vérifier la véracité d’une rumeur de marché de divulguer à un tiers, outre la teneur de cette rumeur, le fait qu’un article relayant cette rumeur serait publié prochainement ?
  • d’autre part, est-ce qu’une éventuelle restriction à la liberté de la presse que l’interdiction d’une telle divulgation engendrerait serait excessive, compte tenu de son effet potentiellement dissuasif pour l’exercice de l’activité journalistique ainsi que des règles et des codes auxquels les journalistes sont soumis, par rapport au préjudice qu’une telle divulgation risque de porter non seulement aux intérêts privés de certains investisseurs mais aussi à l’intégrité des marchés financiers ?

newsid:480858

Famille et personnes

[Textes] La loi du 7 février 2022 relative à la protection de l’enfant : une réforme pragmatique

Réf. : Loi n° 2022-140 du 7 février 2022, relative à la protection des enfants N° Lexbase : L1950MBT

Lecture: 35 min

N0880BZM

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université de Bordeaux, Présidente de l’Observatoire départemental de la protection de l’enfance de la Gironde et Yann Favier, Professeur à l’Université Savoie Mont Blanc, Directeur adjoint du Centre de Recherche en Droit Antoine Favre

Le 23 Mars 2022

Mots-clés : protection de l’enfant • protection de l’enfance • mineur • réforme • maltraitance • information préoccupante • prostitution • mineur non accompagné • violences intrafamiliales • juge des enfants • assistance éducative • aide sociale à l’enfance (ASE) • administrateur ad hoc • audition de mineur • médiation familiale • placement de l’enfant • accueil familial • parrainage • mentorat

Comme l’intitulé de la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 le suggère, il s’agit cette fois moins de protection de l’enfance que de protection de l’enfant, ce changement sémantique visant à mettre l’accent (comme la loi du 21 février 2022, visant à réformer l’adoption) sur la personne de l’enfant même si le texte concerne essentiellement les enfants protégés. Procédant par petite touche, la loi constitue finalement une réforme d’ampleur.


 

Répondre aux dysfonctionnements de la protection de l’enfance.- Précédé en 2020 par une Stratégie de prévention et de protection de l’enfance (SNPE) ayant pour objectif la remise à plat d’un système critiqué pour son manque de coordination entre les acteurs, ce texte s’attaque, quoique modestement, aux difficultés structurelles de la protection de l’enfance marquée notamment par de fortes disparités entre les départements et des insuffisances criantes de capacités d’accueil des mineurs qui s’ajoutent à l’état préoccupant de la justice familiale et de l’enfance en danger.

Objets multiples.- Ce texte qui n’affecte pas moins de six codes et renvoie à une quinzaine de règlements d’application, s’articule autour de six grands titres : améliorer le quotidien des enfants protégés, protéger les enfants contre les violences, améliorer les garanties procédurales en matière d’assistance éducative, améliorer l’exercice du métier d’assistant familial, mieux piloter la politique de prévention et de protection de l’enfance, et enfin, mieux protéger les mineurs non accompagnés.

Pilotage de la protection de l’enfance.- Au titre du pilotage national des mesures de protection, l’article 36 de la loi modifie tout d’abord la composition et l’organisation du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) notamment en y ajoutant un collège des enfants et des jeunes protégés ou sortant des dispositifs de la protection de l’enfance. Ce faisant, le législateur s’inscrit dans la reconnaissance de la parole collective des enfants protégés à l’instar du Conseil des jeunes de la protection de l’enfant instauré par le Conseil départemental de la Gironde. La loi crée ensuite un nouveau groupement d’intérêt public (GIP) réunissant le GIP Enfance en danger, l’Agence française de l’adoption (AFA) et les secrétariats généraux du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) et du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP). L’Observatoire national de protection de l’enfance (ONPE) est pour sa part maintenu, avec des missions redéfinies pour être un « centre national de ressources et de promotion de la recherche et de l’évaluation » pour la protection de l’enfance. Au plan départemental, l’article 37 crée un comité départemental de protection de l’enfance, une nouvelle instance de coordination entre les services de l’État et du département sous la forme d’une expérimentation volontaire sur cinq ans qui réunira au moins une fois par an, des acteurs locaux intervenant dans le champ de la protection de l’enfance.

PMI.- Certaines institutions départementales font l’objet de l’attention du législateur pour améliorer le dispositif dans son ensemble. La loi nouvelle (loi n° 2022-140 du 7 février 2022,. art.  32)  a ainsi des objectifs ambitieux pour la protection maternelle et infantile (PMI) en encadrant plus étroitement son pilotage et l’exercice des missions départementales et en imposant par exemple certaines normes minimales d’effectif (C. santé. publ., art. L. 2112-4 N° Lexbase : L2322MBM). Elle met en place une expérimentation des maisons d’enfants et de la famille dans les départements volontaires visant « à améliorer la prise en charge des enfants et des jeunes et à assurer une meilleure coordination des professionnels de santé́ exerçant auprès d’eux » (loi n° 2022-140 du 7 février 2022, art. 33). Les  centres de planification familiale deviennent des  « centres de santé sexuelle » pouvant être dirigés par des sages-femmes (loi n° 2022-140 du 7 février 2022, art. 34 et 35).

Plan.- Particulièrement riche, la loi du 7 février 2022 poursuit plusieurs objectifs différents mais qui concourent tous à une amélioration de la protection de l’enfant en danger : lutter contre les vulnérabilités particulières (I), imposer de nouveaux principes au juge des enfants dans le cadre de l’assistance éducative (II), améliorer le quotidien des enfants placés (III) et mieux accompagner les mineurs à la sortie du dispositif de protection de l’enfance (IV).

I. La lutte contre les vulnérabilités particulières

Le titre II de la loi intitulé « Mieux protéger les enfants contre les violences » contient des dispositions destinées à renforcer la protection des enfants confiés contre les violences (A). D’autres dispositions visent à protéger des enfants particulièrement vulnérables du fait de la situation à laquelle ils sont confrontés (B).

A. La protection de l’enfant contre les maltraitances

La loi de 2022 s’intéresse à la maltraitance institutionnelle et contient des dispositions plus générales relatives au repérage des enfants en danger.

1° la prévention de la maltraitance institutionnelle

Contrôle des antécédents judiciaires des professionnels.- À la suite des nombreux et récurrents scandales de pédophilie mais aussi pour répondre aux recommandations du Défenseur des droits en 2019, le législateur a souhaité sécuriser l’entourage des enfants protégés en accentuant la surveillance des professionnels qui participent à leur prise en charge. L’article L. 133-6 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) N° Lexbase : L0746LTS prévoit que nul ne peut exploiter, diriger un établissement social, ou médico-social, ou y intervenir de manière permanente ou occasionnelle, même à titre bénévole s’il a été condamné pour un crime ou un délit d’atteintes volontaires à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne, et il en va de même pour les personnes vivant dans l'entourage des assistants familiaux. Pour ce qui concerne ces derniers, en cas de retrait de leur agrément notamment pour des faits de violence, celui-ci ne pourra être délivré à nouveau que passé un certain délai défini par décret. Cette incapacité d’exercice s’applique également aux auteurs de violences involontaires si elles ont donné lieu à une condamnation supérieure à deux mois d’emprisonnement sans sursis.

Le contrôle de ces incapacités d’exercice est assuré par la délivrance du bulletin n° 2 du casier judiciaire et par l’accès aux informations contenues dans le fichier judiciaire national des auteurs d’infractions sexuelles ou violences, avant l’exercice des fonctions de la personne, et à intervalles réguliers lors de leur exercice, dans les conditions de l’article 706-53-7 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L6225LL7. Ce texte prévoit que « les maires, les présidents d'établissements publics de coopération intercommunale, les présidents de conseil départemental et les présidents de conseil régional sont également destinataires, par l'intermédiaire des préfets, des informations contenues dans le fichier, pour les décisions administratives de recrutement, d'affectation, d'autorisation, d'agrément ou d'habilitation concernant des activités ou professions impliquant un contact avec des mineurs ainsi que pour le contrôle de l'exercice de ces activités ou professions.»  Un dispositif particulier permet de donner effet à une décision de condamnation prononcée à l’étranger. Les incapacités professionnelles sont en outre applicables en cas de condamnation définitive figurant au FNAG même si cette condamnation n’est plus inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire.

Lutte contre la maltraitance dans les établissements.- La nouvelle loi impose aux établissements et services sociaux ou médico-sociaux de mettre en place et de faire état d’une véritable politique de lutte contre la maltraitance, définie largement dans l’article L. 119-1 du CASF N° Lexbase : L2348MBL, comme tout geste, parole, action ou défaut d’action compromettant le développement les droits, les besoins fondamentaux ou la santé d’une personne vulnérable lorsque cette atteinte intervient dans une relation de confiance, de dépendance, de soin ou d’accompagnement. Le texte précise que « les situations de la maltraitance peuvent être ponctuelles ou durables, intentionnelles ou non. Leur origine peut être individuelles, collective ou institutionnelle. Les violences et les négligences peuvent revêtir des formes multiples et associées au sein de ces situations ». Ces dispositions sont destinées à provoquer un changement de paradigme reposant sur le constat, certes difficile, que la maltraitance institutionnelle est une réalité même si elle n’est pas une généralité. On ne peut en effet déduire des nouveaux textes que le législateur pose une sorte de présomption selon laquelle elle existe dans tous les établissements. Mais la question de la maltraitance doit désormais être explicitement abordée dans les projets d’établissement et les moyens de l’éviter, et le cas échéant de la repérer, doivent être formellement prévus. Une formation spécifique des professionnels de ces établissements sur cette question devrait sans doute être mise en place. On notera que le texte ne s’applique pas seulement aux enfants mais à toutes les personnes vulnérables, dont les personnes âgées, malades, ou porteuses de handicap.

 2° L’amélioration du dispositif de l’information préoccupante

Référentiel unique.- L’article L. 226-3 du CASF N° Lexbase : L2389MB4 prévoit désormais que l'évaluation de la situation d'un mineur à partir d'une information préoccupante est réalisée au regard du référentiel national d'évaluation des situations de danger ou de risque de danger pour l'enfant, fixé par décret après avis de la Haute Autorité de santé, qui est ainsi généralisé à tous les départements.

Suites des informations préoccupantes.- La loi revient une fois encore sur l’information préoccupante créée par la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 N° Lexbase : L5932HUA et dont le régime a été précisé par la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 N° Lexbase : L0090K7H, en modifiant l’article L. 226-5 du Code de l’action sociale et des familles N° Lexbase : L2392MB9. Elle permet, de manière tout à fait bienvenue, que les personnes ayant transmis au président du Conseil départemental une information préoccupante sont informées, à leur demande, des suites qui ont été données à cette information dans un délai de trois mois, dans le respect de l'intérêt de l'enfant, du secret professionnel et dans des conditions déterminées par décret. Cette disposition est de nature à inciter les professionnels, notamment dans le domaine de la santé, à signaler plus souvent les maltraitances qu’ils constatent ou dont ils ont connaissance. En effet, le fait d’ignorer les suites données à leur information préoccupante avait été identifié comme un frein - parmi d’autres - à cette révélation.

B. La protection des mineurs particulièrement vulnérables

Prostitution des mineurs.- La loi ajoute à la liste des missions de service de l’Aide sociale à l’enfance énumérées par l’article L. 221-1 du CASF N° Lexbase : L2370MBE celle consistant à « apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique au mineur qui se livre à la prostitution, même occasionnellement ». Ce mineur est en effet réputé en danger selon les termes du texte. Cette disposition permet l’intervention de l’ASE en amont de la saisine d’un juge des enfants, à qui la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002, relative à l’autorité parentale N° Lexbase : L4320A4R, avait déjà accordé une compétence spéciale et automatique en cas de prostitution de mineur. Cet élargissement de la compétence de l’ASE répond à la préoccupation des professionnels qui constatent l’augmentation de la prostitution des mineurs et fournit un support à une action administrative précoce pour répondre à cette menace particulièrement grave qui pèse sur les mineurs.

Coordination et prise en charge des mineurs non accompagnés.-  La prise en charge des mineurs non accompagnés étant assumée diversement sur le territoire, la loi modifie la clé de répartition entre départements pour mieux prendre en compte les spécificités socio-économiques des départements et leurs actions pour les faire accéder à des contrats jeunes majeurs (CASF, art. L. 221-2-2 N° Lexbase : L2371MBG). De plus, la loi nouvelle interdit des réévaluations de la minorité et de l’isolement des mineurs non accompagnés après la péréquation lorsque le mineur est transféré d’un département à un autre (CASF, art. L. 221-2 N° Lexbase : L0230K7N). Tous les départements doivent désormais recourir au fichier d’aide à l’évaluation de la minorité (CASF, art. L. 221-2-4 N° Lexbase : L2373MBI). Enfin, est  reconnu un « temps de répit » pour les personnes se déclarant mineures avant qu’il soit procédé aux « investigations nécessaires au regard notamment des déclarations de cette personne sur son identité, son âge, sa famille d’origine, sa nationalité et son état d’isolement » (CASF, art. L. 221-2-4) alors que la loi aménage parallèlement un nouveau régime d’obtention du titre de séjour prévu à l’article L. 423-22 du CESEDA N° Lexbase : L2217MBQ, pour les mineurs non accompagnés confiés à des tiers dignes de confiance.

Enfants victimes de violences.- L’article 4 de la loi tire les conséquences de la privation de l’exercice de l’autorité parentale d’un parent par une décision judiciaire introduite par la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 N° Lexbase : L2114LUT en cas de violences intrafamiliales. L’article 373-1 du Code civil N° Lexbase : L2215MBN qui dispose que « si l’un des père et mère décède ou se trouve privé de l’exercice de l’autorité parentale, l’autre exerce seul cette autorité », est complété par les mots « à moins qu’il n’en ait été privé par une décision judiciaire antérieure. » La loi abroge en outre dans le même but l’alinéa 1er de l’article 373-3 du Code civil N° Lexbase : L2216MBP selon lequel « la séparation des parents ne fait pas obstacle à la dévolution prévue à l’article 373-1, lors même que celui des père et mère qui demeure en état d’exercer l’autorité aurait été privé de l’exercice de certains des attributs de cette autorité par l’effet du jugement prononcé contre lui ». Ces modifications ont pour effet d’éviter qu’un parent qui a été privé de l’exercice de l’autorité parentale parce qu’il est à l’auteur de violences intrafamiliales puissent retrouver cet exercice en cas de décès de l’autre parent ou si ce dernier se trouvait lui aussi privé de l’exercice de l’autorité parentale. L’objectif du nouveau texte est éviter qu’un enfant, qui a été maltraité par un de ses parents ou confrontées à la violence de celui-ci sur son autre parent, puisse être à nouveau soumis à l’autorité du parents violent. La décision judiciaire privant le parent de l’autorité parentale visée par le nouveau texte peut avoir été prise par le juge civil ou le juge pénal qui, en condamnant le parent violent en vertu de l’article 379-1 du Code civil N° Lexbase : L2994LUG, lui a retiré l’autorité parentale [1]. En revanche, il semble que la décision du juge aux affaires familiales d’attribuer l’exercice de l’autorité parentale à un seul parent dans le cadre d’une séparation en vertu de l’article 373-2-1, alinéa 1er, du Code civil N° Lexbase : L7190IMA, ne fasse pas partie des décisions visées par le texte.

II. Les nouveaux principes qui s’imposent au juge des enfants dans le cadre de l’assistance éducative

Le législateur encadre davantage les missions du juge des enfants en lui imposant d’assurer une meilleure défense de l’intérêt et des droits de l’enfant dans la procédure d’assistance éducative (A) et en soumettant sa décision au principe de primauté de la famille (B).

A. Une meilleure défense de l’intérêt et des droits de l’enfant dans la procédure d’assistance éducative

Le titre III de la loi tend expressément à « améliorer les garanties procédurales en matière d’assistance éducative ». Il prévoit d’une part la collégialité de la juridiction « juge des enfants », améliore d’autre part l’assistance et/ou la représentation de l’enfant, et impose enfin l’audition individuelle de ce dernier.

Collégialité.- La loi consacre dans le Code de l’organisation judiciaire (COJ, art. L. 252-6 N° Lexbase : L2304MBX) la pratique permettant au juge des enfants, à tout moment de la procédure, lorsque la complexité de l’affaire le justifie, d’ordonner son renvoi à la formation collégiale du tribunal judiciaire qui statue comme juge des enfants et qui sera présidée par le juge des enfants saisi de l’affaire. Cette possibilité constitue une réelle avancée dans un domaine sensible, pour lequel le juge unique constitue parfois une difficulté pour lui-même et pour les parties. Le débat entre les membres de la juridiction permet en effet d’aborder la question avec une certaine distance. Si la décision est prise par le juge des enfants, il n’est pas exclu que la demande de collégialité émane d’une partie à la procédure. Il semble cependant qu’il s’agisse d’une décision insusceptible de recours parce que relevant du régime de l’administration judiciaire. Cette nouvelle possibilité risque cependant de rester lettre morte dans les tribunaux pour enfant de petite taille dans lesquels les juges des enfants sont peu nombreux, ou pourrait du moins limiter de manière dommageable la spécialisation du juge des enfants par le recours à d’autres juges.

Avocat.- L’article 375-1 du Code civil N° Lexbase : L2220MBT prévoit que « lorsque l’intérêt de l’enfant l’exige, le juge des enfants demande au bâtonnier la désignation d’un avocat pour l’enfant capable de discernement ». Cette faculté offerte au juge d’organiser directement l’assistance de l’enfant par un avocat constitue sans aucun doute un progrès puisqu’il ne pouvait auparavant qu’informer le mineur de ce droit (CPC, art. 1186 N° Lexbase : L8896IWE). Il reste qu’elle constitue une déception au regard de la nécessité d’offrir au mineur une assistance systématique dans la procédure d’assistance éducative, au moins pour les décisions les plus graves, et en particulier celles relatives à son placement. Le fait que le président du Conseil département puisse solliciter du juge des enfants la désignation d’un avocat ne manque pas d’intérêt. En effet, le cas échéant, les services de l’ASE qui prennent en charge l’enfant sont bien placés pour apprécier la nécessité pour le mineur de bénéficier de l’assistance d’un avocat. Le texte limite logiquement le champ d’application de la mesure au mineur capable de discernement, excluant ainsi ceux qui en sont dépourvus. En effet, l’avocat porte la parole de celui qu’il représente ou assiste, ce qu’il ne saurait faire en l’absence de discernement de l’enfant en cause. Dans cette dernière hypothèse, c’est un administrateur ad hoc qui doit représenter les intérêts de l’enfant et le cas échéant désigner un avocat pour effectuer les actes de procédure nécessaires à la défense de ces derniers.

Administrateur ad hoc.- Lorsque l’enfant n’est pas capable de discernement, le nouvel article 375-1 du Code civil N° Lexbase : L2220MBT permet au juge des enfants de demander la désignation d’un administrateur ad hoc dans les mêmes conditions que l’avocat. La formule est problématique car on se demande à qui le juge des enfants pourrait demander la désignation d’un administrateur ad hoc. Ce pourrait être au juge des tutelles dont la compétence pour ce faire est prévue, de manière générale par l’article 388-2 du Code civil N° Lexbase : L0253K7I. Toutefois ce même texte prévoit également que « à défaut le juge saisi de l’instance désigne [à l’enfant] un administrateur ad hoc chargé de le représenter. » Le juge des enfants est donc compétent pour désigner lui-même un administrateur ad hoc à l’enfant s’il l’estime nécessaire. L’alinéa 2 de l’article 388-2 du Code civil issu de la loi du 14 mars 2016 prévoit d’ailleurs l’intervention d’un administrateur ad hoc dans le cadre d’une procédure d’assistance éducative et précise qu’il doit être indépendant de la personne morale ou physique à laquelle le mineur est confié, le cas échéant. Ainsi le juge des enfants peut désigner lui-même un administrateur ad hoc pour représenter l’enfant non doué de discernement, partie à la procédure d’assistance éducative, qui ne peut être le Conseil départemental dans la mesure où l’enfant est placé ou susceptible de l’être auprès de cette institution. Cette disposition devrait multiplier les désignations d’administrateurs ad hoc dans les procédures d’assistance éducative même si certains juges des enfants ne sont pas toujours convaincus de son opportunité, en raison notamment du nombre de personnes qui dans ce domaine sont chargés d’apprécier l’intérêt de l’enfant. Toutefois le juge des enfants pourrait se laisser convaincre par les services sociaux, lorsque ceux-ci estiment, justement, qu’il est opportun que la représentation de l’enfant soit assurée de manière autonome et qu’ils ne peuvent remplir cette mission.

Audition individuelle de l’enfant.- Un nouvel alinéa de l’article 375-1 du Code civil N° Lexbase : L2220MBT prévoit que « [le juge] doit systématiquement effectuer un entretien individuel avec l’enfant capable de discernement lors de son audience ou de son audition ». Cette disposition a tout d’abord le mérite d’inscrire l’obligation du juge des enfants d’entendre l’enfant dans le Code civil alors qu’il ne figurait jusque-là que dans le Code de procédure civile. Il impose, en outre, au juge des enfants d’entendre l’enfant, hors de la présence de ses parents et en dehors de l’audience. Ce faisant le législateur met fin à une pratique relativement répandue consistant pour le juge des enfants à entendre l’enfant lors de l’audience en présence des autres personnes convoquées à celle-ci. Désormais, même s’il entend l’enfant à l’occasion de l’audience, il devra prendre un moment pour s’entretenir seul avec l’enfant. On peut tout de même espérer que l’expression « entretien individuel » n’exclura pas, le cas échéant, l’avocat qui assiste l’enfant dans le cadre de la procédure d’assistance éducative. Si l’enfant n’a pas fait le choix d’être assisté d’un avocat, cet entretien individuel pourra permettre au juge de mesurer son besoin de bénéficier d’une telle assistance et de demander au bâtonnier qu’il lui soit désigné un avocat comme le lui permettent les nouveaux textes.

B. La primauté de la famille dans le cadre de l’assistance éducative

Médiation familiale.- La loi du 7 février 2022 pose incontestablement, et de manière inédite, un principe de primauté de la famille dans le cadre de l’assistance éducative, en renforçant le rôle de la famille dans la prise en charge de l’enfant lors de son placement et en organisant le placement des frères et sœurs ensemble. L’inscription de la médiation familiale dans le cadre de l’assistance éducative dans un nouvel article 375-4-1 du Code civil N° Lexbase : L2300MBS va dans le même sens. Cette médiation peut être proposée aux parents, sauf en cas de violences d’un parent sur l’autre ou sur l’enfant, le juge des enfants pouvant désigner un médiateur avec l’accord des parents.

Placement de l’enfant dans sa famille.- Le 5° du nouvel article 375-3 du Code civil N° Lexbase : L2299MBR impose au juge des enfants, hors les cas d’urgence, d’envisager d’abord un accueil de l’enfant par un membre de la famille ou un tiers digne de confiance avant de le confier à l’ASE. Il doit dans un premier temps évaluer les conditions d’éducation et de développement physique, affectif, intellectuel et social de l’enfant dans le cadre d’un tel accueil. Ainsi, la famille élargie devient prioritaire pour accueillir l’enfant lorsqu’il doit être retiré du domicile de ses parents, ce qui relève de l’exception en vertu de l’article 375-2 N° Lexbase : L2221MBU selon lequel « chaque fois qu’il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel. » À ce propos, on signalera que la pratique de l’AEMO renforcée est consacrée par la loi. Cette primauté de la famille élargie dans la prise en charge de l’enfant en danger est une innovation remarquable de la loi du 7 février 2002, qui répond sans doute pour partie à la diminution du nombre de familles d’accueil. Elle pouvait déjà se déduire du fait que le placement direct de l’enfant chez un autre membre de la famille ou un tiers digne de confiance figurait en seconde place dans l’article 375-3 du Code civil qui contient la liste des lieux, ou modalités, de placement. Il faut noter que le législateur de 2022 comme les précédents, assimile les membres de la famille et les tiers digne de confiance, qui comprennent des personnes proches de l’enfant qui n’ont pas forcément de lien familial avec lui. Même si cette précision paraît quelque peu redondante, au regard des dispositions procédurales de l’article 375-1 du Code civil N° Lexbase : L2220MBT (cf. supra), l’article 375-3 du même code précise que le juge doit entendre l’enfant lorsqu’il est capable de discernement avant de choisir de le placer dans son entourage proche ou à l’ASE. Cette précision a toutefois le mérite de mettre l’accent sur la nécessité de faire participer l’enfant à la décision concernant son placement.

Accompagnement du tiers digne de confiance.- La faveur légale pour le placement de l’enfant chez un proche se manifeste également par la mise en place d’une information et d’un accompagnement du membre de la famille ou de la personne digne de confiance auprès de qui l’enfant est placé par un référent de l’ASE, en l’absence de mesure d’assistance éducative en milieu ouvert. Cette disposition évitera d’ajouter une mesure d’AEMO au placement direct chez un tiers de confiance dans le seul but de permettre aux services sociaux d’apporter leur aide au tiers digne de confiance comme c’était le cas dans la pratique antérieure. Cette disposition s’inscrit dans une tendance générale de la loi de 2022 consistant à favoriser les interactions entre les services sociaux et les personnes privées, dont les proches, susceptibles de contribuer à la protection de l’enfant.

Liens fraternels.- La primauté de la famille est également assurée par l’article 375-7 du Code civil qui énonce désormais que « l’enfant est accueilli avec ses frères et sœurs en application de l’article 371-5 du Code civil N° Lexbase : L2302MBU, sauf si son intérêt commande une autre solution ». Ce dernier texte prévoit que « l’enfant ne doit pas être séparé de ses frères et sœurs ». Il s’agit donc d’appliquer à l’assistance éducative ce principe général, en imposant au juge de placer la fratrie ensemble, et de motiver spécialement une décision contraire. Ce faisant, le législateur veut éviter que le placement des enfants aboutisse à une destruction des liens fraternels dont se plaignent souvent les anciens enfants placés. Il répond en outre à une exigence de la Cour européenne des droits de l’Homme qui a considéré, dans l’arrêt « Neves Caratão Pinto » du 13 juillet 2021 [2], que la séparation de deux jumeaux, durant toute la durée du placement, a provoqué un éclatement de la famille et de la fratrie allant à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant. Le vécu souvent traumatique des enfants placés dans leur famille peut toutefois rendre nécessaire la séparation des enfants, ce que la loi permet au juge dès lors qu’il s’en explique dans sa décision. La formulation du texte combine une approche in abstracto de l’intérêt de l’enfant, selon laquelle il est en principe de son intérêt d’être placé avec ses frères et sœurs, et une approche in concreto de cet intérêt qui peut conduire à considérer pour une fratrie particulière qu’une séparation est opportune. On peut regretter que dans cette dernière hypothèse, la loi n’ait pas imposé au juge des enfants de statuer sur l’organisation concrètes des relations entre les enfants placés dans des lieux différents. La question des liens entre les membres de la fratrie, qu’ils vivent ensemble ou non, devrait systématiquement être abordée par le juge des enfants dans toutes ses décisions, ce qui est aujourd’hui loin d’être le cas en pratique. Elle doit être envisagée à chaque étape du suivi de l’enfant et notamment dans les rapports annuel ou bi-annuel remis par les services sociaux au juge des enfants en vertu du dernier alinéa de l’article 375 du Code civil N° Lexbase : L2219MBS.

Modification du placement.- La protection du lien fraternel relève également de l’article L. 223-3 du CASF N° Lexbase : L2382MBT qui prévoit que lorsque la modification du placement entraîne la séparation d’une fratrie, le service de l’ASE doit justifier sa décision et en informer le service compétent dans un délai de quarante-huit heures. La vie commune des frères et sœurs doit donc durer toute la durée de leur placement sauf raison particulière. La séparation d’une fratrie est une des hypothèses dans laquelle le juge des enfants doit être informé dans les quarante-huit heures de la décision de modifier le placement. De manière plus générale, la loi de 2022 complète la loi du 14 mars 2016 à propos du changement de lieu d’accueil de l’enfant à l’initiative de l’ASE. Cette dernière avait imposé au service d’informer le juge compétent au moins un mois avant la mise en œuvre de la décision de modifier le lieu de placement. Le nouveau texte organise l’information du juge en cas d’urgence, le service devant alors aviser le juge compétent dans un délai de quarante-huit heures à compter de la décision de modification du lieu de placement qu’il doit, évidemment, justifier.

III. Améliorer le quotidien des enfants confiés

Renforcement du suivi en santé des enfants protégés. – Alors que la santé des enfants est un thème de préoccupation majeure, la loi du 7 février 2022 renforce l’obligation de réaliser un bilan de santé pris en charge par l’assurance maladie lors de l’admission du mineur dans le dispositif de protection de l’enfance (CASF, art. L. 223-1-1 N° Lexbase : L2380MBR et C. civ., art. 375 N° Lexbase : L2219MBS) en particulier pour les enfants en situation de handicap. Ainsi, le rapport de situation individuelle adressé au juge des enfants comprendra « notamment un bilan pédiatrique, psychique et social de l’enfant ».

Réforme de l’accueil familial. -La question est d’importance dans un contexte où les vocations d’assistants familiaux semblent se tarir. C’est pourquoi la loi réforme en profondeur tout d’abord les conditions de l’accueil familial (CASF, art. L. 421-17-2 N° Lexbase : L2406MBQ, L. 422-5 N° Lexbase : L9106HW8, L. 423-8 N° Lexbase : L4178H8A, L. 423-30 N° Lexbase : L4200H83, L. 423-30-1 N° Lexbase : L2412MBX et L. 423-31 N° Lexbase : L4201H84, L. 423-34 N° Lexbase : L4203H88, abrogation de L. 422-4 N° Lexbase : L9105HW7) et fait pleinement participer les accueillants professionnels à l’élaboration et au suivi du projet pour l’enfant (CASF, art. L. 421-17-2). Ensuite, sont notablement améliorées les conditions de travail des assistants familiaux avec un renforcement des règles d’encadrement des salaires (au minimum d’un SMIC avec un maintien du salaire à 80 % en absence d’enfant confié), et une évolution de leur contrat de travail ainsi que des conditions de travail avec notamment l’aménagement de temps de répit pour lutter contre l’épuisement professionnel (CASF, art. L. 422-1 N° Lexbase : L2407MBR, L. 423-33 N° Lexbase : L2411MBW et L. 423-33-1 N° Lexbase : L2415MB3).

Fin de l’accueil hôtelier des mineurs en danger. – Régulièrement dénoncée, la pratique des accueils hôteliers des enfants en danger (qui concernait 5 à 10 % des enfants confiés d’après un rapport de l’IGAS du 20 novembre 2020) faute de place en famille d’accueil ou en établissement a vocation à disparaître. En imposant en effet que les mineurs en danger – y compris les mineurs non accompagnés – soient accueillis dans des établissements agréés, la loi interdit l’accueil des mineurs et jeunes majeurs dans les hôtels ou les lieux jeunesse et sports, hors périodes de vacances scolaires, de congés professionnels ou de loisirs d’ici à 2024 (CASF, art. L. 221-2-3 N° Lexbase : L2372MBH, L. 226-3-1 N° Lexbase : L2390MB7, L. 312-1 N° Lexbase : L4824MBB, L. 312-5 N° Lexbase : L2398MBG, L. 313-3 N° Lexbase : L2399MBH et L. 321-1 N° Lexbase : L2402MBL). Toutefois à l’issue de ce délai, une prise en charge hôtelière restera autorisée « à titre exceptionnel pour répondre à des situations d’urgence ou assurer la mise à l’abri des mineurs [...] pour une durée ne pouvant excéder deux mois » (CASF, art. L. 221-2-3 N° Lexbase : L2372MBH).

Actes non usuels. – La vie quotidienne des enfants confiés est, selon leurs propres dires, comme ceux des professionnels qui les accompagnent, plus compliquée que celle des enfants qui vivent dans leur famille, ce qui peut aboutir à une forme de stigmatisation. Cette complexité découle notamment du régime des décisions les concernant. En effet, leurs parents conservant les attributs de l’exercice de l’autorité parentale compatibles avec la mesure de placement, en vertu de l’article 375-7 du Code civil N° Lexbase : L2302MBU, doivent consentir à tous les actes non usuels. Lorsque par désintérêt ou opposition, les parents ne consentent pas à ces actes, le quotidien de l’enfant peut être impacté. C’est la raison pour laquelle, en vertu du même texte, la personne ou le service à qui l’enfant est confié peut demander au juge des enfants une autorisation spéciale pour réaliser des actes non usuels lorsque l’intérêt de l’enfant le nécessite et que le refus des parents est injustifié. Pour améliorer la fluidité des décisions relatives aux enfants placés, le législateur de 2022 a élargi le champ d’application de cette autorisation spéciale en permettant d’abord qu’elle soit donnée pour plusieurs actes déterminés et non plus pour un seul. En effet, la Cour de cassation était intervenue à plusieurs reprises pour faire respecter à la lettre les conditions de cette autorisation, notamment en condamnant les autorisations qui ne portait pas sur un acte unique [3]. Cette évolution de la loi devrait faciliter la prise de décisions relatives aux enfants confiés en n’imposant pas aux services de saisir le juge pour chaque acte refusé par les parents. Par ailleurs, le champ de cette autorisation est élargi à l’hypothèse dans laquelle le parent a été condamné même non définitivement pour des crimes ou délits commis sur la personne de l’enfant. Dans ce cas, l’autorisation pourra être donnée par le juge des enfants sans que l’accord des parents ne doive être sollicité, dans le but bien compris de limiter la participation d’un parent maltraitant à la vie de son enfant. Il conviendrait toutefois dans une telle hypothèse que les services sociaux saisissent rapidement le juge aux affaires familiales d’une demande de délégation de l’exercice de l’autorité parentale si le juge pénal n’a pas prononcé le retrait de l’autorité parentale ou de son exercice lors de la condamnation.

Parrainage et mentorat.– Parmi les innovations intéressantes de la loin on trouve la proposition systématique d’un parrainage « si tel est l'intérêt de l'enfant et après évaluation de la situation » quel que soit le fondement de la prise en charge administrative ou judiciaire de l’enfant confié à l’aide sociale à l’enfance. Ce parrainage reste conditionné à l'accord des parents. Il s’inscrit « dans le cadre d'une relation durable cordonnée par une association et construite sous la forme de temps partagés réguliers entre l'enfant et le parrain ou la marraine ». L’encadrement du parrainage et l’habilitation des association de parrainage qui devront être signataires d’une charte, seront fixés par décret. Il est pareillement proposé à l'enfant pris en charge par le service de l’ASE de bénéficier d'un mentor. Le mentorat désigne « une relation interpersonnelle d'accompagnement et de soutien basée sur l'apprentissage mutuel ». Son objectif est de « favoriser l'autonomie et le développement de l'enfant accompagné en établissant des objectifs qui évoluent et s'adaptent en fonction de ses besoins spécifiques » (CASF, art. L. 221-2-6 N° Lexbase : L2375MBL). Le recours au mentorat doit être proposé à l'entrée au collège. Enfin, le parrainage et le mentorat sont mentionnés dans le projet pour l'enfant.

IV. La sortie de l’ASE

Accompagnement des jeunes majeurs confiés à l’ASE.-  Un des axes principaux de la loi est d’organiser au mieux la sortie de l’enfant du disposition de protection de l’enfant à sa majorité et d’éviter ainsi les « sorties sèches » de la protection de l’enfance génératrices d’instabilité sociale et de précarité économique. C’est pourquoi désormais, seront pris en charge, au titre de l’aide sociale à l’enfance, les jeunes majeurs, « qui ne bénéficient pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants, lorsqu’ils ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance avant leur majorité » (CASF, art. L. 112-3 N° Lexbase : L2347MBK, L. 222-5 N° Lexbase : L2377MBN et L. 222-5-1 N° Lexbase : L2378MBP). Un soutien de l’État doit être organisé pour compenser cette charge des départements. En outre, la loi facilite l’accès des mineurs et jeunes majeurs protégés aux aides au logement (CCH, art. L. 441-1 N° Lexbase : L4902MB8, L. 441-1-5 N° Lexbase : L2339MBA, L. 441-2-7 N° Lexbase : L2337MB8, L. 441-2-8 N° Lexbase : L2338MB9 et L. 442-5 N° Lexbase : L2340MBB) et encourage le recours à la garantie jeunes par des personnes sortant du dispositifs de protection de l’enfance (loi n° 2022-140 du 7 février 2022, art. 10 et C. trav., art. L. 5131-6 N° Lexbase : L5868MAL). Pour les accompagner au mieux, est mis en place le droit pour l’enfant de désigner une personne de confiance qui peut être « un parent ou toute autre personne de son choix ». Cette personne de confiance « accompagne le mineur dans ses démarches, notamment en vue de préparer son autonomie » (CASF, art. L. 223-1-3 nouv. N° Lexbase : L2381MBS).  La loi organise également un entretien avec le jeune dans les six mois après sa sortie. Un entretien supplémentaire peut également être accordé au jeune à sa demande jusqu’à ses 21 ans (CASF, art. L. 222-5-1 N° Lexbase : L2378MBP, L. 222-5-2-1 N° Lexbase : L2379MBQ, L. 223-1-1 N° Lexbase : L2380MBR et L. 223-1-3 N° Lexbase : L2381MBS). Un accompagnement spécifique est également proposé aux mineurs ou jeunes majeurs désireux d’accéder à leurs origines (CASF, art. L. 223-7 N° Lexbase : L2385MBX). L’accompagnement du jeune peut être mise en place après sa sortie de l’ASE alors qu’il l’a refusée dans un premier temps.

Versement de l’allocation de rentrée scolaire– Le texte permet déjà le versement de cette allocation pour les enfants confiés au titre de la protection de l’enfance à la Caisse des dépôts et consignation afin que ceux-ci disposent d’un pécule à leur majorité. Cette disposition est adaptée au cas où l’enfant est confié à « la personne physique qui assume la charge effective et permanente de l’enfant confié » (CSS, art. L. 543-3 N° Lexbase : L7416ADZ), ce qui permet le maintien de l’allocation aux parents en cas de placement à domicile ou son transfert au tiers digne de confiance.

 

[2] CEDH, 13 juillet 2021, Req. 28443/19, Neves Caratão Pinto c/ Portugal N° Lexbase : A04324ZZ.

[3] Cass. civ. 1, 24 mai 2018, n° 17-22.049, F-D N° Lexbase : A5355XPZ.

newsid:480880

Fiscalité immobilière

[Brèves] Maintien de la réduction d’impôt « Pinel » : précisions sur le niveau de qualité des logements à respecter

Réf. : Décret n° 2022-384, du 17 mars 2022, relatif au niveau de qualité des logements résultant de l'application en France métropolitaine de l'article 168 de la loi n° 2020-1721, du 29 décembre 2020, de finances pour 2021 N° Lexbase : L9987MBI

Lecture: 3 min

N0822BZH

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par Marie-Claire Sgarra

Le 23 Mars 2022

Le décret n° 2022-384, du 17 mars 2022, publié au Journal officiel du 18 mars 2022, précise le niveau de qualité des logements prévu à l'article 168 de la loi de finances pour 2021 à respecter en France métropolitaine pour bénéficier du maintien des taux de la réduction d'impôt sur le revenu « Pinel » en faveur de l'investissement immobilier locatif intermédiaire.

Pour rappel, la loi de finances pour 2021 (loi n° 2020-1721, du 29 décembre 2020, de finances pour 2021 N° Lexbase : L3002LZ9) a :

  • prorogé le dispositif « Pinel » jusqu’en 2024 avec des taux de réduction d’impôt dégressif ;
  • étendu la condition liée à la réalisation d’investissements dans des bâtiments d’habitation collectifs aux logements que le contribuable fait construire.

Taux de réduction applicables :

 

Investissements réalisés avant le 31 décembre 2022

2023

2024

Engagement initial pris pour une durée de 6 ans

Métropole : 12 %

Outre-mer : 23 %

Métropole : 10,5 %

Outre-mer : 21,5 %

Métropole : 9 %

Outre-mer : 20 %

Engagement initial pris pour une durée de 9 ans

Métropole : 18 %

Outre-mer : 29 %

Métropole : 15 %

Outre-mer : 26 %

Métropole : 12 %

Outre-mer : 23 %

 

Que prévoit le décret du 17 mars 2022 ? Le décret a pour objet de définir, pour la France métropolitaine, les critères du niveau de qualité en matière de performance énergétique et environnementale prévu au II de l'article 168 de la loi de finances pour 2021, au regard de la RE 2020 et de la nouvelle méthode de détermination du diagnostic de performance énergétique (DPE), qui permettent de bénéficier du maintien des taux de la réduction d'impôt Pinel pour les logements acquis ou construits par les contribuables en 2023 et 2024.

Pour les logements que le contribuable acquiert en 2023 et 2024 dans le cadre d'une opération de construction, ou qu'il fait construire et qui font l'objet d'un dépôt de demande de permis de construire ces mêmes années (logements mentionnés au 1° du B du I de l'article 199 novovicies du CGI N° Lexbase : L6970LZ8), le décret définit des niveaux de performance énergétique et environnementale minimale à respecter, fondés sur les exigences de la RE 2020 qui entreront en vigueur en 2025.

Pour ces mêmes logements que le contribuable acquiert en 2024, ou, pour ceux qu'il fait construire et qui font l'objet d'un dépôt de demande de permis de construire en 2024, il est ajouté un critère de performance énergétique et environnementale complémentaire : le respect d'une classe A du DPE.

Par dérogation, pour les logements acquis en 2023 et 2024 dans le cadre d'une opération de construction dont la demande de permis de construire a été déposée avant le 1er janvier 2022, date d'entrée en vigueur de la réglementation environnementale des nouvelles constructions de bâtiments (RE 2020), des dispositions spécifiques sont toutefois prévues : elles supposent le respect des critères fondés sur le référentiel E+C- utilisé pour préfigurer la RE 2020 et d'une classe A du DPE au sens de l'article L. 173-1-1 du Code de construction et de l'habitation.

Pour les logements acquis par les contribuables en 2023 et 2024 dans le cadre d'une opération autre qu'une opération de construction, et pour laquelle par conséquent ni la RE 2020 ni le référentiel E+C- ne sont applicables au bâtiment, le respect d'une classe A ou B du DPE au sens de l'article L. 173-1-1 du Code de construction et de l'habitation est exigé.

Le décret prévoit enfin les critères de qualité d'usage et de confort à respecter en France métropolitaine pour l'application du II de l'article 168 de la loi de finances pour 2021.

Le texte est entré en vigueur le 19 mars 2022.

Lire en ce sens, M-C. Sgarra, Dispositif Pinel : fiche pratique, Lexbase Fiscal, avril 2021, n° 862 N° Lexbase : N7187BYT.

 

newsid:480822

Licenciement

[Brèves] Détermination du montant des dommages-intérêts alloués au salarié victime d’un licenciement nul

Réf. : Cass. soc., 16 mars 2022, n° 21-10.507, F-D N° Lexbase : A89727QD

Lecture: 3 min

N0861BZW

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par Lisa Poinsot

Le 24 Mars 2022

Le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration a droit, quelles que soient son ancienneté et la taille de l'entreprise, aux indemnités de rupture et à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.

Faits et procédure. Un salarié, engagé dans le cadre d’un contrat d’avenir, est placé en arrêt de travail pour maladie puis est licencié pour insuffisance des résultats commerciaux et missions commerciales confiées non menées à bien ou négligées. Il saisit la juridiction prud’homale de diverses demandes relatives à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail.

La cour d’appel déclare que le licenciement du salarié est nul. Pour calculer le montant des dommages-intérêts devant être versés par l’employeur au salarié, les juges du fond prennent en considération le salaire mensuel moyen du salarié (1 551 euros), son ancienneté (moins d’une année dans l’entreprise de moins de 11 salariés), la nature de son contrat (un contrat d’avenir au cours duquel il devait recevoir une formation spécifique). De ces éléments, elle limite le montant des dommages-intérêts à 4 000 euros.

Le salarié forme alors un pourvoi en cassation contre cette décision qui l’a débouté de sa demande tendant à voir condamner l’employeur à lui payer une somme excédant 4 000 euros.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse le raisonnement de la cour d’appel sur le fondement des articles L. 1152-3 du Code du travail N° Lexbase : L0728H9T et L. 1235-3 du même Code N° Lexbase : L1442LKM, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 N° Lexbase : L8436K9C. La Cour de cassation considère en l’espèce, que « la nullité du licenciement justifie d'accorder au salarié la somme de 9 306 euros qu'il sollicite à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, laquelle correspond à six mois de salaire ».

Pour aller plus loin : cette décision est à rapprocher de trois autres décisions du 16 mars 2022 :

  • Cass. soc., 16 mars 2022, n° 21-11.257, F-D N° Lexbase : A90167QY (cassation pour avoir limiter le montant des dommages-intérêts à la somme de 5 000 euros après avoir dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail s’analysait en un licenciement nul et avoir constaté que le salaire mensuel moyen du salaire s’élevait à la somme de 1 495,42 euros, que le salarié comptabilisait une année d’ancienneté dans une entreprise de moins de 11 salariés dans laquelle il effectuait sa première expérience professionnelle) ;
  • Cass. soc., 16 mars 2022, n° 21-10.506, F-D N° Lexbase : A89527QM (cassation pour avoir limiter le montant des dommages-intérêts à la somme de 4 000 euros après avoir jugé que la démission du salarié s’analysait en prise d’acte de la rupture produisant les effets d’un licenciement nul et avoir constaté que le salaire mensuel moyen du salaire s’élevait à la somme de 1 457,55 euros, que le salarié comptabilisait moins d’une année d’ancienneté dans une entreprise de moins de 11 salariés dans laquelle il effectuait sa première expérience professionnelle) ;
  • Cass. soc., 16 mars 2022, n° 21-18.033, F-D N° Lexbase : A88347QA (cassation pour avoir le montant des dommages-intérêts à la somme de 4 500 euros après avoir jugé que la résiliation judiciaire du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement nul et avoir constaté que le salaire mensuel moyen du salaire s’élevait à la somme de 1 720 euros, que le salarié comptabilisait moins d’une année d’ancienneté dans une entreprise de moins de 11 salariés dans laquelle il effectuait sa première expérience professionnelle);
  • sur le sujet v. : ÉTUDE :  La nullité du licenciement, Les conséquences pécuniaires, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E86274QL.

 

newsid:480861

Procédure pénale

[Brèves] Conditions indignes de détention et responsabilité administrative de l’État : répartition de la charge de la preuve

Réf. : CE, 5/6 ch.-r., 21 mars 2022, n° 443986, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A99167QC

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N0845BZC

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par Adélaïde Léon

Le 23 Mars 2022

► Il appartient au détenu ou ancien détenu qui engage une action en responsabilité à l’encontre de l’administration du fait de ses conditions de détention d’exposer une description de ses conditions de détention suffisamment crédible et précise pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne ; C'est alors à l'administration qu'il revient d'apporter des éléments permettant de réfuter les allégations du demandeur.

Rappel de la procédure. Estimant avoir subi des préjudices du fait de sa détention au centre pénitentiaire dans lequel il était incarcéré, un individu a demandé au tribunal administratif de condamner l’État à lui verser la somme de 4 800 euros en réparation desdits préjudices.

Cette première demande est rejetée au motif que l’intéressé n’apportait à l’appui de ses affirmations aucun témoignage ni aucune pièce probante.

L’intéressé a formé un recours contre le jugement, lequel avait été rendu en dernier ressort. Ce recours a donc été transmis au Conseil d’État par la présidente de la cour administrative d’appel.

Décision. Le Conseil d’État juge qu’il appartient au détenu ou ancien détenu qui engage une action en responsabilité à l’encontre de l’administration du fait de ses conditions de détention d’exposer une description de ses conditions de détention suffisamment crédible et précise pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne.

Dès lors, précise le Conseil, la charge de la preuve est transférée à l’administration à qui il revient d’apporter les éléments permettant de réfuter les allégations du demandeur.

En l’espèce, le Conseil d’État juge que l’administration n’avait pas produit de mémoire en défense et n’avait donc fourni aucun élément de nature à réfuter les allégations précisément détaillées du demandeur. La Haute juridiction administrative estime donc que tribunal administratif a entaché son jugement d’une erreur de droit en écartant la demande indemnitaire.

Le Conseil d’État précise que, si le ministre de la Justice fait valoir, dans son deuxième mémoire en défense devant le Conseil, des éléments de faits relatifs aux conditions de détention de l’intéressé, il appartiendra au juge du fond, saisi à nouveau de l’affaire, d’en apprécier la portée et l’incidence au regarde de la demande présentée par le requérant.

Le Conseil annule le jugement du tribunal administratif et renvoi l’affaire devant lui.

On notera que cette répartition n’est pas sans rappeler celle de l’article 803-8 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1636MAT instituant une procédure visant à faire reconnaitre et cesser l’existence de conditions indignes de détention affectant tant les détenus provisoires que les personnes condamnées.

Pour aller plus loin :

  • M. Quinquis, Le nouvel article 803-8 du Code de procédure pénale, s’en saisir et agir !, février 2022 N° Lexbase : N0166BZ8 ;
  • A. Léon, Lutte contre les conditions indignes de détention : modalités d’application du nouveau recours judiciaire, septembre 2021 N° Lexbase : N8783BYX ;
  • A. Léon, Conditions indignes de détention : la loi du 8 avril 2021 crée un recours devant le juge judiciaire, Lexbase pénal, avril 2021 N° Lexbase : N7158BYR.
  •  

newsid:480845

Sociétés

[Jurisprudence] La révocation d’un dirigeant de SAS ne suppose un juste motif que si les statuts le stipulent

Réf. : Cass. com., 9 mars 2022, n° 19-25.795, F-B N° Lexbase : A94347P4

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N0830BZR

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par Bernard Saintourens, Professeur émérite de l’Université de Bordeaux

Le 23 Mars 2022

Mots-clés : société par actions simplifiée (SAS) • dirigeant • révocation • juste motif • stipulation statutaire.

Les conditions dans lesquelles les dirigeants d’une société par actions simplifiée peuvent être révoqués de leurs fonctions sont, dans le silence de la loi, librement fixées par les statuts, qu’il s’agisse des causes de la révocation ou de ses modalités. La révocation du directeur général d’une SAS peut donc intervenir sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un juste motif, au regard des stipulations statutaires relatives à la société concernée.


 

La singularité du régime juridique de la société par actions simplifiée, au regard de celui de la société anonyme, constitue un facteur d’attractivité incontestable, en ce qu’il laisse une bien plus large marge de liberté pour l’organisation du fonctionnement de la société et, notamment, à propos du statut de ses dirigeants. La question, légitiment sensible, des conditions de révocation des dirigeants se pose dans chaque forme de société et constitue, d’ailleurs, un des principaux paramètres de choix entre elles. Sur ce terrain, la SAS bénéficie incontestablement d’un avantage comparatif dès lors que l’article L. 227-1 du Code de commerce N° Lexbase : L2397LR9 écarte, à son alinéa 3, l’application à cette société des règles qui gouvernent la révocation des dirigeants de la société anonyme et que l’article L. 227-5 N° Lexbase : L6160AIY dispose tout simplement que « Les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ».

Par son arrêt, en date du 9 mars 2022, retenu pour figurer au Bulletin, la Chambre commerciale de la Cour de cassation prend une position qui est de nature à donner son plein effet à la singularité du régime juridique qui gouverne la révocation des dirigeants de SAS. La Haute juridiction, reprenant la position des juges d’appel, retient que « les conditions dans lesquelles les dirigeants d’une société par actions simplifiée peuvent être révoqués de leurs fonctions sont, dans le silence de la loi, librement fixées par les statuts, qu’il s’agisse des causes de la révocation ou de ses modalités ». Dès lors qu’en l’espèce, le libellé des statuts ne conditionnait aucunement la révocation du dirigeant à l’existence de justes motifs, elle ne peut que rejeter le pourvoi qui avait été formé par le directeur général de la SAS concernée à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel [1] qui avait jugé que cette révocation pouvait intervenir sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un juste motif.

L’arrêt rapporté, qui constitue certainement un encouragement à une plus grande attention lors de la rédaction des statuts de la SAS, doit d’abord être retenu en ce qu’il affirme, au regard de la prééminence des statuts, qu’un dirigeant de SAS peut être révocable sans juste motif (I), mais il ne saurait faire oublier que sa révocation ne doit pas être abusive, le juge exerçant sur ce point son contrôle (II).

I. Le principe d’une révocation sans juste motif : la prééminence des statuts

La position adoptée par la Cour de cassation suscite plusieurs remarques, tant de nature théorique que pratique.

En observation liminaire, il convient de noter que si l’arrêt sous examen concernait le directeur général de la SAS, la position adoptée par la Cour de cassation est susceptible de s’appliquer à tous les dirigeants d’une telle société. La rédaction de l’article L. 227-5 du Code de commerce précité ne fait aucune différence selon la nature des fonctions exercées et englobe sous la même règle tous ceux par l’intermédiaire desquels « la société est dirigée ». La remarque est importante car on pourrait estimer que la fonction de président de la société, seule identifiée comme requise impérativement par les textes puisqu’il a pour fonction première de représenter la société à l’égard des tiers (C. com., art. L. 227-6 N° Lexbase : L6161AIZ), pourrait justifier un traitement plus protecteur, qui pourrait être aligné sur celui dont bénéficie le directeur général de la société anonyme, lequel détient aussi le pouvoir de représentation de la société. Lorsque le directeur général de la SA n’assume pas, en même temps, les fonctions de président du conseil d’administration, sa révocation peut avoir lieu « à tout moment » (C. com., art. L. 225-55 N° Lexbase : L5926AIC), mais si elle est décidée « sans juste motif », elle peut donner lieu à des dommages et intérêts (même texte).

La position exprimée par la Cour de cassation est donc de nature à s’appliquer à tout dirigeant de la SAS, qu’il s’agisse du président, du directeur général ou du directeur général délégué, seules fonctions envisagées par l’article L. 227-6, alinéa 3, du Code de commerce, ou de tout autre organe de direction qui serait mis en place dans une société par actions simplifiée, quelle que soit sa dénomination, son caractère individuel ou collectif. La liberté d’organisation, caractéristique traditionnellement attachée à la SAS, trouve sur le terrain de la révocation des dirigeants une notable manifestation.

La prééminence accordée aux statuts pour fixer les conditions de la révocation d’un dirigeant de SAS, retenue par l’arrêt sous examen, se situe dans le sillage logique de précédents et, notamment, de l’arrêt prononcé par la Chambre commerciale, en date du 25 janvier 2017 [2]. Dans cet arrêt, auquel la Haute juridiction attachait de l’importance pour l’avoir retenu pour son Rapport annuel, l’exclusivité de la référence aux statuts était renforcée par l’adjonction du mot « seuls » au début du libellé de l’article L. 227-5 du Code de commerce. L’arrêt du 9 mars 2022 de la même chambre doit donc être retenu comme confirmant cette conception stricte du régime juridique des dirigeants de SAS : les statuts, rien que les statuts ! Comme ne manquent pas de le relever les hauts magistrats, c’est parce que l’on se trouve « dans le silence de la loi », que l’on est tenu se tourner vers les statuts de la société concernée pour y déceler les causes d’une révocation et, singulièrement, l’éventuelle exigence d’un juste motif. Dès lors que, comme en l’espèce, les statuts ne faisaient aucune mention d’une telle exigence, la révocation du directeur général « pouvait intervenir sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un juste motif », pour reprendre les termes de l’arrêt.

En pratique, il conviendra de bien retirer toutes les conséquences attachées à la position, claire et ferme, de la Cour de cassation. Une attention particulière devra être apportée sur ce point lors de la rédaction des statuts. Une opposition d’intérêts pourrait alors surgir entre les associés de la SAS, qui pourraient souhaiter réaliser la révocation des dirigeants sans devoir établir un juste motif, et les personnes susceptibles d’accéder à ces fonctions et qui pourraient, légitimement, estimer qu’un minimum de considération à leur égard serait d’imposer, justement, que leur révocation s’effectue pour de justes motifs. L’observation complémentaire peut être faite que la difficulté rencontrée pour trouver des volontaires pour s’engager dans l’exercice de fonctions qui peuvent entraîner de lourdes responsabilités pourrait bien conduire à rechercher, lors de la rédaction des statuts, un cadre juridique équilibré qui soit de nature à rassurer les futurs dirigeants, sans pour autant priver les associés de leur possibilité de mettre un terme aux fonctions d’un dirigeant, s’ils l’estiment opportun.

L’arrêt conduit également à revenir sur la pratique, encore souvent rencontrée, qui consiste à renvoyer vers les dispositions du Code de commerce concernant le statut des dirigeants de la SA. Cette solution de facilité, parfaitement compréhensible dès lors qu’il est assez difficile de prévoir dans les statuts de la SAS toutes les conditions et modalités d’accès aux fonctions, d’exercice et de révocation, est, notamment, de nature à réintroduire, pour le directeur général, comme évoqué ci-dessus, le droit de se voir octroyer des dommages et intérêts en cas de révocation sans juste motif. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de juger [3] que le renvoi vers les règles relatives à la SA devait produire son plein effet, imposant, dans une telle hypothèse, la soumission de la SAS en cause à l’ensemble des règles relatives à la SA pour le régime juridique des dirigeants.

En définitive, l’arrêt rapporté, s’il valorise la liberté d’organisation des SAS en ce qui concerne la révocation des dirigeants, constitue aussi un rappel impérieux à la plus grande attention des associés et de leurs conseils, lors de la rédaction des statuts.     

II. La réserve d’une révocation non abusive : le contrôle du juge

Même si la présente décision, dans sa motivation comme dans son dispositif, ne se positionne pas au regard du contrôle par le juge de l’éventuel caractère abusif de la révocation (la Cour jugeant qu’elle n’a pas à statuer sur les moyens du pourvoi qui, justement, contestaient l’arrêt d’appel sur ce point), il apparaît inévitable d’envisager cet aspect, dans la perspective d’identifier au plus juste sa portée.

On sait que toute une construction jurisprudentielle a été bâtie, au fil du temps, pour reconnaître au dirigeant révoqué un droit à indemnisation en raison du caractère abusif ou déloyal de la révocation, tenant, principalement, aux circonstances, brutales, ou vexatoires dans lesquelles la révocation a eu lieu ou lorsque l’intéressé n’a pas été mis en situation de débattre de cette décision avant qu’elle ne soit prise [4].

L’attention est attirée sur la précision figurant dans l’arrêt commenté selon laquelle les statuts fixent librement les « modalités » de la révocation du dirigeant. Cette mention suscite une interrogation quant à sa portée au regard du contrôle que pourrait exercer le juge sur le terrain de l’abus dans le droit de révocation du dirigeant. On pourrait considérer qu’en ajoutant le fait que la Chambre commerciale n’examine pas les moyens formés sur ces points et l’existence de cette mention relative à la liberté des statuts de fixer les modalités de la révocation, la Haute juridiction écarterait pour les SAS le contrôle jurisprudentiel établi pour les autres sociétés.

Il ne nous paraît pas qu’il faille interpréter ainsi l’arrêt sous examen. Déjà, la jurisprudence publiée témoigne d’hypothèses où ce contrôle judiciaire a bien été effectué à propos de dirigeants de SAS, tant au niveau des juges du fond [5] que de la Cour de cassation [6]. Dès lors que, justement, il est admis, comme le confirme le présent arrêt, qu’un dirigeant de SAS peut être régulièrement révoqué sans qu’aucun juste motif ne soit requis ni aucune indemnisation conventionnelle prévue, il apparaît pour le moins plus impérieux encore que cette révocation ne soit pas réalisée de manière abusive et que le juge puisse être saisi afin de statuer sur ce point et ce, quelles que soient les modalités figurant aux statuts de la société à propos de cette révocation.

Certes, pour les dirigeants de SAS comme pour les autres, le contrôle du juge peut paraître parfois assez peu prévisible, la jurisprudence publiée témoignant de variations dans l’intensité de l’appréciation [7], pour autant, le caractère très affirmatif de l’arrêt commenté quant à la référence exclusive aux statuts pour fixer les causes et modalités de la révocation d’un dirigeant de SAS ne saurait aboutir à une totale liberté en la matière. La limite de l’abus de droit doit jouer ici son rôle protecteur pour le dirigeant concerné.  


[1] CA Angers, 17 septembre 2019, n° 18/01525 N° Lexbase : A1992ZYG.

[2] Cass. com., 25 janvier 2017, n° 14-28.792, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8400S9Y, B. Saintourens, Lexbase Affaires, février 2017, n° 499 N° Lexbase : N6714BWL.

[3] Cass. crim., 25 septembre 2019, n° 18-83.113, F-P+B+I N° Lexbase : A5406ZPW, B. Saintourens, Lexbase Affaires, octobre 2019, n° 610 N° Lexbase : N0777BYG.

[4] V. not. M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des sociétés, 34ème éd., LexisNexis, n° 940 et s..

[5]  V. not. CA Versailles, 5 juin 2003, n° 01/01923 N° Lexbase : A0258DAS, Bull. Joly Sociétés, 2003, p. 1131, note P. Le Cannu ; Rev. Sociétés, 2004, p. 108, note L. Godon – CA Paris, 29 septembre 2016, n° 15/07864 N° Lexbase : A3778R4P, Bull. Joly Sociétés, 2017, p. 120, note A. Reygrobellet ; Rev. Sociétés, 2017, p. 92, note J.- F. Barbiéri.

[6] V. not. Cass. com., 14 avril 2015, n° 14-15.869, F-D N° Lexbase : A9298NGH, Rev. Sociétés, 2015, p. 674, note B. Saintourens.

[7] V. not. Cass. com., 14 avril 2015, préc. ; adde Cass. com., 10 juillet 2012, n° 11-19.563, F-D N° Lexbase : A8335IQR, Bull. Joly Sociétés, 2012, p. 712, note M. Germain et P.-L. Perrin.

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