Le Quotidien du 29 avril 2025

Le Quotidien

Avocats/Procédure

[Questions/Réponses] Quel impact pour la mise en place des tribunaux économiques ? Questions à Bruno Deffains, avocat of counsel, De Gaulle Fleurance

Réf. : Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023, d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 N° Lexbase : L6256MSI ; décret n° 2024-674 du 3 juillet 2024, relatif à l'expérimentation du tribunal des activités économiques N° Lexbase : L5840MYX ; arrêté du 5 juillet 2024, relatif à l'expérimentation du tribunal des activités économiques N° Lexbase : L8187M7D

Lecture: 6 min

N2090B3S

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Le 28 Avril 2025

Mots clés : tribunaux des activités économiques • tribunaux de commerce  • contribution pour la justice économique • litiges économiques • gratuité de la justice

Du 1er janvier 2025 au 31 décembre 2028, 12 tribunaux de commerce sont renommés tribunaux des activités économiques. Si le droit applicable en matière de procédure amiable et collective ne s’en trouve pas modifié, cette évolution s’accompagne de la mise en place du mécanisme de la contribution pour la justice économique que devra verser  l’auteur d’une demande initiale » (hors procédure collective ou amiable) lorsque la valeur totale de ses prétentions est supérieure à 50 000 euros, et ce, sous peine d’irrecevabilité relevée d’office. Afin d’obtenir l’éclairage d’un praticien spécialiste de ces questions. Lexbase a interrogé Bruno Deffains, avocat of counsel, De Gaulle Fleurance*.


 

Lexbase : Quelle idée a présidé au remplacement des tribunaux de commerce par les tribunaux des activités économiques ?

Bruno Deffains : Le remplacement des tribunaux de commerce par les tribunaux des activités économiques (TAE) s’inscrit dans une volonté plus large d’adapter la justice commerciale à l’évolution rapide des réalités économiques contemporaines. Cette réforme vise à moderniser ces juridictions en élargissant leur compétence à l’ensemble des activités économiques, y compris associatives, agricoles et civiles. L’idée, largement discutée lors des États généraux de la Justice (rapport du 8 juillet 2022), est de disposer de juridictions mieux adaptées aux besoins réels des acteurs économiques, plus efficaces, capables de gérer une hausse importante de leur activité tout en maintenant la qualité et la rapidité de leurs décisions. Il est à noter toutefois que pour l’instant il s’agit d’une phase expérimentale qui concerne une douzaine de tribunaux en France (pour une durée de quatre ans).

Mais cette réforme ne modifie pas seulement l’organisation juridictionnelle : elle influe aussi sur les comportements des acteurs économiques. En intégrant un mécanisme de contribution financière remboursable en cas d’accord amiable, la réforme crée un signal incitatif fort en faveur des modes alternatifs de règlement des différends. Autrement dit, les entreprises seront incitées à privilégier les négociations, la médiation ou la conciliation plutôt que d’aller directement en contentieux. Ce point est essentiel du point de vue des enseignements de l’économie du droit selon lequel le coût d’accès au juge influence structurellement les stratégies contentieuses. Lorsque le recours au tribunal devient plus coûteux, les entreprises tendent à réévaluer l’intérêt d’un procès au regard des alternatives amiables.

Dès lors, cette réforme pourrait contribuer à faire évoluer les pratiques en favorisant une montée en puissance des règlements amiables dans les litiges économiques, une contractualisation plus prudente en amont, et une évaluation plus fine des risques de contentieux, intégrant les coûts nouveaux liés à l’introduction de la contribution. Il s’agit potentiellement d’une évolution importante dans la manière dont les entreprises conçoivent et gèrent leur rapport au droit.

Lexbase : L'efficacité recherchée sera-t-elle au rendez-vous selon vous ?

Bruno Deffains : L’efficacité recherchée est ambitieuse, comme en témoigne le récent bilan présenté par le tribunal des activités économiques de Paris, avec des indicateurs qualitatifs favorables malgré l’augmentation importante de son activité (+10,8 % d’affaires nouvelles en 2024). Le faible taux d'infirmation en appel (3,6 %) et la stabilité des délais moyens (12,7 mois) montrent déjà la capacité du tribunal à absorber une hausse de son activité sans compromettre la qualité.

Toutefois, atteindre cette efficacité sur la durée nécessitera des moyens supplémentaires conséquents. La contribution économique prévue vise précisément à répondre à ce besoin. Mais comme le débat des États généraux de la Justice l’avait souligné, l’efficacité dépendra aussi de l’équilibre trouvé pour ne pas limiter l'accès au juge, notamment pour les PME. La crainte d’une justice à deux vitesses ou d'un frein à l'accès à la justice pour les plus fragiles reste très présente, soulignant la nécessité d'une vigilance constante.

Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le mécanisme de la contribution pour la justice économique ?

Bruno Deffains : La contribution pour la justice économique repose sur le principe que les justiciables, notamment les grandes entreprises, participent financièrement aux frais induits par le traitement des litiges économiques. Le mécanisme prévoit une exonération complète pour les petites entreprises (moins de 250 salariés) et fixe une contribution proportionnelle au chiffre d’affaires et aux bénéfices pour les grandes structures, garantissant ainsi une certaine équité contributive. Les modalités de la contribution selon le type d’affaires et la nature des acteurs économiques concernés sont disponibles en ligne. À noter que le décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024, relatif à l'expérimentation de la contribution pour la justice économique N° Lexbase : L4088MY3, ne détaille pas les modalités précises de vérification des documents fiscaux/financiers par les greffes, ce qui soulève des questions pratiques. Par ailleurs, la relative complexité du dispositif (avec une contribution modulée et plafonnée) suppose que les greffes disposent de grilles de calcul claires qui ne sont pas publiées à ce jour.

Cette contribution s’inscrit dans une double logique d’amélioration des moyens de la justice souhaitée par les acteurs économiques et de responsabilisation de ces mêmes acteurs : elle vise à dissuader les recours abusifs ou dilatoires en rendant tangible le coût de la justice. Le remboursement en cas d’accord amiable constitue un levier très intéressant pour encourager la médiation et le règlement négocié des conflits, comme le montre l'augmentation spectaculaire des médiations réussies à Paris (+72,9 % en 2024).

Le débat autour de cette contribution n’est pas nouveau puisque dès les États généraux de la Justice en 2022, certains professionnels du droit avaient souligné les risques associés à la gratuité absolue, comparant même les actions en justice à un « ticket de loto ». Un autre point de discussion est également apparu s’agissant de la destination des fonds collectés dans la mesure où le versement des fonds est porté au budget général de l’État, sans garantie de profiter in fine au fonctionnement de la Justice économique.

Lexbase : Le CNB a récemment annoncé vouloir déposer un recours devant le Conseil d'État contre ce mécanisme. Partagez-vous les craintes exprimées par cette institution ?

Bruno Deffains : Les craintes exprimées par le CNB portent sur la remise en cause du principe historique de gratuité de la justice, qui reste un idéal fort du système judiciaire français, la justice gratuite étant conçue comme un garant symbolique majeur de l’impartialité et de l'égal accès au juge. Le risque souligné par le CNB d’une justice à deux vitesses est donc au cœur des préoccupations du CNB qui exprime la crainte que le coût, même modulé, pourrait dissuader certains acteurs de défendre leurs droits.

Cependant, il faut également reconnaître la nécessité pragmatique de financer adéquatement la justice commerciale. La France accuse un retard chronique dans ce domaine, ce qui nuit à la qualité et à la rapidité des décisions économiques. Le rapport des États généraux de la Justice rappelait d’ailleurs que la gratuité absolue peut parfois entraîner des abus, avec un recours excessif ou opportuniste à la justice, impliquant des coûts assumés par l'ensemble des contribuables, y compris les plus modestes.

Ainsi, plutôt que de rejeter totalement la contribution, il semble plus pertinent d'aborder le débat sous l’angle d’un compromis raisonné, visant l'équilibre entre équité, responsabilisation des acteurs économiques et nécessité d’un financement adéquat.

*Propos recueillis par Virginie Natkin, chargée d’affaires grands comptes Avocats et Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public

newsid:492090

Licenciement

[Observations] L’anticipation du remplacement d’un salarié encore en poste n’équivaut pas un licenciement verbal

Réf. : Cass. soc. 26 mars 2025, n° 23-23.625, F-B N° Lexbase : A16140CR

Lecture: 7 min

N2174B3W

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par Marie Rascle, Docteur en droit privé

Le 28 Avril 2025

► Ne constitue pas un licenciement verbal, les courriels échangés entre l’employeur et une salariée de l’entreprise en charge des ressources humaines et destinés à préparer le recrutement du remplaçant d’un salarié menacé de licenciement. La demande d’établir une promesse d’embauche ne peut en effet être analysée comme la manifestation d’une volonté irrévocable de l’employeur de rompre le contrat de travail, cette volonté n’ayant été exprimée ni publiquement, ni auprès du salarié.

En l’absence de lettre de licenciement, la rupture du contrat de travail peut résulter d’un acte de l’employeur par lequel il manifeste au salarié sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Cette pratique, que l’on nomme licenciement verbal ou licenciement de fait, est prohibée : elle constitue nécessairement un licenciement sans cause réelle et sérieuse [1]. Le procédé, pour autant, n’est pas rare et les illustrations jurisprudentielles sont nombreuses. La plus commune est sans doute celle où l’employeur, par souci de correction, informe verbalement le salarié de son licenciement avant l’envoi de la lettre de licenciement [2]. Qu’en est-il, cependant, lorsque l’employeur manifeste sa volonté de mettre fin au contrat de travail, non pas directement au salarié, ni même vraiment publiquement, mais à un autre membre de l’entreprise et que le salarié concerné l’apprend incidemment ?

C’est à cette question que répond la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 26 mars 2025.

Pas de licenciement verbal en l’absence d’une manifestation par l’employeur, publique ou au salarié, de sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Dans cette affaire, un salarié engagé en tant que directeur général contestait son licenciement pour faute grave. Il faisait valoir qu’il avait déjà été licencié, en versant au débat des courriels échangés entre le président de la société et la directrice commerciale, mentionnant l’ouverture d’un recrutement sur le poste qu’il occupait et la formalisation d’une promesse d’embauche dix jours avant sa convocation à un entretien préalable de licenciement. Après avoir jugé recevables en tant que preuve les courriels de nature professionnelle obtenus de manière loyale, puisqu’aucun piratage des messageries n’était démontré - solution confirmée par la Cour de cassation -, la cour d’appel avait donné droit aux demandes du salarié. Selon les juges du fond, en effet, la formalisation d’une promesse d’embauche,, antérieure à l’introduction de la procédure de licenciement est de nature à caractériser « la manifestation à ce moment précis d’une décision irrévocable de rompre la relation de travail ». Ajoutant que, contrairement, à ce que soutenait l’employeur, il n’était pas nécessaire que la décision de rompre de façon irrévocable un contrat de travail soit notifiée au principal intéressé, il suffit que son existence soit démontrée.

C’est ce raisonnement que censure la Cour de cassation. Au visa de l’article L. 1232-6 du Code du travail N° Lexbase : L1447LKS, la Haute juridiction rappelle que la rupture du contrat de travail, en l’absence de lettre de licenciement, ne peut résulter que d’un acte de l’employeur par lequel il manifeste au salarié ou publiquement sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Dès lors qu’en l’espèce, l’intention de l’employeur de recruter un nouveau directeur général n’avait pas été exprimée publiquement, ni auprès du salarié, mais s’était seulement manifestée par un échange de mails entre le président et une salariée de l’entreprise, l’employeur, qui conservait la faculté de ne pas mettre en œuvre la procédure de licenciement, n’avait pas manifesté de manière irrévocable sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

Une frontière ténue entre intention de licencier et manifestation concrète de sa mise œuvre. La solution n’a rien de radicalement nouvelle. Certes, la Cour de cassation précise ici, dans un énoncé de principe, que la manifestation de la volonté de l’employeur de licencier, permettant de caractériser un licenciement verbal, peut non seulement être adressée au salarié, mais également être publique. Mais, en réalité, la Haute juridiction avait déjà retenu, par le passé, l’existence d’un licenciement verbal dans des hypothèses où l’employeur s’était contenté d’annoncer publiquement sa volonté de mettre fin au contrat de travail de l’un de ses salariés [3].

Pour le reste, l’arrêt reprend la distinction jurisprudentielle classique entre l’intention de licencier et la manifestation concrète de sa mise en œuvre. On se souvient que la Cour de cassation avait jugé qu’un échange de courriels entre des salariés du service des ressources humaines, évoquant la possibilité de récupérer un indu sur le solde de tout compte d’un salarié dont la procédure de licenciement était toujours en cours, ne constitue pas un licenciement verbal [4]. Et c’est dans le même sens qu’elle relève ici que le recrutement, qui n’avait été discuté qu’entre le président de l’entreprise et la salariée chargée des ressources humaines, n’avait pas été dévoilé au salarié, ni publiquement. Comme le souligne l’arrêt, la décision de licencier le salarié, demeurée confidentielle, laissait à l’employeur la possibilité de faire machine arrière, ce qui semble plus compliqué une fois que celle-ci a été annoncée publiquement.

Déterminant est alors le critère qui réside dans le fait que la manifestation de l’employeur de rompre le contrat de travail doit être irrévocable. À l’instar d’un auteur, l’on peut néanmoins se demander si le fait qu’en l’espèce, une promesse d’embauche avait été formalisée - c’est-à-dire, à tout le moins, une offre de contrat au sens de l’article 1114 du Code civil N° Lexbase : L0840KZ7 - n’était pas, comme le soutenait la cour d’appel, de nature à caractériser une manifestation irrévocable de la volonté de l’employeur de rompre le contrat de travail [5]. Il est effectivement admis que l’offre de contrat, lorsqu’elle est acceptée par le salarié, suffit à former un contrat de travail [6]. Dès lors, même si l’employeur conserve en théorie la possibilité de se rétracter - dans les faits assez marginale -, la conclusion du contrat de travail n’est plus vraiment entre ses mains. De sorte que cela suffisait sans doute à caractériser le caractère irrévocable de sa volition de mettre fin au contrat de travail.

En tout état de cause, la ligne tracée dans cet arrêt demeure fine et fragile. En cas d’anticipation du recrutement d’un salarié, comme en l’espèce, d’autres éléments pourraient faire aisément basculer l’intention de licencier du côté de la manifestation concrète de sa mise en œuvre. Cela pourrait être, par exemple, l’annonce à l’ensemble du personnel de la venue d’un candidat, ou encore, comme l’a déjà jugé la Cour de cassation, la publication d’une annonce de recrutement [7].

Pour aller plus loin :  v. ÉTUDE : La procédure applicable au licenciement pour motif personnel, L'exigence de notifier par écrit le licenciement, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E3078E4R.

[1] Cass. soc., 22 mai 2001, n° 99-40.486 N° Lexbase : A4855ATY ; Cass. soc., 9 juillet 2003, n° 01-44.580, inédit N° Lexbase : A1132C9S ; Cass. soc., 22 mars 2023, n° 21-21.104, F-D N° Lexbase : A97569KK.

[2] V. encore récemment : Cass. soc., 3 avril 2024, n° 23-10.931, F-D N° Lexbase : A057223L.

[3] Cass. soc., 23 octobre 2019, n° 17-28.800, F-D N° Lexbase : A6534ZSS : lors d’une réunion du personnel.

[4] Cass. soc., 6 décembre 2023, n° 22-20.414, F-D N° Lexbase : A863017R.

[5] A. Nivert, Point de licenciement verbal nonobstant l’obtention loyale de courriels professionnels, D. actualité, 3 avril 2025.

[6] Cass. soc., 23 septembre 2020, n° 18-22.188, F-D N° Lexbase : A06653WK.

[7] Cass. soc., 23 mai 2007, n° 06-40.484, F-D N° Lexbase : A5026DW3 : parution d’une offre d’emploi dans la presse.

newsid:492174

Procédure civile

[Dépêches] Pas besoin de solliciter la fixation de l’affaire à une audience pour interrompre le délai de péremption dans une procédure orale !

Réf. : Cass. civ. 2, 10 avril 2025, n° 23-11.473, F-D N° Lexbase : A95760II

Lecture: 4 min

N2173B3U

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par Alexandre Autrand, doctorant, Université de Limoges, école doctorale Gouvernance des Institutions et des Organisations, Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques

Le 28 Avril 2025

La Cour de cassation rappelle sa jurisprudence en matière de péremption d’instance dans les procédures orales, notamment en matière de contentieux de la sécurité sociale (v. Cass. civ. 2, 9 janvier 2025, n° 22-18.726 N° Lexbase : A25096QY). Elle réaffirme que dans ces procédures, sauf diligence particulière imposée par la juridiction, les parties n’ont pas à solliciter la fixation d’une audience pour interrompre le délai biennal de péremption.

Faits et procédure. L’URSSAF a procédé une à inscription de privilège et a notifié onze mises en demeure, puis décerné six contraintes à l’égard d’une société. Cette dernière décide alors de saisir un tribunal des affaires de sécurité sociale, pour contester l’inscription et les mises en demeure. Par la suite, la société décide de formuler une opposition à l’encontre des contraintes qui ont été émises à son égard. Une décision de première instance est rendue, puis l’URSSAF interjette appel de cette décision le 07 octobre 2019 devant les juges parisiens. La Cour d’appel de Paris statue sur ce recours, dans un arrêt du 2 décembre 2022 (CA Paris, pôle 6, chambre 12, 2 décembre" 2022, n° 19/10080 N° Lexbase : A21478Y8). Ensuite, la société décide d’attaquer cette décision devant la Cour de cassation.

Pourvoi/Appel. La demanderesse au pourvoi fait grief à l’arrêt de dire n’y avoir lieu à péremption. La société considère que la péremption d’instance, est prononcée uniquement lorsqu’aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans. Elle considère qu’une telle règle vise à assurer une bonne administration de la justice, et elle ne porte pas atteinte au droit d’accès au juge, lequel n’est pas absolu et se prête à des limitations. Or, la société souligne dans son pourvoi que l’URSSAF a interjeté appel de cette décision le 7 octobre 2019 et qu’à l’audience du 21 avril 2022, elle n’avait pas conclu. De plus, l’URSSAF n’est pas à l’origine de cette audience. La société précise également, que lors de l’audience du 21 avril 2022, la Cour avait demandé à l’URSSAF de conclure pour le 30 mai 2022. Or, cette dernière a déposé son jeu de conclusions le 2 septembre 2022. Pour rejeter le moyen tiré de la péremption de l’instance, la Cour d’appel considère que lorsque la procédure est orale, les parties n’ont pas d’autres diligences à accomplir que de demander la fixation de l’affaire. La convocation de l’adversaire est une diligence qui appartient au greffe. Dans cette hypothèse, les juges du fond affirment que la direction de la procédure échappe aux parties. De ce fait, les juges parisiens considèrent que le délai de péremption de l’instance n’a pas commencé à courir avant la date de la première audience fixée par le greffe. Dans le cas d’espèce, la date de la première audience fixée est le 21 avril 2022, puis l’affaire a été plaidée au 20 octobre 2022. Par conséquent, les juges d’appel considèrent qu’il n’y a pas de péremption d’instance. En statuant ainsi, la société considère que la Cour d’appel a notamment violé l’article 386 du Code de procédure civile.

Solution. La Cour de cassation rejette le pourvoi de la société, sur le fondement des articles 386 et 946 du Code de procédure civile, et L.142-1 N° Lexbase : L1769LZK et R.142-11 N° Lexbase : L6655LMG du Code de la Sécurité sociale, ainsi qu’au regard de sa jurisprudence récente en matière de péremption (Cass. civ. 2, 10 octobre 2024, n° 22-12.882 N° Lexbase : A441859I et n° 22-20.384 N° Lexbase : A441359C). Les juges du droit ont considéré qu’il ne peut être imposé aux parties, dans le cadre d’une procédure orale, de solliciter la fixation de l’affaire à une audience, dans le seul but d’interrompre le cours de la péremption, laquelle ne peut leur être opposée pour ce motif. Après avoir rappelé le raisonnement des juges du fond, la Cour de cassation considère que ces derniers ont exactement déduit qu’aucune péremption ne saurait être retenue.

newsid:492173

Urbanisme

[Jurisprudence] Validité des notifications des décisions de préemption au seul notaire signataire de la DIA, présumé mandataire du propriétaire

Réf. : CE, 1°-4° ch. réunies, 7 mars 2025, n° 495227, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A664163D

Lecture: 10 min

N2164B3K

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par Lionel Inrep, notaire associé et Eléonore Chirossel, Lab Cheuvreux

Le 28 Avril 2025

Mots clés :  intervention foncière • préemption • notification de la décision • notaires • déclaration d'intention d'aliéner

Le notaire du vendeur du bien objet de la préemption doit être regardé comme ayant reçu mandat lorsqu'il signe la déclaration d'intention d'aliéner.


 

Comme tout acte administratif individuel, les décisions de préemption doivent être notifiées à leur destinataire pour être exécutoire. Cette notification déclenche, en plus, le délai de recours contentieux. Ce qui fait la particularité des décisions de préemption c’est qu’elles doivent être notifiées à leur destinataire dans le délai de deux mois suivant réception de la déclaration d’intention d’aliéner, à peine d’illégalité [1] qui justifierait ainsi la nullité de la vente consentie au profit du titulaire du droit de préemption [2]. La régularité des notifications de décisions de préemption est donc cruciale.

Telles qu’écrites dans la loi « ALUR », les règles de notification des décisions de préemption suscitaient plusieurs interrogations que le Conseil d’État dissipe dans un arrêt rendu le 7 mars dernier.

I. Les interrogations après la loi « ALUR »

Avant la loi « ALUR » (loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l’accès au logement et un urbanisme rénové N° Lexbase : L6496MSE), les textes étaient silencieux sur les destinataires des notifications des décisions de préemption.

Les formulaires de déclaration d’intention d’aliéner (DIA) établis selon le modèle prévu par l’article A. 213-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L4958H87 permettaient d’indiquer à qui, du propriétaire ou de son mandataire chez lequel il fait élection de domicile, la décision de préemption devait être notifiée.

Lorsque cette case était remplie, c’était bien la notification de la décision de préemption au seul destinataire mentionné qui conditionnait la légalité de la décision de préemption [3]. Ainsi, lorsque la DIA indiquait uniquement une notification au notaire, une notification à l’adresse du vendeur ne pouvait faire courir le délai de recours contentieux [4].  Réciproquement, dans le cas d’une DIA remplie par un mandataire mais précisant que les notifications devaient être faites à l’adresse du propriétaire, toute notification à une autre adresse, y compris celle du mandataire, était irrégulière [5].

En l’absence de cette précision dans la déclaration d’intention d’aliéner, le Conseil d’État a jugé que la signature de la DIA par le notaire permettait de le regarder comme mandataire du propriétaire ; ainsi une notification au seul notaire était valide et faisait courir le délai de recours contre cette décision [6].

Depuis la réforme de 2014, l’article L. 213-2 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L0202LNS impose que la décision de préemption soit « notifiée au vendeur, au notaire et, le cas échéant, à la personne mentionnée dans la déclaration d'intention d'aliéner qui avait l'intention d'acquérir le bien ».

Pris à la lettre, le texte impose une double notification (voire une triple, lorsque l’acquéreur pressenti est mentionné dans la DIA).

La question qui se pose toutefois est de savoir si le texte impose une double notification même lorsque le notaire est le mandataire du propriétaire vendeur. L’interrogation est d’autant plus forte que jusqu’en 2021, les formulaires prévoyaient toujours une case dédiée à l’indication du destinataire de la décision de préemption.

Une réponse ministérielle de 2017 a indiqué dans ce cas que « la formalité de notification accomplie à l'égard du mandataire sera réputée accomplie tant à l'égard du vendeur que de son notaire, sous réserve que soit jointe à la déclaration d'intention d'aliéner la copie du mandat donné au notaire et que le propriétaire vendeur y ait fait élection de domicile » [7].

Ainsi, avec la loi « ALUR », la solution qui prévalait jusqu’à alors n’a pas été remise en cause dans son principe, mais a semblé être soumise à des conditions plus strictes. En effet, selon la doctrine administrative, la validité d’une telle notification au seul notaire supposait (i) qu’une copie du mandat soit jointe (exigence mentionnée dans les différentes versions du formulaire Cerfa qui précisent que lorsque le signataire de la DIA est autre que le propriétaire, il convient de joindre à la déclaration une copie du pouvoir ou du mandat) et (ii) que le propriétaire vendeur y ait fait élection de domicile.

Cette position ne semblait pas pleinement partagée par la jurisprudence, qui, comme avant la loi « ALUR », ne s’interrogeait pas sur l’existence d’un mandat annexé à la DIA et continuait de juger que, lorsque la rubrique I du formulaire de la DIA était remplie et qu’ainsi le propriétaire faisait élection de domicile chez le notaire chargé de la vente, seule la notification au notaire suffisait [8] ; une notification aux vendeurs dans ce cas n’était pas requise [9].

Allant plus loin, la CAA de Bordeaux a jugé expressément qu’« aucune disposition légale ou réglementaire n’impose dans ce cas la production d’un mandat en annexe du formulaire d’intention d’aliéner,  une telle obligation ne pouvant résulter d'une réponse ministérielle » [10].

Pour autant, le nouveau formulaire Cerfa applicable à partir de 2023 continue de préciser que lorsque le signataire est autre que le propriétaire, il convient de joindre à la déclaration une copie du pouvoir ou du mandat.

Ainsi, le doute était toujours permis et l’arrêt du Conseil d’État était très attendu par la pratique.

II. La confirmation de la validité d’une notification au seul notaire, mandataire du vendeur

L’arrêt du Conseil d’État rendu le 7 mars 2025 met fin à toute incertitude. En l’espèce, se posait la question de la tardiveté d’un recours exercé par une partie des indivisaires enregistré le 29 juin 2020 contre une décision de préemption notifiée au seul notaire le 9 avril 2018, soit plus de deux ans auparavant (ainsi que l’explique le rapporteur public Monsieur Thomas Janicot dont les conclusions sont accessibles sur ArianeWeb, cette durée s’expliquerait, selon les dires des parties, qu’elles n’étaient pas informées par leur notaire de la purge du droit de préemption d’autant qu’en ayant proposé en priorité le bien à la commune, elles pensaient l’avoir fait).

Dans la droite ligne de la jurisprudence des juges du fond et la doctrine administrative, le Conseil d’État accepte que lorsque le notaire est le mandataire du propriétaire, il n’y a pas lieu pour le titulaire du droit de préemption de procéder à une double notification. Selon lui, si, en principe, « la décision du titulaire du droit de préemption d'acquérir un bien doit faire l'objet d'une publication et être notifiée à la fois au vendeur du bien objet de la préemption et à son notaire ainsi que, le cas échéant, à la personne mentionnée dans la déclaration d'intention d'aliéner qui avait l'intention d'acquérir le bien (…), ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le vendeur donne mandat à un tiers pour recevoir cette notification pour son compte ». Il pérennise ainsi la solution établie en 2006.

Les conclusions du rapporteur public mettent en lumière les différents arguments au soutien de cette solution.

Tout d’abord, il souligne que les travaux parlementaires révèlent que le but de ce texte est avant tout « l’information de toutes les parties concernées » avec un renforcement de la place du notaire, chargé de transmettre la décision de préemption aux titulaires de droits d'emphytéose, d'habitation ou d'usage, aux personnes bénéficiaires de servitudes, aux fermiers et aux locataires mentionnés dans la déclaration d'intention d'aliéner. Il souligne que ces débats ne caractérisent pas une volonté du législateur de remettre en cause la théorie du mandataire. Dès lors, selon lui, la règle de double notification de l’article L. 213-2 n’interdit pas une notification au seul notaire, dans l’hypothèse où il est le mandataire du vendeur.

Le deuxième argument tient à ce que la théorie du mandat permet classiquement à la personne ayant la qualité de mandataire d’être destinataire des correspondances de l’administration à son mandant. Il souligne que les formulaires de renseignement de la DIA jusqu’en 2021 prévoyaient toujours une case permettant d’indiquer le destinataire de la décision de préemption et que la pratique est bien établie sur ce point.

Enfin, il souligne que la présence d’un mandataire permet d’éviter certaines difficultés pratiques, liées à la pluralité éventuelle de propriétaires, comme dans le cas d’une indivision successorale.

  1. III. La reconnaissance du mandat implicite du notaire signant la DIA

Le Conseil d’État juge explicitement que « la signature de la déclaration d'intention d'aliéner par le notaire établit, en principe, en l'absence d'expression d'une volonté contraire du vendeur, le mandat confié par le vendeur au notaire pour l'ensemble de la procédure se rapportant à l'exercice du droit de préemption mentionné à l'article L. 213-2 du Code de l'urbanisme et, à ce titre, en particulier, pour la notification éventuelle de la décision du titulaire du droit de préemption ». Il reprend ainsi complètement les principes établis dans son arrêt « Commune de Mane » et confirme ainsi la position de la CAA de Douai qui avait jugé que « Le notaire, qui signe la déclaration d'intention d'aliéner concernant le bien litigieux, doit être regardé comme le mandataire du vendeur. Par suite et dès lors que la déclaration d'intention d'aliéner ne mentionne pas expressément, comme elle peut le faire, à qui - du propriétaire ou de son mandataire - la décision de préemption doit être notifiée, cette notification au notaire fait courir le délai de recours contentieux à l'encontre du propriétaire » [11]. Sont ainsi sécurisées les notifications de préemption au seul notaire, lorsqu’il est mandataire du propriétaire.

Comme l’indique le rapporteur public, « la présomption de représentation qu’emporte la signature de la DIA (…) semble donc toujours être de mise et couvre à la fois cette signature proprement dite et la réception de la décision de préemption. Ces deux actes nous semblent en effet former un continuum procédural qui place le notaire comme unique point de contact de l’administration » ; ce « continuum » inclut d’ailleurs la réception des demandes de pièces complémentaires et de visite du bien [12].

Il convient toutefois, pour les titulaires du droit de préemption, de bien s’assurer que le propriétaire n’a pas restreint le mandat confié au notaire, notamment en vérifiant qu’il n’est pas indiqué dans la case « observations », que les décisions de préemption doivent lui être adressées. Cela étant, en pratique, le mandat pour recevoir la vente implique classiquement la possibilité de purger le droit de préemption urbain et une déclaration expresse contraire du propriétaire est extrêmement rare.

Relevons que le rapporteur public souligne que cette présomption se justifie également par la qualité particulière attachée aux fonctions des notaires, officiers ministériels.

En effet, il existe une pratique assez répandue confiant à des intermédiaires autres que les notaires le soin de collecter les pièces nécessaires à un dossier de vente en ce compris l’établissement et l’envoi de la déclaration d’intention d’aliéner. Dès lors, lorsque le mandataire n’est pas notaire, il demeure nécessaire que les autorités compétentes s’assurent que la personne qui a signé la DIA et dont les coordonnées sont renseignées dans la rubrique H détient bien un mandat confié par le vendeur ainsi que le rappelle le rapporteur public. En effet, le Conseil d’État a récemment rappelé qu’était illégale une préemption sur une DIA souscrite par une personne qui, à la date de cette déclaration, n’était pas propriétaire du bien [13]. En allant plus loin, une décision de préemption sur une DIA souscrite par une personne qui n’a pas le pouvoir d’engager le propriétaire du bien serait également illégale.


[1] CE, 15 février  2002, n° 230015 N° Lexbase : A7297AYW.

[2] Cass. civ. 3, 5 juin 2 3007, n° 06-14.407 N° Lexbase : A5594DW4.

[3] CAA Nancy, 10 juin 2010, n° 09NC00542 N° Lexbase : A1885E39.

[4] CAA Nantes, 1er juillet 2016, n° 15NT01302 N° Lexbase : A9198RWL.

[5] Cass. civ. 3, 5 juin 2007, n° 06-14.407 N° Lexbase : A5594DW4.

[6] CE, 30 juin 2006, n° 274062 N° Lexbase : A0862DQY.

[7] QE n° 92031 de M. Philippe Meunier, JOANQ 22 décembre 2015, réponse publ. 9 mai 2017, p. 3276, 14ème législature N° Lexbase : L8728LEY.

[8] CAA Douai, 10 décembre 2019, n° 18DA00847 N° Lexbase : A86293AT.

[9] CAA Versailles, 17 mai 2018, n° 15VE03830 N° Lexbase : A7781XNI ; CAA Bordeaux, 9 novembre 2022, n° 20BX02526 N° Lexbase : A28588SN.

[10] CAA Bordeaux, 12 janvier 2023, n° 21BX00306 N° Lexbase : A146688S.

[11] CAA Douai, 18 avril 2024, n° 23DA01312 N° Lexbase : A8227289.

[12] CAA Paris, 6 juillet 2023, n° 22PA03304 N° Lexbase : A431698D ; CAA Nancy, 21 février 2024, n° 20NC00969 N° Lexbase : A97802NK.

[13] CE, 1er mars 2023, n° 462877 N° Lexbase : A30019GA.

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