Jurisprudence : CA Lyon, 22-04-2025, n° 22/06301, Confirmation


AFFAIRE : CONTENTIEUX PROTECTION SOCIALE


DOUBLE RAPPORTEUR


RG : N° RG 22/06301 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OQMM


A


C/

[J]


APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Pole social du TJ de SAINT-ETIENNE

du 16 Août 2022

RG : 19/00283


AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS


COUR D'APPEL DE LYON


CHAMBRE SOCIALE D


PROTECTION SOCIALE


ARRÊT DU 22 AVRIL 2025



APPELANTE :


CIPAV

[Adresse 4]

[Localité 3]


représenté par Me Malaury RIPERT de la SCP LECAT ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Delphine GIORGI, avocat au barreau de LYON


INTIMÉE :


[X] [J]

née le … … … à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 2]


représentée Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS, dispensé de comparaître


DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 25 Mars 2025



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS:


Présidée par Delphine LAVERGNE-PILLOT, présidente et Nabila BOUCHENTOUF, conseillère, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistées pendant les débats de Anais MAYOUD, Greffière.


COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :


Delphine LAVERGNE-PILLOT, Présidente

Nabila BOUCHENTOUF, Conseillère

Antoine-Pierre D'USSEL, conseiller


ARRÊT : CONTRADICTOIRE


Prononcé publiquement le 22 Avril 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛 ;


Signé par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Magistrate et par Anais MAYOUD, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************



FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS


Mme [Aa], traductrice interprète, est affiliée à la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (la CIPAV) sous le statut d'auto-entrepreneur depuis le 1er avril 2012.


Le 11 septembre 2018, elle a sollicité un relevé de situation individuelle sur le site Groupement Intérêt Public (le GIP).


Le 3 janvier 2019, Mme [Aa] a saisi la commission de recours amiable de la CIPAV aux fins de solliciter la rectification de ses points de retraite complémentaire.


Le 19 mars 2019, elle a saisi le tribunal de grande instance, devenu le pôle social du tribunal judiciaire, aux fins de contestation de la décision de rejet de la commission de recours amiable.



Par jugement du 16 août 2022, le tribunal :


- déclare recevable et bien fondé le recours formé par Mme [Aa],

- condamne la CIPAV à rectifier et renseigner le nombre de points de retraite complémentaire acquis par Mme [Aa] sous le statut d'auto-entrepreneur en le portant de 82 à 436 points à créditer selon le détail suivant :


Année


Nombre de points de retraite complémentaire


2012


40


2013


36


2014


72


2015


72


2016


72


2017


72


2018


72


- condamne la CIPAV à transmettre et à rendre accessible à Mme [Aa], y compris en ligne, un relevé de situation individuelle conforme, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement,

- déboute Mme [Aa] de sa demande de dommages et intérêts,

- condamne la CIPAV à payer à Mme [Aa] la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

- condamne la CIPAV aux dépens.



Par déclaration enregistrée le 29 août 2022, la CIPAV a relevé appel de cette décision.


Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 2 mai 2024 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, elle demande à la cour de :


- déclarer le présent appel recevable et bien-fondé,

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,

A titre principal,

- déclarer irrecevable le recours formé par Mme [J],

A titre subsidiaire,

- juger du bon calcul des points de retraite de base et de retraite complémentaire de Mme [Aa],

- attribuer à Mme [J] les points de retraite complémentaire suivants :

* 10 points de retraite complémentaire en 2012,

* 18 points de retraite complémentaire en 2013,

* 27 points de retraite complémentaire en 2014,

* 27 points de retraite complémentaire en 2015,

* 44 points de retraite complémentaire en 2016,

* 42 points de retraite complémentaire en 2017,

* 57 points de retraite complémentaire en 2018,

- débouter Mme [J] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [J] à lui verser la somme de 600 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager.


Par ses écritures notifiées par voie électronique le 30 octobre 2023 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, Mme [Aa] demande à la cour de :


- confirmer le jugement, sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en réparation du préjudice moral,

Statuant à nouveau,

- condamner la CIPAV à lui verser la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral,

Y ajoutant,

En cas de décision d'irrecevabilité sur les exercices 2016-2018,

- condamner la CIPAV à lui verser une indemnité supplémentaire de 3 000 euros par année non renseignée en réparation du préjudice causé par le manquement à l'obligation légale d'information de la caisse, soit 9 000 euros pour les années 2016 à 2018,

- condamner la CIPAV à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de l'appel abusif,

- condamner la CIPAV à lui verser la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles.


En application de l'article 455 du code de procédure civile🏛, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.



MOTIFS DE LA DÉCISION


SUR LA RECEVABILITE DU RECOURS DE MME [J] PORTANT SUR LE RELEVE DE SITUATION INDIVIDUELLE


La CIPAV soutient que le recours de Mme [J] sur le relevé de situation individuelle est irrecevable au motif que ce document, purement indicatif et provisoire, ne constitue pas une décision faisant grief, susceptible de recours devant la commission de recours amiable. Elle en déduit qu'en l'absence de réclamation préalable à la CIPAV, la demande de Mme [J] au titre de ce document formulée directement devant la commission de recours amiable puis devant le tribunal est irrecevable.


En réponse, Mme [Aa] prétend que son relevé de situation individuelle constitue une décision de la CIPAV susceptible d'un recours immédiat. Elle rappelle que ce relevé retranscrit les droits à retraite comptabilisés par chaque caisse de retraite dont le professionnel relève et que la minoration de ses droits figurant dans ledit relevé cause nécessairement grief. Elle ajoute que son relevé de situation individuelle était renseigné et qu'il impliquait, à ce titre, une décision de la CIPAV de calcul erratique de droits à retraite susceptible de recours.


Il résulte des dispositions des article R. 142-1 et R. 142-6 du code de la sécurité sociale🏛🏛, dans leur rédaction applicable, que les réclamations contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale sont, préalablement à la saisine de la juridiction du contentieux général de la sécurité sociale, soumises à une commission de recours amiable, l'intéressée pouvant considérer sa demande comme rejetée lorsque la décision de la commission n'a pas été portée à la connaissance du requérant dans le délai de deux mois.


Le relevé de situation individuelle que les organismes et services en charge des régimes de retraite adressent, périodiquement ou à leur demande, aux assurés comportant notamment, pour chaque année pour laquelle des droits ont été constitués, selon les régimes, les durées exprimées en années, trimestres, mois ou jours, les montants de cotisations ou le nombre de points pris en compte ou susceptibles d'être pris en compte pour la détermination des droits à pension, l'assuré est recevable à contester devant la commission de recours amiable puis la juridiction du contentieux général le montant des cotisations ou le nombre de points figurant sur ce relevé (2e Civ., 11 octobre 2018, pourvoi n° 17-25.956⚖️).


Si le relevé de situation individuelle délivré à l'assuré mentionne « données non disponibles » ou « absence de données carrière », il fait alors état d'une absence de données et ne peut caractériser une ou des décisions prises par les organismes de sécurité sociale compétents pour la détermination des droits à retraite d'un assuré social, à la différence d'un relevé dont les mentions feraient apparaître une absence des droits. En cas d'absence de données, l'assuré ne peut donc former une réclamation en se fondant sur un tel relevé qui ne matérialise aucune décision de la CIPAV et son recours direct auprès de la commission de recours amiable puis ensuite devant la juridiction du contentieux général de la sécurité social est irrecevable (2e Civ., 1er décembre 2022, pourvoi n° 21-12.784⚖️).


Ici, à réception du relevé de situation individuelle édité le 11 septembre 2018 faisant mention d'un certain nombre de points de retraite pour les années 2012 à 2018, Mme [Aa] a saisi la commission de recours amiable d'une réclamation tendant à la majoration des points au titre de la retraite complémentaire de 2012 à 2015 et à la rectification de l'omission de renseignements quant à ses droits de 2016 à 2018.


Mme [Aa] est ainsi recevable à contester les mentions figurant au titre du nombre de points retenus au regard des indications afférentes aux années 2012, 2013, 2014 et 2015 puisque le relevé de situation individuelle dûment renseigné comporte pour ces années l'indication du nombre de points pris en compte pour la détermination des droits à pension et caractérise une décision par la caisse au titre de ces années.


En revanche, faisant état d'une absence de données connues (mais non d'une absence de droits) concernant les années ultérieures, le relevé de situation individuelle ne caractérise pas une décision de la caisse susceptible de contestation au titre de ces années-là. Le fait que la CIPAV soit tenue de maintenir à jour le relevé de situation individuelle ne permet pas, en soi, de considérer que l'absence de données est assimilable à une absence de droits, qui serait quant à elle susceptible de contestation.


Par ailleurs, le paiement des cotisations est sans emport sur la question de l'existence d'une décision de la caisse, préalable nécessaire à la formation d'un recours.


Il s'ensuit qu'au regard de l'annulation des points attribués telle que résultant des dispositions du décret n° 79-262 du 21 mars 1979🏛 et en l'absence d'indications afférentes aux annualités à partir de 2015 permettant de caractériser une décision prise par la caisse, Mme [Aa] n'est pas recevable en ses réclamations au titre des années 2016 à 2018.


Il convient, dans ces conditions, de déclarer recevable le recours de Mme [J] pour les années 2012 à 2015 inclus. Le jugement sera confirmé sur ce point.


En revanche, le jugement sera infirmé en ce qu'il déclaré son recours recevable pour les années 2016, 2017 et 2018.


SUR LA DEMANDE EN RECTIFICATION DES POINTS DE RETRAITE COMPLEMENTAIRE


La CIPAV fait valoir que le montant des cotisations et contributions sociales dû par l'auto-entrepreneur est calculé en appliquant à son chiffre d'affaires mensuel et trimestriel un taux fixé par décret qui varie en fonction du secteur d'activité et qui est fixé pour les professions libérales à 22 % par l'article D. 131-5-1 du code de la sécurité sociale🏛. Elle précise que les auto-entrepreneurs ne cotisent pas directement auprès d'elle mais auprès de l'URSSAF qui redistribue un pourcentage des cotisations collectées qu'elle affecte ensuite aux régimes dont elle a la charge.


Elle souligne également que le système de retraite français repose sur un système contributif qui exige une stricte proportionnalité entre les droits acquis et les cotisations payées ; que le décret n° 79-262 du 21 mars 1979 a institué un régime d'assurance vieillesse complémentaire obligatoire pour ses adhérents qui prévoit 8 classes de cotisations (classes A à H) correspondant, chacune, à un montant de cotisations dont le versement permet l'acquisition d'un nombre de points au titre du régime complémentaire.


Elle relève ensuite que le régime de retraite complémentaire qu'elle gère est aussi régi par ses propres statuts, comme le prévoit l'article 5 du décret du 21 mars 1979🏛, et que dans la mesure où ce régime complémentaire est un régime obligatoire, ses statuts, approuvés par arrêté ministériel, s'appliquent à tous ses assurés, quel que soit leur régime (droit commun ou auto-entrepreneur) et qu'ils ont vocation à définir à l'égard de ceux-ci les modalités d'application du régime complémentaire.


Elle ajoute que, conformément à l'article 2 du décret, ses statuts définissent les conditions dans lesquelles la cotisation due par chaque assujetti est déterminée en fonction de son revenu d'activité et que, dans ce cadre, ils prévoient une possibilité de réduction de 75%, de 50 % ou de 25 % du montant de la cotisation pour les assurés dont les revenus d'activité sont inférieurs à certains seuils fixés annuellement par son conseil d'administration.


Elle estime encore qu'il convient, pour les auto-entrepreneurs, d'opérer une distinction entre la période antérieure au 1er janvier 2016 pour laquelle une compensation par l'État était prévue par l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale🏛 et la période postérieure à cette date, à compter de laquelle la compensation a pris fin.


Et elle précise que, pour la période antérieure au 1er janvier 2016, le montant de la compensation est égal à la différence entre la plus faible cotisation non nulle dont l'assuré aurait pu être redevable en fonction de son activité en application de l'article L. 644-1 du code de la sécurité sociale🏛 et le montant des cotisations et contributions sociales calculées en application du régime de l'auto-entrepreneur. Elle considère qu'au regard des textes et du principe de proportionnalité, il y a lieu de s'assurer de la réalité des sommes versées tant par l'adhérent que par l'Etat au titre de la compensation pour déterminer le nombre de points dû au titre du régime de retraite complémentaire.

Pour la période postérieure au 1er janvier 2016, elle expose que, la compensation de l'État ayant pris fin, l'article 3.12 bis de ses statuts prévoit que le nombre de points attribués au titre du régime complémentaire est proportionnel aux cotisations effectivement réglées ; que sur ce fondement, est fixée une valeur d'achat du point par une délibération du conseil d'administration de la CIPAV chaque année. Elle en déduit que, pour chaque année d'affiliation, le nombre de points attribués au titre du régime complémentaire est déterminé par le rapport entre le montant des cotisations payées par l'adhérent et la valeur d'achat du point.


Ainsi, la CIPAV prétend que faire bénéficier Mme [J] du nombre maximum de points reviendrait à lui attribuer des points à une valeur d'achat moindre et créerait une rupture d'égalité vis-à-vis des adhérents de la caisse ne relevant pas du régime de l'auto-entreprise.


Elle termine en indiquant que la détermination du nombre des points acquis ne résulte que de l'application des dispositions réglementaires applicables au régime de l'auto entrepreneur et du principe de proportionnalité des droits aux cotisations versées.


En réponse, Mme [J] soutient que, selon l'article 2 du décret du 21 mars 1979🏛, le nombre de points procède directement de la classe de cotisation de l'affilié déterminée en fonction de son revenu d'activité. Elle considère que la CIPAV ne peut donc allouer des points de retraite complémentaires inférieurs à ceux de la classe à laquelle il est susceptible de prétendre en fonction de son revenu. Elle prétend que les relations financières entre l'Etat et la CIPAV, étrangères à la question de la comptabilisation des droits à la retraite, n'intéressent pas l'adhérent, de même que la ventilation du forfait social.


Elle ajoute que l'invocation d'une règle de proportionnalité, au surplus sans fondement textuel ni jurisprudentiel, est incompatible avec ce décret qui vise un octroi de points forfaitaires et non proportionnels. Elle relève encore que l'application d'une règle de proportionnalité est contraire à l'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale🏛 qui prévoit expressément pour l'auto-entrepreneur un régime dérogatoire du droit commun.


Mme [J] souligne ensuite que l'article 3.12 des statuts de la CIPAV qui prévoit l'application d'une règle de proportionnalité lui est inopposable et que la CIPAV doit se référer uniquement au chiffre d'affaires et non au bénéfice pour calculer tant les points de retraite complémentaire que les trimestres acquis.


Elle fait également valoir qu'aucune contestation n'existe sur le paiement effectif des cotisations spécifiques au régime de l'auto-entreprise et que, dès lors, les points de retraite complémentaire qu'elle a acquis s'établissent comme indiqué sur le tableau de calcul figurant en sa pièce 1-2.


La cour rappelle que l'article 2 du décret n° 79- 262 du 21 mars 1979🏛 fixe la méthode de calcul des points de retraite complémentaire et vise l'octroi de points forfaitaires et non proportionnels. L'invocation par la CIPAV d'une règle de proportionnalité est donc inopérante et sans fondement textuel ni au surplus jurisprudentiel, sur ce point. Et les statuts de la caisse à ce titre ne sauraient en rajouter dès lors qu'ils n'ont aucune valeur normative à l'endroit de l'adhérent et n'intéressent que le fonctionnement interne de l'organisme social.


L'article 2 du décret précité dispose que le régime d'assurance vieillesse complémentaire des indépendants relevant de la CIPAV comporte 8 classes de cotisations (A, B, C, D, E, F, G et H) portant attribution annuelle d'un certain nombre de points. Il y est précisé que les montants des cotisations des classes B, C, D, E, F, G et H sont respectivement égaux à 2, 3, 5, 7, 11, 12 et 13 fois le montant de la cotisation de la classe A et que la cotisation due par chaque assujetti est celle de la classe à laquelle correspond, dans les conditions fixées par les statuts prévus à l'article 5, son revenu d'activité tel que défini à l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale🏛.


Il résulte de ces dispositions seules applicables, en droit commun, au calcul et à la fixation du nombre de points de retraite complémentaire attribués annuellement aux assujettis à la CIPAV, que ce nombre de points procède directement de la classe de cotisations de l'affilié, déterminée en fonction de son revenu d'activité.


Or, l'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale, dans ses versions successives issues de la loi n° 2009-431 du 20 avril 2009🏛, de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012🏛, et de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015🏛, devenu L. 613-7 du même code à compter du 14 juin 2018, prévoit que les auto-entrepreneurs bénéficient d'un régime dérogatoire quant à l'assiette et au taux des cotisations et contributions de sécurité sociale et que celles dont ils sont redevables sont calculées mensuellement ou trimestriellement, sur la base de leur chiffre d'affaires.


Dès lors, le revenu d'activité à prendre en compte pour déterminer la classe de cotisations applicable à l'auto-entrepreneur et le nombre de points de retraite complémentaire en découlant est son chiffre d'affaires.


Les dispositions de l'article R. 133-30-10 du code de la sécurité sociale, pris dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2016, définissant les modalités de la compensation financière de l'Etat aux fins d'inciter une adhésion au statut des auto-entrepreneurs, sont étrangères aux rapports entre la CIPAV et ses cotisants auto-entrepreneurs, d'autant que l'adhésion de ces derniers résulte non pas d'une adhésion volontaire mais du caractère obligatoire des dispositions législatives et réglementaires applicables.


Il s'ensuit que la CIPAV ne peut ici utilement arguer de l'incidence d'un dispositif législatif et réglementaire ayant pour objet l'incitation à l'adhésion au statut d'auto-entrepreneur aux fins de retenir une classe de cotisations inférieure à celle à laquelle les revenus d'activité de Mme [J] lui ouvraient droit, en appliquant au chiffre d'affaires un abattement de 34% pour déterminer la classe de cotisation applicable et le nombre de points attribués.


De même, c'est en vain que la CIPAV prétend que les auto-entrepreneurs, étant soumis à un seuil de chiffre d'affaires, ne peuvent prétendre au nombre de points prévus en cas de revenus supérieurs à ce seuil, dans la mesure où les conditions d'ouverture du droit au bénéfice du statut d'auto-entrepreneur sont sans incidence sur les modalités de calcul des points de retraite complémentaire.


Le revenu de référence pour les auto-entrepreneurs est leur chiffre d'affaires (ou « leurs recettes effectivement réalisées ») qui constitue l'assiette spécifique des cotisations (« forfait social »). Ce régime garantit aux auto-entrepreneurs l'acquisition de droits identiques à ceux des professionnels libéraux « classiques » par référence à un niveau de contribution réputé équivalent. Il déroge ainsi au régime de droit commun.


Enfin, si l'auto-entrepreneur est autorisé à régler un impôt sur le revenu calculé sur la base de son chiffre d'affaires grâce au prélèvement libératoire (2,2% du chiffre d'affaires), l'abattement fiscal de 34% qui s'applique hors prélèvement obligatoire ne peut pas être transposé pour la détermination de la classe de revenu. C'est donc à tort que la CIPAV entend calculer le « forfait social » sur les bénéfices non commerciaux.

Le BNC auquel a eu recours la CIPAV sur la période 2012-2015 est infondé pour les auto-entrepreneurs.


Par conséquent, dès lors qu'en l'espèce le montant des revenus d'activité de Mme [Aa] et le paiement afférent de ses cotisations ne sont pas discutés, il convient de condamner la CIPAV à rectifier l'assiette de calcul des points de retraite complémentaire en prenant en compte le chiffre d'affaires de l'intéressée pour déterminer la classe de cotisations et le nombre de points attribués afférent.


Le calcul détaillé par Mme [Aa] dans ses écritures et confirmé par ses pièces sera validé.


Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il condamne la CIPAV, sans astreinte, à rectifier les points de retraite complémentaire acquis, sur relevé de situation individuelle de Mme [J], comme suit :


- 40 points en 2012,

- 36 points en 2013,

- 72 points en 2014,

- 72 points en 2015.


Compte tenu des développements qui précèdent, le jugement sera également confirmé en ce qu'il condamne la CIPAV à transmettre à Mme [Aa] et à lui rendre accessible un relevé de situation individuelle conforme, aucune circonstance ne justifiant d'assortir cette condamnation du prononcé d'une astreinte.


SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES ET INTERETS POUR PREJUDICE MORAL


Mme [Aa] réclame la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral découlant de la minoration de ses droits à retraite et du stress généré par le sentiment d'impuissance à obtenir rectification de ses droits.


La CIPAV s'y oppose aux motifs que la divergence d'interprétation des textes ne saurait être constitutive d'une faute de sa part.


L'article 1240 du code civil🏛 dispose que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, et l'article 1241 du même code ajoute que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait mais encore par sa négligence ou par son imprudence.


L'article 9 du code de procédure civile🏛 fait obligation à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.


Un différend juridique sur des modalités de calcul de droits à pension ne peut à lui seul constituer une faute et si la CIPAV a ici fait une application erronée des textes, cette position ne revêt pas un caractère fautif, ce qui doit conduire au rejet de la demande de dommages-intérêts présentée par Mme [Aa], ce d'autant plus qu'elle ne justifie d'aucun préjudice en découlant. Enfin, dans la mesure où le présent arrêt fait droit aux demandes de Mme [J] sur les périodes litigieuses, elle n'est pas fondée à alléguer une minoration de ses droits qui ne sont que des droits futurs. Le stress allégué n'est au surplus pas démontré.


La demande indemnitaire de Mme [J] sera donc rejetée et le jugement confirmé.


SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES ET INTERETS POUR MANQUEMENT A L'OBLIGATION D'INFORMATION


Mme [Aa] réclame la somme totale de 9 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice découlant du manquement de la CIPAV à son obligation d'information. Elle précise que le droit légal à l'information particulière répond à la nécessité impérieuse du cotisant de s'assurer de la réalité des droits à retraite acquis correspondant à des cotisations effectivement payées. Elle se prévaut d'un préjudice moral, estimant subir le mépris et l'indifférence de la CIPAV, vivre une situation anxiogène, et éprouver de la colère en voyant la caisse exploiter sa propre faute pour la priver partiellement d'un accès au juge.


La CIPAV s'oppose à cette demande aux motifs que la divergence d'interprétation des textes ne saurait être constitutive d'une faute de sa part.


Mme [J] ne démontre pas que l'absence de données sur le relevé individuel ressortit d'un manquement fautif de la CIPAV. En effet, ce relevé est édité par le GIE « Info-retraite » et il n'est pas établi que l'absence de données concernant les années 2016-2018 soit consécutive à un défaut de transmission de la CIPAV. Au surplus, si la caisse était tenue à une obligation d'information à l'endroit de Mme [Aa], le préjudice constitué par le caractère anxiogène d'un mépris à son égard tenant à l'absence d'information n'est pas caractérisé, étant au surplus relevé l'absence de démarche positive de sa part visant à solliciter directement la caisse.


Ajoutant au jugement, la demande indemnitaire de Mme [J] sera donc rejetée.


SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES ET INTERETS POUR APPEL ABUSIF


Mme [J] soutient que l'appel de la caisse visait uniquement à la décourager et à la la dissuader dans ses démarches, ainsi qu'à profiter de l'effet suspensif lié au recours pendant une durée excessivement longue.


La CIPAV rétorque que la divergence d'interprétation des textes ne saurait l'empêcher d'exercer son droit d'appel. Elle ajoute avoir fait une juste application des textes et que Mme [Aa] ne justifie d'aucun préjudice.


Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.


Il est constant l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol. En outre, la faute, même non grossière ou dolosive suffit, lorsqu'un préjudice en résulte, à justifier une condamnation à des dommages et intérêts.


En l'espèce, Mme [Aa] ne démontre pas l'intention de nuire qui caractériserait le caractère abusif de l'appel diligenté par la CIPAV, ni même son préjudice.


Sa demande de dommages et intérêts sera donc rejetée comme non fondée. Il sera ajouté au jugement sur ce point.


SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES


La décision attaquée sera confirmée en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.


La CIPAV, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel et au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS :


La cour,


Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il :


- déclare recevable le recours de Mme [J] pour les années 2016 à 2018,

- rectifie le nombre de points de retraite de complémentaire acquis par Mme [Aa] sur la période de 2016 à 2018,


Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,


Déclare irrecevable le recours formé par Mme [J] pour les années 2016, 2017 et 2018,


Attribue à Mme [J] le nombre de points de retraite complémentaire suivant :


- 40 points en 2012,

- 36 points en 2013,

- 72 points en 2014,

- 72 point en 2015,


Enjoint à la CIPAV de rectifier en ce sens le relevé de situation individuelle de Mme [J],


Rejette les demandes de dommages et intérêts de Mme [J],


Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse et la condamne à payer complémentairement en cause d'appel à Mme [J] la somme de 2 000 euros,


Condamne la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse aux dépens d'appel.


LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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