La lettre juridique n°799 du 17 octobre 2019

La lettre juridique - Édition n°799

Autorité parentale

[Brèves] Enlèvement international d’enfants : ordre de retour d’un enfant vers sa mère aux Etats-Unis, non constitutif d’une violation du droit au respect de la vie familiale

Réf. : CEDH, 10 octobre 2019, Req. 23941/14, Lacombe c/ France (N° Lexbase : A8989ZQY)

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 16 Octobre 2019

► En ordonnant le retour de l’enfant vers sa mère aux Etats-Unis, les autorités françaises n’ont pas violé le droit au respect de la vie familiale protégé par l’article 8 CESDH (N° Lexbase : L4798AQR) ;

► en effet, la CEDH considère que les juges internes ont dûment pris en compte les allégations du requérant et que le processus décisionnel ayant conduit à l’adoption des mesures incriminées par les juridictions nationales a été équitable et a permis au requérant de faire valoir pleinement ses droits, et ce dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant ;

► elle estime que, eu égard à la marge d’appréciation des autorités en la matière, la décision de retour se fondait sur des motifs pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8, considéré à la lumière de l’article 13 b) de la Convention de la Haye du 25 octobre 1980, sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (N° Lexbase : L0170I8S) et de l’article 3 § 1 de la Convention relative aux droits de l’enfant (N° Lexbase : L6807BHL), et qu’elle était proportionnée au but légitime recherché.

C’est en ce sens que s’est prononcée la Cour européenne des droits de l’Homme, aux termes d’une décision rendue le 10 octobre 2019 (CEDH, 10 octobre 2019, Req. 23941/14, Lacombe c/ France N° Lexbase : A8989ZQY).

L’affaire. D’un mariage au Mexique, en 1998, entre un ressortissant français et une ressortissante mexicaine, était issu un enfant, né à Mexico ; le divorce des époux avait été prononcé par les juridictions mexicaines le 14 décembre 2004, la garde de l'enfant étant confiée au père pendant sa scolarité primaire, avec exercice conjoint de l'autorité parentale ; par jugement du district fédéral de Mexico du 21 juin 2005, la garde de l'enfant avait été transférée à la mère, cette décision étant confirmée par jugement du 2 juin 2006 ; au cours des vacances d'août 2005, le père avait quitté le territoire mexicain avec son fils pour la France, ce qui avait donné lieu à une première procédure d'enlèvement international d'enfant, à l'issue de laquelle le père s'était engagé à ramener son fils au Mexique au plus tard le 31 janvier 2007, ce qu'il avait fait.

En octobre 2007, la mère avait quitté le Mexique pour l'Etat du Texas aux Etats-Unis afin de s'y installer avec l'enfant ; le 15 octobre 2009, le père avait saisi un juge au Texas afin d'obtenir la garde de son fils ; ayant obtenu la remise temporaire de ce dernier, à charge pour lui de se présenter devant le même tribunal quatre jours plus tard, il avait quitté le territoire américain pour la France avec lui. Le 8 juillet 2010, le procureur de la République l'avait assigné afin de voir ordonner le retour immédiat de l'enfant, en application de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, ce qui constituait la seconde procédure d’enlèvement international. Le père remit l’enfant à la mère, mais fit appel du jugement. La cour d’appel confirma le jugement. Elle considéra que la résidence habituelle de l’enfant était bien au Texas et que l’enfant n’encourait aucun danger auprès de sa mère. La Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant (Cass. civ. 1, 25 septembre 2013, n° 12-22.651, F-D N° Lexbase : A9318KLP). Invoquant l’article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR droit au respect de la vie familiale), le requérant se disait victime, en raison de la décision des juridictions françaises d’ordonner le retour de son fils aux Etats-Unis, d’une atteinte à son droit au respect de sa vie familiale. Il se plaignait du défaut de motivation des décisions internes quant à l’existence d’un risque grave pour l’enfant en cas de retour.

Décision CEDH. La Cour note tout d’abord que les décisions, prises par les autorités françaises, de retour de l’enfant près de sa mère étaient fondées sur la Convention de la Haye et visaient à protéger les droits et libertés de l’enfant. Prévue par la loi, l’ingérence poursuivait donc un intérêt légitime au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

La Cour observe ensuite que le père avait fait principalement valoir devant le TGI comme devant la cour d’appel, l’illégalité de la résidence de l’enfant aux Etats-Unis. Or, les juridictions internes ont considéré que la résidence légale de l’enfant au moment de son départ vers la France se situait bien au Texas et que le déplacement de l’enfant par son père vers la France était illicite.

Alors que le père soutenait que l’enfant était en danger avec sa mère et qu’il voulait rester avec son père. Mais la Cour européenne constate que, tant devant le TGI, que devant la cour d’appel, l’allégation de risque grave en cas de retour de l’enfant a fait l’objet d’un examen effectif, fondé sur les éléments invoqués par le père au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant et la juridiction d’appel a fourni une décision motivée. La Cour considère également que le processus décisionnel ayant conduit les juridictions nationales à ordonner le retour de l’enfant a été équitable. Le requérant, comme la mère, ont pu présenter pleinement leur cause. La Cour de cassation, quant à elle, a contrôlé effectivement que la cour d’appel avait suffisamment motivé sa décision de retour au regard de la Convention de la Haye et de l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

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Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Le sort fait au secret professionnel de l'avocat dans le procès prud'homal

Réf. : CA Paris, 12 septembre, n° 17/12384 (N° Lexbase : A2205ZNY)

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par Jean-Marie Denieul, Magistrat honoraire juridictionnel, Président de juridiction de jugement au pôle social du tribunal de grande instance de Paris

Le 17 Octobre 2019


Mots-clefs : Jurisprudence • Déontologie • Avocat • Secret professionnel • Procès prud'homal 


 


Résumé : Un salarié peut produire en Justice dans un litige l'opposant à son employeur, des documents soumis au secret de l’avocat à la double condition qu’il en ait eu connaissance à l'occasion de ses fonctions et à condition que cela soit strictement nécessaire à l'exercice des droits de sa défense


 

Le 12 septembre 2019, la chambre sociale de la cour d’appel de Paris (chambre 7 du pôle 6) a prononcé un arrêt qui statue sur le sort fait au secret professionnel de l’avocat dans le procès prud’homal.

La cour a estimé que dès lors que le salarié «a eu connaissance des pièces considérées dans l'exercice de ses fonctions et qu'il les utilise pour contester le licenciement dont il a été l'objet [...] lorsque cela est strictement nécessaire à l'exercice des droits de sa défense dans un litige l'opposant à son employeur, [il] peut produire en Justice des documents dont il a eu connaissance à l'occasion de ses fonctions. Il n'y a donc pas lieu de les écarter des débats».

Ainsi, un salarié peut produire en Justice dans un litige l'opposant à son employeur, des documents soumis au secret de l’avocat à la double condition qu’il en ait eu connaissance à l'occasion de ses fonctions et à condition que cela soit strictement nécessaire à l'exercice des droits de sa défense.

Si la solution n’est pas nouvelle elle mérite toujours d’être critiquée. C’est à cela que l’auteur de ces lignes va, en toute liberté, s’employer.

I - Rappel des faits de l’espèce 

Le dirigeant social d’une société commerciale française avait choisi de se vendre aux anglais et en contrepartie avait également obtenu -également car il avait d’abord perçu le prix de ses actions- de rester directeur commqercial salarié de la société qui n’était plus la sienne. Il avait dû l’oublier puisque quatre années plus tard le voilà licencié, pour faute grave pour faire bonne mesure. Son licenciement requalifié en licenciement pour motif réel et sérieux, il reçoit du conseil des prud’hommes fort peu. Devant la cour se trouve en débat la production par l’ex-dirigeant-social-aujourd’hui-salarié-licencié d’une consultation et de courriers d’un ancien avocat de la société dont il avait eu connaissance dans ses fonctions.

L’employeur fait observer que leur production ne peut pas être justifiée par les droits de la défense compte tenu de l'atteinte disproportionnée qu'elle cause au principe du secret professionnel, corollaire des droits de la défense de la société.

L’ex-dirigeant-social-aujourd’hui-salarié-licencié réplique que ces pièces ne sont pas couvertes par le secret professionnel au sens de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ).

La cour, par les motifs précités, reprend la jurisprudence établie de la Cour de cassation [1] et accepte que ces pièces figurent aux débats car :

- le salarié a eu connaissance de ces pièces sans fraude et dans le cadre de ses fonctions

- l’utilisation de ces pièces est strictement nécessaire à la défense de ses intérêts.

II - L’évolution de la jurisprudence en pareil cas

Si la cour de Paris a pu estimer que les dispositions de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 [2]  n’avaient pas été enfreintes c’est parce que le contenu de la correspondance de l’avocat avait été volontairement communiqué à autrui par son destinataire et que celui-ci ne pouvait donc pas empêcher celui qu’il avait informé de faire état de ce contenu à la condition qu’il soit utilisé dans un but légitime.

Or, quoi de plus légitime que de pouvoir apporter une preuve lors de son procès ? Un jugement prononcé sans que des preuves soient produites n’est-il pas qu’un simulacre, un couronnement de l’arbitraire, fut-il celui du juge ? L’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L7558AIR) et des libertés fondamentales [3]  a en conséquence établi le droit à un procès équitable et celui-ci est donc conditionné par la liberté des parties à se constituer des preuves.

Dans notre cas d’espèce, la solution peut se justifier :

  • Soit les courriers ou consultations de l’avocat ont été portés à la connaissance de l’ancien dirigeant devenu salarié alors qu’il était encore le dirigeant social et l’on doit considérer que c’est à la personne morale que l’avocat adressait ses courriers dévoilés lors du procès. Or, cette personne morale a eu deux dirigeants successifs qui aujourd’hui se font face. Si ce secret est un bien qui a été transmis à l’occasion de la cession des actifs de l’entreprise, pourquoi priver celui qui n’est plus dirigeant social de ce moyen de preuve ?
  • Soit le salarié en a pris connaissance dans le cadre de ses nouvelles fonctions et l’on considère que son employeur ne démontre pas que cette prise de connaissance ait été faite par fraude mais qu’au contraire il est établi que l’employeur en a volontairement partagé la connaissance avec son salarié et que, le procès survenu, l’employeur ne peut pas empêcher son ancien salarié de s’en prévaloir dans un procès les concernant eux seuls.

La jurisprudence en pareil cas s’est progressivement établie. Jusqu’à la loi n° 97-308 du 7 avril 1997 (N° Lexbase : L4398IT3) qui a écrit l’essentiel de l’article 66-5 de la loi de 1971, la confidentialité des correspondances d’avocat ne faisaient l’objet d’aucune disposition particulière. On la trouvait seulement évoquée dans la plupart des règlements intérieurs de barreaux et elle ne s’imposait qu’aux avocats de ces barreaux, pas au juge. C’est en ce sens que la loi de 1997 a été une véritable avancée en considérant que le secret de l’avocat était absolu [4], principe ancestral confirmé en 2005 dans le Règlement intérieur national de la profession d’avocat.

Mais le rejet dominant de tout absolu a apporté rapidement de nombreuses amodiations à ce principe.

Ce fut le cas paradoxalement avec l’instauration de la «lettre officielle» entre confrères. La loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 (N° Lexbase : L8851IPI) a permis que l’on verse aux débats une lettre entre avocats qui porterait cette mention. Parfois utile, elle permet aussi des «coups tordus» tel que le fait d’annoncer un accord qui n’est pas encore complet pour forcer la main à son interlocuteur. En réalité, rien ne vaut mieux qu’un échange de lettres entre les clients de ces avocats, pourquoi aller plus vite ?

Puis, en 2006, il fut établi que l’auteur d’une lettre qui n’est pas tenu par le secret professionnel ôte le caractère confidentiel à une lettre dont il rend le contenu public alors qu’elle avait été écrite à son avocat [5]. Dans cette espèce M. Z avait fait délivrer à la société R un commandement de payer visant la clause résolutoire auquel était annexée une lettre qu'il avait adressée à son avocat et faisant apparaître le décompte des loyers impayés. Pour déclarer nul ce commandement, l'arrêt attaqué retient qu'il devait être purement et simplement écartée comme comportant une annexe couverte, aux termes de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, par le secret professionnel. Ce à quoi la Cour répondait qu’en statuant ainsi, alors que l'auteur de cette lettre, qui n'était pas tenu au secret professionnel, en la rendant lui-même publique, lui avait ôté son caractère confidentiel, la cour d'appel avait violé, par fausse application, le texte susvisé.

En 2008, 2009, 2013 puis 2016 cette position fut clairement rappelée par la Cour de cassation [6] par des attendus classiques qui pourront aisément être repris dans les écritures des avocats : «mais attendu que c’est à bon droit que l’arrêt attaqué énonce que , n’étant pas lui-même tenu au secret, l’auteur d’une lettre destinée à son avocat peut prendre l’initiative de produire cette correspondance en Justice» ou «la confidentialité des correspondances échangées entre l'avocat et son client ne s'impose qu'au premier et non au second qui, n'étant pas tenu au secret professionnel, peut les rendre publiques».

L’autorisation des avocats émetteurs de ces courriers n’a même pas à être sollicitée préalablement à la publicité donnée à leur courrier [7]. Dans cet arrêt, les parties invoquaient, pour preuve de leurs allégations, deux lettres, une première rédigée par une partie à l'attention de son propre avocat, et une seconde adressée à des tiers par le conseil de ces derniers. Pour ordonner le retrait de ces deux pièces sur le fondement du secret professionnel, l'arrêt d’appel avait retenu que les avocats concernés n'avaient pas autorisé la production en Justice des lettres échangées avec des clients tiers à la procédure. La Cour de cassation a estimé que l’article 66-5 ne prévoyait pas que la production de ces lettres soit subordonnée à une telle autorisation qu'il n'appartenait pas aux avocats de donner.

Cette jurisprudence était affirmée a contrario par un arrêt du 14 janvier 2010 [8] qui affirmait que «c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que la correspondance adressée par l'avocat son client avait un caractère confidentiel, peu important que la lettre ait été communiquée, pour information, à l'expert-comptable à l'initiative de son auteur qui ne pouvait en autoriser la divulgation ; qu'elle en a exactement déduit que cette missive ne pouvait être produite en Justice par le professionnel du chiffre dans le litige l'opposant au client commun».

Cependant, la Cour amoindrissait la portée générale de son attendu en précisant que, dès lors que dans un autre courrier de l’avocat à l’expert-comptable était évoqué une réunion à laquelle son client et l’expert-comptable avaient participé, les informations échangées à cette occasion ne pouvaient avoir un caractère secret à l'égard de ce professionnel et la production de ce deuxième courrier en Justice devait être autorisé.

L’arrêt ici commenté énonce une autre condition pour voir amodier le caractère absolu du secret de l’avocat : que le trouble de la révélation du secret soit compensé par l’intérêt légitime de celui qui le révèle. C’est le critère de la proportionnalité.

C’était l’un des moyens soulevés par l’employeur et qui avait été tranché par la négative par l’arrêt de cassation du 14 décembre 2016 qui répondait à la question de savoir si le caractère absolu du secret des échanges de correspondances entre avocats contrevenait aux dispositions de l’article 6 § 1 de la CESDH. La Cour de cassation avait rapidement répondu par la négative dans un arrêt de 2004 [9] de même qu’en 2014 en ce qui concerne le secret professionnel du notaire [10].

Le «droit à la preuve» s’est d’abord imposé devant la CEDH qui a procédé au contrôle du respect du «droit au procès équitable» et de celui de l’ «accès au juge» sous le prisme de la proportionnalité utilisé par cette juridiction pour procéder à ses contrôles de conformité aux dispositions de la Convention.

A deux reprises la première chambre de la Cour avait cassé en 2008 et 2012 [11] des arrêts qui avaient pêché par mésusage de cette règle de la proportionnalité : «Attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher si la production litigieuse n’était pas indispensable à l’exercice de son droit de la preuve, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision».

L’arrêt prononcé le 12 septembre 2019 de la cour d’appel de Paris, qui ne retient même pas les pièces litigieuses pour étayer sa décision de fond et qui se contente de relever qu’ «un salarié, lorsque cela est strictement nécessaire à l'exercice des droits de sa défense dans un litige l'opposant à son employeur, peut produire en Justice des documents dont il a eu connaissance à l'occasion de ses fonctions. Il n'y a donc pas lieu de les écarter des débats», fait un examen bien bref de cette exigence de proportionnalité.

Un pourvoi sera-t-il formé ? Cela se pourrait (même si une cassation ne renverserait pas forcément le résultat du procès pour le salarié licencié) car la cour d'appel de Paris n’a pas recherché ni «si la production litigieuse n’était pas indispensable à l’exercice de son droit de la preuve», ni si elle était «proportionnée aux intérêts antinomiques en présence».

Cet arrêt est, en tout éétat de cause, le marqueur du danger qu’il y a à négliger le caractère absolu du secret de l’avocat puisque, selon ses rédacteurs, il suffirait d’une clause de style telle que «un salarié, lorsque cela est strictement nécessaire à l'exercice des droits de sa défense dans un litige l'opposant à son employeur, peut...», pour écarter le caractère absolu du secret de l’avocat, sans même dire pourquoi.

Au-delà de cette lacune rédactionnelle l’arrêt prononcé le 12 septembre 2019 par la cour d’appel de Paris, cependant, est bien dans le sillon de la Cour de cassation.

III - Critique

Mais ce sillon n’est-il pas une ornière pour le secret de l’avocat ?

Il convient de rappeler ici ce qu’Emile Garçon, sous l’article 378 de son Code pénal annoté tome II page 517 (cité également par André Damien [12]) a écrit : 

«le secret professionnel a uniquement pour base un intérêt social. Sans doute la violation de ce secret peut causer un préjudice aux particuliers, qui ont dû révéler à certaines personnes des faits qu’ils n’auraient pas divulgué s’ils n’avaient pas été obligés de le faire en s’adressant à elles, mais cette raison ne suffirait pas pour en justifier l’incrimination et la loi la punit seulement parce que l’intérêt général l’exige. Le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur, le catholique un confesseur, mais ni le médecin, ni l’avocat, ni le prêtre ne pourraient remplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n’étaient assurées d’un secret inviolable. Il importe donc à l’ordre social que ces confidents nécessaires*soient astreints à la discrétion et que le silence leur soit imposé sans condition ni réserve, car personne n’oserait plus s’adresser à eux si on pouvait craindre la divulgation du secret confié*"".

L’avocat a ceci de particulier par rapport au médecin et au prêtre, c’est qu’il est de sa fonction sociale de défenseur de décider souverainement s’il doit ou non et ce qu’il doit révéler de ce que son client lui a confié ou de ce qu’il a appris de l’affaire du fait de ses fonctions.

Au contraire du médecin et du prêtre, l’avocat est en effet un porte-parole. On vient le voir parce que l’on a besoin d’être conseillé, défendu. On lui dit donc tout et c’est lui qui sélectionne ce qu’il est utile d’être dit dans l’intérêt de son client. Son secret est absolu en ce sens qu’il ne peut en être relevé même par la personne qui le lui a confié [13]. Ce caractère absolu procède également de l’utilité sociale du secret. L’avocat n’est pas l’instrument de son client, l’avocat est le confident nécessaire à qui la société confère, dans l’intérêt général qui est que chacun puisse bénéficier d’un utile conseil, ce pouvoir de ne pas révéler, fusse à la Justice, ce qu’il sait.

En somme, soit la société est un moyen pour permettre à l’Homme de s’accomplir et elle est seconde par rapport à l’Homme. Comme le dit joliment André Damien (op. cit. page 134) Antigone a alors priorité sur Créon. Si l’Homme a priorité par rapport à la société, la société doit ménager à l’Homme un espace inviolable de vie privée, ne serait-ce qu’au niveau de sa conscience, pour qu’il puisse délibérer librement sur lui-même afin de décider tout aussi librement de son sort.

Le secret est alors gage de liberté pour l’Homme.

Nous voilà au cœur de la justification sociale du secret de l’avocat.

Soit inversement le partage entre le public et le privé est aboli. L’intérêt de la société prime sur l’intérêt de l’individu, l’Homme est devenu un simple instrument social dont le sort est subordonné à l’intérêt général, en tout domaine la transparence s’impose. C’est là, à n’en pas douter, une société totalitaire. Dans cette société le secret est alors inutile, voire nuisible, l’ordre public domine et seule la discrétion est tolérée. Le relativisme, qui est un cousin de la proportionnalité, règne.

Nous voilà assez loin du procès prud’homal objectera-t-on. Pas du tout. L’inopposabilité du secret de l’avocat au destinataire du courrier ou de la consultation comme l’appel à la notion de proportionnalité pour juger si un secret d’avocat peut être divulgué sont autant de coups plantés dans le corps de ce secret qui, pour rester vivant et utile à la défense de tout individu, doit concerner l’ensemble de la sphère de l’activité de l’avocat et être imposé à tous ses interlocuteurs, fussent-ils ses clients. Les avocats l’ont compris depuis longtemps en inscrivant en 2005 au tout début de leur Règlement intérieur national, à l’article 2 : «L’avocat est le confident nécessaire du client. Le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps».

«D’ordre public et absolu», voilà ce qui devrait écarter l’usage de la règle de la proportionnalité.

En effet, pour être efficace le secret de l’avocat doit s’imposer bilatéralement, à l’avocat comme à son interlocuteur. Il faut protéger le client et son avocat lors du temps long de ce colloque singulier qui va du premier entretien ou du premier courrier à l’exposé de la défense ou du projet de contrat qui seront proposés aux juges, aux adversaires ou aux partenaires d’affaire.

Le client ne dira pas peut-être tout de suite (ou jamais) la vérité à son avocat et l’avocat lui répondra ou le conseillera d’abord en fonction de ce qui lui aura été exposé mensongèrement puis enfin autrement lorsque, la réflexion étant née d’un libre dialogue assuré du secret, la vérité des faits finira parfois par s’établir. Que vaudra alors, aux yeux de la vérité, l’écrit émis par l’avocat à son client au cours de cet échange ?

Le client, s’il est habile et manipulateur, ne parviendrait-il pas à obtenir de son avocat un courrier qu’il s’empresserait de verser aux débats afin de donner crédit à une situation fausse ?

Inversement, l’état d’esprit d’un individu peut évoluer et faire qu’il se résoudra demain à ce qu’il n’aurait jamais fait ou penser qu’il serait capable de faire aujourd’hui. Il faut le protéger en l’empêchant de produire une pièce qui ne reflète plus ce qu’il est devenu.

Oui, le secret de l’avocat, au civil comme au pénal, en toutes matières et circonstances, ménage à l’Homme un espace inviolable de vie privée, ne serait-ce qu’au niveau de sa conscience, pour qu’il puisse, assisté par son avocat, délibérer librement sur lui-même afin de décider tout aussi librement de son sort. Il faut conserver cet espace inviolable par l’avocat autant que par leurs clients. Il en va de l’équilibre social. Les avocats devraient le plaider. Les juges devraient y veiller.

 

[1] Cass. civ. 1, 14 décembre 2016, n°15-27.349, F-P+B (N° Lexbase : A2178SXX).

[2] L’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques prévoit depuis 1997 : «En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention "officielle", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel».

[3] CESDH, art. 6 § 1 : «Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la Justice».

[4] Article 2 du RIN de la profession d’avocat résultant du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 (N° Lexbase : L6025IGA) :«L’avocat est le confident nécessaire du client. Le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps».

[5] Cass. civ. 1, 4 avril 2006, n°04-20.735, FS-P+B, (N° Lexbase : A9671DNI), Bull n° 189 (N° Lexbase : A9671DNI).

[6] Cass. civ. 1, 30 septembre 2008, n° 07-17.162, F-D (N° Lexbase : A5920EAI) ; Cass. civ. 1, 30 avril 2009, n°08-13.596, F-D ([LXB=A6517EGH) ; Cass. civ. 1, 30 mai 2013, n°12-24.090, F-D (N° Lexbase : A9591KEX) ; Cass. com., 8 décembre 2015, n°14-20.521, F-D (N° Lexbase : A1946NZ4) ; Cass. civ. 1, 14 décembre 2016, n°15-27.349, F-P+B, (N° Lexbase : A2178SXX), Bull. n° 252 (N° Lexbase : A2178SXX).

[7] Cass. civ. 1, 13 mars 2008, n°06-16.740, FS-P+B (N° Lexbase : A3925D7I).

[8] Cass. civ. 1, 14 janvier 2010, n°08-21.854, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3027EQ8).

[9] Cass. civ. 1, 27 janvier 2004, n°01-13.976, FS-P, (N° Lexbase : A0364DB4) n° 25.

[10] Cass. civ. 1, 4 juin 2014, n°12-21.244, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6787MP3), Bull n° 101 (N° Lexbase : A6787MP3).

[11] Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n°07-15.778, FS-P+B (N° Lexbase : A8028EAL) Bull n° 230 (N° Lexbase : A8028EAL) et Cass. civ. 1, 5 avril 2012, n°11-14.177, F-P+B+I (N° Lexbase : A1166IIZ), Bull. n° 85 (N° Lexbase : A1166IIZ).

[12] A. Damien, Le secret nécessaire, Desclée de Brouwer, 1989

* souligné par l’auteur des présentes

[13] Paris, 17 janvier 1969, D., 69.316. 

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Avocats/Déontologie

[Brèves] Citation à comparaître devant la juridiction disciplinaire  : précisions sur son contenu

Réf. : Cass. civ. 1, 10 octobre 2019, n° 18-21.966, FS-P+B (N° Lexbase : A0061ZRP)

Lecture: 9 min

N0745BYA

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par Marie Le Guerroué

Le 28 Octobre 2019

► La nullité de la citation à comparaître devant la juridiction disciplinaire doit être écartée lorsque l’avocat poursuivi suffisamment informé des faits servant de base aux poursuites disciplinaires a été en mesure de présenter ses moyens de défense ;

► Si la juridiction disciplinaire est tenue de statuer dans la limite des faits dénoncés dans la citation, c’est à elle qu’il incombe, dans le respect du principe de la contradiction, de leur restituer une exacte qualification juridique et de se prononcer conformément aux règles de droit en vigueur au moment de leur commission, au rang desquelles figurent les dispositions du règlement intérieur du barreau auquel l’avocat est inscrit, pris en application de l’article 17, 1°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ), conformes aux prescriptions légales et réglementaires. 

Telles sont, notamment, les solutions rendues par la Cour de cassation dans un arrêt du 10 octobre 2019 (Cass. civ. 1, 10 octobre 2019, n° 18-21.966, FS-P+B N° Lexbase : A0061ZRP). 

Faits/Procédure. En l’espèce, un avocat au barreau de Paris, avait, en exécution d’un compromis en date du 19 juin 1995, présidé un tribunal arbitral dans un litige à propos des donations qu’un artiste et son épouse avaient consenties à une fondation. Un arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 mai 2014, devenu irrévocable après le rejet d’un pourvoi en cassation (Cass. civ. 1, 4 novembre 2015, n° 14-22.630, F-P+B N° Lexbase : A0244NWX, Bull. civ. I, 2015, n° 265), avait annulé, pour fraude, la sentence arbitrale et la sentence rectificative. Une procédure disciplinaire avait été ouverte par le Bâtonnier de l’Ordre des avocats au barreau de Paris, autorité de poursuite, à l’encontre de l’avocat. Ce dernier forme un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris en ce qu’il l’a déclaré coupable de manquement au principe essentiel d’honneur et pour avoir prononcé, en conséquence, des sanctions disciplinaires (CA Paris, 2, 1, 28 juin 2018, n° 16/16859 N° Lexbase : A6401XUM ; v., aussi, J. Bouëssel du Bourg, Un avocat ne peut pas présider un tribunal arbitral qui manque d’indépendancein Lexbase Professions, n° 269, 2018 N° Lexbase : N5270BXH).  

  • Sur l’imprécision des faits de la citation à comparaître 

Grief. L’avocat faisait grief à l’arrêt de rejeter l’exception de nullité de la citation.  

Analyse de la Cour. La Cour de cassation énonce, d’une part, que la nullité de la citation doit être écartée lorsque l’avocat poursuivi, suffisamment informé des faits servant de base aux poursuites disciplinaires, a été en mesure de présenter ses moyens de défense, d’autre part, que, si la juridiction disciplinaire est tenue de statuer dans la limite des faits dénoncés dans la citation, c’est à elle qu’il incombe, dans le respect du principe de la contradiction, de leur restituer une exacte qualification juridique et de se prononcer conformément aux règles de droit en vigueur au moment de leur commission, au rang desquelles figurent les dispositions du règlement intérieur du barreau auquel l’avocat est inscrit, pris en application de l’article 17, 1°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, conformes aux prescriptions légales et réglementaires. En l’espèce, la Cour relève, qu’après avoir constaté que les manquements poursuivis étaient clairement précisés en pages 16 à 18 de la citation, la cour d’appel a retenu que celle-ci renseignait l’avocat sur les faits reprochés et le fondement juridique invoqué, peu important le visa erroné de l’article 1.3 du règlement intérieur national (RIN), dans la mesure où les faits contraires à l’honneur que, seuls, elle retenait contre l’avocat, étaient prévus par l’article 1.3 du RIBP (règlement intérieur du barreau de Paris). La cour avait aussi ajouté que l’article 184 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat N° Lexbase : L8168AID, qui énonce les sanctions encourues, était également mentionné, de sorte que l’intéressé avait pu utilement se défendre en toute connaissance de cause. Le premier moyen invoqué par l’avocat n’est donc selon la Cour pas fondé. 

  • Sur le fondement juridique de la citation 

Grief. L’avocat soutenait, aussi, que l’arrêt attaqué était contraire au principe de non-rétroactivité des lois et règlements, notamment, en ce, d’abord, qu’il était fondé sur l’article 1.3 du RIN institué par le décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 (N° Lexbase : L6025IGA) et par la décision du 12 juillet 2007 du Conseil national des barreaux alors les faits imputés à l’avocat était survenus en 1995 et en ce qu’il était, ensuite, fondé sur l’article 1.3 RIBP non visé par la citation. 

Analyse de la Cour. Toutefois, la Cour de cassation relève, en premier lieu, que la citation délivrée à l’avocat ne se référait pas exclusivement à l’article 1.3 du RIN, mais aussi aux articles 183 et 184 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 précité qui définissent et sanctionnent les fautes disciplinaires, au rang desquelles se trouve le manquement à l’honneur. Elle relève, en second lieu, que la condamnation de l’avocat à une sanction disciplinaire n’est pas fondée sur l’article 1.3 du RIN, mais sur l’article 1.3 du RIBP en vigueur au moment de la commission des faits, qui, conformément à l’article 183 susmentionné, prévoyait que le manquement à l’honneur était une faute disciplinaire. Le deuxième moyen n’est donc pas fondé. 

  • Sur l’imprescribilité des poursuites disciplinaires 

Grief. L’avocat fait grief à l’arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription des poursuites disciplinaires. Il estime qu’en considérant que l’imprescriptibilité des poursuites disciplinaires dont peut faire l’objet un avocat ne portait pas atteinte au droit à un procès équitable et qu’ainsi, l’ancienneté des faits imputés à l’avocat, survenus vingt ans avant l’engagement des poursuites, ne faisait pas obstacle à celles-ci, il estime que la cour d’appel a violé l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR) (v., déjà, sur ce point, Cons. const., décision n° 2018-738 QPC, du 11 octobre 2018 (N° Lexbase : A0164YG8). 

Jurisprudence CEDH. Mais pour la Cour, il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, d’une part, que l’introduction d’un délai de prescription ne doit pas avoir pour effet de limiter ou de restreindre le droit d’accès à un tribunal, de telle façon ou à un degré tel qu’il s’en trouverait atteint dans sa substance même (CEDH, 11 mars 2014, Req. 52067/10 N° Lexbase : A2773S4H), et que, si la fixation d’un tel délai n’est pas en soi incompatible avec la Convention, il y a lieu de déterminer si la nature de ce délai et/ou la manière dont il est appliqué se concilie avec la Convention (CEDH, 20 décembre 2007, Req. 23890/02 N° Lexbase : A8034IDW ; CEDH, 7 juillet 2009, Req. 1062/07 N° Lexbase : A6444EII), d’autre part, que les Etats contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation (CEDH, 22 octobre 1996, Req. 36-37/1995/542 N° Lexbase : A8348AW4). 

Rejet. La cour d’appel a procédé́, pour la Cour de cassation, comme il le lui incombait, à une analyse in concreto des faits à elle soumis dont elle a déduit que, même à supposer qu’il faille appliquer, au regard des exigences de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, un délai de prescription de trois ans, l’action disciplinaire engagée par le Bâtonnier, le 30 novembre 2015, n’était pas prescrite, les conditions exactes de l’arbitrage litigieux n’ayant été portées avec certitude à la connaissance de l’autorité de poursuite qu’à l’occasion de l’annulation de la sentence arbitrale par l’arrêt du 27 mai 2014. Le moyen n’est, donc pour la Cour, pas plus fondé. 

  • Sur la caractérisation de la faute disciplinaire. 

Analyse de la Cour. La Cour considère qu’en appréciant souverainement les faits constitutifs d’un manquement à l’honneur, la cour d’appel a caractérisé la faute disciplinaire en retenant qu’il résultait d’un faisceau de circonstances que l’avocat avait gravement exposé à la critique sa profession et la réputation de son barreau d’appartenance. Le moyen est inopérant dès lors que se trouve seule en débat la responsabilité disciplinaire de l’avocat.

  • Sur la communication des conclusions du Bâtonnier  

Grief. Enfin, l’avocat énonce au soutien de ses prétentions que la cour d’appel qui statue en matière disciplinaire doit s’assurer que les conclusions du Bâtonnier, partie poursuivante, ont été communiquées à l’avocat poursuivi dans des conditions lui permettant d’y répondre utilement. L’arrêt relève que le Bâtonnier a conclu de façon motivée à la confirmation de la décision entreprise, sans préciser si le Bâtonnier avait déposé en ce sens des conclusions écrites préalablement à l’audience, ni constater, le cas échéant, que l’avocat en avait reçu communication dans des conditions lui permettant d’y répondre utilement, ce en quoi, pour l’avocat, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 6, § 1, de la CESDH et 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q). 

Rejet. Toutefois, la Cour de cassation rappelle, qu’aux termes de l’article 459 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6569H7G), l’omission ou l’inexactitude d’une mention destinée à établir la régularité du jugement ne peut entraîner la nullité de celui-ci s’il est établi par les pièces de la procédure, par le registre d’audience ou par tout autre moyen que les prescriptions légales ont été, en fait, observées. En l’espèce, si l’arrêt ne comporte aucune mention sur le dépôt, par le Bâtonnier, de conclusions écrites préalablement à l’audience et ne précise pas qu’en ce cas, le professionnel poursuivi en avait reçu communication afin d’y répondre utilement, il ressort, cependant, de la production des notes d’audience, signées du greffier et du président, certifiées conformes par le greffier en chef, que le Bâtonnier n’a conclu qu’oralement à l’audience. Le cinquième moyen n’est pas plus fondé.  

Décision. Le pourvoi de l’avocat est donc rejeté (cf. l'Ouvrage “La profession d’avocat” N° Lexbase : E0093EUY et N° Lexbase : E9158ETD). 

newsid:470745

Avocats/Formation

[Brèves] Passerelle juriste d’une organisation syndicale/avocat : possibilité d'avoir eu une activité parallèle, à temps partiel, à celle de juriste

Réf. : Cass. civ. 1, 10 octobre 2019, n° 18-15.961, F-D (N° Lexbase : A0168ZRN)

Lecture: 4 min

N0736BYW

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par Marie Le Guerroué

Le 16 Octobre 2019

► L’exercice d’une seconde activité à temps partiel ne prive pas un juriste ayant exercé une activité continue de juriste pendant une durée de huit années de la dispense de formation et de diplôme prévue par l’article 98, 5° du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID).

Tel est l’enseignement de l’arrêt rendu le 10 octobre 2019 par la première chambre civile de la Cour de Cassation (Cass. civ. 1, 10 octobre 2019, n° 18-15.961, F-D N° Lexbase : A0168ZRN).

Faits. Dans cette affaire, un juriste avait sollicité son admission au barreau de Paris sous le bénéfice de la dispense de formation et de diplôme prévue à l'article 98, 5°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, pour les juristes attachés pendant huit ans au moins à l'activité juridique d'une organisation syndicale.

Pourvoi. L’Ordre des avocats au barreau de Paris faisait grief à l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 8 mars 2018, n° 16/20079, Infirmation N° Lexbase : A5620XGA ; v., aussi, N° Lexbase : N3315BX3) de dire que le juriste pouvait bénéficier de la dispense prévue à l’article 98, 5°, du décret du 27 novembre 1991, alors que ne peut prétendre au bénéfice de la dispense que celui qui justifie avoir exercé, de façon continue, pendant huit ans au moins, une activité spécifique de juriste à plein temps, à titre principal ou prépondérant, au sein d’une organisation syndicale. Pour l’Ordre, en se bornant à retenir, pour accorder à l’intéressé le bénéfice de la dispense prévue par ce texte, qu’il «établi[ssait]… [avoir] effectivement exercé une activité continue de juriste en droit social » et que «son autre activité à temps partiel …[ne l’avait pas] empêché d’avoir une activité spécifique et continue de juriste», sans caractériser le caractère principal ou prépondérant de l’activité de défenseur syndical exercée par le défendeur, la cour d’appel avait privé sa décision de base légale au regard de l’article 98, 5° précité.

Conditions de la dispense (oui). La cour d’appel avait relevé, d’abord, que le juriste était attaché au syndicat national de l'écrit CFDT, en qualité de juriste en droit social, depuis 2002, et avait exercé cette activité de façon quasi permanente, son volume horaire dépassant celui de la durée légale hebdomadaire du travail et qu'il avait élaboré de nombreuses conclusions, en vertu d'un mandat donné par le syndicat CFDT, devant les conseils de prud'hommes et devant les cours d'appel, en qualité de délégué syndical, exerçant de manière effective une activité continue de juriste en droit social pendant une durée de huit années. L’arrêt relevait, aussi, que, depuis 1997, il était également attaché à l’Union départementale CFDT du Val d’Oise, en qualité de juriste en droit social, et qu'il assurait, à ce titre, le suivi de procédures devant les conseils de prud'hommes et les cours d'appel, et qu'il intervenait comme conseil en droit social pour toutes questions formulées par les syndicats ou sections syndicales relevant de son champ géographique. L’arrêt ajoute que, de 1997 à 2013, il avait également exercé l’activité d'ouvrier d'entretien, à temps partiel, à raison d’une période de 69 heures par mois, selon un horaire aménagé, dans la semaine, consistant en une heure, tôt, le matin, et en une autre heure, tard, le soir, et, le dimanche, de 10 heures à 15 heures 30, le défendeur estimait que ces horaires, qui ne sont pas des horaires habituels de travail, ne l'ont pas empêché d'exercer une activité spécifique et continue de juriste.

Rejet du pourvoi. La Cour de cassation reprend les constats faits par la cour d’appel de Paris. Pour la Haute Cour, de ces constatations et appréciations, dont il résulte que le défendeur, démontrait avoir exercé, à titre principal, une activité de juriste attaché à l’activité juridique d’une organisation syndicale, la cour d'appel a exactement déduit que celui-ci était en droit de bénéficier de la dispense prévue à l'article 98, 5°, du décret précité, justifiant ainsi légalement sa décision. Elle rejette donc le pourvoi formé par l'Ordre des avocats de Paris (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E0310E7M).

newsid:470736

Baux d'habitation

[Jurisprudence] AirBnb : les loyers d’une sous-location interdite appartiennent au propriétaire par accession

Réf. : Cass. civ. 3, 12 septembre 2019, n° 18-20.727, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0802ZNZ)

Lecture: 10 min

N0838BYP

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par Julien Laurent, Professeur à l'Université Toulouse 1-Capitole, IEJUC (EA 1919)

Le 17 Octobre 2019

L’arrêt ici commenté rendu par la troisième chambre civile le 12 septembre 2019 mobilise des questions de théorie classique de droit des biens, tout en étant d’une très grande portée pratique. La Cour de cassation considère, sur le fondement des articles 546 (N° Lexbase : L3120AB8) et 547 (N° Lexbase : L3121AB9) du Code civil, que les loyers d’une sous-location interdite échoient au bailleur-propriétaire par accession. 

Notons tout de suite que la Cour de cassation approuve, quoiqu’en des termes plus nets, le raisonnement déjà tenu par les juges de la cour d’appel dans une décision déjà commentée dans ces colonnes (CA Paris, Pôle 4, 4ème ch., 5 juin 2018, n° 16/10684 N° Lexbase : A2680XQC) [1], consistant à considérer que les sous-loyers perçus par le locataire à l’occasion d’une sous-location interdite constituent des fruits civils, lesquels appartiennent au propriétaire en vertu du mécanisme de l’accession, comme le prévoient conjointement les articles 546 et 547 du Code civil. Ce dont il résulte que le locataire en doit intégralement restitution au propriétaire-bailleur.

Les faits ayant donné lieu au litige étaient simples. Un bail d’habitation ayant pour objet un appartement avait été conclu entre une SCI et deux particuliers, avant que le nouveau propriétaire de l’immeuble ne délivre un congé pour reprise aux locataires. Découvrant que l’appartement avait été sous-loué via la fameuse plateforme en ligne Airbnb, alors que la sous-location était interdite sans l’accord du bailleur, le propriétaire sollicita le remboursement des sous-loyers perçus. La cour d’appel donna raison au propriétaire, sur quoi le locataire forma pourvoi en cassation.

Le premier moyen du pourvoi (seul digne d’intérêt ici) tenait en deux points, tous deux visant à combattre l’attribution des sous-loyers au propriétaire par le mécanisme de l’accession. En premier lieu, les sous-loyers perçus par le locataire au titre de la sous-location ne constitueraient pas des fruits civils mais l’«équivalent économique du droit de jouissance» conféré au preneur. Ces sous-loyers seraient donc, selon le demandeur, dus au preneur, sauf pour le bailleur à démontrer qu’il aurait subi un préjudice en raison de la sous-location prohibée. En second lieu, la sous-location étant prohibée, elle serait inopposable au propriétaire tandis qu’elle produirait tous ses effets entre le locataire (principal) et le sous-locataire. Seul le locataire serait par conséquent créancier des sous-loyers, qui ne sauraient appartenir au propriétaire-bailleur, et ne pourraient donner lieu à restitution. En retenant le contraire, les juges du fond auraient violé ensemble les articles 546 et 547 du Code civil -qui prévoient l’attribution des fruits civils au propriétaire par accession- et l’article 1231-1 du même code (N° Lexbase : L0613KZQ), fondant le principe de réparation du préjudice résultant d’une inexécution contractuelle.

La Cour de cassation rejette en bloc ces arguments. Elle considère que, «sauf lorsque la sous-location a été autorisée par le bailleur, les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire». La sous-location ayant été en l’espèce conclue sans l’accord du bailleur, la cour d’appel en a exactement déduit, «nonobstant l’inopposabilité de la sous-location au bailleur, que les sommes perçues à ce titre devaient lui être remboursées». La généralité des termes de l’attendu suggère que la solution vaudrait pour tout type de location, lorsque la sous-location est interdite. Elle est donc d’une grande portée.

Si la solution apparaît, à certains égards, séduisante (I) elle repose, à notre avis, sur un fondement fragile (II). Elle apparaît surtout mue par un objectif d’efficacité, dans un contexte de régulation des sous-locations touristiques, notamment via Airbnb (III).

I. Le raisonnement développé par la Cour de cassation repose entièrement sur une mobilisation du mécanisme de droit des biens de l’acquisition par accession, que consacrent ensemble les articles 546 et 547 du Code civil. Rappelons qu’en vertu du premier de ces textes, la propriété d’une chose donne droit à tout ce que cette chose produit. De fait, le propriétaire exerçant un rapport d’exclusivité sur le bien, il est parfaitement logique de considérer que les biens générés par un autre bien échoient par principe au propriétaire du bien qui en est la source. Le Code civil désigne cette prérogative à son article 546 sous le terme de «droit d’accession». Le modèle des biens générés par un autre est le fruit, qui désigne ce bien produit par un autre sans en altérer ni en diminuer la substance. C’est la raison pour laquelle le Code choisit, afin d’illustrer le droit d’accession par production, la catégorie des fruits. Aux termes de l’article 547 du Code civil, en effet, les fruits civils appartiennent au propriétaire par «droit d’accession».

Les loyers étant expressément qualifiés de fruits civils par la loi (C. civ., art. 584 N° Lexbase : L3165ABT), il résulte de la combinaison de la règle de l’accession et de cette qualification légale que les loyers échoient par principe au propriétaire. Une exception doit être relevée d’évidence à ce principe : l’hypothèse dans laquelle le propriétaire a concédé à un tiers la jouissance de sa chose, droit qui implique le droit aux fruits ; ainsi, d’un usufruit (C. civ., art. 578 N° Lexbase : L3159ABM) ou, précisément comme en l’espèce, d’une location (C. civ., art. 1709 N° Lexbase : L1832ABH). Mais la propriété des fruits ne peut échapper au propriétaire que s’il a consenti à cette concession de jouissance, car seul le maître du bien peut renoncer volontairement à l’accession ; or, en l’espèce, tel n’était pas le cas puisque la sous-location se révélait interdite. Une hésitation pourrait naître, toutefois, sur la parfaite solidité de cette solution. Selon certains auteurs, il existe en effet un principe non formulé de manière générale par la loi, mais essaimé çà et là (C. civ., art. 549 N° Lexbase : L3123ABB ; C. civ., art. 856 N° Lexbase : L9997HNL ; C. civ., art. 928 N° Lexbase : L0080HPN ; C. civ., art. 1682, al. 2 N° Lexbase : L1792ABY, etc.) selon lequel le possesseur acquiert les fruits de la chose qu’il possède. Le fondement de cette acquisition est que les fruits récompensent celui qui a administré la chose : ils sont selon l’adage dus au possesseur pro cura et cultura (F. Zenati-Castaing et Th. Revet, Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 127 et n° 505 et s.). L’effet acquisitif de la possession peut, toutefois, être écarté par la volonté du propriétaire, qui est en mesure d’évincer le détenteur précaire qu’il autorise à jouir de la chose (F. Zenati-Castaing et Th. Revet, op. cit., n° 509). Tel était précisément le cas, en l’espèce, puisque le contrat de location (comme c’est couramment le cas) interdisait la sous-location. Quant à l’article 549 du Code civil, qui prévoit que le possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi, il ne concerne que l’hypothèse d’un possesseur ayant été évincé par le versus dominus mais ayant cru de bonne foi à l’authenticité de son titre (C. civ., art. 548 N° Lexbase : L3122ABA et 549 N° Lexbase : L3123ABB du Code civil).

II. Si la solution est en apparence assez convaincante du point de vue des effets qu’elle fait produire à l’accession -les fruits devant échoir en principe au propriétaire en raison du droit d’accession et la sous-location étant interdite, on paralyse le droit aux fruits du locataire entraînant l’acquisition ipso facto les sous-loyers par le propriétaire-bailleur-, elle suscite plus d’hésitation quant à l’application de règles pensées pour les fruits naturels, et étendues ici sans réserve aux fruits civils, catégorie de fruits pourtant tout à fait singulière eu égard à leur artificialité. Rappelons que les fruits civils sont des créances qui naissent de la mise à disposition prorata temporis du bien (C. civ., art. 584 N° Lexbase : L3165ABT). Ces fruits trouvent donc leur source dans la contrepartie de la jouissance concédée et non dans le bien lui-même. Or l’immeuble loué à usage d’habitation n’est pas un bien frugifère à proprement parler, les loyers ne prenant leur véritable source que dans le contrat qui les prévoit ; ce n’est qu’indirectement que l’immeuble produit ces créances de loyers. Pour le dire autrement, c’est la position contractuelle de bailleur (ici de sous-bailleur) qui fait du locataire le créancier des sous-loyers. Or, la sous-location étant interdite, on doit comprendre que ce contrat est par conséquent inopposable au propriétaire. Dès lors, l’on ne voit pas à quel titre il pourrait être considéré comme créancier des loyers et avoir droit à ces fruits civils. C’est précisément ce que tente de faire valoir le pourvoi, lorsqu’il prend soin de relever que la sous-location irrégulièrement consentie étant inopposable au propriétaire, seul le locataire est créancier des sous-loyers.

En faisant acquérir les sous-loyers automatiquement au propriétaire par voie d’accession, la Cour de cassation nous semble par conséquent raisonner par une sorte d’ellipse : tout se passe comme si c’était directement l’immeuble qui était productif des loyers, faisant ainsi du locataire (privé du jus fruendi) un simple percepteur des fruits pour le compte du propriétaire. C’est, à notre avis, pousser trop loin l’assimilation des fruits civils aux fruits naturels. Les fruits civils ne devraient pouvoir, en toute rigueur, échoir au propriétaire de l’immeuble que si ce dernier revêt, à leur égard, la qualité de sous-bailleur. Or tel n’est pas le cas puisque, comme l’observe la Cour de cassation elle-même, la sous-location était irrégulière.

III. Derrière la déformation des concepts de fruits civils et d’accession par l’arrêt, on devine surtout la volonté des juges du droit de trouver une parade dissuasive à la faute lucrative que constitue la sous-location interdite : si tous les sous-loyers sont à l’avenir récupérables automatiquement sur le fondement de l’accession, il est clair que les locataires ne s’y risqueront pas. Assurément, la solution a le mérite de l’efficacité. Par comparaison, la voie du droit des contrats ne semble pas assez énergique, même si le locataire indélicat encourt la résiliation de son bail. En raison de l’interdiction des dommages et intérêts punitifs, la réparation sur le fondement d’une inexécution contractuelle engagée contre le locataire paraît par comparaison bien moins énergique, sauf à démontrer que le préjudice subi par le bailleur correspondrait à l’intégralité des loyers perçus, ce qui paraît difficile à admettre. Une action en responsabilité délictuelle qu’intenterait le bailleur contre le sous-locataire indélicat est également envisageable, mais l’on se heurtera alors au principe de réparation intégrale : on doute qu’il puisse être estimé à hauteur des sous-loyers perçus. Si ces voies sont effectivement fermées et si, néanmoins, la Cour de cassation devait dans l’avenir abandonner sa solution fondée sur l’accession, une alternative envisageable pourrait consister, puisqu’il s’agirait de faute lucrative, dans l’attribution de dommages et intérêts restitutoires, évoqués dans le cadre du débat sur la réforme de la responsabilité civile [2]. Ces dommages et intérêts auraient pour objet de compenser la différence entre les dommages et intérêts obtenus pour inexécution contractuelle et le montant des sous-loyers perçus par le locataire principal.

 

[1] M. Jaoul, Lexbase, éd. priv., n° 746, 2018 (N° Lexbase : N4632BXT).

[2] V. not. les propositions faites par la cour d’appel de Paris, dans le cadre d’un groupe de travail, Rapport sur la réforme du droit français de la responsabilité civile et les relations économiques, avril 2019.

newsid:470838

Douanes

[Brèves] Conformité à la Constitution des dispositions portant soumission des carburants à base d’huile de palme à la taxe incitative relative à l’incorporation de biocarburants

Réf. : Cons. const., décision n° 2019-808 QPC, du 11 octobre 2019 (N° Lexbase : A7486ZQC)

Lecture: 2 min

N0727BYL

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par Marie-Claire Sgarra

Le 16 Octobre 2019

Le législateur a pu, sans méconnaître la Constitution, exclure l'huile de palme d'un régime fiscal favorable prévu pour les biocarburants.

Telle est la solution retenue par le Conseil constitutionnel dans une décision du 11 octobre 2019 (Cons. const., décision n° 2019-808 QPC du 11 octobre 2019 N° Lexbase : A7486ZQC).

Pour rappel, le Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d’Etat (CE 9° et 10° ch.-r., 24 juillet 2019, n° 431589, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7349ZKE) d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du dernier alinéa du 2 du B du paragraphe V de l'article 266 quindecies du Code des douanes (N° Lexbase : L9231LN9), dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 (N° Lexbase : L6297LNK).

Ces dispositions interdisent de considérer comme des biocarburants les carburants issus de l'huile de palme, sans possibilité de démontrer que cette huile a été produite dans des conditions permettant d'éviter le risque de hausse indirecte des émissions de gaz à effet de serre.

Pour le Conseil constitutionnel, en instituant la taxe incitative relative à l'incorporation de biocarburants, le législateur a entendu lutter contre les émissions de gaz à effet de serre dans le monde et a cherché à réduire tant les émissions directes, notamment issues des carburants d'origine fossile, que les émissions indirectes, causées par la substitution de cultures agricoles destinées à produire des biocarburants à celles destinées à l'alimentation, conduisant à la mise en culture, à des fins alimentaires, de terres non agricoles riches en carbone, telles que les forêts ou les tourbières. Ainsi, l'appréciation par le législateur des conséquences pour l'environnement de la culture des matières premières en question n'est pas, en l'état des connaissances, manifestement inadéquate au regard de l'objectif d'intérêt général de protection de l'environnement poursuivi.

Le Conseil constitutionnel en déduit que, en excluant pour le calcul de la taxe toute possibilité de démontrer que l'huile de palme pourrait être produite dans des conditions permettant d'éviter le risque de hausse indirecte des émissions de gaz à effet de serre, le législateur a, en l'état des connaissances et des conditions mondiales d'exploitation de l'huile de palme, retenu des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi.

newsid:470727

Droit des étrangers

[Brèves] Fin de la prise en charge d’un mineur isolé considéré à tort comme majeur : la France n’est pas condamnée pour traitement inhumain ou dégradant

Réf. : CEDH, 10 octobre 2019, Req. 50376/13 (N° Lexbase : A6621ZQB)

Lecture: 2 min

N0724BYH

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par Marie Le Guerroué

Le 16 Octobre 2019

► Les autorités françaises, qui avait conclu à tort à la majorité d’un ressortissant guinéen et avaient mis fin aux mesures de protection et à sa prise en charge, ne lui ont pas imposé un traitement inhumain ou dégradant.

 

Ainsi statue la Cour européenne des droits de l’Homme dans une décision du 10 octobre 2019 (CEDH, 10 octobre 2019, Req. 50376/13 N° Lexbase : A6621ZQB).

 

Faits. Un ressortissant guinéen s’était présenté à la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile et s’était déclaré mineur. Les tests osseux avaient conclu qu'il avait dix-neuf ans. Sur la foi des actes d’état civil qu’il avait produits, le juge des tutelles le jugea mineur et ouvrit à son bénéfice une tutelle d’Etat. Mais la cour d’appel de Rennes infirma, par la suite, l’ordonnance, jugeant qu’en l’absence de document fiable permettant de déterminer l’âge du requérant, aucun élément n’empêchait de retenir le résultat des tests osseux et conclut donc qu’il était majeur. Les mesures de protection et de prise en charge prirent fin.

 

Griefs. Le mineur se plaignait, devant la Cour, d’avoir été abandonné dans une situation matérielle précaire par les autorités françaises alors, qu'en tant que mineur isolé étranger, aucun recours ne lui était ouvert. Il invoquait en particulier l’article 3 de la CESDH (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) (N° Lexbase : L4764AQI).

 

Analyse de la Cour. La Cour relève que dès l’instant où les juridictions françaises l’ont considéré comme mineur, le requérant a bénéficié d’une prise en charge complète qui s’est traduite par la désignation d’un représentant légal, la mise à disposition d’un hébergement et sa scolarisation dans une filière de formation professionnelle. Lorsqu’il a été jugé majeur par l’arrêt de la cour d’appel, la Cour considère que cette période d’environ quatorze mois a certes été difficile, mais n’a pas constitué pour l’intéressé un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Enfin, le requérant a bénéficié d’une mesure de placement par le Conseil général jusqu’à sa majorité.

 

Violation (non). La Cour conclut que sa situation ne constituait pas un traitement contraire à l’article 3.

newsid:470724

Entreprises en difficulté

[Brèves] Résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges postérieurs au jugement d’ouverture : absence d’obligation, pour le bailleur, de délivrer le commandement visant la clause résolutoire

Réf. : Cass. com., 9 octobre 2019, n° 18-17.563, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6604ZQN)

Lecture: 3 min

N0722BYE

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par Vincent Téchené

Le 16 Octobre 2019

► Lorsque le juge-commissaire est saisi, sur le fondement de l’article L. 641-12, 3°, du Code de commerce (N° Lexbase : L8859ING) d’une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail d’un immeuble utilisé pour l’activité de l’entreprise, en raison d’un défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire du preneur, cette procédure, qui obéit à des conditions spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l’article L. 145-41 du Code de commerce (N° Lexbase : L1063KZE), à faire constater l’acquisition de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail, de sorte que le bailleur n’est pas dans l’obligation de délivrer le commandement exigé par ce texte.

Tel est l’enseignement d’un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 9 octobre 2019 (Cass. com., 9 octobre 2019, n° 18-17.563, FS-P+B+I N° Lexbase : A6604ZQN).

L’affaire. En l’espèce, une SCI a donné en location des locaux destinés à l’exercice de l’activité commerciale d’une société. Cette dernière a été mise en liquidation judiciaire. Le juge-commissaire a autorisé la cession du fonds de commerce de la société débitrice. La SCI a, par la suite, demandé au juge-commissaire de constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers dus postérieurement à l’ouverture de la liquidation judiciaire. L’acte de cession du fonds de commerce, comprenant le droit au bail, sous les conditions que l’ordonnance l’autorisant ne soit pas infirmée et du prononcé d’une décision définitive rejetant la demande de constatation de la résiliation du bail. Le juge-commissaire a alors rejeté la requête tendant à la constatation de la résiliation du bail.

L’arrêt d’appel. La cour d’appel (CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 4 avril 2018, n° 17/19289 N° Lexbase : A0170XKI) confirme le jugement ayant rejeté le recours contre cette ordonnance. Pour ce faire, elle retient que les dispositions de l’article L. 622-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L8845INW) ne dérogent pas à celles de l’article L. 145-41 du même code prévoyant, en cas de clause résolutoire, la délivrance préalable d’un commandement, le liquidateur pouvant solliciter des délais de paiement et la suspension de la clause résolutoire, tant que la résiliation du bail n’a pas été constatée par une décision ayant acquis l’autorité de la chose jugée. En outre, le fait pour le bailleur d’opter pour la saisine du juge-commissaire, plutôt que celle du juge des référés, ne le dispense pas de la délivrance préalable du commandement visant la clause résolutoire.

La décision. Sur pourvoi formé par la bailleresse, la Cour de cassation, énonçant le principe précité, censure l’arrêt d’appel : en effet, selon elle, le bailleur, qui agissait devant le juge-commissaire pour lui demander la constatation de la résiliation de plein droit du bail, sans revendiquer le bénéfice d’une clause résolutoire, n’était pas dans l’obligation de délivrer le commandement exigé par l’article L. 145-41 du Code de commerce (N° Lexbase : L1063KZE).

Revirement. La Cour de cassation opère ici un revirement de jurisprudence puisqu’elle avait précédemment jugé que les dispositions de l'article L. 622-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L8845INW), applicables en sauvegarde et en redressement, par renvoi de l’article L. 631-14 (N° Lexbase : L7317IZZ) -identiques à celles de l’article L. 641-12- ne dérogent pas aux dispositions de l'article L. 145-41 du même code prévoyant, en cas de clause résolutoire, la délivrance préalable d'un commandement (Cass. com. 28 juin 2011, n° 10-19.331, F-D (N° Lexbase : A6449HUE ; cf. les Ouvrages «Entreprises en difficulté» N° Lexbase : E0294EUG et «Baux commerciaux» N° Lexbase : E2020EPI).

newsid:470722

Licenciement

[Brèves] Absence de preuve par le salarié du lien entre son licenciement et la procédure prud’homale précédemment engagée

Réf. : Cass. soc., 9 octobre 2019, n° 17-24.773, FS-P+B (N° Lexbase : A0148ZRW)

Lecture: 2 min

N0738BYY

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par Charlotte Moronval

Le 17 Octobre 2019

► Lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une action en justice introduite pour faire valoir ses droits.

Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 9 octobre 2019 (Cass. soc., 9 octobre 2019, n° 17-24.773, FS-P+B N° Lexbase : A0148ZRW ; voir Cass. soc., 16 mars 2016, n° 14-23.589, FS-P+B+R N° Lexbase : A3418Q84 qui rappelle qu’est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale, le licenciement intervenu en raison d'une action en justice introduite par le salarié).

L'affaire. un salarié saisit le 15 septembre 2011 la juridiction prud’homale de demandes en paiement d’heures supplémentaires et de primes. Mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable le 29 septembre 2011, il est licencié pour faute grave, par lettre du 13 octobre 2011, au motif qu’il aurait eu, le 29 septembre 2011, une attitude agressive et injurieuse à l’égard de deux supérieurs hiérarchiques et aurait dénigré l’entreprise.

La motivation de la cour d'appel. La cour d’appel (CA Paris, Pôle 6, 3ème ch., 4 juillet 2017, n° 14/11903 N° Lexbase : A9070WLI) estime que le licenciement du salarié est justifié. Elle déboute le salarié de sa demande en nullité du licenciement qui a suivi sa saisine du conseil de prud'hommes, au motif qu'il n'apportait pas la preuve de ce que les événements du 29 septembre 2011 qui ont motivé son licenciement avaient eu pour origine son action prud'homale. Le salarié se pourvoit en cassation.

La solution. Enonçant la solution susvisée, la Cour de cassation rejette le pourvoi. En effet, la cour d'appel a constaté, d'une part, que les faits invoqués dans la lettre de licenciement étaient caractérisés, et, d'autre part, que le déplacement à l'agence de deux supérieurs hiérarchiques avait pour but de trouver une solution concernant les mauvais résultats commerciaux de l'agence, lesquels étaient établis par la production d'extraits informatiques, ce dont il résultait que le salarié ne démontrait pas l'existence d'éléments permettant de rattacher les événements du 29 septembre 2011 à la procédure prud'homale précédemment engagée (sur Le motif de licenciement lié une atteinte à une liberté fondamentale, cf. l'Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E5015ZN3).

newsid:470738

Procédure administrative

[Conclusions] Effectivité de la clôture de l'instruction lors de l’envoi via Télérecours de l’ordonnance ou avis d'audience portant clôture de l'instruction - conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 9 octobre 2019, n° 422712, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6660ZQQ)

Lecture: 13 min

N0755BYM

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par Mireille Le Corre, Rapporteur public au Conseil d'Etat

Le 16 Octobre 2019

Ce pourvoi pose une question de procédure contentieuse, en apparence circonscrite, mais dont l’effet pratique est important pour les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, ainsi que pour les requérants devant eux. Il est soutenu que l’article R. 613-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2822LP9) mentionnant que «l’instruction peut être close à la date d’émission de l’avis d’audience» doit être interprété comme clôturant l’instruction à minuit. Et vous avez trois solutions possibles pour interpréter ce qu’est la «date d’émission» : le jour à 0 h, le jour à l’heure d’émission, ou encore le jour à minuit. Les effets ne sont pas neutres puisqu’un mémoire produit le jour même, juste avant ou juste après cette heure sera considéré, selon cette interprétation, comme postérieur et ne donnant donc pas lieu à communication et à examen par la juridiction.

AQue disent les textes ?

L’article R. 611-11-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L5948IGE) dispose que «lorsque l’affaire est en état d’être jugée, les parties peuvent être informées de la date ou de la période à laquelle il est envisagé de l’appeler à l’audience. Cette information précise alors la date à partir de laquelle l’instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l’article R. 613-1 et le dernier alinéa de l’article R. 613-2 […]».

Comme l’article R. 611-1 (N° Lexbase : L2812LPT) le prévoit pour les affaires urgentes, cet article permet, pour les affaires en l’état, au tribunal de définir, dès les premières notifications «une sorte de calendrier d’instruction» (pour reprendre les termes de Daniel Chabanol [1]), incorporant la date de clôture de l’instruction et la date prévue d’audiencement.

Ce ne sont que des possibilités offertes au juge, mais ainsi que le souligne D. Chabanol, «une telle programmation doit permettre de maîtriser la durée de l’instruction et d’éclairer les parties sur la période à laquelle le dossier a des chances d’être jugé». La mission d’inspection des juridictions administratives (MIJA) la préconise comme une bonne pratique, permettant aux parties d’avoir une visibilité sur le calendrier d’instruction et de jugement de leur affaire.

Mais «cette meilleure information a un revers pour les parties» [2], à savoir la clôture de l’instruction à effet immédiat.

C’est ce que prévoit le dernier alinéa de l’article R. 613-1 (N° Lexbase : L2821LP8), aux termes duquel «[…] lorsque la date prévue par l’article R. 611-11-1 est échue, l’instruction peut être close à la date d’émission de l’ordonnance prévue au premier alinéa», (c’est-à-dire l’ordonnance fixant la date à partir de laquelle l’instruction sera close, qui n’est pas motivée et ne peut faire l’objet d’aucun recours).

Le dernier alinéa de l’article R. 613-2 prévoit enfin que «[…] lorsque la date prévue par l’article R. 611-11-1 est échue, l’instruction peut être close à la date d’émission de l’avis d’audience. Cet avis le mentionne».

L’article R. 613-1 ne rappelle pas qu’il s’agit là normalement des affaires en état d’être jugées. Et pour cause, car cet article est aussi un outil précieux pour les tribunaux, qui peuvent ainsi utiliser la clôture de l’instruction pour inciter les parties à produire leurs écritures, notamment les défendeurs, le cas échéant peu réactifs, parfois volontairement.

Ainsi, l’article R. 613-1 prévoit la clôture de l’instruction par ordonnance et l’article R. 613-2 la clôture de l’instruction par l’avis d’audience. Vous avez explicité ce double mécanisme dans votre décision «Association Comité de défense de quartier centre-ville Logis-Lautin» (CE, 9 novembre 2018, n° 411634, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0827YL9), en évoquant ces deux «hypothèses distinctes».

Dans les deux cas, cette possibilité est ouverte soit parce qu’une partie, pourtant appelée à produire un mémoire n’a pas respecté le délai de mise en demeure depuis plus d’un mois, soit lorsque la date du calendrier prévisionnel est échue.

La conséquence de ce mécanisme est assez redoutable, dès lors qu’il se combine avec l’article R. 613-3 qui dispose que les mémoires produits après la clôture de l’instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction (sauf circonstances de fait ou de droit nouvelles dans les conditions que vous avez définies par votre jurisprudence «Leniau-Préfet des Pyrénées-orientales» [3]).

Le mémoire produit après la clôture de l’instruction n’a pas à être communiqué (CE, 13 juin 1958, Barbier), au Recueil, p. 349). Mais il doit désormais, comme les notes en délibéré, être visé, afin de montrer que son contenu n’exigeait pas de rouvrir l’instruction.

Ces dispositifs ne se heurtent pas à un obstacle conventionnel. La CEDH a, au contraire, jugé que la possibilité ouverte au juge de clôturer l’instruction ne permettait pas à l’Etat de trouver dans la multiplication des mémoires des parties une excuse au délai non raisonnable mis à juger (CEDH, 19 juin 2001, Req. 43288/98 N° Lexbase : A7122AWP).

Vous avez déjà eu l’occasion de faire application de ces dispositions à au moins trois reprises, sans toutefois que le point qui nous intéresse soit totalement tranché.

D’abord, par votre décision «Association Comité Cinq Cantons-Barre» (CE, 10 juillet 1996, n° 155711 (N° Lexbase : A0379APQ), aux Tables sur un autre point), vous avez retenu qu’un mémoire enregistré le même jour que celui fixé pour la clôture de l’instruction «n’aurait pas dû, en l’absence d’une réouverture de l’instruction, être examiné par le tribunal administratif». Mais cette première décision a plus de vingt ans d’âge et cela vous autorise à l’interroger de nouveau, du fait de son ancienneté et, plus encore, car l’apparition de Télérecours a changé la donne.

Ensuite, vous avez retenu qu’une communication faite aux parties le jour de la clôture ne rouvrait pas l’instruction, mais c’était dans un cas dans lequel l’ordonnance mentionnait expressément que l’instruction serait close le jour indiqué à minuit (CE, 30 janvier 2019, n° 408513, inédite au Recueil Lebon N° Lexbase : A6298YUS).

Enfin, par une décision de votre 10ème chambre, vous avez retenu que l’instruction était close à 0 heure dans un tel cas. Mais c’était surtout pour juger qu’en communiquant des mémoires aux parties le jour même de la clôture, le tribunal administratif avait rouvert l’instruction qu’il avait pourtant entendu clore le même jour à 0h (CE, 20 mai 2019, n°s 419658 et 149664 N° Lexbase : A0386ZCB).

Au regard de cette jurisprudence, vous êtes, pour tout dire, assez libres, aujourd’hui, de l’interprétation que vous donnerez à ce dispositif.

Pour vous déterminer entre les trois lectures possibles de «la date» (0 heure, heure d’émission, 24 heures), vous pourrez vous référer à l’origine de cette disposition et dresser un bilan avantages-inconvénients des options possibles.

3. Son origine et sa finalité, tout d’abord, nous conduisent à exclure l’option «minui ».

L’alinéa que vous devrez interpréter a été introduit dans le Code de justice administrative par le décret n° 2010-164 du 22 février 2010, relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives (N° Lexbase : L5845IGL). Il faisait suite à un groupe de travail présidé par Serge Daël, qui s’est penché notamment sur le calendrier prévisionnel de l’instruction et sa clôture. L’objectif de ce dispositif était bien d’inciter les parties à produire leurs mémoires avant la date limite qui leur a été indiquée dans la lettre définissant le calendrier prévisionnel d’instruction.

Il serait donc contre-productif et contraire à l’intention des auteurs du décret (même s’il est toujours plus délicat de s’y référer contrairement aux travaux préparatoires d’une loi) de permettre à une partie, grâce à Télérecours, de produire un mémoire de dernière minute après la réception de l’avis d’audience ou de l’ordonnance de clôture.

Dans votre décision «Association Comité de défense de quartier centre-ville Logis-Lautin» précitée, vous avez d’ailleurs utilisé l’expression de clôture «à effet immédiat», pourtant absente du code, montrant que la clôture intervient dès l’émission de l’ordonnance ou de l’avis d’audience.

Nous pensons donc, contrairement à ce que soutient le pourvoi, que l’interprétation de  «la date» ne peut être «la date à minuit», sauf à priver ces dispositions de leur objet et de leurs effets.

4. Entre les deux options restantes, il nous faut nous livrer à un bilan avantages/inconvénients.

La lettre des textes ne nous paraît pas, en effet, déterminante : certes, le code utilise la notion de «date» et non «d’heure», mais cela ne constitue pas un argument suffisamment fort pour emporter la conviction et se placer nécessairement à 0 heure. Et cet argument tiré de la lettre du texte (une date) pourrait, à l’inverse, aller dans le sens de la date échue (minuit) alors que nous sommes convaincue, pour les raisons déjà indiquées, que telle n’était pas l’intention des auteurs du décret.

Les deux options présentent par ailleurs l’intérêt commun que les parties ne peuvent plus produire : le dispositif sanctionne, quelle que soit l’option retenue, la partie négligente qui a refusé de produire (CJA, art. R. 612-3) ou constitue la conclusion des informations données antérieurement aux parties (CJA, art. R. 611-1-1).

Dans les deux cas également, il existe un décalage entre l’information donnée par Télérecours et celle donnée par papier. Mais nous osons dire que l’avenir n’est pas au papier et que l’usage fort de Télérecours nous semble devoir être pleinement et prioritairement pris en compte.

Ceci étant dit, la première option (0h) a l’avantage de la simplicité. Mais elle a pour inconvénient majeur la rétroactivité. Donner un effet immédiat est une chose, conférer un effet rétroactif en est une autre, même quand les parties ont été informées. Une partie aurait beau jeu de dire qu’alors qu’elle a envoyé un mémoire le matin à 10 heures, le tribunal a décidé de clôturer l’instruction à 13 heures et par là-même d’écarter son mémoire, arrivé après 0 heure. Cela nous semble poser un problème de loyauté ou d’apparence de loyauté, sauf à inventer un dispositif qui consisterait à prévoir que dans un tel cas, le tribunal ne peut clôturer l’instruction le même jour ou encore qu’il doit rouvrir l’instruction à peine d’irrégularité… autant prévoir que cette rétroactivité n’est pas possible.

La seconde option (heure d’émission) a pour inconvénient la variation de l’heure mais il nous semble très relatif. Nous ne voyons pas très bien en quoi le fait que cette heure soit différente d’un dossier à un autre poserait une difficulté. Dès lors qu’une heure figure sur Télérecours, elle n’est pas contestable et peut être utilisée sans difficulté. Surtout, en termes d’avantages, cette seconde option a l’intérêt de permettre un effet immédiat mais non rétroactif.

Relevons que la nécessité de cristalliser ainsi le débat contentieux est aussi prise en compte par le juge judiciaire. En matière de procédure contentieuse, malgré les différences de textes et d’objets, vous pouvez être amenés à tenir compte des solutions dégagées par le juge judiciaire comme le montrent les conclusions du Président Goulard dans votre avis contentieux «Creton» (CE, 9 avril 1999, n° 202344 N° Lexbase : A3481AX9, au Recueil). Or, dans le cadre de l’article 783 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7021H78), la Cour de cassation juge irrecevables les conclusions déposées le jour même de l’ordonnance de clôture, mais postérieurement à celle-ci (Cass. civ. 3, 13 janvier 1981, n° 79-11.177, publié au Bulletin N° Lexbase : A2512CHI, Bull. civ. III, n° 10 ; Cass. com, 3 janvier 1991, n° 89-13.844, publié au Bulletin N° Lexbase : A2643ABI, Bull. civ. IV, n° 4, p. 3) [4].

Ajoutons enfin que le code de justice administrative prévoit des délais parfois très courts pour les parties. Ainsi, le délai prévu à l’article R. 611-8-2, au-delà duquel une partie est réputée avoir eu connaissance d’un document mis à disposition sur Télérecours est passé de huit à deux jours[5]. Ce contexte, fort compréhensible en termes d’efficacité de la justice, incite à veiller, en parallèle, à ce qui pourrait être qualifié de loyauté des délais, qui s’accommode mal, selon nous, d’une interprétation leur conférant un effet rétroactif.

Au total, nous vous proposons donc de retenir que l’instruction est close à l’heure d’émission de l’avis d’audience ou de l’ordonnance. Ni à 0 heure ni à minuit, mais entre les deux, à l’heure d’émission. Non par souci de juste milieu ou d’équilibre, mais pour préserver l’efficacité via l’effet immédiat et couperet tout en évitant le caractère, à notre sens très gênant à l’égard des requérants, de l’effet rétroactif.

Nous vous proposons de préciser que cette règle vaut «sauf mention expresse d’un horaire ultérieur», pour préserver cette solution utilisée par certains tribunaux et dont vous avez déjà tenu compte (décision Renaud précitée).

En l’espèce, un avis d’audience portant clôture immédiate de l’instruction a été notifié aux parties, au moyen de l’application Télérecours, le 19 avril 2018 à 17h29. La société X a transmis un mémoire au greffe de la cour à 18h43. En jugeant qu’il avait été présenté postérieurement à la clôture de l’instruction, la cour administrative d’appel de Nancy n’a donc pas commis d’erreur de droit.

Le second moyen ne vous retiendra pas : par une convention du 6 novembre 2006, la commune de Lorry-Mardigny a confié à la société X une mission d’opérateur du projet d’aménagement d’un secteur à urbaniser. Le conseil municipal a refusé deux contrats proposés par la société, correspondant aux prestations prévues par cette convention. Puis la commune a confié à la société, par un acte d’engagement du 9 décembre 2008, une partie seulement des prestations initialement prévues et lui a réglé les prestations correspondantes. Elle a, par une décision du 10 janvier 2011, rejeté la demande de paiement d’une somme réclamée par la société X au titre des prestations qu’elle aurait exécutées dans le cadre de la convention initiale.

La cour a relevé que la convention initiale ne contenait aucune clause financière ni précision sur les modalités de rémunération, et que la société X n’établissait pas que les sommes perçues en rétribution des missions effectivement exécutées seraient insuffisantes, en ajoutant qu’elle avait, au surplus, perçu une commission sur les ventes de terrains, en application de la convention initiale. C’est donc sans erreur de qualification juridique1 [6] et de façon suffisamment motivée qu’elle a jugé que la commune n’avait commis aucune faute en refusant de procéder au règlement à la société X de la somme d’environ 80 000 euros au titre de prestations autres que celles prévues par l’acte d’engagement du 9 décembre 2008.

Par ces motifs, nous concluons :

- au rejet du pourvoi ;

- à ce que la société X verse à la commune de Lorry-Mardigny une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4).

 

[1] Code de justice administrative - Annotations, commentaires, jurisprudences.

[2] Idem.

[3] CE, 12 juillet 2002, n° 236125 (N° Lexbase : A1581AZL) (Rec. p. 278) et CE Sect., 27 février 2004, n° 252988 (N° Lexbase : A3647DBP) (Rec. p. 93) ;  le juge doit tenir compte de certaines productions postérieures à la clôture de l’instruction : «celles qui contiennent soit l’exposé d’une circonstance de fait dont la partie qui l’invoque n’était pas en mesure  de faire état avant la clôture de l’instruction […] et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur  des faits matériellement inexacts, soit d’une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever  d’office».  

[4] Sous réserve des exceptions prévues aux deuxième et troisième alinéas de l’article 783 et sous réserve de la jurisprudence selon laquelle sont recevables les conclusions postérieures à l’ordonnance de clôture par lesquelles une partie demande la révocation de l’ordonnance de clôture ou le rejet des débats des conclusions ou productions de dernière heure de l’adversaire (Cass. civ. 2, 14 décembre 2006, n° 05-19.939, FS-P+B N° Lexbase : A9089DSG, Bull, n° 354, p. 326).

[5] Depuis le décret n° 2018-251 du 6 avril 2018 (N° Lexbase : L9576LII).

[6] Contrôle que vous exercez s’agissant de l’appréciation du caractère fautif d’un fait  : CE, 28 juillet 1993, n° 116943 (N° Lexbase : A0276ANK), en matière de faute contractuelle ; CE, 10 juin 1994, n° 124671 (N° Lexbase : A2060AS4), au Recueil sur un autre point.

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Procédure pénale

[Jurisprudence] Conseil constitutionnel et visioconférence dans le procès pénal ou la double illusion du progrès

Réf. : Cons. const., décision n° 2019-802 QPC, du 20 septembre 2019 (N° Lexbase : A8596ZNP)

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par Anaïs Danet, Professeure de droit privé et de sciences criminelles à l’Université de Reims- Champagne Ardenne - CEJESCO (EA 4693)

Le 13 Février 2020


Mots-clés : visioconférence • détention provisoire • demande de mise en liberté • consentement

Résumé : le Conseil constitutionnel s’est prononcé en faveur de la non-conformité totale de l’alinéa 3 de l’article 706-71 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7459LPX) permettant le recours à la visioconférence pour les audiences relatives aux demandes de mise en liberté des personnes placées en détention provisoire. Toutefois, cette décision n’a qu’une faible portée, puisque seules les spécificités de la procédure en matière criminelle ont conduit le Conseil à une censure, laquelle n’a qu’une portée restreinte au regard de ses effets.


 

Le Conseil constitutionnel, tout en donnant l’illusion de faire progresser la protection des droits fondamentaux du procès sur le recours aveugle à la visioconférence, cède pourtant, en creux, à l’illusion du progrès technique et économique qui serait porté par ce mode de comparution.

En l’espèce, le Conseil constitutionnel était saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité à la Constitution de l’article 706-71, alinéa 3 du Code de procédure pénale dans sa version antérieure à la loi du 23 mars 2019 [1]. Le requérant placé en détention provisoire avait formulé une demande de mise en liberté, portée devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, 1ère section. La chambre de l’instruction a fait usage de la possibilité offerte par l’article 706-71, alinéa 3 du Code de procédure pénale de recourir à la visioconférence sans permettre au requérant de s’opposer au recours à ce moyen de télécommunication audiovisuelle. La faculté d’opposition du détenu n’est en effet prévue par l’article 706-71 que s’agissant du contentieux portant sur le placement ou la prolongation de la détention provisoire, et non s’agissant du contentieux des demandes de mise en liberté. C’est précisément sur ce point que portait la QPC soumise au Conseil.

Il aura donc fallu plusieurs tentatives pour que la Cour de cassation finisse par accepter de transmettre une telle QPC. Par le passé, celle-ci avait en effet refusé de transmettre une QPC rédigée en des termes analogues [2], aux motifs que la question posée ne présentait pas de caractère sérieux. Ce refus de la Cour de cassation s’inscrivait dans une tendance de celle-ci à développer la visioconférence en procédure pénale [3]. Mais la jurisprudence du Conseil lui-même semble être venue instiller le doute dans l’esprit des juges de cassation sur la conformité de l’entier dispositif à la Constitution. En effet, alors que les Sages avaient validé le recours à la visioconférence dans le cadre du contentieux des étrangers [4], la décision du 21 mars 2019, relative à la loi pour la réforme de la Justice est venue apporter un coup d’arrêt à une extension du procédé technique qui semblait ne plus pouvoir être arrêtée [5]. Dans cette dernière décision en effet, censurant les dispositions de la loi qui envisageaient de priver l’intéressé de la possibilité de refuser le recours à la visioconférence dans l’ensemble du contentieux de la détention provisoire, le Conseil relevait qu' «eu égard à l’importance de la garantie qui s’attache à la présentation physique de l’intéressé devant le magistrat ou la juridiction compétente dans le cadre d’une procédure de détention provisoire et en l’état des conditions dans lesquelles s’exerce un tel recours à ces moyens de télécommunication, les dispositions contestées portent une atteinte excessive aux droits de la défense». Or, cette motivation du Conseil est rédigée en des termes très généraux, ne distinguant pas, au sein du contentieux de la détention provisoire, entre placement en détention provisoire, prolongation de la mesure ou demandes de mise en liberté. C’est cette rédaction générale qui a conduit la Cour de cassation à y voir un changement de circonstances et à transmettre la question ayant fait l’objet de la décision du Conseil du 20 septembre 2019 ici commentée [6].

Le contentieux de la détention provisoire est sans aucun doute celui qui rentre le plus souvent en confrontation avec le mécanisme de visioconférence et ce pour plusieurs raisons. D’abord, si historiquement, l’introduction du mécanisme avait pour but de pallier le faible nombre de magistrats à Saint-Pierre et Miquelon [7], il semble qu’aujourd’hui l’hypothèse la plus topique de recours à la visioconférence réside dans la comparution des personnes détenues, pour lesquelles l’organisation d’audiences en leur présence implique de procéder à leur extraction des centres de détention. Ensuite, les audiences relatives au contentieux de la détention provisoire sont susceptibles de se multiplier au cours d’un même procès (audience de placement initial en détention ; audience relative à la prolongation de la mesure, tous les quatre mois en matière correctionnelle [8], et tous les six mois en matière criminelle à l’issue de la première année [9] ; demandes de mise en liberté qui peuvent être réitérées sans limitation de nombre [10]). Enfin, ce contentieux est particulièrement sensible, puisqu’il s’agit de statuer sur la privation de liberté d’un présumé innocent.

Les textes applicables et déférés au Conseil constitutionnel font toutefois une distinction entre les différents pans du contentieux de la détention provisoire. En effet, l’alinéa 4 de l’article 706-71 dans sa rédaction applicable au litige permet au détenu de refuser l’usage de la visioconférence pour les audiences statuant sur le placement en détention provisoire ou la prolongation de la mesure, mais ne prévoit pas la possibilité d’un tel refus en matière de contentieux de la mise en liberté.

La décision du Conseil constitutionnel sur la conformité de l’article 706-71, alinéa 3 à la constitution en ce qu’elle permet de recourir à la visioconférence dans le contentieux des demandes de mise en liberté sans permettre au détenu de refuser ce type d’audience était donc particulièrement attendue.

Le requérant, ainsi que les parties intervenantes, invoquaient ici une contradiction entre ces dispositions et les droits de la défense ainsi qu’au droit, en matière de détention provisoire, de comparaître physiquement devant son juge, relevant en outre l’insuffisance des garanties entourant le recours à la visioconférence. Ils soutenaient par ailleurs que ces dispositions méconnaissent le principe d’égalité devant la loi et la justice, l’indépendance de l’autorité judiciaire, et le droit à un recours juridictionnel effectif.

Le Conseil a conclu à la non-conformité totale des dispositions déférées au regard des droits de la défense. Pourtant, les attentes des détracteurs d’un usage exponentiel de la visioconférence ont été une nouvelle fois déçues. Si la lecture du dispositif concluant à une non-conformité totale a pu brièvement faire naître de vifs espoirs, ces espoirs ont sans doute été très rapidement ternis. Le Conseil, après avoir rappelé le régime de la visioconférence et cédant à l’illusion du progrès technologique, valide dans un premier temps le principe du recours à la visioconférence sans possibilité pour l’intéressé de la refuser s’agissant des demandes de mise en liberté en considérant, d’une part, que le législateur a ainsi voulu éviter les difficultés et coût occasionnés par les extractions judiciaires, contribuant ainsi à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics et, d’autre part, que les garanties entourant le recours à la visioconférence sont suffisantes. Ce n’est que dans un second temps que le Conseil relève qu’en matière criminelle, il peut s’écouler un délai d’un an entre le placement en détention et la première prolongation de la détention provisoire, délai au cours duquel le recours sans consentement à la visioconférence pour les demandes de mise en liberté prive l’intéressé de toute possibilité de comparaître physiquement devant un juge. Et le Conseil de conclure que dans ces circonstances, compte tenu de la garantie qui s’attache à la présentation physique et en l’état des conditions dans lesquelles s’exerce le recours à ce mode de communication, les dispositions contestées portent une atteinte excessive aux droits de la défense. Sur le fond, la censure du Conseil constitutionnel reste donc largement nuancée, affaiblissant ainsi la portée de cette décision de non-conformité totale. Cette portée est d’autant plus affaiblie que les effets de cette décision doivent également être largement nuancés, en raison tout à la fois de la modulation des effets dans le temps de la décision par le Conseil et des incertitudes qui règnent sur le sort de l’alinéa 4 de l’article 706-71 dans sa rédaction en vigueur depuis la loi du 23 mars 2019, qui ne contient pas autre chose que la norme contenue dans l’alinéa 3, telle que censurée par le Conseil constitutionnel, ce dernier ayant considéré que les dispositions critiquées n’étaient plus en vigueur.

Le Grand Soir pour «torpiller la justice informatique» [11] n’est donc pas encore arrivé. Le Conseil n’a semble-t-il pas véritablement entendu les avocats qui l’exhortaient pourtant à «mettre un frein à ce délire, à cette dérive» [12], que constitue cette «justice informatique [13]». L’illusion d’une victoire contre l’expansion de la visioconférence dans le procès doit donc être dissipée : il s’agit là d’une censure «en trompe-l’œil» [14] (I) dont les effets résonnent comme un coup d’épée dans l’eau (II).

I - Une censure en trompe-l’œil

La déclaration de non-conformité totale des dispositions portées devant le Conseil constitutionnel est un véritable trompe-l’œil. En effet, la non-conformité n’est due, pour les Sages, qu’aux spécificités de la matière criminelle, ce qui permet a contrario d’en déduire que le recours à la visioconférence dans le contentieux des demandes de mise en liberté des personnes placées en détention provisoire dans les autres hypothèses n’est pas en contradiction avec les normes constitutionnelles. En d’autres termes, la déclaration de non-conformité totale due à la spécificité de la matière criminelle n’est que l’arbre (A) qui cache la forêt (B) dans laquelle est tapie la conformité à la Constitution de la possibilité de recourir à la visioconférence sans possibilité de refus pour l’intéressé dans le cadre de demandes de mise en liberté.

A - L’arbre : non-conformité de l’alinéa 3 de l’article 706-71 dans sa version antérieure à la loi du 23 mars 2019

Le dispositif est clair : «les mots “la chambre de l’instruction” figurant à la première phrase du troisième alinéa de l’article 706-71 du code de procédure pénale, sans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2016-1636 du 1er décembre 2016 relative à la décision d’enquête européenne en matière pénale, sont contraires à la Constitution».

Pourtant, ce n’est qu’en raison des spécificités de la durée de la détention provisoire à l’issue d’un premier placement en matière criminelle que le Conseil conclut à la non-conformité de l’alinéa 3 de l’article 706-71 tel qu’il lui a été déféré. En cette matière en effet, l’article 145-2 du même code prévoit que la détention provisoire peut initialement être prononcée pour une durée n’excédant pas un an. En d’autres termes, la première prolongation de la détention provisoire et l’audience qui lui est attachée peut n’intervenir qu’à l’issue de cette durée d’une année. Il n’y a donc pas, au cours de cette période, d’audience permettant au présumé innocent de comparaître physiquement et personnellement devant un juge, puisque les seules audiences au cours desquelles il sera statué sur sa détention provisoire sont celles résultant d’une demande de mise en liberté, audience pour laquelle le recours à la visioconférence peut être envisagé sans possibilité pour le détenu de le refuser. C’est là ce qui conduit le Conseil à conclure à une déclaration de non-conformité. Ce dernier relève en effet que «eu égard à l’importance de la garantie qui s’attache à la présence physique de l’intéressé devant la juridiction compétente pour connaître de la détention provisoire et en l’état des conditions dans lesquelles s’exerce le recours à ces moyens de communication, les dispositions contestées portent une atteinte excessive aux droits de la défense».

On peut sans doute se réjouir ici de ce que le Conseil semble bien admettre la distinction entre la visioconférence et la présentation physique des parties devant leur juge. L’impossible assimilation des deux modes de comparution personnelle résulte en effet de leurs conséquences drastiquement différentes sur l’ensemble des acteurs du procès [15]. Il réitère d’ailleurs en cela la motivation qu’il avait adoptée à l’occasion du contrôle de constitutionnalité de la loi de réforme pour la Justice [16]. Prendre en considération l’importance de la présentation physique de l’intéressé devant son juge pour censurer le recours à la visioconférence, c’est en effet bien admettre que s’il s’agit là de deux modalités [17] de la comparution personnelle, il s’agit de modalités distinctes.

Cela étant, cette reconnaissance des qualités différentes de la présentation physique de l’intéressé par rapport à sa comparution par visioconférence, qualités qui permettent, selon les Sages, de préserver les droits de la défense, n’empêche pas le Conseil de justifier, en creux et par principe, le recours à la visioconférence dans le contentieux de la détention provisoire. C’est donc que, derrière l’arbre de la non-conformité à la Constitution des dispositions contestées, se cache encore une immense forêt.

B - La forêt : validation du principe du recours à la visioconférence dans le contentieux de la détention provisoire

La déclaration de non-conformité des dispositions contestées ne saurait masquer que cette inconstitutionnalité n’est due qu’aux spécificités de la matière criminelle, tandis que le Conseil a pris soin de justifier le recours à la visioconférence dans l’ensemble du contentieux de la détention provisoire, ce qui est sans doute regrettable.

D’abord, si c’est l’«exception» en matière criminelle qui justifie la censure, c’est bien que le conseil valide le «principe». A ce titre, il n’est d’ailleurs pas anodin qu’en termes de volume, la justification du recours à la visioconférence dans le contentieux de la détention provisoire est proportionnellement bien plus importante que la motivation de l’inconstitutionnalité (6 paragraphes contre 1). Ce faisant, le Conseil donne son assentiment au principe de la distinction entre contentieux du placement en détention et de la prolongation d’une telle mesure d’une part et contentieux relatif aux demandes de mise en liberté, d’autre part. Alors qu’il avait su montrer son attachement au consentement de l’intéressé pour recourir à la visioconférence dans le cadre du contentieux du placement en détention et de sa prolongation [18],  il prend au contraire soin ici de rappeler qu’ «en prévoyant que, lorsque l’audience porte sur une demande de mise en liberté, l’intéressé ne peut s’opposer au recours à un moyen de télécommunication, les dispositions contestées visent à éviter les difficultés et les coûts occasionnés par les extractions judiciaires. Elles contribuent ainsi à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics» [19]. Ce qui motive la distinction opérée par le Conseil entre les différents types de contentieux de la détention provisoire semble être le délai qui sépare deux audiences permettant une présentation physique de l’intéressé devant son juge. En effet, en matière correctionnelle, les audiences statuant sur la prolongation de la détention provisoire ont lieu tous les quatre mois, tous les six en matière criminelle après la première prolongation. Et ces durées sans possibilité pour le justiciable de rencontrer son juge, faute pour lui de pouvoir s’opposer à sa comparution par visioconférence dans le cadre des audiences portant sur ses demandes de mise en liberté apparaissent au Conseil comme étant raisonnables, alors qu’une durée d’un an ne l’est pas. Mais où est la limite ? On peut regretter ici qu’il n’y ait pas de positionnement plus clair sur le critère permettant de départir entre les hypothèses d’un droit de présence et les hypothèses dans laquelle il y a simplement un droit de comparution. Un autre critère, plus clair, permet d’expliquer ce même résultat, qui prend en compte l’enjeu de la décision : dans les hypothèses de placement en détention provisoire ou de prolongation de celle-ci, il s’agit de prononcer à l'encontre de l'intéressé une mesure privative de libertés, ce qui justifie un renforcement du droit de présence ; à l’inverse, dans le contentieux des demandes de mise en liberté du mis en examen placé en détention provisoire, il s’agit non plus de prononcer une mesure privative de liberté mais de l’interrompre, ce qui pourrait justifier un régime plus souple du point de vue du consentement à l’usage de la visioconférence. Ce n’est pourtant pas ce critère qui a eu la préférence du Conseil.

Ensuite, ce qui est surtout regrettable dans cette décision, ce sont les motifs utilisés par le Conseil et permettant de valider, dans son principe, le recours à la visioconférence en matière de détention provisoire. Ces arguments ne sont en effet convaincants ni sur les justifications de l’impossible refus de la visioconférence pour l’intéressé, ni sur les garanties supposées compenser cette impossibilité. D’un côté, s’agissant des justifications, les Sages mettent en avant la bonne administration de la justice et le bon usage des deniers publics, en occultant une fois de plus la question essentielle : les arguments économiques sont-ils suffisants pour justifier, par principe, une atteinte aux droits fondamentaux ? Et, même en adoptant une vision très (trop) pragmatique du droit processuel au sein duquel s’entrechoquent nécessairement les enjeux juridiques et économiques, aucune étude économique ne s’est proposée d’appréhender dans sa globalité, la question des enjeux économiques de la visioconférence dans tous ses paramètres [20]. Il est certain qu’à comparer uniquement le coût de la comparution physique nécessitant une extraction avec celui de la comparution par visioconférence, le bilan semble sans appel. Ce qui n’est pas certain en revanche, c’est que l’organisation complexe de plannings d’audience par les greffes incluant des audiences en présence et des audiences à distance soit neutre sur le plan économique. Il n’est pas certain non plus qu’un justiciable placé en détention provisoire et désireux d’obtenir sa mise en liberté à qui la justice n’offrira pas de possibilité de s’exprimer en présence de son juge et de se sentir entendu ne multipliera pas en conséquence les demandes de mise en liberté puisque la loi le lui permet [21]. Or, si le recours à la visioconférence permet d’éviter les extractions, il ne permet pas d’éviter l’organisation des audiences elles-mêmes, qui ont évidemment un coût…

D’un autre côté, s’agissant des garanties censées compenser l’usage de la visioconférence, leur lecture révèle une vision théorique du procès pénal loin des réalités du terrain. Selon les Sages de Montpensier, le juge peut toujours privilégier la comparution physique de l’intéressé devant lui. Mais le peut-il vraiment lorsque lui est opposée l’indisponibilité du personnel en charge des extractions ? Dans pareille hypothèse, son entêtement pourrait conduire, faute d’extraction et donc d’audience possible, à une remise en liberté pour dépassement des délais de jugement légaux. Gageons que les juges ne prendront pas ce risque et se plieront bien au contraire aux contraintes de l’ARPEJ (Autorité de régulation et de programmation des extractions judiciaires) [22]. De même, si le droit à l’assistance d’un avocat est théoriquement préservé puisque le conseil a le choix de se trouver auprès de son client ou dans la salle d’audience, les avocats ne cessent de clamer que ce choix est en réalité un choix impossible [23].

Quant à son contenu, la décision rendue par le Conseil n’est donc pas exempte de critiques et n’a pas le retentissement que l’on aurait souhaité. Cette décision est d’autant plus timorée que ces effets sont largement atténués, à tel point que l’on pourrait parler de «coup d’effets dans l’eau».

II - Un coup «d’effets» dans l’eau ?

Bien que la motivation de la décision du Conseil constitutionnel fasse naître quelques regrets, une forme de consolation pourrait a priori se trouver dans la déclaration de non-conformité prononcée par les Sages. Cette consolation est pourtant de faible ampleur. En effet, dans un premier temps, le Conseil module les effets dans le temps de sa décision en la privant de tout effet rétroactif (A) et dans un second temps, il laisse planer de nombreuses incertitudes sur le futur de la norme déclarée ici contraire à la constitution (B).

A - L’absence de rétroactivité de la décision du Conseil

Statuant sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité, le Conseil prend soin de rappeler que si, en principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question et conduit à interdire l’application de la disposition inconstitutionnelle dans les instances en cours [24], l’article 62 de la Constitution réserve aux Sages le pouvoir de moduler les effets dans le temps de sa décision, notamment en supprimant l’effet utile de la QPC pour son auteur. Ainsi, le Conseil affirme ici que la remise en cause des mesures ayant été prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par conséquent, ni l’auteur de la QPC, ni aucun autre justiciable à qui l’on aurait imposé, sur le fondement de l’article 706-71, alinéa 3 dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 1er décembre 2016, le recours à la visioconférence dans le cadre d’une audience portant sur sa demande de mise en liberté, ne pourra contester la régularité de la procédure suivie sur le fondement d’un texte contraire à la Constitution. L’inefficacité de la censure constitutionnelle sur les mesures passées, fondée sur l’objectif de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions, n’a rien de véritablement surprenant. En procédure pénale, les décisions par lesquelles le Conseil accepte de faire bénéficier l’auteur de la QPC de son effet utile, pourtant de principe, sont extrêmement rares, en particulier au stade de l’instruction [25].

Ce qui est plus surprenant en revanche, ce sont les incertitudes qui planent sur les effets pour l’avenir de cette déclaration d’inconstitutionnalité.

B - L’incertitude des effets pour l’avenir

Devant tirer les conclusions de la déclaration de non-conformité de la disposition qui lui était soumise, le Conseil constitutionnel relève simplement que les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, ne sont plus en vigueur [26] sans en tirer davantage de conséquences. Pourtant, les conséquences auraient largement mérité d’être précisées sur ce point, ce qui laisse planer de nombreuses incertitudes sur l’avenir du recours à la visioconférence sans le consentement de la personne intéressée dans le contentieux de la détention provisoire.

L’absence d’abrogation des dispositions contestées tient en réalité au fait qu’entre le litige ayant donné lieu à une audience relative à la mise en liberté par visioconférence sans possibilité pour l’intéresser de refuser ce mode de comparution et la décision du Conseil constitutionnel censurant la disposition applicable, la loi du 23 mars 2019 [27] est entrée en vigueur. Or, l’article 54, X de cette loi a inséré au sein de l’article 706-71 du Code de procédure pénale un alinéa 1er, lequel a entraîné la renumérotation des autres alinéas. La question des effets de la décision du Conseil à l’égard de la norme censurée reste donc entière : si l’article 706-71, alinéa 3 du Code de procédure pénale dans sa version déférée au Conseil n’existe plus formellement, la norme matérielle qu’il contenait existe toujours dans le nouvel alinéa 4, et le Conseil ne précise pas les conséquences de sa décision sur cet alinéa 4.

Le pouvait-il seulement ? Limité dans son pouvoir par l’étendue de sa saisine, il ne pouvait sans doute pas élargir son appréciation à une disposition formelle non encore applicable au litige. L’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3) prévoit en effet que l’une des conditions pour saisir le Conseil d’une QPC est que la disposition contestée soit «applicable au litige», ce dont le Conseil a déduit que «la question prioritaire de constitutionnalité doit être regardée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion de laquelle elle a été posée» [28].

La véritable question est alors celle de l’étendue de l’autorité de la chose décidée des décisions du Conseil, pour déterminer si la déclaration de non-conformité doit s’étendre au nouvel alinéa 4 de l’article 706-71. La situation ne s’est, à notre connaissance, jamais encore rencontrée, tant la configuration paraissait relever a priori d’un cas d’école : la probabilité qu’une loi modifiant la seule numérotation des dispositions contestées intervienne entre la formulation de la question et sa réponse est en effet extrêmement faible.

Plusieurs éléments de réponse peuvent être convoqués pour tenter de résoudre la difficulté.

Primo, il est possible de chercher à appliquer la théorie de «l’objet analogue», théorie selon laquelle lorsqu’une loi est déclarée contraire à la Constitution par le juge constitutionnel, l’autorité qui s’attache à cette décision vaut également pour une loi ultérieure ayant un objet analogue [29]. Il serait alors possible d’envisager que la non-conformité s’étende à la norme dans sa nouvelle numérotation, car si l’autorité de la chose jugée s’étend aux lois ayant un objet analogue, elle devrait a fortiori pouvoir s’étendre aux normes ayant un objet similaire. Cela étant, la situation est quelque peu différente, puisqu’il ne s’agit pas ici d’une loi postérieure à la décision, la norme litigieuse étant entrée en vigueur dans sa nouvelle numérotation avant la décision du Conseil ici commentée. Une telle solution n’est donc sans doute pas acquise.

Secundo, il pourrait être envisagé d’étendre la déclaration de non-conformité au nouvel alinéa 4 de l’article 706-71 du Code de procédure pénale en considérant que le Conseil constitutionnel n’opère pas un contrôle de la disposition formelle, mais de la norme matérielle contenue dans la disposition formelle [30]. C’est pourtant le contraire que semble sous-entendre le Conseil lorsqu’il relève que «les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, ne sont plus en vigueur» [31]. Cette formulation laisse en effet entendre que le contrôle du Conseil porte bien sur une disposition formelle (laquelle n’est plus en vigueur), et non sur la norme qu’elle contient (laquelle survit sous d’autres cieux).

En l’absence de certitudes sur les effets qu’il faut prêter à cette décision quant au sort de cet alinéa 4 survivant, le Conseil laisse donc le champ libre (et la lourde tâche) aux juridictions judiciaires pour déduire les effets qu’il faut prêter à sa décision. Il faudra donc observer la réponse de la Cour de cassation à cette difficulté qui ne manquera pas de se poser à bref délai. Plusieurs possibilités s’offriront alors à la Cour de cassation. De deux choses l’une :

⇒ soit la Cour de cassation refusera de prendre l’initiative d’étendre l’autorité de la décision du Conseil au nouvel alinéa 4, ce qui entraînera le maintien dans l’arsenal législatif de la possibilité de recourir à la visioconférence sans possibilité pour l’intéressé de la refuser pour les audiences relatives aux demandes de mise en liberté des personnes placées en détention provisoire. Cette solution, qui s’inscrirait dans la politique favorable à la visioconférence de la Cour de cassation [32], ne manquerait toutefois pas de provoquer de nouvelles QPC, portant cette fois formellement sur l’article 706-71 alinéa 4 du Code de procédure pénale ;

⇒ soit la Cour de cassation fera le choix d’étendre l’autorité de la décision du Conseil au nouvel alinéa 4, ce qui aura pour effet de supprimer les termes «chambre de l’instruction» de cette disposition contenue dans l’article 706-71. Cependant, cette solution ne se suffit pas à elle-même et sa portée devrait être précisée. Eu égard à sa politique favorable à l’usage de la visioconférence, la Cour de cassation pourrait être tentée, dans cette hypothèse, de ne considérer l’inconstitutionnalité que de la seule hypothèse relevant de la matière criminelle, en s’appuyant sur la jurisprudence du Conseil selon laquelle l’autorité des décisions du Conseil «s’attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même» [33]. Toutefois, il pourrait être considéré que cette jurisprudence du Conseil a pour but d’étendre l’autorité des décisions du Conseil et non de la restreindre. Or, une telle analyse conduirait à réduire la portée de la déclaration de non-conformité des termes «chambre de l’instruction», figurant dans le dispositif. Ainsi, si l’on souhaite faire produire plein effet à la déclaration de non-conformité des termes visés par la QPC et étendre ces effets à l’alinéa 4 de l’article 706-71 dans sa rédaction nouvelle, il faut alors considérer que la suppression de ces termes conduirait à supprimer toute possibilité de recourir à la visioconférence devant la chambre de l’instruction en matière de détention provisoire, quel que soit le contentieux (placement en détention provisoire, prolongation de celle-ci ou demandes de mise en liberté). Cette solution aurait alors le mérite de forcer le législateur à réécrire la loi pour se conformer aux exigences (même minimes) du Conseil en la matière.

Peut-être est-il permis de penser que le Conseil constitutionnel s’est saisi de la limitation de son pouvoir par l’étendue de sa saisine pour laisser le législateur prendre ses responsabilités face à cette question. Le feuilleton relatif à la visioconférence dans le procès pénal a donc sans doute encore de nombreux épisodes à nous livrer…

 

[1] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice (N° Lexbase : L6740LPC).

[2] V. not Cass. crim., 16 octobre 2018, n° 18-84.430, F-D (N° Lexbase : A9834YGC).

[3] Sur cette question, v. V. Ferreira, Le rôle de la Cour de cassation dans le développement de la visioconférence en procédure pénale, AJ Pénal, 2019, p. 246.

[4] Cons. const., décision n° 2018-770 DC, du 6 septembre 2018 (N° Lexbase : A4476X38), § 23 à 30.  

[5] Cons. const., décision n° 2019-778 DC, du 21 mars 2019 (N° Lexbase : A5079Y4U), § 231 à 234.

[6] Cass. crim., 26 juin 2019, n° 19-82.733, F-P+B+I (N° Lexbase : A5460ZGC).

[7] Ordonnance n° 98-728 du 20 août 1998 portant actualisation et adaptation de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale dans les territoires d'outre-mer et les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon (N° Lexbase : L4340GUB).

[8] C. proc. pén., art. 145-1 (N° Lexbase : L4872K8X).

[9] C. proc. pén., art. 145-2 (N° Lexbase : L3506AZU).

[10] C. proc. pén., art. 148 (N° Lexbase : L4989K8B).

[11] M. Babonneau, Visioconférence devant la chambre de l’instruction : une «justice informatique» qu’il faut torpiller, Dalloz actualités, 11 septembre 2019.

[12] V. la plaidoirie de Me Henri Leclerc, représentant de l’ADAP, lors de l’audience devant le Conseil le 11 septembre 2019 (vidéo de l’audience disponible sur le site internet du Conseil constitutionnel, plaidoirie visible à 41’03).

[13] Idem.

[14] Pour reprendre l’expression utilisée dans son communiqué par le Syndicat des Avocats de France.

[15] V. l’ensemble des travaux des sociologues L. Dumoulin et C. Licoppe, et not. Les audiences à distance. Genèse et institutionnalisation d’une innovation dans la justice, LGDJ-Lextenso éditions, coll. “Droit & Société. Série Sociologie”, 2017. V. également A. Danet, La présence en droit processuel, préface A. Bergeaud-Wetterwald, Dalloz, 2017, Coll. Bibliothèque de la Justice, n° 79 et s. ; Ph. Milburn, Juger par écran interposé : une révolution anthropologique, AJ Pénal, 2019, p. 255.

[16] Cons. const., décision n° 2019-778 DC, du 21 mars 2019 (N° Lexbase : A5079Y4U) : A. Botton, Contrôle de la loi de programmation Justice : le Conseil constitutionnel entre "moustiques et chameaux" de procédure pénale, JCP éd. G, 2019, n° 14, p. 634-638.

[17] V. en ce sens Cass. crim., 1er octobre 2013, n° 13-85.013, F-D (N° Lexbase : A3191KM7).

[18] Cons. const., décision n° 2019-778 DC, du 21 mars 2019, précitée, § 231 et s..

[19] Ibid, § 9.

[20] Pour une étude des enjeux économiques de la présence, v. A. Danet, Aspects économiques de la présence des parties au procès pénal, in Analyse économique du droit et matière pénale, dir. C. Claverie-Rousset, LexisNexis, 2018.

[21] C. proc. pén., art. 148.

[22] Tel était d’ailleurs le point de vue développé par l’avocat Me Cessieux, représentant le Syndicat de la Magistrature à l’audience du 11 septembre 2019.

[23] V. encore récemment Th. Fillion, L’utilisation de moyens de télécommunications au cours de la procédure, ou la solitude de l’avocat face au(x) juge(s), AJ Pénal, 2019, p. 252.

[24] Jurisprudence constante depuis la décision Cons. const., décision n° 2010-108 QPC, du 25 mars 2011 (N° Lexbase : A3844HHT).

[25] P. Mathonnet, La QPC en matière pénale dispose t-elle encore d’un effet utile ?, AJ Pénal, 2019, p. 394.

[26] § 16.

[27] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 précitée.

[28] Cons. const., décision n° 2010-25 QPC, du 16 septembre 2010 (N° Lexbase : A4757E93).

[29] Cons. const., décision n°89-258 DC du 8 juillet 1989 (N° Lexbase : A8200ACP), Loi portant amnistie, Journal officiel du 11 juillet 1989, page 8734, cons. 13.

[30] En ce sens, v. X. Magnon, Sur un pont-aux-ânes ? L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel, pour une distinction entre «autorité» et «force» de chose jugée, RDFA, 2013, p. 859.

[31] § 16.

[32] V. Ferreira, Le rôle de la Cour de cassation dans le développement de la visioconférence en procédure pénale, art. préc..

[33] Cons. const., décision n°62-18 L du 16 janvier 1962 ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 894873, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "D\u00e9cision n\u00b062-18 L du 16-01-1962", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A7808AC8"}}).

newsid:470663

Rel. collectives de travail

[Brèves] Possibilité pour un accord collectif de prévoir un entretien d’appréciation des compétences mises en œuvre dans l’exercice du mandat représentatif ou syndical

Réf. : Cass. soc., 9 octobre 2019, n° 18-13.529, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6603ZQM)

Lecture: 3 min

N0719BYB

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par Charlotte Moronval

Le 16 Octobre 2019

► Pour la prise en compte dans son évolution professionnelle de l’expérience acquise par le salarié dans l’exercice de ses mandats représentatifs ou syndicaux, un accord collectif peut prévoir un dispositif, facultatif pour l’intéressé, permettant une appréciation par l’employeur, en association avec l’organisation syndicale, des compétences mises en œuvre dans l’exercice du mandat, susceptible de donner lieu à une offre de formation et dont l’analyse est destinée à être intégrée dans l’évolution de carrière du salarié.

Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 9 octobre 2019 (Cass. soc., 9 octobre 2019, n° 18-13.529, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6603ZQM).

L'affaire. En l’espèce, un accord sur le parcours professionnel des représentants du personnel au sein d’un groupe de sociétés est conclu entre une société et des organisations syndicales représentant 60 % des salariés.

Parmi les mesures prévues pour l’accompagnement lors de l’exercice d’un mandat figure un entretien d’appréciation des compétences et d’évaluation professionnelle.

La société ainsi que les organisations syndicales signataires sont assignées par une fédération syndicale et un syndicat devant le tribunal de grande instance afin que l’article de l’accord mettant en place cet entretien soit déclaré illégal.

Ils sont déboutés de leur demande d’annulation et d’inopposabilité de cet article devant la cour d’appel (CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 11 janvier 2018, n° 16/22712 N° Lexbase : A0774XAW). Ils forment alors un pourvoi en cassation.

La solution. Enonçant la solution susvisée, la Cour de cassation rejette le pourvoi. La cour d’appel qui, constatant par motifs propres, qu’après constitution d’un groupe de travail, la négociation, qui comprenait une phase d’expérimentation, sur la mise en place pour les représentants du personnel d’un entretien d’appréciation des compétences et d’évaluation professionnelle avait permis la prise en compte de plusieurs suggestions des organisations syndicales, que l’appréciation des compétences était menée selon un processus en plusieurs étapes sous le regard croisé de l’organisation syndicale du salarié et d’un représentant de l’employeur devant avoir participé aux instances dans lesquelles le salarié exerce son mandat, que les critères d’appréciation étaient objectifs et vérifiables et, par motifs adoptés, le caractère transversal entre les métiers et le mandat des compétences contenues dans le référentiel, a retenu que l’appréciation des compétences mises en oeuvre dans le cadre du mandat du représentant du personnel reposait sur des éléments précis et objectifs qui font l’objet d’une méthodologie excluant toute discrimination ou atteinte à la liberté syndicale, a fait une exacte application de l’article L. 2141-5 du Code du travail (N° Lexbase : L8734LGL).

Elle ajoute que l’accord collectif qui prévoit, dans le cadre des dispositions visant à faciliter l’exercice de mandats syndicaux ou représentatifs par la valorisation des compétences mises en oeuvre par les salariés dans l’exercice de ces mandats, l’élaboration par l’employeur, après négociation avec les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise, d’un référentiel dont l’objet est d’identifier ces compétences ainsi que leur degré d’acquisition dans le but de les intégrer au parcours professionnel du salarié et dont le juge a vérifié le caractère objectif et pertinent, ne porte pas atteinte au principe de la liberté syndicale, l’employeur étant tenu en tout état de cause dans la mise en oeuvre de l’accord au respect des prescriptions des articles L. 1132-1 (N° Lexbase : L5538LQ8) et L. 2141-5, alinéa 1er, du Code du travail (sur L'obligation d'entretien professionnel spécifique aux représentants du personnel et délégués et représentants syndicaux, cf. l'Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E0275E93).

newsid:470719

Responsabilité

[Brèves] Mise en balance, par le juge, entre le droit à la protection de la vie privée et la liberté d’expression d’identique valeur normative

Réf. : Cass. civ. 1, 10 octobre 2019, n° 18-21.871, F-P+B+I (N° Lexbase : A0008ZRQ)

Lecture: 4 min

N0754BYL

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par Manon Rouanne

Le 16 Octobre 2019

► Lorsqu’est violé le droit au respect de sa vie privée et familiale consacré à l’article 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY) et à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (N° Lexbase : L4798AQR), au nom de la liberté d’expression consacrée à l’article 10 de la même Convention (N° Lexbase : L4743AQQ) et donc de même valeur normative, il appartient au juge, par une pesée des intérêts en présence, de faire pencher la balance au profit du droit qui a le plus de poids en l’espèce, de sorte que, c’est à bon droit que ce dernier, après avoir caractérisé, en l’occurrence, une atteinte à la vie privée du demandeur, a mis en balance cette atteinte avec la liberté d’expression et décidé de faire primer, eu égard aux faits de l’espèce, la liberté d’informer ayant pour conséquence le rejet de l’indemnisation de la victime.

Tel est l’équilibre recherché par la première chambre civile de la Cour de cassation entre des droits de même valeur normative dans un arrêt en date du 10 octobre 2019 (Cass. civ. 1, 10 octobre 2019, n° 18-21.871, F-P+B+I N° Lexbase : A0008ZRQ ; en ce sens, Cass. civ. 1, 23 avril 2003, n° 01-01.851, FS-P N° Lexbase : A5089BMG ; Cass. civ. 1, 9 juillet 2003, n° 00-20.289, FS-P N° Lexbase : A0906C9G).

En l’espèce, à la suite de la diffusion, à la télévision, d’un reportage consacré à la crise de la production laitière, le président du conseil de surveillance de la société laitière, se prévalant d’une atteinte portée à sa vie privée du fait de la mention, dans une séquence, du nom de sa résidence secondaire, de sa localisation précise et de la présentation de vues aériennes de son domicile, a assigné la société France télévisions en réparation de son préjudice sur le fondement des articles 9 du Code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme consacrant le droit de chacun au respect de sa privée et familiale.

Tout en retenant, l’atteinte à sa vie privée, la cour d’appel rejette la demande de la victime de cette violation (CA Angers, 26 juin 2018, n° 17/02010 N° Lexbase : A0740XUX) en décidant de donner plus de poids, en l’espèce, à la liberté d’expression, après mise en balance de ces deux droits de valeur normative identique.

Cette dernière a, alors, formé un pourvoi en cassation, d’une part, en alléguant comme moyens, l’absence de prise en compte, par les juges du fond, dans la mise en balance des intérêts en présence, de certains critères que sont la répercussion de la publication, les circonstances des prises de vue et la gravité des sanctions encourues et, d’autre part, en contestant la caractérisation par la cour d’appel, en l’espèce, des critères ayant conduit celle-ci à faire primer la liberté d’expression que sont la disponibilité, dans le domaine public, des informations litigieuses, le comportement du requérant face aux divulgations précédentes de ces informations et l’existence d’un débat d’intérêt général sur la crise du lait.

Confortant la position adoptée par la juridiction de second degré, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Après avoir rappelé, qu’en cas de conflit entre la liberté d’expression et la protection de la vie privée ayant la même valeur normative, il appartient au juge de privilégier le droit qui a le plus de poids en l’espèce (Cass. civ. 1, 21 mars 2018, n° 16-28.741, FS-P+B N° Lexbase : A8014XHB) eu égard à la contribution de la publication litigieuse à un débat d’intérêt général, la notoriété et le comportement antérieur de la personne visée et l’objet, le contenu, la forme et les répercussions du reportage (CEDH, 10 novembre 2015, Req. 40454/07, § 93, Couderc et Hachette Filipacchi Associés c/France N° Lexbase : A2074NWQ), la Haute juridiction fait primer, en l’occurrence, la liberté d’expression. En effet, dans la mise en balance de ces droits de même valeur qui s’opposent, la Cour de cassation, à l’instar de la cour d’appel, considère que le fait qu’il ne soit révélé, dans le reportage, que la localisation de la résidence secondaire du dirigeant déjà divulguée précédemment dans la presse, que ce dernier soit un personnage public, que les journalistes n’ont pas pénétré dans la propriété privée et que la publication s’inscrivait dans un débat d’intérêt général, font pencher la balance en faveur du droit à l’information légitimant, ainsi, l’atteinte à la vie privée du requérant.

newsid:470754

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] Conditions tenant à l'obligation de régularisation globale de la TVA initialement déduite et grevant un bien immobilisé qui cesse d'être utilisé à une opération imposable

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 9 octobre 2019, n° 418100, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6655ZQK)

Lecture: 3 min

N0723BYG

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par Marie-Claire Sgarra

Le 17 Octobre 2019

Une entreprise n'est tenue de procéder à la régularisation globale qu'à compter de l'évènement qui caractérise de façon certaine la désaffectation définitive d'une immobilisation à la réalisation d'opérations taxables.

Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt en date du 9 octobre 2019 (CE 9° et 10° ch.-r., 9 octobre 2019, n° 418100, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6655ZQK).

En l’espèce, une société a cessé, en mars 2008, son activité de production de matières plastiques. Ses actions ont été cédées le 19 décembre 2008, le nouvel actionnaire s'engageant à ne pas reprendre l'activité industrielle précédemment exercée sur le site et projetant, après avoir procédé à sa dépollution, de le diviser en parcelles destinées à être exploitées par des entreprises des secteurs de la protection de l'environnement, des énergies renouvelables et de la valorisation des déchets.

La nouvelle société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale a notamment estimé que la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé l'acquisition des biens immobilisés qui avaient cessé d'être utilisés pour les besoins de l'activité de production de matières plastiques devait faire l'objet d'une régularisation. Le tribunal administratif d’Amiens rejette sa demande de décharge des rappels de TVA. La cour administrative d’appel de Douai confirme le jugement (CAA de Douai, 5 décembre 2017, n° 16DA00788 N° Lexbase : A6899W4B).

A la suite de l'arrêt définitif, en mars 2008, de l'activité industrielle, la société a, conformément à la procédure applicable aux installations classées soumises à autorisation, procédé à la mise en sécurité du site de production, dans l'attente de son démantèlement et de sa dépollution.

Ainsi, si les biens immobilisés de la société ont cessé, à cette date, d'être utilisés pour les besoins de son activité industrielle, ils étaient destinés à être soit détruits, soit cédés, soit transformés dans le cadre de la réaffectation des terrains à un nouvel usage. Dans ces circonstances, la conservation, au cours de l'année 2008, des biens immobiliers dans le patrimoine de la société dans l'attente de l'engagement des opérations de démantèlement, ne constituait pas un évènement de nature à entraîner la régularisation globale de la taxe ayant grevé leur acquisition.

Par suite, en jugeant que la taxe initialement déduite devait faire l'objet d'une régularisation globale dès 2008 aux motifs, d'une part, que ces biens avaient cessé d'être utilisés pour l'activité de production de matières plastiques et, d'autre part, qu'il n'était pas justifié qu'ils auraient été, au cours de cette période, réaffectés à la réalisation d'autres opérations imposables, la cour a commis une erreur de droit (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X4240ALM)

 

newsid:470723

Universités

[Brèves] Obligation pour l’Etat de fournir un enseignement supérieur public gratuit éventuellement accompagné de frais "modiques"

Réf. : Cons. const., décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019 (N° Lexbase : A7487ZQD)

Lecture: 2 min

N0729BYN

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par Yann Le Foll

Le 16 Octobre 2019

► L’Etat est tenu de fournir aux étudiants un enseignement supérieur public gratuit éventuellement accompagné de frais "modiques".

Telle est le sens d’une décision du Conseil constitutionnel rendue le 11 octobre 2019 (Cons. const., décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019 N° Lexbase : A7487ZQD).

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 25 juillet 2019 par le Conseil d'Etat (CE, 24 juillet 2019, n° 430121 N° Lexbase : A7319ZKB) d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l'article 48 de la loi n° 51-598 du 24 mai 1951, de finances pour l'exercice 1951.

Aux termes des dispositions contestées, peuvent être fixés par arrêté les taux et modalités de perception des droits d'inscription, de scolarité, d'examen, de concours et de diplôme dans les établissements de l'Etat.

Les associations requérantes soutenaient que ces dispositions méconnaissaient le treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Elles faisaient, en particulier, valoir que le principe de gratuité de l'enseignement public, qui découlait selon elles de cet alinéa, faisait obstacle à la perception de droits d'inscription pour l'accès à l'enseignement supérieur.

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel déduit de façon inédite du treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 que l'exigence constitutionnelle de gratuité s'applique à l'enseignement supérieur public. Cette exigence ne fait pas obstacle, pour ce degré d'enseignement, à ce que des droits d'inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants.

S'agissant de la conformité à ces exigences constitutionnelles des dispositions contestées, le Conseil constitutionnel relève que celles-ci se limitent à prévoir que le pouvoir réglementaire fixe les montants annuels des droits perçus par les établissements publics d'enseignement supérieur et acquittés par les étudiants.

Il juge qu'il appartient aux ministres compétents de fixer, sous le contrôle du juge, les montants de ces droits dans le respect des exigences de gratuité de l'enseignement supérieur public et d'égal accès à l'instruction.

Par ces motifs, il écarte les griefs tirés de la méconnaissance des exigences constitutionnelles de gratuité de l'enseignement public et d'égal accès à l'instruction.

newsid:470729

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