Le Quotidien du 2 octobre 2025

Le Quotidien

Avocats/Gestion de cabinet

[Questions à...] Les enjeux de l’ouverture du bureau de Paris d’un cabinet international spécialisé - Questions à Thomas Rouhette, avocat associé, Signature Litigation

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N3021B3B

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Le 06 Octobre 2025

Depuis l’ouverture du bureau de Paris le 1er janvier 2019, Signature Litigation Paris est passé de trois associés et six collaborateurs à huit associés et 27 autres avocats, pour un effectif total de plus de 40 personnes, soit un quadruplement en un peu plus de 5 ans. Pour retracer l’avènement de la réussite de cette structure spécialisée en règlement des litiges, Lexbase a interrogé Thomas Rouhette, avocat associé, Signature Litigation et cofondateur du bureau parisien*.


 

Lexbase : Quel était l'objectif lors de la création du bureau parisien de Signature Litigation ?

Thomas Rouhette : L'objectif principal, après près de trente ans de pratique du contentieux en très gros cabinet international, était de pouvoir exercer dans une structure plus légère, plus agile, moins lourde en termes de bureaucratie et surtout de conflits d'intérêts.

J'ai passé d'excellentes années chez Hogan Lovells, qui ont contribué au développement de ma pratique, mais les conflits d'intérêts conduisaient à devoir dire non à un pourcentage de clients beaucoup trop élevé, de mon point de vue.

Donc l'idée était de passer à un stade supérieur de développement de la pratique sans rencontrer les freins associés à ce type de structure.

Lexbase : Quelles ont été les difficultés rencontrées à ce moment ?

Thomas Rouhette : Quand on participe à la fondation d'une nouvelle structure à Paris, les difficultés sont principalement logistiques, à savoir trouver des locaux, des aspects purement matériels et pratiques, même si l’on avait déjà le support, notamment, de la structure anglaise de Signature Litigation, qui s'est occupée d'accompagner cette ouverture.

De ce fait, les associés ont pu se concentrer sur les clients et les dossiers. En outre, les clients nous ont suivis dans leur totalité, ce qui peut s’expliquer par un fort intuitu personae en contentieux.

Finalement, nous n’avons pas rencontré véritablement de difficultés et le mouvement s'est opéré de manière très fluide. Mon seul regret est de ne pas avoir effectué un tel mouvement plus tôt dans ma carrière.

Lexbase : Vous avez récemment renforcé votre présence en arbitrage international et étendu vos activités au contentieux administratif. Pourquoi ces deux domaines précisément ?

Thomas Rouhette : Nous disposons d’une pratique d'arbitrage international depuis 2020. Un second associé nous a rejoints au 1er janvier 2024.

Signature Litigation est un cabinet de règlement des différends au sens large, contentieux et arbitrage. Notre objectif sur la place de Paris, compte tenu notamment de ce que représentent l'arbitrage et la CCI dans la capitale, est d'avoir une pratique complètement équilibrée entre contentieux et arbitrage. Pour y arriver, nous devons encore nous développer en arbitrage et l’arrivée en janvier 2025 d’Amany Chamieh en tant que Counsel dans ce domaine vise à nous rapprocher de cet objectif.

Nous avons par ailleurs recruté fin 2024 Michael Perche comme Counsel en contentieux administratif, une pratique effectivement nouvelle chez nous.

En effet, nos clients sont confrontés sur le marché français à des problématiques croissantes de contentieux devant les juridictions administratives, contentieux des marchés publics, contentieux potentiellement de la domanialité publique, des types de contentieux qui relèvent du droit administratif et de la compétence des juges administratifs.

Cela nous permet d’offrir une offre de services encore plus complète en contentieux à nos clients.

Lexbase : Dans un entretien précédent, vous avez émis des craintes sur le futur de votre profession. Quelles sont-elles exactement ?

Thomas Rouhette : Je pense que l'exercice du contentieux est quelque chose qui se complexifie aujourd'hui, ce qui n’est pas en soi une difficulté. En revanche, est plus problématique la façon dont le développement technologique, qui devrait être un atout, peut remettre en cause une façon d'exercer la profession d'avocat, qui m'a donné envie de rejoindre cette profession et de continuer à l'exercer.

À ce titre, l'intelligence artificielle apporte un support et une aide incontestables. Elle doit pouvoir donner l'occasion de faire peut-être plus vite et mieux en rendant un service plus complet à un client et avec une dimension d’économie certaine.

En revanche, si elle revient à remplacer l'humain et intervenir dans le développement de la stratégie, cela me pose une difficulté. En effet, en matière de contentieux, l'élaboration de la stratégie, sa mise en œuvre, sa réorientation si cela s'impose, nécessitent de l'expérience, de l'échange avec le client. Pour moi, une intelligence artificielle ne pourra jamais remplacer l'humain dans ces domaines-là.

Un autre aspect que l’on peut évoquer est la détérioration des relations avec les magistrats, mais aussi la conflictualisation des relations entre avocats, car beaucoup ont tendance à reporter, au stade de l'échange avec son contradicteur, l'hostilité qui peut préexister entre les clients. C’est une tendance contre laquelle il faut lutter. Le contradicteur n'est pas un adversaire, c'est le conseil de la partie adverse, ce qui est bien différent.

Lexbase : Quelle est la marque de fabrique du cabinet et quelles sont vos spécialités?

Thomas Rouhette : La marque de fabrique du cabinet, c'est la pratique des différents modes de règlement des litiges (contentieux, arbitrage, médiation). C'est une spécialisation exclusive, c'est-à-dire que nous ne faisons pas de transactionnel.

C’est aussi l’implication totale des associés dans les dossiers. Les associés sont aux côtés de leurs équipes et de leurs clients, connaissent les dossiers et s’y plongent en immersion totale.

Nous avons également une autre spécificité, à savoir que nous sommes le seul cabinet sur la place de Paris à intéresser au succès de la firme tous les membres du cabinet, depuis les fonctions supports, les salariés jusqu'aux avocats.

10 % du profit du cabinet est ainsi redistribué à l'ensemble des équipes, ce qui génère un cercle vertueux, à savoir que la réussite individuelle rejaillit sur le collectif, et inversement, ce qui encourage l'entraide et l'esprit d'équipe entre les collaborateurs.

*Propos recueillis par Virginie Natkin, chargée d’affaires grands comptes Avocats et Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public

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Avocats/Gestion de cabinet

[Questions à...] "Un avocat responsable doit, à chaque étape d’une procédure, se poser la question d’un règlement amiable" - Questions à Matthieu Brochier et Nicolas Mennesson, Avocats du cabinet Darrois Villey Maillot Brochier

Lecture: 14 min

N2989B34

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par Virginie Natkin et Yann Le Foll

Le 01 Octobre 2025

Dans un contexte de judiciarisation croissante du monde des affaires, l’équipe de contentieux civil, commercial et boursier du cabinet Darrois Villey Maillot Brochier - codirigée par Matthieu Brochier et Nicolas Mennesson - s'impose comme un acteur de premier plan. À travers une organisation bicéphale inédite et une approche résolument collaborative, les deux associés livrent une analyse approfondie des grandes tendances du contentieux d’affaires et de la manière dont leur cabinet accompagne les entreprises face aux nouveaux risques juridiques.

 

Virginie Natkin. Quels sont les principaux dossiers du département contentieux, civil, commercial et boursier du cabinet que vous représentez ?

Matthieu Brochier. Au sein du cabinet, nous observons une activité contentieuse en croissance, en particulier dans les domaines civil, commercial et boursier. Avec Nicolas et l’ensemble de l’équipe, nous accompagnons nos clients dans des affaires stratégiques, qui reflètent l’évolution rapide de l’environnement économique et judiciaire, où la maîtrise des contentieux et leur anticipation sont devenues essentielles.

Spécificité du cabinet et de l’équipe : nous intervenons très souvent en amont des procédures. Le cabinet a toujours conçu comme indissociables ses activités transactionnelle et contentieuse : nous travaillons en lien étroit avec nos autres associés, sur les opérations stratégiques, pour anticiper les tensions, éviter le contentieux lorsque cela est possible ou le préparer quand il est nécessaire. Nos clients font avant tout des affaires, pas des procès. Nous sommes à leurs côtés d’abord pour les accompagner dans leurs affaires au quotidien.

Concernant le type de dossiers que nous sommes amenés à traiter, nous avons par exemple été saisis de contentieux financiers d'ampleur, à l’image d’une procédure judiciaire en cours dans lequel 9 000 demandeurs réclament une indemnisation de plus de 800 millions d’euros devant le tribunal des activités économiques de Paris à l’encontre d’une société de gestion ainsi que de plusieurs autres parties, dont ses actionnaires minoritaires indirects que nous représentons. Ce type de contentieux de masse en réparation de préjudice financier ou boursier se développe, notamment devant les tribunaux des activités économiques de Paris et Nanterre.

Parallèlement, les dossiers boursiers, spécialité historique du cabinet, restent très actifs, qu’il s’agisse d’enquêtes AMF, d’offres publiques, d’activisme actionnarial « long » ou « court ». Dans le même temps, nous constatons un accroissement des différends actionnariaux, qu’il s’agisse de litiges entre la société et ses actionnaires ou entre actionnaires eux-mêmes, et des contentieux liés aux contrats de cession d’entreprises, par exemple relatifs à des compléments de prix donnant lieu à des expertises au titre de l’article 1592 du Code civil.

Nous voyons également croître les contentieux liés à la « data », en particulier sur le fondement du règlement RGPD. De même, la relance de l’action de groupe, dont le régime a finalement été modifié à la suite d’une transposition de la directive européenne, et la réforme de la directive sur les produits défectueux, plus exigeante que le régime antérieur, devrait générer un contentieux accru.

Enfin, nous sommes de plus en plus sollicités sur des litiges ou, avant litige, sur des différends stratégiques en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Récemment, le cabinet a plaidé – et remporté – le tout premier contentieux au fond sur le devoir de vigilance devant la nouvelle 34ème chambre spécialisée du tribunal judiciaire de Paris. Il s’agit de nouveaux contentieux structurants pour les grandes entreprises, et nous avons à cœur de continuer à les accompagner sur ces nouveaux sujets à fort enjeu.

Nicolas Mennesson. Pour compléter, je citerai quelques dossiers représentatifs de tendances de fond que nous observons.

Tout d’abord, nous intervenons en défense dans un contentieux public en cours visant d’anciens dirigeants et commissaires aux comptes d’ORPEA (aujourd’hui Emeis). Ce dossier illustre une évolution de fond : celle des actions engagées par des actionnaires, souvent mieux organisés qu’auparavant, contre des sociétés cotées en difficulté financière. Ce phénomène touche aujourd’hui plusieurs grands groupes cotés et nous sommes très mobilisés sur ce terrain.

Nous intervenons également dans de nombreux contentieux liés aux opérations de M&A, cœur de métier du cabinet. Certains surviennent lorsqu’une des parties cherche à se désengager à la dernière minute, soit avant la signature soit entre la signature et le closing. Un exemple notable est le contentieux autour de la vente de Primonial, dans lequel nous représentons les principaux vendeurs en appel.

La vivacité des relations entre concurrents apporte aussi son lot de contentieux. Ainsi, nous représentons Bouygues Télécom devant la cour d’appel de Paris dans une des procédures initiées par Free Mobile au sujet des téléphones mobiles subventionnés.

Et bien sûr, l’accompagnement de nos clients devant l’AMF, reste un pilier de notre activité. Nous intervenons aussi bien lors des enquêtes que dans les procédures de sanction et au stade des recours contre ses décisions.

Virginie Natkin. Comment comptez-vous organiser cette direction bicéphale ?

Matthieu Brochier. Le métier d’avocat est un sport d’équipe. On est bien loin de l’image d’Épinal de l’avocat solitaire plaidant seul. C’est un métier qui exige des expertises complémentaires et des personnalités variées, capables de se compléter. Dans cette logique, Nicolas et moi-même, qui avons fait la quasi-totalité de nos carrières d’avocats au sein du cabinet, avons été désignés pour cette codirection. Nous avons des profils, des expériences et des expertises différents et complémentaires. Aux côtés de nos associés et de l’ensemble des avocats du cabinet, nous voulons poursuivre le développement du contentieux, dans le respect de la tradition du cabinet Darrois : allier conseil et contentieux, avec la même exigence de qualité sur les deux plans.

Nicolas Mennesson. Cette organisation bicéphale est une proposition que nous avons faite à nos associés en nous inspirant d’un modèle qui existe déjà dans la gérance du cabinet, qui est assurée depuis longtemps par deux co-gérants. Ce modèle a fait ses preuves.

Il présente deux avantages majeurs. D’abord, la richesse du dialogue : nos différences d’approches, de parcours, de personnalités, nous permettent de nous challenger mutuellement, et donc d’être plus efficaces. Ensuite, la répartition du temps et de la charge : diriger une équipe prend du temps, et nous sommes très investis dans les dossiers. Ce format bicéphale nous permet donc de rester pleinement opérationnels tout en assumant nos nouvelles responsabilités.

Virginie Natkin. De quelle manière s’opérera la synergie avec les différentes expertises du cabinet ?

Nicolas Mennesson. Je dirais que la synergie est au cœur de la culture de Darrois. Elle s’opère de manière naturelle, et dépasse le seul périmètre du contentieux pour concerner toutes les expertises du cabinet.

Le cabinet a grandi et compte aujourd’hui quatre-vingt-dix avocats environ, mais nous avons conservé l’esprit d’équipe et de transversalité impulsé par nos fondateurs. Tous les dossiers importants sont traités en équipe. Nous travaillons sans cloisonnement réel. Nous n’avons d’ailleurs pas de départements au sens classique du terme. C’est un choix fort qui nous permet de constituer pour chaque dossier une équipe sur mesure, en fonction de la nature et des enjeux du dossier, des difficultés juridiques anticipées et des compétences requises. Cette agilité nous permet de créer des synergies concrètes : nous avons l’habitude de travailler ensemble, et nous recherchons activement les occasions de le faire. Les dossiers complexes sont l’occasion de croiser les expertises, de mettre en commun nos savoir-faire, et c’est ce que nous valorisons.

Concrètement, le cabinet compte trois équipes entièrement dédiées au contentieux :

  • l’équipe que nous codirigeons avec Matthieu, spécialisée en contentieux civil, commercial et boursier, qui comprend Cyril Bonan et Julie Pasternak et neuf collaborateurs,
  • l’équipe d’arbitrage international, menée par Carine Dupeyron et le Professeur Laurent Aynès,
  • l’équipe de droit pénal des affaires, dirigée par Christophe Ingrain.

Au-delà de ces équipes, plusieurs associés ont une double pratique de contentieux en complément de leur activité de conseil. En droit public, par exemple, Henri Savoie intervient devant le Conseil d’État. C’est aussi le cas en fiscalité, en droit de la concurrence, etc.. Le contentieux est très valorisé chez nous car nous sommes convaincus que le meilleur conseil repose sur une expérience contentieuse solide.

Matthieu Brochier. Cette culture transversale prend tout son sens dans les grands dossiers de transformations qui mobilisent plusieurs équipes du cabinet - M&A, concurrence, droit public par exemple - car ils peuvent susciter des contentieux initiés par des actionnaires ou des concurrents. Dans ces situations la coordination est clé. Chaque avocat doit comprendre les enjeux des autres, pour construire une stratégie commune, cohérente, à court, moyen et long terme.

Le droit se technicise et se spécialise ; aucun avocat ne peut prétendre tout maîtriser. Pourtant, nos clients attendent une vision à 360. C’est grâce à notre complémentarité et à notre intelligence collective, que nous sommes capables de leur offrir cette vision.

Virginie Natkin. Comment intégrer les nouveaux enjeux de durabilité, de devoir de vigilance et de compliance auxquels sont confrontées les entreprises ? Et comment promouvoir les modes alternatifs de règlement des conflits ?

Matthieu Brochier. Ces enjeux sont déjà au cœur des préoccupations de nos clients : ils sont intégrés dans leur stratégie, dans leur gouvernance, et dans leur prise de décision quotidienne. Un dirigeant d’entreprise aujourd’hui ne peut ignorer les questions RSE, le devoir de vigilance ou la compliance. Et lorsqu’il est confronté à un risque de contentieux, une issue amiable, que ce soit via une transaction ou une médiation, doit toujours être envisagée, que l’on soit en demande ou en défense.

Nous avons par exemple mené une médiation récemment dans le secteur du luxe, entre deux partenaires de longue date, qui a permis après un an de discussions, d’éviter un contentieux public de plusieurs dizaines de millions d’euros et de préserver la relation commerciale. En miroir, nous avons également organisé avec succès une médiation « fast track » de 24 heures dans un contentieux de complément de prix : les parties, leurs avocats et le médiateur qu’elles avaient choisi se sont réunis au cabinet un matin à 9 heures avec une deadline pour trouver un accord à 18 heures au plus tard ; l’assignation était sinon prête à être délivrée le lendemain. Un accord a été trouvé à 17h30.

Toutes ces règles et ces outils font désormais partie du paysage juridique et opérationnel de l’entreprise.

S’agissant du devoir de vigilance : il impose aux grandes entreprises d’identifier et de prévenir certains risques graves liés à leurs activités, et de publier chaque année un rapport sur ces risques et les moyens mis en œuvre pour les prévenir. Cette obligation d’information poursuit celles qui existent déjà en matière de compliance financière pour les sociétés cotées.

Cette culture de diffusion d’information, financière ou extra-financière, est donc bien ancrée au sein du cabinet. Nous la maîtrisons déjà à travers notre pratique du droit boursier, et elle nous permet d’accompagner aussi les entreprises non cotées dans la mise en œuvre de ces nouvelles exigences.

En réalité, toutes ces dimensions, qu’il s’agisse de durabilité, vigilance, compliance, règlement à l’amiable, sont désormais intégrées dans notre approche globale. Anticiper un risque, structurer une opération ou construire une stratégie contentieuse, toutes ces étapes font désormais partie de notre grille de lecture. C’est une évolution naturelle du métier, qui correspond aux attentes de nos clients.

Nicolas Mennesson. En lien avec ces évolutions, nous accompagnons également nos clients dans la mise en place de dispositifs de gouvernance capables de répondre aux nouvelles obligations extra-financières. L’enjeu est double : se doter d’une organisation interne robuste qui permet de répondre à ces exigences et une capaciter à anticiper les responsabilités en cas de défaillance. Qui est responsable de quoi ? Qui pourrait devoir rendre des comptes ?  

Ces questions doivent être abordées en amont, dans une logique de prévention.

Avec Matthieu, nous avons activement pris part aux travaux récents du Cercle Montesquieu, et participé à la création et au déroulé d’une formation qu’ils ont lancé sur la durabilité.

Les sujets extra-financiers sont importants, mais encore jeunes. Les règles sont en construction, bien que déjà solidement ancrées dans le droit des affaires. C’est pourquoi, à travers notre engagement auprès des directions juridiques, dans les think tanks, les associations, ou encore dans nos publications, nous contribuons à les façonner autant qu’à les appliquer.

S’agissant des modes alternatifs de règlement des litiges, je voudrais insister sur un point qui me paraît central dans notre pratique :  nous ne cherchons jamais à faire durer les contentieux. Pour nous, le procès est un outil au service de la résolution du conflit, pas une fin en soi.

Ce que nos clients apprécient, c’est justement notre volonté constante de raccourcir les procédures, de chercher une solution amiable rapide, sans jamais affaiblir la stratégie contentieuse en cours.

Médiation, conciliation, transaction : tout cela fait partie de notre boîte à outils, et nous y avons recours le plus en amont possible. Mais bien transiger, suppose d’avoir préparé le terrain contentieux. Il faut savoir “frapper fort” avant de tendre la main. C’est aussi ce qu’attendent nos clients.

Matthieu Brochier. La vie économique va plus vite que la justice. C’est un fait. Dans ce contexte, un avocat responsable doit, à chaque étape d’une procédure, se poser la question d’un règlement amiable. Ne pas le faire, c’est passer à côté de sa mission.

Nos clients ne veulent pas des procès interminables. Ils veulent continuer à faire des affaires, à avancer, à sécuriser leurs décisions. La médiation, la conciliation sont devenues des outils quotidiens. Le mandat ad hoc encore trop méconnu, peut aussi être un outil efficace de prévention lorsqu’il est déclenché au bon moment. Il est de notre rôle d’ouvrir ces options, de leur proposer des solutions agiles, adaptées, réalistes

C’est l’ADN de notre cabinet. Nous sommes historiquement à la croisée des fusions-acquisitions et du contentieux, et cette culture de la recherche d’accord irrigue toute notre pratique. Un bon accord vaut mieux qu’un long procès. Et ça, nos clients le savent.

Virginie Natkin. Quel regard portez-vous sur le développement de l’intelligence artificielle dans la profession d’avocat ? Utilisez-vous ces technologies, et pensez-vous qu’elles constituent une opportunité pour la pratique du droit ?

Nicolas Mennesson. C’est une question majeure. L’intelligence artificielle va incontestablement bouleverser notre métier, même si à mon sens, le véritable basculement n’a pas encore eu lieu. Nous testons de nombreux outils, mais un problème fondamental persiste : l’IA préfère inventer une réponse plutôt que de reconnaître qu’elle ne sait pas. Or, dans notre profession, rien n’est plus dangereux que de faire semblant de savoir. Ce principe est au cœur de notre déontologie et de notre formation. Tant que les outils continueront à produire ces hallucinations, leur usage restera limité.

Cela dit, l’IA représente une opportunité, notamment en matière de gain de temps sur les tâches répétitives, comme l’analyse de masses documentaires.

Mais ce qui restera toujours humain, c’est la stratégie : choisir une ligne de défense, bâtir une argumentation, convaincre. L’intelligence artificielle pourra assister, jamais remplacer.

Matthieu Brochier. J’ajouterais qu’il ne faut pas parler d’une IA mais des IA, car il y en a plusieurs types. Certaines facilitent la recherche jurisprudentielle, d’autres l’analyse des documents.

Ce qui est prometteur, ce sont les solutions sur mesure, calibrées à un contentieux précis. Nous avons ainsi travaillé avec une société spécialisée dans l’analyse et la détermination de préjudices, qui a analysé des centaines de décisions avec des instructions spécifiquement déterminées par des avocats, pour comprendre et anticiper les risques indemnitaires dans un domaine spécifique. Nous avons également travaillé avec une autre société pour accélérer grâce à l’IA, l’analyse confidentielle de plusieurs dizaines de milliers de documents dans un litige complexe. L’objectif est clair : déléguer à la machine ce qui peut l’être, pour se concentrer sur les décisions stratégiques.

Et c’est exactement l’ADN de notre cabinet depuis 40 ans : accompagner nos clients là où nous avons une vraie valeur ajoutée.

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Bancaire

[Podcast] Quand la fraude s’en prend aux plus hautes fonctions – Vincent Vigneau pour Lexflash

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N3024B3E

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Le 01 Octobre 2025

Dans cet épisode de Lexflash, Vincent Vigneau, Président de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, analyse la notion de fraude au Président : ses contours, ses implications juridiques, les difficultés de sa preuve, et les conséquences pour le droit commercial et la responsabilité publique.

Au programme :

  • définition de la fraude au Président ;
  • rôle de la Cour de cassation dans les litiges de fraude ;
  • cas pratiques illustrant la jurisprudence ;
  • impacts pour les dirigeants et entreprises.

Un épisode à retrouver sur notre chaîne Youtube.

 

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Domaine public

[Focus] Les redevances portuaires

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N3008B3S

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par Robert Rézenthel, docteur en droit

Le 01 Octobre 2025

Mots clés : domaine public • activités portuaires • domaine public • redevances portuaires • droits de port 

Les ports sont des pôles économiques dont l'impact dépasse régulièrement les frontières des États dans lesquels ils sont implantés. Sur le ton de la boutade certains affirment que le port d'Anvers est le premier port français. Il est vrai que son trafic pénètre notre territoire, mais il faut aussi reconnaître que des ports français desservent en particulier des États sans littoral comme l'Autriche et la Suisse.


 

En France, les ports assurent la gestion de services publics [1], d'une part, à caractère administratif comme les aménagements et l'entretien des ouvrages, la gestion du domaine public, l'exercice de polices spéciales portuaires, et d'autre part, à caractère industriel et commercial comme l'exploitation d'outillages publics dans les ports territoriaux, l'exercice du pilotage, du remorquage et du lamanage.

Toutes les activités exercées dans un port ne relèvent pas du service public, c'est le cas pour la gestion du domaine privé [2] ou pour l'exercice du gardiennage [3] des équipements et des marchandises. Cependant, la plupart des activités exercées par les autorités portuaires ou pour leur compte sont des missions de service public.

Leur financement est assuré principalement par des redevances domaniales et pour service rendu. Le Conseil d'État le reconnaît, la qualification des redevances n'est pas toujours facile à établir.

I. La qualification des redevances portuaires

Le Code des transports vise les droits de port et les redevances d'usage des outillages publics. Le lien avec le service public n'est pas évoqué. Dans la jurisprudence, on relève que les usagers d'un port sont des usagers du service public portuaire [4]. Les ouvrages participant au développement du trafic maritime contribuent au fonctionnement d'un tel service [5].

Ainsi les exploitants de navires entrant ou sortant d'un port sont des usagers du service public. Il en va de même pour les entreprises qui utilisent les outillages publics [6] et les plaisanciers qui fréquentent les ports de plaisance [7].

Les services nautiques des ports, bien qu'exploités par des entités de droit privé, constituent des services publics, c'est le cas du pilotage [8], du remorquage [9] et du lamanage [10].

Il a été jugé que le fonctionnement normal du service public portuaire inclut « à la fois, la sécurité des biens et des personnes et le bon emploi des outillages et des ouvrages du port » [11].

La redevance est la contribution d'un usager d'un service public soit pour un service rendu, soit pour l'occupation du domaine public portuaire. Elle doit être instituée par un texte réglementaire  à la différence de la taxe qui doit être prévue par la loi [12].

Le régime des droits de port étant fixé par la loi, le Gouvernement s'est interrogé sur leur nature juridique, et à cette fin il a interroger le Conseil constitutionnel. Celui-ci a considéré [13] qu'il s'agissait de redevances pour service rendu. La Cour de justice adopte [14] la même analyse. Le Règlement (UE) n° 2017/352 du Parlement européen et du Conseil du 15 février 2017 N° Lexbase : L1374LDA, établissant un cadre pour la fourniture de services portuaires et des règles communes relatives à la transparence financière des ports, qualifie les droits de port de « redevances d'infrastructure portuaire ».

Toutes les activités exercées par une collectivité territoriale ou leur groupement ou un établissement public de l'État ne constituent pas des services publics, c'est le cas pour la gestion du domaine privé [15] d'une personne publique et pour l'exercice du gardiennage [16] dans les ports. Les prestations relevant de ces activités ne donnent pas lieu au paiement d'une redevance, mais simplement d'un prix.

Une question se pose à propos de la garantie d'usage pour la réservation de longue durée d'un poste d'amarrage dans un port de plaisance. Ce régime prévu par l'article R. 5314-34 du Code des transports N° Lexbase : L8285MK3 dispose qu'en contrepartie de ce droit, l'usager participe au financement d'ouvrages, de bâtiments ou équipements ayant un rapport avec l'exploitation du port ou de nature à contribuer au développement de celui-ci et constituant une dépendance du domaine public de l'État ou des collectivités territoriales et de leurs groupements. Est-ce une redevance domaniale ou une redevance pour service rendu ? On pourrait retenir la seconde hypothèse car selon l'article L. 2125-3 du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L4561IQY, « La redevance due pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation », or la participation financière à la réalisation de travaux ne fait aucune référence aux avantages dont bénéficient les plaisanciers, alors que le Conseil d'État admet [17] la participation au financement de travaux portuaires à condition que ceux-ci présentent un intérêt pour les usagers concernés.

Dans le cadre de la procédure de sélection des candidats à l'octroi d'une concession, il est parfois prévu un "droit d'entrée" correspondant au financement de la reprise des investissements réalisés par le précédent concessionnaire. Est-ce une redevance ? Dès lors qu'il s'agit d'une somme amortissable[18], et qui s'ajoute à la redevance domaniale payée par ailleurs par le concessionnaire dans les conditions prévues par l'article L. 2125-3 du Code général de la propriété des personnes publiques, ce droit d'entrée ne devrait pas être qualifié de redevance. L'article L. 3114-4 du Code de la commande publique N° Lexbase : L4434LRN dispose que « Les montants et les modes de calcul des droits d'entrée et des redevances versées par le concessionnaire à l'autorité concédante doivent être justifiés dans le contrat de concession ». Le droit d'entrée dans une concession ne doit pas avoir un fondement étranger à l'objet du contrat [19], il semble parfois être assimilé de manière ambiguë à une redevance [20].

Enfin, on rappellera la jurisprudence selon laquelle l'occupation d'un poste d'amarrage dans un port de plaisance donnant le droit d'utiliser un engin élévateur à bateau donnait lieu à une redevance domaniale [21] et non à une redevance pour service rendu. Il y a un effet attractif du régime de la domanialité publique.

II. L'instruction administrative et compétences juridictionnelles

A. Les droits de port

La procédure d'approbation des redevances d'usage des outillages publics et des droits de port n'est pas uniforme.

A propos des droits de port dont la perception n'est pas obligatoire pour le gestionnaire du port, l'article L. 5321-1 du Code des transports N° Lexbase : L5618L4T dispose que : « Un droit de port peut être perçu dans les ports maritimes relevant de l'Etat, des collectivités territoriales ou de leurs groupements, à raison des opérations commerciales ou des séjours des navires et de leurs équipages qui y sont effectués. L'assiette de ce droit, qui peut comporter plusieurs éléments, et la procédure de fixation de ses taux sont fixées par voie réglementaire ».

Les droits de port comprennent [22], pour les navires de commerce : une redeance sur le navire, de stationnement, sur les marchandises, sur les passagers, sur les déchets des navires, hors résidus de cargaison ; pour les navires de pêche une redevance d'équipement des ports de pêche et une redevance sur les déchets des navires, pour les ports de plaisance ; une redevance d'équipement des ports de plaisance et une redevance sur les déchets des navires, lorsque les coûts de réception et de traitement des déchets de ces navires ne sont pas déjà couverts par une taxe ou une redevance.

Dans les grands ports maritimes et le grand port fluvio-maritime de l'axe Seine, à la suite d'une instruction administrative comportant un affichage, une consultation du service des douanes et du service des affaires maritimes, ainsi que du premier collège du conseil de développement, les taux des droits de port sont fixés par le directoire s'il n'y a pas d'opposition du commissaire du Gouvernement [23], et après information des usagers au moins deux mois avant la date à laquelle ces taux prendront effet [24]. Toutefois, le directoire prend ses décisions dans le cadre de la politique tarifaire approuvée par le conseil de surveillance [25] et après avis du conseil de développement [26] de l'établissement public portuaire.

Pour les ports territoriaux, c'est-à-dire ceux ne relevant pas de l'État, les taux des redevances au titre des droits de port sont fixés par la collectivité dont relève le port, et le cas échéant, sur proposition du concessionnaire. Les projets de fixation des taux font l'objet d'une instruction [27] diligentée par le responsable de l'exécutif de la collectivité concernée. L'instruction comporte un affichage dans les endroits du port principalement fréquentés par les usagers, ainsi que le consultation du préfet, du service des douanes et du conseil portuaire [28].

Les droits de port constituent des recettes ordinaires pour les gestionnaires de port, sauf les redevances d'équipement des ports de pêche et de plaisance qui sont des recettes affectées. En effet, l'article R. 5321-17 du Code des transports N° Lexbase : L3544I7E dispose que : « Le produit des redevances d'équipement des ports de pêche et des ports de plaisance ne peut être utilisé qu'à des dépenses effectuées respectivement dans l'intérêt de la pêche ou de la plaisance et relatives à l'établissement, à l'amélioration ou au renouvellement et à l'entretien de tous les équipements du port et à l'amélioration des profondeurs de ses rades, passes, chenaux et bassins ».

Pour le recouvrement et le contrôle des droits de port, il résulte de l'article L. 5321-3 du Code des transports N° Lexbase : L6212M8L que ces opérations interviennent selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions, garanties, sûreté et privilèges que les droits de douane. Les réclamations sont représentés, instruites et jugées selon les règles applicables à ces mêmes droits. Toutefois, il est prévu [29] que c'est l'autorité portuaire qui établit et perçoit la redevance sur les déchets dans les ports de plaisance.

Les bénéficiaires des droits de port ont un privilège sur le navire, le fret du voyage pendant lequel la créance privilégiée est née, et sur les accessoires du navire [30].

La procédure relative aux droits de port comporte deux volets, d'une part, le barème qui est un acte administratif susceptible d'un recours pour excès de pouvoir devant les juridictions administratives [31], et d'autre part, le recouvrement [32] des redevances qui est intervient comme en matière de douane et dont le contentieux relève des juridictions judiciaires [33]. Celles-ci sont toutefois compétentes, compte tenu de la plénitude de juridiction, pour apprécier la légalité de l'acte administratif approuvant le barème des droits de port [34]. A propos de l'appréciation de la nature juridique d'une redevance, il y a lieu pour la Cour de cassation de respecter la séparation des pouvoirs [35].

B. Les redevances d'usage des outillages publics

La notion d'outillage public n'est définie par aucun texte législatif ou réglementaire. La jurisprudence n'a pas été constante, tantôt elle a considéré que l'outillage public ne pouvait qu'avoir une nature mobilière [36], puis elle a également admis sa nature immobilière [37]. Le Tribunal des conflits a confirmé [38] cette solution.  

Depuis la loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008 N° Lexbase : L6302MS9, (art. 7) les grands ports maritimes métropolitains ne sont plus autorisés, sauf pour de rares exceptions, à exploiter de l'outillage public pour la manutention des marchandises. Désormais, en principe, seuls les grands ports maritimes ultramarins (Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion), et les ports territoriaux peuvent exploiter ces outillages.

Pour ces établissements et pour ceux de métropole exceptionnellement autorisés à exploiter de tels outillages, à défaut de règles spécifiques concernant la procédure d'approbation des tarifs d'usage, ce sont les règles relatives aux ports maritimes autonomes qui s'appliquent [39]. Il y a donc un affichage pendant quinze jours dans les endroits du port principalement fréquentés par les usagers, ou d'une information diffusée par voie électronique et accessible aux usagers du port, avant la délibération du directoire [40].

Concernant le tarif des outillages publics dans les ports territoriaux, une distinction doit être faite selon que ces équipements sont exploités en régie par les collectivités territoriales ou leurs groupements, oudont l'exploitation est concédée.

Dans l'hypothèse d'une exploitation en régie de l'outillage public [41], les décisions fixant ou modifiant les tarifs des outillages non concédés sont précédées :


1° De l'affichage des dispositions projetées pendant quinze jours dans les endroits du port principalement fréquentés par les usagers ;


2° De la consultation du conseil portuaire.


Ces opérations sont conduites à la diligence de l'autorité compétente, laquelle est l'exécutif [42] de la collectivité ou du groupement concernés.


Les tarifs et conditions d'usage projetés sont applicables trois semaines après la clôture de l'instruction, si dans ce délai l'autorité compétente n'a pas fait connaître son opposition.

La procédure d'instruction est la même qu'il s'agisse de la fixation initiale des tarifs ou de leur modification.

C. Les redevances d'occupation du domaine public portuaire

L'occupation du domaine public portuaire concerne à la fois la partie terrestre des ports, mais également leurs plans d'eau lorsqu'ils sont individualisables [43]. La concession d'outillage public dans les ports vaut autorisation d'occupation du domaine public, et à ce titre, donne lieu au paiement d'une redevance domaniale par le concessionnaire au profit de l'autorité concédante. C'est le cas également des conventions de terminal qui sont des conventions d'occupation du domaine public [44].

Toutefois, les tarifs et conditions d'usage des installations portuaires ou leur modification relèvent de la procédure prévue pour les concessions d'outillage public [45], alors que la jurisprudence considère [46] que les redevances perçues pour l'occupation des postes d'amarrage dans ces ports sont des redevances domaniales et non pour service rendu.

Depuis, l'obligation de mise en concurrence [47] en vue de l'octroi des autorisations d'occupation du domaine public, le règlement de la consultation devrait prendre en compte les modalités de calcul de la redevance d'occupation pour les intégrer dans la convention d'occupation.

En principe, compte tenu des conditions de détermination du montant de la redevance domaniale [48], l'établissement d'un barème de ce type de recette dans les ports paraît difficile à établir. C'est essentiellement le code général de la propriété des personnes publiques qui détermine les règles de la domanialité publique.

III. La distinction entre la redevance pour service rendu et la redevance domaniale

Pour la redevance pour service rendu, il convient d'envisager le financement du prestation de service public, soit par les contribuables, soit par les usagers. Dans la première hypothèse, c'est l'impôt ou plus précisément la taxe qui assure ce financement, dans la seconde, c'est la rétribution des avantages dont bénéficient les occupants du domaine public.

Parfois, le distinction entre la redevance domaniale et celle pour service rendu est délicate à établir, c'est ainsi que l'assemblée générale du Conseil d'État a été conduite à qualifier la redevance perçue par un établissement public hospitalier qui mettait à la disposition d'un praticien un local, du matériel et du personnel pour recevoir une clientèle privée. La Haute juridiction a estimé qu'en l'espèce pour l'ensemble des prestations fournies par l'établissement, il s'agissait d'une redevance pour service rendu [49].

En revanche, dans une autre instance, il a été jugé [50] que la mise à disposition d'un poste d'amarrage dans un port de plaisance donnant la possibilité à son titulaire d'utiliser un élévateur à bateau impliquait le paiement d'une redevance pour occupation du domaine public portuaire, et qu'il n'y avait pas lieu de dissocier les deux prestations.

S'il est admis que la redevance payée par l'usager d'un service public soit la contrepartie directe et proportionnelle des prestations fournies par ce service [51], le respect de cette équivalence peut être assuré, en fonction des caractéristiques du service, en tenant compte de la valeur économique de celui-ci pour son bénéficiaire [52]. Il s'agit de la valorisation de l'intérêt que représente pour l'usager la prestation de service public. Parmi les critères valorisables, on relève : la jouissance privative du domaine public [53], la taille [54] et la localisation [55] dans le port d'une embarcation, la rareté des postes d'amarrage disponibles [56] dans le port, la notoriété de l'établissement d'accueil [57], le savoir-faire du personnel et les efforts financiers [58]... Le chiffre d'affaires [59] de l'usager peut également servir de base de calcul de la redevance.

À propos des droits de port, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé [60] qu'une autorité portuaire ne pouvait pas fixer ce type de redevance en fonction de la provenance ou de la destination pour des navires de même taille. En effet, le service portuaire est le même quelle que soit la provenance ou la destination des navires.

Dans le cadre de relations contractuelles, la modification du taux de la redevance en cours de contrat ne peut intervenir que s'il existe des circonstances nouvelles [61] justifiant une évolution tarifaire.

Lorsque le barème des redevances est annulé pour excès de pouvoir, la personne publique peut fixer, afin d'assurer la continuité du fonctionnement du service public, de nouveaux tarifs applicables pour la période couverte par la décision annulée [62]. Les usagers ne peuvent pas profiter de l'annulation du tarif des redevances, ils doivent les payer au nouveau taux, situation qui est logique dès lors qu'ils ont bénéficié d'une prestation.

Enfin, l'arrêt rendu par le Conseil d'État concernant le port du Barcarès [63] nous éclaire sur la différence entre la redevance pour service rendu et la redevance domaniale. Si l'évolution de la jurisprudence tend à harmoniser les critères applicables, dans la première hypothèse l'usager ne paye la redevance que s'il a bénéficié du service, dans le second cas, la redevance d'occupation du domaine public est due même si les terrains ne sont pas utilisés. 

Conclusion

Les juges n'exercent qu'un contrôle minimum [64] sur les modalités de calcul des redevances, en raison   du principe de la séparation des pouvoirs, mais également compte tenu des caractéristiques spécifiques consacrées par la législation ou par la jurisprudence.

Nous avons évoqué le critère de la valeur économique des avantages dont bénéficiaient certains usagers du service public portuaire. Parfois ces avantages ne sont que potentiels, c'est le cas des redevances payées par les armateurs au titre du pilotage portuaire, alors que leur capitaine est titulaire d'une licence de capitaine pilote [65] qui le dispense de  recourir à un pilote pour entrer ou sortir son navire du port. Selon le Conseil d'État, les recettes de pilotage sont qualifiées de redevances pour service rendu, toutefois, elles peuvent être dues sans le recours aux services du pilotage, et ce, en contrepartie de la disponibilité permanente des pilotes pour intervenir [66].

Nous pouvons également citer la doctrine libérale résultant du Règlement (UE) n° 2017/352 du Parlement européen et du conseil du 15 février 2017. En effet, dans son préambule (§ 48) il est précisé que ses dispositions ne devraient pas porter atteinte aux droits éventuels des ports et de leurs clients de s'entendre sur des remises commerciales confidentielles. En outre, selon son article 13.3 « Afin de contribuer à l’efficience du système de tarification de l’utilisation des infrastructures, la structure et le montant des redevances d’infrastructure portuaire sont déterminés en fonction de la stratégie commerciale et des plans d’investissement de chaque port et respectent les règles de concurrence ».

En définitive, à l'heure où certains critiquent la complexité du droit, les redevances portuaires offrent un exemple de régime juridique qui mériterait d'être simplifié !

 

[1] CE, 17 avril 1959, Abadie, Rec. p. 236 ; CE 26 juillet 1982, n° 16957 N° Lexbase : A1343ALC, Rec. p. 293.

[2] T. confl., 24 avril 2006, n° 3500 N° Lexbase : A10163YB ; T. confl., 18 juin 2001, n° 3241 N° Lexbase : A5606BQP.

[3] T. confl., 8 avril 2019,  n° 4157 N° Lexbase : A6319Y9W.

[4] CE, 3 février 2010, n° 330184 N° Lexbase : A5926ERW.

[5] CE, 29 décembre 1999, n° 197720 et 197781 N° Lexbase : A3265AX9.

[6] T. confl., 17 novembre 2014, n° 3965 N° Lexbase : A9525M38 ; T. confl., 3 juin 1996, n° 2968 N° Lexbase : A08853YG.

[7] CE, 3 février 2010, n° 330184 N° Lexbase : A5926ERW ; CE, 9 juin 2010, n° 337107 N° Lexbase : A9273EY4.

[8] Avis CE Sect. Trav. Publ., 10 novembre 1966, n° 294.831 ; CE Sect., 2 juin 1972, n° 78410 N° Lexbase : A1705B7B.

[9] CE, 21 mai 2008, n° 291115 N° Lexbase : A7205D8D.

[10] Pour la Cour de justice de l'Union européenne, le lamanage est à la fois un service d'intérêt économique général et un service universel (CJCE, 18 juin 1998, aff. C-266/96 N° Lexbase : A1961AWK, Corsica Ferries France, Rec. p. I-3949.

[11] CE, 4 octobre 2004, n° 259525 N° Lexbase : A5496DDW.

[12] Article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 N° Lexbase : L0860AHC selon lequel « la loi fixe également les règles concernant : ... l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures...".

[13] Cons. const. décision n° 92-171 L du 17 décembre 1992 N° Lexbase : A8271ACC, JO 20 décembre 1992 p. 17477.

[14] CJCE, 16 mars 1983, aff. C-266/81, Societa italiana per l’Oleodotto Transalpino (S.I.O.T.) c/ ministère italien des finances e.a. N° Lexbase : A2281AWE, Rec. p. 731 ; CJCE, 10 octobre 1973, aff. C-34/73, Sté Variola S.p.a. c/ Administration des finances italiennes N° Lexbase : A6840AUU, Rec. p. 981.

[15] T. confl., 15 janvier 2007, n° 3521 N° Lexbase : A11473Y7.

[16] T. confl., 8 avril 2019, n° 4157 N° Lexbase : A6319Y9X.

[17] CE, 2 février 1996, n° 149427 N° Lexbase : A7696AND.

[18] CE, 10 novembre 2021, n° 449985 N° Lexbase : A741674G ; CE, 31 octobre 2024, n° 487995 N° Lexbase : A32506DQ ; CE, 4 juin 2014, n° 365364 N° Lexbase : A3058MQC.

[19] CE, 31 octobre 2024, n° 487995 N° Lexbase : A32506DQ.

[20] CE, 31 octobre 2024, n° 487995, § 3, préc.

[21] CE 14 avril 2023, n° 462797 N° Lexbase : A18649Q4.

[22] C. transports, art. R. 5321-1 N° Lexbase : L8705L7K.

[23] C. transports, art. R. 5321-7 N° Lexbase : L3534I7Z.

[24] C. transports, art. R. 5321-3 N° Lexbase : L8286MK4.

[25] C. transports, art. R. 5312-24 N° Lexbase : L5640L4N.

[26] C. transports, art. R. 5312-39 N° Lexbase : L5643L4R.

[27] C. transports, art. R. 5321-11 N° Lexbase : L8287MK7.

[28] Pour les ports de plaisance, la fixation des taux des redevances d'équipement applicables dans chaque port, la consultation prévue à l'article  R. 5321-8 N° Lexbase : L3535I73 est étendue au ministre chargé de la Jeunesse et des Sports et au ministre chargé du tourisme (C. transports, art. R. 5321-47 N° Lexbase : L3574I7I).

[29] C. transports, art. R. 5321-50-1 N° Lexbase : L8712L7S.

[30] C. transports, art. L. 5114-8-2° N° Lexbase : L4146IXT ; Cass. com. 22 janvier 2002, n° 99-12652 N° Lexbase : A8255AXZ, Bull. civ IV, n° 17, p. 17.

[31] CE 2 février 1996, n° 149427 N° Lexbase : A7696AND, LPA, 19 juin 1996, n° 74, p. 14, concl. M J. Arrighi de  Casanova.

[32] C. douanes, art. 321 N° Lexbase : L5846MAR et suiv.

[34] T. confl., 6 juillet 2015, n° 4012 N° Lexbase : A0723NN4. Si malgré la compétence qu'elle détient, la juridiction judiciaire pose une question préjudicielle au juge administratif, celui-ci est tenu d'y répondre. Sur l'appréciation de l'exception d'illégalité du tarifs des droits de port (T. confl., 12 novembre 1984, n° 2359 N° Lexbase : A8243BDN).

[35] Cass. com., 17 mars 2009, n° 06-10.423 N° Lexbase : A0758EES, Bull. Civ. IV, n° 42. Le Tribunal des conflits a considéré que les sommes perçues par l'autorité portuaire pour les opérations d'embarquement, de débarquement et de transit des passagers devaient qualifiées de droits de port, et que leur recouvrement relevait des juridictions judiciaires (T. confl., 27 novembre 2008, n° 08-03.687 N° Lexbase : A09023Y3).

[36] CE, 4 décembre 1985, n° 50538 N° Lexbase : A3072AMQ, D. 1986, J, p. 221 note R. Rézenthel et F. Pitron.

[37] Un poste d'accostage (Cass. com., 6 février 1990, n° 88-12315 N° Lexbase : A3564CNC) ; un port de plaisance (CE, 25 novembre 1988, n° 89106 N° Lexbase : A0331AQC) ; une fosse d'élévateur à bateau dans un port de plaisance (CE, 20 décembre 2000, n° 217639 N° Lexbase : A1994AIP).

[38] T. confl., 11 décembre 2017, n° 4101 N° Lexbase : A7120W7T (à propos d'un pipeline desservant une usine à partir du quai d'un port).

[39] C. transports, art. L. 5312-15 N° Lexbase : L7039INZ.

[40] C. transports, art. R. 5312-94 N° Lexbase : L5655L49, lu en liaison avec l'article L. 5312-15 N° Lexbase : L7039INZ du Code des transports.

[41] C. transports, art. R. 5314-10 N° Lexbase : L3504I7W.

[42] C. transports, art. R. 5314-11 N° Lexbase : L5733LPZ.

[43] CGPPP, art. L. 2111-6-2° N° Lexbase : L2750IN8.

[44] C. transports, art. L. 5312-14-1 N° Lexbase : L5614L4P.

[45] C. transports, art. R. 5313-93 N° Lexbase : L3484I78.

[46] CE, 29 novembre 2002, n° 219244 N° Lexbase : A4733A43, DMF, 2003, p. 617, note R. Rézenthel et A. Lemonnier de Gouville.

[47] CGPPP, art. L. 2122-1-1, al. 1 N° Lexbase : L9569LDR. Des exceptions à la procédure de mise en concurrence sont toutefois prévues aux articles L. 2122-1-2 N° Lexbase : L9570LDS à L 2122-1-4 dudit code.

[48] CGPPP, art. L. 2125-3 N° Lexbase : L4561IQY.

[49] CE Ass., 16 juilet 2007, n° 293229 N° Lexbase : A4716DXX.

[50] CE, 14 avril 2023, n° 462797, N° Lexbase : A18649Q4.

[51] CE, 21 octobre 1988, n° 72862, 72863 et 73062 N° Lexbase : A6618APS.

[52] CE, 3 août 2011, n° 337740 N° Lexbase : A9294HW7.

[53] CE, 21 mars 2003, n° 189191 N° Lexbase : A7834C8N.

[54] CE, 8 juillet 1996, n° 121520 N° Lexbase : A0093AP7.

[55] CE, 14 avril 2023, n° 462797 N° Lexbase : A18649Q4.

[56] CE, 14 avril 2023, n° 462797, préc.

[57] CE, Ass, 16 juilet 2007, n° 293229 N° Lexbase : A4716DXX.

[58] Cass. com., 26 juin 2024, n° 22-17647 et 22-21497 N° Lexbase : A12435LM.

[59] CE, 7 octobre 2009, n° 309499 N° Lexbase : A8618ELR.

[60] CJCE, 14 novembre 2002, aff. C-435/00 N° Lexbase : A7421A3A.

[61] CE, 29 décembre 2014, n° 368773 N° Lexbase : A8318M8L.

[62] CE, 19 mars 2010, n° 305047 N° Lexbase : A7926ETQ.

[63] CE, 29 novembre 2002, n° 219244 N° Lexbase : A4733A43, DMF, 2003, p. 617, note R. Rézenthel et A. Lemonnier de Gouville.

[64] CE, 10 juillet 2025, n° 494869 N° Lexbase : B7851ASL ; CE, 8 décembre 2022, n° 462429 N° Lexbase : A03078YZ ; CE, 1er  février 2012, n° 338665 N° Lexbase : A6848IBA.

[65] C. transports, art. L. 5341-2 2° N° Lexbase : L6942ING.

[66] CE, 13 juin 2024, n° 470886 N° Lexbase : A94065HT.

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Fonction publique

[Questions à...] L’accident de service, une notion extensible à l’infini ? - Questions à Chloé Brendel-Fargette, Seban Avocats

Réf. : CE, 3°-8° ch. réunies, 18 juillet 2025, n° 476311, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : B3359AY3

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N2980B3R

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Le 24 Septembre 2025

Mots clés : fonctionnaires • accident de service • circonstance exceptionnelle • responsabilité de l'administration • antécédents médicaux

Dans un arrêt rendu le 18 juillet 2025, la Haute juridiction a énoncé que l’état de santé antérieur du fonctionnaire n’est de nature à constituer une circonstance particulière détachant l'accident du service que s’il est la cause exclusive de l’accident. Dès lors qu’est ainsi posé le principe selon lequel tout accident survenu dans le temps et le lieu du service est présumé imputable au service, sauf la circonstance précitée, se pose la question de savoir si la notion d’accident de service n’est pas devenue un peu trop extensible et donc défavorable à l’administration. Lexbase a interrogé à ce sujet Chloé Brendel-Fargette, Avocate, Seban Avocats*.


 

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les caractéristiques essentielles de l'accident de service ?

Chloé Brendel-Fargette : À la lecture des dispositions de l’article L. 822-18 du Code général de la fonction publique N° Lexbase : L7188MBT, un accident de service pourra être reconnu lorsque l’agent démontre, d’une part, avoir subi un accident et, d’autre part, que celui-ci est en lien avec son service, parce qu’il est intervenu dans le temps et le lieu du service et dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal.

La jurisprudence est venue affiner cette définition en précisant que, constitue un accident de service, tout événement survenu à une date certaine, par le fait ou l’occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci [1].

Contrairement à la maladie professionnelle, les lésions ne peuvent en aucun cas trouver leur origine dans des phénomènes à action lente ou répétée auxquels il ne peut être assigné une origine et une date certaines [2]. Même si cela semble une évidence, un accident implique de justifier de l’existence d’un fait, précisément déterminé et daté, caractérisé par sa violence et sa soudaineté [3].

Il en résulte que la réunion de trois conditions est requise pour qu’un accident puisse être reconnu imputable au service :

  • l’existence d’un fait violent et soudain, survenu à une date précise ;
  • cet événement doit être en lien avec les fonctions de l’agent ;
  • une lésion doit en découler, qu’elle soit physique ou psychique.

Un tel accident est alors présumé imputable au service. Cette présomption peut cependant être renversée lorsque l’administration démontre l’existence d’une faute personnelle de l’agent victime ou de « toute autre circonstance particulière détachant l’accident du service » [4].

Dit autrement, lorsque l’agent a lui-même une part prépondérante dans la survenance de son accident, le lien avec le service peut être légitimement écarté.

À titre d’exemple, la faute personnelle a ainsi été retenue à l’égard d’un agent ayant été agressé par l’un de ses collègues sur son lieu de travail et durant son service mais après avoir lui-même, peu avant cette altercation, dénigré le travail dudit collègue et l’avoir insulté [5]. Dans le même esprit, le fait pour un agent, lors d’un trajet dans le cadre du service, de sortir de son véhicule pour aller à la rencontre d’une personne l’ayant invectivé, fait obstacle à ce que l’altercation qui en a suivi puisse être reconnue comme imputable au service [6].

Concernant les circonstances particulières susceptibles de détacher l’accident du service, il peut notamment s’agir de circonstances d’ordre privé, par exemple lorsque l’altercation entre deux agents du service trouve sa cause certaine, directe et déterminante dans un différend d’ordre personnel [7].

L’existence d’un état antérieur est également susceptible de détacher un accident du service, lorsque l’état de santé de l’agent n’est pas lié à l’exercice de ses fonctions et qu’il est le facteur prépondérant à la survenance de l’accident [8].

Lexbase : Le juge administratif en a-t-il une interprétation restrictive ou plutôt libérale ?

Chloé Brendel-Fargette : Il ne peut être nié que la jurisprudence est relativement protectrice des agents publics lorsqu’il s’agit de reconnaître l’imputabilité au service d’un accident. La codification d’une présomption d’imputabilité participe d’ailleurs à cette mouvance. Néanmoins, je ne qualifierai pas, pour autant, son interprétation des critères de l’accident de service de libérale.

En réalité, le juge administratif applique strictement les critères de définition qu’il a lui-même posés afin, notamment, d’éviter que tout fait survenu dans le cadre du service soit pris en charge par l’employeur.

Aussi, à titre d’exemple, ne constitue pas un accident de service :

  • une vive altercation entre deux collègues, dès lors que cet événement ne pouvait être regardé comme un traumatisme à l’origine directe des troubles psychologiques dont souffrait l’intéressé, les propos tenus au cours de cette altercation n’ayant revêtu aucun caractère violent, insultant ou humiliant [9] ;
  • la chute occasionnée à un agent alors que celui-ci se rendait à son véhicule personnel stationné sur le parking de la collectivité, pour récupérer son déjeuner, lors d’une pause non autorisée [10] ;
  • la chute d’une table à repasser sur le pied d’un agent se trouvant en télétravail, quand bien même celle-ci a eu lieu durant son temps de service [11].

Dans le même esprit, le juge administratif a su moduler l’application de ces critères selon la typologie particulière de certains accidents.

À cet égard, les précisions apportées en matière d’accident survenu lors d’un entretien professionnel sont révélatrices de cette volonté du juge administratif de garantir un équilibre dans la protection des agents publics contre les risques professionnels auxquels ils sont exposés.

En effet, un tel entretien constituant, par principe, un événement prévisible et normal dans la carrière professionnelle d’un agent public, la seule circonstance qu’il puisse être perçu négativement par l’intéressé et lui occasionner une lésion ne saurait lui conférer la qualité d’accident de service. Pour qu’une telle qualification soit reconnue, il est impératif que cet entretien donne lieu, de la part du supérieur hiérarchique, à un comportement ou à des propos qui excèdent les limites raisonnables de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, c’est-à-dire des injures, des brimades, des humiliations, des coups, etc. [12].

Lexbase : Quel est l'apport majeur de l'arrêt du Conseil d’État en la matière ?

Chloé Brendel-Fargette : Par sa décision rendue le 18 juillet 2025, le Conseil d’État a souhaité clarifier l’incidence d’un état de santé antérieur sur la reconnaissance de l’imputabilité au service d’un accident.

De la même manière que pour les accidents survenus à l’occasion d’entretiens professionnels, la jurisprudence avait eu l’occasion de préciser que « s'agissant d'un infarctus du myocarde survenu pendant l'exercice des fonctions, l'accident de service ne doit être reconnu qu'en cas de relation directe, certaine et déterminante entre un tel accident et l'exécution du service » [13]. Les malaises, accidents cardiaques ou vasculaires pouvaient ainsi apparaître comme étant des circonstances particulières, nécessitant de rechercher une causalité directe et certaine avec le service.

À cet égard, la jurisprudence recherchait généralement, notamment en présence d’antécédents médicaux, l’existence d’un effort physique violent et inhabituel ou d’une surcharge de travail ou un stress particulier, permettant de relier l’accident à l’exercice par l’agent victime de ses fonctions [14].

À titre d’exemple, la cour administrative d’appel de Paris avait refusé de reconnaître un lien direct, certain et déterminant entre les fonctions d’enseignement d’un agent et sa crise cardiaque, en raison de ses antécédents médicaux, s’appuyant notamment sur son précédent infarctus du myocarde [15].

Or, dans sa décision du 18 juillet 2025, le Conseil d’État revient sur cette interprétation.

Il réaffirme, en effet, l’application de la présomption d’imputabilité pour les accidents cardio-vasculaires et souligne que l’état de santé antérieur ne peut constituer une circonstance particulière, de nature à détacher cet accident du service, que dans l’hypothèse où celui-ci est la cause exclusive de l’accident. La Haute Juridiction annula ainsi l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles au motif que celle-ci n’a pas correctement examiné la question de l’imputabilité au regard de la présomption.

Dit autrement, l’état antérieur ou, dans le cadre d’un accident cardio-vasculaire, les facteurs de risque présents chez l’agent, ne sont désormais de nature à faire obstacle à la présomption d’imputabilité qu’à la condition d’être la cause exclusive de l’accident. Il appartiendra donc à l’administration d’apporter cette preuve contraire, sur le plan médical, plutôt que de se contenter de constater l’absence de lien direct et certain avec le service.

Lexbase : Cette décision ne risque-t-elle pas d'étendre de manière trop extensive la présomption d'imputabilité ?

Chloé Brendel-Fargette : Comme évoqué, lorsqu’un agent sera victime d’un accident cardiaque sur le lieu et durant le temps de son service, alors qu’il exerçait ses fonctions ou une activité qui en constitue le prolongement normal, il bénéficiera d’une présomption d’imputabilité.

Afin de renverser cette présomption, l’administration ne pourra plus simplement se contenter d’établir l’absence de lien direct et certain entre cet accident et le service, en invoquant par exemple l’absence d’effort physique violent et inhabituel ou une dégradation significative des conditions de travail de l’agent (surcharge de travail, stress, etc.).

Le débat se portera désormais sur le plan médical uniquement. Cela signifie que l’administration devra démontrer, expertises médicales à l’appui, que l’accident cardiaque a pour seule origine l’état de santé de son agent et ses antécédents, de sorte qu’il aurait pu parfaitement intervenir en dehors du service.

Il s’agit donc effectivement d’une décision très protectrice à l’égard des agents publics puisqu’une telle démonstration ne sera pas aisée en pratique, un accident cardio-vasculaire étant souvent multifactoriel.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public


[1] CE, 6 février 2019, n° 415975 N° Lexbase : A6205YWQ ; CE, 8 mars 2023, n° 451972 N° Lexbase : A77679H7.

[2] CE, 30 juillet 1997, n° 159366 N° Lexbase : A0842AEW.

[3] CAA Lyon, 22 octobre 2018, n° 16LY01680 N° Lexbase : A4392YII.

[4] CGFP, art. L. 822-18.

[5] CAA Nancy, 21 octobre 2021, n° 19NC02250 N° Lexbase : A92977ZD.

[6] CAA Toulouse, 18 février 2025, n° 23TL01216 N° Lexbase : A69426WZ.

[7] CAA Marseille, 15 septembre 2022, n° 22MA01219 N° Lexbase : A23788IW.

[8] CE, 17 janvier 2011, n° 328200 N° Lexbase : A1546GQC : un agent souffrant d’hypertension, victime de plusieurs malaises, ne peut ainsi imputer au service le fait d’avoir été pris d’un malaise avec perte de connaissance.

[9] CAA Douai, 2 avril 2020, n° 18DA01781 N° Lexbase : A63473KB.

[10] CAA Versailles, 19 mai 2016, n° 14VE01549 N° Lexbase : A1693RQR.

[11] TA Paris, 9 novembre 2023, n° 2124405 N° Lexbase : A73471YR.

[12] CE, 27 septembre 2021, n° 440983 N° Lexbase : A5157477.

[13] CAA Versailles, 31 mai 2023, n° 21VE03126 N° Lexbase : A70649YB ; CE, 21 janvier 1991, n° 85538 N° Lexbase : A0785ARI ; TA Cergy-Pontoise, 17 octobre 2024, n° 2102627 N° Lexbase : A19366BC ; TA Nîmes, 19 septembre 2024, n° 2200092 N° Lexbase : A2154538.

[14] CE, 14 avril 1995, n° 142530, 142530 N° Lexbase : A3438ANN ; CAA Toulouse, 8 avril 2025, n° 23TL00920 N° Lexbase : A14650HQ ; TA Nantes, 13 décembre 2024, n° 2206611 N° Lexbase : A81006MX ; TA Strasbourg, 2 janvier 2025, n° 2304753 N° Lexbase : A78236PG.

[15] CAA Paris, 17 mars 2022, n° 20PA00799 N° Lexbase : A59277RX.

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