Le Quotidien du 29 juillet 2025

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Actualité judiciaire

[A la une] Quinze ans après, la justice rouvre le dossier sur la suicide de Kristina Rady, l’ex-femme de Bertrand Cantat

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par Axel Valard

Le 28 Juillet 2025

Les faits remontent exactement au 10 janvier 2010. Mais la justice a décidé de ne pas lâcher l’affaire. Quinze ans après le suicide de Kristina Rady, le parquet de Bordeaux (Gironde) a indiqué, jeudi 26 juillet, qu’il avait pris la décision de rouvrir une enquête préliminaire pour « violences volontaires par conjoint » pour tenter d’éclairer les circonstances de la mort de celle qui était alors l’épouse de Bertrand Cantat.

Lorsque l’on prononce le nom de l’ancien chanteur du groupe de rock « Noir Désir », on pense immédiatement à Marie Trintignant qui a trouvé la mort, sous ses coups, en 2003 à Vilnius (Lituanie). Mais avant l’actrice, la vie de Bertrand Cantat s’est pendant longtemps conjuguée à celle de Kristina Rady. C’est en 1993 qu’ils se sont rencontrés lors du festival de musique Sziget à Budapest (Hongrie). Leur idylle les emmène alors en France où ils se marient et ont deux enfants en 1997 et 2002. À la naissance du deuxième enfant, Bertrand Cantat quitte Kristina Rady pour s’installer avec Marie Trintignant. La suite de l’histoire est connue : cette nuit sombre à Vilnius où l’actrice meurt sous les coups du chanteur, le procès en Lituanie, la peine de huit ans de prison prononcée et une sortie de détention en 2007, à la faveur d’une décision d’un juge d’application des peines toulousain.

Lorsqu’il quitte le centre pénitentiaire de Muret (Haute-Garonne), Bertrand Cantat reprend une relation épisodique avec Kristina Rady. Celle-ci n’a jamais cessé de le soutenir. Y compris durant le procès de Vilnius. Mais l’histoire qui s’en suit est dramatique. Le chanteur est possessif, jaloux. Et de chaos en chaos, Kristina Rady finit par se pendre dans son logement bordelais, le 10 janvier 2010. C’est son fils qui découvre son corps, alors que Bertrand Cantat dort dans une pièce à côté…

Le documentaire Netflix comme déclencheur.

À l’époque, le parquet de Bordeaux ouvre une enquête en « recherche des causes de la mort » et confirme rapidement la thèse du suicide. Mais en 2013, puis en 2014, elle rouvre le dossier à la faveur de bruits faisant état de violences physiques et psychologiques infligées par le chanteur à sa compagne. Des violences qui auraient pu la conduire à commettre l’irréparable. Les enquêtes sont classées sans suite. Tout comme la dernière ouverte en 2018. Les éléments sont déjà connus : Kristina Rady s’était plainte du climat toxique au sein du couple. Elle avait même laissé un message vocal de 7 minutes et 33 secondes sur le répondeur de ses parents pour s’en plaindre six mois avant de se pendre. Mais à l’époque, le parquet de Bordeaux ne trouve aucun élément permettant de caractériser des faits de violences.

Pourquoi alors rouvrir le dossier aujourd’hui ? Parce que Netflix est passé par là. En mars dernier, la célèbre plateforme a diffusé un documentaire en trois épisodes intitulé « Le cas Cantat ». Si les deux premiers volets ramènent à l’histoire de la mort de Marie Trintignant, le dernier, lui, se concentre sur Kristina Rady.

« C’est après le visionnage de ce reportage  que j’ai décidé de rouvrir le dossier », confie ainsi Renaud Gaudeul, le procureur de la République de Bordeaux. Parce que le documentaire met en lumière des éléments nouveaux qui n’avaient pas été portés à la connaissance des policiers lors des enquêtes précédentes. Notamment un témoignage. Celui d’un infirmier qui, anonymement, confie « être tombé » dans un hôpital bordelais sur le dossier médical de Kristina Rady, prouvant, selon lui, qu’elle avait dénoncé les coups portés par « son compagnon » plusieurs mois avant de mettre fin à ses jours. L’objectif du magistrat bordelais est désormais clair : retrouver cet infirmier, ce dossier médical et voir si cela pourrait suffire à relancer l’affaire.

Une circulaire de Dupond-Moretti sur la prescription datée de 2021.

Mais évidemment, la question de la prescription va se passer. Et une source proche du dossier confie que cela sera évidemment « un enjeu » pour pouvoir aller plus loin. Kristina Rady est morte en 2010 et la dernière enquête a été classée sans suite en 2018. Nous sommes donc plus de six ans après le « dernier acte interruptif » de la prescription. Et on peut s’interroger sur ce qui pourrait permettre de la lever aujourd’hui.

Mais la volonté de Renaud Gaudeul est peut-être ailleurs. En février 2021, Éric Dupond-Moretti avait adressé une circulaire aux parquets leur demandant de rouvrir des dossiers, même en cas de prescription flagrante afin, notamment, de pouvoir apporter une réponse aux victimes. La circulaire visait essentiellement les faits de nature sexuelle commis sur des mineurs mais pouvait s’appliquer à tous les faits « d’une particulière gravité ». Le Garde des Sceaux de l’époque insistait alors pour que la justice classe sans suite pour cause de prescription « lorsque les faits révélés ou dénoncés dans la procédure constituent bien une infraction mais que le délai fixé par la loi pour pouvoir les juger est dépassé ». Ce faisant, Éric Dupond-Moretti avait bien pris soin de souligner les mots « constituent bien une infraction » dans cette circulaire…

De son côté, Antonin Lévy, avocat de Bertrand Cantat a refusé de commenter une procédure dont il dit ne pas avoir eu connaissance « à ce stade ». Son client, dont les derniers spectacles ont été empêchés par les associations féministes, n’a pas réagi non plus. Lors du dernier classement sans suite intervenu en 2018, il avait simplement indiqué aux policiers qu’il était « heureux que cette page se tourne enfin ». Elle vient de se rouvrir aujourd’hui.

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Collectivités territoriales

[Jurisprudence] Droit local d’Alsace-Moselle et liberté de l’enseignement : le Conseil constitutionnel précise les contours d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République

Réf. : Cons. const., décision n° 2025-1145 QPC du 2 juillet 2025 N° Lexbase : B6757APX

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N2743B3Y

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par Jean-Pierre Camby, docteur en droit, Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel et Pierre Steinmetz, ancien membre du Conseil constitutionnel

Le 28 Juillet 2025

Mots clés :  Alsace-Moselle • enseignement privé • liberté d'enseignement • recrutement des enseignants • principe fondamental reconnu par les lois de la République 

Le régime juridique spécifique d’Alsace-Moselle n’a pas fini d’être exploré sur le plan constitutionnel. En témoigne la décision du Conseil constitutionnel n° 2025-1145 du 2 juillet 2025 « École Mathias Grünewald ».


 

La particularité juridique de l’Alsace-Moselle, compte tenu des changements d’appartenance nationale survenus au cours de son histoire (défaite de 1870, victoire de 1918…), s’est traduite par la reconnaissance par le Conseil constitutionnel, en août 2011, d’un « principe fondamental reconnu par les lois de la République » (PFRLR) garantissant cette spécificité. Ce principe permet le maintien des normes locales, leur abrogation ou - à condition qu’elle se fasse par rapprochement avec le droit commun- leur modification. Elle exclut que le régime s’éloigne davantage du droit commun.

La présente décision conforte l’économie générale ainsi tracée, tout en la plaçant, avec une netteté inédite, sous la prévalence d’un autre principe constitutionnel. On peut en outre tirer de sa logique une conclusion générale, quoique de portée limitée, sur la consistance de la liberté de l’enseignement.

I. Un principe fondamental reconnu par les lois de la République à effet relatif

Il faut remonter à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et aux conditions de son adoption (il s’en est fallu de deux voix) pour comprendre que le vote des parlementaires d’Alsace Moselle était indispensable à l’aboutissement de cette révision. Or ces parlementaires craignaient les effets de la « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC), qu’instaurait la loi constitutionnelle, sur la pérennité du droit local. Devait donc être sécurisée, à leurs yeux, la spécificité du droit local.

Emmanuelle Mignon a très bien détaillé la genèse « politique » de la reconnaissance de ce principe : «  Visiblement très contrariés, ces parlementaires [UMP d’Alsace Moselle]  nous informèrent de l’impossibilité dans laquelle ils se trouvaient de voter la réforme constitutionnelle en raison de la présence de la QPC. Selon eux, en effet, la QPC allait permettre à des requérants de contester, devant le Conseil constitutionnel, la spécificité du régime juridique de l’Alsace‐Moselle. Le régime spécifique de l’Alsace‐Moselle, issu de lois de 1919 et 1924, pose deux questions constitutionnelles : la première, classique, est celle de la conformité des dispositions de ce régime aux principes du bloc de constitutionnalité, par exemple, notamment, la conformité du régime concordataire au principe de laïcité ; la seconde, plus délicate car elle compromet le principe même de l’existence d’un droit spécifique, est de savoir si celui‐ci est compatible avec le principe d’indivisibilité de la République, selon lequel les conditions essentielles d’exercice des libertés publiques doivent être les mêmes sur tout le territoire de la République » [1] .

Ce même témoignage nous apprend que « plusieurs auteurs avaient imaginé que la spécificité du droit alsacien‐mosellan puisse être qualifiée de principe fondamental reconnu par les lois de la République. On expliqua donc aux parlementaires que, saisi de la question, le Conseil constitutionnel ne remettrait jamais en cause le droit d’Alsace‐Moselle et qu’il s’appuierait pour ce faire sur le caractère constitutionnel de cette spécificité. On proposa que le Secrétaire général du gouvernement rédigeât une note blanche, ce qu’il fit ».

Le dénouement juridique fut conforme à cette attente. Par sa décision n° 2011-157 QPC du 5 août 2011 « Société Somodia » [2], le Conseil constitutionnel érigea en PFRLR la spécificité des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

La décision « Somodia » traça ainsi le périmètre  de cette spécificité : « La législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 a consacré le principe selon lequel, tant qu'elles n'ont pas été remplacées par les dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles, des dispositions législatives et réglementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle peuvent demeurer en vigueur ; à défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d'application n'est pas élargi ; telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de dispositions particulières applicables dans les trois départements ».

Le « principe fondamental reconnu par les lois de la République » dégagé en août 2011 trouve à se combiner avec deux décisions ultérieures : d’une part, une décision n° 2012-285 QPC du 30 novembre 2012 N° Lexbase : A7023IXE, qui annule les dispositions de droit local relatives aux corporations [3] ; d’autre part, la décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013 N° Lexbase : A2772I88, qui précise que le constituant n’a pas entendu remettre en cause les dispositions de droit local relatives aux cultes en vigueur lors de l’entrée en vigueur de la Constitution. Ces dispositions produisent donc encore leurs effets tant que la loi ou le règlement ne les a pas abrogées.

De cette jurisprudence on peut tirer trois principes: le régime d’Alsace-Moselle peut déroger à certains principes constitutionnels ; ces dérogations doivent se concilier avec les autres exigences constitutionnelles ; elles ne peuvent évoluer que dans le sens d’un rapprochement avec le droit national [4].

Ainsi est ouvert le choix entre maintien de l’existant, alignement sur le droit commun ou rapprochement avec le droit commun. Le PFRLR permet un écart entre règle locale et règle nationale à condition qu’il soit extinguible : ne sont autorisés que le maintien de la règle locale ou son harmonisation avec le droit commun.  Le commentaire officiel de la décision n° 2011-157 QPC est explicite : «  Le caractère transitoire du maintien du droit alsacien-mosellan ne fait pas obstacle à ce que le législateur puisse adapter les règles de droit local. Toutefois, il ne peut en résulter ni un accroissement du champ d’application des différences ni une augmentation de celles-ci ».

Cette dernière limite n’a jamais joué, le Conseil n’ayant eu à connaître que de textes anciens et non de leur modification contemporaine qui aurait pu induire une telle conséquence (accroissement des différences ou creusement de l’écart).

Quant à l’harmonisation, elle implique non nécessairement une substitution de la règle nationale à la règle locale, mais une réduction des différences. Elle peut provenir soit d’une volonté du législateur, soit d’une modification réglementaire, soit encore (comme il en sera normalement de la décision commentée) des conséquences d’une QPC.

La décision QPC du 2 juillet 2025 porte sur des lois bismarckiennes : article 1er de la loi d’Empire du 12 février 1873 et second alinéa des articles 9 et 10 de l’ordonnance du Chancelier du 10 juillet 1873. Ces lois instituaient un régime d’autorisation pour le recrutement des maîtres dans les écoles en Alsace et dans le département de la Moselle.

Outre la proclamation du principe fondamental reconnu par les lois de la République, la décision « Somodia » de 2011 tranche une question épineuse. On pouvait se demander si l’affirmation de la spécificité alsacienne-mosellane aboutissait à « sanctuariser » le droit local ou si ce dernier devait rester malgré tout conciliable avec d’autres normes de rang constitutionnel. Dès 2011, le Conseil opte pour cette seconde solution. Il constate que l’interdiction spécifique du travail le dimanche n’apporte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre. Or il est « loisible au législateur d'apporter à cette liberté des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi » [5]. Le Conseil relève également que cette règle de droit du travail n’est contraire à aucun droit ou liberté garanti par la Constitution.   

La démarche du Conseil consiste à apprécier non l’atteinte à l’égalité, nécessairement affectée dès lors qu’il s’agit d’apprécier une règle locale dérogatoire au droit commun, mais, selon les canons du contrôle de proportionnalité, l’atteinte qu’elle porte à une norme constitutionnelle. La recherche de conciliation entre normes de rang pareillement constitutionnel ouvre, comme à l’accoutumée, une large marge d’appréciation au juge constitutionnel, par le biais d’un contrôle de proportionnalité. Cette marge d’appréciation était d’autant plus large pour le travail dominical que la liberté d’entreprendre fait l’objet d’une protection constitutionnelle souple, pour ne pas dire relative.

En y regardant de plus près, il y a, en matière de droit local, une double appréciation à porter par le Conseil constitutionnel : à la fois (selon le principe posé par la décision « Somodia ») d’un éventuel creusement de l’écart avec le droit commun, mais aussi du degré de l’atteinte portée à d’autres règles constitutionnelles. Il s’agit donc d’un double test.

Après le droit du travail, ce fut au tour du régime des cultes de subir le double test. Ou, plus précisément, ce fut au tour du système  concordataire de la rémunération des ministres du Culte [6], alors que le principe de laïcité impose que la République « ne salarie aucun culte ». Le Conseil juge en 2013 que les Constitutions de 1946 comme de 1958 n’ont pas entendu remettre en cause « les dispositions législatives ou réglementaires particulières applicables dans plusieurs parties du territoire de la République lors de l'entrée en vigueur de la Constitution et relatives à l'organisation de certains cultes et, notamment, à la rémunération de ministres du Culte ».

Après le droit du travail et le principe de laïcité, c’est la liberté de l’enseignement (qui a la particularité de chevaucher ces deux domaines) qui subit le double test en 2025. On pouvait s’attendre, comme dans les cas précédents, à une décision qui admette la différence entre droit local et droit commun, mais le Conseil choisit une autre solution : faute d’encadrement suffisant de l’action administrative, le droit local porte atteinte à la liberté de l’enseignement.  

II. La liberté de l’enseignement, une garantie de portée limitée ?

Depuis sa reconnaissance en 1977 [7], où elle est alors affirmée sans réserve [8], jusqu’aux plus récentes décisions, la liberté de l’enseignement présente essentiellement trois composantes : la liberté de création d’établissements [9], l’enseignement selon des « caractères propres »  déterminés le cas échéant dans le cadre du contrat et la liberté de recrutement des maîtres. C’est sur cette dernière question que porte la QPC ici commentée.

La liberté de création est affirmée à travers le PFRLR de 1977, mais elle a  subi deux inflexions depuis lors.

Tout d’abord, la décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017 N° Lexbase : A5410TAM par laquelle le Conseil constitutionnel censure un régime d’autorisation préalable applicable à l’ouverture des établissements privés. Mais, à bien la lire, c’est seulement du fait d’une habilitation trop large : « Eu égard à l'atteinte susceptible d'être portée à la liberté de l'enseignement par la mise en place d'un régime d'autorisation administrative, en confiant au Gouvernement, sans autre indication, le soin de préciser « les motifs pour lesquels les autorités compétentes peuvent refuser d'autoriser l'ouverture » de tels établissements, le législateur a insuffisamment précisé les finalités des mesures susceptibles d'être prises par voie d'ordonnance ».

Le considérant, on le voit, ne ferme pas la porte à un régime d’autorisation, alors même que celui-ci est prohibé pour la liberté d’association. Voilà qui peut susciter quelques doutes sur la consistance exacte de la liberté d’enseignement.  

La seconde inflexion, en matière de liberté d’ouverture des établissements d’enseignement privés, est la décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021 N° Lexbase : A71304Z4, par laquelle est déclaré conforme à la Constitution le passage d’un régime de déclaration préalable à un régime d’autorisation préalable pour l’enseignement dans la famille. On sait qu’un tel passage avait pourtant  motivé la censure prononcée par la décision « fondatrice » du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association. L’autorisation préalable est validée, mais doit donner lieu à une motivation selon de stricts critères. Le cadre légal d’un système aux résultats contrastés [10]  devient cependant moins libéral [11].

Qui plus est, dans cette même décision de 2021, le Conseil fait de la liberté d’enseigner en famille une simple « modalité » de la liberté d’enseignement [12]. En distinguant ainsi la substance d’un principe de rang constitutionnel, qui est inviolable, et ses « modalités », que le législateur peut modifier, la décision du 13 août 2021 pourrait s’appliquer à d’autres aspects du fonctionnement des établissements privés. Au point de remettre en cause le caractère propre de ces établissements, tel qu’il se dégage des contrats liant ces derniers à l’État ?  Telle est la question.

En juillet 2025, ce n’est pas la création d’un établissement ou le choix d’un système éducatif qui est en cause : la question ne porte que sur le recrutement des maîtres. Les deux textes soumis au Conseil prescrivent en effet au chef d’établissement de joindre à la demande d’autorisation de recruter un maître les pièces permettant de justifier de « l’âge et des bonne vie et mœurs de la personne présentée, ainsi que de son aptitude à l’enseignement qui doit lui être confié » et de subordonner toute délivrance de l’autorisation à des conditions relatives aux matières de l’enseignement et aux classes confiées.

Ces conditions se rapprochent, comme l’a observé le gouvernement, de celles qui s’imposent à tout établissement, même hors contrat, pour le recrutement de ses enseignants. Le Conseil constate donc que « le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de préservation de l’ordre public et mis en œuvre l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ». Pour autant, l’atteinte portée au fonctionnement des établissements provient de l’imprécision et du caractère non limitatif des critères ainsi posés, lesquels «  privent de garanties légales la liberté de l’enseignement » [13]. En Alsace-Moselle comme ailleurs, la loi, même ancienne, ne doit pas être elliptique en matière de libertés publiques.

On tirera quatre conclusions de la QPC commentée.

La première est que le Conseil valide la spécificité du régime d’Alsace-Moselle à condition que cette spécificité n’affecte pas de façon excessive d’autres principes constitutionnels. Pour la première fois, il relève une atteinte excessive à ces principes.

La deuxième est que les partisans de la  liberté de l’enseignement peuvent voir dans la décision commentée un relatif succès. Même si l’essentiel, c’est-à-dire le régime d’autorisation lui-même, n’est pas censuré par la décision commentée, celle-ci contraste en effet avec une jurisprudence récente qu’on pouvait estimer moins protectrice pour la liberté de l’enseignement.

La troisième est que tout régime d’autorisation préalable doit reposer sur des critères précis. On a reproché au législateur d’avoir énuméré de façon restrictive les cas d’ouverture des autorisations de l’instruction en famille en 2021. La présente décision impose elle aussi la précision, mais dans une hypothèse où c’était l’absence de critères - et non leur excès - qui pouvait jouer contre la liberté de l’enseignement. Pour parachever cette construction, on serait maintenant en droit d’attendre une condamnation, par le juge constitutionnel, de critères encadrant trop restrictivement une activité constitutionnellement garantie, fondamentale pour la Nation et essentielle à la socialisation, à la liberté de conscience, à l’éducation et à l’économie.  

La quatrième conclusion réside dans le caractère problématique de l’application sans nuance à des textes aussi anciens que ceux du droit local alsacien-mosellan de l’incompétence négative du législateur [14] du fait de l’imprécision de la loi. C’est sur ce point que la décision commentée suscite la plus grande perplexité, car elle laisse entrevoir de nombreuses censures à l’occasion de futures QPC. Au-delà des questions d’enseignement, il n’est guère douteux en effet que le droit local, plus encore que la législation nationale, recèle nombre de laconismes dans des domaines affectant les droits et libertés. Devront-ils être tous révisés à la suite de censures ou pour prévenir celles-ci ? Plutôt que d’abroger, comme entachées d’incompétence négative, des dispositions aussi anciennes et aussi particulières que celles de lois bismarckiennes instituant un régime d’autorisation pour le recrutement des maîtres dans les écoles en Alsace et dans le département de la Moselle, le Conseil constitutionnel ne pouvait-il émettre une réserve d'interprétation requérant de  l'autorité administrative qu'elle fasse un usage non discriminatoire (et conforme au principe de liberté de l'enseignement) de son pouvoir d'autorisation ? Avec le recul, les craintes des parlementaires alsaciens-mosellans en 2008 n’apparaissent pas vaines.

 

[1] La question prioritaire de constitutionnalité , la réforme qui faillit ne jamais voir le jour, Semaine sociale, Lamy 2016 1724.

[2] M. Verpeaux, Repos dominical en Alsace-Moselle et principe fondamental reconnu par les lois de la   République, JCP éd. G, 21 novembre 2011, n° 47, p. 2297-2300 ; A. Roblot-Troizier, Question prioritaire de constitutionnalité et principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ou la constitutionnalisation d'un particularisme local transitoire, Revue française de droit administratif, novembre-décembre 2011, n° 6, p. 1209-1212 ; A. Jennequin, Le contrôle du droit local alsacien-mosellan au regard des droits et libertés constitutionnellement garantis, AJDA, 20 février 2012, n° 6/2012, p. 331-336 ; J.-M. Woehrling, La décision du Conseil constitutionnel sur le droit local alsacien-mosellan : consécration ou restriction ?, RFDA, janvier-février 2012, n° 1, p. 131-139.

[3] La référence au PFRLR est faite non dans la décision elle-même, mais lors des plaidoiries. La décision de renvoi, qui ne vise que la liberté d’association, n’en fait pas mention non plus (voir note 5).

[4] En conséquence, le raisonnement suivant est d’une imparable logique: les subventions publiques aux cultes ne sont possibles en Alsace-Moselle, par dérogation au droit national, qu’en vertu du régime concordataire ; ce régime concordataire ne concerne que les quatre cultes reconnus (catholique, réformé, luthérien et israélite) et ne peut être étendu ; il n’est donc pas possible de subventionner le culte musulman ou les Églises évangéliques (J.-E. Schoettl et P. Steinmetz, La mairie de Strasbourg peut-elle légalement subventionner un culte non concordataire ?, Le Figaro, 29 mars 2021).

[5] Par exemple : Cons. const., décision n° 89-254 DC du 4 juillet 1989 N° Lexbase : A8197ACL, n° 98-401 DC du 10 juin 1998 N° Lexbase : A8747ACX. Pour la censure d’une affiliation obligatoire des artisans à une  corporation  en Alsace Moselle, sans évocation du PFRLR, Cons. const., décision n° 2012-285 QPC du 30 novembre 2012 N° Lexbase : A7023IXE : « La nature des activités relevant de l'artisanat ne justifie pas le maintien d'une réglementation professionnelle s'ajoutant à celle relative aux chambres de métiers et imposant à tous les chefs d'exploitations ou d'entreprises artisanales d'être regroupés par corporation en fonction de leur activité et soumis ainsi aux sujétions précitées [ contrôle des lieux et conditions de travail ]; par suite, les dispositions contestées relatives à l'obligation d'affiliation aux corporations portent atteinte à la liberté d'entreprendre ». V aussi  Cons. const., décision n° 2013-672 DC du  13 juin 2013 N° Lexbase : A4712KGM, décision n° 2014-692 DC du 27 mars 2014 N° Lexbase : A9857MHK.  D. de Bechillon, Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 49 - octobre 2015 - p. 7 à 14.

[6] Cons. const., décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013 N° Lexbase : A2772I88.

[7] V. cette revue, 1978, Rivero p. 565, Lavialle, 188, Favoreu, RDpubl, 1978, 630, Plouvin, RDpubl 1979, p. 65.

[8] « La sauvegarde du caractère propre d'un établissement lié à l'État par contrat, notion reprise de l'article premier, 4e alinéa, de la loi du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l'État et les établissements d'enseignement privés, n'est que la mise en œuvre du principe de la liberté de l'enseignement….ce principe, qui a notamment été rappelé à l'article 91 de la loi de finances du 31 mars 1931, constitue l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le Préambule de la Constitution de 1946 et auxquels la Constitution de 1958 a conféré valeur constitutionnelle ».

[9] « Le principe de la liberté de l’enseignement (…) implique la possibilité de créer des établissements d’enseignement, y compris hors de tout contrat conclu avec l’État » (CE, 19 juillet 2017, n°s  406150, 406426, 406446 N° Lexbase : A2085WNK).

[10] La Cour des comptes constate une baisse du nombre d’enfants instruits en famille de 36 % en un an , et de fortes disparités territoriales d’application troisième chambre 30 avril 2025 observations définitives S 2025/0795.

[11] Brasnu : le nouveau régime de l’instruction en famille, AJDA, 2023, 1981 Concl. Poitreau, AJDA 2023.252.

[12] Cons. const., décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021 N° Lexbase : A71304Z4, cons. n° 72 : « En prévoyant que « L'instruction primaire est obligatoire … elle peut être donnée soit dans les établissements d'instruction primaire ou secondaire, soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu'il aura choisie », l'article 4 de la loi du 28 mars 1882 mentionnée ci-dessus n'a fait de l'instruction en famille qu'une modalité de mise en œuvre de l'instruction obligatoire. Il n'a ainsi pas fait de l'instruction en famille une composante du principe fondamental reconnu par les lois de la République de la liberté de l'enseignement ».

[13] Le grief tiré de l’incompétence négative du législateur ne peut être invoqué pour des lois antérieures à 1958 (Cons. const., décision n° 2010-28 QPC du 17 septembre 2010 N° Lexbase : A4759E97 : « si la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit, elle ne saurait l'être à l'encontre d'une disposition législative antérieure à la Constitution du 4 octobre 1958 ». 

[14] Même si le principe n’est pas directement en cause dans cette décision ( voir supra note n° 12).

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Protection sociale

[Chronique] Droit de la protection sociale

Lecture: 32 min

N2708B3P

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par Celia Ninach - Fabien Roumeas - Florent Labrugere et Gauthier Lacroix

Le 29 Juillet 2025

Par Celia Ninach, Doctorante en droit privé, Équipe de recherche Louis Josserand, Centre de droit de la famille ; Fabien Roumeas, Avocat au Barreau de Lyon, Spécialiste en droit du travail et en droit de la sécurité sociale ; Florent Labrugere, Avocat et Gauthier Lacroix, Docteur en droit - Élève-avocat 


 

Sommaire :

Absence d’obligation de versement de l’allocation aux adultes handicapés sur le compte du bénéficiaire

CA Lyon, ch. sociale D, 14 janvier 2025, RG n° 22/03605 

Alléguer n’est pas prouver

CA Lyon, ch. sociale D, 13 mai 2025, n° 22/05525 

L’accident du travail survenu en séminaire

CA Lyon, ch. sociale D, 6 mai 2025, RG n° 22/01386

La saga (silencieuse) de la minoration des droits à retraite complémentaire des micro-entrepreneurs

CA Lyon, ch. sociale D, 22 avril 2025, RG n° 24/03160 


Absence d’obligation de versement de l’allocation aux adultes handicapés sur le compte du bénéficiaire

♦ CA Lyon, ch. sociale D, 14 janvier 2025, RG n° 22/03605 N° Lexbase : A41450L4 

Mots-clefs : Allocation aux adultes handicapés • AAH • action récursoire • caractère personnel de l’AAH • changement de situation familiale • branche famille • défaut de changement de situation familiale 

Solution : L’absence d’obstacle au versement de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) à une autre personne que le bénéficiaire (bien qu’il s’agisse d’une allocation strictement personnelle) ne laisse comme seule action possible que l’action récursoire entre époux en raison du manquement à l’obligation déclarative de changement de situation familiale.  

Portée : Le caractère personnel de l’AAH ne fait pas obstacle au versement de la prestation à une autre personne que le bénéficiaire. 


1. Par un arrêt en date du 14 janvier 2025, la cour d’appel de Lyon retient l’absence d’obligation de verser le rappel de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) sur le compte du bénéficiaire, quand bien même il s’agit d’une allocation personnelle. De plus, elle retient que ne peut pas être qualifiée d’erreur de l’administration l’absence d’information du bénéficiaire sur son changement de situation familiale et le fait que le seul compte bancaire renseigné à son dossier était celui de son épouse (encore connu de l’administration sous ce titre). 

2. L’individualisation de l’AAH… L’allocation aux adultes handicapés est une allocation créée par la loi d’orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées, complétée par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées N° Lexbase : L5228G7R, et s’adresse aux handicapés adultes dans le cadre d’une politique sociale handicap. L’allocation a été conçue comme un « minimum social », c’est-à-dire un revenu minimal à la charge de la collectivité, versé à toute personne atteinte d’une incapacité permanente. Servie « comme une prestation familiale » [1], elle est accordée sur décision de la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées [2], à toute personne atteinte d’une infirmité entraînant une incapacité permanente d’au moins 80 %. Elle est également accordée aux personnes dont l’incapacité est de 50 %, mais qui, en raison de leur handicap, ne peuvent occuper un emploi [3]. L’AAH est « déconjugalisée » depuis le 1er octobre 2023 [4]. Cela signifie que le calcul de l’allocation prend en compte uniquement les ressources de l’intéressé et plus celles du conjoint. L’AAH s’individualise sur fond de justice sociale. L’idée était de corriger les inégalités d’accès à l’AAH et de surcroît d’élargir son accès. En effet, dans de nombreux cas, son accès était impossible compte tenu des ressources du couple où le montant versé était amoindri. Cette situation était vécue comme un « prix de l’amour » : soit on renonçait à l’AAH en vivant en couple, soit on renonçait au couple pour conserver ses droits [5]

3. Détachée de ses modalités de versement… Dans cet arrêt, était en cause le bénéfice d’un rappel d’AAH par le bénéficiaire de la prestation auprès de la caisse de référence, versée à tort sur le compte de son épouse de qui il s’était récemment séparé. Il fait valoir que l’AAH étant une allocation strictement personnelle et qu’il serait obligatoire qu’elle soit versée sur le compte du bénéficiaire et non de son épouse. En effet, le bénéficiaire considère que la caisse lui est redevable de la somme de 17 331,01 euros au titre de l’AAH sur la période du 1er avril 2017 au 31 mai 2019 et de 860 euros sur la période d’avril 2019. Il ajoute qu’il avait informé la caisse du changement de sa situation familiale, mais que celle-ci n’a été enregistrée que le 9 avril 2019, tout en précisant qu’il n’est en rien responsable des délais de traitement des informations par cette dernière. Elle relève qu’elle n’a aucune obligation légale de verser l’AAH sur le compte du bénéficiaire, même s’il s’agit d’une prestation personnelle. La caisse fait valoir que le rappel a été versé le 3 avril 2019, et qu’ils étaient toujours connus en tant que couple marié, monsieur n’ayant transmis par ailleurs son relevé d’identité bancaire à la caisse que le 6 avril 2019 et qu’il ne peut donc être fait grief à la Cour d’avoir versé le rappel d’AAH sur le seul compte bancaire connu de son dossier. En outre, la cour soutient qu’elle n’a commis aucune erreur en versant le rappel d’AAH sur le compte bancaire de son épouse dès lors qu’elle était dans l’ignorance de la séparation du couple. Cela s’explique par le fait que l’AAH, servie au titre des prestations de la branche famille, n’a pas été incluse dans la loi [6] qui prévoit le versement des allocations et prestations familiales sur le compte dont l’allocataire est titulaire. En effet, le dispositif proposé était relatif à l’obligation de versement des prestations sociales individuelles sur un compte dont le bénéficiaire est titulaire. Pour autant, au titre des prestations sociales individuelles, l’AAH n’a pas été mentionnée. Pourquoi ne pas avoir rendu cette obligation à l’ensemble des prestations sociales individuelles ? L’on voit ici qu’il y a une décorrélation entre les modalités de versement de l’AAH, qui ne sont pas exclusives au bénéficiaire, tandis que l’individualisation de l’allocation aux adultes handicapés ne prend en compte que les ressources du bénéficiaire depuis la déconjugalisation des ressources pour l’attribution. Cela s’explique par le fait que, dans la loi « Rixain » [7], « seules sont concernées des prestations individuelles et non familialisées. Les minima sociaux ont ainsi été exclus du dispositif » [8]. Dès lors, l’AAH en tant que « minimum social » est exclu du dispositif proposé par la loi. Pour autant, l’objectif de cette disposition est également de prévenir les violences économiques au sein du couple et de favoriser l’autonomie financière des femmes, et, d’une manière générale, la volonté du législateur est de favoriser les mères pour le bénéficie des prestations familiales. C’est d’ailleurs pour cette raison que les mères sont toujours les bénéficiaires des prestations de la branche famille par défaut. Dans le cas d’espèce, la famille était bénéficiaire de plusieurs prestations au titre de cette branche. L’ancienne épouse étant l’allocataire principale, aucune question ne s’est posée concernant les modalités de versement de l’AAH de son époux et elle a été versée à l’allocataire principale dont le seul compte bancaire était par ailleurs renseigné dans le dossier. Mais, finalement, quid de l’autonomie financière de l’époux au cas d’espèce ?  En instaurant un principe de versement par défaut en faveur des mères, le législateur, bien qu’animé par une volonté de protection, prend le risque de créer une forme d’inégalité entre les sexes, fondée sur une présomption implicite de défaillance paternelle. Ce mécanisme peut, dans certains cas, compromettre l’autonomie financière de certains pères, notamment lorsqu’ils ne sont pas les allocataires désignés dans les dossiers. 

4. Le manquement du bénéficiaire de déclarer le changement de situation familiale. Les bénéficiaires des prestations sociales sont tenus à l’obligation déclarative de tout changement de situation familiale ou de ressources [9]. À défaut il peut y avoir des conséquences sur leurs droits, notamment en cas de trop-perçu… Bien que les caisses n’aient de cesse d’attirer l’attention des bénéficiaires sur la vigilance à adopter en la matière, il s’agit d’un contentieux récurent. 

5. Conséquences ? Le manquement à l’obligation d’information de changement de situation familiale par les bénéficiaires ne laisse plus que l’action récursoire entre ex-époux en remboursement de l’AAH pour un montant de 17 331, 01 euros au titre de la période d’avril 2017 à mars 2019 comme seule action possible… de quoi alourdir et allonger les procédures ! 

Par Celia Ninach

 

[1] CSS, art. L821-5 N° Lexbase : L2584LWM  

[2] Créée par la loi du 11 février 2005 N° Lexbase : L5228G7R, elle remplace l’ancienne Commission technique d’orientation et de reclassement professionnel (COTOREP). Elle doit se prononcer sur l’orientation de la personne handicapée, sur des droits à prestations, sur sa qualité de travailleur handicapé (CASF, art. L241-5 et s. N° Lexbase : L2822LB7). 

[3] CSS, art. L821-1 et s. N° Lexbase : L1490MLR

[4] Loi n° 22-1158 du 16 août 2022 portant mesure d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, art. 10 et D. n° 2022-1694 du 28 décembre 2022 relatif à la déconjugalisation de l’AAH N° Lexbase : L3404MYQ.

[5] La tribune « L’allocation aux adultes handicapés (AAH) sera déconjugalisée au 1er octobre 2023 », le 29 décembre 2022. 

[6] Loi n° 2021-1774, du 24 décembre 2021, visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle, dite loi « Rixain » N° Lexbase : L6594MSZ.

[7] Idem.

[8]  L. Garnier, Sénatrice, Rapport n° 52 enregistré à la Présidence du Sénat le 13 octobre 2021, au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle [en ligne].

[9] CSS, art.  L583-3 N° Lexbase : L4996LRH, L114-14 N° Lexbase : L4024L3G, L114-17 N° Lexbase : L2822MGM et R115-7 N° Lexbase : L1864MMY.  


Alléguer n’est pas prouver

♦ CA Lyon, ch. sociale D, 13 mai 2025, n° 22/05525 N° Lexbase : A590109G

Mots-clefs : déclaration • accident du travail • matérialité de l’accident • allégation de la victime • éléments objectifs précis concordants

Solution : Les seules déclarations de la victime, en l’absence d’éléments extérieurs objectifs précis et concordants sur les circonstances de l’accident, ne permettent pas d’établir la matérialité dudit accident.

Portée : La contestation, par l’employeur, de la décision de prise en charge, par la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), au titre de la législation sur les risques professionnels, de l’accident déclaré par le salarié, peut lui permettre d’obtenir l’inopposabilité de la décision de prise en charge, c’est-à-dire, concrètement, la neutralisation de son impact financier par le retrait dudit accident de son taux AT/MP, mais aussi par l’absence de prise en charge de l’ensemble des arrêts de travail et soins prescrits depuis l’accident jusqu’à la date de consolidation.


Le 29 février 2016, un employeur déclare l’accident dont son salarié lui indique avoir été victime le 26 février 2016 dans les circonstances suivantes :

« Il montait une échelle pour accéder au mignon. Il aurait ressenti un relâchement de son genou, il a glissé mais n’est pas tombé. Il aurait constaté que sa rotule droite était déboîtée ».

Cette déclaration était accompagnée d’un certificat médical initial du 25 février 2016 faisant état d’une « luxation rotule droite » nécessitant un arrêt de travail jusqu’au 8 mars 2016 et de réserves motivées de la part de l’employeur, réserves ayant contraint la caisse primaire d’assurance maladie à mettre en œuvre une procédure d’enquête.

À l’issue de ladite enquête, la Caisse primaire d’assurance maladie a pris en charge, au titre de la législation professionnelle, l’accident en question et l’employeur saisira alors, d’abord, la Commission de recours amiable aux fins d’inopposabilité de la décision de prise en charge puis, suite à la décision implicite de rejet de ladite commission, ce qui était alors le tribunal des affaires sociales (devenu pôle social du tribunal judiciaire) lequel, par jugement du 7 juin 2022, a déclaré opposable, à l’employeur, la décision de prise en charge.

L’employeur forme un appel le 22 juillet 2022 et la cour d’appel de Lyon réformera ledit jugement le 13 mai 2025.

Après s’être livrée à une analyse circonstanciée des faits de l’espèce et avoir appliqué la technique dite du faisceau d’indices, la cour a jugé, in fine, que la Caisse primaire d’assurance maladie, subrogée dans les droits de l’assuré, ne démontrait pas la matérialité d’un fait soudain survenu au temps et au lieu du travail.

Il importe ici de rappeler que la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, d’un accident du travail doit répondre à des conditions précises (I) dès lors en effet que la décision de prise en charge emporte des conséquences (qui peuvent parfois être très importantes) tant pour le salarié que pour l’employeur (II).

I. Sur les conditions de prise en charge d’un accident du travail

L’article L411-1 du Code de la sécurité sociale N° Lexbase : L4725MHH définit l’accident du travail comme « l’accident qui, quelle qu’en soit la cause, est survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise ».

L’article précité pose donc une présomption d’imputabilité, au travail, d’un accident survenu au temps et au lieu du travail, présomption simple qui peut être renversée si l’employeur, après que la caisse primaire d’assurance maladie a pris en charge ledit accident au titre de la législation professionnelle, démontre que la matérialité dudit accident n’est pas établie, que sa survenance est sans lien avec le lieu ou le temps du travail, ou qu’il relève d’une cause totalement étrangère au travail.

Il sera ici précisé que la matérialité, en tant que telle, de la lésion peut être difficilement contestée dès lors que la déclaration d’accident du travail doit nécessairement être accompagnée d’un certificat médical initial qui permettra, en pratique, très souvent, d’établir l’existence d’une telle lésion.

L’existence d’une lésion ne s’identifie toutefois pas à l’existence d’un accident du travail et les difficultés rencontrées, en cas de contentieux, concernent davantage le lien entre la lésion d’une part et la preuve de la survenance de celle-ci dans le temps et le lieu du travail d’autre part ; c’est précisément l’objet du litige qu’a eu à trancher la cour dans l’arrêt objet du présent commentaire.

En effet, l’employeur, qui avait assorti sa déclaration d’accident du travail de réserves motivées invoquait, au soutien de son appel, que :

  • le salarié ne s’était pas plaint, auprès de qui que ce soit, à une date proche des faits évoqués, d’une quelconque situation ;
  • les constatations médicales n’avaient été faites que 3 jours après la date des faits évoqués ;
  • qu’il n’existait aucun témoin de l’accident ;
  • l’accident, tel que déclaré par le salarié, ne reposait que sur ses allégations.

La cour a, d’abord, fort justement rappelé le principe essentiel du droit de la preuve selon lequel « les déclarations de la victime ne suffisent pas à elles seules à établir le caractère professionnel de l’accident » [1] pour interroger, plus largement, les éléments de faits extérieurs et concordants relatifs audit accident en mobilisant le vaisseau du « faisceau d’indices ».

Ce faisant, la cour a relevé que : « Le salarié avait poursuivi son activité professionnelle le jour même et le lendemain de l’accident déclaré, lequel n’avait été porté à la connaissance de l’employeur que trois jours plus tard le fait accident invoqué tout en précisant l’information tardive de l’employeur n’est pas à elle seule suffisante à emporter l’inopposabilité de la décision de prise en charge ».

De même, la cour de souligner également et surtout : « Qu’aucun élément extérieur objectif corroborant les déclarations du salarié rapporté par la Caisse, étant relevé qu’il n’est pas fait état de la présence de témoin et que le chef de chantier qui, selon l’assuré, aurait été informé de l’accident, n’a pas été entendu dans le cadre l’enquête diligentée par la CPAM, la cour observant en outre que les constatations médicales faites deux jours après le fait accidentel allégué paraissent peu compatibles avec les déclarations du salarié compte tenu du fait que le diagnostic de luxation du genou rend la marche particulièrement douloureuse et difficile et que l’assuré, dans le cadre de son activité professionnelle, n’est pas soumis à une activité physique ».

Si l’on peut regretter la rédaction de l’arrêt en ce qu’il retient qu’il « ressort des éléments versés aux débats que si l’accident déclaré apparait être survenu au temps et au lieu du travail et que les lésions mentionnées dans le certificat médical initial ne sont effectivement pas incompatibles avec les mentions figurant sur la déclaration d’accident du travail », dans la mesure où ce constat induit nécessairement, de notre point de vue, sur le strict plan de l’orthodoxie juridique, une décision de prise en charge (la survenance d’un accident au temps et au lieu emporte reconnaissance du caractère professionnel de l’accident, sauf à démontrer l’existence d’un fait extérieur), la solution retenue au cas d’espèce de rejeter le caractère professionnel de l’accident apparaît pleinement justifiée, ce qui permet alors à l’employeur de se prévaloir d’une inopposabilité de la décision de prise en charge.

II. Sur les conséquences d’une décision de prise en charge et de son inopposabilité à l’employeur

La prise en charge d’un accident (ou d’une maladie) au titre de la législation sur les risques professionnels emporte, pour le salarié comme, pour l’employeur, des conséquences non négligeables.

En effet, pour le salarié dont le caractère professionnel de l’accident aura été reconnu, les prestations en nature comme en espèces qui lui seront servies par la CPAM dans des conditions plus avantageuses que dans l’hypothèse d’un accident relevant du régime de droit commun avec, s’agissant des prestations en espèces, la possibilité de percevoir le versement d’une rente viagère lorsque subsiste une incapacité permanente partielle supérieure à 10 % ou, lorsque ledit taux est en deçà du seuil de 10 %, une indemnité versée en capital.

La réparation des accidents du travail (et des maladies professionnelles) revêt ainsi un caractère forfaitaire qui, par exception, peut ouvrir droit à une réparation complémentaire lorsque le salarié est en mesure d’établir que l’accident du travail (ou la maladie professionnelle) résulte de la faute inexcusable de son employeur.

Du côté de l’employeur, la prise en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, va impacter sa tarification, c’est-à-dire la détermination du taux de la cotisation dont il est redevable au titre de l’assurance contre les accidents du travail et de maladie professionnelle.

La procédure de tarification est assez complexe [2] et l’impact financier d’un accident pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels peut être neutralisé par les effets de l’inopposabilité de la décision de prise en charge obtenue par l’employeur, le cas échéant, devant la juridiction de sécurité sociale, comme cela était le cas l’arrêt commenté.

En effet, si, compte tenu de l’indépendance des rapports Caisse/employeur et Caisse/assuré, la contestation, par l’employeur, de la décision de prise en charge, sera sans incidence sur les droits de l’assuré (qui continuera à bénéficier de la législation sur les risques professionnels quand une juridiction aura pourtant indiqué qu’elle n’aurait pas dû recevoir application), la décision de prise en charge qui aura été déclarée inopposable à l’employeur, comme cela a été le cas dans l’arrêt objet du présent commentaire, ne produira aucun effet à son égard.

La non-application de la décision, ou, pour user d’une terminologie plus juridique, son inopposabilité, permettra donc à l’employeur, dans ses rapports avec l’organisme social, d’échapper à une augmentation de son taux de cotisation.

Concrètement, cela signifie que l’inopposabilité, pour reprendre l’expression du Professeur Morvan, constitue « une cause d’irresponsabilité miraculeuse » [3] de l’employeur, miracle toutefois limité puisque les effets de la décision d’inopposabilité pourront s’effacer dans l’hypothèse où le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle aura vu reconnaître, devant la juridiction de sécurité sociale, l’existence d’un accident du travail et l’existence d’une faute inexcusable de son employeur à l’origine dudit accident ou de ladite maladie.

En effet, compte tenu de l’indépendance des rapports Caisse/assuré et Caisse/employeur, la décision (infirmative) de refus de prise en charge (fut-elle rendue par une juridiction) prise dans une instance à laquelle seuls l’employeur et la Caisse étaient parties, est inopposable au salarié dont la décision initiale de la Caisse ayant reconnu le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie lui demeure acquise.

Fort de cette décision initiale de prise en charge, et quand bien même une juridiction aurait refusé le caractère professionnel de l’accident, on ne peut juridiquement exclure que le salarié saisisse le pôle social d’une action en reconnaissance de faute inexcusable et que, dans l’hypothèse où celle-ci est jugée fondée, la Caisse primaire fasse valoir son action récursoire à l’encontre de l’employeur et que celui-ci soit dès lors tenu au remboursement des sommes versées par l’organisme social au salarié victime ; ou quand l’inopposabilité ne peut être valablement opposée…

Par Fabien Roumeas

 

[1] Voir aussi Cass. soc., 26 mai 1994, n° 92-10.106 N° Lexbase : A0937ABC.

[2] V. notamment, pour une explication approfondie, P. Morvan, Droit de la protection sociale, LexisNexis, 12e éd., 2025, p. 116 et s.

[3] P. Morvan, ibidem, p. 164.


L’accident du travail survenu en séminaire

♦ CA Lyon, ch. sociale D, 6 mai 2025, RG n° 22/01386 N° Lexbase : A87020RQ

Mots-clefs : Faute inexcusable • accident du travail • séminaire • prestataire • obligation de sécurité • activité ludique

Solution : La responsabilité d’un employeur au titre d’une faute inexcusable peut être engagée, y compris lors d’une activité ludique organisée par un tiers, mais initiée par ses soins pendant un séminaire.

Portée : L’employeur se doit de respecter son obligation de sécurité en toute circonstance.


1. Il est maintenant acquis en jurisprudence qu’un salarié, victime d’un accident alors qu’il est en mission, bénéficie d’une protection accrue en matière de législation sur les risques professionnels.

Plus particulièrement, si l’employeur ne rapporte pas la preuve que le salarié a interrompu sa mission pour un motif personnel, tout accident survenu durant une mission sera qualifié d’accident du travail. Tel est le cas d’une salariée qui a été victime d’un accident de ski lors d’un séminaire organisé par son employeur [1].

Au-delà de la question de l’existence d’un accident du travail, peut se poser la question dans ce genre d’hypothèse de l’engagement de la responsabilité de l’employeur au titre d’une faute inexcusable.

Celle-ci est directement rattachée à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers ses salariés. Ainsi, le manquement à cette obligation « a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver » [2].

Telle était la problématique soulevée dans le cadre de l’arrêt commenté de la cour d’appel de Lyon.

2. Au cas d’espèce, il était question d’une salariée qui a été victime, le 26 janvier 2017, d’un accident alors qu’elle participait à une activité de course de luges lors d’un séminaire organisé par son employeur.

Cet accident a été pris en charge par la CPAM au titre de la législation professionnelle le 16 février suivant. Des suites de cet accident, la salariée a été en arrêt pendant plus de deux ans jusqu’à sa date de consolidation fixée au 21 février 2019.

Entre-temps, elle a saisi les juridictions de sécurité sociale aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. La juridiction de première instance l’ayant débouté de cette demande, un appel a été interjeté de sa part.

3. Au cas présent, la cour d’appel de Lyon note que le caractère professionnel de l’accident n’est pas discuté par les parties qui divergent uniquement sur l’existence d’une faute inexcusable.

Après avoir rappelé la définition précitée d’une telle faute, la cour d’appel de Lyon précise que la charge de la preuve repose sur le salarié en la matière, sauf exception.

Ce dernier doit ainsi rapporter la preuve, d’une part, que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait ses salariés et, d’autre part, qu’il n’a pas pris les mesures de sécurité nécessaires en vue d’éviter ce risque.

À ce titre, la cour d’appel relève qu’il n’appartient pas à la salariée d’appeler en cause le prestataire de l’activité de luges, les juridictions de sécurité sociale étant incompétentes afin d’apprécier l’éventuel engagement de sa responsabilité.

En effet, l’accident de luge s’est produit lors d’un séminaire organisé par l’employeur au temps et au lieu du travail. Le caractère facultatif ou non de l’activité à l’origine de l’accident du travail est sans emport.

Ainsi, l’activité s’est produite dans un lieu choisi par l’employeur qui conservait un pouvoir de direction et de surveillance. Elle a également eu lieu avec l’assentiment de ce dernier et à sa demande.

Or, la cour d’appel de Lyon relève que l’employeur explique s’en être remis à l’organisation interne de l’établissement d’accueil et n’avoir pas eu la maîtrise de l’organisation.

Ce faisant, il admet n’avoir pas vérifié la sécurité de l’activité litigieuse proposée à ses salariés dans le cadre du séminaire organisé par ses soins.

Selon la cour, l’employeur fait ainsi l’aveu de l’absence de mesures prises pour assurer la sécurité de la salariée alors qu’il ne pouvait ignorer que l’activité en question présentait par définition un caractère intrinsèquement dangereux, s’agissant d’une course de luges organisée la nuit, sur une piste de ski gelée, sans aucun éclairage, ni sans protection particulière. Le risque de chute et de blessure dans le cadre de l’activité était ainsi parfaitement prévisible.

Il aurait dû évaluer les risques en amont et, le cas échéant, intervenir soit pour interdire l’activité, soit pour donner des consignes de sécurité dont il pouvait s’enquérir auprès du prestataire afin d’assurer la sécurité de sa salariée.

Ainsi, la cour d’appel retient l’existence d’une faute inexcusable et ordonne une expertise afin d’évaluer les préjudices de la salariée.

4. Cet arrêt vient illustrer le maintien de l’obligation légale de sécurité pesant sur l’employeur en toute circonstance. Ainsi, il convient d’assurer le respect de cette obligation légale, y compris lors d’une activité ludique organisée par ses soins.

À cet égard, il fait écho à une position récente de la Cour de cassation qui a précisé que « l’employeur ne peut s’affranchir de son obligation de sécurité par la conclusion d’un contrat prévoyant qu’un tiers assurera cette sécurité » [3].

Côté employeur, la morale de l’histoire serait de ne pas organiser, sur le temps de travail, de séminaires et ainsi éviter ce type de contentieux.

Par Florent Labrugere

 

[1] Cass. civ. 2, 21 juin 2018, n° 17-15.984, F-D N° Lexbase : A8548XTR.

[2] Cass. civ. 2, 8 octobre 2020, n° 18-25.021, FS-P+B+I N° Lexbase : A05513XP.

[3] Cass. civ. 2, 16 novembre 2023, n° 21-20.740, F-B N° Lexbase : A59011ZL.


La saga (silencieuse) de la minoration des droits à retraite complémentaire des micro-entrepreneurs

♦ CA Lyon, ch. sociale D, 22 avril 2025, RG n° 24/03160 N° Lexbase : A94230NC

Mots-clefs : micro-entrepreneur • profession libérale non réglementée • retraite complémentaire • relevé de situation individuelle • finances sociales • responsabilité

Solution : La cour d’appel de Lyon condamne la Cipav à rectifier le nombre de points de retraite complémentaire d’un micro-entrepreneur profession libérale en raison d’une erreur de l’organisme dans la formule de calcul des points de retraite complémentaire sur les périodes litigieuses. La cour rejette néanmoins les demandes de dommages et intérêts sollicitées par le micro-entrepreneur. 

Portée : L’arrêt de la cour d’appel de Lyon n’a rien d’exceptionnel. Il s’inscrit dans la droite lignée de la Cour de cassation qui a déjà tranché le litige soumis à la cour d’appel [1]. Celle-là même a déjà été saisie à plusieurs reprises en janvier 2025 [2] et plusieurs arrêts ont été rendus le 25 avril 2025 [3]. Néanmoins, l’arrêt mérite d’être mis en lumière compte tenu de la persistance d’un litige qui aurait pu (ou dû) conduire à des régularisations spontanées. En toile de fond de cette saga, c’est un conflit entre exigences d’équilibre des finances sociales et droits des assurés qui se joue et mériterait une étude plus approfondie.


Une conseillère en relation publique, affiliée à la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse (Cipav), a opté pour l’exercice de son activité sous le régime micro-social [4]. Cette assurée a sollicité de la Cipav son relevé de situation individuelle [5]. Ce relevé consigne les droits à retraite constitués au cours de la carrière. L’assurée a saisi la commission de recours amiable de la Cipav aux fins de rectification de ce relevé.

De ce recours est née une première difficulté. En effet, la commission de recours amiable a considéré que la contestation était irrecevable. La transmission du relevé ne constituerait pas une décision d’un organisme de sécurité sociale susceptible de recours. Sur requête de l’assurée, le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon a déclaré recevable l’action de l’assurée et condamné la Cipav à rectifier les droits de cette dernière. La Cipav interjette appel de ce jugement dans sa totalité.

À l’appui de la jurisprudence de la Cour de cassation [6], la cour d’appel estime qu’un relevé est susceptible d’être contesté, sous réserve qu’il fasse état de la constitution de droits ou de l’absence de droits. Il en va différemment lorsque le relevé fait explicitement mention de données indisponibles [7]. Dans ce cas, une réclamation auprès de l’organisme est un préalable obligatoire pour obtenir une décision contestable. En l’espèce, l’assurée contestait la minoration de droits inscrits sur le relevé. Le recours est recevable.

Le fond du litige portait à la fois sur l’assiette du revenu à retenir pour les points de retraite de base [8] et la formule de calcul des points de retraite complémentaire des micro-entrepreneurs professions libérales [9]. Seule la question des droits à retraite complémentaire nous intéressera.

Le régime social des micro-entrepreneurs était, jusqu’en 2016 [10], constitué d’une part de cotisations forfaitaires [11] et, d’autre part, d’une compensation de l’État [12]. Cette compensation était déterminée selon la différence entre le montant de cotisations acquittées par le micro-entrepreneur et « la plus faible cotisation non nulle » qu’il aurait payée selon le droit commun des professions libérales. Selon les statuts de la Cipav, le travailleur indépendant de droit commun pouvait bénéficier, sur demande expresse, d’une réduction de ses cotisations [13]. C’est sur cette base qu’étaient fixés les droits du micro-entrepreneur. Ce faisant, plus la cotisation de droit commun retenue est faible, plus le différentiel de l’État est faible : économie pour l’État, réduction des droits pour le micro-entrepreneur [14]. Par ailleurs, la Cipav, comme en l’espèce, considérait que les revenus du micro-entrepreneur devaient être appréciés par application d’un abattement sur le chiffre d’affaires [15]. Là encore, une minoration du chiffre d’affaires sur lequel s’applique la cotisation forfaitaire entraîne nécessairement une minoration des droits ouverts.

Après le 1er janvier 2016, la Cipav indique que le nombre de points de retraite complémentaire attribués devait respecter un « principe de proportionnalité des droits aux cotisations versées ». En vertu de ce principe, le nombre de points de retraite complémentaire doit être proportionnel au montant des cotisations effectivement payées par le micro-entrepreneur.

La cour d’appel de Lyon rejette en bloc l’argumentation de la Cipav. Pour apprécier les droits à retraite complémentaire, seuls les textes relatifs au calcul des droits des micro-entrepreneurs, dérogatoires du droit commun, sont applicables [16]. La Cour écarte ainsi l’existence d’un principe de proportionnalité des droits à retraite, car sans fondement textuel ni jurisprudentiel. De même, et malgré une rédaction qui laisserait croire – à tort – à l’inopposabilité des statuts de la Cipav à ses adhérents [17], la Cour précise que les statuts ne peuvent ajouter à la loi ou au règlement [18] et qu’ils ne sauraient instituer ce principe de proportionnalité.

Dans ces conditions, seuls l’article 2 du décret n° 79-262 du 21 mars 1979 N° Lexbase : L3565MYP et l’article L133-6-8 devenu l’article L613-7 du CSS N° Lexbase : L8999MKI, dans leur rédaction en vigueur, s’appliquent : le nombre de points de retraite complémentaire est déterminé en fonction de la classe de cotisations à laquelle est assujetti le micro-entrepreneur, laquelle est fixée selon le chiffre d’affaires pris dans sa totalité sans abattement. L’assurée bénéficie donc d’une hausse de ses points de retraite complémentaire.

Quelques centaines de décisions ont condamné la Cipav à recalculer les droits à retraite complémentaire des micro-entrepreneurs conduisant la Cour des comptes à préciser que « le nombre de litiges en cours et les conséquences financières pour la caisse sont, à ce stade, limités, mais cette jurisprudence pourrait être appliquée à un plus grand nombre de dossiers » [19].

La cour d’appel de Lyon a en l’espèce protégé les finances de la Cipav en rejetant les demandes de dommages et intérêts sollicitées. En effet, si les organismes de sécurité sociale sont susceptibles d’engager leur responsabilité délictuelle, encore faut-il apporter la preuve d’une faute et d’un préjudice. La cour d’appel de Lyon considère qu’une application erronée d’un texte ne saurait revêtir un caractère fautif et que la preuve d’un préjudice moral n’était en tout état de cause pas rapportée. De même, elle considère que l’exercice d’une action en justice est un droit et ne peut constituer un abus qu’en cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière.

Néanmoins, cette position est contestable. La combinaison d’une position jurisprudentielle stable depuis 2020, de plusieurs alertes de la part de la Cour des comptes [20] et du Défenseur des droits [21], ainsi que l’absence de volonté de régularisation spontanée par la Cipav, pourtant dans un rapport de force inégal avec les micro-entrepreneurs, ne pourrait-elle pas conduire à reconnaître une faute de la Cipav ? C’est ce qu’a retenu notamment la cour d’appel d’Aix-en-Provence en condamnant la Cipav à réparer un préjudice moral à hauteur de 2 000 euros compte tenu des démarches juridiques que l’assuré a été contraint d’effectuer [22].

Par Gauthier Lacroix

 

[1] Cass. civ. 2, 23 janvier 2020, n° 18-15.542, inédit ; FR 9/20 inf. 11 ; JCP E, n° 46, 2020, 1462, chron. A. Bugada

[2] CA Lyon, 28 janvier 2025, n° 22/08642 N° Lexbase : A781809G, n° 22/08675 N° Lexbase : A586209Y, n° 22/08643 N° Lexbase : A577609S.

[3] CA Lyon, 22 avril 2025, n° 22/06300 N° Lexbase : A95780N3, n° 24/03158 N° Lexbase : A95700NR, n° 22/06301 N° Lexbase : A97270NL

[4] CSS, art. L133-6-8 (anc.) devenu art. L613-7 N° Lexbase : L8999MKI.

[5] CSS, art. L161-17 N° Lexbase : L4668MHD.

[6] Cass. civ. 2, 11 octobre 2018, n° 17-25.956, F-P+B N° Lexbase : A3329YGE ; Cass. civ. 2, 1er décembre 2022, n° 21-12.784, F-D N° Lexbase : A40448X3

[7] CA Lyon, 28 janvier 2025, n° 22/08674 N° Lexbase : A575509Z, n° 22/08642 N° Lexbase : A781809G

[8] CSS, art. L643-1 et s N° Lexbase : L1486IG7 ; art. D643-1 et s. N° Lexbase : L0251MNM

[9] CSS, art. L644-1 et s. N° Lexbase : L8822LKX

[10] Loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises N° Lexbase : L6188MSY ; le régime a par ailleurs régulièrement évolué jusqu’à aujourd’hui.

[11] Décret n° 79-262 du 21 mars 1979, art. 2 N° Lexbase : L3565MYP ; CSS, art. L133-6-8 (devenu L613-7 N° Lexbase : L8999MKI).

[12] En application de l’article R133-30-10 du Code de la sécurité sociale, le mécanisme de compensation prévu en cas de réduction de cotisation prévue à l’article L131-7 du même code N° Lexbase : L7808M8P était applicable au régime micro-social.

[13] Statuts de la Cipav, art. 3.12 (aujourd’hui supprimé des statuts).

[14] Cour des comptes, Rapport public annuel, 2014, spéc., p. 271.

[15] CGI, art. 102 ter N° Lexbase : L8056MHT.

[16] Cass. civ. 2, 23 janvier 2020, n° 18-15.542, inédit, F-D N° Lexbase : A60763CZ ; FR 9/20 inf. 11 ; JCP E, n° 46, 2020, 1462, chron. A. Bugada.

[17] Les statuts sont opposables aux adhérents compte tenu notamment de leur approbation par le ministre chargé de la sécurité sociale (CSS, art. L641-5 N° Lexbase : L2717IZN). Pour un exemple : Cass. civ. 2, 12 novembre 2020, n° 19-11.149, F-P+B+I N° Lexbase : A5140347 ; Laïla Bedja, [Brèves] Compétence du juge de la Sécurité sociale pour se prononcer sur une irrégularité de procédure suivie pour l’application d’une pénalité, Lexbase Social, 19 novembre 2020, n° 844 N° Lexbase : N5300BYX

[18] Pour un exemple : Cass. civ. 2, 21 septembre 2017 n° 16-22.220, F-P+B+I N° Lexbase : A7660WSI ; Laïla Bedja, [Brèves] Caractère obligatoire de la cotisation pour le financement du régime d'assurance invalidité-décès et absence de dérogation possible par statuts, Lexbase Social, 28 septembre 2017, n°713 N° Lexbase : N0315BXX.

[19] Cour des comptes, Rapport sur l’application des lois de financements de la sécurité sociale, 2024, p. 400 : Environ de deux cents à ce stade. Près de quatre-vingts décisions défavorables à la caisse ont été exécutées en 2023. La Cour évalue ces décisions à montant cumulé d’environ 55 000 €.

[20] Cour des comptes, Rapport public annuel, 2014, spéc., p. 271 ; Cour des comptes, Rapport sur l’application des lois de financements de la sécurité sociale, 2024, spéc., p. 400.

[21] Décision 2019-062 du 18 mars 2019 relative à la comptabilisation des points de retraite complémentaire des personnes ayant exercé une activité libérale sous le statut de l’auto-entrepreneur.

[22] CA Aix-en-Provence, 25 janvier 2025, RG n° 22/09264 ; ég. CA Orléans 23 janvier 2024, n° 22/02725 (faute mais pas de préjudice).

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