La lettre juridique n°489 du 14 juin 2012

La lettre juridique - Édition n°489

Éditorial

Indomptable angélisme...

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N2340BTT

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Trois semaines d'exercice du pouvoir et déjà le couperet tombe : la nouvelle Chancellerie est taxée d'"angélisme" à tout crin, par la majorité parlementaire sortante. La majorité présidentielle, elle, s'en défend vigoureusement ; mais, à dire vrai, en ces temps d'apaisement de la justice sur fond de crise sociale, le qualificatif est-il si dépréciatif ?

D'abord, et à tout prendre, si les nouvelles Garde des Sceaux et ministre déléguée à la Justice font preuve d'angélisme, c'est-à-dire qu'elles ignoreraient les contingences ou les réalités humaines matérielles, morales, sociologiques par manque de réalisme ou d'esprit pratique, présentant ou voyant les choses ou les gens sous un jour optimiste, la société Française n'a-t-elle pas, aujourd'hui, besoin de cet idéalisme, au moins pendant "cent jours" ? Et, par opposition, leurs détracteurs se réclament donc du cynisme. Or, il reste à savoir si les disciples d'Antisthène et de Diogène de Sinope sont, aujourd'hui, à la page ; si le matérialisme et l'anticonformisme qui ont fait, dit-on, les belles heures de la Grèce (antique), correspondent aux canons et aux nécessités de notre temps... A force de transgression et d'ironie, le cynique, s'accrochant à l'unique éthique naturelle, la vertu, en a, parfois, oublié que les règles sociales, et par là même les corps constitués, sont essentiels, et c'est sans doute pour cette raison qu'il sera victime d'ostracisme, du moins pendant cinq ans... "Hier était le monstre et demain sera l'ange ; le point du jour blanchit nos fronts" nous conte Victor Hugo dans La légende des siècles...

Ensuite, il reste à savoir si les récentes actions et déclarations des "Séraphins" de l'Hôtel de Bourvallais relèvent tant de l'angélisme que cela. Que le premier déplacement du ministre de la Justice soit pour la promotion de la réinsertion au sein du système pénitentiaire, quand on sait la surpopulation carcérale, le taux de suicide croissant des prisonniers, le mal-être des fonctionnaires de la Justice pénitentiaire et le développement nécessaire des peines alternatives à la prison et de l'aménagement des peines ; il n'y a rien d'angélique à marquer une rupture certaine entre les priorités juridiques de l'ancien Gouvernement et les priorités judiciaires du nouveau. Et, l'évasion d'un détenu à l'occasion de la rencontre sportive raillée, si elle marque les failles du système de surveillance, doit montrer, surtout, que les lumières du monde extérieur attirent toujours l'envie, plus que l'obscurité des cellules. Et, compte tenu de la dureté des temps, l'on peut, d'une certaine manière, s'en réjouir...

Quant à la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs : "un grand réconfort", pour Catherine Sultan, présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), "les peines et les mesures que peuvent prononcer les tribunaux correctionnels pour mineurs et les tribunaux pour enfants [étant] exactement les mêmes". On ajoutera que, selon le dernier sondage parisien, les avocats sont majoritairement contre l'aggravation de la responsabilité pénale des mineurs (56 %)... C'est l'"angélisme" de la majorité des professionnels de la Justice à l'égard de nos "chérubins" qui est donc à craindre.

Enfin, lorsque l'Archange-Premier ministre annonce la délivrance d'un "reçu" lors d'un contrôle d'identité, fait-il preuve d'"angélisme" ou de pragmatisme juridique ? Les commissariats ricanent, mais la Cour de cassation veille au grain : la Chambre criminelle ne vient-elle pas de rendre un avis, le 5 juin dernier, aux termes duquel le séjour irrégulier d'un étranger ne peut suffire à son placement en garde à vue dans le cadre d'une procédure d'expulsion ? Certes, c'est à la première chambre civile de se prononcer définitivement sur la question, mais pourra-t-elle faire la sourde oreille aux préconisations de sa consoeur, comme à celles de la Cour de justice de l'Union européenne qui, le 28 avril 2011, estimait que la Directive "retour" s'opposait à la réglementation d'un Etat membre qui prévoit l'infliction d'une peine d'emprisonnement à un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier pour le seul motif que celui-ci demeure, en violation d'un ordre de quitter le territoire de cet Etat dans un délai déterminé, sur ledit territoire, sans motif justifié. Ce sont les droits de l'Homme et les libertés fondamentales qui, à ce train là, font preuve d'"angélisme" : mais, d'ailleurs, qui s'en plaindrait ?

"Ni angélisme ni course aux chiffres" en matière de sécurité, "ni stigmatisation de communautés" : depuis le perron de la place Beauvau, le premier flic de France a été catégorique. Mais, attention : l'ombre de Voltaire plane toujours. "Qui veut détruire les passions, au lieu de les régler, veut faire l'ange" nous enseigne l'auteur des Lettres philosophiques. Il appartient donc au nouveau pouvoir, sous contrôle judiciaire avec mise à l'épreuve, de ne pas tomber dans la désinvolture et le laxisme, sous peine que les auxiliaires de justices, jugés hâtivement si "droit de l'hommistes", ne puissent, eux-même, le de la vindicte sociale.

Et, faisons confiance au pascalisme : "l'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête"... Au final, chacun s'y retrouvera.

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Bancaire

[Evénement] Les établissements de crédit et les risques de dévoiement de la procédure de sauvegarde - Compte-rendu de la réunion de la Commission de droit commercial et économique

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N2383BTG

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

Le 14 Juin 2012

La sous-commission "Banque et Crédit" de la Commission ouverte de droit commercial et économique du barreau de Paris tenait, le 31 mai 2012, sous la responsabilité de Maître Marie-Christine Fournier-Gille, avocat au barreau de Paris, une réunion ayant pour thème les établissements de crédit et les risques de dévoiement de la procédure de sauvegarde, animée par cette dernière ainsi que par Maître Julien Augais, avocat au barreau de Paris, Odile Mercier, responsable recouvrement entreprises chez BNP-Paribas et Maître Julie Lavoir, administrateur judiciaire. Présentes à cette occasion, les éditions juridiques Lexbase vous proposent de retrouver le compte-rendu de cette réunion. Comme l'a rappelé à titre liminaire, Marie-Christine Fournier-Gille, le coeur de la réforme du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845, de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT), modifiée en 2008 (ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficulté N° Lexbase : L2777ICT) est incontestablement la procédure de sauvegarde créée de toute pièce avec une volonté affichée au départ par le législateur de convaincre les dirigeants de réagir en amont lorsqu'ils rencontrent des difficultés au sein de leur entreprise afin qu'il ne soit pas trop tard et tenter d'éviter ainsi le plus possible la cessation des paiements.

Ce troisième cas de procédure de collective permet de laisser les rênes aux dirigeants et d'avoir plus de liberté que dans les procédures de redressement et de liquidation judiciaires, tout en protégeant l'entreprise par le mécanisme de la suspension des poursuites. Malheureusement, des écueils sont rapidement apparus et des abus se sont concrétisés avec des dirigeants qui voyaient par ce biais la possibilité de bénéficier de 6 à 18 mois de suspension sans avoir à payer quiconque. Il y a là un vrai problème ; il est donc important de savoir quelle est la marge de manoeuvre et quels sont les outils dont bénéficient les créanciers, et plus particulièrement les établissements de crédit, pour lutter contre ces dévoiements.

C'est autour de trois axes, abordés successivement, que les conférenciers ont apporté des réponses à ces questions :
- le dévoiement au stade de l'ouverture de la procédure de sauvegarde (1);
- le dévoiement pendant la période d'observation (2) ;
- l'avis de l'administrateur judiciaire (3).

1 - Les établissements de crédit face aux dévoiements de la procédure de sauvegarde au stade de l'ouverture

1.1 - L'identification des dévoiements

L'ouverture de la procédure de sauvegarde est régie par l'article L. 620-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3237ICU). En 2005, dans sa version d'origine, il était prévu que la procédure de sauvegarde devait être ouverte lorsque le débiteur rencontrait des difficultés qui devaient le conduire à la cessation des paiements. Il appartenait dès lors au débiteur de démontrer qu'il était au bord de la cessation des paiements tout en prouvant qu'il pouvait encore faire face au passif exigible avec l'actif disponible. En 2008, l'ordonnance de réforme a ouvert les conditions d'ouverture de la sauvegarde, sans doute en raison du peu de succès de cette procédure. L'article L. 620-1 prévoit ainsi désormais que le débiteur peut demander l'ouverture de la sauvegarde lorsqu'il rencontre des difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter. Il s'agit là d'une notion relativement vague qui recouvre notamment les difficultés économiques, sociales, commerciales, etc.. Ceci étant, le débiteur n'a donc plus à prouver une cessation des paiements imminente ; il doit toutefois démontrer qu'il n'est pas en cessation des paiements.

La première question tranchée a été celle du moment auquel il convient de se placer pour savoir si ces conditions sont remplies : c'est évidemment au moment où le juge statue. Lorsque le juge statue, il lui appartient donc en théorie de vérifier que le débiteur remplit bien toutes les conditions au moment de l'audience. Or, en pratique ce travail de contrôle n'est pas toujours effectué. Les tribunaux ont tendance à faire confiance au débiteur qui présente des situations comptables avec des certifications de son commissaire aux comptes. Dans bien des cas, pourtant, le débiteur est déjà en cessation des paiements et le tribunal ouvre une procédure de sauvegarde alors qu'il ne s'agit pas de la voir procédural appropriée.

Apparaît donc là un premier cas de dévoiement de la procédure de sauvegarde : les dirigeants en sollicitent l'ouverture alors qu'ils sont déjà en cessation des paiements afin de pouvoir conserver les rênes de l'entreprise, contrairement à ce qui est prévu en cas d'ouverture d'un redressement judiciaire. Lorsque l'entreprise est en cessation des paiements, cette procédure de sauvegarde apparaît donc particulièrement intéressante pour les dirigeants.

Faisant part de son expérience de praticienne, Maître Fournier-Gille a présenté un second cas de dévoiement de la procédure de sauvegarde : une société, virtuellement en cessation des paiements, va user en amont de tout ce que le Code de commerce lui offre pour retarder le paiement des ses créanciers. La société va ainsi passer par une procédure de conciliation, dans laquelle elle sollicite souvent des banquiers des wavers (documents par lesquels ils renoncent à l'exigibilité de leur créance jusqu'à la signature de l'accord), et demander, juste avant la signature du protocole, l'ouverture d'une procédure de sauvegarde. En plus des délais dont elle a déjà bénéficiés dans le cadre des discussions préalables à la procédure de sauvegarde, l'entreprise tire de la sorte profit des 6 à 18 mois de suspension des poursuites de la période d'observation.

Certaines entreprises vont contourner de façon encore plus flagrante l'esprit de la loi : non pas parce qu'elles sont en cessation des paiements virtuelle ou avérée mais uniquement parce qu'elles rencontrent des difficultés commerciales. C'est le cas, par exemple, du dirigeant qui demande l'ouverture d'une procédure dans l'unique dessein de contraindre son cocontractant à la renégociation d'une convention.

Pour Julien Augais, sur ce sujet du dévoiement de la sauvegarde au stade de l'ouverture, on s'aperçoit finalement que se présentent deux grandes tendances de fond qui sont en quelque sorte ambivalentes : d'une part, les tribunaux de commerce appliquent de façon extrêmement rare la responsabilité du banquier pour soutien abusif et, d'autre part, il est clairement affiché une volonté de protéger les débiteurs qui ont eu recours à ces crédits par la mise en place d'une succession de procédures de nature contractuelle (mandat ad hoc et conciliation) et de nature judiciaire. Ainsi, une série d'affaires emblématiques, "Eurotunnel" (en dernier lieu, Cass. com., 30 juin 2009, 4 arrêts, n° 08-11.902, FS-P+B+R N° Lexbase : A5782EIY, n° 08-11.903, FS-D N° Lexbase : A5783EIZ, n° 08-11.905, FS-D N° Lexbase : A5785EI4, n° 08-11.906, FS-D N° Lexbase : A5786EI7), "Thomson" (T. com. Nanterre, 17 février 2010, aff. n° 2010L00346 N° Lexbase : A9650ERT confirmé par CA Versailles, 3ème ch., 18 novembre 2010, n° 10/01433 N° Lexbase : A7946GKI) et "Coeur Défense" (Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-13.988, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0445G7M et, sur renvoi après cassation, CA Versailles, 13ème ch., 19 janvier 2012, n° 11/03519 N° Lexbase : A3680ICB) démontre un élargissement progressif des conditions d'ouverture de la procédure de sauvegarde.

En l'occurrence, l'affaire "Coeur Défense" met en exergue l'élargissement de la conception du caractère insurmontable des difficultés. L'affaire en réalité est très simple : il s'agit d'un financement LBO avec une société française qui acquiert un immeuble dans le quartier de La Défense et une société mère luxembourgeoise qui souscrit l'emprunt finançant l'acquisition de l'immeuble, cet emprunt étant, d'une part, couvert par la société française, qui prend un certain nombre d'engagements pour assurer le remboursement du prêt, et d'autre part, garanti par les titres de la filiale que détient la société mère. L'ensemble de ces sociétés était des émanations du groupe Lehman Brothers qui est entré en faillite. Or Lehman Brothers, qui assurait l'ensemble des conditions du prêt et notamment la couverture des taux, s'est trouvée ne plus être en mesure de les assurer, alors que la couverture des intérêts évolutifs était une condition de remboursement anticipé du prêt. Il s'agissait donc de tenants et d'aboutissants de nature financière et non de nature économique. La société française et la société mère luxembourgeoise ont demandé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde. Le créancier, un fonds de titrisation qui avait bénéficié de la cession des créances par Lehman Brothers, a contesté l'ouverture au motif que les difficultés insurmontables ne peuvent avoir pour seul objet de protéger les actionnaires qui veulent conserver leurs biens. En l'espèce, il n'y avait aucune difficulté économique puisque les loyers étaient payés et encaissés et que seul ne pouvait être assuré le remboursement du prêt qui avait permis l'acquisition de l'immeuble. Ces moyens, rejetés en première instance, ont été acceptés par la cour d'appel de Paris qui a annulé l'ouverture de la procédure de sauvegarde. La Cour de cassation s'est prononcée le 8 mars 2011 et a cassé l'arrêt des juges parisiens, retenant que, peu importe que l'ouverture de la procédure de sauvegarde ait pour objet de s'opposer à l'application des contrats de financement dès lors que la société qui demande l'ouverture a fait valoir qu'elle rencontre des difficultés insurmontables qui ne lui permettaient pas de continuer son activité, sauf démonstration d'une fraude (solution confirmée par CA Versailles), dont on comprend, selon Julien Augais qu'elle ne peut être assimilée au fait de demander l'ouverture d'une sauvegarde pour échapper au remboursement de l'emprunt. Il s'agira plus particulièrement alors de simuler des difficultés insurmontables.

Cette décision est intéressante à deux titres. D'une part, elle vient élargir les conditions d'ouverture de la procédure de sauvegarde à tout un pan du financement de l'activité des entreprises qui est aujourd'hui essentiel et fondamental et que l'on retrouve dans les LBO. Il s'agit donc de protéger ces montages financiers parce qu'ils permettent le développement des entreprises. D'autre part, cette décision incite au traitement en amont des difficultés financières des entreprises et encourage les banques à participer plus activement à des procédures non-judiciaires comme le mandat ad hoc ou la conciliation qui leur sont toujours préférables à la procédure de sauvegarde dans laquelle elles seront amenées à accepter, dans bien des cas, des sacrifices supérieurs à ceux qu'elles pourraient consentir dans des procédures plus contractuelles.

Odile Mercier rappelle qu'avant 2005, faute de cessation des paiements, seules existaient les procédures de conciliation qui se situent en amont des procédures collectives. Ces procédures de traitement amiable et préventif des difficultés fonctionnent très bien, chez BNP-Paribas. D'ailleurs, dans le cadre de dossiers plus internationaux, les créanciers regardent ces procédures avec beaucoup d'intérêt. Instauré une troisième procédure collective qui suspend les poursuites, alors qu'il n'y a pas cessation des paiements et donc pas de créancier en droit de poursuivre l'entreprise, a plutôt laissé perplexes les banquiers. Quelle en est dès lors la véritable raison ?

Etait-ce la première réponse, avant la sauvegarde financière accélérée (loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010, de régulation bancaire et financière N° Lexbase : L2090INQ), apportée au traitement des LBO et plus exactement au mur de la dette annoncé ? Pour Odile Mercier, c'est vrai que s'agissant d'amortissements annuels ou de bullet importante, la société peut ne pas se trouver en cessation des paiements mais savoir qu'elle ne sera pas en mesure d'ici quelques temps de faire face à sa ou ses échéances futures.

L'instauration de cette procédure manifeste-t-elle plutôt la volonté de protéger le chef d'entreprise avant qu'il ne se trouve en état de cessation des paiements, s'agissant d'une situation psychologiquement honteuse dans certains esprits et qui lui laisse toute latitude en sa qualité de chef d'entreprises ? Ou était-ce, enfin, la volonté de protéger la caution personne physique qui ainsi échappe à la poursuite des créanciers, non seulement pendant la période d'observation mais aussi pendant la durée du plan de sauvegarde ? L'interrogation est de mise. D'autant que le mandat ad hoc et la conciliation, dont le succès n'est plus à démontrer, permettent cette souplesse et cette liberté de ton et d'action dans une parfaite confidentialité, au contraire, d'ailleurs, de la procédure de sauvegarde qui est une procédure collective donc soumise à publicité.

L'assouplissement en 2008 des conditions d'éligibilité à la sauvegarde a encore déstabilisé le banquier. Encore une fois, la procédure de sauvegarde est une procédure collective dont le but pour la société est d'obtenir des délais et/ou des abandons de créance. De là à considérer que c'est un moyen pour le débiteur qui n'en a pas besoin, d'obtenir le réaménagement de ses contrats et donc la durée de ses crédits, les conditions financières ou les montants, le doute est permis. Par ailleurs, dans le cadre des procédures amiables, il est impossible d'imposer quoique ce soit aux créanciers, même le plus petit d'entre eux, à l'inverse de ce qui se passe dans le cadre d'un plan de sauvegarde.

1.2 - Les marges de manoeuvre des établissements de crédit

A ce niveau, la première question qui se pose, selon Maître Fournier-Gille, est de savoir si l'établissement de crédit, tiers à la procédure, peut contester l'ouverture de la procédure de sauvegarde. En droit des entreprises en difficulté, les voies de recours ont toujours été envisagées de manière très restrictive. C'était le cas dans le cadre de la loi de 1985, remaniée en 1994, ça l'est encore plus depuis 2005.

Les recours sont régis par deux textes. L'article L. 661-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L8963INB) prévoit ainsi que l'appel est ouvert au débiteur, au ministère public et au créancier poursuivant. A contrario, aucune autre personne ne peut faire appel de la décision d'ouverture. L'article L. 661-2 (N° Lexbase : L3339ICN) pouvait toutefois laisser entrevoir une lueur d'espoir, puisqu'il prévoit que les décisions d'ouverture sont susceptibles de tierce-opposition. Mais encore faut-il répondre aux conditions de droit commun de la tierce-opposition que pose le Code de procédure civile. Or, bon nombre de dossiers ferment en réalité la porte au créancier qui voudrait former une tierce-opposition. En effet, l'une des conditions posées est que le créancier puisse faire valoir des moyens propres qui n'auraient pas été défendus dans le jugement. De jurisprudence constante, lorsque l'entreprise in bonis est demanderesse ou défenderesse à un procès, ces créanciers sont considérés comme représentés à l'instance par leur débitrice (Cass. req. 8 juillet 1850, DP 1850, 1, 244 ; Cass. civ. 2, 20 octobre 1965, Bull. civ. II, n° 765).

Quid dans le cadre d'une procédure collective ? Peut-on considérer que le débiteur défend encore les intérêts de ces créanciers ? Evidemment non, car il y a là une dissociation des intérêts puisque le débiteur a tout intérêt à se placer sous la sauvegarde, au détriment de ses créanciers.

Et, l'affaire "Eurotunnel" (Cass. com., 30 juin 2009, préc.) semble faire exception au principe de droit commun et être favorable à l'ouverture d'un tel recours pour les créanciers. La Chambre commerciale a en effet estimé que la tierce-opposition des créanciers, ressortissants du Royaume-Uni, était recevable à l'encontre du jugement ouvrant la procédure collective. La prudence est toutefois de mise car la motivation est très particulière. Ces créanciers faisaient en effet valoir que Eurotunnel devait se soumettre à la loi du Royaume-Uni concernant la procédure collective dont elle était l'objet. Dans ce schéma, l'intérêt de ces créanciers était donc distinct mais tout à fait particulier.

Pour Maître Augais, l'arrêt "Eurotunnel" a été un précurseur en la matière mais il ne se fondait pas vraiment sur les "moyens propres" du Code de procédure civile. En réalité, cet arrêt a été rendu sur le fondement de l'article 6 de le CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) et du droit d'accès à la juridiction. Cette brèche a été enfoncée par l'affaire "Coeur Défense" dont on peine à savoir s'il s'agit d'une application à des cas particuliers ou s'il s'agit d'un principe plus général. En effet, dans l'arrêt "Coeur Défense", la thèse défendue par le créancier, pour soutenir l'existence d'un moyen propre, était que l'unique objet de l'ouverture de la procédure de sauvegarde était d'empêcher le remboursement anticipé de l'emprunt dont il était l'unique créancier. Ce moyen de défense a été accueilli par le juge qui a ouvert sur le fondement de la tierce-opposition et des moyens propres l'action au créancier au cas d'espèce. Or, dans ce cas précis, la procédure avait bien été ouverte pour empêcher le remboursement de ce créancier précisément, de sorte que se pose la question de savoir si un autre créancier aurait été recevable. Et, à la lecture de la décision, rien ne permet de l'affirmer.

Dès lors, Julien Augais identifie deux risques. Il sera d'abord beaucoup plus facile à un créancier détenant une créance important de pouvoir agir sur le fondement de la tierce-opposition, puisqu'il pourra prouver plus aisément qu'un petit créancier que la procédure a pour objet d'empêcher le remboursement de sa créance. Ensuite, si l'on ouvre les vannes des tierces-oppositions à l'ensemble des créanciers, le débiteur risque de se retrouver face à d'innombrables procédures judiciaires qui se révéleront ingérables pour ce dernier. Il convient donc de faire attention à une double dérive : celle d'une trop grande ouverture de l'éligibilité à la procédure de sauvegarde et celle d'une trop grande ouverture de la contestation de la procédure de sauvegarde aux créanciers.

Odile Mercier relève, pour sa part, que pour le banquier, sauf cas d'espèce emblématique, la souveraineté des tribunaux de commerce, qui décident plus en fait qu'en droit, l'importance des risques économiques et sociaux et du risque d'image sont des freins très importants. Les voies de recours sont très difficiles et restreintes, de sorte qu'il est assez rare que les banques exercent une voie de recours contre le jugement ouvrant une procédure de sauvegarde.

Ainsi, face à ces difficultés de recevabilité, Marie-Christine Fournier-Gille estime que les créanciers doivent se résoudre à trouver d'autres solutions pour intervenir le plus tôt possible dans ces procédures et éviter toute dérive quelle qu'elle soit. L'autre solution qui se présente alors aux créanciers et qui est de plus en plus utilisée est de se faire désigner contrôleur de la procédure. Cette possibilité est ouverte au moins un mois après le jugement d'ouverture aux créanciers qui ont déclaré leur créance. Cela permet notamment d'avoir accès aux actes de procédure, d'être plus facilement entendu par le juge-commissaire dans un premier temps, et par les organes de la procédure dans un second temps. L'intervention du contrôleur n'est pas anodine, mais cette fonction doit être remplie avec intelligence. Il n'est pas ici question de contester des actes tout azimut.

Julien Augais confirme que le contrôleur doit agir avec une certaine précaution. Il peut apparaître en effet assez facile pour un établissement bancaire qui a commis des écueils dans le financement de l'activité du débiteur de se faire désigner contrôleur pour se protéger de ses écarts.

Marie-Christine Fournier-Gille, qui partage cet avis, rappelle toutefois que lorsque ce cas de figure se présente, le juge-commissaire peut décider d'organiser une audience au contradictoire pour entendre les parties, le débiteur pouvant s'opposer à la nomination d'un créancier déterminé comme contrôleur en précisant les raisons pour lesquelles il estime que tel créancier n'a pas vocation à exercer de telles fonctions. Il peut en outre former un recours contre la décision de nomination du contrôleur s'il estime justement que celui-ci n'agit pas dans l'intérêt de tous les créanciers avec une vision objective du dossier.

Pour Julie Lavoir, il y a une éducation à faire du contrôleur et de sa fonction qui est très souvent perçu dans les études d'administrateurs judiciaires comme l'émanation du créancier animé par un sentiment revanchard qui, à tort ou à raison, estime qu'il a été maltraité et va ainsi instrumentaliser la fonction pour réclamer de nombreux documents avec comme optique de se faire racheter sa créance pour cesser son pouvoir de nuisance. Or, un tel comportement dessert assurément la fonction de contrôleur. Le contrôleur, au contraire, doit venir en soutien de l'administrateur afin de résister au conseil du débiteur dans leur tentative de tirer le maximum d'avantages que leur offre la procédure de sauvegarde. Il doit en outre promouvoir la parole et le dialogue vis-à-vis des autres créanciers, notamment en demandant la tenue d'une réunion générale, ou encore en ayant un rôle pédagogique à leur égard.

Odile Mercier, confirmant les interventions de ces prédécesseurs, ajoute que, si pour un banquier se faire nommer contrôleur est le meilleur moyen d'avoir accès à des informations, le rôle de contrôleur comporte certaines obligations. Aussi, avant de solliciter sa nomination, la banque réfléchira à l'intérêt du dossier, dans la mesure où il s'agit d'une fonction extrêmement chronophage.

2 - Les établissements de crédit face aux dévoiements de la procédure de sauvegarde au cours de la période d'observation

2.1 - L'identification des dévoiements

Comme le relève Marie-Christine Fournier-Gille, au stade de la période d'observation, les établissements de crédit sont souvent maltraités, à la différence des fournisseurs, absolument indispensables à la poursuite de l'activité. Les six premiers mois de la période d'observation vont donc être utilisés pour discuter avec ces derniers, renégocier les contrats et les conditions de paiement et se restructurer en interne sans que les créanciers bancaires n'aient la plupart du temps la moindre information. Les entreprises vont attendre le renouvellement de la période d'observation pour contacter les établissements de crédit et commencer à engager la discussion avec eux. Les banquiers se retrouvent ainsi trop souvent au pied du mur. Ce dévoiement plus que regrettable s'accentue dans les dossiers dans lesquels sont en jeu des créances importantes détenues par des pool bancaires et qui exigent au préalable un accord des créanciers entre eux.

Depuis la loi de sauvegarde des entreprises, la consultation des créanciers s'effectue selon deux modes : soit l'entreprise remplit un certain nombre de critères pour que des comités soient constitués (les comptes certifiés par un commissaire aux comptes, 150 salariés et/ou 20 millions d'euros de chiffre d'affaires), auquel cas les établissements de crédit font partie de l'un de ces comités (C. com., art. L. 626-29 N° Lexbase : L3442ICH et R. 626-52 N° Lexbase : L0975HZ7), soit l'entreprise est trop petite et dans ce cas, la consultation s'effectue au cas par cas. La constitution et la consultation, dans le cadre des comités, devaient permettre, dans l'esprit du législateur, de négocier au mieux dans l'intérêt de tous et éviter que les créanciers ne se voient imposer des plans d'une longueur excessive. Pour autant, le système est perfectible et contient des insuffisances.

D'abord, quand bien même le débiteur dépasserait les seuils légaux, aucune sanction n'est prévue à l'absence de constitution de ces comités.

Ensuite, au stade de la composition et des règles de vote, en application des articles L. 626-30 (N° Lexbase : L3490ICA) et R. 626-55 du Code de commerce (N° Lexbase : L3490ICA) sont membres de droit du comité des établissements de crédit, les établissements de crédit et ceux assimilés, ainsi toute autre entité auprès de laquelle le débiteur a conclu une opération de crédit. On retrouve donc une définition extrêmement large, puisque vont avoir accès à ces comités non seulement les hedges funds, mais malheureusement aussi les holdings et les filiales de l'entreprise en sauvegarde. Ainsi, dans les gros groupes de sociétés dont l'une seulement fait l'objet d'une procédure de sauvegarde, la holding qui a fait d'importantes avances en compte courant d'associé et/ou les filiales qui, en sens inverse, ont conclu avec la mère des conventions de trésorerie feront partie du comité des établissements de crédit et pourront ainsi polluer le débat dans la mesure où, bien entendu, les intérêts des créanciers tiers au groupe de sociétés ne sont pas les mêmes que ceux du groupe lui-même. Ce risque de dévoiement au stade de la consultation est fonction du poids des créanciers dans ce comité. Depuis 2008, selon l'article L. 626-30-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L2322INC), le vote au sein de ces comités intervient à la majorité des deux tiers des créances hors taxe. Dès lors, plus le montant des avances consenties par les holdings et filiales est important, plus ces dernières pourront influencer le vote du comité.

L'autre risque de dévoiement, à ce stade de la procédure, réside dans le fait que le montant total des créances hors taxe qui sert de base au calcul du droit de vote des créanciers est celui indiqué par le débiteur, qui fournit sa propre liste, ce montant étant certifié par son commissaire aux comptes ou, lorsqu'il n'a pas été désigné, établi par son expert-comptable. Le vote s'effectuera donc en fonction de ce que le débiteur a bien voulu déclarer lui-même. Or, lorsque le tableau du débiteur est inexact, les textes n'envisagent aucune possibilité pour les créanciers de saisir le juge-commissaire avant le vote. Ils peuvent seulement contester le jugement homologuant le plan de sauvegarde qui, en même temps, prend acte du vote des créanciers, alors que l'on se situe bien trop en aval des discussions.

De ces constats, il ressort que les établissements de crédit peuvent se voir imposer des plans dans le cadre de leurs comités qui ont été élaborés au préalable, parfois en concertation avec les filiales et la holding. Les créanciers qui se trouveront face à cette situation auront-ils le courage de contester le plan dans son ensemble ? Quoiqu'il en soit, le temps est une donnée fondamentale dans les procédures collectives et notamment dans la procédure de sauvegarde. Ne pas pouvoir contester en amont la composition des comités et leur consultation est donc particulièrement regrettable.

Pour Maître Lavoir, ces comités ne sont pas une bonne idée dans la procédure de sauvegarde pour plusieurs raisons :

- d'abord, pour une raison de suspicion due aux modalités complexes de constitution et de consultation ;

- ensuite parce que la loi a encadré la constitution et le vote des créanciers dans des délais beaucoup trop courts (2 mois pour la constitution et 6 mois pour le vote). Une procédure de sauvegarde dans laquelle le débiteur est capable de réunir des créanciers et de leur présenter une solution, est suspecte. Cela témoigne souvent d'un pré-packaging avec un objectif de renégociation des dettes sans volonté de réorganisation de l'entreprise. D'autant que les plans élaborés en amont s'avèrent dans de nombreux cas inutiles, puisque l'ouverture de la sauvegarde crée un choc qui perturbe l'exploitation et qui rend totalement inadéquat le plan prévu sur des perspectives d'exploitations différentes.

En pratique, l'étude de Maître Lavoir a développé un moyen terme entre la constitution des comités et la consultation individuelle des créanciers, qui suppose toutefois d'avoir des blocs significatifs de créanciers, ce qui est notamment le cas dans le cadre des LBO pour lesquels les créanciers bancaires représentent 80 à 90 % du passif. Dans ces circonstances, les principaux créanciers bancaires sont réunis comme en comité pour échanger, communiquer, négocier, ce qui permet de bénéficier de l'avantage d'une consultation collective, sans supporter l'inconvénient du carcan des comités.

Pour contourner ces difficultés, Julien Augais, constate, en pratique, trois solutions alternatives :
- le prêteur intragroupe s'abstient de voter au sein du comité ;
- la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de voter dans l'intérêt des associés ;
- l'engagement du prêteur intragroupe de voter dans le même sens que les autres créanciers de sa catégorie.

Il identifie, par ailleurs, une troisième faille qui se retrouve essentiellement dans les dossiers importants : lorsque les prêteurs souscrivent des polices d'assurance par lesquelles ils détachent l'intérêt économique de la propriété juridique de leur créance, notamment sous la forme de CDS. Dans cette situation, le prêteur est garanti de sa créance à sa valeur nominale et celui qui porte l'intérêt économique de la dette est inconnu. Ces deux personnes se trouvent alors avoir des intérêts opposés, puisque le créancier facial a intérêt à un dépôt de bilan et que l'entreprise cesse son activité puisqu'il est garanti et obtiendra le remboursement de sa dette alors, que le porteur de l'intérêt économique, qui a intérêt à négocier, est inconnu de la procédure. Ce dernier ne sera dès lors pas amené à négocier dans les procédures de mandat ad hoc, de conciliation ou de sauvegarde et, dans le cadre de cette dernière, il n'interviendra pas non plus dans le calcul des règles de majorité.

2.2 - Les marges de manoeuvre des établissements de crédit

Pour Marie-Christine Fournier-Gille, la première réaction à adopter est de ne surtout pas rester passif ; les établissements de crédit doivent aller de l'avant, se montrer, se tenir informés et faire front dès le départ, ce qui n'est pas toujours évident. L'échange entre les créanciers est indispensable pour ne pas laisser paraître de faille. L'échange avec le représentant de l'entreprise en difficulté est tout aussi important. De même, les conseils des établissements de crédit ne doivent pas hésiter à écrire aux organes de la procédure, au tribunal, au parquet, afin de débloquer une situation et contraindre le débiteur à rétablir le dialogue.

Odile Mercier rappelle que dans les procédures de mandat ad hoc et de conciliation les réunions sont fréquentes. Il en découle des échanges, une information économique et financière à partir de laquelle les créanciers pourront faire un état de la situation et bâtir une solution au mieux des intérêts des parties prenantes.

Dans le cadre de la procédure de sauvegarde, l'issue favorable consiste pour la société à obtenir des efforts significatifs de la part de ses créanciers en terme de délais ou d'abandons de créances, du point de vue du banquier l'approche est totalement différente. Ils ont souvent l'impression de se voir imposer, encore une fois, le plan maximum que la société peut obtenir en application de la loi et non des propositions de remboursement en adéquation avec ses capacités. Chaque fois que ce sera possible, les banques vont tenter de provoquer cette négociation avant la circularisation du plan, soit dans le cadre des comités des établissements de crédit, soit en prenant attache entre banquiers et aller chercher l'appui des organes de la procédure, notamment de l'administrateur judiciaire. Les banques doivent être épaulées par l'administrateur judiciaire pour bâtir le plan le plus adéquat à la situation de l'entreprise.

3 - L'avis de l'administrateur judiciaire

Maître Julie Lavoir identifie trois racines aux dévoiements de la procédure de sauvegarde, la deuxième découlant de la première.

D'abord, les procédures collectives et la sauvegarde, en particulier, font persister un sentiment de culpabilité qui traîne depuis une époque où le dirigeant était le failli que l'on montrait du doigt, sentiment qui reste très vivace et qui est peut-être, parfois à dessein, alimenté par des conseils qui y voient l'occasion de faire valoir leur rôle de défense du dirigeant.

Il en résulte, ensuite, une conception biaisée de l'attractivité de la sauvegarde pour le dirigeant. Elle a été présentée comme une procédure qui ne limitait pas ses pouvoirs, lui permettant de conserver ses prérogatives. Pour autant, cette conception est erronée : la procédure de sauvegarde est plutôt la mise en place d'un système de gouvernance dont le but est de restaurer la crédibilité du dirigeant qui est fragilisé par les difficultés que rencontre son entreprise. Pour cela le dirigeant doit accepter de partager son pouvoir et faire émerger et participer différents acteurs autour de lui dans l'intérêt collectif de l'entreprise qui n'est autre qu'un noeud des intérêts particuliers du dirigeant, des actionnaires, des créanciers, des fournisseurs, des salariés, etc.. L'administrateur judiciaire est alors le garant de cette logique centripète.

Enfin, si la sauvegarde est conçue comme un système de gouvernance de l'entreprise, c'est une procédure vulnérable car la gouvernance, au-delà d'un partage des pouvoirs suppose de faire confiance. D'ailleurs, il s'agit d'une procédure qui répugne aux injonctions, à l'autoritarisme, aux sanctions, etc.. C'est un système riche de possibilités, plastique, interactif, mais dépendant de la bonne volonté des acteurs et facilement perverti par ceux qui en maîtrisent les règles mieux que les autres.

Pour Julie Lavoir, lutter contre le dévoiement suppose alors de renforcer la gouvernance par différents moyens, au premier rang desquels se loge une nécessité de retour aux textes. D'ailleurs, le courant d'analyse qui pose une équivalence entre attractivité de la sauvegarde et liberté du dirigeant prend appui sur une phrase de l'exposé des motifs de la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005, selon laquelle "le chef d'entreprise conserve ses prérogatives". Cela est insuffisant.

Revenir aux textes suppose de relire les articles pour sortir de certaines habitudes prises par la pratique qui ne sont pas conformes à la loi. C'est le cas, par exemple, de la consultation individuelle des créanciers, pour laquelle il est admis qu'une fois effectuée il n'est plus possible de modifier les propositions de remboursement. Or, ceci est inexact, puisque l'article L. 626-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L2325ING) prévoit uniquement que les propositions de remboursement sont communiquées au fur et à mesure de leur élaboration. Il est donc tout à fait envisageable que ces propositions, une fois communiquées, soient critiquées par des créanciers organisés qui contraignent alors le débiteur et l'administrateur à revoir leur copie.

Le moyen le plus efficace pour lutter contre les dévoiements est la participation de tous. Les meilleurs agents du dévoiement sont finalement ceux qui s'excluent du jeu par découragement ou par désintérêt. Sans interaction et sans participation, le système se grippe. L'administrateur judiciaire ne doit pas se contenter d'un rôle d'observateur. Dans la pratique, les plans de sauvegarde sont souvent élaborés par le conseil du débiteur, et présentés en fin de parcours à l'administrateur qui, au lieu d'apporter son concours et une observation critique, se retrouve cantonné à un rôle ingrat.

Mais, lutter contre le dévoiement c'est aussi promouvoir le bon sens et tordre le cou aux idées reçues, notamment à celle selon laquelle le dirigeant doit conserver toute latitude et qui repose sur l'assimilation de la procédure de sauvegarde, non pas à une procédure collective, mais à une procédure de prévention au motif qu'il n'y a pas de cessation des paiements. Certes il n'y a pas de cessation préexistant à l'ouverture de la procédure collective, mais la procédure par son ouverture crée un état de cessation des paiements puisque elle entraîne une interdiction des paiements. En outre et contrairement à la prévention, notamment à la procédure de mandat ad hoc dans laquelle l'intérêt du dirigeant se situe en aval et qui le pousse à s'autoréguler, dans la procédure de sauvegarde, le passif étant déjà gelé, son intérêt est en amont des négociations.

Enfin, encourager la participation de chacun suppose de promouvoir le "gagnant-gagnant" et faire cesser le jeu qui consiste, pour le débiteur, à obtenir les délais les plus longs possibles et, pour le créancier, à refuser les abandons de créance. De même, le financement d'un audit de l'entreprise par les banquiers créanciers, largement pratiqué dans le cadre des mandats ad hoc, pourrait être transposé dans le cadre des procédures de sauvegarde pour déterminer en toute transparence la réalité des capacités de remboursement du débiteur.

En conclusion de son intervention Maître Julie Lavoir a tenu à rappeler que les dirigeants doivent toujours avoir à l'esprit qu'une procédure de sauvegarde peut mal se terminer et que les actes passés par le dirigeant durant cette période, alors qu'il jouissait d'une certaine liberté, seront scrutés à la loupe par le tribunal dans le cadre d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire.

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Discrimination et harcèlement

[Jurisprudence] Une différence de traitement en fonction de la date de recrutement n'est pas qualifiable de discrimination fondée sur l'âge

Réf. : CJUE, 7 juin 2012, aff. C-132/11 (N° Lexbase : A3380INI)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"

Le 14 Juin 2012

La discrimination fondée sur l'âge a donné lieu à un volumineux contentieux aussi bien en droit interne (1) qu'en droit européen (CJCE/CJUE (2)), très commenté (3), et les justiciables l'invoquent fréquemment. La CJUE, par un arrêt rendu le 7 juin 2012, vient de faire la démonstration que la référence à la discrimination n'est pas toujours pertinente, dans un contentieux opposant des salariés à leur employeur.
Résumé

L'article 2 § 2-b de la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 (N° Lexbase : L3822AU4) ne s'oppose pas à une disposition d'une convention collective qui, aux fins du classement dans les catégories d'emplois et de la détermination du montant de la rémunération, ne tient compte que de l'expérience professionnelle acquise en tant que membre du personnel navigant commercial d'une compagnie aérienne déterminée, à l'exclusion de l'expérience matériellement identique acquise au sein d'une autre compagnie appartenant au même groupe d'entreprises.

L'arrêt porte sur une demande de décision préjudicielle, introduite par l'Oberlandesgericht Innsbruck (Autriche), par décision du 9 mars 2011, dans la procédure Tyrolean Airways contre le comité d'entreprise de cette compagnie aérienne. La demande de décision préjudicielle vise la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (art. 21 § 1 N° Lexbase : L8117ANX) et la Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (art. 1er, 2 et 6). Cette demande est relative à l'interprétation de la convention collective applicable au personnel navigant commercial de Tyrolean Airways, et spécialement la question de la prise en compte des périodes de service accomplies au sein des deux autres filiales du groupe Austrian Airlines, à savoir Austrian Airlines et Lauda Air (Tyrolean Airways et Lauda Air sont deux filiales d'Austrian Airlines, détenues à 100 % par celle-ci).

Les relations d'emploi entre Tyrolean Airways et son personnel navigant relèvent de la convention collective de Tyrolean Airways. L'annexe III de cette convention collective prévoit que le personnel navigant est classé dans les catégories A ou B. Le passage de la catégorie A à la catégorie B intervient au bout de trois années d'ancienneté révolues, c'est-à-dire trois années précisément après le recrutement du salarié en tant que membre du personnel navigant commercial. Mais la convention collective de Tyrolean Airways n'indique pas si le terme "recrutement" se réfère au recrutement par Tyrolean Airways ou par l'une des trois compagnies du groupe (4).

Par un recours introduit le 27 juillet 2010 devant le Landesgericht Innsbruck, le Betriebsrat a demandé qu'il soit jugé que les membres du personnel navigant commercial employés par Tyrolean Airways et qui ont acquis une expérience d'une durée totale de trois ans au moins en tant que membre du personnel navigant commercial de Tyrolean Airways et/ou d'Austrian Airlines ou de Lauda Air doivent être classés dans la catégorie d'emplois B.

Par un jugement du 10 décembre 2010, cette juridiction a considéré que le passage de la catégorie A à la catégorie B intervient au bout de trois années d'ancienneté révolues au sein du groupe, c'est-à-dire trois années précisément après le recrutement en tant que membre du personnel navigant commercial au sein du groupe.

L'employeur (Tyrolean Airways) a fait appel. La juridiction de renvoi a estimé que les compétences et les connaissances que les personnels acquièrent au sein des trois compagnies aériennes appartenant au groupe sont matériellement identiques. Mais surtout, la juridiction a considéré que la clause litigieuse de la convention collective de Tyrolean Airway s (ainsi que la clause figurant habituellement au point 8 des contrats de travail du personnel navigant commercial de Tyrolean Airways) sont constitutives d'une discrimination fondée sur l'âge, parce qu'elles établissent une différence en fonction de l'âge auquel le membre du personnel navigant commercial a acquis les compétences et les connaissances requises par Tyrolean Airways.

Enfin, établissant un parallèle avec des affaires relatives aux accords anticoncurrentiels (CJCE, 25 novembre 1971, aff. C-22/71) (5), par analogie avec l'arrêt du 5 février 2004 (6), la juridiction de renvoi a envisagé l'éventualité d'un motif de nullité absolue, en raison de l'effet horizontal direct des droits fondamentaux de l'Union.

Aussi, l'Oberlandesgericht Innsbruck a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE deux questions préjudicielles, l'une portant sur la qualification de discrimination fondée sur l'âge et l'autre, l'effet horizontal direct des droits fondamentaux de l'Union. Si la qualification de discrimination fondée sur l'âge est évacuée, parce que finalement non problématique, la CJUE n'examine pas la seconde question préjudicielle, pourtant essentielle et tout à fait centrale.

I - Les conditions d'une qualification de discrimination fondée sur l'âge

La fusion d'Austrian Airlines et de Lauda Air est intervenue sur la base d'un accord des partenaires sociaux, en 2003. Depuis 2003, les conditions d'emploi du personnel navigant de ces deux compagnies sont régies par une convention collective unique, laquelle ne prévoit pas la prise en compte des périodes d'emploi effectuées précédemment au sein de Tyrolean Airways. Si les dispositions de cette convention collective sont susceptibles d'être soumis au principe de non discrimination selon l'âge encadré par la Directive 2000/78, encore faut-il que les conditions de la qualification de discrimination soient bien remplies, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

A - Champ d'application de la Directive 2000/78

Selon la jurisprudence développée par la CJUE (notamment en 2011 (7)), les partenaires sociaux doivent agir dans le respect de la Directive 2000/78, dès lors qu'ils adoptent des mesures entrant dans le champ d'application de la Directive 2000/78, relative à la non-discrimination en fonction de l'âge.

La clause de la convention collective de Tyrolean Airways prévoit que le passage de la catégorie d'emplois A à la catégorie d'emplois B intervient au bout de trois années d'ancienneté révolues. La CJUE (arrêt rapporté, § 24) en tire la conclusion que cette disposition affecte ainsi la détermination de la catégorie d'emplois dans laquelle sont placés les travailleurs lors de leur recrutement au sein de cette compagnie. Elle affecte également, par voie de conséquence, leur rémunération.

Aussi, cette réglementation doit être considérée comme établissant des règles relatives aux conditions d'accès à l'emploi, de recrutement et de rémunération, au sens de l'article 3 § 1-a et c de la Directive 2000/78. Aussi, la Directive 2000/78 s'applique bien au litige en cause.

B - Rejet de la qualification de discrimination selon l'âge

En l'espèce, le comité d'entreprise (le Betriebsrat) a fait valoir que les membres du personnel navigant commercial des compagnies concernées justifiant de plusieurs années d'expérience professionnelle au sein du groupe seraient, en cas de recrutement par Tyrolean Airways, rétrogradés dans la catégorie d'emplois A.

La première question posée à la CJUE repose sur l'hypothèse selon laquelle une discrimination fondée sur l'âge pourrait résulter de l'absence de prise en compte, en vertu de la clause litigieuse de la convention collective de Tyrolean Airways, des périodes de service accomplies au sein des autres compagnies du groupe. La CJUE confirme (arrêt rapporté, § 28) qu'en application de l'article 1er et 2 § 1 de la Directive 2000/78, le principe de l'égalité de traitement impose l'absence de toute discrimination directe ou indirecte fondée sur l'âge. Une discrimination indirecte fondée sur l'âge se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes d'un âge donné, par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires.

Mais la CJUE (arrêt rapporté, § 29) ne partage pas l'analyse du comité d'entreprise sur la qualification des dispositifs conventionnels. Si les dispositifs conventionnels peuvent entraîner une différence de traitement en fonction de la date de recrutement par l'employeur concerné, une telle différence n'est pas, pour la CJUE, directement ou indirectement, fondée sur l'âge ni sur un événement lié à l'âge.

En effet, l'expérience acquise par un membre du personnel navigant commercial au sein d'une autre compagnie du même groupe d'entreprises n'est pas prise en compte lors du classement, en application de la convention collective : cette non prise en compte est indépendante de l'âge de ce membre du personnel au moment de son recrutement.

Cette disposition se fonde dès lors sur un critère qui n'est ni indissociablement (8) ni indirectement lié à l'âge des salariés, même s'il n'est pas exclu que l'application du critère litigieux puisse, dans certains cas particuliers, avoir comme conséquence pour les membres du personnel navigant commercial concernés un passage de la catégorie d'emplois A à la catégorie d'emplois B à un âge plus avancé que celui des membres du personnel ayant acquis une expérience équivalente au sein de Tyrolean Airways. Bref, la clause litigieuse de la convention collective de Tyrolean Airways n'instaure pas une différence de traitement fondée sur l'âge, au sens de la Directive 2000/78.

II - Compatibilité du droit des conventions collectives avec les droits fondamentaux de l'Union

A - La question de l'effet horizontal direct des droits fondamentaux de l'Union ne se pose pas

La juridiction de renvoi (l'Oberlandesgericht Innsbruck) avait décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE la question préjudicielle suivante : une juridiction nationale peut-elle, par analogie avec l'arrêt du 5 février 2004 (CJCE, 5 février 2004, aff. C-157/02, préc.), et conformément à la jurisprudence de la CJUE retenue à propos d'accords anticoncurrentiels (CJCE, 25 novembre 1971, aff. C-22/71, préc.), traiter une clause d'un contrat individuel comme étant partiellement nulle en raison de l'effet horizontal direct des droits fondamentaux de l'Union et la laisser inappliquée ? En effet, de telles clauses seraient contraires à l'article 21 de la Charte et violeraient le principe fondamental du droit de l'Union de non-discrimination en fonction de l'âge (Directive 2000/78, art. 1er, 2, et 6).

Mais dans la mesure où par l'arrêt rapporté (supra), la CJUE a écarté le grief d'atteinte au principe de non-discrimination fondée sur l'âge, compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n'y a pas lieu de répondre à la seconde question.

B - La CJUE s'estime compétente pour contrôler les normes édictées par les partenaires sociaux

Indépendamment de la question de l'effet horizontal direct des droits fondamentaux de l'Union, la CJUE s'est prononcée à plusieurs reprises sur la validité de certaines dispositions prévues par conventions collectives et leur conformité au droit européen, question délicate (9).

Ainsi, en 2011, la CJUE a reconnu que les Etats membres peuvent autoriser, par des règles d'habilitation, les partenaires sociaux à adopter des mesures prévues par la législation nationale (10) qui, dans une société démocratique, sont nécessaires à la sécurité publique, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et à la protection des droits et libertés d'autrui (Directive 2000/78, art. 2 § 5), dans les domaines qui relèvent des accords collectifs. Mais la CJUE a posé comme condition que ces règles d'habilitation soient suffisamment précises afin de garantir que ces mesures respectent les exigences énoncées à l'article 2 § 5.

Ainsi, une mesure qui fixe à 60 ans l'âge limite à compter duquel les pilotes ne peuvent plus exercer leur activité professionnelle alors que les réglementations nationale et internationale fixent cet âge à 65 ans, n'est pas une mesure nécessaire à la sécurité publique et à la protection de la santé, au sens de l'article 2 § 5 de la Directive 2000/78.

Déjà, en 2010 (11), la CJUE avait précisé que la circonstance que la réglementation nationale puisse autoriser, pour une raison objective, qu'une convention collective prévoie la cessation automatique des contrats de travail à un âge déterminé ne dispense pas la convention collective concernée de l'obligation d'être conforme au droit de l'Union et, plus particulièrement, à la Directive 2000/78.

En effet, comme l'a rappelé la CJUE dans l'affaire du 13 septembre 2011 (CJUE, 13 septembre 2011, aff. C-447/09, préc., point 47), le droit à la négociation collective doit être exercé conformément au droit de l'Union (12). Dès lors, lorsqu'ils adoptent des mesures entrant dans le champ d'application de la Directive 2000/78, les partenaires sociaux doivent agir dans le respect de cette Directive (13).

La même solution a été retenue, s'agissant de l'appréciation des conventions collectives, au regard de leur conformité au principe d'égalité hommes/femmes (14) ; le droit interne aussi (C. trav., art. L. 1142-3 N° Lexbase : L0700H9S).


(1) Par ex., Cass. soc., 16 février 2011, deux arrêts, n° 10-10.465, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1625GXH) et n° 09-72.061, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1575GXM) ; v. nos obs., Différences de traitement selon l'âge reconnues non discriminatoires : les juges du fond doivent vérifier les conditions posées par les textes, Lexbase Hebdo n° 430 du 3 mars 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N6302BRT) ; Cass. soc., 30 avril 2009, n° 07-43.945, FS-P+B (N° Lexbase : A6457EGA) ; v. nos obs., Discrimination selon l'âge et indemnité de licenciement conventionnelle, Lexbase Hebdo n° 350 du 14 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0723BKY).
(2) Récemment : CJUE, 19 avril 2012, aff. C-415/10 (N° Lexbase : A0985IKP) ; v. nos obs., Discriminations sexe, âge ou origine ethnique) : tout est question de preuve, Lexbase Hebdo n° 484 du 10 mai 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N1769BTP) ; CJUE, 13 septembre 2011, aff. C-447/09 (N° Lexbase : A7249HXR) ; CJUE, 18 novembre 2010, deux arrêts, aff. C-356/09 (N° Lexbase : A5491GI9) et aff. C-250/09 (N° Lexbase : A5488GI4) ; v. nos obs., La volonté du salarié de continuer de travailler après l'âge de la retraite face à la mise à la retraite d'office, Lexbase Hebdo n° 420 du 9 décembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N8308BQR) ; CJUE, 12 octobre 2010, 2 arrêts, aff. C-45/09 (N° Lexbase : A4807GBN), v. nos obs., Comment la CJUE caractérise une discrimination fondée sur l'âge et apprécie la justification d'une différence de traitement, Lexbase Hebdo n° 413 du 21 octobre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N4314BQT) ; CJUE, 12 janvier 2010, 2 arrêts, aff. C-229/08 N° Lexbase : A2385EQE) et aff. C-341/08 N° Lexbase : A2386EQG) ; CJUE, 19 janvier 2010, aff. C-555/07, (N° Lexbase : A3442EQK), v. nos obs., Discrimination selon l'âge : entre interdiction et validation, Lexbase Hebdo n° 381 du 4 février 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N1602BNN) ; CJCE, 3ème ch., 5 mars 2009, aff. C-388/07 (N° Lexbase : A5596EDM), v. nos obs., Discrimination selon l'âge : la CJCE précise les conditions de transposition de la Directive 2000/78 à une législation nationale, Lexbase Hebdo n° 344 du 9 avril 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0048BKY) ; CJCE, grande chambre, 23 septembre 2008, aff. C-427/06 (N° Lexbase : A4274EAK), v. nos obs., En droit communautaire, toute discrimination fondée sur l'âge n'est pas nécessairement sanctionnée, Lexbase Hebdo n° 323 du 23 octobre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4881BHA) ; CJCE, 16 octobre 2007, aff. C-411/05 (N° Lexbase : A7508DYQ), v. nos obs., La mise à la retraite d'office n'est pas nécessairement discriminatoire au nom des politiques de l'emploi, Lexbase Hebdo n° 284 du 6 décembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3667BD8).
(3) Bibliographie générale : S. Henion-Moreau, M. Le Barbier le Bris et M. Del Sol, Droit social européen et international, PUF, 2010, coll. Thémis, p. 337 à 352 (Directive 2000/78) ; F. Kessler et J.-P. Lhernould (dir.), Code annoté européen du travail, Groupe revue fiduciaire, 2010, p. 469 (Directive 2000/78) ; P. Rodière, Traité de droit social de l'Union européenne, LGDJ, 2008, p. 157 s. (non-discrimination) ; M. Schmidt, Droit du travail de l'Union européenne, Larcier, coll. Manuels, 2012, p. 211 ; J.-M. Servais, Droit social de l'Union européenne, Bruylant, 2011, n° 195 à 251 ; B. Teyssié, Droit européen du travail, Litec, coll. Manuel, 3ème édition 2010, n° 656 à 717 (Directive 2006/54), n° 646 à 654 (Directive 2000/43). Bibliographie spécifique : L. Potvins-Solis (Directive), Le principe de non discrimination face aux inégalités de traitement entre les personnes dans l'Union européenne, 7ème journée d'étude du pôle européen J. Monet, Bruylant 2010, spéc..
(4) De plus, les contrats de travail du personnel navigant commercial de Tyrolean Airways contiennent habituellement (point 8) la clause suivante : "La date d'entrée en fonction, chaque fois qu'elle est pertinente pour l'application d'une réglementation ou d'un droit, s'entend de la date d'entrée en fonction au sein de Tyrolean Airways".
(5) CJCE, 25 novembre 1971, aff. C-22/71 (N° Lexbase : A6708AUY), Rec. p. 949, R. Joliet, Les rapports entre l'action en concurrence déloyale et l'article 85 du Traité de Rome, Revue trimestrielle de droit européen 1972, p. 427 ; Journal du droit international 1973, p. 530. Selon les § 25 à 29, la nullité prévue à l'article 85 6 2 du traité ayant un caractère absolu, l'accord affecté n'a pas d'effet dans les rapports entre les contractants et n'est pas opposable aux tiers.
(6) CJCE, 5 février 2004, aff. C-157/02 (N° Lexbase : A2525DB7), Rec. p. I-1477. Lors de la conclusion de contrats avec des usagers de la route, une personne morale de droit privé peut se voir opposer les dispositions d'une Directive susceptibles d'avoir un effet direct lorsque l'Etat a confié à cette personne morale la mission de prélever les péages pour l'utilisation de réseaux routiers publics et qu'il contrôle directement ou indirectement cette personne morale.
(7) CJUE, 13 septembre 2011, aff. C-447/09 (N° Lexbase : A7249HXR), non encore publié au Recueil (point 48) ; CJUE, 27 octobre 1993, aff. C-127/92 (N° Lexbase : A0066AWD), Rec. p. I-5535, point 22.
(8) V., a contrario, CJUE, 12 octobre 2010, aff. C-499/08 (N° Lexbase : A4808GBP), non encore publié au Recueil, M. Aubert, E. Broussy, et F. Donnat, Chronique de jurisprudence de la CJUE. Travail - Discrimination en fonction de l'âge, AJDA, 2010, p. 2309 ; J. Cavallini, Le fait d'être éligible à une pension de retraite ne peut fonder la perte d'une indemnité de licenciement, JCP éd. S, 2010, n° 46 p. 26 ; L. Driguez, Discrimination en raison de l'âge - Les salariés ayant la possibilité de partir à la retraite mais souhaitant continuer de travailler ne peuvent être privés sans discrimination injustifiée d'une indemnité de licenciement spécialement conçue pour favoriser la transition professionnelle des seniors, Europe, 2010 décembre, Comm., n° 12, p.37, J.-P. Lhernould, L'actualité de la jurisprudence européenne et internationale, RJS, 2011, p.3 ; C. Canazza, L'arrêt "Andersen": un pas plus loin dans la protection des travailleurs âgés, Journal des tribunaux / droit européen, 2011, n° 175, p.13. V. notamment point 23 : l'article 2a § 3 de la loi relative aux employés a pour effet de priver du droit à l'indemnité spéciale de licenciement certains travailleurs et ce au seul motif qu'ils peuvent bénéficier, à la date de leur licenciement, d'une pension de vieillesse versée par leur employeur en vertu d'un régime de retraite auquel ils ont adhéré avant d'avoir atteint l'âge de 50 ans. Or, l'admission au bénéfice d'une pension de vieillesse est soumise à une condition d'âge minimal qui, dans le cas de M. Andersen, a été fixé par une convention collective à 60 ans. Cette disposition se fonde ainsi sur un critère qui est indissociablement lié à l'âge des salariés.
(9) S. Henion-Moreau, M. Le Barbier le Bris et M. Del Sol, Droit social européen et international, PUF, 2010, coll. Thémis, p. 62 s. ; E. Mazuyer, Les instruments juridiques du dialogue social européen : état des lieux et tentative de clarification, Dr. soc., 2007, p. 476 ; C. Vigneau, Partenaires sociaux et nouveaux modes communautaires de régulation : la fin des privilèges ? Dr. soc., 2004, p. 883.
(10) Certes, les partenaires sociaux ne constituent pas des entités de droit public (voir arrêt "Laval", préc., point 84). Mais pour la CJUE (CJUE, 13 septembre 2011, aff. C-447/09, préc., points 60 et 61), cette considération n'empêche cependant pas les Etats membres d'autoriser, par des règles d'habilitation, les partenaires sociaux à adopter des mesures (au sens de l'article 2 § 5 de la Directive 2000/78) dans les domaines visés à cette disposition qui relèvent des accords collectifs. Ces règles d'habilitation doivent être suffisamment précises afin de garantir que lesdites mesures respectent les exigences énoncées audit article 2, paragraphe 5.
(11) CJUE, 12 octobre 2010, aff. C-45/09 (N° Lexbase : A4807GBN), non encore publié au Recueil, point 53 : M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat, Chronique de jurisprudence de la CJUE. Travail - Discrimination en fonction de l'âge, AJDA, 2010, p. 2310 ; L. Driguez, Discrimination en raison de l'âge - Les clauses de cessation automatique d'activité pour les salariés ayant atteint l'âge de solliciter le versement de leur pension de retraite peuvent être compatibles avec la Directive 2000/78, Europe, 2010, Décembre, Comm., n° 12, p. 37 ; J.-P. Lhernould, L'actualité de la jurisprudence européenne et internationale, RJS, 2011, p. 3.
(12) CJUE, 11 décembre 2007, aff. C-438/05 (N° Lexbase : A0543D3I), Rec. p. I-10779, point 44 : A. Donnette, A propos d'une rencontre mouvementée entre droit social et droit du marché. Les arrêts Viking, Laval, Rüffert et Luxembourg, Revue des affaires européennes, 2007-08, p. 341 ; P. Chaumette, Les actions collectives syndicales dans le maillage des libertés communautaires des entreprises, Dr. soc., 2008, p. 210 ; E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert, Chronique de jurisprudence communautaire, Libertés d'établissement et prestation de services droits sociaux, AJDA, 2008, p. 242 ; D. Simon, Libre circulation des entreprises, conventions collectives et actions syndicales, Europe, 2008, février, Comm., n° 40, p. 18 ; B. Teyssié, Esquisse du droit communautaire des conflits collectifs, JCP éd. S, 2008, n° 1075, p. 15 ; J. Cavallini, Une action collective licite en droit interne peut être contraire à la liberté d'établissement consacrée par le traité de Rome, JCP éd. S, 2008, n° 1086, p.36 ; C. Vigneau, Encadrement par la Cour de l'action collective au regard du Traité de Rome, JCP éd. G, 2008, II, 10060, p. 33 ; S. Thomas, La jurisprudence de la Cour de justice et du Tribunal de première instance. Chronique des arrêts. Arrêt "Viking", Revue du droit de l'Union européenne, 2008, n° 1, p. 193-200 ; H. Brodier, Restrictions à une liberté fondamentale du traité par l'exercice du droit fondamental à l'action collective : la Cour encadre étroitement les justifications basées sur l'objectif de la protection des travailleurs, L'Europe des libertés : revue d'actualité juridique, 2008, n° 25, p. 20 ; M. Schmidt, Droit du travail de l'Union européenne, Larcier, préc., p. 263 s. ; v. aussi CJUE, 18 décembre 2007, aff. C-341/05 (N° Lexbase : A1122D3X), Rec., p. I-1767, point 91.
(13) CJUE, 13 septembre 2011, aff. C-447/09, préc., point 47 ; CJUE, 27 octobre 1993, aff. C-127/92 (N° Lexbase : A0066AWD), Rec., p. I-5535, point 22.
(14) B. Teyssié, Droit européen du travail, Litec, coll. Manuel, 3ème édition, 2010, n° 682.

Décision

CJUE, 7 juin 2012, aff. C-132/11 (N° Lexbase : A3380INI)

Textes concernés : Directive 2000/78/CE (art. 1er, 2 et 6 N° Lexbase : L3822AU4) ; Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (art. 21 § 1 N° Lexbase : L8117ANX) ; Convention collective de Tyrolean Airways

Mots-clés : Directive 2000/78/CE, différence de traitement fondée sur l'âge, Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, principes généraux du droit de l'Union européenne, Convention collective, clause contractuelle, atteinte au principe de discrimination, contrôle, appréciation.

Liens base : (N° Lexbase : E2589ET3)

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Impôts locaux

[Chronique] Chronique de fiscalité locale - Juin 2012

Lecture: 11 min

N2347BT4

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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

Le 13 Juin 2012

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière d'impôts locaux. Ce mois-ci, notre auteur a choisi de s'arrêter sur quatre décisions rendues par le Conseil d'Etat. Dans une première décision en date du 7 mai 2012, le Conseil d'Etat se prononce, en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties, sur le large champ des exonérations permanentes de cette taxe, et plus particulièrement sur l'exonération du logement de fonction d'agents en charge d'un service public (CE 8° et 3° s-s-r., 7 mai 2012, n° 342240, mentionné aux tables du recueil Lebon). Dans deux autres décisions, rendues le 16 avril 2012, le Conseil d'Etat traite, toujours dans le cadre de la taxe foncière sur les propriétés bâties, du contentieux sans cesse renouvelé issu de la carence du législateur quant aux méthodes d'évaluation applicables aux biens immobiliers imposables. La méthode se fondant sur le prix de la location ne peut plus être que très rarement mise en application du fait du silence de la loi à propos des révisions des valeurs locatives ; la méthode subsidiaire reposant sur la comparaison avec un local-type connaît un succès qui ne se dément pas. Pour autant, ce mécanisme ne peut fonctionner que s'il on procède à des ajustements, ce que rappelle le Conseil d'Etat (CE 8° s-s., 16 avril 2012, deux arrêts, n° 344844 et n° 344849, inédits au recueil Lebon). Enfin, dans la quatrième décision sélectionnée, en date du 12 avril 2012, le Conseil d'Etat juge, pour la première fois -à notre connaissance-, que les conséquences de la transmission universelle de patrimoine opérée d'une société vers une autre n'entraîne pas, pour la société bénéficiaire de la transmission, la qualité de redevable de la taxe professionnelle sur les biens transmis (CE 9° s-s., 12 avril 2012, n° 331048, inédit au recueil Lebon).
  • TFPB - Exonération des logements mis à la disposition de directeur d'une personne morale de droit public en charge du service public hospitalier (CE 8° et 3° s-s-r., 7 mai 2012, n° 342240, mentionné aux tables du recueil Lebon [LXB=A189ILP])

L'article 1380 du CGI (N° Lexbase : L9812HLY) définit le champ d'application de la taxe foncière sur les propriétés bâties de manière large : cette imposition a vocation à être assise sur "les propriétés bâties sises en France". Cependant, il existe un grand nombre d'exonérations permanentes énoncées à l'article 1382 du CGI (N° Lexbase : L5733IRR). Plus précisément, la décision commentée est relative à l'exonération prévue au 1° de cet article. Cette disposition prévoit trois conditions permettant de bénéficier cette exonération : d'une part, l'immeuble doit relever d'une des catégories énumérées par cet article ; d'autre part, il ne doit pas être productif de revenus ; et enfin, il doit être affecté à un service public ou d'utilité générale.

Les faits sont simples. L'assistance publique des hôpitaux de Marseille avait attribué à certains de ses directeurs des logements de fonction situés à "une distance d'environ 3,5 à 4,8 kilomètres" de l'établissement hospitalier le plus proche. Bien que cela ne soit pas mentionné expressément dans la décision, l'administration fiscale et l'assistance publique des hôpitaux de Marseille avaient une interprétation différente quant à savoir si ces logements de fonction devaient être ou non exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties par application du 1° de l'article 1382 du CGI. L'administration considérait que toutes les conditions énumérées précédemment n'étaient pas remplies, alors que la requérante estimait que ces logements de fonction pouvaient bénéficier de cette exonération.

Le tribunal administratif de Marseille, par un jugement en date du 31 mai 2010 (1), a rejeté la demande de l'assistance publique des hôpitaux de Marseille tendant à la décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie pour les années 2006 et 2007. La contribuable s'est pourvue en cassation devant le Conseil d'Etat.

La question de droit n'intéresse pas l'ensemble des conditions. L'appartenance à une des catégories énumérées, ainsi que le fait que les immeubles concernés ne soient pas productifs de revenus, ne posent aucune difficulté. Notamment, il est précisé que ces logements ont été concédés à titre gratuit et, par conséquent, l'absence de productivité de revenus est avérée.

Le point de droit qui est en débat est de savoir si les immeubles pouvaient être considérés comme étant affectés au service public hospitalier. Plus précisément, il faut noter que ces logements ont été concédés en absence de loi ou de texte pris en application de la loi. Pour autant, cette absence ne constitue pas nécessairement un élément permettant de déduire de manière systématique que cette condition ne peut être remplie. Notamment, il a été retenu dans des décisions antérieures que la condition d'affectation d'un logement à un service public peut être réalisée lorsque le logement est affecté au bénéficiaire par nécessité absolue de service. Ainsi, dans un arrêt du 1er février 1978 (2), à propos du directeur d'un centre médico-chirurgical, cette solution a été admise. Il s'agissait d'un logement appartenant à l'Etat. Par une décision du 18 janvier 2006, la Haute juridiction administrative a étendu cette solution aux immeubles appartenant à des collectivités territoriales (3).

Au regard de la jurisprudence antérieure, si cette condition de la nécessité impérieuse de service existait, ces logements pouvaient tout à fait être exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties. Mais les juges du fond avaient considéré, eu égard à la distance séparant ces logements du site hospitalier, que leurs occupants ne pouvaient exercer pleinement leurs fonctions et qu'en conséquence les logements ne pouvaient pas être considérés comme affectés au service public hospitalier et ne pouvaient bénéficier de l'exonération prévue au 1° de l'article 1382 du CGI.

Le Conseil d'Etat, au contraire, a jugé que cette distance ne permettait pas de remettre en cause l'affectation de ces logements au service public. Ainsi, il a prononcé l'annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille. La question jugée est éminemment factuelle, caractère affirmé par le fait que la décision cite le nombre de kilomètres séparant les logements du site où doivent être exercées les fonctions de service public. Il en ressort que cette distance ne fait pas obstacle au fait de pouvoir considérer ces immeubles comme des logements de fonction octroyés à des agents au regard de la "nécessité impérieuse" qu'ils résident sur place ou à tout le moins à une distance qui ne les empêche pas de pouvoir exercer pleinement leurs fonctions en vue de l'intérêt du service public.

On peut éventuellement s'interroger sur la seule mention de la distance entre les logements concédés et le lieu d'exercice des fonctions des agents bénéficiant desdits logements. A savoir s'il s'agit du seul critère à prendre en compte et, en conséquence, se demander à partir de quelle distance on pourrait considérer qu'elle est trop importante pour que l'agent auquel a été octroyé un logement ne soit plus en mesure d'assurer pleinement ses fonctions au sein du service public ; dès lors la condition de la nécessité impérieuse ne serait plus remplie.

  • TFPB - Un local-type utilisé comme comparatif et qui n'a pas la même surface peut être ajusté (CE 8° s-s., 16 avril 2012, deux arrêts, n° 344844 N° Lexbase : A1325IKB et n° 344849 N° Lexbase : A1326IKC, inédits au recueil Lebon)

Les deux arrêts commentés concernent le même contribuable et le problème de droit posé est identique dans les deux cas. De plus, ils ont été rendus dans les mêmes termes. Cependant, une des décisions est relative à la taxe foncière sur les propriétés bâties pour l'exercice 2005 (n° 344844), tandis que la seconde intéresse l'année 2006 (n° 344849).

Ces deux affaires concernent l'évaluation des biens immobiliers dans le cadre de l'imposition de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Le mécanisme mis en oeuvre est ancien, car conçu à la fin des années 1960 ; pour autant il génère un contentieux toujours important. Ce dispositif prévoit que la valeur locative doit être évaluée en premier lieu par référence au loyer. Dans le cas où cette évaluation ne peut être effectuée, elle est réalisée par comparaison. Enfin, si aucune des deux méthodes précédentes ne peut être appliquée, l'évaluation sera opérée par la voie de l'appréciation directe, c'est-à-dire en prenant en compte la valeur vénale de l'immeuble.

La première méthode d'évaluation repose sur la nécessité de réviser les valeurs locatives cadastrales. Cependant, la carence du législateur, qui n'a pas procédé à cette révision, a eu pour effet que la première méthode, que l'on pouvait considérer comme étant celle de droit commun, n'est appliquée qu'exceptionnellement. Au contraire, la méthode subsidiaire, par comparaison, est devenue la méthode principalement utilisée (4), et elle doit permettre de préserver "l'applicabilité de l'article 1498 du CGI (N° Lexbase : L0267HMT)" (5). Dès lors, le juge de l'impôt doit souvent se livrer à une lecture constructive des conditions d'application de cette méthode comparative (6).

C'est précisément cette méthode qui est au coeur du débat. Selon les dispositions du 2° de l'article 1498 du CGI, "la valeur locative est déterminée par comparaison. Les termes de comparaison sont choisis dans la commune. Il peuvent être choisis hors de la commune pour procéder à l'évaluation des immeubles d'un caractère particulier ou exceptionnel". L'application de cet article ne suppose pas nécessairement que les biens comparés soient de même taille. Il peut exister une différence significative quant à la superficie des deux termes de comparaison. Dans ce cas, il est fait application de l'article 324 AA de l'Annexe III au CGI (N° Lexbase : L3147HMI), qui prévoit une pondération par coefficient qui doit permettre l'ajustement de la valeur locative en tenant compte de la différence de superficie entre le local-type et l'immeuble à évaluer.

Dans les deux litiges, il s'agissait de déterminer la valeur locative d'un hôtel d'une superficie de 2 754 m² sis à Roissy-en-France. Le terme de comparaison était un hôtel situé à Massy dont la surface pondérée était de 790 m². Précédemment, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, par deux jugements en date du 7 octobre 2010 (n° 0712604 et n° 0604845), n'avait pas recherché s'il était possible d'appliquer un coefficient afin de pouvoir comparer de manière pertinente ces deux éléments de taille différente.

Il existe une jurisprudence abondante relative à l'application de l'article 324 AA de l'Annexe III au CGI, du fait de la place prépondérante de la méthode d'évaluation par comparaison. S'agissant de son champ d'application, dans un arrêt en date du 5 mai 2006, le Conseil d'Etat a précisé que cette disposition "permet de corriger les différences dans la consistance ou l'implantation des bâtiments" (7).

Pour autant, les modalités de la comparaison relèvent de l'appréciation souveraine des juges du fond. Ainsi, ces derniers peuvent être amenés à se prononcer sur des éléments techniques qui ne posent pas de difficulté juridique particulière (8). Aux termes d'une décision du 25 novembre 2005 (9), le Conseil d'Etat considère que le choix des coefficients de pondération et de la pertinence des ajustements opérés relève de l'appréciation souveraine des juges du fond (10). Il faut noter que cette décision n'a pas été rendue dans le cadre de l'évaluation de locaux commerciaux mais celui des locaux à usage d'habitation. Pour autant, la position prise par les juges de la Haute juridiction administrative, valable pour la catégorie des locaux à usage d'habitation, doit pouvoir aussi s'appliquer pour celle des locaux commerciaux.

En l'espèce, dans les deux décisions commentées, le point en débat portait sur le fait que le tribunal administratif aurait dû appliquer pleinement l'article 324 AA de l'annexe III du CGI. Cette disposition doit permettre un ajustement entre deux éléments de consistance différente. La différence portait -selon les termes de la décision- sur la superficie des deux biens immobiliers comparés. Ainsi, l'application d'un coefficient de pondération était totalement justifiée et les juges du fond, qui sont compétents pour se prononcer sur le choix de ces coefficients, auraient dû rechercher si la différence de superficie pouvait faire l'objet d'un ajustement. En l'absence d'une telle recherche, les juges de cassation ont estimé que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait commis une erreur de droit. Les juges du fond doivent remplir pleinement leur office.

Eu égard à la situation actuelle en matière d'évaluation des valeurs locatives -la méthode comparative étant devenue le mécanisme appliqué très majoritairement-, il est nécessaire que les juges du fond puissent autoriser, autant qu'une interprétation constructive de ce mécanisme le leur permette, à procéder aux ajustements utiles à la comparaison entre le local-type et le bien à évaluer.

  • TP - La transmission universelle de tous les droits, biens et obligations d'une société à une autre société n'entraîne pas, pour cette dernière, la qualité de redevable de la TP (CE 9° s-s., 12 avril 2012, n° 331048, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6125IIP)

Les faits de cette affaire peuvent paraître peu simples de par les transferts successifs d'une même activité. Par un acte en date du 3 septembre 1991, il a été créé une société en participation non dotée de la personnalité morale et non révélée aux tiers entre trois entreprises. Cette société en participation avait pour activité la réalisation du prolongement de la ligne D du métro de Lyon. Le 1er juin 1994, l'une des sociétés a fait l'apport de l'intégralité de son activité de travaux publics, comprenant ainsi sa participation à la société en participation, à une société tierce. Le 1er juillet 1996, la même société a été absorbée par une autre société. Cette dernière a apporté l'activité de travaux publics, y compris la participation à la société en participation, à la société qui avait bénéficié du premier apport. Enfin, durant l'instance devant la cour administrative d'appel de Lyon, la société bénéficiaire des deux apports a été absorbée à son tour par une dernière société.

Au cours d'une vérification de comptabilité de la société en participation, pour les années 1993, 1994 et 1995, il est apparu que la taxe professionnelle pour cette dernière année n'avait pas été versée. Cette cotisation de taxe professionnelle a été mise en recouvrement par voie de rôle le 30 novembre 1997 au nom de la société bénéficiaire du deuxième apport. A la suite d'une réclamation, un dégrèvement a été accordé le 7 décembre 1998 et la cotisation a été établie au nom de la société bénéficiaire du troisième apport au 31 décembre 1998.

Cette dernière a demandé la décharge de cette cotisation. Les juges du fond (11) n'avaient pas fait suite à cette demande. En revanche, la cour administrative d'appel de Lyon (12), en annulant la décision des premiers juges, a prononcé la décharge de cotisation de taxe professionnelle au titre de l'année 1995. L'administration fiscale s'est pourvue en cassation contre la décision des juges d'appel.

Aux termes, d'une part, de l'article 1447 du CGI (alors en vigueur N° Lexbase : L2920IGA), et plus spécifiquement de l'article 310 HP de l'Annexe II au CGI (plus en vigueur N° Lexbase : L5630IDU), pour les sociétés en participation, la taxe professionnelle est due par le ou les associés connus des tiers à la date du fait générateur de cette imposition. Cependant, l'administration fiscale ne les a pas considérés comme redevables de la taxe professionnelle, car elle estimait que la transmission universelle consécutive à une absorption ou une scission avait pour effet de transmettre l'intégralité des droits, biens et obligations, y compris celles de redevable à la taxe professionnelle.

L'intérêt principal de la transmission universelle de patrimoine est son absence de formalisme, qui en fait une "opération très prisée de la pratique" (13), remarque tout à fait justifiée au regard des faits de l'affaire commentée. C'est une technique de simplification de la dissolution de sociétés, elle est de nature "à répondre à quantités de situations et à simplifier la solution de nombreux problèmes rencontrés" (14). La transmission universelle porte sur le passif et l'actif qui sont transmis en l'état où ils se trouvent au jour de la réalisation définitive de l'opération ; ainsi, il n'est pas nécessaire de faire une liste des éléments transmis. Dès lors, au regard de la pratique et du fait, qu'à notre connaissance, la solution de cette affaire est inédite (15), cette décision présente un intérêt certain, non seulement dans le cadre de la taxe professionnelle, mais aussi de l'imposition qui est venue la remplacer au 1er janvier 2010 : la contribution économique territoriale.

Selon un auteur, "les transmissions universelles peuvent être certainement rangées dans la catégorie des changements d'exploitant" (16). Or, un changement d'exploitant implique qu'il existe deux personnes juridiquement distinctes, c'est le cas en matière de cession d'établissement ainsi que dans le cas des fusions, absorptions ou apports. Dès lors, ce changement d'exploitant suppose que chacun des exploitants ne soit redevable de la taxe professionnelle seulement lorsqu'il était exploitant au moment du fait générateur de cette imposition. La transmission universelle de patrimoine ne peut avoir pour effet de transformer le nouvel exploitant en redevable de la taxe professionnelle due par son prédécesseur. Ainsi, "la transmission universelle n'a pas pour effet de retirer à la première société la qualité de redevable légal des impositions établies antérieurement à la réalisation de la ou des opérations ayant donné lieu à la transmission universelle de ses droits, biens et obligations".

Cette solution ne déroge pas au raisonnement applicable en cas de fusion, absorption ou apport, et effectivement la transmission universelle se situe dans la même perspective que ces différentes opérations ; en conséquence, une solution divergente ne s'imposait pas. Par ailleurs, le fait qu'il existe une succession des transmissions de patrimoine ne peut remettre en cause cette solution. Ainsi, la cour administrative d'appel de Lyon avait jugé que cela était "sans incidence" (17).


(1) TA Marseille, 31 mai 2010, n° 0805532 (N° Lexbase : A3232ILB).
(2) CE 9° et 7° s-s-r., 1er février 1978, n°4849, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5576AID), DF, 1978, comm. 1752, concl. Rivière, RJF, 3/78, n° 115.
(3) CE, 18 janvier 2006, n° 271966, RJF, 8-9/06, n° 1056.
(4) Cour des Comptes, rapport 2009, Partie I, "Observations des juridictions financières", la méthode d'évaluation par référence au bail est appliquée dans 5,7 %, la méthode comparative dans 92,7 % des cas et la méthode d'appréciation directe pour 1,5 %.
(5) Yohann Bénard, Valeurs locatives foncières : panorama de jurisprudence 2006, RJF, 2/07, pp. 95-104, p. 95.
(6) Dans le même sens, cf. nos obs., Chronique de fiscalité locale - Novembre 2011, Lexbase Hebdo n° 462 du 17 novembre 2011 - édition fiscale (N° Lexbase : N8778BSW).
(7) CE 8° et 3° s-s-r., 5 mai 2006, n° 269446, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2349DPP), concl. Collin, DF, 2007, n° 14, comm. 375 (N° Lexbase : A2349DPP).
(8) Yohann Bénard, Valeur locative des locaux commerciaux : les limites du système, RJF, 2/06, pp. 99-106, p. 102.
(9) CE 8° et 3° s-s-r., 25 novembre 2005, n° 269884, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8236DLM), concl. Olléon, DF, 2006, n° 25, comm. 449 (N° Lexbase : A8236DLM).
(10) Yohann Bénard, Valeur locative des locaux commerciaux : les limites du système, op. cit., p. 102.
(11) TA Lyon, 20 juin 2006, n° 0405860.
(12) CAA Lyon, 5ème ch., 28 mai 2009, n° 06LY01819, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1656EKK).
(13) Daniel Gutmann, Droit fiscal des affaires, Montchrestien, Domat Droit privé, 2ème édition, 2011, § 847.
(14) Yves Laisne, Guide pratique de la dissolution-confusion, EFE, 2009, 384 pages, n° 8.
(15) Antérieurement en matière de transmission universelle, forme de dissolution-confusion, le contentieux le plus important est relatif à l'article 1518 B (N° Lexbase : L2932IGP) à propos de la valeur locative à retenir comme base d'imposition.
(16) Ghislaine Werbrouck, La pratique de la taxe professionnelle, Editions Francis Lefebvre, 3ème édition, 2006, 1181 pages, § 26164.
(17) CAA Lyon, 5ème ch., 28 mai 2009, n° 06LY01819, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1656EKK).

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Justice

[Jurisprudence] Légalité de la redevance d'occupation du domaine public en contrepartie de l'occupation privative d'un palais de justice

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 7 mai 2012, n° 341110 (N° Lexbase : A1827ILA)

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N2356BTG

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 14 Juin 2012

La Cour des comptes passe chaque année au crible la gestion des deniers publics et, comme chaque année, le volumineux rapport annuel s'ouvre sur la situation d'ensemble des finances publiques dont on sait le caractère critique ces derniers temps. Dans cet esprit et depuis l'entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) (1) est notamment mise en oeuvre une certaine rénovation de la politique immobilière de l'Etat avec, comme point d'orgue, cette volonté d'utiliser le patrimoine public dans des conditions qui garantissent la performance immobilière et la préservation de sa valeur. Il convient désormais que l'Etat assume effectivement son rôle de propriétaire, en matière d'utilisation et de valorisation de ses biens. Le régime de l'affectation des biens domaniaux est ainsi abrogé (2) et remplacé par un régime de conventions conclues entre "l'Etat propriétaire" et les utilisateurs (administrations et opérateurs). La convention d'utilisation précisera le loyer budgétaire et son indexation, les critères d'amélioration de la performance immobilière, le ratio d'occupation cible, l'entretien immobilier relevant du propriétaire et les conditions de rupture ou de renouvellement de ladite convention. Cette analyse de l'occupation de chaque bien domanial sera l'occasion d'examiner l'opportunité de l'occupation de ce bien, du point de vue du propriétaire. Ces conventions d'occupation pour les services de l'Etat concernent, parmi d'autres, les tiers occupants dans les palais de justice. Ces tiers occupants sont principalement les avocats qui disposent de locaux pour le barreau, les greffes privés des tribunaux de commerce, les avoués, les huissiers d'audience, les associations (d'aides aux victimes, de contrôle judiciaire, ...) (3). C'est un usage ancien qui permet aux avocats d'occuper les surfaces des palais de justice à titre gratuit sans disposer systématiquement d'un titre d'occupation régulièrement délivré par l'administration et sans participer toujours aux frais d'exploitation des bâtiments. En ce sens, la Cour des comptes a pu observer et s'est notamment émue que des bâtiments publics et, en particulier, les palais de justice, pouvaient ainsi être occupés gratuitement par des Ordres privés remettant en cause en cela, sans concertation véritable, un principe fondamental : la présence des Ordres au sein des tribunaux. Cette présence étant la reconnaissance de la place de l'avocat au sein de la juridiction et, la gratuité, la contrepartie des services rendus aux justiciables par le barreau. La circulaire du 24 décembre 2009 (N° Lexbase : L1954ITK), qui contient des dispositions impératives, a pour objet de préciser, justement, les conséquences des nouvelles dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques sur la situation des tiers occupants dans les palais de justice. Est notamment mis en avant le caractère onéreux de l'occupation du domaine public et la nécessité de mettre en place des titres d'occupation et de conventions de répartition des charges. La profession a pu d'abord s'émouvoir des termes employés par la circulaire. Tiers : "personne étrangère" nous dit le petit Robert. Occupant : "qui prend possession". "Ni partenaires, ni acteurs, nous étions jusqu'ici de simples auxiliaires de Justice. Nous voici désormais promus au rang de 'tiers occupant'" (4). L'avocat serait-il donc étranger à l'activité judiciaire de son palais ? L'occupation par son Ordre pour satisfaire les besoins de sa mission d'assistance auprès des justiciables les plus démunis serait-elle illégitime en l'absence de contrepartie financière ? Le barreau de Versailles a, ensuite, été le seul à refuser catégoriquement le principe même de cette contribution financière en contestant cette circulaire devant le juge administratif et en rappelant avec force que la profession participe à une mission de service public et que c'est en effet, à ce titre, que le barreau de Versailles disposait gratuitement jusqu'à ce jour des locaux nécessaires à l'accomplissement, digne, de cette mission.

Les requérants ont alors soutenu que la circulaire, qui modifie la situation juridique des Ordres des avocats à l'égard des locaux qu'ils occupent dans les Palais de justice, est illégale dès lors qu'elle a pour effet de prévoir que le domaine public ne peut être occupé qu'à titre onéreux, et qu'en ajoutant à la loi, elle revêt par suite un caractère réglementaire et serait en conséquence entachée d'incompétence. Pour rejeter la requête, le Conseil d'Etat juge, au contraire, après avoir constaté le caractère impératif de la circulaire, qu'en ne rappelant pas les exceptions au caractère onéreux de toute occupation privative du domaine public, celle-ci n'avait pas ajouté irrégulièrement à la loi. Après avoir rappelé les dispositions de l'article L. 2125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L1665IPD) qui font du paiement d'une redevance la règle pour l'utilisation privative du domaine public, la Haute juridiction considère "que même si la circulaire attaquée ne réitère pas les exceptions, relatives à l'occupation à titre gratuit, énumérées par cet article, il ne résulte d'aucun de ses termes qu'elle affirme le principe selon lequel le domaine public ne peut être concédé qu'à titre onéreux et qu'elle aurait ainsi ajouté à la loi".

En outre, le Conseil d'Etat retient aussi que, si l'Ordre des avocats concourt à certaines missions d'intérêt général qui lui ont été dévolues par la loi du 31 décembre 1971 (5), il n'est pas au nombre des "associations à but non lucratif" auxquelles les dispositions de l'article L. 2125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques réservent la possibilité de bénéficier d'une autorisation d'occupation du domaine public à titre gratuit. La Haute juridiction administrative a donc jugé à raison que l'Ordre des avocats ne pouvait être assimilé à une association à but non lucratif dans la mesure où la loi ne donne pas à un Ordre des avocats la personnalité morale qui lui aurait permis d'ester en justice. C'est le barreau des avocats qui a cette personnalité et qui aurait dû plaider. La personnalité morale lui a été donnée, justement, en la qualité d'établissement d'utilité publique (6).

Avant la réforme du Code général de la propriété des personnes publiques, il était considéré, au moins par la plupart des juridictions, que les barreaux, participant du service public de la justice, pouvaient avoir des locaux à disposition au palais gratuitement. Il n'est pas certain que le Code précité ait modifié ce principe mais le domaine public est aujourd'hui perçu comme un périmètre dont l'objet est d'être géré efficacement, en dépit de son affectation. La valorisation des patrimoines administratifs est encouragée ce qui remet en cause certains usages. C'est en ce sens qu'est modifié le principe de gratuité en l'espèce mais le juge ne va-t-il pas trop loin pour favoriser cette nouvelle vision des choses ? S'il faut dynamiser la propriété publique, cela ne doit pas nécessairement se faire au détriment des exigences d'intérêt général. Ainsi, si la solution d'espèce se justifie à travers le principe actuel de l'utilisation payante de l'occupation sans titre du domaine public (I), elle montre néanmoins que les contours de ce principe sont pour le moins incertains, ces contours laissant apparaître certaines contradictions qui ne sont pas négligeables (II).

I - Une utilisation payante de l'occupation sans titre du domaine public clairement confirmée

Le principe d'une redevance ou indemnité pour occupation sans titre du domaine public était une réalité positive sans être forcément consacré par le juge et le législateur. Le nouveau Code général de la propriété des personnes publiques a mis la réalité en adéquation avec la règle législative donnant à la gratuité le statut d'exception. C'est la nécessité actuelle de valorisation du domaine public (A) qui a notamment permis cette évolution, évolution qui confirme l'effacement progressif de la gratuité de l'occupation privative du domaine public (B).

A - La nécessité actuelle de valorisation du domaine public

C'est l'intitulé du nouveau Code, lui-même, et au-delà de sa lourdeur inutile, qui vise la propriété, pas les domaines et qui révèle un nouveau paradigme : le centre de gravité de la théorie domaniale se déplace d'une logique de protection (centrée sur l'affectation publique) vers une démarche de valorisation (fondée sur le droit de propriété).

Alors, certes, le mot "valorisation" prend un sens singulier lorsqu'on l'applique aux biens publics. Cette singularité s'exprime d'abord par l'étrange émergence d'une dimension économique dans l'identification d'une catégorie de biens que notre tradition historique situe plutôt en dehors du champ de la circulation des richesses. Elle exprime, en second lieu, cette idée que la gestion optimisée des biens publics est une gestion d'un type particulier puisque la réalisation d'une plus-value ou la poursuite d'une rentabilité trouvent leurs limites dans le respect de l'intérêt général.

Mais la valorisation du domaine public se situe, depuis plusieurs décennies, au coeur des débats que suscite le droit des propriétés publiques. Elle en est le maître mot. Elle y apparaît même comme l'objectif primordial à atteindre. Et cette valorisation passe au premier chef par un renforcement des garanties octroyées aux occupants et par une amélioration corrélative des possibilités de financement de leurs investissements. En tant qu'il conditionne la valorisation du domaine, le statut de l'occupant privatif se trouve donc placé au centre des préoccupations.

Le nouveau Code tout entier favorise cette valorisation par la nouvelle délimitation du champ d'application de la domanialité publique, la modification intervenue dans le déclassement et la désaffectation, et même le transfert des propriétés publiques entre personnes publiques qui sont autant de révisions normatives qui favorisent une gestion plus moderne des patrimoines publics. Mais l'enjeu même de la réforme du Code général de la propriété des personnes publiques se situait dans le régime des autorisations privatives du domaine et, plus précisément, dans les réponses aux questions soulevées à leur sujet par le droit antérieur. Or, on peut être déçu par l'apport du Code sur ce terrain.

A maints égards, les occupations privatives du domaine public font, en effet, figure de parents pauvres du nouveau code. Malgré son objectif affiché de clarification des règles et de valorisation du domaine, celui-ci n'introduit dans leur régime que des innovations de portée limitée, qui n'entraînent pas d'améliorations vraiment significatives et qui engendrent même parfois une complication du droit antérieur, quand elles ne se traduisent pas par un manque de cohérence regrettable des règles nouvelles. Le Code général de la propriété des personnes publiques laisse sans solution nombre des questions qui se posaient jusqu'alors et qui continuent donc de faire difficulté au titre desquelles on peut aujourd'hui rajouter le cas d'espèce à propos de l'occupation privative des palais de justice par des ordres privés. L'objectif de valorisation est un incontestable facteur d'unité du droit public des biens que marque bien la référence à la propriété dans le titre du nouveau code mais cette unité s'accompagne d'une certaine complexité des régimes juridiques des occupations domaniales.

B - L'effacement progressif de la gratuité de l'occupation privative du domaine public

Le principe d'une indemnité pour occupation sans titre du domaine public n'a pas été forgé par le juge. Ainsi, c'est l'article L. 28 du Code du domaine de l'Etat en vigueur jusqu'en 2006 qui disposait que : "nul ne peut, sans autorisation délivrée par l'autorité compétente, occuper une dépendance du domaine public national ou l'utiliser dans des limites excédant le droit d'usage qui appartient à tous. Le service des domaines constate les infractions aux dispositions de l'alinéa précédent en vue de poursuivre, contre les occupants sans titre, le recouvrement des indemnités correspondant aux redevances dont le Trésor a été frustré [...]". Cette rédaction n'était pas satisfaisante, parce qu'elle laissait de côté le domaine public des personnes publiques autres que l'Etat et ses établissements publics.

On pouvait donc s'attendre à ce que le Code général de la propriété des personnes publiques en reprît la teneur tout en étendant sa portée. Il l'a fait, sans viser toutefois le cas particulier de l'occupation sans titre. Le Code affirme que "toute occupation ou utilisation du domaine public" est soumise au paiement d'une redevance (CGPPP, art. L. 2125-1), en dehors d'exceptions limitativement énumérées. Par son caractère général, la formule vise les occupations tant régulières que sans titre. De même, en imposant une redevance uniquement pour "toute occupation ou utilisation du domaine public", le Code n'a pas gratifié cette dernière du qualificatif de "privative" ce qui forcément accentue le malaise autour de la gratuité.

L'occupation privative du domaine public entraîne donc le paiement d'une redevance domaniale même lorsque cette occupation se fait sans droit ni titre (7). Peu importe que cette occupation résulte d'une autorisation unilatérale, d'un contrat ou d'une occupation sans titre. Le Code général de la propriété des personnes publiques a gravé ce principe dans le marbre au premier alinéa de son article L. 2125-1, en étendant ce qui était déjà la règle pour l'Etat et les établissements publics, à l'ensemble des redevances domaniales.

En codifiant le principe d'une utilisation payante du domaine, le Code confirme l'effacement progressif de la gratuité de l'occupation privative du domaine public. En l'état actuel du droit, si on considère que le domaine public doit être géré dans la poursuite de l'intérêt général, il n'est pas moins admis qu'il est l'objet d'une valorisation et d'une exploitation patrimoniale et qu'à ce titre il peut être une source de revenus pour son propriétaire qui soumet son occupation privative à perception de redevance, sous réserve de dispositions législatives contraires.

Le codificateur a ainsi entendu tirer les conséquences de la multiplication des utilisations privatives payantes qui, au titre des exceptions, ont progressivement contribué à vider le prétendu principe de gratuité de son contenu. En accordant à la gratuité le statut d'exception et à la non-gratuité celui de principe, le législateur met le code en adéquation avec la réalité positive. L'occupation du domaine public a en effet longtemps été gratuite sauf exceptions. Mais, ces occupations étant à l'origine de bénéfices importants pour leurs bénéficiaires, le législateur estima qu'il convenait de rémunérer le propriétaire des dépendances domaniales. La perception d'une redevance en contrepartie d'une autorisation d'occupation privative du domaine public est donc un principe de rang législatif : il ne peut donc être aménagé et il ne peut y être dérogé que par la loi.

La gratuité n'a donc jamais été une loi du domaine public et la jurisprudence, qui s'était d'ailleurs bien gardée d'affirmer l'existence d'un principe de gratuité des occupations privatives du domaine public, a tiré les conséquences de ces évolutions, une cour administrative d'appel allant même jusqu'à énoncer, en 2004, un principe général du droit de non-gratuité des autorisations privatives, qui ne peut être limité que par une exigence d'intérêt général (8). L'affirmation du principe n'empêche pourtant pasl'existence de certaines zones d'ombre.

II - Une utilisation payante de l'occupation sans titre du domaine public aux contours incertains

Le législateur a laissé subsister, dès le Code général de la propriété des personnes publiques, certaines exceptions au principe de l'occupation privative sans titre du domaine public. Pour autant, ces "îlots de gratuité" ont posé bien des soucis dans l'application du principe de gratuité (A). A ces exceptions textuelles s'ajoutent d'autres exceptions plus éparses et difficilement identifiables qui confirment le malaise autour de la gratuité (B).

A - Des incertitudes quant aux "îlots de gratuité" autorisés par le législateur

Des exceptions au caractère onéreux des autorisations privatives ont bien été prévues dès la publication du Code général de la propriété des personnes publiques. Elles apparaissent clairement à la suite du deuxième alinéa (9). Mais, à l'usage, elles se sont révélées rapidement insuffisantes. C'est pourquoi la loi du 20 décembre 2007, relative à la simplification du droit (10), a d'abord ajouté une nouvelle exception et donc un nouvel alinéa à cet article. Ainsi, "l'autorisation d'occupation ou d'utilisation du domaine public peut également être délivrée gratuitement lorsque cette occupation ou cette utilisation ne présente pas un objet commercial pour le bénéficiaire de l'autorisation" (11). Cet alinéa a permis à de nombreuses associations d'utiliser le domaine public faute de disposer de moyens financiers pour payer les redevances exigées, leur action pouvait être soutenue par les collectivités territoriales que ces associations soient chargées de mission de service public ou pas. C'est à une approche subjective qu'avait invité ainsi le législateur : la gratuité de l'occupation ne dépendant pas seulement de la nature commerciale de leurs activités mais aussi de la fin poursuivie par l'occupant. En réalité, le bénéfice de cette dérogation ne se limitait pas aux seules associations, des particuliers obtenant une servitude sur le domaine public pouvaient réclamer sa gratuité (12). Pour faire face au trop grand nombre de sollicitations, le législateur est de nouveau intervenu pour modifier l'article L. 2125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques par une dernière disposition prenant la forme suivante : "En outre, l'autorisation d'occupation ou d'utilisation du domaine public peut être délivrée gratuitement aux associations à but non lucratif qui concourent à la satisfaction d'un intérêt général". La nouvelle disposition apparaît plus simple, outre qu'elle concerne dorénavant toutes les personnes publiques, y compris l'Etat, il suffit que l'association sans but lucratif exerce sur le domaine public une activité d'utilité publique pour qu'elle puisse échapper à la redevance domaniale.

Le champ des activités éligibles est ainsi plus large puisqu'il suffit qu'elles participent de l'utilité publique. En effet, elles ne se réduisent pas à celles de services publics. Elles peuvent même relever du domaine marchand. Dit autrement, il peut s'agir d'activités industrielles et commerciales. Cependant, la souplesse accordée du côté de l'activité se trouve limitée par la nouvelle rigueur quant aux bénéficiaires possibles de la gratuité. En effet, il ne s'agira plus que des associations sans but lucratif. Le nouvel article L. 2125-1, alinéa 5, sera réservé aux seules associations effectivement sans but lucratif. La vérification ne sera peut-être pas toujours aisée, mais le critère paraît relativement clair. C'est le cas en l'espèce pour l'Ordre des avocats au barreau de Versailles.

Une nouvelle exception a aussi été ajoutée par le législateur à l'initiative du Gouvernement, la loi de finances pour 2008 (13) ayant adjoint une phrase au premier alinéa pour consacrer l'arrêt du Conseil d'Etat 31 octobre 2007 (14) permettant à l'Etat d'installer gratuitement des radars sur les routes des collectivités territoriales. Il s'agissait pour le législateur de mettre fin à la guerre des radars. La "départementalisation" d'une large part de la voirie nationale a déclenché une passe d'armes inédite. Certains départements y ayant vu un transfert de charges sans moyens financiers correspondants, ils ont exigé de l'Etat le versement d'une redevance domaniale à raison des radars installés sur les voies en cause. Rapidement saisies, les juridictions de premier ressort et d'appel ont rendu des décisions contradictoires. Le Conseil d'Etat a finalement tranché sans surprise, en faveur de l'Etat, considérant que ces équipements sont intégrés à la voirie routière, donc qu'ils ne l'occupent ni ne l'utilisent moyennant quoi, les départements ne sauraient exiger une quelconque redevance de l'Etat.

B - Des exceptions éparses au principe d'onérosité de l'usage privatif du domaine public

L'onérosité de l'usage privatif n'avait jusqu'à présent rien de systématique, la pratique révélant de nombreuses locations à vil prix, voire des occupations gratuites, justifiées par des nécessités d'intérêt général plus ou moins avérées.

En premier lieu, l'exigence d'une redevance correspondant à la valeur locative du bien souffre, dans certains cas, de multiples exceptions. Certaines sont prévues par les textes, par exemple, la location de bâtiments au rabais à des entreprises par les collectivités locales (15) ou la location d'infrastructures destinées à supporter des réseaux de téléphonie mobile dont la location est autorisée à des tarifs préférentiels aux opérateurs privés (16). Le Code général de la propriété des personnes publiques écarte aussi parfois le principe de cession des biens publics à la valeur du marché : par exemple en ce qui concerne les cessions des terrains de l'Etat pour le logement social (CGPPP, art. L. 3211-7 N° Lexbase : L0950IPU) ou les monuments aux morts (CGPPP, art. L. 3212-1 N° Lexbase : L4649IQA). Des dérogations sont admises par le juge, lorsqu'un intérêt général le justifie même si le lien avec l'intérêt général n'est pas toujours net. C'est le cas, par exemple, pour la location au franc symbolique de terrains communaux à une association de chasseurs (18) ou la location au franc symbolique d'un étang communal à une société de pêche (19).

En second lieu, les mises à disposition gratuites sont également courantes entre collectivités publiques. On peut citer, à titre d'exemple, la mise à disposition gratuite, à des concessionnaires, de terrains publics nécessaires à la concession (20). De même, des navires appartenant à l'Etat ont pu être exonérés des redevances portuaires (21) comme un local municipal a pu être mis à disposition au franc symbolique à une Maison des jeunes et de la culture (22). Dans le même sens, il a pu être jugé qu'en l'absence de convention fixant les conditions d'indemnisation d'une personne publique pour la mise à disposition d'une autre personne publique d'un bien immobilier nécessaire à l'exécution d'une mission de service public, la collectivité propriétaire ne saurait exiger le paiement d'une indemnité d'occupation (23). Ces mises à disposition peuvent bien entendu aussi intervenir entre les organes d'une même personne publique, y compris lorsque la gestion des biens en cause est attribuée à un établissement public distinct. C'est le cas, par exemple, du château de Versailles qui met gratuitement à la disposition du Parlement ses locaux lorsqu'il se réunit en Congrès (24).

Aujourd'hui, l'obligation de percevoir une redevance pour l'occupation du domaine public paraît excessivement rigide et les dérogations trop étriquées. L'exemple même de l'occupation sans titre des palais de justice par les avocats est à cet égard révélateur. Pascal Fournier, ancien Bâtonnier, rappelle quelques chiffres significatifs à propos de l'activité des avocats versaillais au sein du palais de justice : "En 2009, les avocats versaillais ont tenu comme il se doit la permanence pénale sept jours sur sept, pour assurer la défense de 3 700 justiciables. Ce chiffre est en constante augmentation puisque pour l'année 2010 le nombre d'interventions, notamment dans le cadre de la procédure de comparution immédiate, a déjà atteint sur les neuf premiers mois de l'année le total de l'année 2009. Au titre des commissions d'office hors permanence, le Bâtonnier a effectué 5 410 désignations d'avocats dont 1 120 réservées aux CRPC. Environ 90 % des bénéficiaires sont admis au titre de l'aide juridictionnelle. Au total, toutes juridictions confondues (civiles, pénales et administratives) ce sont 17 000 missions qui ont été réparties, entre 280 avocats volontaires du barreau de Versailles. Il faut y ajouter les 6 723 entretiens effectués au titre de la garde à vue, de jour comme de nuit, sept jours sur sept. Ainsi que la participation du barreau de Versailles à l'accueil des justiciables au sein même du palais de justice et l'organisation des consultations gratuites hebdomadaires" (25).

Le dispositif actuel manque en ce sens légèrement de réalisme. Les parlementaires eux-mêmes réclament plus de souplesse notamment par rapport au secteur associatif social.

Comme pourrait le signaler le Professeur Philippe Yolka : "Dynamiser la propriété publique sans dynamiter les exigences d'intérêt général qui l'irriguent, tel est le défi des temps qui viennent" (26). Il faut aussi se rappeler que "la recherche de revenus sonnants et trébuchants est un plus et non pas une fin de la gestion du domaine public" (27).


(1) Ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006, relative à la partie législative du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L3736HI9).
(2) Décret n° 2008-1248 du 1er décembre 2008, relatif à l'utilisation des immeubles domaniaux par les services de l'Etat et ses établissements publics (N° Lexbase : L8810IBW).
(3) Il peut s'agir ponctuellement d'autres services de l'Etat : secrétariat de l'officier du ministère public, service pénitentiaire d'insertion et de probation et autres services de l'administration pénitentiaire, service éducatif auprès du tribunal et autres services de la protection judiciaire de la jeunesse, médecine du travail et de prévention, mutuelle justice, self, buvette ....
(4) Voir, pour l'ensemble de ces remarques, Pascal Fournier, Ouvrier de la défense, Rentrée Solennelle du barreau de Versailles, Les annonces de la Seine, 21 octobre 2010, n° 52.
(5) Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ).
(6) Cf. loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, précitée, art. 21-1.
(7) Voir, en ce sens : Cass. civ. 1, 21 janvier 1992, n° 90-13.848 (N° Lexbase : A5179AHB), Bull. civ. I, 1992, I, n° 19, DA, 1992, comm. n° 144 ; CE, 25 novembre 1981, n° 20539 (N° Lexbase : A7717AKZ) ou CE, 14 octobre 2005, n° 254170 (N° Lexbase : A0020DLC).
(8) CAA Marseille, 6 décembre 2004, n° 00MA01740 (N° Lexbase : A1418DGM), AJDA, 2005, p. 832, note Deliancourt, Contrats-Marchés publ., 2005, juin, comm. n°165, note G. Eckert ; JCP éd. A, 2006, n° 1192, comm. J. Moreau.
(9) "Par dérogation aux dispositions de l'alinéa précédent, l'autorisation d'occupation ou d'utilisation du domaine public peut être délivrée gratuitement : 1° Soit lorsque l'occupation ou l'utilisation est la condition naturelle et forcée de l'exécution de travaux ou de la présence d'un ouvrage, intéressant un service public qui bénéficie gratuitement à tous ; 2° Soit lorsque l'occupation ou l'utilisation contribue directement à assurer la conservation du domaine public lui-même".
(10) Loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007, relative à la simplification du droit (N° Lexbase : L5483H3H).
(11) Article 18 de la loi précitée.
(12) Cf. N. Foulquier, Les servitudes sur le domaine public, Droit & patrimoine, 2009, n° 179, p. 69.
(13) Loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007, de finances pour 2008 (N° Lexbase : L5488H3N), art. 40-IV-1.
(14) CE, 31 octobre 2007, n° 306338 (N° Lexbase : A2028DZ7), AJDA, 2007, p. 2111, obs. Pastor, DA, 2008, n° 1, p. 34, note F. Melleray, JCP éd. G, 2007, I, n° 214, chronique B. Plessix et F. Dieu et JCP éd. A, 2007, n° 38, p. 2318, note C. Lavialle.
(15) CGCT, art. R. 1511-19 (N° Lexbase : L2639IGT) et suiv.. En ce sens, les rabais qui dépassent les seuils fixés sont naturellement illégaux. Voir, par ex., CE, 6 avril 1998, n° 151752 (N° Lexbase : A7105ASX), Rec. CE, p. 132, AJDI, 1998, p. 1045, note Chouvel, BJCP, n° 1, 1998, p. 80, concl. Goulard.
(16) Cf. décret n° 2003-1072 du 14 décembre 2003, relatif aux aides des collectivités territoriales et de leurs groupements à la location d'infrastructures destinées à supporter des réseaux de téléphonie mobile qui insère les articles R. 1511-44 et suivants au CGCT (N° Lexbase : L5990DLG).
(17) Par ex. : CE, 17 juin 1887, Ville de Paris, DP, 1888, 3, p. 81 ; CE, 15 décembre 1941, Guillou, Rec. CE, p. 205 ou encore CE, 31 mars 1995, n° 158542 (N° Lexbase : A3223ANP).
(18) CAA Douai, 31 mai 2001, n° 98DA00962 (N° Lexbase : A1882BMN).
(19) CAA Nancy, 21 novembre 1989, n° 89NC0003 (N° Lexbase : A5460A8Q).
(20) Voir, par ex., pour le terrain d'assiette d'une piscine : TA Nantes, 6 novembre 2001, BJCP, n° 21, mars 2002, p. 160.
(21) CE, 21 février 1996, n° 125303 (N° Lexbase : A7525ANZ).
(22) Cass. civ. 1, 19 décembre 1995, n° 93-21.657 (N° Lexbase : A6153ABI), DA, 2001, n° hors série, comm. n° 443.
(23) TA Nice, 25 novembre 2005, SIVOM Artuby-Verdon, AJDA, 2006, p. 819, note F. Dieu, BJCL, 2006, p. 188, concl. Dieu, obs. Degoffe.
(24) Cf. l'annexe de l'article 60 de la loi n° 2003-710 du 1er août 2003, d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine (N° Lexbase : L3558BLD). Voir également, la loi n° 2005-844 du 26 juillet 2005, tendant à mettre à la disposition du public les locaux dits du Congrès, au château de Versailles (N° Lexbase : L8802G9U).
(25) Pascal Fournier, Ouvrier de la défense, Rentrée solennelle du barreau de Versailles, Les annonces de la Seine, 21 octobre 2010, n° 52. Il faut aussi rappeler, notamment et toujours selon cet auteur, "que les avocats désignés ne reçoivent pas de rémunération mais une simple indemnité couvrant à peine les charges incompressibles induites par ces missions. Les Ordres supportent quant à eux un coût de gestion important et en constante augmentation, essentiellement en termes de personnel".
(26) P. Yolka, Requiem pour la gratuité ?, JCP éd. A, 2007, act. n° 170.
(27) N. Foulquier, Les nouvelles limites au caractère onéreux des autorisations domaniales, RDI, 2008, p. 218.

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Responsabilité médicale

[Panorama] Panorama de responsabilité médicale (février 2012 - mai 2012)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 14 Juin 2012

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver le panorama de responsabilité civile médicale de Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit médical", consacrée à l'actualité parue de novembre 2011 à février 2012. En matière de responsabilité médicale, on relèvera, entre autres, l'arrêt du Conseil d'Etat rendu le 17 février 2012, ayant retenu l'absence de faute de prise en charge et de soins d'un centre hospitalier spécialisé en raison de l'agression dont s'est rendu responsable un patient en hôpital de jour (CE, 5° et 4° s-s-r., 17 février 2012, n° 334766, publié au recueil Lebon) ; ou encore un arrêt du 22 mars 2012, par lequel la première chambre civile de la Cour de cassation a retenu que caractérise la perte de chance d'avoir pu échapper, en tout ou partie, au dommage qui s'est finalement réalisé, le constat du caractère fautif de l'absence de contention après traitement qui impliquait nécessairement que la contention aurait pu, si elle avait été mise en place, avoir une influence favorable sur l'évolution de la pathologie (Cass. civ. 1, 22 mars 2012, n° 11-10.935, F-P+B+I) ; s'agissant plus spécifiquement des infections nosocomiales, à noter également un arrêt du 17 février 2012 ayant précisé que la force majeure qui exonère l'hôpital de sa responsabilité en matière d'infection nosocomiale s'entend d'une circonstance extérieure à l'activité hospitalière, ce qui n'est pas le cas de la réanimation (CE 5° et 4° s-s-r., 17 février 2012, n° 342366, mentionné dans les tables du recueil Lebon) ; s'agissant des produits de santé, il ressort de trois arrêts rendus par le Conseil d'Etat que les dommages causés par l'utilisation des produits de santé sont soumis au régime de la responsabilité sans faute, et non au régime applicable aux produits défectueux de la Directive 85/374 du 25 juillet 1985 (CE, 5° et 4° s-s-r., 12 mars 2012 n° 327449 ; CE, 5° et 4° s-s-r., 14 mars 2012, n° 324455 ; CE, 5° et 4° s-s-r., 24 avril 2012, n° 331967). A noter, enfin, en matière de solidarité nationale, un autre arrêt du Conseil d'Etat du 17 février 2012, précisant que le fait qu'une personne ait manifesté des symptômes d'une sclérose en plaques antérieurement à la vaccination contre l'hépatite B qu'elle a reçue n'est pas, par lui-même, de nature à faire obstacle à ce que soit recherchée l'imputabilité de l'aggravation de cette affection à la vaccination (CE, 5° et 4° s-s-r., 17 février 2012, n° 331277, mentionné dans les tables du recueil Lebon). 1. Responsabilité médicale

1.1. Responsabilité pour faute

  • Absence de faute de prise en charge et de soins d'un centre hospitalier spécialisé en raison de l'agression dont s'est rendu responsable un patient en hôpital de jour (CE, 5° et 4° s-s-r., 17 février 2012, n° 334766, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8524ICP ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0539ERE)

Les faits. Un patient âgé de 17 ans, qui faisait l'objet d'un suivi médical en hôpital de jour au centre hospitalier de Brive la Gaillarde en raison de troubles psychiques, a grièvement blessé sa mère lors d'une crise de démence. Les parents ont alors agi en responsabilité civile contre l'établissement, mais ont été déboutés de leurs demandes tant par le tribunal administratif de Limoges que par la cour administrative d'appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 1ère ch., 15 octobre 2009, n° 08BX00922, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7774ET4). Ils n'auront pas plus de succès devant le Conseil d'Etat qui rejette leur recours en annulation et écarte toute faute de l'établissement, après avoir mis à l'écart deux régimes de responsabilité sans faute fondés sur le risque et la garde.

Détermination du régime applicable. Les faits étant antérieurs au 5 septembre 2001, date d'application des articles L. 1142-1 et suivants du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH), il y avait lieu d'appliquer le droit commun de la responsabilité administrative.

Eviction de la responsabilité pour risque spécial. En premier lieu, le Conseil d'Etat confirme une solution dégagée autrefois pour l'hospitalisation libre selon laquelle les dommages causés par un patient soumis au régime de l'hôpital de jour ne relèvent pas du régime de la responsabilité pour risque spécial (1) : "l'hôpital de jour, qui est un mode de prise en charge hospitalier destiné à assurer des soins polyvalents mis en oeuvre par une équipe pluridisciplinaire en un lieu ouvert à la journée selon une périodicité déterminée pour chaque patient, ne constitue pas une méthode thérapeutique créant un risque spécial pour les tiers susceptible d'engager sans faute la responsabilité de l'administration" (2).

Eviction de la responsabilité pour garde. En second lieu, le Conseil d'Etat a considéré qu'en l'espèce il n'y avait pas non plus lieu de faire application du régime de responsabilité pour garde, dégagé en 2005 pour les mineurs confiés à la PJJ (3) et confirmé s'agissant de la responsabilité du Conseil général en raison de dommages causés par un mineur confié à un établissement relevant de l'ASE (4), et qui constitue une autre hypothèse de responsabilité sans faute, dès lors que "l'admission (du jeune patient) en hôpital de jour au sein du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde n'a pas eu pour effet de transférer à cet établissement la responsabilité d'organiser, diriger et contrôler la vie de ce mineur qui se trouvait, à la sortie de l'hôpital de jour, sous la garde légale de son père".

Cette mise à l'écart est logique dans la mesure où les établissements de santé spécialisés ne prennent pas en charge dans leur globalité les patients en hôpital de jour, ce qui fait que les conditions de mise en oeuvre de ce "nouveau" cas de responsabilité administrative fondée sur la "garde" n'est pas logiquement applicable ici.

Eléments constitutifs de la faute administrative. Dans la mesure où aucun de ces deux régimes de responsabilité sans faute n'était possible, il convenait de faire application du régime de droit commun de la responsabilité pour faute médicale. Or, à l'examen du dossier, il apparaissait qu'aucune faute de prise en charge ou de soins ne pouvait être retenue à la charge de l'établissement (5).

Pour parvenir à cette conclusion, le Conseil d'Etat s'est fondé sur un faisceau d'indices faisant apparaître que confrontés à une maladie mentale lourde et ancienne, "les médecins du centre hospitalier de Brive avaient mis en oeuvre des traitements, notamment médicamenteux, adaptés à la pathologie du malade et conformes aux données de la science et que le traitement en hospitalisation de jour dans cet établissement, avec retour quotidien dans la famille, mis en place en août 2 000 après une période d'essai, se poursuivait sans incident depuis près de quatre mois, l'état du patient étant en voie d'amélioration, sans qu'il ait manifesté de signes d'agressivité à l'égard de son entourage ou ait tenté de passer à l'acte". Dès lors, l'agression litigieuse présentait un caractère "imprévisible" ne pouvant être imputée à une quelconque faute de l'établissement (6).

  • Aucune insuffisance dans la prise en charge postopératoire ni défaut de surveillance médicale n'avait été caractérisée à l'encontre de la clinique (Cass. civ. 1, 23 février 2012, n° 10-25.895, F-D N° Lexbase : A3280IDT ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : A3280IDT)

Contexte. Cet arrêt constitue une nouvelle illustration des contentieux qui peuvent naître entre les patients hospitalisés et les cliniques à qui une faute d'organisation ou de surveillance est reprochée. En l'absence d'antécédents faisant clairement apparaître l'existence d'un risque particulier de dommage pour le patient, la probabilité d'obtenir la condamnation de l'établissement est faible lorsque le dommage résulte avant tout du fait du patient lui-même (7).

Faits. Un patient s'était défenestré alors qu'il était hospitalisé après une intervention chirurgicale. L'hypothèse d'une "fugue" avait été privilégiée de préférence à celle d'un suicide car l'intéressé avait exprimé à plusieurs reprises son désir de rentrer rapidement à son domicile après l'intervention. La famille de la victime avait été déboutée de ses demandes indemnitaires et prétendait obtenir la cassation de l'arrêt d'appel en reprochant à l'établissement de n'avoir pris aucune mesure "pour éviter qu'il ne parvienne, d'une manière ou d'une autre, à quitter l'établissement".

Solution. Le pourvoi est logiquement rejeté. La Cour de cassation relève, en effet, que "la cour d'appel, faisant siennes les constatations des premiers juges, a relevé que, si [la victime] avait manifesté par ses propos le désir de sortir de l'hôpital pour rentrer dans sa famille, aucun signe ne pouvait permettre d'envisager un quelconque risque de défenestration, que sa chambre n'était pas fermée à clef, qu'il pouvait en sortir ce qu'il a d'ailleurs fait à plusieurs reprises dans la soirée pour déambuler dans le couloir et venir au bureau de service demander à l'infirmière de lui appeler un taxi pour pouvoir rentrer chez lui, que, chaque fois, il l'a réintégrée comme le personnel soignant le lui demandait sans aucune réticence ni agressivité ; qu'elle a constaté en outre que le personnel avait, dans la soirée, effectué une visite quasiment toutes les heures lors desquelles le patient était calme, que les fenêtres étaient conformes à la réglementation et qu'aucune insuffisance dans la prise en charge postopératoire ni défaut de surveillance médicale n'avait été caractérisée à l'encontre de la clinique".

1.1.1. Obligation d'information

  • Les juges du fond apprécient souverainement si le consentement du patient à l'acte médical est donné de manière libre et éclairée (Cass. civ. 1, 22 mars 2012, n° 10-27102, F-D N° Lexbase : A4067IGQ ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0197ERQ)

Contexte. L'inversion de la charge de la preuve du manquement à l'obligation médicale d'information, réalisée en jurisprudence en 1997 et confirmée par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 "Kouchner" (N° Lexbase : L1457AXA), impose au médecin de prouver, par tous moyens, que le patient a été informé et qu'il a donné son consentement à l'acte médical. Il peut, pour se faire, se fonder sur le comportement du patient (8), produire des éléments du dossier médical (9) ou des témoignages de l'équipe médicale. Mais comment savoir si ce consentement est éclairé lorsqu'il faut agir dans l'urgence, que le patient est sous l'emprise de médicaments et contraint de faire un choix ? Ce sont les juges du fond qui, souverainement, le détermineront, comme le montre cet arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 22 mars 2012.

L'affaire. Une patiente se plaignait des circonstances dans lesquelles elle avait été conduite à donner son consentement à la ligature de ses trompes de Fallope : elle se trouvait sur la table d'opération où elle avait subi une césarienne, réalisée sous péridurale et alors qu'on lui administrait deux médicaments (Syntocynon et Nabain), et sans véritable délai de réflexion puisque cette éventualité n'avait pas été envisagée avant l'accouchement.

La patiente avait été déboutée de son action dirigée contre l'obstétricien et faisait valoir, dans le cadre de son pourvoi, que l'ensemble des circonstances relevées devait conduire à exclure l'existence d'un consentement libre et éclairé.

Le pourvoi est rejeté, la Cour considérant que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel, après avoir apprécié la valeur et la portée des preuves produites devant elle, a estimé que le consentement avait été donné de manière libre et éclairée.

1.1.2. Perte de chance

  • Doit être indemnisée la perte de chance d'avoir pu interrompre la grossesse consécutive à une faute dans la réalisation des échographies (Cass. civ. 1, 5 avril 2012, n° 11-14.856, F-D N° Lexbase : A1257IIE ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0121ERW)

La survie de la jurisprudence "Perruche". Les enfants nés avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 continuent de relever du droit commun et de pouvoir obtenir réparation des professionnels, dès lors que des fautes ont été commises, pendant la grossesse, qui n'ont pas permis aux parents d'interrompre la grossesse (10).

Lorsque ces derniers avaient exprimé leur désir d'interrompre la grossesse s'ils étaient confrontés à la révélation d'un handicap grave du foetus, la faute qui n'a pas permis de poser le bon diagnostic entrainera la réparation de l'entier préjudice des parents et de l'enfant, conformément à la jurisprudence "Perruche". Lorsque cette certitude là n'existe pas mais qu'il est en revanche certain que les parents n'ont pas été mis en mesure de faire ce choix, il faudra faire application de la théorie de la perte de chance et indemniser une fraction des préjudices qui se sont finalement réalisés. C'est ce qu'illustre un nouvel arrêt non publié rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 5 avril 2012.

L'affaire. Un enfant était né en 1998 avec des malformations des mains, du pied gauche et une absence de pied droit, en relation avec une maladie des brides amniotiques. Les parents avaient alors mis en cause le médecin qui avait réalisé les échographies des 11ème, 21ème et 33ème semaines d'aménorrhée, mais la cour d'appel avait rejeté leurs demandes.

Les juges du fond avaient bien retenu l'existence d'une faute à la charge du médecin mais avaient refusé de la condamner après avoir considéré que "si [...] en mentionnant sur son compte-rendu la présence de quatre membres, ce qu'il n'avait pu observer, [il] a commis une faute, il n'est pas démontré, compte tenu des explications de l'expert, que si l'absence de pied droit avait été constatée, et que la maladie des brides amniotiques avait été diagnostiquée, une interruption de grossesse pour raison médicale aurait été autorisée, et ce alors que la pathologie dont est atteint l'enfant n'est pas évolutive dans le sens d'une aggravation mais celle d'une amélioration par interventions chirurgicales traitements et appareillage, ni que [les parents] auraient décidé de recourir à une interruption de grossesse pour motif médical".

La solution. L'arrêt est cassé, au visa des articles 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) et L. 162-12 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1032DLS alors applicable), la Haute juridiction considérant que la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations aux termes desquelles selon l'expert désigné, et en présence d'une telle situation, une information aussi complète que possible était donnée à la famille, une consultation de chirurgie orthopédiste infantile sur les possibilités d'intervention et d'appareillage était pratiquée, la décision était prise au cas par cas et la fréquente impossibilité d'affirmer le caractère complet du diagnostic, la suspicion d'anomalies associées, les difficultés d'assumer familialement un handicap majeur étaient des facteurs pris en compte par un centre de diagnostic prénatal pluridisciplinaire susceptibles de permettre aux parents qui le décident d'interrompre la grossesse.

La délicate qualification de la perte de chance. Cet arrêt illustre les difficultés de l'application de la théorie de la perte de chance dans des hypothèses finalement douteuses (11) ; les juges du fond disposent alors de peu d'indices et doivent simplement condamner le fautif s'il a fait perdre aux "victimes" une chance "sérieuse", et les débouter dans l'hypothèse inverse. Si la Cour de cassation ne contrôle pas vraiment cette qualification, elle est toutefois extrêmement vigilante sur la qualité de la motivation au regard des données de l'espèce et du dossier, sanctionnant les motivations insuffisantes ou les conclusions contraires aux observations factuelles.

  • L'indemnité due à la victime d'un accident médical qui a perdu une chance, du fait d'un défaut d'information sur les risques d'une intervention chirurgicale d'éviter le dommage en refusant définitivement ou temporairement l'intervention projetée, doit être déterminée en fonction de son état et de toutes les conséquences qui en découlent pour elle et correspondre à une fraction, souverainement évaluée, de ses préjudices (Cass. civ. 1, 9 février 2012, n° 10-25.915, F-D N° Lexbase : A3677IC8 ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E6149ETW)

Contexte. L'application de la théorie de la perte de chance d'avoir pu différer ou éviter le risque qui s'est finalement réalisé fait ici encore difficulté, et ce alors que la Cour de cassation rappelle pourtant régulièrement la méthode à appliquer. Lorsque le manquement à l'obligation d'information porte sur un risque qui s'est réalisé (12), les juges doivent accorder à la victime, au titre de la perte de chance, une fraction de l'ensemble des postes de préjudices liés au dommage final, et non une indemnité globale. Ils doivent donc faire comme s'ils statuaient sur une demande portant sur la réparation des dommages consécutifs à l'opération, et affecter chaque poste d'un coefficient réducteur selon le pourcentage de perte de chance retenu (13). C'est cette méthode qui se trouve ici rappelée.

  • Caractérise la perte de chance d'avoir pu échapper, en tout ou partie, au dommage qui s'est finalement réalisé, le constat du caractère fautif de l'absence de contention après traitement qui impliquait nécessairement que la contention aurait pu, si elle avait été mise en place, avoir une influence favorable sur l'évolution de la pathologie (Cass. civ. 1, 22 mars 2012, n° 11-10.935, F-P+B+I N° Lexbase : A4233IGU ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E6150ETX)

Contexte. Le recours à la perte de chance permet d'accorder à la victime la réparation d'une fraction du préjudice corporel qui s'est réalisé lorsque, par la faute d'un médecin, le patient a été privé d'une possibilité de se soustraire, en tout ou partie, au risque qui s'est finalement réalisé. En principe, c'est à la victime qu'il appartient de prouver la faute médicale, mais également la perte de chance, c'est-à-dire le fait que sans cette faute, le dommage aurait été moindre.

Intérêt. Cet arrêt démontre que dans certaines hypothèses, la nature même de la faute induit nécessairement une perte de chance lorsqu'il apparaît que le médecin a omis de réaliser un acte dont la science s'accorde à dire qu'il est nécessaire au traitement du patient. En d'autres termes, la causabilité de la faute (ou causalité scientifique), c'est-à-dire la démonstration de son aptitude à causer le dommage, permet de présumer le lien de causalité matérielle (14), c'est-à-dire qu'elle l'a effectivement causé.

L'affaire. Dans cette affaire, un patient se plaignait de ce que son chirurgien-dentiste avait omis de procéder à la contention des dents après le retrait de bagues dentaires, et imputait la récidive de ses troubles de l'occlusion à ce qu'il considérait comme étant une faute.

Les juges d'appel l'avaient débouté de ses demandes après avoir relevé, au vu du rapport d'expertise judiciaire, que l'absence de contention après le retrait des bagues constituait certes un manque de précaution fautif, mais que cette faute n'était pas en lien direct avec la récidive de la pathologie, dès lors que celle-ci aurait pu se produire, avec une probabilité non négligeable, même s'il y avait eu contention.

La cassation. Après avoir visé l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) -nous sommes avant le 5 septembre 2001- et rappelé la définition de la perte de chance qui "présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable", la première chambre civile de la Cour de cassation affirme que la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en rejetant la demande alors que "le caractère fautif de l'absence de contention après traitement impliquait nécessairement que la convention aurait pu, si elle avait été mise en place, avoir une influence favorable sur l'évolution de la pathologie".

Indiscutablement cet arrêt traduit la volonté de la Haute juridiction de renforcer son contrôle sur la qualification de la perte de chance, en raison d'une certaine tendance des juges du fond à ne pas retenir l'application de cette théorie sous prétexte qu'un doute subsisterait sur l'entière compréhension des circonstances du dommage (15).

  • La perte de chance doit être directe et certaine (Cass. civ. 1, 22 mars 2012, n° 11-14.121, F-D N° Lexbase : A4129IGZ ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0110ERI)

L'affaire. Un patient était décédé des suites d'un mélanome.

Sa veuve avait mis en cause le spécialiste d'anatomopathologie qui le suivait et lui reprochait d'avoir faussement analysé comme bénin un prélèvement provenant d'un naevus qui avait été retiré dans le haut du dos de ce patient quatre ans plus tôt, et qui présentait en réalité un caractère malin.

La cour d'appel l'avait débouté de ses demandes et la Cour de cassation confirme cette décision par le rejet du pourvoi.

La solution. Le rapport d'expertise, auquel les juges du fond se référaient, avait certes relevé que le spécialiste avait procédé, à la même époque à l'exérèse ou la destruction par azote liquide d'autres lésions qui auraient pu elles aussi dégénérer, mais qu'aucun élément ne permettait d'imputer les métastases ayant abouti au décès à la lésion retirée quelques années plus tôt et mal analysée, ce qui interdisait de retenir une perte de chance.

Intérêt. Cet arrêt non publié est intéressant si on le confronte à l'autre arrêt (cf. supra n° 11-10.935) rendu le même jour et publié, car ici la Cour de cassation suit les juges du fond, alors que dans l'autre affaire elle les censure. La différence tient certainement aux circonstances de l'affaire : dans la première les magistrats avaient retenu l'existence d'une faute portant sur l'omission d'une technique indiquée comme permettant de prévenir le risque de dommage qui s'est réalisé, alors que dans celle-ci aucun élément ne venait indiquer que le naevus mal analysé ait pu être à l'origine du mélanome.

1.2. Infections nosocomiales

  • La force majeure qui exonère l'hôpital de sa responsabilité en matière d'infection nosocomiale s'entend d'une circonstance extérieure à l'activité hospitalière, ce qui n'est pas le cas de la réanimation (CE 5° et 4° s-s-r., 17 février 2012, n° 342366, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8545ICH ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0550ERS)

L'affaire. Un patient était décédé des suites d'une infection nosocomiale. La cour administrative d'appel de Bordeaux avait toutefois mis hors de cause l'hôpital après avoir considéré "qu'à supposer que le décès de M. C ait été provoqué par une infection nosocomiale, l'établissement devait être regardé, compte tenu de l'état initial fortement dégradé de la victime, comme rapportant la preuve d'une cause étrangère au sens du I de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH)".

La solution. L'arrêt est annulé sur ce point, le Conseil d'Etat considérant que les juges du fond avaient commis une erreur de droit en admettant ainsi la force majeure exonératoire (on parle parfois d'aléa nosocomial (16)) alors que "la réanimation respiratoire ne pouvait être regardée comme une circonstance extérieure à l'activité hospitalière".

Le Conseil d'Etat confirme ainsi les termes d'une précédente décision intervenue quelques jours plus tôt où il avait considéré que "dès lors que l'infection est une conséquence des soins et ne peut de ce fait être regardée comme un événement extérieur à l'activité hospitalière, la cour n'a pas davantage méconnu ces dispositions en jugeant que le centre hospitalier universitaire n'apportait pas la preuve d'une cause étrangère exonératoire de sa responsabilité, alors même que l'infection résulterait d'une évolution de la nécrose postopératoire survenue sous l'effet de germes endogènes sans qu'il y ait eu manquement aux règles d'asepsie" (17).

Rappelons également que c'est en se fondant sur ce critère de l'événement "extérieur à l'activité hospitalière" que le Conseil d'Etat avait renoncé définitivement à opérer une distinction de régime entre les infections selon qu'elles apparaissent comme étant endogènes ou exogènes (18).

Or, au regard de ce critère, la responsabilité de l'hôpital devait être retenue dans la mesure où, selon les conclusions des experts, l'infection respiratoire nosocomiale trouvait son origine dans les mesures de réanimation, avec intubation et ventilation, dont le patient avait fait l'objet. Un constat comparable avait été établi par ces mêmes experts pour qui l'infection par les bactéries staphylocoque doré et serratia marcescens était survenue au cours du séjour dans le service de réanimation.

Intérêt. Cette solution est particulièrement intéressante car elle donne un critère de la force majeure exonératoire de la responsabilité sans faute des établissements en matière d'infections nosocomiales qui doivent donc répondre de toutes les infections qui ne sont pas extérieures à l'activité hospitalière -et qui pourraient donc résulter de l'intervention d'un tiers chargé, par exemple, de la maintenance ou de l'approvisionnement en fluides-. Elle ne manquera toutefois pas de poser problème à la Cour de cassation qui a abandonné, depuis 2006, la référence à l'extériorité dans sa définition de la force majeure (19), ce qui n'est pas sans faire difficulté dans de nombreuses hypothèses, singulièrement en matière de responsabilité médicale où la jurisprudence judiciaire avait pu fonder un refus d'exonération sur l'absence de caractère externe, notamment de vices, pourtant indécelables, mais internes aux produits de santé considérés (20).

1.3. Produits de santé

  • Les dommages causés par l'utilisation des produits de santé sont soumis au régime de la responsabilité sans faute, et non au régime applicable aux produits défectueux de la Directive 85/374 du 25 juillet 1985 (N° Lexbase : L9620AUT)

- CE, 5° et 4° s-s-r., 12 mars 2012 n° 327449 (N° Lexbase : A9481IEU) ; cf. l’Ouvrage "Droit médical"

Contexte. Cet arrêt constitue l'épilogue de l'affaire "CHR de Besançon" où le Conseil d'Etat avait saisi la CJUE d'une question préjudicielle portant sur le maintien de la jurisprudence "Marzouk" pour les dommages causés par l'utilisation dommageable de produits de santé (21).

On se rappellera que, le 21 décembre 2011, la CJUE avait considéré que ces dommages n'avaient pas vocation à entrer dans le champ d'application de la Directive du 25 juillet 1985, laissant ainsi le champ libre au maintien de la jurisprudence "Marzouk" (22).

C'est désormais chose faite avec cet arrêt en date du 14 mars 2012 où le Conseil d'Etat confirme l'arrêt rendu le 26 février 2009 par la cour administrative d'appel de Nancy qui avait condamné le CHR de Besançon sur le fondement de la jurisprudence initiée en 2003.

- CE, 5° et 4° s-s-r., 14 mars 2012, n° 324455 ([LXB=A4365IGR]) ; cf. l’Ouvrage "Droit médical"

Intérêt. Cette affaire avait donné lieu à un arrêt moins commenté que l'affaire CHR de Besançon mais tout aussi intéressante et le Conseil d'Etat avait décidé de surseoir à statuer dans l'attente de la réponse à la question préjudicielle portant sur le maintien de la jurisprudence "Marzouk". Il est donc logique qu'il en tire les mêmes conséquences que dans l'affaire "CHR de Besançon".

Il s'agissait ici non pas d'une couverture chauffante mais de la rupture d'une mèche utilisée lors d'une ostéotomie. La mise à l'écart du régime des produits défectueux présente alors l'avantage de dispenser la victime de prouver le défaut et lui permet ainsi d'être indemnisée uniquement en constatant la "défaillance" du matériel, laquelle sera déduite du constat de son dysfonctionnement, sans qu'il soit nécessaire d'établir d'autres éléments tenant au défaut de sécurité.

- CE, 5° et 4° s-s-r., 24 avril 2012, n° 331967 (N° Lexbase : A4157IK8) ; cf. l’Ouvrage "Droit médical"

L'affaire. Un jeune enfant âgé de 13 mois a subi le 20 mars 2002 au CHR de Mantes la Jolie une intervention chirurgicale après laquelle, alors qu'il se trouvait en salle de surveillance post-interventionnelle, il a été victime d'une dépression respiratoire et d'un arrêt cardiaque qui ont causé des séquelles neurologiques graves.

Pour retenir la responsabilité du CHR de Mantes-la-Jolie, la cour administrative d'appel, après avoir écarté l'application de la Directive du 25 juillet 1985, avait fait application de la jurisprudence "Marzouk" à l'établissement et retenu la défaillance de l'appareil de mesure de la saturation artérielle en oxygène.

C'est ce que confirme la Conseil d'Etat pour qui "la défaillance d'un appareil utilisé au cours des soins engage la responsabilité du service public hospitalier au même titre qu'une faute de service".

2. Solidarité nationale

2.1. Aléa thérapeutique

  • Refus de caractériser une faute médicale et de faire application de la jurisprudence "Bianchi" (CE, 17 février 2012, 5° et 4° s-s-r., n° 342040 N° Lexbase : A8544ICG)

L'affaire. Un enfant âgé de 2 ans avait subi, de 1979 à 1981, une radiothérapie et des cures de chimiothérapie, après différents examens pratiqués en urgence dans cet établissement et au centre hospitalier universitaire de Montpellier, en raison de troubles neurologiques qui avaient conduit à suspecter un gliome du tronc cérébral puis un médulloblastome métastatique. Un diagnostic de tuberculomes cérébraux dus à une tuberculose pulmonaire, au lieu d'un gliome du tronc cérébral ou d'un médulloblastome métastatique, fut ultérieurement porté. L'enfant devait garder de lourdes séquelles cognitives, neurologiques et endocriniennes en lien avec les traitements subis et fut placé sous curatelle, jusqu'à son décès en 2010.

Estimant que l'erreur de diagnostic commise par le CHR de Nîmes présentait un caractère fautif, en l'absence de réalisation d'un scanner cérébral avant la radiothérapie et les cures de chimiothérapie, les parents ont recherché la responsabilité de l'établissement, et obtenu gain de cause devant la cour administrative d'appel de Marseille.

La solution. Cet arrêt est annulé, mais pour des questions de procédure et c'est le Conseil d'Etat qui règle ici l'affaire au fond.

En premier lieu, le Conseil d'Etat considère, comme le tribunal administratif mais contrairement aux conclusions de la cour administrative d'appel, que le CHR de Nîmes n'avait pas commis de faute. Selon la Haute juridiction, l'instruction de l'affaire avait montré que les actes réalisés à l'époque "étaient en 1979 les examens de référence en cas de suspicion de lésion du tronc cérébral, que le scanner n'était pas encore un examen de référence, que la plupart des établissements hospitaliers, et notamment ceux de Nîmes et de Montpellier, ne disposaient pas de cet équipement et que l'état de l'enfant relevait d'une situation d'urgence".

En second lieu, le Conseil considère que les conditions d'application de sa jurisprudence "Bianchi" ne sont pas réunies (23), et singulièrement que le risque qui s'est réalisé était inhérent au traitement mis en oeuvre et ne présentait dès lors pas le caractère de risque connu exceptionnel.

L'intérêt. Cet arrêt est doublement intéressant.

En premier lieu, il démontre que les conditions posées par le Conseil d'Etat pour qu'il y ait aléa thérapeutique sont extrêmement strictes, et que ce dernier n'entend pas se départir de cette sévérité même dix ans après l'adoption de la loi du 4 mars 2002.

En second lieu, et comme cela a été souligné à l'occasion du commentaire de l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 3 mars 2011 (24), les conditions actuelles de l'indemnisation de l'aléa par l'ONIAM, exception faite du critère de gravité du dommage, sont à peu de choses près les mêmes que celle de la jurisprudence "Bianchi", de telle sorte que cette décision, qui porte sur la notion de "risque exceptionnel", est également pertinente dans le contexte de l'application de l'article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique -inapplicable ici compte tenu de l'ancienneté des faits- pour vérifier l'existence -en creux- des "conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci" exigées par le texte.

2.2. Vaccinations obligatoires

  • Le fait qu'une personne ait manifesté des symptômes d'une sclérose en plaques antérieurement à la vaccination contre l'hépatite B qu'elle a reçue n'est pas, par lui-même, de nature à faire obstacle à ce que soit recherchée l'imputabilité de l'aggravation de cette affection à la vaccination (CE, 5° et 4° s-s-r., 17 février 2012, n° 331277, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8515ICD)

Le contexte. Les personnes qui subissent un dommage en raison d'une vaccination obligatoire tirent de l'article L. 3111-9 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L2910ICR) un avantage décisif sur les autres victimes d'accidents vaccinaux, celui de pouvoir obtenir de l'ONIAM réparation sans être obligées de prouver le défaut, ou la défaillance, du vaccin, dès lors que l'imputabilité du dommage à la vaccination est établie, ou simplement présumée. Dans le contentieux des scléroses en plaques post vaccinales, l'avantage est de taille, comme le démontre ce nouvel arrêt du Conseil d'Etat.

L'affaire. Une femme, soumise à une obligation vaccinale de par sa profession, a subi trois injections d'un vaccin anti-hépatite B, en septembre, octobre et novembre 1992, puis un rappel le 28 septembre 1993. Elle a peu de temps après développé une sclérose en plaques et recherché, sur le fondement de l'article L. 3111-9 du Code de la santé publique, la responsabilité de l'Etat à raison de cette affection qu'elle imputait à la vaccination obligatoire. Après avoir recueilli l'avis de la commission de règlement amiable des accidents vaccinaux, le ministre chargé de la Santé a estimé que la vaccination pouvait être considérée comme un facteur aggravant de son état de santé et lui a proposé, par décision du 13 juillet 2001, une rente annuelle viagère de 60 000 francs (9 147 euros). Estimant ce montant insuffisant, l'intéressée a saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande d'indemnisation de ses préjudices et se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux qui a confirmé le rejet de sa demande par le tribunal administratif.

C'est cet arrêt qui se trouve ici annulé. Pour le Conseil d'Etat, en effet, "le fait qu'une personne ait manifesté des symptômes d'une sclérose en plaque antérieurement à la vaccination contre l'hépatite B qu'elle a reçue n'est pas, par lui-même, de nature à faire obstacle à ce que soit recherchée l'imputabilité de l'aggravation de cette affection à la vaccination". Dès lors, la preuve de l'aggravation peut être admise par présomption et "le lien direct entre la vaccination et l'aggravation de la pathologie doit être regardé comme établi lorsque des signes cliniques caractérisés d'aggravation sont apparus dans un bref délai à la suite d'une injection et que la pathologie s'est, à la suite de la vaccination, développée avec une ampleur et à un rythme qui n'étaient pas normalement prévisibles au vu des atteintes que présentait la personne antérieurement à celle-ci". Or, dans cette affaire, la cour administrative d'appel avait "relevé que les premières manifestations de la sclérose en plaques dont Mme A a été reconnue atteinte étaient apparues avant la première injection du 8 septembre 1992, ne pouvait, par suite, sans erreur de droit, écarter toute imputabilité de l'aggravation de la pathologie de Mme A à la vaccination au seul motif que la maladie s'était déclarée antérieurement à celle-ci".

L'intérêt. Le Conseil d'Etat avait déjà considéré le risque d'aggravation de l'état de santé comme un élément constitutif du préjudice indemnisable pour les victimes post vaccinales ayant déclenché une première poussée après la vaccination (25). Il avait également indiqué que l'Etat serait redevable dans le futur des conséquences résultant de l'aggravation de l'état de santé de la victime (26).

Mais c'est la première fois, à notre connaissance, qu'il indique que l'aggravation de l'état de santé d'un patient quelques jours après l'injection d'une dose de vaccin anti hépatite B peut être indemnisée, en ce qu'elle apparaît comme directement imputable à cette vaccination obligatoire et ce alors que le patient avait déjà déclenché auparavant une poussée au moins de sclérose en plaques.

La solution est audacieuse car on pensait que, pour que soit présumée l'imputabilité d'une poussée de sclérose en plaques à une vaccination anti hépatite B, il était nécessaire de caractériser une simultanéité des événements, ce qui était le cas en l'espèce (la nouvelle poussée était apparue "dans un bref délai"), mais aussi l'absence de facteur personnel, familial ou environnemental susceptible d'avoir causé l'événement (27). Or, à partir du moment où la victime avait développé une première poussée avant la vaccination litigieuse, les conditions de la présomption d'imputabilité de la seconde poussée à la vaccination ne semblaient pas réunies. C'est d'ailleurs ce qui avait déterminé la cour administrative d'appel à écarter l'indemnisation dans cette affaire.

Or, l'arrêt est annulé et le Conseil d'Etat affirme, au contraire, que "le fait qu'une personne ait manifesté des symptômes d'une sclérose en plaque antérieurement à la vaccination contre l'hépatite B qu'elle a reçue n'est pas, par lui-même, de nature à faire obstacle à ce que soit recherchée l'imputabilité de l'aggravation de cette affection à la vaccination". Cette preuve ne pouvait donc résulter, dans les circonstances de l'affaire, que de la simultanéité des événements : "le lien direct entre la vaccination et l'aggravation de la pathologie doit être regardé comme établi lorsque des signes cliniques caractérisés d'aggravation sont apparus à la suite d'une injection et que la pathologie s'est, à la suite de la vaccination, développée avec une ampleur et à un rythme qui n'étaient pas normalement prévisibles au vu des atteintes que présentait la personne antérieurement à celle-ci".

La solution pourrait donc sembler très audacieuse, mais à bien y réfléchir elle nous semble justifiée.

Le Conseil d'Etat a en effet pris la peine de préciser qu'il ne s'agissait pas d'une autre poussée, comparable en tous points à la précédente, mais bien d'une nouvelle poussée "avec une ampleur et à un rythme qui n'étaient pas normalement prévisibles au vu des atteintes que présentait la personne antérieurement à celle-ci". On est alors frappé par la similarité avec la formule présente dans l'article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique qui, pour ouvrir droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale dans le cadre du droit commun des accidents médicaux, exige de l'accident qu'il ait eu des "conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci".

Au regard de ce critère supplémentaire, il semble donc que cette aggravation pouvait être imputée spécialement à la vaccination qui avait bien ajouté à la gravité du dommage initial des éléments propres.


(1) Sur lequel Droit de la responsabilité et des contrats ; Dalloz Action, éd. 2010-2011, n° 492 s..
(2) CE contentieux, 30 juin 1978, n° 99514 (N° Lexbase : A3743AIH) ; CE Contentieux, 21 février 1990, n° 63293 (N° Lexbase : A6493AQK).
(3) CE contentieux, 11 février 2005, n° 252169, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6712DGP), Resp. civ. et assur., 2005, comm. 192, obs. C. Guettier ; CE, 6° et 1° s-s-r., 17 décembre 2008, n° 301705, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8848EBC) ; CE, 6° et 1° s-s-r., 3 juin 2009, n° 300924, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7219EHT).
(4) CE 3° et 8° s-s-r., 26 mai 2008, n° 290495, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7772D8D).
(5) Dans le même sens, excluant une faute dans l'organisation de la surveillance ou le diagnostic : CE, 5° s-s., 17 octobre 2011, n° 341343, Inédit (N° Lexbase : A8353HYZ). Mais s'agissant d'une faute de surveillance retenue à l'occasion du suicide d'une patiente hospitalisée : CE, 5° s-s., 9 mars 2009, n° 303983 (N° Lexbase : A6898EDT). Dernièrement, écartant également la faute : CE, 5° et 4° s-s-r., 12 mars 2012, n° 342774, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9486IE3), AJDA, 2012, p. 574, note de S. Brondel.
(6) Pour une décision concernant la mise hors de cause de l'administration pénitentiaire dans le suicide d'un détenu : CE, 6° s-s., 5 décembre 2011, n° 331358, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1751H4M).
(7) Pour une hypothèse où la condamnation est fondée sur ce risque "particulier" : Cass. civ. 1, 9 juin 2011, n° 10-18.002, F-D (N° Lexbase : A5048HT7), nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (juin à octobre 2011), Lexbase Hebdo - édition privée n° 463 du 24 novembre 2011 (N° Lexbase : N8879BSN).
(8) Cass. civ. 1, 14 octobre 1997, n° 95-19.609 (N° Lexbase : A0710ACB), JCP éd. G, 1997, II, 22942, rapport P. Sargos ; JCP éd. G., 1997, I, 4068, n° 6, obs. G. Viney. Mais la preuve de l'information du patient ne saurait résulter du seul fait que le médecin l'a reçu à deux reprises en trois semaines avant l'opération : Cass. civ. 1, 28 octobre 2010, n° 09-13.990, FS-D (N° Lexbase : A0309GDS), cassation partielle partiellement sans renvoi (CA Colmar, 2ème ch., sect. B, 17 octobre 2008), nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (octobre 2010 à janvier 2011) - première partie, Lexbase Hebdo n° 432 du 17 mars 2011 - édition privée (N° Lexbase : N7435BRS).
(9) Cass. civ. 1, 4 janvier 2005, n° 02-11.339, F-P+B (N° Lexbase : A8632DEG) : Resp. civ. et assur., 2005, comm. 99, nos obs..
(10) Sur cette question, cf. dernièrement Panorama de responsabilité médicale (novembre 2011 - février 2012), Lexbase Hebdo n° 472 du 9 février 2012 - édition privée (N° Lexbase : N0096BTQ).
(11) Dernièrement Cass. civ. 1, 22 septembre 2011, n° 10-21.799, F-D (N° Lexbase : A9689HX7) : nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (novembre 2011 - février 2012), Lexbase Hebdo n° 472 du 9 février 2012 - édition privée (N° Lexbase : N0096BTQ).
(12) S'agissant du risque qui ne s'est pas réalisé, il convient d'indemniser le préjudice moral résultant du défaut d'information qui constitue en effet un préjudice nécessairement distinct du préjudice final, par hypothèse inexistant.
(13) Ainsi, Cass. civ. 1, 28 juin 2007, n° 06 13.859, F D (N° Lexbase : A9437DWG), nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (période du 15 avril 2007 au 15 septembre 2007), Lexbase Hebdo n° 273 du 20 septembre 2007 - édition privée (N° Lexbase : N4649BC8).
(14) Sur cette distinction, nos obs., Causalité juridique et causalité scientifique : de la distinction à la dialectique, D., 2012, chron., p. 112.
(15) Cass. civ. 1, 14 octobre 2010, n° 09-69.195, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7906GBG), Panorama de responsabilité civile médicale (octobre 2010 à janvier 2011) - première partie, Lexbase Hebdo n° 432 du 17 mars 2011 - édition privée (N° Lexbase : N7435BRS), RTDCiv., 2011, p. 128, obs. P. Jourdain ; D., 2010, p. 2682, note P. Sargos, D., 2011, p. 37, obs. O. Gout.
(16) Selon l'expression de Pierre Sargos, Le nouveau régime juridique des infections nosocomiales, JCP éd. G, 2002, pp. 1117-1120.
(17) CE, 5° s-s., 13 février 2012, n° 336293 (N° Lexbase : A8528ICT).
(18) CE 4° et 5° s-s-r., 10 octobre 2011, n° 328500 (N° Lexbase : A7422HYK), nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (juin à octobre 2011), Lexbase Hebdo n° 463 du 24 novembre 2011 - édition privée (N° Lexbase : N8879BSN) ; CE, 5° s-s., 14 décembre 2011, n° 330644 (N° Lexbase : A4977H8T).
(19) Ass. plén., 14 avril 2006, n° 04-18.902, P (N° Lexbase : A2092DP8), RCA, 2006, chron. 8, L. Bloch.
(20) Nos obs. sous Cass. civ. 1, 1er juillet 2010, n° 09-69.151, F-P+B+I N° Lexbase : A5815E3R), in Panorama de responsabilité civile médicale (octobre 2010 à janvier 2011) - première partie, Lexbase Hebdo n° 432 du 17 mars 2011 - édition privée (N° Lexbase : N7435BRS).
(21) Lire nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (novembre 2011 - février 2012), Lexbase Hebdo n° 472 du 9 février 2012 - édition privée (N° Lexbase : N0096BTQ).
(22) CE 5° et 7° s-s-r., 9 juillet 2003, n° 220437 (N° Lexbase : A1898C98).
(23) Sur laquelle Droit de la responsabilité et des contrats, préc.., n° 485 s.
(24) Cass. civ. 1, 31 mars 2011, n° 09-17.135, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7785HLW), nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (15 janvier au 15 juin 2011), Lexbase Hebdo n° 445 du 23 juin 2011 - édition privée (N° Lexbase : N5760BS7).
(25) CE, 5° et 4° s-s-r., 18 février 2009, n° 305810, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2535EDA) - CE, 5° et 4° s-s-r., 10 avril 2009, n° 296630, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0039EGK).
(26) CE, 5° et 4° s-s-r., 9 mars 2007, n° 278665 (N° Lexbase : A5813DUT) ; CE, 5ème et 4ème s-s-r., 24 octobre 2008, n° 305622 (N° Lexbase : A8578EAX).
(17) En ce sens notre étude, Causalité juridique et causalité scientifique : de la distinction à la dialectique, D., 2012, chron. p. 112.

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Urbanisme

[Jurisprudence] Chronique de droit de l'urbanisme - Juin 2012

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N2424BTX

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par Arnaud Le Gall, Maître de conférences à l'Université de Caen

Le 14 Juin 2012

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver cette semaine la chronique de droit de l'urbanisme d'Arnaud Le Gall, Maître de conférences à l'Université de Caen. Le premier arrêt évoqué précise les conditions de recevabilité des recours des particuliers contre les délibérations relatives à la modification des documents d'urbanisme (CAA Lyon, 1ère ch., n° 11LY00778, 22 mai 2012, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le deuxième arrêt apporte, également, des précisions quant à la recevabilité des recours déposés par les collectivités locales à l'encontre de documents d'urbanisme et, notamment sur l'intérêt d'une commune lui donnant qualité pour demander l'annulation d'un permis de construire (CE 1° et 6° s-s-r., 22 mai 2012, n° 326367, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, la dernière décision commentée précise que la mention du sursis à statuer dans un certificat d'urbanisme est divisible du reste de ce dernier et, par suite, qu'elle est susceptible d'être discutée au contentieux (CE 9° et 10° s-s-r., 21 mai 2012, n° 323882, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • Conditions de recevabilité des recours des particuliers contre les délibérations relatives à la modification des documents d'urbanisme (CAA Lyon, 1ère ch., n° 11LY00778, 22 mai 2012, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1926IMB)

La cour administrative d'appel de Lyon, par la décision n° 11LY00778, a apporté deux intéressantes précisions sur le régime de la recevabilité des recours en matière d'urbanisme et sur la répartition des compétences entre le maire et le conseil municipal pour prescrire la modification d'un plan local d'urbanisme. L'arrêt, datant du 22 mai 2012, n'est pas encore définitif, mais il semble probable que les deux solutions retenues par la cour seraient confirmées par le juge de cassation dans le cas où ce dernier serait saisi d'un pourvoi. Il ressort de cet arrêt que l'intérêt à agir contre une modification du plan local d'urbanisme (PLU) n'est pas limité aux habitants de la commune et que le conseil municipal est seul compétent pour prescrire la modification d'un PLU.

1- La recevabilité du recours des particuliers

La seule qualité d'habitant d'une commune donne qualité pour agir contre n'importe quelle délibération du conseil municipal. Cette catégorie d'acte présente, le plus souvent, un caractère général, qui est censé concerner l'ensemble des habitants. Dans cette hypothèse, l'intérêt à agir est donc très largement entendu. Le Conseil d'Etat a, par exemple, admis la recevabilité de la requête d'un particulier dirigée contre une délibération relative au POS d'une commune, aux motifs que ce dernier, en tant qu'habitant de la commune, "justifie d'un intérêt suffisant lui conférant qualité pour demander l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération [...] du conseil municipal [...] décidant l'application anticipée de certaines dispositions du plan d'occupation des sols en cours de révision" (1).

La reconnaissance de l'intérêt à agir a été étendue à l'hypothèse dans laquelle la requête dirigée contre la délibération est présentée par un habitant d'une autre commune. Dans ce cas, la jurisprudence exige, implicitement ou non, des conditions supplémentaires, la seule qualité d'habitant ne pouvant plus suffire, à elle seule, à justifier la recevabilité du recours. Lorsqu'il s'agit d'une association, le cas ne présente pas de difficultés particulières, puisque l'intérêt pour agir de la personne morale est apprécié au regard des intérêts visés par les statuts et défendus par l'association. Une association dont l'objet social est constitué par la réflexion et le débat sur l'environnement et l'urbanisme dans une commune, ainsi que la protection et la défense, y compris devant toute juridiction, de ces deux domaines sur le territoire de cette commune et ses environs immédiats est, ainsi, recevable à contester une modification du POS intervenant sur la commune voisine (2).

Pour les personnes physiques, le Conseil d'Etat a admis la recevabilité de la requête d'un particulier dirigé contre l'arrêté préfectoral rendant public le POS de la commune voisine (3). L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon présente l'avantage d'expliciter très précisément les critères sur lesquels est fondée la reconnaissance de l'intérêt à agir d'un habitant d'une commune dans le cadre d'un recours dirigé contre une délibération prise par le conseil municipal de la commune voisine en matière d'urbanisme. La cour relève, d'une part, les spécificités des relations entre les deux collectivités, lesquelles justifient une appréciation globale des choix d'aménagement. Elle souligne que, "si la station de sports d'hiver de [la commune X] est située sur le territoire des communes [Y et Z], elle a d'emblée été conçue, au cours des années soixante, comme un ensemble homogène et constitue physiquement, du fait, notamment, des choix alors opérés en matière d'organisation de l'espace et de l'identité très marquée des partis architecturaux qui la caractérisent, une même entité urbaine". D'autre part, et en conséquence, elle admet la recevabilité de le requête déposée par l'habitant de l'une des communes contre une délibération du conseil de la commune voisine : "compte tenu de ces particularités, d'où résulte la nécessité d'harmoniser au mieux les documents d'urbanisme des deux communes concernées, les requérants, propriétaires d'appartements situés dans différents immeubles collectifs de la station de sports d'hiver de [la commune X], au voisinage de la partie supérieure du quartier dit Front-de-Neige' concerné par la modification litigieuse du plan local d'urbanisme de [la commune Z], qui vise à y permettre la réalisation d'une unité touristique nouvelle, justifient, à ce titre, d'un intérêt pour agir à l'encontre de la délibération du 4 février 2009, alors même que leurs propriétés sont situées sur le territoire de la commune [Y] et non sur celui de la commune [Z]".

Ce faisant, la cour se situe donc dans la ligne d'une jurisprudence ténue qu'elle vient utilement compléter.

2 - La compétence pour prescrire la modification d'un PLU

Avant la modification opérée par le décret n° 2001-260 du 27 mars 2001, modifiant le Code de l'urbanisme et le Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et relatif aux documents d'urbanisme (N° Lexbase : L3987ITT), le Code de l'urbanisme organisait très précisément la répartition des compétences entre le maire et le conseil municipal dans la procédure de modification du POS. L'article R. 123-34 de ce code (N° Lexbase : L7880ACT) disposait, en effet, que "l'initiative de la modification d'un plan d'occupation des sols en application du deuxième alinéa de l'article L. 123-4 (N° Lexbase : L7278ACK) appartient au maire ou au président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent. Le projet de modification est soumis à enquête publique, dans les formes définies à l'article R. 123-11 (N° Lexbase : L2923DZB), par le maire ou, le cas échéant, par le président de l'établissement public de coopération intercommunale. Le plan modifié est approuvé par délibération du conseil municipal ou, le cas échéant, de l'organe délibérant de l'établissement public". Cette disposition a été supprimée depuis lors, sans pour autant être remplacée.

La cour administrative d'appel de Lyon a donc procédé à une combinaison des textes en présence en s'appuyant tout autant sur les dispositions explicites que sur les silences de ces textes. Elle rappelle, tout d'abord, la compétence de principe du conseil municipal fixée par l'article L. 2121-29 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8543AAN), selon lequel "le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune". Elle écarte, ensuite, les dispositions attribuant les compétences relatives à l'élaboration ou à la révision du PLU, en ce qu'elles constituent des procédures distinctes de la modification. Elle constate, enfin, l'absence de dispositions législatives expresses conférant au maire le pouvoir d'initiative en matière de modification, en particulier dans la longue liste des compétences prévues par l'article L. 2122-21 du même code (N° Lexbase : L9560DNE).

Au terme de ce raisonnement, la cour est tenue de conclure "qu'il n'appartient, dès lors, qu'au conseil municipal, investi d'une compétence générale en vertu des dispositions précitées de l'article L. 2121-29 dudit code, de prescrire la modification du plan local d'urbanisme". Appliquant cette règle incontestable aux faits de l'espèce, elle relève qu'il est "constant que le conseil municipal de [la commune Z] n'a voté aucune délibération à cet effet". Elle en déduit que "la délibération contestée est, dès lors, intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière et doit, par ce motif, être annulée".

On ne peut qu'approuver cette solution qui vient combler une lacune, la jurisprudence n'ayant pas eu à se prononcer sur cette question depuis l'abrogation de l'article R. 123-34 du Code de l'urbanisme survenue en 2001.

  • Conditions de recevabilité des recours déposés par les collectivités locales à l'encontre de documents d'urbanisme (CE 1° et 6° s-s-r., 22 mai 2012, n° 326367, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0894IM3)

L'arrêt rendu le 22 mai 2012 par le Conseil d'Etat rappelle les conditions de l'intérêt à agir d'une collectivité locale. Bien qu'il soit rendu en matière d'urbanisme et, plus particulièrement, à l'occasion de l'implantation d'éoliennes, la solution retenue par la Haute juridiction est, bien entendu, applicable à l'ensemble du contentieux administratif. En l'occurrence, le préfet de l'Aisne avait délivré un permis de construire portant sur six éoliennes et un poste de livraison. La cour administrative d'appel de Douai (4), confirmant le jugement de première instance (5), avait annulé ce permis. Le pétitionnaire s'était pourvu en cassation contre l'arrêt d'appel.

1- Les éoliennes et le permis de construire

La cour administrative d'appel avait annulé le permis de construire au motif de l'insuffisance de l'étude d'impact effectuée. Il n'est pas inutile de rappeler ici le cadre législatif qui entoure l'édification des éoliennes. La floraison de ces générateurs s'explique officiellement par le développement du recours aux énergies renouvelables. Officieusement, la raison de la multiplication de ces engins, que leurs défenseurs ne voudraient surtout pas voir dans leur champ de visibilité, réside évidemment dans des considérations financières. L'électricité produite par les éoliennes est achetée à un tarif excédant largement le coût de production, assurant, ainsi, à cet investissement une rentabilité outrancière. En 2006, le jeu du tarif de rachat et des dispositions fiscales donnait, pour un site moyennement venté, une rentabilité après impôts de 20 à 40 %, garantie sur quinze ans. La commission de régulation de l'électricité estimait déjà l'impact du programme de développement de l'éolien sur les charges de service public entre 1 à 2,5 milliards d'euros par an en 2015.

Les évolutions législatives et réglementaires successives ont progressivement restreint les avantages de la filière éolienne, sans pour autant supprimer son caractère attractif. L'article 10 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité (N° Lexbase : L4327A3N), modifié par la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005, de programme fixant les orientations de la politique énergétique (N° Lexbase : L5009HGM), a, par exemple, limité le bénéfice de l'obligation d'achat aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent implantées dans le périmètre d'une zone de développement de l'éolien (ZDE). Le mécanisme de l'obligation d'achat actuellement applicable a réduit la durée des contrats, ainsi que le taux de rentabilité de ces investissements qui demeurent, néanmoins, très attractifs dans le contexte financier actuel.

Le Code de l'urbanisme a, également, été modifié pour s'adapter à ces nouveaux moulins à vent. Les éoliennes dont la nacelle est située à moins de douze mètres de hauteur sont dispensées de toute formalité, sauf lorsqu'elles sont implantées en site inscrit ou sauvegardé, auquel cas elles sont soumises à déclaration. Dès lors que la nacelle dépasse les douze mètres, le permis de construire est obligatoire. Il faut, également, noter que, depuis le 13 juillet 2011, les éoliennes terrestres sont inscrites au régime des installations classées pour la protection de l'environnement. Lorsque la hauteur est inférieure à douze mètres, l'ouvrage est dispensé de toute formalité. Sont soumis à autorisation au titre des installations classées, les parcs comprenant au moins un mât d'une hauteur supérieure ou égale à cinquante mètres ou comprenant des générateurs d'une hauteur comprise entre douze et cinquante mètres et d'une puissance supérieure ou égale à vingt mégawatts. Les installations dont la hauteur des nacelles est comprise entre douze et cinquante mètres et dont le générateur est d'une puissance inférieure à vingt mégawatts sont soumises à déclaration "ICPE".

En l'espèce, la construction des éoliennes de la société requérante nécessitait la délivrance d'un permis de construire.

2- L'intérêt à agir des collectivités

De manière générale, il faut rappeler que l'intérêt à agir constitue l'une des conditions primordiales de la recevabilité des recours. Il est apprécié de manière traditionnellement assez libérale par les juridictions administratives qui exigent, néanmoins, un intérêt propre au requérant. Cette exigence du caractère personnel de l'intérêt fait obstacle à ce qu'une personne agisse pour une autre. C'est ainsi que la seule qualité d'habitant d'une commune ne suffit pas à conférer un intérêt à agir contre les permis de construire délivrés sur le territoire de celle-ci. Le Conseil d'Etat exige, de manière constante, que le requérant fasse état d'une proximité suffisante avec le projet autorisé (6).

Les recours des collectivités sont soumis à la même exigence. L'intérêt à agir est reconnu dès lors que le projet autorisé est réalisé sur son territoire. C'est le cas lorsque le permis de construire est délivré par l'Etat (7) ou en cas de retrait d'un tel permis (8). C'est, également, le cas lorsque la commune entend contester le refus d'autoriser une société à créer une grande surface commerciale sur son territoire (9).

A propos des autorisations délivrées sur le territoire d'une commune voisine, la collectivité doit établir qu'elle défend un intérêt qui lui est propre. Le Conseil d'Etat a, ainsi, implicitement admis l'intérêt à agir d'une commune pour contester un permis accordé à l'extension d'un équipement sportif dont la fréquentation était susceptible de provoquer des conséquences importantes pour l'auteur du recours en termes de circulation et de stationnement (10). De même, une commune dispose d'un intérêt à agir contre la révision du document d'urbanisme de la commune voisine prévoyant l'extension d'une zone industrielle (11).

L'arrêt du 22 mai 2012 se situe dans la lignée de cette jurisprudence tout en rappelant le critère d'appréciation de l'intérêt à agir. A ce sujet, la cour administrative d'appel avait estimé que, "si le projet de ferme éolienne est situé en dehors du territoire communal [...] il ressort des pièces du dossier que les éoliennes seraient visibles par les résidents de la commune". Elle en avait conclu qu'"eu égard à l'importance du projet, la commune [...] a intérêt à demander l'annulation de ce permis de construire". La cour s'était donc fondée exclusivement sur les caractéristiques du projet, dont l'importance le rendait visible par les habitants de la commune, pour en déduire que celle-ci était bien fondée à se porter à leur secours pour défendre leurs intérêts.

Très logiquement, le Conseil d'Etat a cassé cette appréciation erronée et assez surprenante. Le juge de cassation souligne "qu'en se référant ainsi au seul intérêt de ses résidents, sans caractériser en quoi l'intérêt propre de la collectivité était lésé par la décision que celle-ci attaquait, la cour administrative d'appel de Douai a commis une erreur de droit". Ce faisant, il rappelle que l'intérêt à agir doit être apprécié au regard de la personne de l'auteur du recours. La commune constitue une personne morale qui dispose de compétences définies par la loi, et dont l'étendue détermine son intérêt à agir. L'intérêt de la commune ne se confond pas avec celui de ses habitants. Elle doit donc établir l'intérêt propre qui se trouve compromis par la décision qu'elle entend contester.

Or, en l'espèce, le seul intérêt invoqué est évidemment impossible à soulever par une personne morale qui ne peut être lésée par la vue d'éoliennes. Ce qui aurait pu constituer un intérêt pour un de ces habitants ne suffit pas à créer un intérêt pour la commune... Statuant au fond après cassation, le Conseil précise ce qui aurait permis la collectivité de respecter cette condition de recevabilité : la commune "se borne à faire état de l'atteinte que le projet litigieux porte à l'environnement visuel de ses habitants, sans se prévaloir d'une incidence sur sa situation ou sur les intérêts dont elle a la charge". L'intérêt à agir peut donc reposer sur une atteinte à ses compétences ou à sa situation propre. Mais la défense des intérêts de ses habitants, lorsqu'elle ne se traduit pas dans l'une de ses compétences, ne fait pas partie des objectifs pour lesquels la commune est recevable à déposer un recours contre une autorisation d'urbanisme délivrée sur le territoire d'une autre commune. Le Conseil d'Etat rejette donc le recours au fond comme irrecevable.

  • Sursis à statuer et certificat d'urbanisme (CE 9° et 10° s-s-r., 21 mai 2012, n° 323882, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0891IMX)

La vocation générale du certificat d'urbanisme est d'informer les particuliers sur les règles d'urbanisme applicables à un terrain. Depuis l'ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005, relative au permis de construire et aux autorisations d'urbanisme (N° Lexbase : L4697HDC), le certificat d'urbanisme, indique, en fonction de la demande présentée, les dispositions d'urbanisme, les limitations administratives au droit de propriété et la liste des taxes et participations d'urbanisme applicables à un terrain. Le second type de certificat indique, lorsque la demande a précisé la nature de l'opération envisagée, ainsi que la localisation approximative et la destination des bâtiments projetés, si le terrain peut être utilisé pour la réalisation de cette opération et l'état des équipements publics existants ou prévus. L'arrêt du Conseil d'Etat du 21 mai 2012 vient apporter des précisions sur le caractère divisible de certaines mentions. Il faut, d'ailleurs, noter que la décision a été rendue à l'issue d'une procédure peu ordinaire. Un premier arrêt du 7 octobre 2010 (12) avait, en effet, refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L. 410-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3418HZM) et avait rejeté partiellement le pourvoi au titre de la procédure de filtrage. Il restait donc au Conseil à se prononcer sur le surplus des conclusions.

1- Certificat d'urbanisme et sursis à statuer

Le Conseil d'Etat expose, dans un premier temps, l'objet même du certificat d'urbanisme. Aux termes de l'article L. 410-1 du Code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à l'affaire (N° Lexbase : L7216ACA), c'est-à-dire avant l'ordonnance du 8 décembre 2005, "le certificat d'urbanisme indique les dispositions d'urbanisme et les limitations administratives au droit de propriété et le régime des taxes et participations d'urbanisme applicables à un terrain ainsi que l'état des équipements publics existants ou prévus [...]". L'alinéa 5 du même article précisait que, "si la demande formulée en vue de réaliser l'opération projetée sur le terrain, notamment la demande de permis de construire prévue à l'article L. 421-1 (N° Lexbase : L3419HZN) est déposée dans le délai d'un an à compter de la délivrance d'un certificat d'urbanisme et respecte les dispositions d'urbanisme mentionnées par ledit certificat, celles-ci ne peuvent être remises en cause. Il en est de même du régime des taxes et participations d'urbanisme, ainsi que des limitations administratives au droit de propriété applicables au terrain, à l'exception de celles qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique". Ces dispositions devaient être combinées avec celles de l'article R. 410-16 du même code (N° Lexbase : L7443HZP), qui imposaient que le certificat fasse mention d'un éventuel sursis à statuer opposable à une demande d'autorisation portant sur le terrain.

La procédure du sursis à statuer est, pour sa part, prévue à l'article L. 111-7 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L6292HIU). Elle permet à l'auteur du document d'urbanisme de ne pas être lié par des demandes incompatibles avec les futures orientations du document. En cas d'élaboration ou de révision du plan local d'urbanisme, l'autorité peut, ainsi, opposer le sursis à statuer à toute demande d'autorisation lorsque celles-ci concernent "des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan".

Le Conseil d'Etat regroupe ces règles sous le droit à l'information des pétitionnaires. Il estime, en effet, "qu'il résulte de ces dispositions combinées qu'elles ont pour objet d'informer le pétitionnaire des règles d'urbanisme et des limitations administratives au droit de propriété applicables au terrain et de permettre à ce pétitionnaire de savoir qu'à compter de la publication de la délibération prescrivant l'élaboration d'un plan local d'urbanisme, le sursis à statuer prévu par l'article R. 410-16 du même code est susceptible de lui être opposé". Ce droit à l'information est sanctionné par le juge. Il a, ainsi, été jugé que, faute de mentionner une possible opposition d'un sursis à statuer, un certificat d'urbanisme est illégal (13). Après avoir effectué ce rappel, le Conseil approfondit la question de la divisibilité des mentions du certificat d'urbanisme.

2 - Sursis à statuer et mentions susceptibles de recours

La jurisprudence a déjà apporté plusieurs précisions sur la nature des mentions des certificats d'urbanisme. L'enjeu est important car il s'agit de déterminer précisément les mentions qui sont divisibles du certificat et qui sont donc susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir de manière isolée, sans mettre en péril le certificat dans sa globalité. Le pétitionnaire peut, en effet, être satisfait de certaines mentions du certificat, tout en souhaitant déférer au juge de l'excès de pouvoir d'autres mentions. Il importe donc d'identifier les mentions divisibles.

Il en va ainsi des énonciations relatives à la desserte du terrain par le réseau public d'eau potable (14). Il en va de même de la participation financière qui peut être exigée de la part du bénéficiaire d'une autorisation d'urbanisme. A ce sujet, le Conseil d'Etat a jugé que "cette participation financière n'étant pas exigée dès la délivrance du certificat d'urbanisme, mais seulement au moment où une construction est entreprise, la disposition en cause ne fait pas grief et n'est pas susceptible d'être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir" (15). La question des certificats négatifs a fait l'objet d'une solution globale. A ce sujet, le Conseil considère qu'un certificat d'urbanisme négatif a pour objet unique d'indiquer au demandeur que l'opération qu'il envisage d'effectuer sur un terrain donné ne peut être réalisée. Il s'agit en conséquence "d'un acte indivisible". Dès lors, un certificat négatif reposant sur une disposition illégale du PLU relative au zonage est entaché d'une illégalité qui l'affecte dans sa totalité (16).

En revanche, la jurisprudence estime que certaines dispositions sont susceptibles de recours de manière isolée. Il s'agit, par exemple, de la mention d'un emplacement réservé (17). De même, il a été jugé que les énonciations d'un certificat déclarant l'inconstructibilité d'une partie d'un terrain du fait de sa pente étaient dissociables du reste de l'acte (18).

L'arrêt du 21 mai 2012 reconnaît un nouveau cas de mention divisible. Le Conseil d'Etat, après avoir rappelé que les dispositions applicables ont donc pour objet de garantir le droit à l'information des pétitionnaires énonce "que la mention du sursis à statuer dans un certificat d'urbanisme complète ainsi l'information du pétitionnaire tout en pouvant lui faire grief, dès lors qu'en cas de modification des documents d'urbanisme, le pétitionnaire est susceptible de perdre le bénéfice des règles applicables qu'est censé assurer le certificat d'urbanisme [...] ainsi, la mention dans un certificat d'urbanisme de la possibilité d'un sursis à statuer ultérieur est divisible du reste du certificat et susceptible d'être discutée au contentieux".

C'est donc parce que le sursis à statuer est de nature à priver finalement le certificat de toute validité, les règles garanties étant susceptibles d'être modifiées, que la mention du sursis est non seulement obligatoire dans l'acte mais, encore, qu'elle est divisible du reste du document et peut donc faire l'objet d'un recours autonome. Contrairement à ce qu'a jugé la cour administrative d'appel (19), l'effet potentiellement dévastateur du sursis sur les autres énonciations du certificat justifie que la mention puisse faire l'objet du recours. Le Conseil d'Etat reconnaît, ce faisant, une différence de nature entre la mention du sursis et les autres mentions du certificat, y compris celles que la jurisprudence a déjà considérées comme divisibles. En effet, le sursis fait, certes, partie intégrante du droit à l'information du pétitionnaire, mais le contenu même de cette mention est de nature à réduire à néant ladite information.

En l'occurrence, le certificat d'urbanisme positif délivré par le maire portait sur la possibilité de réaliser une opération de lotissement au vu des dispositions d'urbanisme alors applicables et mentionnait, également, qu'au vu du plan local d'urbanisme en cours d'élaboration, une demande ultérieure d'autorisation de lotir pourrait faire l'objet d'un sursis à statuer. Le Conseil d'Etat censure les deux erreurs de droit commises par la cour administrative d'appel. Celle-ci avait, en effet, jugé que la mention relative au sursis à statuer n'était pas divisible et en avait déduit, à tort, qu'elle ne pouvait donc faire l'objet d'une contestation au contentieux. Le Conseil d'Etat en conclut "qu'en jugeant que ces dernières énonciations du certificat d'urbanisme n'étaient pas divisibles de celles accordant un certificat d'urbanisme positif, alors qu'elles se fondaient sur des dispositions d'urbanisme différentes et avaient un autre objet, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit".

Le Conseil annule, ainsi, l'arrêt d'appel en ce qu'il a rejeté le recours dirigé contre la mention du sursis comme irrecevable et renvoie l'affaire au fond devant la cour administrative d'appel de Bordeaux.


(1) CE 7 ° et 10° s-s-r., 14 novembre 1997, n° 159024, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5067ASH) ; CAA Lyon, 1ère ch., 10 décembre 2009, n° 08LY02350, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3693EQT).
(2) CAA Douai, 1ère ch., 1er octobre 2009, n° 08DA00422, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7155EMX).
(3) CE 2° et 6° s-s-r., 1er février 1989, n° 66700, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1827AQQ).
(4) CAA Douai, 1ère ch., 22 janvier 2009, n° 08DA00372, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5739EEB).
(5) TA Amiens, 31 décembre 2007, n° 0501460 (N° Lexbase : A4195D8U).
(6) CE 4° et 10° s-s-r., 25 mars 1981, n° 20227 et n°22837, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6581AKX).
(7) CE 1° et 4° s-s-r., 14 décembre 1981, n° 15498, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7293AKC).
(8) CE 3° et 5° s-s-r., 2 décembre 1991, n° 92598, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0605ART).
(9) CE 1° et 4° s-s-r., 12 novembre 1997, n° 151821, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5037ASD).
(10) CE 6° et 10° s-s-r., 17 juin 1987, n° 39073, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3349APQ).
(11) CE 1° et 4° s-s-r., 19 mars 1993, n° 119147, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8943AM8).
(12) CE 9° et 10° s-s-r., 7 octobre 2010, n° 323882, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3517GBU).
(13) CAA Lyon, 1ère ch., 28 février 1995, n° 93LY00316, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3505BGW), CAA Lyon, 3ème ch., 15 février 1994, n° 92LY01509, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0906BGN).
(14) CAA Marseille, 1ère ch., 13 janvier 2005, n° 99MA01586, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5211DG4).
(15) CE 7° et 10° s-s-r., 15 avril 1996, n° 145489, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8659ANZ).
(16) CE 4° s-s., 17 octobre 2007, n° 294964, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7920DYY).
(17) CE 9° et 10° s-s-r., 19 décembre 2007, n° 297148, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1543D3K).
(18) CAA Paris, 4ème ch., 7 février 1995, n° 94PA00829, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8514BHS).
(19) CAA Bordeaux, 5ème ch., 3 novembre 2008, n° 07BX00349, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0952IM9).

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