Jurisprudence : CAA Nantes, 3e ch., 04-02-1999, n° 98NT00337

CAA Nantes, 3e ch., 04-02-1999, n° 98NT00337

A0199BHT

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CAA Nantes, 3e ch., 04-02-1999, n° 98NT00337. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1184565-caa-nantes-3e-ch-04021999-n-98nt00337
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Cour administrative d'appel de Nantes

Statuant au contentieux
M. Georges GUILLOREL


M. MILLET, Rapporteur
Mme JACQUIER, Commissaire du gouvernement


Lecture du 4 février 1999



R E P U B L I Q U E   F R A N C A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


    Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 11 février 1998, présentée par M. Georges GUILLOREL, demeurant au Chêne Garnier à Vallet (44330) ;

    M. GUILLOREL demande à la Cour :

    1 ) d'annuler l'ordonnance n 95-3491 du 16 décembre 1997 par laquelle le Président du Tribunal administratif de Nantes a rejeté son recours contre la décision du maire de Vallet refusant de retirer le crucifix apposé dans la salle du conseil municipal ;

    2 ) de procéder à l'enlèvement du crucifix de la salle du conseil municipal ;

    3 ) de condamner la commune de Vallet à lui verser une somme de 1 000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

    Vu les autres pièces du dossier ;

    Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;

    Vu la loi du 9 décembre 1905 ;

    Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

    Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

    Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,

    Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 janvier 1999 :

    - le rapport de M. MILLET, premier conseiller,

    - les observations de Me JEGOU, substituant Me EOCHE-DUVAL, avocat de la commune de Vallet,

    - et les conclusions de Mme JACQUIER, commissaire du gouvernement ;


    Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la demande de M. GUILLOREL présentée en première instance comme en appel et tendant au retrait du crucifix apposé dans la salle du conseil municipal de Vallet doit être regardée, non comme une conclusion à fin d'injonction, mais comme une conclusion en annulation de la décision du maire de Vallet refusant de faire droit à une telle demande ;

    Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête par la commune de Vallet :

    Considérant, d'une part, que si M. GUILLOREL, par lettre du 22 juin 1995, a exposé au maire de Vallet que la présence du crucifix dans la salle des délibérations du conseil municipal heurtait la tradition républicaine et la liberté de conscience de personnes habilitées à siéger au conseil municipal, sans en tirer d'autre conséquence que la faculté qu'il se réservait d'exercer un recours pour excès de pouvoir, il demandait également que cet emblème religieux soit remplacé par le portrait des Présidents de la République ; que cette lettre, qui tendait implicitement mais nécessairement à l'abrogation de la délibération du conseil municipal du 27 mars 1938 décidant d'apposer un crucifix dans la salle des délibérations, devait par suite, être regardée comme une réclamation au sens de l'article R.102 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, susceptible de faire naître une décision implicite de rejet, en l'absence de réponse du maire de Vallet au terme d'un délai de quatre mois ;

    Considérant, d'autre part, que M. GUILLOREL a motivé sa demande devant le tribunal administratif par la circonstance que la présence ostentatoire du crucifix portait atteinte à la liberté de conscience ;

    Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune de Vallet n'est pas fondée à soutenir que la demande de première instance de M. GUILLOREL étant dépourvue de conclusions et moyens au regard des exigences de l'article R.87 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, les moyens et conclusions que ce dernier développe en appel à l'encontre de la décision implicite rejetant sa réclamation tendant à l'abrogation de ladite délibération constitueraient une demande nouvelle qui serait, par suite, irrecevable ;

    Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

    Considérant que la décision du maire de Vallet refusant d'abroger la délibération litigieuse était susceptible de porter atteinte à la liberté de conscience de M. GUILLOREL ; que, par suite, elle constituait, non une mesure d'ordre intérieur, mais une décision faisant grief à l'intéressé qui était, dès lors, recevable à demander son annulation au juge de l'excès de pouvoir ; qu'ainsi, l'ordonnance du 16 décembre 1997 par laquelle le président du Tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande du requérant comme dirigée contre une décision insusceptible de recours doit être annulée ;

    Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. GUILLOREL devant le Tribunal administratif de Nantes ;

    Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet du maire de Vallet :


    Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat : 'La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre service des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public' et qu'aux termes de l'article 28 de ladite loi : 'Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions' ; qu'il résulte de ces dispositions combinées, éclairées par les travaux parlementaires qui ont précédé son adoption, que l'apposition d'un emblème religieux, postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905, à l'extérieur comme à l'intérieur d'un édifice public communal méconnaît la liberté de conscience, assurée à tous les citoyens par la République, et la neutralité du service public à l'égard des cultes quels qu'ils soient ;

    Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, par délibération du 27 mars 1938, le conseil municipal de Vallet a décidé, à l'unanimité, d'acheter et de placer un crucifix dans la salle des délibérations de la mairie ; que le maire de Vallet a opposé à la réclamation de M. GUILLOREL, en date du 22 juin 1995, une décision implicite de rejet ayant pour effet le maintien du crucifix dans cet édifice public ; que l'apposition de ce symbole de la religion chrétienne dans un emplacement public méconnaît ainsi les dispositions susrappelées de la loi du 9 décembre 1905, sans que la commune de Vallet puisse se prévaloir de l'existence d'un usage local ; que, par suite, M. GUILLOREL est fondé à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle le maire de Vallet a refusé d'abroger la délibération du conseil municipal décidant d'apposer le crucifix litigieux dans la salle des délibérations ;

    Sur les conclusions de la requête de M. GUILLOREL tendant à l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :

    Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner la commune de Vallet, qui succombe à l'instance, à verser au requérant la somme de 1 000 F qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, les conclusions présentées par la commune de Vallet, sur le fondement des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, ne peuvent qu'être rejetées ;


Article 1er  : L'ordonnance du Président du Tribunal administratif de Nantes en date du 16 décembre 1997 et la décision implicite du maire de Vallet rejetant la réclamation que M. Georges GUILLOREL lui a présentée le 22 juin 1995 sont annulées.
Article 2 : La commune de Vallet versera à M. Georges GUILLOREL une somme de mille francs (1 000 F) au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 3 : Les conclusions de la commune de Vallet tendant à l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. Georges GUILLOREL, à la commune de Vallet et au ministre de l'intérieur.

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