Jurisprudence : Décision n°89-260 DC du 28-07-1989

Décision n°89-260 DC du 28-07-1989

A8202ACR

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CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Décision n°89-260 DC du 28-07-1989


Publié au Journal officiel du 1er août 1989
Rec. p. 71

Loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier


Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 juillet 1989, par MM Etienne Dailly, Charles Jolibois, Raymond Bourgine, Guy Besse, Jacques Bimbenet, Ernest Cartigny, Henri Collard, Jean François-Poncet, Paul Girod, Pierre Laffitte, Max Lejeune, Jacques Moutet, Marcel Lucotte, Jacques Thyraud, Pierre Louvot, Richard Pouille, Maurice Arreckx, Jean Dumont, Louis Lazuech, Serge Mathieu, Michel Miroudot, Philippe de Bourgoing, Roger Chinaud, Henri de Raincourt, Michel d'Aillières, Bernard Barbier, Marc Castex, Pierre Croze, Jean-François Pintat, Roland du Luart, Hubert Martin, Jean Delaneau, Roland Ruet, Michel Crucis, Louis de la Forest, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Guy de La Verpillière, Louis Boyer, Albert Voilquin, Jean-Paul Bataille, Jacques Larché, Michel Alloncle, Jean Amelin, Jean Barras, Henri Belcour, Yvon Bourges, Raymond Brun, Robert Calmejane, Pierre Carous, Auguste Cazalet, Jean Chamant, Maurice Couve de Murville, Charles de Cuttoli, Désiré Debavelaere, Jacques Delong, Charles Descours, Alain Dufaut, Marcel Fortier, Philippe François, Philippe de Gaulle, Charles Ginesy, Adrien Gouteyron, Georges Gruillot, Hubert Haenel, Emmanuel Hamel, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Roger Husson, André Jarrot, Lucien Lanier, Gérard Larcher, Marc Lauriol, Paul Malassagne, Paul Moreau, Arthur Moulin, Jean Natali, Lucien Neuwirth, Jacques Oudin, Soséfo Makapé Papilio, Charles Pasqua, Alain Pluchet, Henri Portier, Claude Prouvoyeur, Mme Nelly Rodi, MM Josselin de Rohan, Michel Rufin, Jean Simonin, Louis Souvet, Jean Arthuis, Alphonse Arzel, René Ballayer, Jean-Pierre Blanc, Roger Boileau, Raymond Bouvier, Pierre Brantus, Paul Caron, Louis de Catuelan, Jean Cauchon, Auguste Chupin, Jean Cluzel, Francisque Collomb, Marcel Daunay, Jean Faure, André Fosset, Jean Francou, Jean Guenier, Rémi Herment, Daniel H ffel, Jean Huchon, Claude Huriet, Louis Jung, Bernard Laurent, Henri Le Breton, Jean Lecanuet, Yves Le Cozannet, Edouard Le Jeune, Jacques Machet, Jean Madelain, Kléber Malecot, François Mathieu, Michel Souplet, Xavier de Villepin, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier ;

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Vu l'ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967 instituant une commission des opérations de bourse et relative à l'information des porteurs de valeurs mobilières et à la publicité de certaines opérations de bourse, modifiée et complétée par la loi n° 70-1283 du 31 décembre 1970, la loi n° 83-1 du 3 janvier 1983, l'article 117 de la loi n° 84-1208 du 29 décembre 1984, la loi n° 85-695 du 11 juillet 1985, la loi n° 85-1321 du 14 décembre 1985, la loi n° 88-70 du 22 janvier 1988 sur les bourses de valeurs et la loi n° 88-1201 du 23 décembre 1988 relative aux organismes de placement collectif en valeurs mobilières et portant création des fonds communs de créances ;

Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que ne sont pas conformes à la Constitution les articles 5, 15, 36 et 43 de la loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ;

Sur l'article 5 relatif aux pouvoirs de sanction de la Commission des opérations de bourse :
Considérant que l'article 5 comporte trois paragraphes distincts ;
que sont seuls critiqués par les auteurs de la saisine les paragraphes II et III ;

Considérant que le paragraphe II ajoute à l'ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967 susvisée un article 9-1 ainsi conçu :
" La Commission des opérations de bourse peut ordonner qu'il soit mis fin aux pratiques contraires à ses règlements, lorsque ces pratiques ont pour effet de :
" :
fausser le fonctionnement du marché ;

" :
procurer aux intéressés un avantage injustifié qu'ils n'auraient pas obtenu dans le cadre normal du marché ;

" :
porter atteinte à l'égalité d'information et de traitement des investisseurs ou à leurs intérêts ;

" :
faire bénéficier les émetteurs et les investisseurs des agissements d'intermédiaires contraires à leurs obligations professionnelles. " ;

Considérant que le paragraphe III ajoute à l'ordonnance du 28 septembre 1967 susvisée un article 9-2 ainsi rédigé :
" A l'encontre des auteurs des pratiques visées à l'article précédent, la Commission des opérations de bourse peut, après une procédure contradictoire, prononcer les sanctions suivantes :
" 1° Une sanction pécuniaire qui ne peut excéder dix millions de francs ;

" 2° Ou, lorsque des profits ont été réalisés, une sanction pécuniaire qui ne peut excéder le décuple de leur montant. Le montant de la sanction pécuniaire doit être fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits tirés de ces manquements. Les intéressés peuvent se faire représenter ou assister. La Commission des opérations de bourse peut également ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu'elle désigne. En cas de sanction pécuniaire, les frais sont supportés par les intéressés. Les décisions de la Commission des opérations de bourse sont motivées. En cas de sanction pécuniaire, les sommes sont versées au Trésor public " ;

Considérant qu'il est soutenu par les auteurs de la saisine que ces dispositions portent atteinte au principe de la séparation des pouvoirs ;
que, selon eux, l'indépendance de la Commission des opérations de bourse n'est assurée, ni par le statut de ses membres, ni par les moyens financiers dont elle dispose ;
qu'enfin, il y a méconnaissance du principe selon lequel une même personne ne peut être punie deux fois pour le même fait ;

Considérant que le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dès lors, d'une part, que la sanction susceptible d'être infligée est exclusive de toute privation de liberté et, d'autre part, que l'exercice du pouvoir de sanction est assorti par la loi de mesures destinées à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garantis ;

Considérant à cet égard, que les auteurs de la saisine font valoir que la Commission des opérations de bourse ne peut être dotée d'un pouvoir de sanction car elle constitue un collège dépourvu de toute indépendance ;
qu'en effet, la loi n'a pas fixé les incompatibilités applicables à ses membres autres que le président ;
qu'en outre, la désignation de ceux des membres de la Commission qui n'appartiennent pas au Conseil d'Etat, à la Cour de cassation ou à la Cour des comptes, n'est pas entourée de garanties suffisantes ;

Considérant qu'en vertu de l'article 2 de l'ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967, dans sa rédaction résultant de l'article 1er de la loi déférée, la Commission des opérations de bourse est composée d'un président et de huit membres ;

Considérant que le président est nommé par décret en conseil des ministres pour une durée de six ans non renouvelable ;
que, par cette disposition, le législateur a entendu garantir l'indépendance et l'autorité du président ;
que celui-ci est, au surplus, soumis aux règles d'incompatibilités prévues pour les emplois publics ;

Considérant que les huit membres composant la commission sont respectivement un conseiller d'Etat désigné par le vice-président du conseil, un conseiller à la Cour de cassation désigné par le premier président de la cour, un conseiller-maître à la Cour des comptes désigné par le premier président de la cour, un membre du conseil des bourses de valeurs désigné par ce conseil, un membre du conseil du marché à terme désigné par ce conseil, un représentant de la Banque de France désigné par le gouverneur ainsi que deux personnalités choisies en raison de leur compétence et de leur expérience en matière d'appel public à l'épargne par les autres membres et le président ;
qu'il est précisé que le mandat est de quatre ans et est renouvelable une fois ;
que tant le mode de désignation des membres que la durée fixe de leur fonction sont à même de garantir l'indépendance de la commission dans l'exercice de ses missions ;
que l'absence d'un régime d'incompatibilité n'est pas de nature à altérer cette indépendance dès lors que la Commission des opérations de bourse est, à l'instar de tout organe administratif, soumise à une obligation d'impartialité pour l'examen des affaires qui relèvent de sa compétence et aux règles déontologiques qui en découlent ;

Considérant que les auteurs de la saisine estiment également que le pouvoir de sanction conféré à la Commission des opérations de bourse implique que les crédits nécessaires à l'accomplissement de ses nouvelles missions soient inscrits au budget de l'Etat dans le respect des dispositions de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble des dispositions de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959, rapprochées des dispositions du titre V de la Constitution, que les règles posées par son article 1er, alinéa 4, et par son article 2, alinéa 5, ont pour objet de faire obstacle à ce qu'une loi permette des dépenses nouvelles alors que ses incidences sur l'équilibre financier de l'année, ou sur celui d'exercices ultérieurs, n'auraient pas été appréciées et prises en compte, antérieurement, par des lois de finances ;

Considérant que la loi déférée ne méconnaît pas ces règles dès lors qu'elle ne permet pas qu'il soit fait face aux charges qu'elle implique sans qu'au préalable les crédits qui s'avéreraient nécessaires aient été prévus, évalués et autorisés par la loi de finances ;

Considérant, au demeurant, que l'article 117 de la loi n° 84-1208 du 29 décembre 1984 a prévu la possibilité pour la Commission des opérations de bourse de percevoir des " redevances " sur les personnes publiques ou privées " dans la mesure où ces personnes rendent nécessaire ou utile l'intervention de la commission ou dans la mesure où elles y trouvent leur intérêt " ;
que le produit des " redevances " que la loi a autorisées s'est substitué aux dotations budgétaires inscrites à la loi de finances ;
que ce mode de financement n'est pas incompatible avec l'indépendance de la commission ;

Considérant que les auteurs de la saisine font encore valoir que les sanctions pécuniaires infligées par la Commission des opérations de bourse sont susceptibles de se cumuler avec des sanctions pénales, ce qui méconnaît le principe selon lequel une même personne ne peut pas être punie deux fois pour le même fait ;

Considérant que, sans qu'il soit besoin de rechercher si le principe dont la violation est invoquée a valeur constitutionnelle, il convient de relever qu'il ne reçoit pas application au cas de cumul entre sanctions pénales et sanctions administratives ;

Considérant toutefois que l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose notamment que " la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires " ;

Considérant que le principe ainsi énoncé ne concerne pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle ;

Considérant qu'à l'encontre des auteurs des pratiques contraires aux règlements qu'elle établit et qui sont soumis à homologation, la Commission des opérations de bourse, pour autant que lesdites pratiques tombent sous le coup de l'incrimination prévue par l'article 9-2 de l'ordonnance du 28 septembre 1967, est habilitée à prononcer, soit une sanction pécuniaire qui ne peut excéder dix millions de francs, soit, lorsque des profits ont été réalisés, une sanction pécuniaire qui peut atteindre le décuple de leur montant ;
qu'il résulte du texte de l'article 9-2 ajouté à l'ordonnance par l'article 5-III de la loi déférée que sont susceptibles d'être sanctionnées les pratiques qui ont pour effet de " porter atteinte à l'égalité d'information et de traitement des investisseurs ou à leurs intérêts " ou de " faire bénéficier les émetteurs et leurs investisseurs des agissements d'intermédiaires contraires à leurs obligations professionnelles " ;

Considérant que ces incriminations sont susceptibles de recouvrir des agissements qui sont eux-mêmes constitutifs de délits boursiers ;
qu'au nombre de ces délits il y a lieu de mentionner le délit d'initié, prévu et réprimé par l'alinéa 1 de l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 tel qu'il est modifié par l'article 7 de la loi déférée, le délit de fausse information, prévu et réprimé par le dernier alinéa de l'article 10-1 précité tel qu'il est modifié par l'article 8-II de la loi déférée, ainsi que le délit de manipulation des cours, prévu et réprimé par l'article 10-3 ajouté à l'ordonnance du 28 septembre 1967 par l'article 17 de la loi n° 88-70 du 22 janvier 1988 ;
que chacun de ces délits est passible " d'un emprisonnement de deux mois à deux ans et d'une amende de 6 000 F à 10 millions de francs, dont le montant pourra être porté au-delà de ce chiffre, jusqu'au décuple du montant du profit éventuellement réalisé, sans que l'amende puisse être inférieure à ce même profit " ;

Considérant sans doute que l'article 9-2 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 prévoit que le montant de la sanction pécuniaire prononcée par la Commission des opérations de bourse " doit être fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits tirés de ces manquements " ;

Considérant que la possibilité n'en est pas moins reconnue à la Commission des opérations de bourse de prononcer une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu'au décuple du montant des profits réalisés par l'auteur de l'infraction et qui est susceptible de se cumuler avec des sanctions pénales prononcées à raison des mêmes faits et pouvant elles-mêmes atteindre un montant identique ;
que, si l'éventualité d'une double procédure peut ainsi conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique, qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ;
qu'il appartiendra donc aux autorités administratives et judiciaires compétentes de veiller au respect de cette exigence dans l'application des dispositions de l'ordonnance du 28 septembre 1967 modifiée ;

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