La lettre juridique n°883 du 4 novembre 2021

La lettre juridique - Édition n°883

Avocats

[Questions à...] « La balle est maintenant dans le camp du Gouvernement et des parlementaires » - Questions à Maître Matthieu Boissavy à propos de la proposition de modification de l’article 3 du projet de loi « Confiance dans l’institution judiciaire »

Lecture: 10 min

N9317BYQ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/74100077-edition-n-883-du-04112021#article-479317
Copier

par Marie Le Guerroué et Joséphine Pasieczny

Le 03 Novembre 2021


Mots-clés : Interview • projet de loi « Confiance dans l'institution judiciaire » • secret professionnel • exceptions • CNB 

Le Conseil national des barreaux a voté vendredi dernier à l’unanimité une proposition de modification substantielle de l’article 3 du projet de loi « Confiance dans l’institution judiciaire » et donné mandat au bureau de la porter devant les pouvoirs publics. Matthieu Boissavy, Avocat aux barreaux de Paris et de New York et vice-président de la commission Libertés, a accepté de revenir pour Lexbase Avocats et pour Lexradio sur les raisons de la colère qui gronde dans la profession depuis l’adoption par la commission mixte paritaire d’un texte restreignant le secret professionnel, mais également de nous en dire plus sur cette ultime tentative pour le CNB de sauver un secret professionnel menacé.

Cette interview est également à retrouver en podcast sur Lexradio.


 

Lexbase Avocats : Est-ce que vous pouvez nous rappeler en substance le contenu du texte qui a été adopté par la commission paritaire le 21 octobre dernier ?

La profession, soucieuse du respect du droit des citoyens, était très satisfaite de la version du projet de loi « Confiance dans l’institution judiciaire » sur ses dispositions concernant le secret professionnel de l’avocat votée par l’Assemblée nationale en mai dernier. Elle renforçait indéniablement la protection du secret en toutes matières, tant dans le domaine du conseil que celui de la défense. En septembre dernier, le Sénat a voté un amendement à ces dispositions prévoyant une exception dans le domaine du conseil. Une exception qui était si large qu’elle détruisait le principe de la protection du secret professionnel. La profession s’est mobilisée et nous espérions que la commission mixte paritaire reprenne ce qui avait été décidé par l’Assemblée nationale. Malheureusement, elle a adopté non plus une exception, mais deux exceptions qui sont si larges, qu’elles détruisent le principe de la protection du secret en matière de conseil. Il faut comprendre que le conseil et la défense sont imbriqués. Par exemple, si une personne vient voir un avocat pour obtenir des conseils sur sa situation passée ou un projet d’avenir et qu’il n’y a pas encore de procédure engagée, toutes les confidences du client à son avocat, toutes les consultations juridiques de l’avocat doivent être protégées par un secret de manière à ce qu’elles ne puissent pas se retourner ultérieurement contre le client si une procédure le met un jour en cause. Cela est très important, car l’avocat diffuse le droit dans la société en prodiguant des conseils en toute légalité, et permet à des clients qui étaient dans une situation difficile ou infractionnelle d’être conseillés afin qu’ils respectent le droit. Si les confidences que fait un client à son avocat ne sont pas protégées par un secret et peuvent être ultérieurement saisies par les autorités d’enquête et de poursuite, cela a des conséquences. Le lien entre l’avocat et le client devient un piège. Les clients se confient à leur avocat en pensant à tort que les confidences et les conseils qu’il lui donne seront couverts par un secret.

S’agissant plus précisément des exceptions prévues par la commission mixte paritaire, la première est la suivante :

« Article 56-1-2. - Dans les cas prévus aux articles 56-1 et 56-1-1, le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquête ou d’instruction : 

`« 1° Lorsque celles-ci sont relatives aux infractions mentionnées aux articles 1741 et 1743 du Code général des impôts et aux articles 421-2-2, 433-1, 433-2 et 435-1 à 435-10 du Code pénal ainsi qu’au blanchiment de ces délits et que les consultations, correspondances ou pièces, détenues ou transmises par l’avocat ou son client, établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions »

Elle vise les délits financiers, la corruption, la fraude fiscale, le trafic d'influence et le financement de terrorisme ou le blanchiment de ces délits. Cette situation est beaucoup plus large que celle dans laquelle l’avocat a lui-même commis une infraction. Bien entendu, le secret n’est pas l’impunité pour l’avocat. C’est très important de le comprendre, les avocats ne revendiquent pas l'immunité ou l'impunité. Il n'y a évidemment pas de secret opposable si l'avocat a commis une infraction.

La seconde exception prévue par la commission mixte paritaire est la suivante : 

« 2° Ou lorsque l’avocat a fait l’objet de manœuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission, la poursuite ou la dissimulation d’une infraction. ».

Elle est encore plus large et encore plus vague que la première. Elle concerne toutes les infractions. Selon le texte, le secret professionnel du conseil ne sera pas opposable dans le cas des perquisitions, lorsque l'avocat a fait l'objet de manœuvres ou actions afin de permettre de façon non intentionnelle la commission, la poursuite ou la dissimulation d'une infraction. Ce texte est très difficile à comprendre, sa rédaction très complexe pourrait d’ailleurs faire l'objet d'un nombre important de contentieux. Il s’agit d’une sorte de création d’une notion juridique nouvelle qui serait la complicité passive de l'avocat manipulé ou idiot. Cette exception n'est absolument pas acceptable. 

Si ces exceptions étaient adoptées dans le texte final, elles pourraient permettre de saisir dans le domaine du conseil toutes les confidences entre un avocat et son client, ainsi que les consultations juridiques de l'avocat même si celui-ci a respecté la loi et donné des conseils juridiques appropriés à son client, que ce dernier les ait suivis ou non. Par ailleurs, ces exceptions écartent les prérogatives du Bâtonnier dans son rôle protecteur du secret. Car ces exceptions qui seraient prévues dans ce projet d'article 56-1-2 du Code de procédure pénale ne renvoient pas ou ne précisent pas le recours aux prérogatives du Bâtonnier dans le cadre des perquisitions. Cela encore est inacceptable. 

Depuis des temps immémoriaux et, en tout cas depuis le Digeste de Justinien, l'avocat ne porte pas témoignage des confidences reçues de son client ou faites à celui-ci. Ces exceptions ne respectent pas ce principe. Elles sont similaires à des dispositions qui obligeraient un avocat à venir témoigner à la barre d'un tribunal pour dire au juge ce qu'il a conseillé ou déconseillé à son client. Vous rendez-vous compte de l'énormité que cela représente ? 

Lexbase Avocats : Pourquoi, selon vous, le législateur pense-t-il que le secret des avocats est un obstacle à la lutte contre la délinquance financière ?

Les promoteurs de ces exceptions expliquent que dans les affaires financières, les délits financiers complexes, les enquêtes sur les délits financiers complexes, les enquêteurs manquent de moyens, de ressources matérielles et humaines pour accomplir leur travail. Et donc il serait beaucoup plus simple pour eux de pouvoir « faire leurs courses » et d'aller dans les cabinets d'avocats pour aller saisir les confidences entre l'avocat et son client et les consultations juridiques. Cela reviendrait à pouvoir être autorisé à mettre des micros dans les cabinets d'avocats pour entendre les conversations entre un avocat et son client. Cette stratégie répressive est à courte vue parce qu'il est très clair que s’il n’y a pas en France de protection du secret en matière de conseil comme il existe dans les pays de Common Law - et je ne crois pas qu’aux États-Unis ou en Angleterre les enquêteurs aient un problème avec le secret professionnel des lawyers ou barrsiters ou sollicitors - d'abord ça se saura parce que les gens ne sont pas idiots donc ils ne voudront plus se confier aussi librement qu'ils le font aujourd'hui, donc les avocats ne pourront plus les conseiller utilement. Ensuite, il est clair également que les avocats seront tenus de dire à leurs clients que leurs confidences ne pourront pas être retranscrites dans une consultation et que les conseils ne pourront pas être écrits parce que tout cela pourrait être un jour saisi par des autorités d'enquêtes et de poursuites. Donc ceux qui ont des moyens financiers iront consulter à l'étranger quitte à prendre des avocats français installés à l'étranger ou des juristes formés au droit français, mais qui sont installés dans des pays qui protègent le secret. Cette stratégie répressive est à courte vue. Elle ne sera pas efficace. Elle met en péril la réputation du système juridique français en France alors même que le Gouvernement, de manière fort louable, cherche à ce que Paris devienne une place internationale du droit. Ces dispositions mettent en péril toutes les actions qui sont menées pour réaliser cet objectif. 

Lexbase Avocats : Quelle a été la réaction du Gouvernement à la colère des avocats ? 

Lorsque nous avons pris connaissance, le 21 octobre dernier, de ces exceptions, la profession s'est entièrement mobilisée. Tous les barreaux ont pris des motions de protestation contre ce texte tout comme l'Ordre des avocats de Paris, la Conférence des Bâtonniers et le Conseil national des barreaux ainsi que tous les syndicats d'avocats. La colère, l’expression de la colère, a été telle que le Gouvernement semble l'avoir entendue. Il y a une semaine, le ministre de la Justice a demandé à rencontrer le président du Conseil national des barreaux, Jérôme Gavaudan, la présidente de la Conférence des Bâtonniers, Hélène Fontaine, et le Bâtonnier de Paris, Olivier Cousi. Il a invité la profession à proposer un texte qui serait validé par les instances représentatives de la profession. Les trois institutions représentatives ont constitué un groupe de travail et celui-ci a proposé un texte alternatif dans l'hypothèse où les deux exceptions de la CMP ne seraient pas retirées. Il s’agit d’un texte alternatif qui a été validé vendredi 29 octobre dernier par l'ensemble des syndicats d'avocats et des institutions représentatives de la profession. 

Lexbase Avocats :  L’assemblée du CNB a donc proposé une nouvelle version de l’article 3 du projet de loi « Confiance dans l’institution judiciaire ». Que propose cette nouvelle rédaction ? 

La proposition porte sur une modification de la rédaction de l'article 56-1-2 du Code de procédure pénale, celui qui prévoit les deux exceptions scélérates. Elle consiste d'abord à supprimer purement et simplement la deuxième exception, celle qui crée une notion de complicité passive d'un avocat manipulé ou idiot. En effet, on a considéré que cette exception était si mal inspirée qu'on ne pouvait pas tremper notre plume pour écrire quoi que ce soit. 

La proposition vise ensuite à restaurer les prérogatives du Bâtonnier dans son rôle de protecteur du secret, prérogatives qui ont été supprimées dans ce projet d'article. Enfin, elle insère la seule exception toujours admise par la profession en cas de participation intentionnelle de l'avocat à l’infraction. 

Lexbase Avocats : Pensez-vous que cette nouvelle version sera un compromis acceptable pour les parlementaires et le Gouvernement ? 

Nous pensons que nombre de parlementaires et, même au sein du Gouvernement, ont pris conscience de l'énormité que représentait les deux exceptions et ils sont, nous l'espérons, désireux de trouver effectivement un texte qui réponde aux préoccupations des avocats dans l'intérêt des droits des citoyens et des justiciables et qui puisse s'insérer dans une partie du texte adopté par la commission mixte paritaire. 

Nous pensons que ce texte que nous leur proposons est tout à fait acceptable, s'ils ne souhaitent pas retirer les exceptions. La balle est maintenant dans le camp du Gouvernement et des parlementaires. À ce stade de la procédure, seul le Gouvernement peut proposer un amendement au texte. Donc nous espérons, parce que si les deux exceptions ne sont pas retirées ou que le texte que nous proposons n’est pas d'adopté, nous estimons que sera commise une grave atteinte à l'état de droit en France. 

Lexbase Avocats : Est-ce que d’autres recours seront possibles si la loi est votée ? 

Si la loi est votée, il pourra y avoir un recours devant le Conseil constitutionnel. Si cela n’est pas le cas, il restera la possibilité d’une question prioritaire de constitutionnalité, le recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme ou de la Cour de justice de l’Union européenne. Mais cela prendra des années. Les parlementaires et le Gouvernement ont encore la possibilité de ne pas commettre cette erreur, car il n’y a pas de confiance possible dans la Justice s’il n’y a pas de confiance dans l’avocat. Pour que celui-ci puisse prodiguer des conseils juridiques en toute légalité, il faut que son client puisse se confier à lui sans craindre que ce qu’il dit à son avocat ne se retourne un jour contre lui. 

newsid:479317

Baux commerciaux

[Jurisprudence] Le droit de préférence légal du locataire commercial : un guide pratique jurisprudentiel !

Réf. : Cass. civ. 3, 23 septembre 2021, n° 20-17.799, FS-B (N° Lexbase : A452147L)

Lecture: 12 min

N9307BYD

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/74100077-edition-n-883-du-04112021#article-479307
Copier

par Pierre de Plater, Juriste, Docteur en droit

Le 03 Novembre 2021


Mots clés : bail • bail commercial • locataire • bailleur • droit de préférence • immeuble • loi « Pinel »

La Cour de cassation confirme que le bailleur ne peut imputer des honoraires d’agence au locataire bénéficiaire d’un droit de préférence pris au titre de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce. Par ailleurs, faire figurer les honoraires d’agence dans l’offre de vente n’est pas une cause de nullité de l’acte, relevant que le locataire peut valablement accepter l’offre de vente, en excluant les honoraires d’agence.
Enfin, le bailleur peut consentir sur le local, une promesse unilatérale de vente au bénéfice d’un tiers acquéreur, si la vente est conditionnée à la purge du droit de préférence du locataire.


 

Trop souvent, les décisions de justice apportent une solution dont la simple lecture ne permet pas leur mise en œuvre pratique. Dans ces conditions, la jurisprudence reste malheureusement une matière exclusive, à la seule portée des praticiens du droit.

Tel n’est pas le cas de la décision rendue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, le 23 septembre 2021, afférente à la mise en œuvre du droit de préférence légal dont bénéficie le locataire commercial au titre de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L0104I7Y) [1].

Le présent arrêt – de rejet – promis à une large publication, propose un véritable mode d’emploi à destination des praticiens du droit et de l’immobilier. Il permet de confirmer et de résoudre plusieurs équations d’importance, poursuivant la protection des droits du locataire, tout en évitant de mettre en difficulté les projets de cession du propriétaire bailleur, cession qui pourrait in fine être réalisée auprès d’un tiers acquéreur.

L’on rappellera, avant toute chose, que ce mécanisme est d’ordre public, en dépit du silence de la loi [2]. Il s’applique à toutes les cessions intervenues à compter du 18 décembre 2014, nonobstant la date de conclusion du bail commercial [3]. L’on ignore cependant, à ce jour, s’il s’agit d’une norme d’ordre public de protection ou de direction [4]. Il est dès lors recommandé au propriétaire bailleur de ne pas tenter d’obtenir de son locataire qu’il renonce à son droit, une fois qu’il aura envisagé de vendre son bien, dans l’attente d’éventuelles précisions de la jurisprudence et de la doctrine [5]. En l’espèce, le litige ne portait pas sur l’éligibilité du locataire au mécanisme de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce – ce point n’était pas discuté – pour se limiter à sa mise en œuvre. La présente décision de la Cour de cassation s’inscrit dans un contentieux fourni, qui semble poursuivre son développement [6].

Dans les faits, un bailleur commercial souhaite céder son bien, un immeuble à usage d’hôtel. À cet effet, il notifie à son locataire, le 19 octobre 2018, une offre de vente faisant expressément mention du prix du bien et d’un certain montant afférent à une commission d’agence, par courrier recommandé. La commission d’agence était mise à la charge de l’acquéreur. Le bailleur faisait signifier cet acte par huissier, le 24 octobre suivant. Le 29 octobre 2018, le locataire contestait la régularité de l’offre et, le 9 novembre 2018, le bailleur consentait, à un tiers acquéreur, une promesse unilatérale de vente sur l’immeuble pour le même montant.

Par la suite, le bailleur assignait son locataire afin de voir constater la régularité de la purge du droit de préférence légal.

Débouté de ses demandes devant la juridiction de premier degré par une décision rendue le 28 mars 2019, le locataire saisissait la cour d’appel de Paris. Celle-ci se prononçait en faveur du bailleur, dans un arrêt en date du 27 mai 2020 [7], jugeant que le propriétaire des murs et bailleur commercial pouvait mandater un agent immobilier pour mettre en vente le bien, avant d’avoir procédé à la purge du droit de préférence auprès du locataire. Par ailleurs, les magistrats parisiens considéraient qu’aucune vente définitive n’était intervenue antérieurement à la purge conforme du droit de préférence légal.

Le locataire malheureux formait un pourvoi devant la Cour de cassation. Les deux premiers moyens de ce pourvoi ont rapidement été écartés par la troisième chambre civile. Aussi, c’est à l’égard du troisième moyen, lui-même divisé en trois branches, que la Haute juridiction s’est prononcée, confirmant la décision d’appel et rejetant, une nouvelle fois, les prétentions du locataire.

Deux thématiques se dégagent de cette décision : la régularité du mandat de vente donné à un agent immobilier et le sort des honoraires intégrés à l’offre de vente, d’une part, et la possibilité de conclure un avant-contrat au regard de la purge par le bailleur du droit de préférence légal, d’autre part.

L’intervention d’un agent immobilier avant la notification de l’offre de vente est possible, mais ses honoraires ne sont pas imputables au locataire.

Au soutien de son pourvoi, le locataire évincé arguait de la nullité de l’offre de vente, sur deux fondements distincts, mais interdépendants. Tout d’abord, le locataire considérait que le bailleur ne pouvait confier de mandat de vente à un agent immobilier, qui avait établi un avis de valeur et fait procéder à des visites du bien, antérieurement à la notification du droit de préférence. Consécutivement, le locataire contestait l’arrêt d’appel en ce qu’il avait jugé que la mention des honoraires dans l’offre de vente notifiée au titre de la préférence « sans introduire de confusion dans l’esprit de l’acquéreur » [8], n’entrainait pas la nullité de l’acte.

Ces questions avaient été implicitement – pour l’une - et explicitement – pour l’autre – résolues par la décision rendue le 28 juin 2018 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation [9].

Après avoir évoqué le sort des honoraires d’agence intégrés à l’offre de vente, seront précisées les conditions dans le cadre desquelles le bailleur est en droit de conclure un mandat de vente, au regard de la préférence légale.

Selon la Haute juridiction, au terme de l’arrêt précité, « le bailleur qui envisage de vendre son local commercial doit préalablement notifier au preneur une offre de vente qui ne peut inclure des honoraires de négociation et ayant relevé que le preneur avait fait connaître au bailleur son acceptation d'acquérir au seul prix de vente, la cour d'appel en a exactement déduit que la vente était parfaite ». En statuant ainsi, les juges ont considéré que l’acceptation du locataire, qui excluait les honoraires d’agence, était conforme [10].

C’est une conclusion analogue à laquelle parvient la Cour de cassation, au terme de la décision commentée. Elle juge que le preneur « savait ne pas avoir à en supporter la charge », de sorte que les honoraires, qui étaient clairement identifiés, ne pouvaient dès lors justifier la nullité de l’offre de vente. Si le principe de la régularité de l’offre de vente en présence de la mention claire, distincte et identifiable des honoraires de l’agent immobilier est confirmé, la notion de « confusion » pourrait le cas échéant ouvrir la voie à une contestation de l’offre de vente au motif d’une formulation qui causerait un grief au locataire, portant atteinte à la mise en œuvre de son droit de préférence.

En conclusion, le fait de mentionner les honoraires de l’agent immobilier dans l’offre de vente est inopposable au locataire, et ne porte pas atteinte, en principe, à sa validité. En ce sens, le propriétaire bailleur ne pourrait pas opposer au locataire la prétendue irrégularité d’une acceptation qui exclurait les honoraires d’agence.

Et pour cause : le droit de préférence du locataire découle exclusivement de la loi. Il n’est donc nul besoin, au terme de la loi, de mandater un intermédiaire pour procéder à la vente des murs au locataire des lieux, acquéreur potentiel pour lequel l’agent immobilier n’accomplit à cette fin, « aucune prestation de recherche et de présentation » [11].

Mais l’arrêt du 28 juin 2018 précité n’avait pas expressément appréhendé la régularité de la situation selon laquelle le bailleur mandate un agent immobilier avant de procéder à la notification de l’offre de vente au locataire. L’on rappellera à ce titre que l’application littérale de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce impose la notification de l’offre de vente au moment auquel le bailleur « envisage de vendre » le local.

Dans le cadre de la décision rapportée, la Haute juridiction juge qu’un propriétaire bailleur peut effectivement confier un mandat de vente à un agent immobilier. En l’espèce, il avait établi un avis de valeur et fait procéder à des visites du bien. Cette précision jurisprudentielle est heureuse, en ce que l’offre de vente du bailleur doit en revêtir les caractéristiques. Si celles du bien correspondent en principe à la matérialité des locaux loués, le prix doit nécessairement être fixé avec précision. Par ailleurs, si la fixation du prix est libre, il ne peut être excessif au point de dissuader le locataire d’acquérir. L’on parle alors de prix frauduleux, et la jurisprudence relative à la mise en œuvre du droit du droit de préférence du locataire d’habitation au titre de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 apporte un certain nombre d’éclaircissements à cet effet [12]. Aussi, s’il incombe au locataire d’apporter la preuve du caractère frauduleux du prix proposé, le bailleur doit justifier la manière dont il a fixé le prix de vente de son bien. Cette preuve est le plus souvent rapportée par des estimations ou des avis de valeur sollicités auprès de professionnels de l’immobilier.

Dans ces conditions, ce ne sont finalement ni le bailleur ni le locataire qui sont en risque en cas de mise en œuvre du droit de préférence légal par le locataire, mais le professionnel de l’immobilier, qui pourrait ne pas être réglé de ses diligences.

Le bailleur est libre de rechercher des acquéreurs et de formaliser des engagements, à condition de ne pas porter atteinte à la préférence légale du locataire.

Il convenait de préciser la chronologie qui encadrait l’offre de vente au regard de la possibilité de vendre à un tiers acquéreur. Ainsi, la solution de la Cour de cassation allie exigence juridique et réalités économiques, et adopte une position qui semble plus large que celle qui avait été dégagée par la juridiction d’appel.

Pour les magistrats parisiens, « le fait que [le bailleur] ait conclu le 8 novembre 2018 une promesse unilatérale de vente, sous réserve du droit de préférence du preneur, n’invalide pas la notification de l’offre de vente à laquelle elle a procédé le 24 octobre précédent, la promesse unilatérale de vente ne valant pas vente, et la notification ayant dans ces conditions, été faite préalablement à la vente » [13].

Cette formulation pouvait laisser penser que la décision était guidée par le fait que l’avant-contrat qui avait été conclu était une promesse unilatérale qui ne valait pas vente. Dans le cadre de l’arrêt de la Cour de cassation, les conséquences juridiques de la promesse unilatérale ne semblent plus évoquées [14], et la Haute juridiction insiste sur le fait qu’elle a été conclue sous condition suspensive de purge du droit de préférence.

En d’autres termes, qu’importe le type d’instrument juridique qui a pu être adopté par les parties, tant qu’il ne s’agit pas d’une vente définitive faite en violation des droits du locataire au titre de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce. Aussi, la présente décision semble pouvoir s’appliquer à tous les types d’avant-contrats.

La règle serait donc la suivante : le bailleur ne peut vendre le bien à un tiers acquéreur sans avoir purgé au préalable le droit de préférence du locataire. En d’autres termes, le mécanisme doit s’appréhender, non au regard du tiers acquéreur, mais exclusivement au regard du droit de préférence, qui doit s’imposer, sans interférence ni trouble, pour permettre au locataire de le mettre en œuvre à son profit. En l’espèce, le bailleur avait conclu un avant-contrat sous condition suspensive de purge du droit de préférence du locataire. Le montage était dès lors parfaitement régulier, en ce que la vente n’aurait pu intervenir qu’après refus ou défaillance du locataire. Pour aller plus loin, l’on peut s’interroger sur la possibilité qu’aurait un bailleur de conclure un avant-contrat, avant d’émettre l’offre de vente au locataire. En l’état, une telle situation nous paraît envisageable si cet avant-contrat est également conditionné à la purge du droit de préférence du locataire [15].

Dans un cas comme dans l’autre, le droit de préférence du locataire est préservé.

En revanche, bailleur et locataire doivent conserver à l’esprit deux éléments essentiels dans la mise en œuvre du droit de préférence légal, et particulièrement lorsque l’offre de vente est notifiée après la conclusion d'un avant-contrat de vente avec un tiers acquéreur. Dans les faits, le bailleur doit prévoir de manière très précise, dans l’éventuel avant-contrat conclu sous condition suspensive de purge du droit de préférence de son locataire, que ni les modalités ni le prix de vente du bien ne seraient susceptibles d’évoluer. Aussi, si l’opération tardait à se concrétiser et que le bien était finalement vendu au tiers acquéreur à un prix moindre, le bailleur serait contraint de procéder à une nouvelle purge du droit de préférence au profit du locataire, avec la mention du nouveau prix. De la même manière, il importera au locataire d’appréhender l’offre comme ferme et définitive. Il ne pourrait en aucun cas poursuivre une négociation sur la base de cette offre, au risque de définitivement perdre le bénéfice du droit de préférence.

Ainsi que nous pouvons le constater, la Cour de cassation a donc opéré un équilibre, au premier abord satisfaisant, entre les impératifs juridiques et économiques qui animent les parties, permettant au bailleur d’agencer son calendrier assez librement, à la condition impérative qu’il préserve, en tout état de cause, le droit de préférence de son locataire.

La Haute juridiction a, d’une certaine manière, ratifié une pratique qui était fréquemment mise en œuvre depuis plusieurs années.

 

[1] Cette disposition a été créée par la loi « Pinel » du 18 juin 2014 (loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 N° Lexbase : L4967I3D) et n’a depuis lors subi aucune modification.

[2] Cass. civ. 3, 28 juin 2018, n° 17-14.605, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1598XUQ), Dalloz Actualité, 6 juillet 2018, obs. Y. Rouquet. En application de cette jurisprudence de principe : CA Basse-Terre, 22 juin 2020, n° 19/00531 (N° Lexbase : A28113Q8) – CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 11 septembre 2019, n° 17/15234 (N° Lexbase : A0177ZNU) – CA Douai, 28 mars 2019, n° 17/03524 (N° Lexbase : A2991Y7W). V. aussi : F. Auque, Le droit de préemption du locataire commercial, AJDI, 2019, 518.

[3] Cass. civ. 3, 12 novembre 2020, n° 19-16.927, FS-D (N° Lexbase : A506434C), JCP E, n° 3, 21 janvier 2021, 1038 obs. J. Monéger. En application de cette jurisprudence : CA Colmar, 25 janvier 2021, n° 19/02259 (N° Lexbase : A74094DR).

[4] Le caractère d’ordre public du droit de préférence exclut toute renonciation contractuelle du locataire à la conclusion du bail commercial.

[5] S’il ne peut renoncer à un droit d’ordre public de direction, le bénéficiaire d’une disposition d’ordre public de protection peut quant à lui y renoncer, après la naissance de ce droit. En l’espèce, la naissance du droit de préférence pourrait, sauf erreur, être fixée à la date à laquelle le propriétaire bailleur envisage de vendre son bien.

[6] En dernier lieu, un arrêt rendu le 7 octobre 2021 par la cour d’appel de Versailles a jugé que le délai de 4 mois prévu pour permettre au locataire qui bénéficie d’un prêt bancaire, de réaliser la vente, n’est pas un délai préfix. Il est donc susceptible d’interruption (CA Versailles, 7 octobre 2021, n° 19/0784). Par ailleurs, l’interprétation de certaines exceptions précisées à l’alinéa 6 de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce pose toujours question. Sur ce point : QE n° 21155 de M. Hervé Marseille, JO Sénat 25 février 2021 p. 1261, réponse publ. 22 avril 2021 p. 2702, 15ème législature (N° Lexbase : L7979L8Z).

[7] CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 27 mai 2020, n° 19/09638 (N° Lexbase : A29473M4).

[8] Terminologie utilisée par les magistrats parisiens dans l’arrêt du 27 mai 2020, objet du pourvoi.

[9] Cass. civ. 3, 28 juin 2018, n° 17-14.605, préc..

[10] Dans la même veine, la cour d’appel de Bordeaux a jugé que « cette notification ne pouvait contenir les honoraires de l’intermédiaire, de sorte qu’ils ne peuvent être mis à la charge de l’acquéreur » (CA Bordeaux, 5 novembre 2020, n° 18/00906 N° Lexbase : A817933C).

[11] CA Aix-en-Provence, 28 mai 2019, n° 18/17596 (N° Lexbase : A6469ZCL).

[12] CA Paris, 27 mai 2020, n° 19/09638, préc., Dalloz Actualité, 17 juillet, 2020, obs. P. de Plater ; AJDI, 2020, 833, obs. P. de Plater. Pour un état de la jurisprudence applicable au prix de vente « excessif » ou « dissuasif » au titre de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 : CA Aix-en-Provence, 16 septembre 2021, n° 18/10678 (N° Lexbase : A679644H).

[13] CA Paris, 27 mai 2020, préc..

[14] En effet, il n’est pas mentionné que la promesse unilatérale de vente « ne vaut pas vente », contrairement à ce qu’avaient pu évoquer les juges d’appel.

[15] En ce sens : P. Gaiardo, Bail commercial : droit de préférence et honoraires d’agence, Dalloz Actualité, 13 octobre 2021.

newsid:479307

Construction

[Brèves] De la portée du PV de réception signé entre le maître d’ouvrage et l’architecte

Réf. : Cass. civ. 3, 20 octobre 2021, n° 20-20.428, FS-B (N° Lexbase : A5244494)

Lecture: 5 min

N9324BYY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/74100077-edition-n-883-du-04112021#article-479324
Copier

par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, Rome Associés, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

Le 04 Novembre 2021

► La réception tacite des travaux suppose l’absence de réception expresse et la manifestation de la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage ;
► la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage peut être concrétisée par la signature d’un PV de réception avec l’architecte ;
► la signature de ce PV n’établit toutefois pas une réception expresse, faute de respect du principe du contradictoire.

La Haute juridiction rappelle les fondamentaux. Pour s’interroger sur l’existence d’une présomption de réception tacite, encore faut-il qu’il n’y ait pas de réception expresse. Autrement dit, la présomption, par la prise de possession doublée du paiement du prix, n’est à établir que pour prouver la volonté du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage lorsqu’il n’y a pas de réception expresse, même non contradictoire, comme le rappelle la Haute juridiction dans la décision rapportée. Dans le cas contraire, la question de la réception tacite ne se pose pas.

Le régime de la réception tacite est compliqué. Doit être caractérisée la volonté non-équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage. Si cette volonté est caractérisée, il y a réception tacite mais si, au contraire, est caractérisée la volonté non-équivoque de ne pas recevoir l’ouvrage, il n’y a pas de réception tacite possible. L’approche paraît simple mais cela est loin d’être le cas.

Sont ainsi insuffisants, pris isolément, à caractériser une réception tacite, la prise de possession des lieux (Cass. civ. 1, 4 octobre 2000, n° 97-20.990, publié au bulletin N° Lexbase : A7732AHT, Constr. Urb. 2000, n° 298), le paiement du prix (Cass. civ. 3, 30 septembre 1998, n° 96-17.014, publié au bulletin N° Lexbase : A5487AC9, Constr. Urb. 1998, com 409), la signature d’une déclaration d’achèvement des travaux et d’un certificat de conformité (Cass. civ. 3, 11 mai 2000, n° 98-21.431 N° Lexbase : A4667CRB, AJDI 2000, 741), des difficultés financières (CA Metz, 12 mars 2003, n° 01/01157 N° Lexbase : A8846S3Z), l’achèvement de l’ouvrage (Cass. civ. 3, 25 janvier 2011, n° 10-30.617, F-D N° Lexbase : A8600GQL), la succession d’une entreprise à une autre (Cass. civ. 3, 19 mai 2016, n° 15-17.129, FS-P+B N° Lexbase : A0851RQL), le paiement du solde dû à l’entreprise (Cass. civ. 3, 22 juin 1994, n° 90-11.774 N° Lexbase : A6284ABD), surtout lorsque des réserves importantes sont émises par le maître d’ouvrage (Cass. civ. 3, 10 juillet 1991, n° 89-21.825 N° Lexbase : A2841ABT).

Mais, la prise de possession des lieux doublée du paiement complet du prix peut suffire à caractériser cette volonté (Cass. civ. 3, 18 mai 2017, n° 16-11.260, FS-P+B N° Lexbase : A4987WD3) même si les travaux ne sont pas achevés (Cass. civ. 3, 8 novembre 2006 n° 04-18.145, FS-P+B N° Lexbase : A2934DSH, JCP G 2006, IV, 3336). C’est ainsi que, depuis une jurisprudence amorcée le 24 novembre 2016 (Cass. civ. 3, 24 novembre 2016, n° 15-25.415, FS-P+B N° Lexbase : A3460SLQ) clairement confirmée en 2019 (Cass. civ. 3, 30 janvier 2019, n° 18-10.197, FS-P+B+I N° Lexbase : A5083YUS ; Cass. civ. 3, 18 avril 2019, n° 18-13.734, FS-P+B+I N° Lexbase : A3818Y9B), la réception tacite est présumée lorsqu’il y a paiement intégral du prix et prise de possession. La Haute juridiction y tient. Elle a déjà eu l’occasion d’y revenir (Cass. civ. 3, 5 mars 2020, n° 19-13.024, FS-D N° Lexbase : A54163IG, obs. J. Mel, Lexbase Droit privé, avril 2020, n° 819 N° Lexbase : N2886BYK).

La présente décision permet d’y revenir. Un maître d’ouvrage confie à une entreprise la réalisation de travaux sous la maîtrise d’œuvre d’un architecte. Des malfaçons surviennent et le maître d’ouvrage assigne en réparation les constructeurs et leur assureur de responsabilité civile décennale.

La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt rendu le 6 juillet 2020 (CA Versailles, 6 juillet 2020, n° 18/05660 N° Lexbase : A63123QT), considère que les travaux n’ont pas été réceptionnés, faute pour l’entreprise d’avoir été convoquée à une réception. Il n’y a, pas plus, à s’interroger sur l’existence d’une réception tacite puisque celle-ci ne peut être prononcée qu’en l’absence de réception expresse.

En l’espèce, la volonté de recevoir l’ouvrage est caractérisée par l’existence du PV de réception. Mais, comme le principe du caractère contradictoire de la réception expresse n’a pas été respecté, faute de convocation de l’entreprise, l’acte de réception ne lui est pas opposable.

Aucune action contre l’entreprise et son assureur décennal sur le fondement de l’article 1792 du Code civil (N° Lexbase : L1920ABQ) n’est donc possible.

La présomption de réception tacite est invoquée à l’appui du pourvoi mais celui-ci est rejeté. La volonté du maître d’ouvrage a bien été caractérisée par la signature du PV de réception, lequel n’est pas opposable au constructeur, faute pour celui-ci d’avoir été convoqué.

La solution est alambiquée, surtout à se rappeler que la jurisprudence considère que la seule convocation du constructeur suffit à établir le caractère contradictoire même si celui-ci ne vient pas au rendez-vous de réception.

newsid:479324

Contrats et obligations

[Brèves] Responsabilité du mandant du fait des manœuvres dolosives du mandataire : une responsabilité sous condition

Réf. : Cass. mixte, 29 octobre 2021, n° 19-18.470, B+R (N° Lexbase : A52057AZ)

Lecture: 2 min

N9312BYK

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/74100077-edition-n-883-du-04112021#article-479312
Copier

par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

Le 03 Novembre 2021

► Le mandant n’engage sa responsabilité envers le tiers du fait des agissements dolosifs de son mandataire qu’à la condition d’avoir personnellement commis une faute.

Faits et procédure. Cession de droits sociaux : les titulaires des droits sociaux mandatent, l’un des anciens dirigeants, lequel s’avérait également être le père ou l’époux des mandants. Le départ du nouveau dirigeant, départ ignoré des cessionnaires, fonda une action introduite par les cessionnaires sur le fondement du dol tant à l’égard du mandataire que du cessionnaire. Néanmoins, la nullité de la cession n’était nullement demandée, seuls des dommages et intérêts l’étaient. Les juges du fond ne retinrent nullement la responsabilité des mandants, car aucun élément ne permettait d’établir qu’ils avaient personnellement participé à la dissimulation d’un projet de départ du dirigeant social (CA Paris, 2 avril 2019). Aussi fallait-il s’interroger sur la possibilité d’engager la responsabilité des mandants du fait de manœuvres dolosives du mandataire. Or, s’agissant de cette question, aucune solution de principe ne se dégageait et des divergences apparaissaient (pour le rappel de la jurisprudence antérieure v. Avis Mme Gueguen, Premier avocat général). Aussi la réunion d’une Chambre mixte était-elle nécessaire.

Solution. La réponse ne souffre plus dorénavant d’aucune ambiguïté. L’arrêt rendu en Chambre mixte qui aura les honneurs du Rapport annuel de la Cour de cassation la précise. Il est ainsi admis d’abord que « la victime du dol peut agir, d’une part, en nullité de la convention sur le fondement des articles 1137 (N° Lexbase : L1978LKH) et 1178 (N° Lexbase : L0900KZD), alinéa 1er, du Code civil (auparavant de l’article 1116 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 N° Lexbase : L4857KYK), et d’autre part, en réparation du préjudice sur le fondement des articles 1240 (N° Lexbase : L0950KZ9) et 1241 (N° Lexbase : L0949KZ8) du Code civil (auparavant des articles 1382 et 1383 du même code) ». Il est ensuite affirmé que « si le mandant est, en vertu de l’article 1998 du Code civil, contractuellement responsable des dommages subis du fait de l’inexécution des engagements contractés par son mandataire dans les limites du mandat conféré, les manœuvres dolosives du mandataire, dans l’exercice de son mandat, n’engagent la responsabilité que s’il a personnellement commis une faute, qu’il incombe à la victime d’établir ». Ainsi, s’agissant des manœuvres dolosives du mandataire, seule la faute du mandant permet d’engager sa responsabilité, faute que le tiers victime devra établir. Les principes sont ainsi posés, que l’on se place sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 ou des textes qui en sont issus.

newsid:479312

Données personnelles

[Brèves] Publication du décret du 29 octobre 2021 modifiant le FNAEG : ce qu’il faut retenir

Réf. : Décret n° 2021-1402, du 29 octobre 2021, modifiant le Code de procédure pénale et relatif au fichier national automatisé des empreintes génétiques et au service central de préservation des prélèvements biologiques (N° Lexbase : L7683L83)

Lecture: 5 min

N9318BYR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/74100077-edition-n-883-du-04112021#article-479318
Copier

par Adélaïde Léon

Le 24 Novembre 2021

Paru au Journal officiel du 30 octobre 2021, le décret n° 2021-1402 du 29 octobre 2021 vient modifier le traitement de données à caractère personnel dénommé « fichier national automatisé des empreintes génétiques » aussi appelé FNAEG.

Ce décret modifie les dispositions règlementaires relatives au FNAEG afin de prendre en considération les évolutions législatives intervenues en matière pénale et notamment les nouvelles rédactions des articles 706-54 (N° Lexbase : L7692LPL) à 706-56-1-1 (N° Lexbase : L4834K8K) du Code de procédure pénale.

Le décret précise par ailleurs les éléments suivants :

Les finalités du FNAEG. Celles-ci sont énumérées à l’article R. 53-9 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8138LZG) :

  • faciliter la recherche et l'identification des auteurs de crimes et de délits mentionnés à l'article 706-55 (N° Lexbase : L4900K8Y) ;
  • faciliter la recherche et la découverte des mineurs et majeurs protégés disparus ainsi que celles des majeurs dont la disparition présente un caractère inquiétant ou suspect eu égard aux circonstances, à l'âge de l'intéressé ou à son état de santé ;
  • faciliter l'identification dans un cadre judiciaire des personnes décédées dont l'identité n'a pu être établie ;
  • faciliter l'identification dans un cadre extrajudiciaire des personnes décédées dont l'identité n'est pas établie, des victimes de catastrophes naturelles ou des personnes faisant l'objet de recherche et dont la mort est supposée.

Les données pouvant être enregistrées au FNAEG ainsi que les informations les accompagnant. Les dispositions des articles R. 53-10 (N° Lexbase : L3334DZI) et R. 53-11 (N° Lexbase : L3335DZK) du Code de procédure pénale sont ainsi modifiées et complétées.

Les durées de conservation des données. L’article R. 53-14 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3344DZU) est ainsi modifié afin de moduler la durée de conservation en considération notamment de la nature des infractions concernées et de l’âge de l’auteur. Cette modification met en conformité la règlementation avec la décision du Conseil constitutionnel du 16 septembre 2010 (Cons. const., décision n° 2010-25 QPC, du 16 septembre 2010 N° Lexbase : A4757E93) dans laquelle les sages avaient formulé une réserve d’interprétation aux termes de laquelle il appartenait « au pouvoir règlementaire de proportionner la durée de conservation de ces données personnelles, compte tenu de l'objet du fichier, à la nature ou à la gravité des infractions concernées tout en adaptant ces modalités aux spécificités de la délinquance des mineurs ».

Est par ailleurs mis en place, aux articles R. 53-14-1 (N° Lexbase : L3343DZT) et suivants, un dispositif d’effacement anticipé des données.

Les droits des personnes concernées. Ceux-ci sont modifiés pour être mis en conformité avec le Règlement UE n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 (RGPD) (N° Lexbase : L0189K8I) et la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (N° Lexbase : L8794AGS).

Par ailleurs, les modalités d’effacement des données à la demande des intéressés sont également réformées mettant ainsi en conformité la règlementation française avec la jurisprudence de la CEDH laquelle était entrée en voie de condamnation en raison de la conservation, au fichier automatisé des empreintes digitales, de données dont l’effacement était demandé par un titulaire relaxé (CEDH, 18 avril 2013, Req. 19522/09, M.K. c/ France N° Lexbase : A4225KCH).

Les modalités de contrôle du FNAEG. Conformément aux dispositions de l’article R. 53-16 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7324A4Z), le magistrat sous le contrôle duquel est placé le FNAEG est assisté d’un comité de trois membres nommés par le garde des Sceaux. Le décret précise que ces trois membres devront désormais être un magistrat et deux personnalités qualifiées.

Il est par ailleurs prévu que le magistrat en charge de ce contrôle devra établir un rapport annuel qu’il adresse au ministre de la Justice, au ministre de l’Intérieur et à la CNIL.

L’enregistrement des opérations. Le décret prévoit, par un nouvel article R. 53-18 (N° Lexbase : L8140LZI) un enregistrement des opérations de collecte, de modification, de consultation, de communication, y compris les transferts, et d’effacement des données à caractère personnel et informations.

Les possibilités de croisements avec d’autres traitements. L’article R. 53-19 (N° Lexbase : L3347DZY) modifié rappelle l’interdiction d’interconnexion, rapprochement ou mise en relation du FNAEG avec d’autres traitements tout en prévoyant une liste de traitements faisant exception à ce principe.

Les conditions d’un prélèvement a posteriori. L’article R. 53-20 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7341IMT) est intégralement réécrit pour prévoir les conditions dans lesquelles un prélèvement non réalisé au cours de la procédure d’enquête, d’instruction ou de jugement peut être effectué sur instruction du procureur de la République ou du procureur général.

newsid:479318

Fiscalité du patrimoine

[Focus] Pacte Dutreil et donation-partage : la recherche complexe de l’équilibre et de l’optimisation

Lecture: 30 min

N9305BYB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/74100077-edition-n-883-du-04112021#article-479305
Copier

par Jérôme Mazeres, Fiscaliste - Diplômé en gestion de patrimoine, Les fourmis du patrimoine

Le 08 Novembre 2021


Mots-clés : pacte Dutreil • donation-partage • patrimoine 

Transmettre son patrimoine à ses enfants implique de bien comprendre les enjeux civils et fiscaux jalonnant cette opération.

Outre la volonté de transmettre, le dirigeant sera également confronté à une difficulté particulière : celle d’équilibrer les lots.

Celle-ci peut notamment être franchie au moyen d’une donation-partage. Cette stratégie, cumulée à l’application du pacte Dutreil peut s’avérer payante.


 

Il convient à ce titre de souligner que la responsabilité des conseils n’avisant pas leurs clients de la possibilité de faire application de ce régime de faveur est susceptible d’être sanctionnée [1].

Il convient également de relever que le pacte Dutreil est un sujet d’actualité. D’une part, les commentaires administratifs publiés le 6 avril 2021 sont susceptibles d’entraîner la modification de certaines pratiques, dans l’attente de commentaires définitifs.

D’autre part, plusieurs amendements ont été déposés dans le cadre de l’étude du projet de loi de finances pour 2022. Certains amendements proposent notamment de porter le taux de l’abattement de 75 % à 90 % [2].

Nous reviendrons sur l’intérêt civil de la donation-partage (I) et son impact sur la mise en œuvre du pacte Dutreil (II). Nous profiterons également de ce second temps pour analyser certaines modifications apportées par les commentaires administratifs du 6 avril 2021.

I. Les différentes formes de la donation-partage au service de l’équilibre de la transmission 

A. Les différentes formes de la donation-partage

L’article 1075 du Code civil (N° Lexbase : L1828ABC) dispose que la donation-partage est l’acte par lequel une personne fait, entre ses héritiers présomptifs, la distribution et le partage de ses biens et de ses droits.

Comme son nom l’indique, la donation-partage réunit deux opérations, une donation et un partage.

Attention, la donation et le partage peuvent tout à fait être réalisés au moyen d’acte séparé [3]. L’ascendant doit cependant intervenir aux deux actes.

Il n’est pas nécessaire que la donation-partage porte sur l’ensemble des biens. À ce titre, le professeur Philippe Malaurie indique qu’« il n’est pas nécessaire qu’elle comprenne tous les biens du disposant : la libéralité-partage peut être partielle quant aux biens. Ceux qui demeurent indivis sont attribués ou partagés après le décès du disposant, selon le droit commun du partage » [4].

On peut mettre en avant, outre la donation-partage simple réalisée par un parent portant sur ses biens, trois typologies de donation-partage [5].

1) La donation-partage conjonctive

Il s’agit d’une donation-partage qui est consentie conjointement par les époux à l’égard de leurs enfants, communs ou non.

Il n’est ici pas tenu compte de l’origine des biens. Chaque donataire pourra être alloti de biens communs ou de biens propres.

Cette donation comporte donc une donation du père, une de la mère, et un partage.

Ce type de donation-partage permet de gérer les lots des enfants. En effet, à titre d’exemple, le lot de l’un des enfants ne pourra être constitué que de biens communs ou de biens communs et de biens propres de l’un des membres du couple par exemple.

Les droits de mutation à titre gratuit sont calculés distinctement sur les biens donnés par chaque ascendant. Au cas des biens de communauté, ils sont considérés comme donnés par moitié par chacun des époux [6].

En présence d’un enfant non commun, celui-ci peut-être allotis de biens propres ou de biens communs également. Dans ce dernier cas, l’époux auteur du descendant a seul la qualité de donateur. Son conjoint doit consentir à la donation sans être codonateur [7].

Dans cette situation, les biens communs donnés aux enfants non communs seront soumis pour le tout au tarif en ligne directe.

2) La donation-partage cumulative

La donation-partage cumulative s’entend de l’hypothèse où, l’un des parents étant décédé, le survivant donne ses biens afin de les fondre avec ceux formant la succession du prédécédé en vue d’un unique partage [8].

Si la donation-partage cumulative n’est pas visée par le Code civil, celle-ci a cependant été validée par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation [9].

3) La donation-partage transgénérationnelle

L’article 1075-1 du Code civil dispose : « toute personne peut également faire la distribution et le partage de ses biens et de ses droits entre des descendants de degrés différents, qu'ils soient ou non ses héritiers présomptifs ».

Cette possibilité a été ouverte par la loi du 23 juin 2006 afin tenir compte de l’allongement de l’espérance de vie.

La donation-partage transgénérationnelle permet d’une certaine de façon d’effectuer un « saut de génération » [10]. Au moyen de celle-ci, les grands-parents peuvent allotir les petits enfants, sous réserve de la participation des parents de ces derniers, qui doivent consentir que leurs propres enfants soient allotis en leur lieu et place.

💡 Attention, en cas de donation-partage transgénérationnelle, la représentation, c’est-à-dire ce mécanisme du droit civil qui permet d’appeler les représentants aux droits du représenté ne joue pas.

Dans cette situation les droits sont liquidés en fonction du lien de parenté entre l’ascendant donateur et les descendants allotis (CGI, art. 784 B N° Lexbase : L3796HWI).

Autrement dit, si les grands-parents effectuent une donation-partage au profit des petits-enfants, c’est en fonction de ce lien que seront déterminés l’application du barème des droits, ainsi que les abattements, et non par rapport à la génération intermédiaire des parents.

B. Absence de rapport, et gel des valeurs : les atouts de la donation-partage 

Si la donation-partage s’inscrit dans une logique d’anticipation de la succession, afin d’éviter des querelles familiales sur les biens à partager lors de la succession, elle dispose de plusieurs atouts non négligeable.

1) L’absence de rapport

D’une part, les biens faisant l’objet d’une donation-partage ne sont pas soumis au rapport. On peut constater que cette règle n’est pas explicitement visée par l’article 843 du Code civil (N° Lexbase : L9984HN4).

À ce titre, l’article 843 du Code civil dispose « Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale ». On est donc en présence d’un mécanisme qui a vocation à assurer l’égalité entre les héritiers.

Il est cependant assez logique que la donation-partage ne soit pas rapportable. En effet, le rapport permet de reconstituer la masse successorale à partager entre les héritiers. Dès lors que la donation-partage procède par anticipation à cette répartition du vivant du défunt, il semble logique que la donation-partage ne fasse pas l’objet du rapport.

Ce point a notamment été affirmé par un arrêt rendu par la 1ère chambre civile [11]. Il convient cependant de relever que plus récemment la portée de ce principe a été étendue au cas des donations incorporées dans la donation-partage [12].

Ainsi, cette libéralité n’est pas prise en compte lors de la liquidation de la succession dans le cadre des opérations préalables au partage successoral. C’est l’un des intérêts de la donation-partage.

2) Le gel des valeurs

La donation-partage comme toute donation est également soumise aux règles concernant la réserve héréditaire.

Celle-ci est définie par l’article 912 du Code civil (N° Lexbase : L0059HPU) comme la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s'ils sont appelés à la succession et s'ils l'acceptent.

Autrement dit, il s’agit d’une quote-part qui doit nécessairement revenir à l’héritier réservataire. S’il reçoit moins que celle-ci, il dispose d’une action spécifique appelée action en réduction.

La réserve individuelle des héritiers réservataires, les enfants pour simplifier, est opposée à la quotité disponible, qui elle demeure libre d’affectation.

La quotité disponible (QD) et la réserve individuelle (RI) vont varier en fonction du nombre d’héritier réservataire.

💡 Par exemple en présence d’un enfant la QD sera de ½ et la RI de ½. En présence de deux enfants, la QD sera de 1/3, et la RI de 1/3 pour chacun des deux enfants.

Ainsi pour déterminer cette masse, outre les biens existants au jour du décès, il faudra tenir compte des biens donnés. À ce stade, on tiendra compte de l’ensemble des donations effectuées, que celles-ci soient rapportables ou non. Cela inclut donc le cas de la donation-partage.

Or, si la donation a été effectuée il y a plusieurs années, il est tout à fait possible que le bien ait pris de la valeur. Cela est d’autant plus vrai pour des biens immobiliers, une entreprise ou des parts de sociétés.

En principe, on tiendra compte de la valeur de ces biens au jour du décès d’après leur état au jour de la donation [13].

Si le bien donné à l’un des enfants a vu sa valeur augmentée, alors il est tout à fait possible qu’il ait consommé intégralement sa réserve individuelle, et qu’il consomme en tout ou partie celle des autres héritiers réservataires. Il s’exposera ainsi à une éventuelle action en réduction.

On trouve ici un autre intérêt majeur de la donation-partage, à savoir le gel des valeurs au jour de la donation-partage.

💡 Un exemple permettra d’illustrer cet avantage.

Monsieur DURANT a deux enfants Alexandre et Germain. Il procède à la donation en avancement de part successorale en 2010 d’un bien immobilier à Alexandre d’une valeur de 150 000 euros, et des parts de la société Les Fourmis également d’une valeur de 150 000 euros au profit de Germain. Il s’agit de donation simple.

En 2022, Monsieur DURANT décède. On supposera que les biens n’ont connu aucune amélioration, cependant ils ont pris de la valeur.

L’immeuble donné à Alexandre vaut 200 000 euros et les parts sociales données à Germain valent 1 000 000 euros.

On supposera que Monsieur DURANT ne laisse aucun bien.

Lors du décès, on procède à la réunion fictive. La quotité disponible s’élève à 400 000 euros ([200 000 + 1 200 000] / 3). La réserve individuelle de chaque enfant s’élève également à 400 000 euros.

On constate qu’Alexandre n’a pas pu bénéficier de sa réserve. Il pourra agir en réduction, car sa réserve individuelle a été atteinte.

On constate ici que, là où Monsieur Durant pensait bien faire en effectuant une donation simple, de biens de valeurs similaires en 2010, en réalité il a contribué a créé un déséquilibre susceptible d’entraîner une action de l’un des enfants à l’encontre de l’autre.

La donation-partage permet de geler les valeurs, et dans l’exemple ci-dessus d’éviter une action en réduction.

On retiendra, lors de la réunion fictive en cas d’application de gel des valeurs, les valeurs initiales, soit 150 000 euros pour chaque bien.

Pour faire application du gel des valeurs, il convient néanmoins de remplir les deux conditions cumulatives suivantes [14] :

  • que tous les héritiers réservataires vivants ou représentés au décès de l'ascendant aient reçu un lot dans le partage anticipé et l'aient expressément accepté ;
  • et qu’il n'ait pas été prévu de réserve d'usufruit portant sur une somme d'argent.

Attention tout de même, comme le relève le professeur Alice Tisserand-Martin [15], « cela ne se vérifie que si la donation-partage est équilibrée, c’est-à-dire respectueuse de la réserve héréditaire au jour où elle est consentie ».

Cependant, il est possible de contourner cette difficulté avec une renonciation anticipée à l’action en réduction.

On comprend ainsi que la donation-partage revêt un fort intérêt sur le terrain du droit civil. Ces stratégies, accompagnées de la mise en place d’un pacte Dutreil en cas de transmission d’entreprise ou de parts de sociétés exerçant une activité éligible sont d’autant plus importantes en pratique.

II. Le pacte Dutreil, un abattement sous conditions 

Dans le cadre de schéma de transmission de titres de sociétés familiales, les techniques de la donation-partage et du pacte Dutreil peuvent être combinées. Outre l’intérêt de la donation-partage, vu précédemment, la mise en place d’un pacte Dutreil permettra d’alléger l’assiette des droits de mutation à titre gratuit, au moyen de l’abattement de 75 %. L’application de ce régime de faveur implique de remplir des conditions exigeantes.

Il sera notamment possible de transmettre les parts à un seul des héritiers sous réserve du versement d’une soulte aux autres héritiers.

A. Des conditions exigeantes et complexes s’inscrivant dans la durée

Attention, il n’est pas possible de mettre en œuvre un pacte Dutreil sur n’importe quel type d’activité.

En effet, la société doit exercer une activité de nature industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.

Ainsi, les activités de nature patrimoniale ne peuvent pas faire l’objet d’un pacte Dutreil. Cependant, il convient de relever que les activités mixtes peuvent faire l’objet de l’application de l’article 787 B du Code général des impôts (N° Lexbase : L5936LQW).

La société doit conserver une activité éligible au pacte Dutreil durant la durée de l’application des engagements collectif, unilatéral et individuel.

La doctrine administrative [16] en date du 6 avril 2021, apporte un peu de souplesse en cas de changement d’activité.

En effet, il n’y aura pas de remise en cause du pacte Dutreil si l’activité nouvelle est exercée immédiatement après ou concomitamment avec l’ancienne, et revêt une nature industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.

À titre d’exemple, si une SARL exerçant une activité de vente de vêtement, vend son fonds de commerce durant la durée d’application des engagements de conservation, et ne développe pas une nouvelle activité, outre les conséquences au regard de la fiscalité professionnelle, le bénéfice de l’abattement de 75 % pourra faire l’objet d’une remise en cause.

Il s’agit ici d’un point de sensibilisation important pour les héritiers.

La mise en œuvre du pacte Dutreil nécessite de remplir plusieurs conditions.

1) La nécessité de conclure un engagement de conservation 

Les engagements de conservation collectif et individuel.de conservation des titres sont l’une des conditions essentielles d’application du pacte Dutreil au cas d’une donation.

Il convient à ce stade d’indiquer que l’engagement collectif est d’une durée minimum de deux ans, celui-ci pouvant faire l’objet, notamment, de clause de prorogation de délai.

La donation-partage doit intervenir durant cette première période. L’engagement collectif de conservation doit porter à minima sur 34 % des droits de vote et 17 % des droits financiers au cas de sociétés non cotés.

Au cas de sociétés côtées, l’engagement collectif doit porter sur à minima, 10 % des droits financiers et 20 % des droits de vote.

On voit ici, que la condition de seuil permet d’avoir des schémas de transmission à la carte. Une partie des titres pourra faire l’objet d’une donation-partage, et une autre partie, celle non compris dans l’engagement collectif pourra faire l’objet d’une cession. On ménage ainsi la volonté de donner du parent, et son besoin de disponibilités.

Il convient de relever que cet engagement peut être conclu avec d’autres associés, ou tout seul. On parlera dans ce dernier cas d’engagement unilatéral.

Durant cette phase de deux ans, voire plus en cas de clause de prorogation de délai, et après la transmission à titre gratuit, le pacte est figé. Il n’est en principe pas possible d’effectuer d’opérations de cession de titres compris dans le pacte auprès de non-signataire, sauf à remettre en cause l’avantage fiscal. Il existe cependant quelques exceptions, dont l’apport des titres donnés à une société holding.

À compter de la transmission, le donataire devra poursuivre l’engagement collectif jusqu’à son terme.

Il est possible dans certaines situations d’éviter de conclure l’engagement collectif et de basculer directement sur l’engagement individuel. On parlera ici d’engagement collectif réputé acquis. Pour pouvoir bénéficier de ce régime, le parent procédant à la donation doit détenir les parts depuis au moins deux ans, et exercer (elle ou son conjoint, partenaire de PACS ou concubin notoire), une fonction de direction ou son activité principale depuis au moins deux ans.

Une fois l’engagement collectif éteint, un engagement individuel de quatre ans prend sa suite.

Il est intéressant de savoir, en cas de donation-partage, sur quelle(s) personne(s) portera le respect de cette obligation.

Dans l’hypothèse où chacun des enfants serait alloti de titres de la société, dans le cadre de la donation-partage, l’engagement individuel sera propre à chacun.

Autrement dit, si l’un ne respecte pas son engagement, notamment parce qu’il cède ses titres à un tiers durant cette période de quatre ans, alors l’abattement de 75 % sera remis en cause. L’avantage fiscal sera conservé à l’égard des autres enfants, sous réserve qu’ils respectent à titre individuel l’obligation conserver leurs titres durant quatre ans.

Dans l’hypothèse d’une donation-partage avec soulte, l’ancienne réponse ministérielle Vachet [17]  reprise par les commentaires administratifs [18] à jour au 6 avril 2021, précise que c’est l’enfant bénéficiaire des titres qui devra conserver les titres durant la période d’engagement individuel de conservation.

2) La nécessité d’exercer une fonction de direction

Parmi les conditions nécessaires à l’application du pacte Dutreil, il est impératif que l’un des associés signataires ou l’un des héritiers, donataires ou légataires exercent une fonction de direction pendant l’engagement collectif, et durant les trois années qui suivent la date de la transmission.

Il convient de relever que l’analyse de la fonction de direction est différente selon qu’il s’agit d’une société relevant de l’impôt sur les sociétés ou d’une société relevant de l’impôt sur le revenu.

Au cas des sociétés relevant de l’impôt sur les sociétés, la fonction de direction vise : la fonction de gérant, nommé conformément aux statuts d'une société à responsabilité limitée ou en commandite par actions, d'associé en nom d'une société de personnes ou de président, directeur général, président du conseil de surveillance ou membre du directoire d'une société par actions.

La lettre de l’article 787 B, d du Code général des impôts n’impose pas de conditions de rémunération. La nouvelle mouture de la doctrine administrative, ayant donné lieu à une consultation publique, confirme par ailleurs cette analyse [19].

Au cas d’une société relevant de l’impôt sur le revenu, il est exigé l’exercice d’une activité professionnelle à titre principale. Cette notion s’apprécie de manière analogue à celle utilisée en matière d’impôt sur la fortune immobilière pour les biens professionnels. Cette condition sera source de difficulté notamment en présence d’héritiers exerçant une activité différente et sans lien avec l’activité transmise. Cette disparité de condition est notamment source de difficultés dans des schémas de transmissions d’exploitation agricole, quand les enfants exercent des activités sans liens avec l’activité agricole, comme des activités médicales par exemple.

Concernant la personne devant exercer cette fonction de direction, il convient de relever que les derniers commentaires administratifs concernant le pacte Dutreil semblent opérer un « revirement d’analyse » [20]. Jusqu’au 6 avril 2021, la doctrine administrative [21] admettait que la fonction de direction, postérieurement à la transmission, puisse être exercée soit par le signataire initial, soit par l’héritier, le donataire ou légataire. Au cas d’une donation-partage, cela signifie que le parent pouvait conserver la fonction de direction. A priori, il n’était pas obligatoire pour le(s) enfant(s) d’exercer la direction de la société.

Les commentaires administratifs résultant de la mise à jour du 6 avril 2021 [22] opèrent une distinction entre d’une part la période courant jusqu’à la transmission, et la période post-transmission.

Pour la période courant jusqu’à la transmission, la fonction de direction doit être exercée par un associé signataire de l’engagement de conservation unilatéral ou collectif.

Pour la période courant à compter de la transmission, la fonction de direction doit être exercée par l’un des héritiers, légataires ou donataires qui a pris l’engagement de conserver les titres reçus du fait de la transmission à titre gratuit, ou par l’un des associés signataires de l’engagement unilatéral ou collectif et encore tenu au respect de cet engagement.

Dès lors, la fonction de direction ou l’activité principale ne pourra a priori reposer sur l’associé signataire qu’à la condition qu’il détienne encore des titres soumis à un engagement de conservation unilatéral ou collectif.

On peut se demander si ce positionnement de l’administration fiscale correspond véritablement à la lettre de l’article 787 B, d du Code général des impôts. Ce positionnement est d’autant plus surprenant que les commentaires administratifs font référence de manière explicite à la réponse Moreau [23]. Pour rappel, la réponse Moreau visait le cas du pacte réputé acquis, pour lequel il n’y a pas de signataire.

Au cas de la donation-partage des titres, cela implique au vu des derniers commentaires administratifs, que l’enfant bénéficiant du lot comprenant les titres soit en mesure d’exercer pleinement la fonction de direction ou d’exercer son activité principale. On pourrait éventuellement aménager cet exercice dans le cadre de l’engagement collectif de conservation, en prévoyant un pacte portant sur un nombre de titres un peu plus important que celui ayant vocation à être donné, de façon à faire porter jusqu’à l’expiration de l’engagement collectif la fonction de direction sur le donateur [24]. Cependant, au-delà de l’engagement collectif, il faudra impérativement que la fonction de direction ou l’exercice de l’activité principale soit porter par le donataire ayant reçu les titres de la société.

On pourrait éventuellement s’interroger sur l’opportunité et les risques d’abus de droit lier à l’insertion de clauses de prorogation de l’engagement collectif, post-transmission, permettant de faire porter la fonction de direction sur le parent donateur afin de valider la période de trois ans après la donation.

3) Cas particulier de la donation-partage transgénérationnelle

Si l’application conjointe du pacte Dutreil dans le cadre d’une donation-partage est possible, y compris avec soulte [25], un certain nombre de questions demeurent au cas de la donation-partage transgénérationnelle.

Il est vrai que ni la rédaction de l’article 787 B du Code général des impôts, ni la doctrine administrative à jour au 6 avril 2021, ne semblent exclure une telle possibilité.

Parmi les questions entourant la donation-partage transgénérationnelle, on peut notamment penser à celle posée par le député Jean-Michel Clément [26]. Sa question portait notamment sur le mécanisme de la réincorporation d’une donation antérieure.

Comme vu ci-dessus, la donation-partage transgénérationnelle permet d’effectuer un saut de génération avec le consentement de la génération intermédiaire. Elle peut porter sur des biens que les grands-parents ont déjà donnés à leurs enfants. Les enfants premiers donataires réincorporent alors à la masse à partager les biens qu’ils avaient reçus.

En cas de réincorporation de titres ayant déjà fait l’objet de l’application du pacte Dutreil, il convient de se demander si celle-ci n’entraîne pas la déchéance de l’exonération partielle prévue à l’article 787 B du Code général des impôts.

Cette question est d’autant plus délicate que la question posée par le député Jean-Michel Clément n’a pas trouvé de réponse, et a été retirée le 20 juin 2017.

Comme le souligne Jean-François Desbuquois, il convient d’être prudent sur cette pratique, tant que l’administration fiscale ne l’aura pas confirmée [27].

Il sera également intéressant à l’avenir que l’administration fiscale se positionne sur des schémas de séquençage des opérations, tel que mis en avant par Jean-François Desbuquois : réincorporation des titres, conclusion de l’engagement collectif sur les titres repris par les grands-parents, puis donation aux petits-enfants[28].

Il peut être opportun de sécuriser ces opérations au moyen d’un rescrit.

B. L’application de l’abattement en présence d’une soulte

L’application l’abattement de 75 % prévu par l’article 787 B du Code général des impôts peut se cumuler avec la réduction de droit prévue à l’article 790 du même Code (N° Lexbase : L8960IQW).

💡 Attention, l’application de la réduction de droit à hauteur de 50 % visé par l’article 790 du Code général des impôts nécessite de remplir plusieurs conditions cumulatives :

  • la donation des parts doit être effectuée en pleine propriété. Ainsi, une donation en démembrement de propriété n’est pas éligible au dispositif ;
  • le donateur doit être âgé de moins de soixante-dix ans.

Il convient également de relever, dans une moindre mesure, que le régime du pacte Dutreil n’est pas exclusif de l’application de l’abattement de 300 000 euros en cas de dons aux personnels salariés visés à l’article 790 A du Code général des impôts (N° Lexbase : L2507IBH). Attention, le cumul des abattements visés aux articles 787 B et 790 A du Code général des impôts portera sur la valeur des parts représentatives du fonds de commerce [29].

Les modalités d’application de l’abattement de 75 % peuvent varier selon que la donation-partage est effectuée avec ou sans soulte.

1) En l’absence de soulte

En présence d’une donation-partage pure et simple, chacun des donateurs sera alloti en raison de ses droits dans la masse totale des biens donnés.

Dès lors, les droits de donation et l’application de l’abattement de 75 % seront calculés en fonction des titres que chacun d’eux a reçus.

2) En présence d’une soulte 

En cas de donation-partage avec soulte, la réponse ministérielle Vachet [30] précise : « Dans l’hypothèse envisagée d’une donation-partage avec soulte de titres bénéficiant de l’exonération partielle prévue à l’article 787 B du CGI, les règles traditionnelles de liquidation des donations-partages avec soulte sont applicables. Ainsi, dans une telle hypothèse, la liquidation des droits est effectuée selon les attributions théoriques ».

Dans une telle situation, c’est bien l’ensemble des donataires qui vont pouvoir bénéficier de l’abattement de 75 % du pacte Dutreil.

💡 Exemple comparatif

Monsieur Dupont est âgé de 71 ans. Son patrimoine se compose de parts d’une entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL), dans laquelle il exerce son activité principale. Monsieur a conclu un pacte Dutreil sur ces titres sous forme d’engagement unilatéral.

Les parts de l’EARL sont évaluées à 400 000 euros. Il est également propriétaire de 20 hectares de terres agricoles estimées à 200 000 euros. On partira du principe que les terres ne bénéficient pas d’un avantage fiscal particulier.

📌 Donation-partage sans soulte

Dans le premier cas, Monsieur Dupont effectue une donation-partage au profit de ses deux enfants, Alexandre et Germain.

Chacun reçoit des biens correspondants à ses droits.

Alexandre reçoit 300 000 euros de parts de l’EARL.

Germain reçoit 200 000 euros de terres et 100 000 euros de parts de l’EARL.

Dans schéma, l’assiette taxable est la suivante :

  • Pour Alexandre :

💰 Biens reçus : 300 000 euros de parts de l’EARL

💰 Abattement pacte Dutreil de 75 % : 225 000 euros

💰 Assiette taxable aux DMTG : 75 000 euros

💰 Abattement de 100 000 euros

Alexandre ne paiera donc pas de droit de mutation à titre gratuit.

  • Pour Germain :

💰 Biens reçus : 100 000 euros de parts de l’EARL

💰 Abattement pacte Dutreil de 75 % : 75 000 euros

💰 Valeur retenue pour les DMTG : 25 000 euros

💰 Biens reçus : 200 000 euros de terres agricoles

💰 Assiette taxable aux DMTG : 225 000 euros

💰 Abattement de 100 000 euros : 125 000 euros

Montant des droits : 23 194 euros

          📌 Donation-partage avec soulte 

Alexandre reçoit les 400 000 euros de titres de l’EARL.

Germain reçoit les 200 000 euros de terres ainsi qu’une soulte de 100 000 euros d’Alexandre.

💰 Valeur taxable des actions : 100 000 euros.

💰 Valeur taxable des terres : 200 000 euros.

Chacun est réputé recevoir la moitié des biens donnés, soit 150 000 euros chacun.

Chacun bénéficie de l’abattement à hauteur de 100 000 euros.

La fraction imposable de chacun aux droits de mutation à titre gratuit s’élève à 50 000 euros.

Chacun devra ainsi s’acquitter de 8 194 euros de droits, soit 16 388 euros au global.

On constate ainsi que le mécanisme de la soulte permet, dans une moindre mesure et dans certaines situations, de minorer le montant des droits à payer. Le pacte Dutreil s’applique ainsi sur l’ensemble des donataires.

Cet exemple permet également de mettre en exergue les limites de ces schémas de transmission avec soulte, dans la mesure où ce partage de l’assiette d’imposition rend l’un des donataires redevable des droits de mutation à titre gratuit, alors qu’il ne l’aurait pas été dans le premier cas.

3) Quid de l’apport des titres issus d’une donation-partage avec soulte ?

L’exemple ci-dessus illustre l’une des difficultés des schémas de donation-partage avec soulte, à savoir le financement de la soulte.

Il pourrait être intéressant d’apporter les titres de la société à une société holding, afin de permettre le financement de celle-ci via les dividendes.

Il convient ici de relever que la loi de finances pour 2019 (loi n° 2018-1317, du 28 décembre 2018, de finances pour 2019 N° Lexbase : L6297LNK) a apporté de la souplesse. Cependant, la rédaction maladroite du texte, et les débats parlementaires ont suscité des difficultés d’application. Pour rappel, il est possible d’apporter les titres donnés à une société holding durant la phase de l’engagement collectif ou de l’engagement individuel.

L’abattement de 75 % ne sera pas remis en cause par suite d'un apport partiellement rémunéré par la prise en charge d'une soulte consécutive à un partage de titres d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale à une société dont la valeur réelle de l'actif brut est, à l'issue de l'apport et jusqu'au terme des engagements de conservation, composée à plus de 50 % de participations dans la société qui sont soumises à ces mêmes engagements.

Les conditions suivantes doivent également être remplies à l’issue de l’opération d’apport et jusqu’au terme des engagements collectifs ou unilatéral et individuel :

  • les trois-quarts au moins du capital et des droits de vote de la société bénéficiaire de l'apport sont, à l'issue de l'apport, détenus par les personnes soumises aux obligations de conservation attachées au dispositif « Dutreil » (CGI, art. 787 B, a et c). En outre, la condition de seuil de détention des droits de vote et des droits financiers prévue au b du même article 787 B du CGI doit continuer à être satisfaite à l'issue de l'apport ;
  • cette société est dirigée directement par une ou plusieurs des personnes soumises à ces obligations de conservation.

Enfin, il est également nécessaire que la société holding prenne l’engagement de conserver les titres apportés jusqu’au terme des engagements collectif, unilatéral ou individuel de conservation. Les associés de la société holding doivent quant à eux conserver les titres reçus en contrepartie de l’apport jusqu’au terme des différents engagements.

Les conditions portant sur la fonction de direction et relative à la détention des titres de la société holding posaient des difficultés, qui demeurent suite aux commentaires administratifs en date du 6 avril 2021.  Il était notamment question de savoir si ces conditions devaient être remplies par l’enfant bénéficiaire de la donation, le parent donateur ou bien les deux.

Avant ceux-ci, la réponse ministérielle Patriat [31] avait apporté quelques précisions.

Le ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance a pu indiquer en cas de donation-partage de titres à plusieurs donataires, que l’apport par chacun d’eux des titres reçus à une société holding distincte ne portent pas en tant que telle atteinte à l’application de l’abattement de 75 %, sous réserve de respecter, pour chacun des enfants apporteurs pris isolément, les conditions visées ci-dessus.

La réponse Patriat répond à ces questions en indiquant « les bénéficiaires de l’exonération en détiennent au moins les 75 % du capital et des droits de vote et que l’un d’entre eux en assure la direction ».

Les commentaires administratifs [32] du 6 avril 2021 affinent la réponse Patriat.

Durant la phase d’engagement collectif, les titres de la holding doivent être détenus à hauteur de 75 % par les parents et/ou les enfants bénéficiaires de la donation. Il en est de même de la fonction de direction, qui peut être exercée par le parent donateur ou l’enfant alloti des titres.

Durant la phase d’engagement individuel, on retrouve les mêmes difficultés que celles évoquées précédemment.

Il est impératif que les enfants donataires détiennent 75 % des titres de la société holding. De même, durant cette phase c’est l’enfant qui devra exercer la fonction de direction.

Il est donc nécessaire lors de la constitution de la société holding d’éviter des situations où le parent donateur détiendrait plus de 25 % des titres de la société holding bénéficiant de l’apport. À défaut, il faudrait vraisemblablement envisager de corriger cette situation avant l’expiration de l’engagement collectif. Concernant la fonction de direction, l’introduction d’une clause de prorogation de délai peut également se poser, avec toutes les réserves que l’on peut émettre.

On voit ici en creux les faiblesses de l’engagement réputé acquis qui, s’il permet de gagner les deux ans d’engagement collectif, compresse le temps pour corriger les situations, et limite les options quant à la sécurisation de la fonction de direction.

En restructurant une partie de ses commentaires administratifs, très imprégnés par la réponse Moreau, l’administration fiscale fragilise un certain nombre de pratiques. Il est nécessaire que la transmission soit effectuée au profit d’un enfant ayant véritablement vocation à exercer une fonction de direction.

Il sera ainsi intéressant de voir le positionnement de l’administration fiscale dans le cadre de futurs commentaires définitifs.


[1] Pour un exemple, voir CA Chambéry, 24 octobre 2017, n° 16/00475 (N° Lexbase : A2358WXM).

[2] Amendement n° I-CF473 présenté par M. Mattei le 30 septembre 2021, ayant donné lieu à un rejet [en ligne].

[3] C. civ., art. 1076 (N° Lexbase : L1829ABD).

[4] P. Malaurie, Les successions, les libéralités, Paris, Defrenois, 2012 n° 1067.

[5] JCl. Ingénierie du patrimoine - Fascicule n° 1160 – donation-partage n° 68.

[6] BOI-ENR-DMTG-20-20-10 n° 120 (N° Lexbase : X7764AL7).

[7] BOI-ENR-DMTG-20-20-10 n° 130.

[8] Cass. civ. 1, 28 mai 2015, n° 14-13.479, F-P+B (N° Lexbase : A8193NIB).

[9] Cass. civ. 1, 29 mai 1980 n° 79-12.762 (N° Lexbase : A4537CKA).

[10] JCl. Ingénierie du patrimoine – libéralités – FASC. 1170.

[11] Cass. civ. 1, 16 juillet 1997 n° 95-13.316 (N° Lexbase : A0410AC8).

[12] Cass. civ. 1, 4 juillet 2018 n° 16-15.915, F-P+B (N° Lexbase : A5673XXE).

[13] C. civ., art. 922 (N° Lexbase : L0071HPC).

[14] C. civ., art. 1078 (N° Lexbase : L0233HPC).

[15] A. Tisserand-Martin, Les petites affiches, 28 juin 2007, n° 129, p. 27.

[16] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 17 (N° Lexbase : X6754ALQ).

[17] QE n° 81926 de M. Vachet Léon, JOANQ 27 décembre 2005 p. 11907, réponse publ. 28 mars 2006 p. 3343, 12e législature (N° Lexbase : L9826HIR).

[18] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 340.

[19] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 290.

[20] Actes pratiques et stratégies patrimoniales n° 2, avril 2021.

[21] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, 19 mai 2014, n° 390.

[22] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 390 à jour au 6 avril 2021.

[23] QE n° 99759 de M. Yannick Moreau, JOANQ 11 octobre 2016, réponse publ. 7 mars 2017 p. 1983, 14ème législature (N° Lexbase : L7071LDA).

[24] La revue fiscale du patrimoine, n° 5, mai 2021, act. 71.

[25] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 340, à jour au 06 avril 2021 ; RM VACHET n° 81926 précitée.  

[26] QE n° 59152 de M. Jean-Michel Clément, JOAN 8 juillet 2017.

[27] JF. Desbuquois, Les pactes Dutreil, EFE 2017, p. 54 n° 42.

[28] Voir note 27.

[29] BOI-ENR-DMTG-20-30-20-20 n° 320 et 330 (N° Lexbase : X7443ALA).

[30] Voir note 25.

[31] QE n° 06410 de M. François Patriat, JO Sénat 2 août 2018 p. 3929, réponse publ. 3 septembre 2020 p. 3895, 15ème législature (N° Lexbase : L9121LZT).

[32] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20 n° 83 et suivants, à jour au 6 avril 2021.

newsid:479305

Procédure civile

[Jurisprudence] Compétence du CME pour statuer sur la recevabilité de l’appel en cause de l’article 552, alinéa 2, du CPC et conséquences de la caducité de la déclaration d’appel à l’égard d’un propriétaire indivis

Réf. : Cass. civ. 2, 30 septembre 2021, n° 19-24.580, F-B (N° Lexbase : A0504488)

Lecture: 18 min

N9178BYL

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/74100077-edition-n-883-du-04112021#article-479178
Copier

par Yves Strickler, Professeur à l’Université Côte d’Azur, membre du Haut Conseil de la Magistrature de la Principauté de Monaco

Le 03 Novembre 2021


Mots-clés : Appel (en matière civile) • Caducité • Recevabilité • Indivisibilité du litige

Impact : L’article 552 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6703H7E) ne permet pas de former une nouvelle déclaration d’appel à l’égard d’une partie à l’encontre de laquelle une déclaration d’appel avait déjà été dirigée et qui est devenue caduque. Quand le litige est indivisible, la conséquence est importante puisqu’elle va emporter la caducité de l’appel à l’égard de toutes les autres parties.


 

En principe, « les actes accomplis par ou contre l’un des coïntéressés ne profitent ni ne nuisent aux autres » (CPC, art. 324 N° Lexbase : L8423IRE). Mais il est des cas dans lesquels la situation qui lie les différentes parties à une procédure commande qu’elles se voient appliquer une même règle et de mêmes effets. On ne saurait diviser des situations qui ne peuvent être séparées [1]. L’indivisibilité [2] crée ainsi une situation dans laquelle le jugement à intervenir va nécessairement toucher toutes les personnes intéressées. Elle est donc spécifiquement encadrée par les textes. D’où des dérogations au principe, qui sont prévues par l’article 324, parmi lesquelles les articles 552 et 553 (N° Lexbase : L6704H7G) du code précité.

Les principaux textes du CPC qu’il convient d’avoir à l’esprit sont les cinq suivants [3] :

Article 324 : « Les actes accomplis par ou contre l’un des coïntéressés ne profitent ni ne nuisent aux autres, sous réserve de ce qui est dit aux articles 474 (N° Lexbase : L6588H77), 475 (N° Lexbase : L6589H78), 529 (N° Lexbase : L6678H7H), 552, 553 et 615 (N° Lexbase : L6773H7Y). »

Article 529 : « En cas de condamnation solidaire ou indivisible de plusieurs parties, la notification faite à l’une d’elles ne fait courir le délai qu’à son égard.

Dans les cas où un jugement profite solidairement ou indivisiblement à plusieurs parties, chacune peut se prévaloir de la notification faite par l’une d’elles. »

Article 552 : « En cas de solidarité ou d’indivisibilité à l’égard de plusieurs parties, l’appel formé par l’une conserve le droit d’appel des autres, sauf à ces dernières à se joindre à l’instance.

Dans les mêmes cas, l’appel dirigé contre l’une des parties réserve à l’appelant la faculté d’appeler les autres à l’instance.

La cour peut ordonner d’office la mise en cause de tous les co-intéressés. »

Article 553 : « En cas d’indivisibilité à l’égard de plusieurs parties, l’appel de l’une produit effet à l’égard des autres même si celles-ci ne se sont pas jointes à l’instance ; l’appel formé contre l’une n’est recevable que si toutes sont appelées à l’instance. »

Article 911-1, alinéa 3 (N° Lexbase : L7243LEY) : « La partie dont la déclaration d’appel a été frappée de caducité en application des articles 902 (N° Lexbase : L7237LER), 905-1 (N° Lexbase : L7035LEB), 905-2 (N° Lexbase : L7036LEC) ou 908 (N° Lexbase : L7239LET) ou dont l’appel a été déclaré irrecevable n’est plus recevable à former un appel principal contre le même jugement et à l’égard de la même partie. »

En l’espèce, un tribunal de grande instance a déclaré irrecevable une demande tendant à ce que les propriétaires indivis d’un bien immobilier soient condamnés à en consentir la vente par acte authentique. Appel a été interjeté. Par ordonnance du 12 février 2018, le conseiller de la mise en état a constaté la caducité de la déclaration d’appel à l’égard de l’une des parties car la déclaration ne lui avait pas été signifiée dans le délai d’un mois à compter de l’avis adressé par le greffe, délai prévu par l’article 902 du Code de procédure civile. Les demandeurs ont alors décidé de s’appuyer sur l’article 552, en son deuxième alinéa, pour considérer que l’indivisibilité du litige à l’égard des intimés devrait leur permettre d’appeler en la cause ladite personne. Le thème de l’indivisibilité du litige ayant fait son entrée dans les débats, les défendeurs initiaux ont sollicité le bénéfice de l’extension de la caducité prononcée à l’égard des autres indivisaires… Le conseiller de la mise en état, le 5 mars 2019, est allé dans le sens tracé par les propriétaires indivis, d’une part, en affirmant par application de l’article 552 du Code de procédure civile l’irrecevabilité de la mise en cause opérée et, d’autre part, en constatant que la déclaration d’appel était également caduque à l’égard des deux autres propriétaires indivis. Le 5 septembre de la même année, la cour d’appel a confirmé cette lecture et a assorti le tout d’une condamnation au titre de l’article 700 à hauteur de 1 500 euros, ce au bénéfice, in solidum, de chaque propriétaire indivis.

La Cour de cassation rappelle que l’article 552, alinéa 2, du Code de procédure civile permet à l’appelant, en cas de solidarité ou d’indivisibilité à l’égard de plusieurs parties, d’appeler en cause les parties omises, contre lesquelles l’appel n’avait pas initialement été dirigé. Mais cette faculté est limitée au cas où toutes les parties devaient être appelées à la cause et ne l’ont pas été.

En revanche, lorsque l’appelant a interjeté appel contre toutes les parties et a malencontreusement laissé déclarer caduque la déclaration d’appel à l’égard d’une partie, il ne saurait former un nouvel appel principal du même jugement à l’égard de cette même partie.

Les questions qui résultaient des critiques dirigées par l’auteur du pourvoi contre l’arrêt d’appel se concentraient en deux interrogations : d’abord, l’appréciation de la recevabilité de l’appel en cause d’une partie sur le fondement de l’article 552, alinéa 2, du Code de procédure civile relève-t-elle ou non de l’office du conseiller de la mise en état et par suite de la cour saisie du déféré de sa décision ? L’arrêt permet de ce point de vue de clarifier les pouvoirs du conseiller de la mise en état et de la cour saisie sur déféré de sa décision (I). Ensuite, lorsqu’un appel est caduc à l’égard d’un des intimés, l’appelant peut-il bénéficier d’une sorte de session de rattrapage et intimer à nouveau cette même partie en utilisant pour fondement l’article 552, alinéa 2, du Code de procédure civile ? Ce qui permet d’expliquer l’agencement des dispositions des articles 552 et 911 (N° Lexbase : L7242LEX) du Code de procédure civile (II).

I. Pouvoirs du conseiller de la mise en état et de la cour saisie sur déféré

Les pouvoirs reconnus au juge (A), sont accompagnés des modalités destinées à en assurer l’effectivité (B).

A. Le pouvoir de statuer sur la recevabilité de la mise en cause d’une partie

Le défendeur au pourvoi admettait que tant le conseiller de la mise en état que la cour d’appel statuant sur le déféré de sa décision puissent prononcer la caducité de l’appel conformément à l’article 914, texte qui indique que : « Les parties soumettent au conseiller de la mise en état, qui est seul compétent depuis sa désignation et jusqu’à la clôture de l’instruction, leurs conclusions, spécialement adressées à ce magistrat, tendant à :

  • prononcer la caducité de l’appel ;
  • déclarer l’appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l’appel ; les moyens tendant à l’irrecevabilité de l’appel doivent être invoqués simultanément à peine d’irrecevabilité de ceux qui ne l’auraient pas été ; […] »

En effet, le conseiller de la mise en état avait constaté que le délai de signification de la déclaration d’appel prévu par l’article 902 n’avait pas été respecté à l’égard d’une partie. Il pouvait donc constater la caducité de l’appel [4].

Mais le pourvoi présenté à la Cour considérait que ces magistrats n’ont pas le pouvoir de statuer sur la recevabilité de la mise en cause d’une partie dans les conditions prévues à l'article 552, alinéa 2, du Code de procédure civile, peu importe à ce sujet que la caducité de l’appel à l’égard de certaines parties dépendait de la recevabilité de cette mise en cause. Il est vrai que, contrairement à la manière dont est rédigé le texte pour l’irrecevabilité, où « toute [autre] question » qui a « trait à la recevabilité de l’appel » entre dans les prévisions expresses du texte, la caducité n’est visée que directement. Ceci étant, c’est parce que la déclaration d’appel était caduque à l’égard d’une partie que l’irrecevabilité de l’appel à nouveau engagé mais sur le fondement de l’article 552, devait être tranchée. Or, l’irrecevabilité de la mise en cause, justement analysée comme nous le verrons comme un nouvel appel principal, est en lien direct avec la question de la caducité, de sorte qu’il aurait été artificiel de détacher son appréciation de la mission du conseiller de la mise en état. Il est donc heureux que la Haute juridiction ait retenu que la cour qui statue « sur déféré d’une ordonnance du conseiller de la mise en état, [est] compétente pour examiner la recevabilité de l’appel en cause […] sur le fondement de l’article 552, alinéa 2, du Code de procédure civile, qui s’analyse en un appel » (§ 11 de l’arrêt).

Comme les deux autres parties indivisibles avaient été régulièrement citées devant la cour, l’appelant entendait échapper à la caducité qui le frappait et pour cela, user d’une autre voie qui consistait à se prévaloir de l’article 552, alinéa 2, du Code de procédure civile. Comme le rappelle la Haute juridiction (§ 8 de l’arrêt), le texte réserve à l’appelant qui a agi contre une partie indivise la faculté d’appeler à l’instance les autres parties qui avaient obtenu gain de cause au premier degré mais qui avaient été omises lors de l’exercice du recours [5]. Ainsi, lorsque l’appelant a interjeté appel contre l’une des parties indivisibles, il peut encore appeler les autres. Ceci est vrai quand bien même les délais seraient expirés à leur égard [6].

L’intérêt pratique de la règle est évident lorsqu’elle est mise en parallèle avec les prescriptions de l’article 553 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6704H7G) qui indiquent in fine ‒ mais uniquement dans le cas d’indivisibilité, non en cas de solidarité ‒ que l’appel formé contre une partie indivisible ne sera recevable que si toutes ont été appelées à l’instance. En cas d’omission, l’article 552, alinéa 2, permet de la rattraper.

B. Les modalités procédurales

La faculté reconnue à l’appelant de former une « seconde déclaration d’appel […] pour appeler à la cause les parties omises dans la première déclaration d’appel régularise l’appel [et ceci], sans créer une nouvelle instance, laquelle demeure unique » [7]. C’est bien une « nouvelle déclaration d’appel » mais elle vise à « étendre l’intimation aux parties omises dans la déclaration d’appel initiale » comme l’affirme avec l’arrêt commenté, la Cour. Cette technique de la « seconde déclaration d’appel » se retrouve en d’autres endroits, par exemple pour régulariser une déclaration qui comporterait une erreur matérielle. Dans une telle occurrence, ce n’est pas la seconde mais bien cette première déclaration qui marquera le point de départ du délai de dépôt des conclusions, dans la mesure où elle s’inscrit dans l’instance déjà existante [8] et « s’incorpore » à elle [9]. Logiquement, c’est aussi la première déclaration qui lancera la date du délai offert à l’appelant pour conclure, de sorte que malgré l’affirmation selon laquelle il est possible d’appeler les personnes omises sans délai, celui prévu pour permettre à l’appelant de conclure, s’imposera tout de même [10].

La session de rattrapage ainsi offerte à l’appelant est laissée à son initiative mais aussi, le cas échéant, à celle de la cour d’appel qui, si la partie privée ne prend les devants, peut s’en saisir et ordonner la mise en cause de tous les intéressés (CPC, art. 552, al. 3). Cependant, ladite session n’est ouverte que si, par ailleurs, l’appel qui a été engagé contre une ou plusieurs autres parties indivisibles est « recevable à l’égard d’au moins une partie et que l’instance était encore en cours » [11]. Et logiquement, lorsque la déclaration d’appel n’a pas été signifiée à toutes les parties, la sanction de la caducité vaut « à l’égard de l’ensemble des intimés » [12].

L’indivisibilité a cette conséquence d’obliger d’appeler les parties à la cause, faute de quoi, comme a déjà pu l’indiquer la Haute juridiction, pourrait apparaître le risque d’ « une impossibilité juridique d’exécution simultanée de [deux] décisions tenant à leur contrariété irréductible » [13], outre que la chose jugée à l’égard de certaines parties pourrait alors ne pas être opposables aux autres alors même que la situation d’indivisibilité est réelle [14]. C’est pourquoi, en cas d’indivisibilité à l’égard de plusieurs parties, l’appel formé contre l’une n’est recevable que si toutes ces parties sont appelées à l’instance.

Sachant que l’appel est, en application de l’article 900 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0916H4P), « formé par déclaration unilatérale ou requête conjointe, "les parties que l’appelant a omis d’intimer sont appelées à l’instance par voie de déclaration d’appel" » [15] ; il faut alors une nouvelle déclaration, séparée, en complément de celle déjà signifiée aux autres parties. Il s’agit donc bien, comme le juge la Cour de cassation, d’une nouvelle déclaration d’appel, qui a pour effet d’étendre l’intimation aux parties omises dans la déclaration d’appel initiale. Nous ne sommes pas ici dans le registre de l’intervention forcée qui, elle, vise les tiers à la première instance. Cette position jurisprudentielle déclarant irrecevable la demande à défaut d’avoir dirigé l’appel contre toutes les parties indivises n’est pas nouvelle [16].

Est-il possible d’aller au-delà et de former un nouvel appel principal du même jugement à l’égard de la même partie ? Ce serait cloisonner à tort les articles 552 et 911 du Code de procédure civile.

II. Agencement des dispositions des articles 552 et 911-1 du CPC

La Cour de cassation procède à une lecture combinée des articles 552, alinéa 2, et 911-1, alinéa 3 (A), dont le résultat ne porte pas atteinte aux exigences de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (B).

A. Une lecture combinée des articles 552, alinéa 2, et 911-1, alinéa 3

Les dispositions de l’article 911-1, alinéa 3, prévoient que « La partie dont la déclaration d’appel a été frappée de caducité en application des articles 902, 905-1, 905-2 ou 908 ou dont l’appel a été déclaré irrecevable n’est plus recevable à former un appel principal contre le même jugement et à l’égard de la même partie ». C’est pourquoi, aussi longtemps que « la première déclaration d’appel n’a pas encore été déclarée caduque, l’appelant est recevable à en former une seconde sous réserve qu’il se trouve encore dans le délai de recours » [17]. Inversement, en cas de caducité constatée, l’appel en cause doit être analysé comme un nouvel appel. La faculté réservée à l’appelant par l’article 552, alinéa 2, du Code de procédure civile d’appeler en cause les parties contre lesquelles il n’avait pas initialement dirigé son appel, ne répond pas à une même configuration et doit par suite se heurter à l’interdiction posée par l’article 911-1, alinéa 3. L’appel en cause n’est pas alors une extension de l’intimation aux parties omises, mais un nouvel appel dirigé contre une personne qui avait déjà vu un précédent appel dirigé contre elle. Il ne peut qu’être déclaré irrecevable.

Aussi, la Cour de cassation affirme-t-elle que la faculté offerte à l’appelant de rattraper une omission dans les cas où la recevabilité de l’appel est conditionnée à l’appel en cause de toutes les parties à l’instance, ne peut l’autoriser à former un nouvel appel principal du même jugement à l’égard de la même partie (§ 9 de l’arrêt). Il avait d’ailleurs déjà été jugé en 1999 que si l’article 552 du Code de procédure civile donne la faculté à l’appelant, en cas d’appel contre l’une des parties, d’en appeler une autre à l’instance, il ne lui était pas possible d’interjeter contre elle un appel distinct hors délai [18].

L’article 911-1, alinéa 3, est ainsi applicable à la mise en cause dans les conditions prévues à l’article 552 du Code de procédure civile d’une partie à l’égard de laquelle l’appel initialement formé a été déclaré caduc.

Cette solution est-elle de nature à fragiliser la procédure interne devant la Cour de Strasbourg ? La Cour de cassation, à raison, affirme le contraire.

B. Le respect de la Convention de sauvegarde

Les dispositions appliquées à la situation d’espèce organisent la procédure d’appel en tenant compte des diverses positions procédurales. Certes, elles aboutissent à restreindre l’accès au juge d’appel, mais la Haute juridiction affirme que ce n’est pas « d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même ». Cette exigence signifie que la règle interne ne doit pas avoir pour conséquence la privation pure et simple pour le justiciable de son droit d’accès ; il faut un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. Dans son arrêt, la Cour de cassation dit de manière fort pédagogique que l’on ne saurait admettre qu’un appelant multiplie « les déclarations d’appel alors que sa déclaration initiale a régulièrement saisi la cour d’appel », ce à quoi aboutirait de fait la solution contraire. La finalité de bonne administration de la justice forme une limite admise au droit d’accès [19].

Quant à la vérification du degré de proportionnalité entre la règle appliquée et ses finalités, il suffit ici de dire qu’elle résulte de la cohérence inhérente à ces dispositions des articles 552 et 911-1 du Code de procédure civile. L’analyse retenue par l’arrêt est à approuver.

À retenir. En cas d’indivisibilité, il faut prendre garde aux effets procéduraux qu’une telle situation commande et ne pas négliger les contraintes qui en résultent. La caducité de l’appel interjeté contre une partie indivise emporte son extension aux autres parties indivises. La tentative qui serait faite d’attraire la première à l’instance par la voie détournée de la mise en cause de l’article 552 est vouée à l’échec, et l’irrecevabilité de la mise en cause qui en est résultée met en évidence le fait que, dans l’espèce commentée, toutes les parties n’avaient pas été appelées à l’instance. La déclaration d’appel s’en est aussi retrouvée caduque à l’égard des autres parties indivises.

La sanction de la caducité est rude et suppose donc une vigilance accrue. Car contrairement à la nullité qui peut être régularisée aussi longtemps que le juge ne s’est pas prononcé [20] et qui, lorsqu’elle est prononcée, n’efface pas l’effet interruptif attaché à la déclaration initiale [21], la caducité ferme, pour tous dans le cas d’indivisibilité, la porte du recours.


[1] Rappr. Rép. Proc. civ. Dalloz, F. Ferrand, V° « Appel », actualisation : juillet 2021, n° 651.

[2] Sur la différence entre indivisibilité et solidarité, v. P. Chevalier, J.-Cl. Proc. civ. LexisNexis, Fasc. 105, V° « Parties à l’instance », dernière mise à jour : 16 mars 2016, n° 76.

[3] Passages soulignés par nous.

[4] Adde et rappr. Cass. civ. 2, 14 novembre 2013, n° 12-25.872, F-D (N° Lexbase : A6061KP8).

[5] Par ex. Cass. civ. 3, 23 juin 1999, JCP éd. G n° 9, 1er mars 2000, II. 10260.

[6] Cass. com., 23 mai 1989, n° 88-10.974 (N° Lexbase : A1106CZY) ; Cass. civ. 2, 25 mars 1992, n° 90-18.045, Bull. civ. II, n° 102  (N° Lexbase : A3200ACI) ; Cass. com., 5 décembre. 2018, n° 17-22.350, FS-D (N° Lexbase : A7889YPU) ; Cass. civ. 3, 23 juin 1999, n° 97-22.607, FS-D (N° Lexbase : A7244CI7) ; Cass. civ. 2, 7 septembre 2017, n° 16-20.463, F-P+B (N° Lexbase : A1189WRH) ; Dalloz actu, 21 septembre 2017, R. Laffly. V aussi D. D’Ambra, Droit et pratique de l’appel, Dalloz référence, 2021/22, n° 112.211.

[7] Cass. civ. 2, 19 novembre 2020, n° 19-16.009, F-P+B+I (N° Lexbase : A945134S), Dalloz actualité, 8 janvier 2021, Ch. Lhermitte.

[8] Cass. civ. 2, 16 novembre 2017, n° 16-23.796, F-P+B (N° Lexbase : A7117WZM).

[9] Cass. civ. 2, 19 novembre 2020, n° 19-13.642, F-P+B+I (N° Lexbase : A944934Q).

[10] En ce sens, v. aussi Ch. Lhermitte, Dalloz actualité, 8 janvier 2021, qui de ce fait conseille « à l’appelant de régulariser cette seconde déclaration d’appel dans son délai pour conclure ».

[11] Cass. civ. 2, 7 septembre 2017, n° 16-20.463, F-P+B (N° Lexbase : A1189WRH) ; v. déjà : Cass. civ. 2, 15 avril 1981, n° 80-10.228 (N° Lexbase : A1189WRH exigence d’une instance en cours) ; Cass. com., 5 décembre 1972, n° 71-11.635 (N° Lexbase : A2511CG4 nécessité que toutes les parties intéressées aient été mises en cause devant la cour d’appel).

[12] Cass. civ. 2, 17 mai 2018, n° 17-16.777, F-D (N° Lexbase : A4621XNH) Adde et rappr. P.-A. Ravot, « L’Incident de caducité de déclaration d’appel, fin de non-recevoir ou exception de procédure ? », Petites affiches des Alpes-Maritimes du 17 avril 2014, qui rappelle à propos que la circulaire CIV/16/10 du 31 janvier 2011 du Directeur des affaires civiles et du Sceau qu’elle indiquait que si, normalement, « en cas de pluralité d’intimés, le non-respect à l’égard de l’un d’entre eux des prescriptions de l’article 902 ne pourra être invoqué par les autres intimés en application de l’article 324 (N° Lexbase : L8423IRE) du Code de procédure civile en sorte que la caducité de la déclaration d’appel n’aura pas d’effet sur les intimés constitués », il en « ira autrement […] en cas d’indivisibilité à l’égard de plusieurs intimés […] ».

[13] Cass. civ. 1, 20 mars 2000, n° 05-11.296, FS-P+B (N° Lexbase : A7377DUR) V. aussi Ph. & N. Gerbay et collab. Cl. Gerbay, Guide du procès civil en appel, LexisNexis, 2021/22, Fiche 38.

[14] F. Ferrand, précité, n° 656.

[15] Cass. civ. 2, 2 juillet 2020, n° 19-14.855, F-P+B+I (N° Lexbase : A56523QE).

[16] Cf. Cass. com., 22 mai 1978, 76-15.606, Bull. civ. IV, n° 140 (N° Lexbase : A5617CIU) V. déjà Cass. req., 27 novembre 1905, DP 1906. 1. 309.

[17] CA Pau, ch. 1, 3 février 2021, n° 18/03408 (N° Lexbase : A63844E8).

[18] Cass. civ. 3, 23 juin 1999, n° 97-22.607, Bull. civ. III, n° 146 (N° Lexbase : A7244CI7).

[19] Pour un ex. où la Cour européenne des droits de l’Homme retient que la disposition qui évite l’engorgement des juridictions forme une atteinte légitime au droit d’accès et ne porte pas atteinte à sa substance, v. CEDH, 20 janvier 2015, Req. 16563/11, Arribas Antón c/ Espagne, § 49 (N° Lexbase : A4813M97).

[20] Cass. civ. 2, 1er juin 2017, n° 16-14.300, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8538WEX), Dalloz actualité, 4 juillet 2017, R. Laffly : la Cour rappelle que demeure alors « possible la régularisation de la déclaration d’appel qui, même entachée d’un vice de procédure, avait interrompu le délai d’appel ».

[21] Cass. civ. 2, 16 octobre 2014, n° 13-22.088, F-P+B (N° Lexbase : A6522MY9), Dalloz actualité, 28 octobre 2014, N. Kilgus.

newsid:479178

Procédure civile

[Brèves] Article 700 du CPC : frais d’avocat versus équité

Réf. : Cass. civ. 3, 13 octobre 2021, n° 20-19.295, F-D (N° Lexbase : A3248498)

Lecture: 2 min

N9302BY8

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/74100077-edition-n-883-du-04112021#article-479302
Copier

par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 10 Novembre 2021

La troisième chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt rendu le 13 octobre 2021, valide le raisonnement d’une cour d’appel ayant condamné le défendeur à payer au demandeur une somme au titre de dommages-intérêts pour recours abusif et une autre au titre de l’article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1253IZG), fondant cette dernière sur l’équité.

Faits et procédure. Dans cette affaire, la propriétaire d’un immeuble soumis au statut de la copropriété a été assignée par le syndicat des copropriétaires en paiement d’un arriéré de charges, de dommages-intérêts pour procédure abusive, ainsi que d’une somme au titre de l’article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1253IZG).

Le pourvoi. La demanderesse fait grief à l’arrêt (CA Versailles, 22 janvier 2020, n° 17/06788 N° Lexbase : A2645ZQZ), de l’avoir condamnée à payer au syndicat la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts et la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile. L’intéressée énonce qu’un même préjudice ne peut être réparé deux fois.

En l’espèce, la cour d’appel a retenu que la copropriétaire avait conscience du caractère infondé de son recours, pour la condamner à payer au syndicat une somme au titre de dommages et intérêts. Les juges d’appel ont retenu que cette faute était l’origine d’un préjudice pour le syndicat, qui l’avait contraint d’engager des frais d’avocat pesant sur l’ensemble de la copropriété. Par ailleurs, pour allouer, au syndicat une somme au titre de l’article 700 du CPC, la cour d’appel s’est fondée sur l’équité sans indiquer que cette somme correspondait à des frais d’avocat.

Solution. Énonçant la solution précitée, la Cour de cassation rejette le pourvoi.

newsid:479302

Rémunération

[Brèves] Possibilité pour un salarié de recevoir plus de pourboires que ce que les clients ont donné

Réf. : Cass. soc., 13 octobre 2021, n° 19-24.739 (N° Lexbase : A339949R), n° 19-24.741 (N° Lexbase : A325949L), FS-B et n° 19-24.754, FS-D (N° Lexbase : A333349C)

Lecture: 3 min

N9321BYU

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/74100077-edition-n-883-du-04112021#article-479321
Copier

par Charlotte Moronval

Le 10 Novembre 2021

► Aux termes de l'article L. 3244-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0901H9A), dans tous les établissements commerciaux où existe la pratique du pourboire, toutes les perceptions faites « pour le service » par l'employeur sous forme de pourcentage obligatoirement ajouté aux notes des clients ou autrement, ainsi que toutes sommes remises volontairement par les clients pour le service entre les mains de l'employeur, ou centralisées par lui, sont intégralement versées au personnel en contact avec la clientèle et à qui celle-ci avait coutume de les remettre directement ; ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu’il soit décidé que les sommes reversées par l’employeur au titre d’une rémunération au pourboire avec un salaire minimum garanti soient calculées sur la base d’une masse à partager supérieure à celle facturée aux clients au titre du service.

En l’espèce. Dans ces affaires, des patrons de brasserie se plaignent d'avoir dû reverser des pourboires à leurs salariés supérieurs au pourcentage traditionnel prévus entre eux. En effet, ils soutenaient qu’en prenant comme base de calcul le chiffre d'affaires TTC service compris, ils se trouvaient obligés de reverser au personnel 17,25 % de leur chiffre d'affaires et non les 15 % traditionnels et prévus entre eux.

En suivant le calcul des salariés, il était reversé plus que les sommes payées par les clients alors que les salariés ne peuvent pas prétendre à la répartition d'une somme supérieure à ce qui a été payé par les clients au titre du service.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale rejette les pourvois formés.

→ Ayant d’abord relevé qu’un accord d’entreprise mentionnait que serait désormais appliqué le principe d’un pourcentage de 15 % sur le chiffre d’affaires hors taxes, la cour d’appel a exactement retenu que l’accord d’entreprise ne prévoyait pas que la rémunération était calculée sur le chiffre d’affaires hors service.

→ Ayant ensuite constaté que le contrat de travail de chaque salarié stipulait une rémunération mensuelle sous la forme d’une perception de points « sur la répartition du service calculé à 15 % sur le chiffre d’affaires hors taxes », la cour d’appel a retenu que ces écrits ne précisaient pas que le pourcentage devait s’appliquer sur le chiffre d’affaires hors taxes et hors service.

→ Ayant enfin retenu qu’entrait dans le chiffre d’affaires réalisé par la société le montant du service compris dans les sommes facturées aux clients, la cour d’appel, qui a déduit de l’ensemble de ces éléments que l’employeur ne pouvait pas calculer la rémunération en retirant le montant du service de son chiffre d’affaires, a légalement justifié sa décision.

Pour en savoir plus : v. ÉTUDE : Les différentes formes du salaire, Les principes applicables au versement des pourboires, in Droit du travail, Lexbase (N° Lexbase : E0832ETY).

newsid:479321

Responsabilité

[Brèves] Rente accident du travail : rappel de l’objet et précision sur son imputation

Réf. : Cass. civ. 2, 14 octobre 2021, n° 19-24.456, FS-B (N° Lexbase : A3328497)

Lecture: 3 min

N9313BYL

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/74100077-edition-n-883-du-04112021#article-479313
Copier

par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

Le 08 Novembre 2021

► La rente accident du travail ne répare qu’un préjudice permanent, elle n’indemnise que la perte de gains professionnels postérieurs à la date de consolidation, peu importe qu’elle ait commencé à être versée avant la date de consolidation.

Faits et procédure. À la suite d’une tentative de vol aggravé intervenue sur le lieu de travail, la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) fut saisie par la victime d’une demande d’indemnisation de ses préjudices. Le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions contesta les sommes allouées à la victime au titre de certains postes de préjudice, et notamment ceux des pertes de gains professionnels actuels et futurs. La cour d’appel rejeta la demande d’indemnisation de la victime au titre des pertes de gains professionnels actuels au motif qu’aucune perte de salaire n’est démontrée, car la victime a commencé à percevoir une rente accident du travail avant la date de consolidation des blessures fixée par le juge (CA Riom, 10 septembre 2019).

Solution. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa des articles 29 et 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 (N° Lexbase : L7887AG9), des articles L. 434-1 (N° Lexbase : L8918KUT) et L. 434-2 (N° Lexbase : L8917KUS) du Code de la sécurité sociale et du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation énonce qu’ « il résulte des deux premiers de ces textes (articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985) que le juge, après avoir (i) fixé l’étendue du préjudice résultant des atteintes à la personne et (ii) évalué celui-ci indépendamment des prestations indemnitaires qui sont versées à la victime, ouvrant droit à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation ou son assureur, doit (iii) procéder à l’imputation de ces prestations, poste par poste ». Ce faisant, la Cour de cassation rappelle la démarche devant être suivie par les juges du fond pour la réparation du préjudice résultant des atteintes aux personnes, mais l’arrêt ne se limite pas à ce rappel, loin s’en faut. Elle précise qu’il se déduit des articles L. 434-1 et L. 434-2 du Code de la sécurité sociale que « la rente versée à la victime d’un accident du travail indemnise, d’une part, les pertes de gains professionnels futurs et l’incidence professionnelle de l’incapacité et, d’autre part, le déficit fonctionnel permanent ». Ce faisant, « la rente accident du travail répare un préjudice permanent, quand bien même, son versement aurait commencé avant la date de consolidation retenue par le juge, ne pouvait être imputée sur ce poste de préjudice temporaire ». Des enseignements doivent être tirés de l’arrêt : la rente accident du travail ne s’impute pas sur la perte de gains professionnels actuels ; la date à laquelle la rente a commencé à être versée est indifférente, elle ne remet pas en cause ces principes d’imputation.

newsid:479313

Travail illégal

[Jurisprudence] Travail dissimulé : validation par les Sages du cumul des poursuites

Réf. : Cons. const, décision n° 2021-937 QPC du 7 octobre 2021 (N° Lexbase : A5632484)

Lecture: 16 min

N9339BYK

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/74100077-edition-n-883-du-04112021#article-479339
Copier

par Kristel Meiffret-Delsanto, MCF Université de Lorraine, IRT, IFG 7301- Axe droit social

Le 09 Novembre 2021

 


Mots clés : travail dissimulé • sanction ayant le caractère de punition • majoration de cotisations pour travail dissimulé • CSS, art. L. 243-7-7 (N° Lexbase : L6948LNN) • cumul des poursuites • cumul des sanctions • garanties constitutionnelles • principe de nécessité des peines • répression pénale

En matière de travail dissimulé, le principe non bis in idem ne fait pas obstacle au cumul des poursuites ! La caractérisation d’une situation de travail dissimulé peut donc valablement exposer un cotisant à une pluralités de poursuites (pénale et administrative) dès lors que les sanctions encourues devant la juridiction pénale et les sanctions à caractère de punition prononcées par l’URSSAF (ici les majorations de 25 % ou 40 % des cotisations) sont de natures différentes en application de corps de règles distincts. Tel est l’enseignement majeur de la décision discutée. Il convient néanmoins de distinguer cumul des poursuites et cumul des sanctions à caractère de punition. Si ces poursuites conduisent à un cumul de sanctions de même nature, le principe de proportionnalité implique, en tout état de cause, que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues.


 

Le droit fiscal alimente un contentieux foisonnant relatif à la conformité du cumul des sanctions pénales et fiscales aux règles constitutionnelles [1] et plus précisément aux principes de nécessité [2] et de proportionnalité des peines, découlant de l’article 8 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1372A9P). Ce contentieux s’exporte en droit social, tout particulièrement en matière de travail dissimulé où l’employeur verbalisé à ce titre est susceptible de subir, au moins en théorie, un cataclysme de sanctions. Ce dernier pourra concurremment faire l’objet de poursuites pénales [3] mais également se voir notifier des sanctions par des administrations ou des organismes de Sécurité sociale dans le cadre de leurs prérogatives de puissance publique. Sans exhaustivité [4], il pourra subir les majorations de 25 % ou 40 % des cotisations prévues par le Code de la Sécurité sociale [5], éventuellement supporter un paiement rétroactif des cotisations pour la période antérieure à la requalification du contrat d’entreprise en contrat de travail [6]. Par ailleurs, le préfet pourra prendre à son encontre une décision de fermeture de l’entreprise [7] et/ou d’exclusion des contrats publics [8]. De plus, les gestionnaires d’aides publiques (dont l’URSSAF) pourront également refuser les aides publiques pour l’avenir (5 ans) ou décider de leur refus de manière rétroactive en recherchant le remboursement des aides dont ils ont bénéficié au cours des 12 mois précédents l’établissement du procès-verbal [9].

A maints égards, le déploiement de cet « arsenal répressif non pénal » [10] parait favorable (sévérité, rapidité, caractère pécuniaire de la sanction, répression sans juge) à la lutte contre le « fléau » du travail dissimulé et plus largement la fraude sociale [11], qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle [12]. Cependant, l’essor des sanctions administratives en matière de lutte contre la fraude n’est pas sans garde-fou.  Dès lors qu’elles présentent le caractère d’une punition, et seulement dans cette hypothèse, les sanctions prononcées sans juge demeurent soumises, au même titre que les sanctions pénales stricto sensu aux principes constitutionnels du droit répressif dont notamment le principe de nécessité des peines posé à l’article 8 de la Déclaration de 1789 [13]. De ce principe qui prévoit que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires », découlent les principes non bis in idem et de proportionnalité des peines. A l’instar des contribuables en droit fiscal, les cotisants tentent désormais d’invoquer l’absence de conformité des mesures dont ils font l’objet à ces principes constitutionnels, escomptant échapper aux poursuites et/ou sanctions sévères susceptibles d’être prononcées à leur encontre notamment par les organismes de Sécurité sociale [14]. C’est dans ce contexte que s’inscrit la décision commentée.

Au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cette solution, classique, favorable au cumul des poursuites aux fins de sanctions différentes, ne surprend guère. Elle mérite toutefois d’être soulignée dans la mesure où les Sages avalisent expressément, pour la première fois, le cumul des poursuites pénales et « sociales » en matière de travail dissimulé (II.) après avoir rappelé, en creux, que l’application du principe de nécessité des peines est circonscrite au périmètre des sanctions à caractère de punition [15], dont les majorations pour travail dissimulé (I.).

I. La majoration pour travail dissimulé, une sanction à caractère de punition

L'affaire. En l’espèce, la société Deliveroo a fait l’objet d’un procès-verbal de travail dissimulé.  L’URSSAF lui notifie un redressement de cotisations de 6 millions d’euros, assorti d’une majoration de cotisations en application de l’article L. 243-7-7 du Code de la Sécurité sociale. En cas de travail dissimulé, cet article prévoit une majoration du montant des cotisations de 25 %, portée à 40 % lorsque le travail dissimulé concerne plusieurs personnes ou une personne en état de vulnérabilité. Au cours de cette procédure, l’URSSAF met en œuvre la procédure de flagrance sociale en application de l’article L. 133-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2606LWG). Lorsqu’un procès-verbal de travail dissimulé a été établi par l’URSSAF, cette procédure permet au directeur de procéder à des mesures conservatoires pour garantir le recouvrement des cotisations éludés et des majorations de cotisations afférentes. Dans le cas de la société Deliveroo, le montant concerné par ladite mesure conservatoire s’élèverait à 9 millions d’euros [16]. Parallèlement à cette procédure, la société est poursuivie devant une juridiction pénale du chef de travail dissimulé. A ce titre, elle encourt, en application des articles L. 8221-1 (N° Lexbase : L3589H9S) et L. 8224-5 (N° Lexbase : L0324LMX), applicable aux personnes morales [17], une peine d’amende de 250 000 euros, outre les peines complémentaires de confiscation du produit de l’infraction égal à l’économie réalisée par la fraude, de dissolution, d’interdiction d’exercice d’une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales, le placement sous surveillance judiciaire, la fermeture définitive ou pour une durée de 5 ans au plus des établissements concernés, l’exclusion des marchés publics à titre définitif ou pour une durée de 5 ans au plus, l’interdiction de percevoir des aides publiques pour une durée de 5 ans au plus. Au stade des poursuites, elle fait l’objet d’une saisie conservatoire des sommes à hauteur de plusieurs millions d’euros [18].

La QPC. La société formule une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité à l’article 8 de la Déclaration de 1789 de l’article L. 8224-5 du Code du travail et de la procédure de saisie conservatoire prévue à l’article L. 706-141 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7245IMB) dès lors que le même fait peut également être poursuivi et sanctionné par les organismes de Sécurité sociale sur le fondement de l’article L. 243-7 (N° Lexbase : L4623LW7) et faire l’objet d’une saisie conservatoire sur le fondement de l’article L. 133-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2606LWG). Pour la Chambre criminelle[19], cette question est sérieuse dans la mesure où les sanctions encourues répriment les mêmes faits, protègent les mêmes intérêts, et seraient susceptibles, eu égard à la sévérité des majorations de cotisations prévues par l’article L. 243-7-7 (N° Lexbase : L6948LNN), d’apparaitre de même nature. Elle renvoie donc la question au conseil constitutionnel [20].

La qualification de la majoration. Dans son premier considérant, le Conseil constitutionnel réduit le périmètre de la QPC, initialement formulée par Deliveroo, pour s’estimer saisi des seuls articles L. 8224-5 du Code du travail et L. 243-7-7 du Code de la Sécurité sociale dont l’application cumulative serait susceptible de conduire, selon la requérante, « à ce qu’un employeur soit poursuivi et sanctionné deux fois pour de mêmes faits de travail dissimulé en méconnaissance des principes de nécessité, de proportionnalité des délits et des peines du principe non bis in idem qui en découle ». Après avoir rappelé, la solution désormais acquise, que les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions mais s’étendent à toute sanction ayant le caractère de punition, le Conseil constitutionnel livre son premier éclairage. Il affirme, sans démonstration, que la majoration de cotisations prévue par l’article L. 243-7-7 du Code de la Sécurité sociale revêt le caractère d’une punition [21].

Un débat doctrinal clos pour la majoration de l’article L. 243-7-7. Cette première précision est la bienvenue. En effet, depuis longtemps, la question de l’appartenance des différentes majorations de cotisations au régime des sanctions à caractère punitif a suscité des interrogations et divise la doctrine en droit de la Sécurité sociale. Ce dualisme perdure aujourd’hui, faute de positionnement explicite de la Cour de cassation [22] ou de définition précise de la notion de sanction à caractère de punition par le Conseil constitutionnel. Il est acquis de longue date que les majorations de cotisations ne sont pas des dommages et intérêts [23]. Une partie de la doctrine, nie le caractère punitif des majorations. Elle s’appuie notamment sur un raisonnement par analogie à partir de quelques décisions rendues en matière fiscale à propos de majorations appliquées pour le paiement tardif des impôts [24]. Cette interprétation repose également sur la jurisprudence de la Cour de cassation qui considère les majorations de cotisations comme des ressources de Sécurité sociale au même titre que les cotisations [25]. En quelque sorte, l’application des majorations de retard obéirait davantage à une logique restitutrice. Comme des intérêts de retard, les majorations deviendraient l’accessoire de la créance. Elles augmenteraient le montant de cotisations pour compenser pécuniairement le retard de paiement et s’envisageraient indépendamment de toutes finalités punitives [26].

A l’inverse un autre courant discutait cette interprétation notamment parce que la cotisation et la majoration présentent une dualité de cause et poursuivent des finalités distinctes. Le deuxième courant doctrinal admet donc, en revanche, la finalité coercitive de ces mesures [27], notamment parce que les majorations de cotisations ne sont pas liées à « l’existence de la dette mais résultent de l’inexécution des obligations qui résultent de cette dette » [28]. Cette interprétation semble avoir reçu les faveurs du Conseil constitutionnel. Dans sa décision de 2018, le Conseil constitutionnel avait déjà admis qu’une majoration de cotisations puissent être considérée comme une sanction ayant le caractère de punition [29]. Cependant, l’exemple des solutions rendues à propos des majorations fiscales empêchait d’en tirer une conséquence générale pour l’ensemble des majorations de cotisations prévues par le Code de la Sécurité sociale. La décision discutée ne le permet pas davantage. Toutefois, elle présente le mérite de clore le débat, a minima s’agissant des majorations de cotisations de 25 % et 40 % prévues en cas de constatation d’une situation de travail dissimilé par l’article L. 243-7-7. Au regard de la sévérité de cette mesure pour les cotisants [30], la reconnaissance de la qualification de mesure punitive mérite un accueil favorable. Elle implique l’attractivité des principes de droit punitif reconnus par le droit constitutionnel et justifie, seule, le contrôle de la conformité de ces mesures au principes constitutionnels de nécessité et de proportionnalité des peines [31].  

II. La validité du cumul des poursuites en matière de travail dissimulé

La valeur relative de « non bis in idem ». Les principes de non-cumul des peines (non bis in idem) et de proportionnalité découlent tous deux du principe de nécessité des peines posée par l’article 8 de la Déclaration de 1789. En droit constitutionnel français, le principe non bis in idem n’a pas de véritable valeur constitutionnelle, laissant au législateur la possibilité d’y déroger [32]. Il ne s’impose qu’au cumul de peines pénales. Saisi à de nombreuses reprises sur la question du cumul des sanctions pénales et administratives en d’autres matières, le Conseil constitutionnel n’a que peu fléchi sa jurisprudence. Traditionnellement, il considérait que ce principe ne recevait pas d’application au cas de cumul entre des sanctions pénales et administratives [33]. Pour autant, comme le souligne un auteur, l’absence de valeur constitutionnelle ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas de limites juridiques au cumul des sanctions et des poursuites. Le principe de nécessité des délits et des peines, qui dispose d’une valeur constitutionnelle, permet cet encadrement devenu nécessaire face à l’essor des impératifs de répression [34]. Progressivement, les Sages ont fait évoluer leur jurisprudence en distinguant le cumul des poursuites du cumul des sanctions.

L’encadrement constitutionnel du cumul des poursuites. A propos du cumul des poursuites, le Conseil constitutionnel considère régulièrement, depuis 2016 que, selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 : « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts. Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues [35]. En d’autres termes, il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que seuls sont attentatoires au principe de nécessité des peines, les poursuites distinctes portant sur les mêmes faits, qualifiés de manière identique, susceptibles d’entrainer un cumul de sanctions de même nature, poursuivant la même finalité, c’est-à-dire protégeant les mêmes intérêts sociaux. Concrètement, le cumul des poursuites distinctes sera, au contraire, admis lorsque l’une des 3 conditions alternatives est satisfaite, à savoir :

  • soit les manquements donnant lieu à sanction ne sont pas qualifiés de la même manière ;
  • soit les répressions cumulatives protègent des intérêts sociaux différents ;
  • soit les faits sont réprimés par des sanctions de nature différente.

Dans cette dernière hypothèse, il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que l’appréciation de l’identité ou la différence de nature des sanctions intervient au terme d’une analyse globale des sanctions répressives encourues simultanément. Ainsi, par exemple, les répressions pénale et civile qui prévoient, toutes deux, la même sanction (par exemple, une interdiction de gérer) sont de natures différentes lorsque la répression pénale est assortie d’une peine d’emprisonnement [36]. De même, une sanction strictement financière est de nature différente d’une peine d’emprisonnement [37].

Le plafonnement constitutionnel du cumul des sanctions. A propos cette fois du cumul des sanctions, la jurisprudence du Conseil constitutionnel n’a guère évolué depuis 1997 [38]. Un cumul entre des sanctions pénales et administratives est possible sous la réserve que « le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encoures ».  Dans cette dernière hypothèse, le montant de la sanction la plus élevée fait office de plafond que le cumul des sanctions prononcées ne saurait franchir [39].

Une solution convenue. En l’espèce, le Conseil constitutionnel applique strictement ces principes jurisprudentiels qu’il transpose au cumul des poursuites et des sanctions en matière de travail dissimulé. La formulation du principe posé à l’occasion de la QPC en son considérant 6 se présente en tous mots identiques au principe habituellement rappelé depuis 2016 pour admettre ou rejeter la validité du cumul des poursuites. Il rappelle notamment que, selon l’article 8 de la DDHC, « le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts. Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ».

Sans s’embarrasser de l’examen des conditions liées à l’identité de faits (amplement acquise en l’espèce) ni de celui des finalités des sanctions, il se livre à l’appréciation de la nature des sanctions. A cet effet, le Conseil constitutionnel relève que l’article L. 243-7-7 du Code de la Sécurité sociale prévoit uniquement une majoration du montant du redressement des cotisations sociales. Il souligne, à l’inverse, que l’article L. 8224-5 du Code du travail organisant la répression pénale des personnes morales prévoit, outre une peine d’amende, une peine de dissolution et les autres peines précédemment listées. Ces constats lui permettent de considérer que ces sanctions sont de natures différentes.

Il valide ainsi la conformité du cumul des poursuites pénales et celles relatives au recouvrement de la majoration de cotisations due pour travail dissimulé, sous la réserve du respect du principe de proportionnalité des sanctions qui organise un plafonnement de l’ensemble des sanctions pécuniaires éventuellement prononcées. Il appartiendra donc au juge judiciaire ou à l’URSSAF, si sa décision est postérieure à la condamnation pénale de l’auteur du travail dissimulé, de prendre en considération les sanctions à caractère de punition déjà prononcées par les autres détenteurs du « droit de punir » [40] les faits de travail dissimulé.

Une solution satisfaisante. Gardant à l’esprit que le montant de la sanction la plus élevée fait office de plafond, des esprits chagrins pourraient minimiser l’intérêt de cette garantie constitutionnelle en invoquant un caractère « symbolique ». L’application de majorations de cotisations à hauteur de 25 ou 40 % pour travail dissimulé peut, en effet, relever le plafond à des sommes considérables, amplement plus élevées que le montant maximum de l’amende pénale encourue, y compris par les personnes morales (225 000 euros d’amende encourue). Il n’en demeure pas moins que cette décision mérite un accueil favorable. D’abord, eu égard à l’effet dissuasif qu’elle induit. En avalisant un cumul de poursuites susceptible d’aboutir au prononcé de sanctions sévères et effectives, cette solution se montre particulièrement utile en matière de lutte contre le travail dissimulé. Cet effet dissuasif devrait d'ailleurs s’étendre aux personnes physiques dans la mesure où les dispositions pénales les concernant autorisent une lecture comparable du corpus répressif. Enfin, en qualifiant les majorations prononcées par les organismes de sanctions punitives, elle ouvre aux cotisants subissant cette majoration le bénéfice des garanties accordées par le droit constitutionnel répressif dont notamment les principes de légalité des délits et des peines, de rétroactivité in pejus et in mitius. Eu égard à l’instabilité des textes en matière de Sécurité sociale, le bénéfice de ces nouvelles garanties ne semble pas anodin.

 

[1] V. not. et parmi d’autres, A-L. Cassard-Valembois et R. Vabre (dir.) et alii, QPC et droit fiscal. Les apports croisés du droit fiscal et de la QPC, Les cahiers du Conseil constitutionnel, Hors série, octobre 2020, titre VII [en ligne].

[2] Dont découle le principe non bis in idem.

[3] C. trav., art. L. 8224-1 (N° Lexbase : L3622H9Z) et s..

[4] Pour une liste des sanctions prononcées en matière de travail dissimulé, v. ETUDE : Le travail illégal ou travail dissimulé, les sanctions en cas de travail dissimulé, in Droit du travail, Lexbase (N° Lexbase : E7319ESU).

[5] CSS, art. L. 243-7-7 (N° Lexbase : L6948LNN).

[6] C. trav, art. L. 8221-6 (N° Lexbase : L8160KGC) ; V. not. Cass. civ. 2, 28 novembre 2019, n° 18-15.333, F-P+B+I (N° Lexbase : A3474Z4G), Lexbase Social, janvier 2020, n° 809 (N° Lexbase : N1858BYH).

[7] C. trav., art. L. 8272-2 (N° Lexbase : L0322LMU).

[8] C. trav., art. L. 8272-4 (N° Lexbase : L7804I3G).

[9] C. trav., art. L. 8272-1 (N° Lexbase : L5119IQN).

[10] X. Prétot, Le droit répressif non pénal, Droit social, 2000, p. 964-974.

[11] V. not. K. Meiffret, La fraude en droit de la protection sociale, préf. D. Asquinazi-Bailleux et A. Bugada, PUAM, coll. CDS, 2018, spéc. p. 257 et s..

[12] V. not. Cass. crim., 29 juin 2021, n° 21-80.887, F-D (N° Lexbase : A21344YP) ; Cass. civ. 2, 29 septembre 2016, n° 16-40.227, F-P+B (N° Lexbase : A7322R4X), F. Chopin, Chronique de protection sociale, JCP E, 2017, n° 1191.

[13] Depuis 1997, le Conseil constitutionnel rappelle régulièrement qu’« qu'en particulier doivent être respectés les principes de la nécessité et de la légalité des peines, ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle » (Cons. const., décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997 N° Lexbase : A8441ACM).

[14] Cass. civ. 2, 15 juin 2017, n° 16-18.532, F-P+B (N° Lexbase : A2258WIH) ; Cons. const., décision n° 2019-796 QPC du 5 juillet 2019 (N° Lexbase : A8973ZHS) ; Cass. civ. 2, 22 octobre 2020 n° 19-19.185, F-P+B+I (N° Lexbase : A88433Y8) ; Cons. const., 5 octobre 2018, décision n° 2018-736 QPC ([LXB=A8387X8]) ; Cass. QPC, 29 septembre 2016, n° 16-40.227, F-P+B (N° Lexbase : A7322R4X).

[15] Si les garanties constitutionnelles applicables à la matière répressive sont applicables à toutes les formes de répression, elles ne peuvent pas trouver à s’appliquer aux sanctions dépourvues de caractère punitif. En ce sens, M. Verpeaux, Le droit constitutionnel répressif, J.-Cl. Droit administratif, fasc. 1458, mars 2021, n° 94 et 105.

[16] Montant indiqué lors de l’audience devant le Conseil constitutionnel (vidéo disponible sur le site du Conseil constitutionnel).

[17] Dans sa rédaction applicable au litige.

[18] En application de l’article L. 706-141 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7245IMB).

[19] A titre documentaire, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait refusé de transmettre une QPC portant sur la conformité de l’article L. 243-7-7 du Code de la Sécurité sociale au principe de nécessité des délits et des peines, de proportionnalités des délits et des peines garanti par la Constitution et sur un éventuelle atteinte au principe non bis in idem (Cass. QPC, 29 septembre 2016, n° 16-40.227, F-P+B N° Lexbase : A7322R4X).

[20] Cass. crim., 29 juin 2021, n° 21-80.887, F-D (N° Lexbase : A21344YP).

[21] Décision commentée, point 8.

[22] V. Cass. civ. 2, 29 septembre 2016, préc..

[23] V. not. Cass. soc., 10 novembre 1981, n° 80-16.975 et n° 80-14.155, publié (N° Lexbase : A6635C8A).

[24] V. not. Cons. const., décision n° 2011-124 QPC du 29 avril 2011 (N° Lexbase : A2800HPE).

[25] V. not. Cass. civ. 2, 24 mai 2005, n° 03-30.634, F-D (N° Lexbase : A4219DI4). Dans cet arrêt, la Cour réfute l’appartenance des majorations de Sécurité sociale à la « matière pénale » en raison de l’identité de nature.

[26] Ibid.

[27] M. Borgetto et R. Lafore, Droit de la Sécurité sociale, Dalloz, Précis,19e éd., 2019, p. 950 ; X. Prétot, Le droit répressif non pénal, préc., p. 969.

[28] M. Delsol, J.-Cl. Protection sociale Traité, fasc. 645.

[29] Cons. const., 5 octobre 2018, décision n° 2018-736 QPC (N° Lexbase : A8387X87).

[30] Pour une démonstration plus substantielle relative à l’assimilation de la majoration prévue à l’article L. 243-7-7 du Code de la Sécurité sociale à une mesure répressive, v. K. Meiffret, La fraude en droit de la protection sociale, préc., p. 271-273.

[31] A l’inverse, les garanties du droit répressif constitutionnels ne s’appliquent pas aux sanctions et mesures non punitives (mesures conservatoires, préventives), ce qui explique l’absence de prise en compte des articles L. 133-1 du Code de la Sécurité sociale et L. 706-141 du Code de procédure pénale par le Conseil Constitutionnel dans l’appréciation de la conformité du cumul des poursuites dans l’affaire discutée.

[32] Cons. const., décision n° 82-143 DC du 30 juillet 1982 (N° Lexbase : A8045ACX).

[33] Cons. const., décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989 (N° Lexbase : A8202ACR).

[34] H.-M Crucis, Les sanctions administratives, J.-Cl. Droit administratif, LexisNexis, fasc. 108-40.

[35] V. not. Cons. const., décision n° 2016-550 QPC du 1er juillet 2016 (N° Lexbase : A9977RU3) ; Cons. const., décision n° 2016-621 QPC du 30 mars 2017 (N° Lexbase : A4588UPM).

[36] Cons. const., décision n° 2014-453/454 QPC et n° 2015-462 QPC du 18 mars 2015 (N° Lexbase : A7983NDZ) ; Cons. const., décision n° 2016-570 QPC du 29 septembre 2016 (N° Lexbase : A7361R4E).

[37] Cons. const., décision n° 2019-783 QPC du 17 mai 2019 (N° Lexbase : A4767ZB8).

[38] Cons. const., 30 décembre 1997, n° 97-395 DC (N° Lexbase : A8445ACR).

[39] V. not. le commentaire des services du Conseil constitutionnel de la décision QPC du 1er juillet 2016, n° 2016-550, préc., in fine.

[40] Expression empruntée à M. Delmas-Marty, Punir sans juger : de la répression administrative au droit administratif pénal, Economica, 1992.

newsid:479339

Urbanisme

[Textes] Nouvelles mesures pour la prise en compte du dérèglement climatique dans le droit de l’urbanisme – quels impacts prévisibles sur les valeurs immobilières ?

Réf. : Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

Lecture: 19 min

N9282BYG

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/74100077-edition-n-883-du-04112021#article-479282
Copier

par Marie-Laure Lambert, Maître de conférences HDR en droit public de l’environnement, IUAR-LIEU, Université Aix-Marseille

Le 03 Novembre 2021

 


Mots clés : changement climatique • droit de l’urbanisme • valeurs foncières

En pleine ouverture de la COP 26 à Glasgow vient se reposer de manière lancinante la problématique du réchauffement climatique et de ses impacts sur les conditions de vie des populations, que ce soit dans leur habitat ou sur leir lieu de résidence. Le présent article précise les dispositions récentes de la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021 sur la rénovation énergétique des bâtiments et sur les conséquences de l'élévation du niveau des mers sur l'urbanisme littoral.


 

Depuis la loi « SRU », et la loi « ALUR » [1], le droit de l’urbanisme a intégré progressivement une forte dimension environnementale. Mais ce n’est que plus récemment, c’est –à-dire assez tardivement au regard des enjeux [2], que des mesures en faveur de la lutte contre le dérèglement climatique ont été intégrées ou renforcées dans la planification urbaine, à l’occasion du vote des lois « LEC » [3] et « LCR » [4]. Rappelons que plusieurs institutions avaient considéré comme tardive et insuffisante l’action de l’État en la matière : le Haut conseil pour le climat [5], le tribunal administratif de Paris [6], et surtout le Conseil d'État qui a enjoint le Gouvernement de prendre des mesures supplémentaires avant mars 2022 pour respecter la trajectoire de réduction des émissions françaises avant 2030 [7].

Sensée traduire les travaux de la Convention citoyenne sur le climat, la dernière loi « climat et résilience » (ci après LCR) était très attendue, et a finalement fortement déçu les attentes des associations et des ONG [8], notamment parce qu’elle ne permettra pas de remplir les objectifs juridiques de baisse des émissions de gaz à effet de serre de la France, selon une étude commandée par le Gouvernement français [9]. Elle comporte néanmoins quelques avancées, dont nous aborderons ici deux mesures visant à atténuer le changement climatique et à s’y adapter [10]. En matière de lutte contre le changement climatique, une mesure vise à renforcer la rénovation énergétique des bâtiments existants pour limiter les consommations énergétiques et donc les émissions de carbone (I). En matière d’adaptation au changement climatique, la loi a intégré diverses dispositions dans le Code de l’urbanisme visant à gérer les conséquences sur l’urbanisme littoral du recul du trait de côte déjà observé et qui sera aggravé par les effets du changement climatique, notamment l’élévation du niveau marin (II).

Dans les deux cas, il conviendra de se questionner, sans prétendre à une analyse économique poussée, sur les implications possibles de ces mesures sur les comportements d’achat des biens immobiliers, l’évolution des valeurs foncières ou immobilières induites et finalement les inégalités environnementales. Le fil directeur de ces interrogations vise à rechercher si les mesures adoptées pourraient avoir pour effet, dans les prochaines décennies de réorienter le marché de l’immobilier vers des valeurs marchandes moins spéculatives et une valeur d’usage plus saine.

I. La rénovation énergétique des bâtiments mis en location, effets sur le climat ou sur la redistribution des logements ?

L’objectif d’abaisser les consommations énergétiques dans les bâtiments d’habitation et tertiaires s’est traduit par plusieurs dispositifs réglementaires.

D’une part, la démarche de sobriété énergétique qui consiste à baisser les températures de chauffage ou de climatisation dans les bâtiments, y compris publics, reste très mal appliquée car reposant en priorité sur une modification des comportements [11].

D’autre part, la recherche d’une meilleure performance énergétique des bâtiments, inspirée par des directives européennes [12], se décline en normes de construction pour les bâtiments neufs (RT 2012 et RE 2020), ainsi qu’en objectifs de rénovation des bâtiments anciens. Il s’agit dans ce cas de concevoir ou modifier structurellement le bâtiment en renforçant son isolation thermique, son fonctionnement bioclimatique [13], ses équipements intérieurs ou de production d’énergie renouvelable.

Les Directives européennes, reprises en droit français, imposent également une information de l’acquéreur ou du locataire du logement, à travers la transmission du diagnostic de performance énergétique et du classement des immeubles de A à G, selon leur consommation énergétique et leur niveau d’émissions de gaz à effet de serre (essentiellement le CO2 issu des systèmes de chauffage). En France, deux tiers des bâtiments datent d’avant 1975 et sont situés entre les classes D à G, très consommateurs d’énergie et émetteurs de GES.

La loi « Grenelle de l’Environnement » de 2010, puis les lois « Transition énergétique pour la croissance verte » (TECV) de 2015 [14] et « ELAN » de 2018 [15], ont progressivement fixé des objectifs et prévu des aides consacrées à la rénovation des bâtiments, mais qui se sont révélés insuffisants pour parvenir au rythme de rénovations attendu [16].

De même, ni l’obligation des « travaux embarqués », qui obligeait à améliorer l’efficacité énergétique du bâtiment à l’occasion de toute rénovation importante, ni l’affichage du diagnostic de performance énergétique à toutes les publicités pour la vente ou la location de bâtiment n’ont suffi, dans la situation actuelle de tension sur les logements, à obliger les propriétaires à rénover les logements existants.

C’est pourquoi la loi climat et résilience a introduit des dispositifs contraignants.

A. Les nouvelles sanctions visant les bailleurs de « passoires thermiques »

Le nouveau dispositif, issu de la loi « énergie climat » (LEC) de 2019 et repris par la loi « climat et résilience » de 2021 réside ainsi, non pas en une obligation de rénovation, mais en l’interdiction progressive de louer des logements qui ne correspondraient pas aux normes de « décence énergétique ».

La LEC de 2019 avait déjà instauré un critère de consommation énergétique dans la caractérisation des logements indécents, la consommation excessive d’énergie devient un critère du logement indécent [17] : à partir de 2023, les logements du parc locatif privé dépassant un seuil d’énergie consommée de 450 kWh/m²/an ne pourront plus être mis en location sans avoir été rénovés [18].

La loi « climat et résilience » [19] adosse les seuils d’indécence aux étiquettes de diagnostic de performance énergétique (DPE) [20]. Les critères de l’indécence seront échelonnés dans le temps, pour laisser les propriétaires prendre les dispositions nécessaires, mais les ONG considèrent que ces délais ne sont pas cohérents avec l’urgence climatique.

Le calendrier des logements qui ne seront plus considérés comme décents (et donc interdits à la location) est désormais le suivant [21] :

- les logements classés G à partir du 1er janvier 2025 ;

- les logements classés F à partir du 1er janvier 2028 (pour les copropriétés en difficulté, cette obligation est reportée à 2033 [22], mais la loi « climat et résilience » prévoit l’obligation d’inscrire à l’ordre du jour de l’assemblée générale des copropriétaires d’un projet de plan pluriannuel de rénovation) [23] ;

- les logements classés E à partir du 1er janvier 2034.

Le texte vise donc à provoquer la rénovation des 3,6 millions de logements indécents du parc locatif privé d’ici 2034.

De même, le texte impose désormais une rénovation énergétique « performante » [24] c’est-à-dire permettant d’atteindre un niveau de performance énergétique A ou B et tenant compte de six postes de travaux (isolation des murs, isolation des planchers bas, isolation de la toiture, remplacement des menuiseries extérieures, ventilation, production de chauffage et d’eau chaude sanitaire), avec cependant de multiples exceptions. Ainsi, sous certaines contraintes, un gain de deux classes énergétiques et le traitement des six postes de travaux peut suffire à considérer une rénovation comme performante. Pour les « passoires énergétiques » (classes F et G), une rénovation atteignant la classe C avec prise en compte des six postes de travaux sera considérée comme performante.

Pour terminer, il faut rappeler que la LEC avait prévu qu’avant 2028, les propriétaires devront réaliser des travaux afin que la consommation énergétique relève de la classe E maximum sous peine de sanctions [25]. Ces dernières seront éventuellement définies par le Parlement en 2023, dans le cadre de la programmation quinquennale de l’énergie. Elles devront tenir compte de la diversité des situations en visant prioritairement les propriétaires-bailleurs [26].

B. Des effets favorables sur le marché du logement ?

Il faut noter que toutes ces dispositions ne s’imposent pour l’heure qu’aux propriétaires bailleurs et ne sont pas étendues aux propriétaires occupants. En revanche, ces derniers seront informés de la performance énergétique des immeubles ou parties d’immeubles qu’ils achèteront pour se loger.

Il est pour le moment difficile de prédire quel sera donc l’effet de ces mesures sur le marché de l’accession à la propriété. Certains envisagent « une flambée généralisée des prix de l’immobilier, sachant que plus d’un ménage sur deux n’a pas aujourd’hui les moyens d’accéder à la propriété » [27].

On peut se demander si au contraire, l’obligation de rénovation énergétique pour les bailleurs de biens considérés à terme comme « indécents », n’incitera pas ces loueurs (qui sont parfois ce que l’on qualifie de « marchands de sommeil ») à se débarrasser de leurs biens immobiliers désormais peu rentables. L’arrivée de ces biens « atypiques » sur le marché de la vente, à des prix que l’on peut espérer plus bas, permettra peut-être à des ménages modestes d’accéder à moindre coût à la propriété, sachant qu’ils seront en outre les bénéficiaires désignés des aides promises pour les rénovations énergétiques ambitieuses. La LCR prévoit en effet que les travaux de rénovation feront l’objet de mesures d’accompagnement par le service public de la performance énergétique de l'habitat [28] et par des aides financières ciblant notamment les ménages les plus modestes [29].

Le risque demeure cependant que des ménages modestes achètent ces logements indécents sans tenter de les rénover, puisque n’y étant pas obligés en tant que propriétaires-occupants, et continuent finalement à vivre dans des logements indécents.

Une telle conséquence serait regrettable puisque l’étude d’impact de la loi considère que les mesures de rénovation énergétique présentent des co-bénéfices importants. D’une part, les économies d’énergie et la réduction des émissions de CO2 dépassent les coûts de rénovation. D’autre part, les impacts positifs sur la santé publique peuvent être « significatifs (notamment 10000 décès évités), car les logements ciblés sont ceux où existent des risques sanitaires associés aux températures intérieures froides » [30].

On peut ainsi supposer qu’une « relance » plus vertueuse et mieux partagée pourrait passer, non plus par le marché de la construction neuve, mais par une démarche plus poussée d’économie circulaire. Une telle dynamique viserait à soutenir ou valoriser des entreprises, souvent artisanales, de rénovation énergétique, à la condition qu’elles soient correctement certifiées et contrôlées. Il serait également possible de convertir en logements une bonne partie des immeubles d’entreprises et de bureaux, qui sont, depuis bien avant l’épisode de COVID et la massification du télétravail, vacants et sous occupés [31].

II. Vers une réorientation de l’urbanisme littoral ?

Dans le domaine de l’adaptation de l’urbanisme côtier aux effets du changement climatique [32], la LCR a également modifié le régime juridique de la gestion des risques littoraux, en développant des dispositifs applicables à l’érosion côtière et au recul du trait de côte [33].

A. L’amélioration de la connaissance des risques d’érosion littorale

En premier lieu, la connaissance du risque d’érosion côtière et l’information sur ce risque sont améliorées par plusieurs dispositions.

Une liste de communes dont le territoire est exposé au recul du trait de côte sera déterminée par décret après consultation des conseils municipaux concernés et actualisée tous les neuf ans (C. urb., art. L. 321-15 N° Lexbase : L6977I7K) [34].

Les communes inscrites dans cette liste, notamment si elles ne sont pas soumises à un PPR incluant l’érosion, devront, dans les 4 ans, élaborer une « carte locale d'exposition de leur territoire au recul du trait de côte » (financée par l’État à 80 %), éventuellement à l’échelle intercommunale. Cette carte devra faire apparaître deux zonages : une zone de risque à 30 ans et une zone de risque à 100 ans [35].

En outre, la LCR a renforcé le dispositif d’information des acquéreurs et locataires (IAL) (cf infra, C).

B. La gestion de l’urbanisme dans les zones de risque d’érosion

La cartographie précitée aura une portée juridique puisqu’elle devra être reprise dans le zonage du PLU, et explicitée dans le rapport de présentation [36]. Des OAP pourront définir les actions et opérations « nécessaires pour réorganiser le territoire au regard de la disparition progressive des aménagements, des équipements, des constructions et des installations » [37] et être complétées par des emplacements réservés à la relocalisation [38]. La procédure de révision ou modification du PLU devra être engagée dans le délai d’un an après publication de la liste de communes. Si elle n’a pas abouti dans le délai de trois ans, des dispositions transitoires sont prévues (élaboration d’une carte de préfiguration et sursis à statuer sur les demandes d'autorisation concernant des travaux, des constructions ou des installations situés dans les zones préfigurées) [39].

En premier lieu, pour ce qui concerne les projets immobiliers, la loi introduit, en cohérence avec l’évolution inexorable du phénomène d’érosion côtière, un régime d’inconstructibilité progressif dans le temps et l’espace.

Dans les zones urbanisées vulnérables à l’horizon de trente ans, il sera interdit de construire, sauf exceptions (réfection et adaptation des constructions existantes, extensions démontables de constructions existantes, sous réserve de ne pas augmenter la capacité d'habitation des constructions) [40]. L’application de la loi « littoral » dans ces communes est renforcée puisque, lorsque la projection du recul du trait de côte à l'horizon de trente ans le justifie, le plan local d'urbanisme devra porter la largeur de la bande littorale inconstructible (en dehors des espaces déjà urbanisés) à plus de cent mètres [41].

Dans les zones vulnérables à un horizon compris entre trente et cent ans, la constructibilité reste possible, sous condition d’une démolition des constructions et d’une remise en état du terrain, « lorsque le recul du trait de côte est tel que la sécurité des personnes ne pourra plus être assurée au-delà d'une durée de trois ans » [42]. Il s’agira donc de permis de construire temporaires.

Cette obligation de démolition sous la responsabilité et aux frais des propriétaires, qui concernera uniquement les biens construits sous ce nouveau régime, sera garantie par une consignation de somme correspondant au coût prévisionnel de la démolition et de la remise en état, ainsi que par une servitude d’urbanisme et éventuellement des travaux réalisés d’office, dispositifs vérifiés ou effectués par le maire.

En second lieu, pour ce qui concerne la gestion des biens déjà existants sur le littoral, et soumis à l’érosion côtière, un dispositif de préemption est prévu par la loi, à la disposition des communes ou des EPCI, qu’ils pourront exercer lors de la vente ou de la donation d’un logement situé en zone exposée [43].

Ce dispositif de préemption sera précisé par décret et ses implications financières font déjà l’objet de discussions.  En ce qui concerne l’implication des collectivités, même si les Établissements Publics Fonciers pourront contribuer aux politiques d’adaptation au recul du trait de côte [44], et même si une convention sera établie pour déterminer les moyens techniques et financiers mobilisés par l'État et les collectivités pour accompagner les actions de gestion du trait de côte (construction, adaptation ou  maintien en l'état d'ouvrages de défense contre la mer ou opérations d'aménagement liées au recul du trait de côte), il apparait que la responsabilité du dispositif portera sur les communes et  intercommunalités. Le GIP Littoral de Nouvelle-Aquitaine regrette ainsi le fait que « ces outils ne sont associés pour l’instant à aucun budget supplémentaire pérenne des collectivités ou de l’État, et devront donc être mobilisés à moyens constants ».

La mise en œuvre de toutes ces mesures devra être précisée et déclinée par des stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte, établies à l’échelle intercommunale en articulation avec les stratégies locales de gestion des risques d’inondation déjà existantes (SLGRI) [45] et les SCoT [46]. Ces stratégies viseront, dans un objectif de recomposition spatiale et d’adaptation au changement climatique, à articuler les moyens de défense contre la mer des zones densément peuplées, avec les objectifs de préservation de l’état naturel du littoral, de démolition des constructions dans les zones menacées, et de reconnaissance du rôle des écosystèmes côtiers [47].

C. Des impacts à attendre sur la valeur des biens littoraux ?

Parallèlement à l’évolution des documents d’urbanisme littoraux, la loi climat et résilience a renforcé le dispositif d’information des acquéreurs et locataires (IAL) [48].  Jusqu’alors réservé aux communes disposant d’un Plan de prévention des risques, il sera également généralisé à toutes les communes concernées par l’érosion côtière [49].

En outre, la transmission de l’information par le biais d’un état des risques aura lieu plus tôt dans le processus de transaction immobilière, dès l’annonce immobilière ou la visite des biens concernés par les futurs acquéreurs [50] ou les futurs locataires [51]. Un dispositif simplifié de fourniture en ligne de l’état des risques d’une parcelle est aujourd’hui opérationnel [52].

Comme l’analyse le GIP littoral aquitain, confronté directement à ces phénomènes d’érosion, ce point, « attendu et plébiscité par l’ensemble des acteurs publics liés à la gestion du littoral, a pour objectif de moyen et long terme de permettre une régulation du marché de l’immobilier littoral, en limitant la demande grâce à la diffusion d’une information sur l’érosion plus précise et systématique ». L’effet attendu d’une telle mesure est de modérer la demande des biens les plus vulnérables, situés en première ligne sur le bord de mer, dont on sait qu’ils seront soumis à l’érosion côtière à court, moyen ou long terme. L’objectif est donc clairement de faire baisser, par la limitation de la demande, le prix de ces biens afin de faciliter leur acquisition éventuelle par les communes, par le nouvel outil de préemption qui est également prévu par la loi [53].

Cet effet sur le marché reste cependant encore hypothétique puisque comme le remarque le GIP, « l’outil IAL, déjà en vigueur depuis une quinzaine d’années pour les autres risques naturels, n’a pas montré à ce jour d’effet majeur sur les prix de l’immobilier (en zone inondable par exemple), et que l’attractivité du littoral est très forte et ne cesse d’augmenter ».

En outre, en ce qui concerne la détermination de la valeur des biens qui seront préemptés, on constate que le dispositif ne remet pas en cause la différence de traitement entre les biens soumis aux submersions marines, lesquels peuvent être acquis par le biais du fonds « Barnier » [54], sans tenir compte de la dévaluation liée au risque, et les biens soumis à l’érosion côtière, qui pourront être préemptés. En effet, pour ces derniers, en cas de désaccord sur le prix fixé par l’administration, le juge de l’expropriation tranchera « en tenant compte de l’exposition du bien au recul du trait de côte » [55].

Une partie des difficultés de mise en place de politiques publiques sur le littoral, notamment en matière d’adaptation à l’érosion et aux submersions marines, réside en effet dans la valeur souvent très élevée des immeubles bâtis en front de mer, malgré leur exposition aux risques futurs. Sur certains littoraux, les prix dictés par un marché survalorisant l’investissement spéculatif, ou « l’investissement plaisir » à court terme, de haut de gamme, sont souvent disproportionnés au regard de la durée de vie prévisible de certains de ces biens très vulnérables. Inversement, sur les littoraux qui ont déjà été affectés par des épisodes extrêmes, certains propriétaires sont aujourd’hui « piégés » par la vulnérabilité de leur logement, et dans l’incapacité de le revendre à un prix leur permettant de se reloger ailleurs. La question de la valeur de rachat consentie par les collectivités pour les biens qui présentent des risques pour leurs occupants rejoint donc des questionnements sur l’équité de traitement entre les différents habitants du littoral, notamment dans la mesure où les biens littoraux sont souvent des résidences secondaires. Elle oblige également à questionner les modalités de la solidarité juridique et financière entre occupants d’un environnement littoral privilégié mais désormais menacé, et contributeurs des politiques publiques (assurés finançant le fonds « Barnier », contribuables payant la taxe GEMAPI ou les taxes locales) ne bénéficient pas des mêmes aménités environnementales, ni souvent des mêmes revenus financiers, et qui seront appelés à financer des politiques publiques d’adaptation au changement climatique de plus en plus coûteuses.

Or, la LCR renvoie à une ordonnance à venir, le soin de définir de nouvelles modalités d’évaluation des biens exposés au recul du trait de côte, afin de limiter les coûts publics d’acquisition des biens privés devant faire l’objet d’un repli [56].

Le sujet est donc loin d’être clos.


[1] Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains (N° Lexbase : L9087ARY) ; loi n° 2009-967 du 3 août 2009, de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement (N° Lexbase : L6063IEB) ; loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement (N° Lexbase : L7066IMN) ; loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (N° Lexbase : L8342IZY).

[2]  Rappelons que, au-delà des traités internationaux qui fixaient des objectifs climatiques dés 1992, repris par le droit européen dans les années 2000, la France avait inscrit dés 2005 un objectif de division par quatre de ses émissions de gaz à effet de serre, trajectoire qui n’a pas été respectée dans les faits.

[3] Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019, relative à l'énergie et au climat (N° Lexbase : L4969LT9) ; voir M.-L. Lambert, E. Doze, La mise en œuvre d’un « droit climatique » dans les territoires : le rôle des collectivités décentralisées, in Cournil C (dir), La fabrique d’un droit climatique au service de la trajectoire « 1.5 », éd. Pédone 2021.

[4] Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

[5] Rapport du Haut conseil pour le climat 2020, Redresser le cap, relancer la transition.

[6]  TA Paris, 3 février 2021 (N° Lexbase : A39684EP), et 14 octobre 2021, n° 1904967, 1904968, 1904972, 1904976/4-1 (N° Lexbase : A039549I).

[7] CE, 1er juillet 2021, n° 427301 (N° Lexbase : A944734N).

[9] Même dans un scénario très volontariste supposant que toutes ses dispositions (même « difficilement atteignables »), soient mises en œuvre, la loi « Climat et Résilience » ne permettrait de réduire que de 38 % les émissions en 2030, ce qui est encore éloigné de l’objectif de 40 % fixé par le Code de l’énergie à son article L. 100-4 (N° Lexbase : L6993L77), et encore davantage de l’objectif de 55 % fixé récemment au niveau européen. Voir le résumé du Boston Consulting Group, Evaluation d’impact des mesures prises depuis 2017 sur la réduction des gaz à effet de serre en France, à horizon 2030, janvier 2021, commandé par le ministère de l’Ecologie.

[10] La loi contient de nombreuses autres dispositions concernant le droit de la consommation (Informer, former et sensibiliser, encadrer et réguler la publicité, accélérer le développement de la vente en vrac et de la consigne du verre), l’adaptation de l’emploi à la transition écologique, la protection des écosystèmes et la biodiversité, le droit des transports et de la mobilité (promouvoir les alternatives à la voiture individuelle et la transition vers un parc de véhicules plus respectueux de l’environnement, améliorer le transport routier de marchandises et réduire ses émissions, limiter les émissions du transport aérien et favoriser l’intermodalité train/avion), le droit agricole (soutenir une alimentation saine et durable pour tous, développer l’agro-écologie).

[11] L’article R. 241-26 du Code de l’énergie (N° Lexbase : L1590KWS) prévoit une limite supérieure de température de chauffage à 19° C des lieux occupés. L’article R. 241-30 du même code (N° Lexbase : L1594KWX) prévoit la limitation la climatisation aux périodes où la température intérieure des locaux dépasse 26 ° C.

[12] Directives 2002/91/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2002, sur la performance énergétique des bâtiments (N° Lexbase : L9979A84), puis 2010/31/UE du 19 mai 2010 (N° Lexbase : L5894IMA).

[13] Optimiser par une orientation des fenêtres et baies vitrées les apports solaires en hiver, se protéger des canicules en été par de la ventilation naturelle, par exemple.

[14]  Loi n° 2015-992 du 17 août 2015, relative à la transition énergétique pour la croissance verte (N° Lexbase : L2619KG4).

[15] Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (N° Lexbase : L8700LM8).

[16] 400 000 rénovations par an annoncé par la loi « Grenelle 1 ».

[17] Au sens de l'article L. 173-1-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L6838L7E) . Est créé un nouvel L. 173-1-1 du Code de la construction et de l'habitation.

[18]  La LEC avait également prévu une phase « incitative » qui est, semble-t-il, peu appliquée pour le moment : à partir de 2021 : le propriétaire ne peut plus augmenter le loyer s’il n’a pas  rénové le logement. Est également expérimentée la mise sous séquestre de 5 % de la vente d’un logement F ou G, débloqué au profit de l’acheteur pour des travaux de rénovation énergétique. Et à partir de 2022, un audit énergétique en cas de vente ou location d’un logement F ou G contenant des propositions de travaux (CCH, art. L. 126-28-1 N° Lexbase : L6824L7U).

[19] Articles 148 et suivants de la loi « Climat et résilience ».

[20] Parallèlement, les étiquettes du DPE ont été refondues pour intégrer deux critères : énergie primaire et émission de CO2.

[21] Article 160 de la Loi « Climat et résilience ».

[22] article 3 ter de la LEC.

[23] Article 171 de la LEC, modifiant l’article 14-2 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis (N° Lexbase : L5536AG7).

[24] Nouvel alinéa 17° bis de l'article L. 111-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L7115L7N).

[25] Des exceptions sont néanmoins prévues pour les logements faisant partie du patrimoine historique ou rencontrant des contraintes techniques, ou pour les biens dont le coût des travaux serait totalement disproportionné par rapport à sa valeur.

[26] Article 1er bis A de la LEC.

[28] C. ener., art. L. 232-1 (N° Lexbase : L6586L73).

[29] Nouvelle rédaction du 5° du I de l'article L. 100-1 A du Code de l'énergie (N° Lexbase : L6558L7Z) issue de la LCR.

[31]  Les observateurs remarquent que « le marché de l’immobilier de bureaux s’est, depuis le début de la crise COVID, effondré » et parlent de « désertion partielle de l’immobilier tertiaire ». Voir Boursorama, Quel avenir pour l’immobilier de bureaux ?

[32]  Pour la stratégie nationale de gestion de ces enjeux, voir Stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte Programme d’actions 2017-2019. Pour des articles de présentation des enjeux en France sur la montée des eaux, voir le site de France Info.

[33] Chapitre V de la loi : Adapter les territoires aux effets du dérèglement climatique (Articles 236 à 251).

[34] Nouveaux articles du Code de l’environnement :  Exposition au recul du trait de côte et adaptation des documents d'urbanisme (articles L. 121-22-1 N° Lexbase : L7081L7E à L121-22-12).

[35] Nouvel article L. 121-22-1 du Code de l’urbanisme.

[36] Nouvel article L. 121-22-2 (N° Lexbase : L7083L7H) du Code de l’urbanisme.

[37] Nouvel article L. 151-7 III (N° Lexbase : L6903L7S) du Code de l’urbanisme.

[38] Nouvel article L. 151-41 6° (N° Lexbase : L6906L7W) du Code de l’urbanisme .

[39] Nouvel article L. 121-22-3 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L7080L7D). Ces cartographies auront vocation, progressivement à se substituer aux dispositions concernant l’érosion côtière des PPR existants (C. env., art. L. 562-4-1 N° Lexbase : L6535L78).

[40] Nouvel article L. 121-22-4 I (N° Lexbase : L7084L7I) du Code de l’urbanisme.

[41] Nouvelle rédaction de l’article L. 121-19 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L6774L7Z). Même disposition pour l’élargissement de la bande des 50 pas géométriques en outre-mer ou, à défaut de délimitation, à plus de 81,20 mètres à compter de la limite haute du rivage (nouvel alinéa de l'article L. 121-45 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L6776L74).

[42] Nouvel article L. 121-22-5 du Code de l’urbanisme  (N° Lexbase : L7082L7G).

[43] Nouveau chapitre « Droit de préemption pour l'adaptation des territoires au recul du trait de côte », articles L 219-1 (N° Lexbase : L6797L7U) et suiv. du Code de l’urbanisme.

[44] Article 245 de la loi. Ils pourront effectuer des portages fonciers pour le compte des collectivités locales.

[45] C. env., art. L. 321-16 (N° Lexbase : L6504L7Z). Ainsi qu’en lien avec de nouvelles dispositions qui seront prévues dans les schémas d’aménagement régional d’outre-mer « identifiant des secteurs visant à accueillir des installations et des constructions pour des projets de relocalisation » (CGCT, art. L. 4433-7-2 N° Lexbase : L6716L7U).

[46] Nouvel alinéa  3° de l'article L. 141-13 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L6897L7L). Le DOO du SCoT « peut identifier des secteurs propices à l'accueil d'ouvrages de défense contre la mer pour protéger des secteurs habités denses ou des équipements d'intérêt général ou publics. Il peut également identifier des secteurs visant à accueillir des installations et des constructions pour des projets de relocalisation. Les secteurs de relocalisation se situent au delà de la bande littorale et des zones délimitées en application de l'article L. 121-22-2 et en dehors des espaces remarquables du littoral ».

[47] C. env., art. L. 321-17 (N° Lexbase : L6503L7Y).

[48] C. env., art. L. 125-5 (N° Lexbase : L1248KZA).

[49] Article 236 de la loi.

[50] Nouvel alinéa Ibis de l’article L. 125-5 du Code de l'environnement.

[51] Nouvelle rédaction de l’article L. 125-5-II du Code de l'environnement.

[52] L’information grâce à l’adresse du bien est fournie sur le site errial.georisques.gouv.fr. Il est complété par un indicateur d’érosion côtière, accessible sur le site Géolittoral du ministère de la Transition écologique (C. env., art. L. 321-13 N° Lexbase : L7682K9E), qui permet de visualiser le risque, sous forme de cartes téléchargeables, dans l’attente de la mise en place d’une cartographie de l’exposition au recul côtier.

[53]  Nouvel article L. 215-4-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7284ICR).

[54]  Voir M.-L.Lambert, L. Stahl, A. Bernard-Bouissières, Risques littoraux : à la recherche d’une « juste » indemnisation par le fonds Barnier - Réflexions à propos de la décision QPC n° 2018-698 QPC du 6 avril 2018, Syndicat secondaire Le Signal, Revue Juridique de l’Environnement, 1-2019, p 89-107, 2019.

[55]  Article 244 de la loi, nouvel article L. 219-7 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L7099L73).

[56]  Article 248 de la loi : « le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d'ordonnance, au plus tard neuf mois après la promulgation de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi permettant (…) de définir ou d'adapter les outils d'aménagement foncier et de maîtrise foncière nécessaires à l'adaptation des territoires exposés au recul du trait de côte, notamment en ajustant les missions des gestionnaires de foncier public et en définissant les modalités d'évaluation des biens exposés au recul du trait de côte, tout en prenant en compte l'état des ouvrages de protection et les stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte, ainsi que, le cas échéant, les modalités de calcul des indemnités d'expropriation et les mesures d'accompagnement ».

newsid:479282

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.