Le Quotidien du 1 octobre 2025

Le Quotidien

Actualité judiciaire

[A la une] Rachida Dati sera jugée en septembre 2026, soit après les élections municipales

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par Axel Valard

Le 30 Septembre 2025

Pour la justice, c’est un problème qui n’est pas fréquent mais qui est bien réel : les avocats de ministre ont, eux aussi, des … agendas de ministre. La 32e chambre du tribunal judiciaire de Paris n’a pas eu d’autre choix, lundi 29 septembre, que de fixer au mois de septembre 2026 le procès pour « corruption » et « trafic d’influence » de Rachida Dati et de Carlos Ghosn dans le dossier dit « Renault – Nissan ». Concrètement, l’affaire sera plaidée sur six demi-journées entre le 16 et le 28 septembre. Dans un an donc.

À l’origine, la justice avait envisagé que ce procès se tienne en novembre 2025. Mais elle a dû reculer lorsque Rachida Dati a dévoilé le nom des nouveaux avocats chargés de la défendre. Lundi 29 septembre, la présidente de la 32e chambre a donc proposé de nouvelles dates au mois de mai 2026. Mais non, cela n’allait pas non plus. Car l’agenda d’Olivier Bluche, l’un des conseils de la ministre démissionnaire de la Culture, prévoit qu’il soit pris par une session d’assises à Paris à ce moment-là. Et celui du pénaliste Frank Berton, le contraint à se présenter à la cour d’assises d’Aix-en-Provence pour défendre, en appel, un client qui a écopé d’une peine de 30 ans en première instance… « Je ne peux pas faire autrement », a simplement lâché la robe noire dans le prétoire.

Va donc pour septembre 2026. Un soulagement pour la principale intéressée ? Plutôt un sursis. L’avantage pour Rachida Dati, c’est que ce procès interviendra donc après les élections municipales prévues les 15 et 22 mars 2026. Investie par Les Républicains, l’actuelle ministre aura donc toute latitude pour se présenter à la succession d’Anne Hidalgo et même, qui sait, pour l’emporter lors de ce scrutin, même si elle risque de traîner cette affaire un peu comme un boulet, lors de la campagne.

La possibilité d’une élection et le risque d’une démission d’office.

Mais, s’il s’éloigne dans le temps, le risque d’une condamnation reste bien présent. Ce qui a fait dire à Kami Haeri, avocat de Renault, que pour la principale intéressée, « la date d’une catastrophe, c’est déjà une catastrophe en tant que telle… » Renvoyée pour « corruption » et « trafic d’influence », l’ancienne ministre de la Justice encourt, sur le papier, une peine maximale de dix ans de prison. Mais s’agissant, ici, d’un délit de « probité », elle sait bien qu’une condamnation serait forcément assortie d’une peine d’inéligibilité. C’est automatique en la matière.

Reste à savoir si la 32e chambre pourrait assortir la mesure d’une exécution provisoire. Les récents exemples de Marine Le Pen et, dans un autre cadre, de Nicolas Sarkozy sont de nature à l’inquiéter. Sans faire de « justice fiction », il convient de rappeler que cela pourrait avoir de lourdes conséquences. Le poste de maire de Paris est un mandat local. Et la procédure prévoit donc que les titulaires de ce type de mandat soient « démissionnés d’office » en cas de condamnation à une peine d’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire. On pourrait donc voir Rachida Dati élue maire de Paris en mai et démissionnée d’office quelques mois plus tard lors du prononcé du délibéré…

De la diplomatie des affaires du Maghreb ou du lobbying à Bruxelles ?

Évidemment, nous n’en sommes pas encore là. Il reste au tribunal à apprécier ce dossier après, déjà, sept années d’instruction. Qui a conduit une juge à mettre en examen Rachida Dati pour « corruption ». Concrètement, la puncheuse de la droite est accusée d’avoir touché 900 000 euros d’honoraires de la part de Renault entre 2010 et 2012. Quelques 300 000 euros par an pendant trois ans.

Rachida Dati ne nie pas cela. Elle explique qu’il s’agissait de rémunérer une action de conseil visant à favoriser le développement de la marque automobile au losange au Maghreb et au Moyen-Orient. Sauf que la justice en doute. Elle a trouvé peu de traces de ce travail de « diplomatie des affaires ». En revanche, l’accusation pense que Rachida Dati a été payée pour effectuer du lobbying en faveur de Renault dans l’hémicycle du Parlement européen, où elle était alors élue députée. Ce qui est formellement interdit.

Depuis le départ, et avec la combativité qu’on lui connaît, Rachida Dati a toujours contesté les faits qui lui sont reprochés, estimant même être victime d’une forme de cabale politique. Il lui reste un an désormais pour affûter ses arguments avant le début de l’audience.

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Avocats/Statut social et fiscal

[Dépêches] Conditions d’attribution de la pension de retraite auprès de la CNBF : exigence de liquidation préalable de l’ensemble des pensions personnelles à la date de la demande

Réf. : Cass. civ. 2, 25 septembre 2025, n° 23-12.207, F-B N° Lexbase : B1021BWQ

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N3012B3X

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par Marie Le Guerroué

Le 30 Septembre 2025

Les conditions d'attribution de la pension de retraite versée par la Caisse nationale des barreaux français, et notamment la liquidation des pensions de vieillesse personnelles auprès de la totalité des régimes, doivent être remplies à la date de la demande de l'assuré.

L'assuré, exerçant l'activité d'avocat, a déposé, auprès de la Caisse nationale des barreaux français (la CNBF), deux demandes de liquidation de sa pension de retraite avec possibilité de cumul d'activité professionnelle, l'une en décembre 2015, l'autre en août 2017, sollicitant une prise d'effet au 1er janvier 2016. L'assuré a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale aux fins de contestation de la date de liquidation fixée au 1er octobre 2017.

Pour fixer la date de prise d'effet de la liquidation des droits à la retraite de l'assuré au 1er juillet 2016, ayant constaté que l'assuré a déposé un formulaire de demande de retraite personnelle avec cumul d'activité dont la CNBF a accusé réception le 30 décembre 2015, l'arrêt rendu par la cour d’appel de Paris retient qu'à cette date, l'assuré ne pouvait prétendre à la liquidation de ses droits dans le cadre d'un cumul emploi-retraite dès lors qu'il n'avait pas encore liquidé ses droits à pension au régime général. Il énonce que la liquidation à ce régime étant intervenue le 1er mai 2016, la date d'entrée en jouissance de la pension de retraite à la CNBF doit être fixée au 1er juillet 2016.

La CNBF forme un pourvoi devant la Cour de cassation. Cette dernière rend sa décision au visa des articles L. 723-11-1 N° Lexbase : L2665IZQ et R. 723-44 du Code de la sécurité sociale N° Lexbase : L6519IME, le premier dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 N° Lexbase : L2496IZH, le second dans sa rédaction issue du décret n° 2010-734 du 30 juin 2010 N° Lexbase : L6429IM3, applicables au litige. Aux termes du premier de ces textes, sous réserve que l'assuré ait liquidé ses pensions de vieillesse personnelles auprès de la totalité des régimes légaux ou rendus légalement obligatoires, de base et complémentaires, français et étrangers, ainsi que des régimes des organisations internationales dont il a relevé, une pension de vieillesse peut être entièrement cumulée avec une activité professionnelle. Aux termes du second, l'entrée en jouissance de la pension de retraite est fixée au premier jour du trimestre civil qui suit la demande de l'assuré, sous réserve que les conditions d'attribution soient remplies. Il résulte de la combinaison de ces textes que les conditions d'attribution de la pension, et notamment la liquidation des pensions de vieillesse personnelles auprès de la totalité des régimes, doivent être remplies à la date de la demande de l'assuré.

Pour la Cour, en statuant comme elle l’a fait, alors qu'il ressortait de ses constatations qu'à la date de la première demande déposée en décembre 2015, l'assuré ne justifiait pas de la liquidation de ses droits à la retraite dans les divers régimes, dont il n'a justifié qu'au moment du dépôt de sa seconde demande en août 2017, la cour d'appel, qui ne pouvait fixer la date d'entrée en jouissance au premier jour du trimestre civil qui suit la date à laquelle l'assuré a obtenu la liquidation de ses pensions de vieillesse personnelles auprès de la totalité des régimes, a violé les textes susvisés. Elle casse et annule l'arrêt précédemment rendu par la cour d'appel de Paris.

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Contrôle fiscal

[Jurisprudence] Requalification fiscale des dividendes en traitements et salaires en présence d’un montage artificiel poursuivant un but exclusivement fiscal (suite de l’affaire « Carmignac »)

Réf. : CAA Versailles, 3e ch., 12 juin 2025, n° 23VE00183 N° Lexbase : B5274AI8

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N3010B3U

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par Margaux Chanut et Clara Ferrari, August Debouzy

Le 09 Octobre 2025

Mots clés : fiscal • dividendes • montage financier • rémunération des dirigeants • abus de droit 

Cette décision constitue une nouvelle illustration des conséquences des contrôles sur pièces effectués par l’administration fiscale sur les déclarations fiscales de plusieurs dirigeants, associés ou salariés, des sociétés Carmignac Gestion (CGSA) et Carmignac Distribution Internationale France (CDIF).


 

Dans le cadre de ces contrôles sur pièces, l’administration fiscale a engagé à l’encontre de certains salariés, dont M. E., la procédure de répression des abus de droit prévue à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L9266LNI afin de requalifier en salaires les dividendes versés par des sociétés artificiellement interposées, en considérant que les sommes rémunéraient en réalité des prestations fournies par les salariés concernés.

I. Rappel du contexte

En avril 2010, M. E, salarié de la société CGSA, et son épouse, ont constitué une société civile, la SCI DEMETER, assujettie à l’impôt sur les sociétés, par apport des titres de CDIF. Ces titres représentaient 5 % du capital social de CDIF permettant ainsi à la société civile de bénéficier du régime fiscal « mère-fille » au titre des dividendes distribués.

En mettant en œuvre la procédure de répression des abus de droit prévue par l’article L. 64 du LPF, l’administration fiscale a remis en cause la qualification de dividendes des sommes provenant de la société CDIF et perçues par l’intermédiaire de la SCI DEMETER et a imposé ces sommes dans la catégorie des traitements et salaires.

L’administration fiscale a en effet considéré que ce montage avait eu pour objectif de permettre à M. E de percevoir une partie de sa rémunération sous la forme de dividendes (plutôt qu’en salaire), et ce, dans un but exclusivement fiscal.

Le rapporteur public, Monsieur Julien Illouz, rappelle sous cet arrêt que pour procéder à son rehaussement, l’administration fiscale s’était fondée sur l’abus de droit par fraude à la loi et qu’en pareil cas « Il lui appartient donc d’établir, d’une part, que le contribuable poursuivait, par les différentes opérations menées, un but exclusivement fiscal – c’est le critère dit subjectif – et, d’autre part, qu’il recherchait le bénéfice d’une application littérale des textes fiscaux à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs – c’est le critère dit objectif (…) ».

II. Sur la caractérisation d’un montage artificiel

Sans surprise, la Cour retient que, pour caractériser l’existence d'un abus de droit consistant pour M. E. à percevoir une partie de sa rémunération sous la forme de revenus de participations dans un but exclusivement fiscal, l'administration fiscale a notamment fait valoir que :

  • les revenus issus de l'activité de promotion internationale des fonds Carmignac avaient été artificiellement localisés au sein de sociétés étrangères ;
  • l'activité économique était en réalité exercée exclusivement à Paris par l’équipe de gestion de la société CGSA dont M. E. faisait partie ;
  • les sociétés luxembourgeoises censées assurer les prestations de promotion commerciale n'étaient pas en mesure d’exercer effectivement cette activité compte tenu de l’insuffisance de leurs moyens matériels et humains (aucune charge de personnel ou de sous-traitance liée à cette activité n’avait été comptabilisée) ;
  • l'activité de promotion internationale, assurée en réalité depuis la France par les mandataires sociaux et salariés, l’a été dans le cadre de leur contrat de travail et s’agissant de M. E., dans le cadre de ses fonctions de direction ainsi que de membre du comité de développement stratégique et du comité d’investissement de CGSA. À cet égard, le rapporteur public indique que « rien ne permet de considérer comme le soutiennent les époux E que cette activité de promotion à l’international des fonds était distincte de celle inhérente aux fonctions de gestionnaire de portefeuille salarié et des mandataires sociaux de CGSA, que ces derniers exerçaient dès avant la création de CGL, de CDIL, de CIL et de CDIF ».

enfin et surtout, la répartition des dividendes aux associés de la société CDIF n'était pas proportionnelle à leur participation au capital, mais était arrêtée par un comité des résultats en fonction de sept critères notamment liés à la performance individuelle des membres de l’équipe de gestion.

III. Sur l’objectif exclusivement fiscal poursuivi par M. E.

M. E a tenté de démontrer que la constitution de sa société patrimoniale DEMETER répondait à des objectifs patrimoniaux et organisationnels et qu’elle n’avait pas permis d’éluder une imposition mais seulement d’en différer l’exigibilité à la date de distribution des dividendes par cette dernière.

La Cour n’a pas été convaincue par ces arguments et retient que M. E., par le biais de ce montage, a bien bénéficié d'une économie d'impôt en percevant des revenus de nature salariale sous l'apparence de dividendes, lesquels étaient imposés selon le régime fiscal « mère-fille », bien plus avantageux que celui applicable aux traitements et salaires.

La Cour considère donc que l’avantage fiscal résultant de l’application du régime mère-fille lors de la perception par la holding familiale de M. E. de revenus qui auraient dû être imposés dans la catégorie des traitements et salaires constitue le but exclusivement fiscal de l’interposition artificielle des sociétés.

En outre, la Cour relève que M. E. ne pouvait ignorer l'organisation du groupe Carmignac, celui-ci ayant activement participé à la mise en place de ce montage.

Monsieur le rapporteur public précise à cet égard dans ses conclusions sous l’arrêt que : « Sa participation active à ce montage « groupe » est d’autant moins douteuse qu’il l’a complété, en ce qui le concerne personnellement, par l’interposition de la SC Demeter, de façon analogue aux autres bénéficiaires du montage, société civile qu’il a très opportunément fait opter pour le régime des sociétés de capitaux, et donc pour l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés, alors qu’il ne s’agit pas de son régime fiscal de droit commun, afin de répliquer à son niveau le bénéfice du régime mère-fille ».

En l’espèce, l'intéressé avait ainsi lui-même « complété » le dispositif mis en place en veillant à ce que les dividendes lui revenant soient versés à une holding patrimoniale personnelle assujettie à l’impôt sur les sociétés, qu’il contrôlait intégralement, afin de bénéficier du régime mère-fille au lieu de l’impôt sur le revenu. Cette holding personnelle a donc été jugée inopposable à l'administration fiscale, qui a pu, pour les années 2010 à 2014, requalifier les dividendes perçus en traitements et salaires et appliquer la majoration de 40 %.

Il s’agit d’une nouvelle illustration de l’application de la grille d’analyse issue de la décision « Carmignac » [1].

Ces arrêts s’inscrivent dans le prolongement d’une jurisprudence fiscale constante et stricte en matière de rémunération des dirigeants (personnes physiques ou personnes morales), et confirment la vigilance particulière que requiert ce sujet. Cette jurisprudence sanctionne les structurations visant à substituer artificiellement des salaires par des dividendes, en l’absence de justification économique réelle.

Cette décision invite donc à une vigilance renforcée dans la structuration des dispositifs de rémunération des dirigeants et salariés, lesquels doivent impérativement reposer sur des justifications économiques cohérentes.

Il est intéressant de relever que le sujet de la requalification de sommes versées par des sociétés en salaires a récemment été jugé sur le plan social par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence dans son arrêt du 3 juillet 2025 n° 24/05530 N° Lexbase : B3772AWM, qui a confirmé l’assujettissement des sommes versées par une SAS à son associée, une SARL, aux cotisations du régime général de la Sécurité sociale, en tant que rémunération du dirigeant. Dans cette affaire, l’URSSAF avait considéré que les conventions de prestations de services conclues entre la SAS et la SARL avaient pour seul objet de rémunérer indirectement le dirigeant de la SAS, sans contrepartie distincte des missions relevant de son mandat social, non rémunéré à ce titre.


[1] CE, 29 novembre 2024 n° 487706, 487707, 487793 N° Lexbase : A55636KA.

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Droit pénal des affaires

[Podcast] Garde à vue des dirigeants : anticiper et se préparer

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N2981B3S

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Le 24 Septembre 2025

► Dans cet épisode de LexFlash, David Père, avocat associé en droit pénal des affaires au sein du cabinet Addleshaw Goddard, décrypte un sujet crucial : la garde à vue du dirigeant et sa préparation en amont.

Quels sont les risques pour les chefs d’entreprise confrontés à cette situation ? Comment bien anticiper ce moment de crise ? Quelles sont les bonnes pratiques et les réflexes à adopter en situation réelle ?

Un éclairage concret et pratique, au croisement du droit pénal des affaires et de la compliance, pour mieux comprendre les enjeux de responsabilité des dirigeants.

► Retrouvez cet épisode sur YouTube.

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Procédure prud'homale

[A la une] L’action de groupe en droit du travail : nouveau départ ?

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N2963B37

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par Alexandre Fabre, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne

Le 30 Septembre 2025

Mots-clés : droit du travail • action de groupe • action en justice • loi « DDADUE » • syndicats

Libérée des restrictions qui entravaient sa mise en œuvre depuis 2016, c’est un nouveau départ, presque une nouvelle vie, qui s’offre à l’action de groupe en droit du travail. Applicable désormais à tout manquement de l’employeur - et non plus seulement aux seules discriminations comme auparavant - sa réforme redonne de l'espoir aux syndicats qui souffrent depuis quelques années du resserrement de l’action en justice au nom de l’intérêt collectif de la profession. L’attrait est d’autant plus fort qu’à la différence de l’action en substitution - limitée à quelques hypothèses - les salariés n’auront pas besoin de se faire connaître avant que le juge statue sur la faute de l’employeur. Autant de raisons de regarder avec attention le régime de cette « nouvelle » action en justice.


Un régime pour toutes. La loi n° 2025-391 du 30 avril 2025 N° Lexbase : L4775M9Q, dite loi « DDADUE » [1], a instauré un régime unifié de l'action de groupe qui succède au « socle commun », issu de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle N° Lexbase : L6177MSL (LJ21) et aux six régimes sectoriels qui le complétaient dans le champ de la consommation, de la santé, des discriminations en général et dans les relations de travail en particulier, des données personnelles et de l’environnement [2]. L’ensemble de ces dispositions ayant été abrogées [3], l’action de groupe n’a donc plus désormais qu’un seul régime procédural [4].

Vous avez dit simplification ? Si la réforme a opportunément mis fin à l’éparpillement « façon puzzle » [5] des règles antérieures, l’édification d’un régime unique a cependant rendu impossible la codification des nouvelles dispositions [6], qui gagnent ainsi en majesté ce qu’elles perdent en accessibilité. D’autant que le législateur n’a pas pu faire entièrement l’économie de quelques renvois vers le nouveau régime de l’action de groupe dans d’autres codes (v. par ex. CJA, art. 77-10-1 N° Lexbase : L4999M9Z) ou lois (v. par ex. loi du 6 janvier 1978 N° Lexbase : L8794AGS, art. 38). Sans parler, en outre, des dispositions d’application dont l’insertion dans le Code de procédure civile et le Code de justice administrative s’est avérée nécessaire [7]. C’est moins cependant l’accessibilité des nouveaux textes que leur intelligibilité qui suscite le plus de réserves. Le problème ne vient pas de l’absence de codification en tant que telle. D’autres lois non codifiées existent depuis des décennies sans que cela gêne outre mesure leur consultation (que l’on songe à la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978). On observera toutefois que, lorsque ces lois comportent un nombre important de dispositions, le législateur prend au moins l’initiative d’adopter un plan interne surmonté d’intitulés. Rien de cela malheureusement dans la loi du 30 avril 2025 : l’entièreté du nouveau régime de l’action de groupe est contenue en un seul article (16) qui s’étale sur plus d’une dizaine de pages rendues illisibles par 4 niveaux de subdivision uniquement chiffrés (I, A, 1, a) [8]. Même après plusieurs lectures attentives, avec forces surligneurs et annotations, on peine encore à comprendre l’enchainement logique des dispositions et la dynamique d’ensemble du régime. Il est à craindre que ce labyrinthique article 16 nuise à la compréhension du dispositif. Et ce n’est pas la modeste circulaire publiée au milieu de l’été [9], qui se borne à souligner les principaux apports du nouveau régime, qui pourra y remédier…

Extension du domaine de la lutte. La réforme de l’action de groupe n’a pas seulement mis fin à l’éparpillement des régimes sectoriels antérieurs, elle a aussi été à l’origine de plusieurs changements [10] dont le plus visible réside sans doute dans l’extension de son champ d’application. Là où, auparavant, l’action de groupe n’était possible que dans six domaines, elle est désormais opérationnelle en toutes matières, tant devant le juge administratif que le juge judiciaire. Cette quasi-universalité du régime ressort de la définition même de l’action de groupe : « une action de groupe est exercée en justice par un demandeur [spécialement défini] pour le compte de plusieurs personnes physiques ou morales, placées dans une situation similaire, résultant d'un même manquement ou d'un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles commis par une personne agissant dans l'exercice ou à l'occasion de son activité professionnelle, par une personne morale de droit public ou par un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public » (art. 16, I, A). L’extension de l’action de groupe se mesure aussi à l’aune de ses finalités. Alors que, sous l’empire de certains régimes sectoriels antérieurs, elle ne pouvait tendre qu’à la réparation des préjudices (en matière de consommation et de santé notamment), le nouveau régime offre trois possibilités : « l'action de groupe est exercée afin d'obtenir soit la cessation du manquement […], soit la réparation des préjudices, quelle qu'en soit la nature, subis du fait de ce manquement, soit la satisfaction de ces deux prétentions » (art. 16, I, A). Cette ouverture est d’autant plus notable que le législateur a également mis fin à plusieurs restrictions portant sur la nature des préjudices réparables, comme l’était la limitation de la réparation aux seuls préjudices corporels en matière de santé et aux seuls préjudices matériels en matière de consommation [11].

Nouveau départ en droit du travail ? Au-delà de ces premières considérations d’ordre général, que change plus particulièrement la réforme en droit du travail [12] ? C’est à l’évidence dans ce domaine que l’élargissement est le plus sensible. L’écart est en effet saisissant entre les restrictions posées par la loi du 18 novembre 2016 - qui faisait de l’action de groupe en droit du travail l’une des plus restrictives -, et les ouvertures opérées par la loi du 30 avril 2025. Raison pour laquelle la réforme suscite autant d’attentes du côté des organisations syndicales que de craintes de la part des milieux patronaux. Pour essayer de prendre toute la mesure des changements apportés, il convient d’étudier le nouveau régime procédural de l’action de groupe en droit du travail, en distinguant son champ d’application (I.) de sa mise en œuvre (II.).

I. Le champ d’application de l’action de groupe en droit du travail

Comparée à la « LJ21 », la loi « DDADUE » a considérablement élargi le champ d’application de l’action de groupe en droit du travail, aussi bien sur le plan temporel (A.) que matériel (B.).

A. Le champ d’application rationae temporis

À sa création en 2016, l’action de groupe en matière de discrimination dans les relations de travail était doublement limitée dans le temps. Deux limitations que la loi « DDADUE » a supprimées, ouvrant ainsi des perspectives nouvelles.

Application aux faits antérieurs. En premier lieu, le législateur avait fait le choix, très critiqué à l’époque [13], de limiter l’application du nouveau dispositif « aux seules actions dont le fait générateur de la responsabilité ou le manquement [était] postérieur à l'entrée en vigueur de la [loi du 18 novembre 2016] » (loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 N° Lexbase : L1605LB3, art. 92) [14]. En d’autres termes, l’action de groupe ne valait que pour l’avenir ! Pareille limitation - également applicable aux actions de groupe environnementales - reposait sur un pur argument économique : l’objectif était clairement d’éviter aux entreprises d’avoir à subir des recours portant sur des faits antérieurs à la naissance de cette nouvelle voie de droit [15].

Cette disposition ayant considérablement réduit l’efficacité de l’action de groupe dans les relations de travail [16], elle avait récemment fait l’objet d’une QPC. Constatant que cette disposition revenait à exclure l’application immédiate de la procédure d’action de groupe en matière de discrimination, à la différence des actions de groupe en matière de consommation, de santé et de protection des données personnelles, les requérants lui reprochaient d’avoir institué une différence de traitement contraire au principe d’égalité. Le Conseil constitutionnel avait cependant rejeté la QPC [17]. Pour justifier la différence, il lui avait suffi d’approuver l’objectif du législateur de « permettre aux entreprises de se préparer à la mise en œuvre d’une nouvelle voie de droit » [18]. Le Conseil avait également relevé que la différence était en rapport avec l’objet de la loi : puisque l’action de groupe en matière de discrimination dans les relations de travail pouvait tendre à la réparation des préjudices individuels, il était loisible au législateur de ne pas l’appliquer aux faits antérieurs, contrairement à ce qu’il avait décidé pour l’action de groupe en matière de données personnelles qui ne pouvait servir qu’à obtenir la cessation des manquements (ibid. § 10). En tout état de cause, l’inapplication de l’action de groupe aux faits antérieurs ne privait pas les victimes de garanties égales puisqu’elles avaient toujours la possibilité d’agir selon les voies de droit commun (dans le cadre d’une action prud’homale individuelle en l’occurrence) pour obtenir réparation des préjudices subis (ibid. § 12). Tout grief d’inconstitutionnalité ayant été écarté par le rejet de cette QPC, la limitation temporelle posée par la « LJ21 » était ainsi appelée à compromettre durablement le développement de l’action de groupe en matière de discrimination, les syndicats devant se résigner à tirer un trait sur toutes les affaires remontant sur la période antérieure à l’entrée en vigueur de la loi de 2016.

Le nouveau régime tranche radicalement avec le droit antérieur puisque la loi « DDADUE » n’a pas repris la même restriction d’application dans le temps. Tout porte à croire, en conséquence, que la nouvelle procédure peut s’appliquer à des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi du 30 avril 2025 [19]. Au soutien de cette thèse, deux arguments peuvent être invoqués. D’abord, c’est ainsi que fut interprétée la loi « Hamon » de 2014, à l’origine de l’ancienne action de groupe en matière de consommation. Le législateur d’alors n’ayant prévu aucune disposition relative à l’entrée en vigueur du dispositif, une partie de la doctrine admit qu’il pouvait être appliqué à des faits antérieurs à la promulgation de la loi [20]. Raison d’ailleurs pour laquelle les auteurs du recours devant le Conseil constitutionnel y virent un « caractère rétroactif contraire à la Constitution » [21]. Les Sages balayèrent néanmoins le grief : considérant que les règles relatives à la procédure de l’action de groupe en matière de consommation ne modifiaient pas les règles de fond définissant les conditions de responsabilité d’un professionnel, ils en conclurent que l'application immédiate de ces dispositions ne leur conférait pas un caractère rétroactif (ibid. § 26). Pourquoi devrait-il en être autrement à propos de l’action de groupe universelle ? Les opposants à l’application immédiate de la nouvelle loi (aux faits antérieurs à son entrée en vigueur), s’inspireront sans doute de la décision du Conseil pour renverser l’analyse en prétendant que la loi « DDADUE » ne se contente pas d’aménager une nouvelle voie procédurale, mais créée de nouvelles règles substantielles qu’il est dès lors impossible de faire rétroagir [22]. À l’exception d’une nouvelle sanction civile prévue en cas de faute dolosive ayant causé des dommages sériels [23], on voit mal quel droit substantiel est venu introduire le législateur. Si l’action de groupe permet désormais de cibler un plus grand nombre de manquements de l’employeur (v. infra.), le droit à réparation existait déjà auparavant sur le plan individuel ; l’action de groupe n’est donc qu’une modalité procédurale supplémentaire. On notera ensuite que si le législateur avait voulu réserver l’application de la nouvelle procédure aux faits postérieurs, il l’aurait expressément prévu, comme dans la loi de 2016. En ne le faisant pas (plus), c’est donc qu’il estime que l’action de groupe « nouvelle formule » peut s’appliquer à des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi, dans la limite des règles de prescription évidemment. En revanche, c’est bien parce que la nouvelle sanction civile de l’article 1254 du Code civil modifie les droits des intéressés que la loi « DDADUE » a spécialement limité son application aux faits postérieurs à son entrée en vigueur (art. 16, XVII, F).

Réparation des préjudices antérieurs. En second lieu, la loi de 2016 avait limité l’action de groupe en matière de discrimination dans les relations de travail à la réparation des seuls « préjudices nés après la réception de la demande [faite à l’employeur de faire cesser la situation illicite] [24] » (C. trav., art. L. 1134-8, anc. N° Lexbase : L5902LB9 [25]). Cette limitation temporelle était plus difficilement justifiable par l’objectif économique avancé plus haut. D’après l’exposé des motifs de la loi du 18 novembre 2016, la raison était plutôt à chercher du côté de la finalité première du dispositif en droit du travail : « lorsque l’action sera engagée contre un employeur, privé ou public, son objet sera principalement tourné vers la cessation du manquement : c’est pourquoi ne seront indemnisables dans ce cadre que les préjudices […] subis à compter de la réception de la demande de cesser la discrimination collective » [26]. En somme, c’est parce que l’action de groupe était prioritairement tournée vers la cessation de l’illicite (« la situation de discrimination collective ») que la réparation ne pouvait porter que sur les préjudices individuels nés après la demande faite en ce sens par le syndicat. Cette disposition rendant indispensable la saisine du conseil des prud’hommes par les salariés qui souhaitaient obtenir réparation des préjudices antérieurs [27], il y avait de quoi douter de l’intérêt d’une action de groupe : « sa dimension réparatrice [étant] plus prospective que rétrospective » [28], pourquoi ne pas lui préférer finalement des actions individuelles en série ? Cette limitation était d’autant plus critiquable qu’elle n’existait pas dans les autres actions de groupe, pas même celle créée en matière de discrimination en dehors des relations de travail [29]. Au plus le législateur était-il allé jusqu’à circonscrire la réparation à certains types de préjudices - comme les préjudices matériels en matière de consommation (C. conso., art. L. 623-2, anc.) ou les préjudices corporels en matière de santé (C. santé publ., art. L. 1143-3, ancien N° Lexbase : L2688LB8). Mais c’est seulement en droit du travail qu’il avait posé une telle limitation temporelle à la réparation.

C’est donc une bonne chose, là encore, que la loi « DDADUE » ait abrogé cette disposition restrictive en même temps que toutes les dispositions figurant dans le Code du travail (art. 16, XVII, A, 8°). Dans le nouveau régime unifié, qui ne souffre d’aucune dérogation sur ce point dans le champ des relations de travail, il n’y a pas de limitation temporelle à la réparation des préjudices individuels, à l’exception bien sûr de celle qu’imposent les règles de prescription. En clair, le juge peut donc réparer désormais les préjudices individuels antérieurs à la transmission de la demande faite à l’employeur. C’est un progrès considérable par rapport au régime précédent, toutes les fois notamment où il s’agira de préjudices continus comme en cas de discrimination sur la carrière ou d’atteinte à la santé physique ou mentale du salarié.

En supprimant les deux principales restrictions qui enserraient l’application temporelle de l’action de groupe en droit du travail, la loi du 30 avril 2025 ouvre assurément de nouvelles perspectives. D’autant que le législateur a également élargi le champ d’application matériel de l’action de groupe.

B. Le champ d’application rationae materiae

Des discriminations... À l’origine, l’action de groupe, introduite en droit du travail par la loi du 18 novembre 2016, ne valait qu’en matière de discrimination (C. trav., art. L. 1134-7 N° Lexbase : L5901LB8) [30]. La seule ouverture notable concernait les bénéficiaires de l’action puisque, en plus des salariés, les demandeurs habilités (une organisation syndicale représentative ou une association régulièrement déclarée depuis au moins 5 ans) pouvaient agir au profit de candidat(s) à un emploi, à un stage ou à une formation professionnelle.

Cette limitation au seul domaine des discriminations a largement contribué - avec les restrictions précédemment évoquées - à minimiser l’usage de l’action de groupe dans les relations de travail. La loi de 2016 avait tout d’une occasion manquée. Certes, le droit du travail entrait dans le cercle très fermé des branches du droit autorisant une action de groupe. Mais le champ des discriminations était probablement le moins adapté à l’acclimatation de cette nouvelle voie de droit à la mécanique subtile, au stade de la constitution des groupes comme à celui de l’évaluation des préjudices individuels. Les échecs accumulés les premières années et, surtout, l’absence, presque 10 ans après son introduction, de la moindre décision sur le fond, attestent que la marche était sans doute trop haute.

… aux manquements de l’employeur. La création d’un régime unifié de l’action de groupe ne pouvait que s’accompagner d’un élargissement de son champ matériel. L’ouverture était en germe dans le « socle commun » posé par la loi du 18 novembre 2016, puisque l’action de groupe était déjà largement admise « lorsque plusieurs personnes placées dans une situation similaire subiss[ai]ent un dommage causé par une même personne, ayant pour cause commune un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles ». Seulement, comme le « socle commun » était applicable sous réserve des dispositions des anciens articles L. 1134-6 à 10 du Code du travail qui, on vient de le voir, limitaient l’action de groupe aux discriminations, la notion de manquement aux obligations légales et contractuelles fut immédiatement réduite à ces situations.

L’abandon des régimes sectoriels antérieurs a complétement décloisonné l’action de groupe. Aux termes de l’article 16, I, A de la loi du 30 avril 2025, « une action de groupe est exercée en justice par [l’un des demandeurs attitrés] pour le compte de plusieurs personnes physiques ou morales, placées dans une situation similaire, résultant d'un même manquement ou d'un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles commis par une personne agissant dans l'exercice ou à l'occasion de son activité professionnelle […] » [31]. Si l’employeur n’est pas formellement visé, il entre sans peine dans le champ du nouveau texte. La disposition attribuant qualité pour agir aux organisations syndicales représentatives lève de toutes façons les derniers doutes. On peut lire que l’action de groupe vise, outre la lutte contre les discriminations et la protection des données personnelles, la cessation du manquement de l’employeur ou la réparation du dommage causé par ce manquement (art. 16, I, F). En revanche, par recoupement des textes I, A et I, F, seule une personne ayant la qualité d’employeur pouvant faire l’objet d’une action de groupe, cette dernière semble exclue contre plusieurs employeurs en même temps, ou contre un regroupement de personnes morales n’ayant pas la qualité d’employeur, tels qu’un groupe de sociétés ou une unité économique et sociale.

Quid des obligations conventionnelles ? L’élargissement du champ matériel a une portée potentiellement considérable. Déjà parce que les règles de droit du travail présentant essentiellement un caractère déontique à l’endroit de l’employeur, il ne sera pas difficile d’identifier une obligation à sa charge. Ensuite parce que, par une convention de langage consacrée en légistique, l’adjectif « légal » couvre aussi bien les textes de loi que les dispositions réglementaires. Il y a, en revanche, matière à interrogation s’agissant des obligations créées par des conventions et accords collectifs de travail [32]. Une lecture littérale commanderait de les exclure du champ : une obligation conventionnelle n’est pas, à strictement parler, une obligation légale ou contractuelle, sauf à soutenir que les conventions et accords collectifs sont des types de contrats… Il nous semble cependant que l’article 16 ne doit pas être pris au pied de la lettre : en abandonnant l’approche sectorielle qui prédominait jusque-là, le législateur était condamné à se concentrer sur les sources classiques d’obligations que sont la loi et le contrat. Il serait donc particulièrement malvenu de tirer prétexte des formules générales qu’imposait l’édification d’un régime commun pour dire que les obligations conventionnelles de l’employeur sont hors champ [33]. Si l’on rejoint certains auteurs pour dire que l’action de groupe ne doit pas servir à « “nettoyer” le tissu conventionnel » [34] en offrant aux syndicats un moyen comparable aux actions en nullité ou en exception d’illégalité, nous pensons que celle-ci a en revanche toute sa place pour faire condamner un employeur qui manquerait aux obligations (de faire, de payer) qu’une convention ou un accord collectif met unilatéralement à sa charge.

En supprimant les restrictions temporelles et matérielles qui obéraient l’application de l’action de groupe en droit du travail depuis 2016, la loi « DDADUE » lui donne comme une nouvelle vie : sortie du champ étroit des discriminations, elle a désormais vocation à s’appliquer en présence de tout manquement de l’employeur, pour le passé et sans autre limite temporelle que la prescription. Reste à savoir si ses conditions de mise en œuvre sont à la hauteur d’une telle volonté d’ouverture.

II. La mise en œuvre de l’action de groupe en droit du travail

La généralisation observée quant au champ d’application de l’action de groupe en droit du travail n’a pas la même ampleur à propos de ses conditions de mise en œuvre. Si la réforme unifie la phase de liquidation des préjudices - en introduisant dans le champ des relations de travail la possibilité d'une procédure collective là où seule existait une procédure individuelle (B.) -, une spécificité non négligeable persiste. Contrairement au régime de droit commun qui a abandonné l'exigence d’une mise en demeure, l’action de groupe en droit du travail reste subordonnée au respect d’une demande préalable à l'employeur (A.).

A. La survivance d’une demande préalable

Action attitrée des syndicats représentatifs. La loi « DDADUE » n’a pas formellement élargi le cercle des titulaires de l’action de groupe en droit du travail. Comme à son origine, en 2016, la qualité pour agir est réservée aux organisations syndicales représentatives dans l’entreprise ou l’établissement, la branche professionnelle ou au niveau national et interprofessionnel [35]. En revanche, il n’est plus fait expressément mention de la qualité pour agir des associations intervenant dans la lutte contre les discriminations ou œuvrant dans le domaine du handicap au bénéfice des candidats à un emploi, à un stage ou à une formation professionnelle. Est-ce à dire que ces groupements ne peuvent plus exercer une telle action ? Rien n’est moins sûr.

L'absence de mention expresse des associations s'explique vraisemblablement par l'élargissement du champ matériel : puisque l'action de groupe allait couvrir désormais tout manquement de l'employeur, la mention des seules associations antidiscriminatoires n'était plus justifiée. Cette évolution ne leur interdit pas pour autant d'agir au profit de candidats à un emploi, un stage ou une formation professionnelle. Elles devront simplement satisfaire aux conditions générales de qualité pour agir fixées par le régime de droit commun, en particulier l'obtention d'un agrément administratif (art. 16, I, C, 1) [36]. Sans compter que, dans le cas où l’action de groupe vise la seule cessation d’un manquement, le régime de droit commun élargit encore un peu plus le cercle des titulaires en y intégrant les associations régulièrement déclarées depuis au moins deux ans, à conditions qu’elles justifient d’une activité effective et publique pendant vingt-quatre mois et que leur objet statutaire comporte explicitement la défense des intérêts en cause (ibid.). Si la qualité pour agir des associations n’est donc pas totalement exclue dans le champ des relations de travail [37], elle semble néanmoins avoir été invisibilisée. Cet élément est à mettre en parallèle avec l’élargissement du cercle des personnes pour le compte desquelles une action de groupe est possible. Le nouveau régime visant plus largement « les personnes placées sous l’autorité de l’employeur », une action de groupe peut donc être menée au profit des salariés dudit employeur, mais aussi des stagiaires de l’entreprise ou plus largement encore des travailleurs mis à disposition de celle-ci (par un sous-traitant, un franchiseur, ou une autre entreprise du groupe, etc.).

Donner sa chance au dialogue social dans l’entreprise. La loi de 2016 avait instauré une mise en demeure obligatoire dans le « socle commun » [38], tout en prévoyant un régime dérogatoire pour les relations de travail (C. trav., art. L. 1134-9, ancien N° Lexbase : L1872LBX). La loi « DDADUE » inverse cette logique : elle supprime la mise en demeure du droit commun mais maintient quasi intégralement la procédure travailliste (art. 16, I, F). Ainsi, « avant l’engagement d’une action de groupe », le demandeur - syndicat représentatif ou association agréée - doit toujours adresser à l'employeur une demande de cessation du manquement allégué.

L’employeur a alors un mois pour en informer le comité social et économique (CSE), s’il existe, ainsi que les organisations syndicales représentatives (OSR) dans l’entreprise. C’est seulement si le CSE ou une OSR dans l’entreprise le demande que l’employeur est tenu d’engager une « discussion » sur les mesures permettant de faire cesser le manquement allégué. Même si le législateur s’est gardé de dire entre qui doit se tenir la discussion (seuls sont précisés le débiteur - l’employeur - et l’objet - les mesures - de l’obligation déclenchée par l’initiative du CSE ou d’une OSR dans l’entreprise), on voit bien qu’il a voulu favoriser l’existence d’un dialogue interne entre la direction et les représentants du personnel. D’ailleurs, ce fut l’une des pistes avancées à l’époque pour expliquer le choix de confier la qualité pour agir aux seuls syndicats représentatifs : l’action de groupe leur aurait été réservée parce qu’eux seuls ont la capacité juridique de négocier et de conclure une convention ou un accord collectif de travail [39]. Cette « discussion » ne serait qu’une forme de dialogue social ne disant pas son nom.

L'organisation de cette « discussion » obéit aux règles classiques de la négociation collective : convocation de toutes les OSR par l'employeur et respect des conditions de seuil en cas d'accord (C. trav., art. L. 2232-12 N° Lexbase : L8604LGR et L. 2232-13 N° Lexbase : L8603LGQ). Cette procédure ne saurait cependant être instrumentalisée pour restreindre davantage l'accès à l'action de groupe, par exemple en conditionnant la qualité pour agir à la participation à ces négociations. L’inquiétude vient de la lecture - très discutable - que la Chambre sociale a récemment faite du régime encadrant l’exercice du droit de grève dans les services publics de transport terrestre régulier de personnes. Constatant que le dépôt d'un préavis de grève ne peut intervenir qu'après une négociation préalable entre l'employeur et la ou les OSR qui envisagent de déposer le préavis, et que cette négociation a pour objet de tenter de parvenir à un accord et d'éviter le déclenchement de la grève envisagée dans l'entreprise, les Hauts magistrats ont jugé que seules les OSR au sein de cette entreprise peuvent procéder au dépôt d'un préavis de grève [40]. Ne serait-il pas tentant de suivre le même raisonnement et de considérer que seuls les syndicats représentatifs dans l’entreprise ont qualité pour agir dès lors qu’ils sont les seuls habilités à pouvoir négocier ? En vérité, ce serait méconnaitre la lettre du texte de l’article 16, I, F qui ne fait pas explicitement de la négociation collective une condition préalable à l’engagement de l’action de groupe, et qui, surtout, se réfère à trois niveaux de représentativité, sans les hiérarchiser [41]. En conséquence, la qualité pour agir devrait être largement reconnue à tout syndicat représentatif dont les statuts lui confèrent le pouvoir de représenter les membres de l’entreprise victimes des manquements constatés. Suivant ce principe de simple « couverture », et sans priorité entre les niveaux, il pourrait donc s’agir d’un syndicat représentatif dans l’entreprise ou l’établissement, ou d’un syndicat représentatif de la branche dont relève l’entreprise ou de l’un des cinq syndicats reconnus représentatifs au niveau national interprofessionnel.

Il faut bien voir toutefois que cette conception élargie de la qualité pour agir, que permet la lettre du texte, pourrait déboucher sur des conflits de « représentativité » (entendue au sens large). Par exemple, lorsqu’un syndicat représentatif au niveau national interprofessionnel décidera d’agir dans une entreprise où la représentation du personnel n’est assurée que par un CSE. Ou encore, lorsqu’une association agréée engagera l’action dans une entreprise pourvue de syndicats représentatifs. Ou, ce qui sera sans doute le plus fréquent, lorsque l’action sera menée par l’un des syndicats représentatifs d’une entreprise. Dans toutes ces hypothèses, le demandeur à l’action ne risquera-t-il pas d’être dépossédé de l’objet de son action par le dialogue social menée par ou avec d’autres représentants du personnel ? Et si un « vrai » accord collectif venait à être conclu dans ce contexte ou, sans aller jusque-là, si l’employeur prenait un engagement unilatéral à cette occasion, quelle incidence cela aurait-il sur la suite de la procédure ? Le juge saisi de l’action de groupe pourrait-il (devrait-il ?) prendre en compte le résultat de ce dialogue social interne, possiblement réalisé en dehors du demandeur ?

Un délai d’attente uniquement pour l’action en cessation de l’illicite ? S’écartant encore du « socle commun », qui posait un délai d’attente de 4 mois entre la mise en demeure et la saisine du juge quelle que fut la finalité de l’action de groupe, cessation ou réparation [42], l’ancien article L. 1134-9 du Code du travail N° Lexbase : L1872LBX empêchait la saisine du juge avant l’écoulement d’un délai plus long (6 mois) à compter explicitement seulement d’une demande tendant à faire cesser la discrimination, ou à compter du refus de la demande par l’employeur. Si certains processualistes s’étaient déjà interrogés sur la possibilité de réserver cette condition d’irrecevabilité aux actions visant uniquement la cessation de la situation discriminante et de l’exclure donc pour celles portant sur l’indemnisation des préjudices [43], la suggestion avait eu peu d’écho au sein de la doctrine travailliste. Il faut dire qu’à l’époque, l’action de groupe discrimination en droit du travail était prioritairement tournée vers la cessation du manquement et éventuellement seulement (« le cas échéant ») vers la réparation (C. trav., art. L. 1134-8, ancien N° Lexbase : L1871LBW). On comprend alors mieux pourquoi le législateur liait autant condition de recevabilité et demande tendant à la cessation du manquement : puisque l’action de groupe était avant tout conçue comme une action en cessation du manquement (en matière discrimination), il était logique que le législateur n’ait vu qu’elle lorsqu’il a formulé ce délai d’attente pour saisir le juge. Et puis rappelons que seule la procédure individuelle de liquidation des préjudices était alors applicable. Si discussion/négociation il pouvait y avoir, c’était nécessairement en amont du jugement sur la responsabilité.

La question prend aujourd’hui un tout autre relief sous l’empire de l’article 16, I, F. C’est que la conception de l’action de groupe en droit du travail a sensiblement changé. En application du régime de droit commun, elle vise soit à la cessation du manquement, soit à la réparation des préjudices, soit aux deux à la fois (art. 16, I, A). Une action de groupe en droit du travail peut donc être tournée vers la seule réparation des préjudices, ce qui n’est évidemment pas à exclure lorsque le manquement a pris fin. En outre et surtout, rompant avec la logique antérieure, l’action de groupe en droit du travail est désormais éligible à la procédure collective de liquidation des préjudices individuels (v. infra.).

Intégrant ces changements, il est donc possible de proposer une interprétation dualiste de l’article 16, I, F. Prenant le texte à la lettre, on pourrait soutenir que ce serait seulement lorsque l’action de groupe viserait (même partiellement) la cessation d’un manquement que le demandeur devrait solliciter préalablement l’employeur pour « faire cesser le manquement allégué » et, en conséquence, qu’il ne pourrait saisir le juge avant l’expiration d’un délai de six mois « à compter de la demande tendant à faire cesser le manquement ou à compter de la notification par l'employeur du rejet de la demande » [44]. Sinon, pourquoi le législateur aurait-il pris soin d’introduire cette précision à deux reprises dans le texte ? En revanche, chaque fois que l’action de groupe viserait exclusivement la réparation des préjudices, il n’y aurait pas lieu d’exiger de demande préalable : le demandeur à l’action de groupe pourrait donc saisir immédiatement le juge sans se voir opposer le respect du délai de 6 mois. L’exclusion de la demande préalable et du délai de 6 mois s’imposerait tout particulièrement dans les affaires où le manquement de l’employeur a définitivement cessé. Prenons l’exemple de licenciements collectifs pour motif économique dont la justification, au sens de l’article L. 1233-3 du Code du travail N° Lexbase : L1446LKR, serait contestée. À quoi bon demander à l’employeur de faire cesser le manquement ? Peut-on imaginer que l’employeur discutera d’un éventuel retour des salariés dans l’entreprise alors qu’il a consacré plusieurs mois à convaincre le CSE et éventuellement les OSR du bien-fondé de sa décision ? Pourquoi faudrait-il attendre 6 mois pour statuer sur la réparation du préjudice pour perte injustifiée d’emploi ? C’est d’autant moins compréhensible que la prescription en matière de licenciement économique est seulement d’un an (C. trav., art. L. 1235-7 N° Lexbase : L7304LHY) et que, dans le régime de l’action de groupe, c’est la saisine du juge qui suspend les prescriptions individuelles et non la demande préalable… (art. 16, IX, A) [45]. La durée de la prescription d’un an risquerait donc d’être en grande partie consommée par le temps inutilement consacrée à la demande préalable et le délai de 6 mois. À ceux qui s’inquièteraient de voir disparaitre le temps du dialogue social, on répondra qu’une négociation sera toujours possible dans le cadre et aux conditions de la procédure collective (donc entre l’employeur et le demandeur seulement).

B. La possibilité d’une liquidation collective des préjudices

Cessation du manquement. La loi « DDADUE » n’a pas modifié les deux finalités que vise l’action de groupe, à savoir la cessation du manquement et/ou la réparation des préjudices, ni les modalités procédurales qui sont pour l’essentiel les mêmes que dans le régime antérieur (CPC, art. 848 N° Lexbase : L6811NAI et s.) [46]. Lorsqu’elle tend à la cessation du manquement, « le demandeur n'est tenu d'établir ni un préjudice pour les membres du groupe, ni l'intention ou la négligence du défendeur » (art. 16, II). En revanche, dès l’introduction de l’instance, le président de la chambre saisie ou à laquelle l'affaire a été distribuée ou le juge de la mise en état peut d'office, par ordonnance motivée et après avoir invité les parties à présenter leurs observations, rejeter les demandes manifestement irrecevables ou manifestement infondées (CPC, art. 849-2 N° Lexbase : L9266LTD). Un appel est possible dans les 15 jours de la décision. Tendue vers la cessation du manquement, l’action de groupe ne se distingue guère de l’action syndicale au nom de l’intérêt collectif de la profession [47], surtout depuis que la Chambre sociale a considérablement réduit son l’objet. Rappelons que, depuis deux arrêts de 2023, le syndicat agissant sur le fondement de l’article L. 2132-3 du Code du travail N° Lexbase : L2122H9H peut seulement agir en justice pour faire reconnaître l'existence d'une irrégularité commise par l'employeur au regard de dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles ou au regard du principe d'égalité de traitement et demander, outre l'allocation de dommages-intérêts en réparation du préjudice ainsi causé à l'intérêt collectif de la profession, qu'il soit enjoint à l'employeur de mettre fin à l'irrégularité constatée, le cas échéant sous astreinte [48]. Si l’on met de côté la réparation du préjudice porté à l’intérêt collectif, l’objet se confond parfaitement avec celui de l’action de groupe en cessation du manquement : « si le juge constate l’existence du manquement, il enjoint à l’employeur de cesser ou de faire cesser le manquement et de prendre, dans un délai qu’il fixe, toutes les mesures utiles à cette fin, au besoin avec l’aide d’un tiers qu’il désigne » (art. 16, II). Faut-il aller jusqu’à considérer, comme certains commentateurs le suggèrent déjà [49], que l’action de groupe en cessation du manquement devrait s’imposer comme la voie normale, interdisant ainsi d’agir aux mêmes fins au nom de l’intérêt collectif de la profession ? Ce serait oublier un peu vite que l’action prévue par l’article L. 2132-3 du Code du travail est ouverte à tout syndicat, y compris non représentatif. Et puis l’action de groupe présente deux originalités. D’une part, le juge de la mise en état pourra ordonner toutes les mesures provisoires utiles pour faire cesser le manquement allégué afin de prévenir un dommage imminent ou de faire cesser un trouble manifestement illicite (art. 16, II). L’ombre du référé conservatoire interroge dès lors que le juge de la mise en état dispose déjà d’un pouvoir équivalent, sans avoir à justifier de telles conditions (C. civ., art. 789, 4° N° Lexbase : L9862HNL). D’autre part, lorsque le juge prononce une astreinte, celle-ci est liquidée au profit d’un fonds consacré au financement des actions de groupe, et non au Trésor public comme c’était le cas antérieurement (ibid.) [50].

Réparation du préjudice. Lorsque qu’elle tend à des fins indemnitaires, l’action de groupe « nouvelle formule » présente deux innovations en droit du travail. La première découle indirectement de l’élargissement de son champ matériel. Là où, auparavant, seule la réparation des préjudices liés à une discrimination était envisageable, le spectre est désormais plus large, l’action de groupe pouvant viser tout manquement de l’employeur à ses obligations légales et contractuelles. Pourraient ainsi être réparés les préjudices les plus divers : préjudice en cas d’atteinte à la santé physique et mentale (dans l’hypothèse d’un harcèlement moral systémique ou de méconnaissance des temps de repos ou des durées maximales), préjudice pour perte injustifiée d’emploi (lorsque les conditions du transfert légal ne sont pas réunies ou qu’un licenciement collectif ne repose pas sur un motif économique valable), préjudice pour atteinte au droit au respect de la vie privée ou à la protection des données personnelles (en cas de surveillance illicite ou déloyale, ou de fuites des données), préjudice d’anxiété (en cas d’exposition à l’amiante ou à toute autre substance toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave), préjudice pour perte de chance (en cas d’absence d’affiliation à un régime de retraite complémentaire), etc. [51]. Le champ des possibles s’ouvrirait encore davantage si l’on admettait d’y inclure les manquements aux obligations prévues par les conventions ou accords collectifs de travail (particulièrement nombreuses en matière de rémunération et de temps de travail). C’est assurément dans l’ouverture de ces nouvelles perspectives de réparation que réside l’un des principaux apports de la loi « DDADUE ». Les demandes de réparations individuelles étant impossibles dans le cadre d’une action au nom de l’intérêt collectif de la profession, il y a fort à parier que les syndicats sont déjà en train de revoir leurs stratégies contentieuses : plutôt que de batailler à corps perdus contre la jurisprudence restrictive de la Chambre sociale, ils devraient se tourner massivement vers l’action de groupe pour obtenir réparation des préjudices sériels.

Quid des « rappels de salaire » ? Le succès de l’action de groupe dépendra néanmoins de sa capacité à accueillir les demandes fondées sur le non-paiement de sommes dues en contrepartie du travail des salariés. Pour le dire de façon imagée : action de groupe et rappel de salaires feront-ils bon ménage ? La question est éminemment centrale car c’est à propos des obligations de sommes d’argent que le montant des préjudices sera la plus facile à « sérier » en présence de cohortes importantes de salariés. Pour y échapper, les employeurs et leurs conseils seront tentés de soutenir que ces demandes en « rappel de salaires » devraient relever en principe d’une action en exécution forcée du contrat, et qu’elles ne sauraient donc constituer la réparation du préjudice résultant de l’inexécution d’une obligation. Il faut se préparer à entendre à nouveau cette vielle antienne hostile à l’idée même d’une « responsabilité contractuelle »… Pourtant, il y a longtemps que cette thèse est démentie par le droit applicable. Si le Code civil permet l’exécution forcée en nature d’une obligation, il autorise aussi le créancier à demander la réparation des conséquences de l’inexécution de cette obligation (C. civ., art. 1217 N° Lexbase : L1986LKR). Or, lorsqu’il s’agit d’une obligation de somme d’argent, comme pour le salaire et ses accessoires, la distinction est fine pour ne pas dire inexistante. Les dommages et intérêts dus au créancier pouvant correspondre à « la perte qu’il a faite » (C. civ., art. 1231-2 N° Lexbase : L0614KZR), le salarié devrait donc pouvoir réclamer à ce titre l’intégralité des éléments de salaire dont il a été privées ; ce qui ne l’empêcherait pas de pouvoir prétendre, en outre, à la réparation des préjudices proprement consécutifs au non-paiement du salaire…. La mise en place d’une prescription spéciale en matière salariale (C. trav., art. L. 3245-1 N° Lexbase : L0734IXH) nous a conduit à oublier la vraie nature du mal nommé « rappel de salaire » [52], qui n’est autre qu’une créance de réparation pour perte subie. Et s’il y avait encore des réticences à admettre que l’action de groupe permet la réparation du préjudice pour perte de salaire, on relèvera que l’article 16, III, A, 1 autorise le juge à procéder à la réparation en nature du préjudice « lorsqu’elle lui parait la plus adaptée ».

Négocier la réparation, une nouvelle mission pour les syndicats ? L’autre innovation consiste dans l’introduction en droit du travail de la procédure collective de liquidation des préjudices, auparavant exclue par la loi de 2016 (C. trav., art. L. 1134-10, ancien N° Lexbase : L8580LGU). Pour en comprendre la portée, il faut rappeler que l’action en réparation s’articule autour de deux phases contentieuses : l’établissement de la responsabilité et la liquidation des préjudices. Lors de la première phase, le juge statue sur la responsabilité de l’employeur à partir des cas individuels présentés par le syndicat et, dans l’affirmative, ordonne à l’employeur les mesures de publicité adaptées pour informer les salariés susceptibles d’avoir subi le ou les dommages causés par le manquement constaté [53]. Dans le même jugement sur la responsabilité, le juge définit aussi le groupe de personnes à l’égard desquelles la responsabilité de l’employeur est engagée, désigne les types de préjudices devant faire l’objet d’une réparation, détermine le montant de ces préjudices ou à tout le moins les éléments permettant leur évaluation, fixe le délai dans lequel les personnes répondant aux critères peuvent adhérer au groupe (ce délai devant être compris entre 2 mois et 5 ans), de même que le délai dont dispose l’employeur pour procéder à l’indemnisation et, enfin, le délai (à l’issue du précédent délai) dans lequel les salariés peuvent saisir le juge ayant statué sur la responsabilité (le tribunal judiciaire donc, pas le conseil des prud’hommes) des demandes d’indemnisation auxquelles l’employeur n’aura pas fait droit (art. 16, III, A, 1). S’ouvre alors une seconde phase, au cours de laquelle les personnes souhaitant adhérer au groupe adressent une demande de réparation soit à l’employeur qui peut indemniser directement la victime, soit au syndicat qui reçoit alors mandat aux fins d’indemnisation (art. 16, III, B, 1). En tout état de cause, à l’issue du délai prévu dans le jugement, les salariés dont la demande de réparation n’aurait pas été satisfaite peuvent toujours saisir le tribunal judiciaire ayant statué sur la responsabilité aux fins de réparation de leur préjudice individuel [54].

À côté de cette procédure individuelle de liquidation des préjudices qui était la seule applicable jusque-là en droit du travail, la loi « DDADUE » a ouvert la possibilité à une procédure collective. Ce mécanisme n’a cependant rien d’automatique ; encore faut-il que le syndicat « le demande et que les éléments produits ainsi que la nature des préjudices le permettent » (art. 16, III, A, 2) [55]. Par ailleurs, l’adoption de cette procédure justifie quelques adaptations par rapport au schéma précédent. Au stade du jugement sur la responsabilité, il faut logiquement que le juge habilite le syndicat à négocier avec l’employeur l’indemnisation des préjudices subis par chacune des personnes constituant le groupe. Pour qu’il y ait matière à négocier, on peut penser que le jugement déterminera moins le montant exact des préjudices que les catégories de préjudices réparables ainsi que leurs critères d’évaluation. Il faut aussi qu’il définisse les délais et modalités de cette négociation, et notamment le délai - qui ne peut être inférieur à six mois - au-delà duquel, en l’absence d’accord, le juge statuera sur les préjudices susceptibles d’être réparés (ibid.). En somme, une confiance aveugle n’est pas laissée aux parties ; si celles-ci ne parviennent pas à trouver un accord, le juge pourra reprendre la main et examiner les demandes individuelles de réparation. Notons qu’une amende civile d’un montant maximal de 50 000 euros pourra être prononcée contre l’employeur ou le syndicat lorsqu’il a, de manière dilatoire ou abusive, fait obstacle à la conclusion de l’accord [56]. Dans le cadre de cette procédure collective, l’adhésion au groupe ne peut se faire qu’auprès du syndicat (art. 16, III, B, 2, a). C’est lui qui centralise et formule les demandes d’indemnisation pour le compte des salariés [57]. La négociation de l’indemnisation ayant lieu sur la même période que l’adhésion au groupe, la seconde devrait naturellement nourrir la première : en dépit du cadrage opéré par le jugement sur la responsabilité, il faut s’attendre à ce que le syndicat s’appuie sur le profil des salariés qui adhérent au fur et à mesure pour affiner sa plateforme de revendications. On peut même prédire que le syndicat n’entrera véritablement en négociation qu’après avoir constitué et analysé le « gros » du groupe de salariés à indemniser.

Le produit de la négociation est également sous contrôle. L’accord d’indemnisation entre l’employeur et le syndicat doit être homologué par le juge ayant statué sur la responsabilité (lequel doit être saisi dans un délai qui ne peut être inférieur à celui fixé pour l’adhésion au groupe). Le juge est autorisé à refuser l’homologation si les intérêts des parties et des membres du groupe lui paraissent insuffisamment préservés au regard des termes du jugement sur la responsabilité (art. 16, III, B, 2, b). Si c’est le cas, il peut alors renvoyer les parties à négocier pour une nouvelle période de deux mois. À défaut de saisine à l’expiration d’un délai d’un an à compter du jour où le jugement ayant ordonné la procédure collective a acquis force de chose jugée, la procédure individuelle prend le relais : les membres du groupe peuvent se tourner vers l’employeur pour obtenir réparation de leurs préjudices (ibid.). Cette hypothèse n’est pas exactement la même que celle - vue plus haut - d’un échec des négociations ; ici, c’est l’absence de saisine aux fins d’homologation qui est envisagée.

La procédure collective de liquidation des préjudices devrait considérablement changer l’approche des syndicats. Moins en raison du contenu de la négociation, ceux-ci étant habitués à négocier des grilles de salaires (au niveau des branches) ou d’indemnisation (dans les PSE) qu’au regard de la démarche qui sous-tend la constitution du groupe, laquelle nécessite de déployer une communication appropriée et de traiter un nombre possiblement important de demandes. Les syndicats en auront-ils les moyens [58] ? Émettons au moins l’hypothèse que l’action de groupe pourrait redynamiser l’action (et renforcer l’image) des syndicats en tissant un lien nouveau avec les salariés, à mi-chemin entre représentation collective, syndicalisme de service et mandat d’indemnisation.


[1] De son vrai nom : « loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes ».

[2] Une première tentative de généralisation de l’action de groupe était intervenue dans le cadre d’une proposition de loi déposée par Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin le 22 décembre 2022. Mais alors que le texte avait été adopté par l’Assemblée nationale puis le Sénat respectivement les 8 mars 2023 et 6 février 2024 (sur cette proposition de loi, l’avis du Conseil d’Etat et du défenseur des droits, v. F. Guiomard, De nouveaux habits pour l’action de groupe, RDT, 2023, p. 282), le processus avait été stoppé par la dissolution. La réforme a refait surface lors de l’examen du projet de loi « DDADUE », sous la forme d’un amendement en commission (amendement « CD177 », adopté le 27 novembre 2024) qui a repris l’intégralité du texte adopté dans sa dernière version par l’Assemblée nationale.

[3] En plus des articles 60 à 84 de la « LJ21 », ont donc été abrogées les dispositions relatives à l’action de groupe en matière de consommation (C. conso., art. L. 623-1 à L. 623-32 et L. 652-1 à 652-2), de santé (CSP, art. 1143-1 à L. 1143-13 et L. 1526-10), d’environnement (C. envir., art. 142-3-1), de données personnelles (loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978, art. 37 et 127), de discrimination (loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, art. 10) et de discrimination en droit du travail (C. trav., art. 1134-6 à L. 1134-10).

[4] Pour une première présentation générale de la loi, v. K. Castanier, L’action de groupe entre dans une nouvelle ère : la réforme tant attendue est promulguée, D. actu, 14 mai 2025 (partie 1) et D. actu, 15 mai 2025 (partie 2).

[5] Pour reprendre l’expression de L. Bloch, Les innovations de la loi dite DDADUE en responsabilité civile et assurances, Resp. civ. et ass., juillet-août 2025, 7.

[6] V. CE, avis, 9 février 2023, sur la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, § 8 [en ligne].

[7] V. not. décret n° 2025-734 du 30 juillet 2025, relatif à la procédure applicable aux actions de groupe et au registre des actions de groupe N° Lexbase : L6897NAP.

[8] Sur ce point, v. H. Croze, La malédiction de l’article 16, Procédures, juillet 2025, 7.

[9] Circ. n° CIV/09/2025 du 1er août 2025 [en ligne].

[10] Suppression de la procédure simplifiée, recours au financement par un tiers, possibilité de rejeter une action manifestement infondée, introduction d’une action de groupe transfrontalière, désignation de tribunaux judiciaires spécialement désignés (sur ce point, v. décret n° 2025-653 du 16 juillet 2025 N° Lexbase : L4160NAC :  Paris, Rennes, Nancy, Lyon, Lille, Bordeaux, Marseille, Fort-de-France), création d’une sanction civile, etc., dont la présentation appellerait un examen approfondi qui dépasse l’ambition de cette étude.

[11] Sur cette extension en dehors du droit du travail, v. K. Castanier, L’action de groupe entre dans une nouvelle ère : la réforme tant attendue est promulguée (partie 1), préc. ; V. Legrand, Droit de la consommation : a-t-on sauvé l’action de groupe ?, LPA, juin 2025.

[12] Pour une première analyse en droit du travail, v. J. Aunis et B. Keddouri, SSL, Réforme de l’action de groupe en matière sociale : changements, zones d’ombre et nouveaux réflexes à acquérir !, SSLn° 2151, 15 septembre 2025.

[13] S. Amrani-Mekki, L'action de groupe du 21e siècle - Un modèle réduit et réducteur ?, JCP G, 2015, 1196 ; M. Peyronnet, D. actu., 11 janvier 2021 ; F. Guiomard, L'action de groupe dans le projet de loi sur la justice du XXIe siècle : un texte d'anesthésie ?, RDT, 2016, 52.

[14] Soit le 20 novembre 2016.

[15] Selon le ministre de la Justice de l’époque, Jean-Jacques Urvoas, défendant l’amendement déposé en ce sens à l’Assemblée nationale le 12 juillet 2016, « Il n’est évidemment pas question de modifier les fondements de la responsabilité de l’auteur d’un dommage mais simplement, compte tenu de l’impact potentiel d’une action de groupe, de donner du temps aux opérateurs économiques pour préparer l’entrée en vigueur de ce texte ».

[16] TJ Paris, 15 décembre 2020, n° 18/04058 N° Lexbase : A69574AW, Dr. ouvrier, juin 2021, p. 321, note F. Guiomard ; SSL, 2021, n° 1941, p. 9, obs. C. Wolmark et A. Bugada ; CA Paris, 6-2, 14 mars 2024, n° 21/07005 N° Lexbase : A09832WC.

[17] Cons. const., décision n° 2024-1123 QPC du 6 février 2025 N° Lexbase : A61076TD, JCP S, 2025, 1056, note A. Bugada.

[18] Cons. const., décision n° 2024-1123 QPC du 6 février 2025 N° Lexbase : A61076TD, §9

[19] Seules les actions introduites avant la publication de ladite loi resteront soumises au régime issu de la loi du 18 novembre 2016 et donc à la limitation temporelle prévue dans son article 92 (art. 16, XVII, E)

[20] En faveur d’une telle analyse, B. Allard et J. Jourdan-Marques, L’action de groupe, Rép. proc. civ. Dalloz, 2021, § 106.

[21] Cons. const., 13 mars 2014, décision n° 2014-690 DC N° Lexbase : A6832MG7, § 25.

[22] Sur ce débat à l’époque de la loi de 2016, v. F. Guiomard, Dr. ouv. juin 2021, p. 321.

[23] C. civ., art. 1254, nouveau N° Lexbase : L4998M9Y.

[24] Sur cet aspect de la procédure, v. infra.

[25] La limitation ne jouait pas, en revanche, à l’égard des candidats à l’emploi, à un stage ou à une période de formation (C. trav., art. L. 1134-8, anc. N° Lexbase : L5902LB9).

[26] On était donc loin de créer une menace financière crédible en faisant craindre aux entreprises pratiquant des discriminations de masse une condamnation à devoir réparer l’entièreté des préjudices individuels de tous les salariés victimes…

[27] P. Adam, L’action de groupe discrimination, Droit social, 2017, p. 638 : « Pareille disposition ne fait pas obstacle à l’indemnisation du préjudice antérieur, mais seulement obligation pour chaque salarié concerné d’engager une action individuelle devant le conseil des prud’hommes. L’action de groupe se vide de l’intérieur ! ».

[28] A. Bugada, Justice du XXIe siècle : l’action de groupe en matière de discrimination dans les relations de travail, Procédures, 2017, p. 20.

[29] Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 N° Lexbase : L8986H39, art. 10, anc..

[30] De façon curieuse, le législateur avait fait le choix de la circonscrire aux seuls motifs de discrimination de l’article L. 1132-1 du Code du travail N° Lexbase : L1000LDE, laissant ainsi hors champ les motifs de discrimination prohibés par d’autres dispositions…

[31] Cette définition provient d’un amendement adopté en commission (« CL 24 », adopté le 11 février 2023) lors de l’examen de la proposition de loi initiale devant l’Assemblée nationale.

[32] Et plus encore à l’égard des engagements unilatéraux et usages que l’on rattache habituellement au « statut collectif ».

[33] Surtout que l’article 16 vise au I, F les manquements de l’employeur « au Code du travail », ce qui n’a évidemment aucun sens au regard de la définition générique donnée au I, A…

[34] A. Bugada, Justice du XXIe siècle : l’action de groupe en matière de discrimination dans les relations de travail, préc..

[35] À la différence de l’action au nom de l’intérêt collectif de la profession qui peut être exercée par tout syndicat, qu’il soit ou non représentatif. Sur la diversité des actions syndicales, v. F. Guiomard, L’action en justice des syndicats dans l’entreprise : « vielle lune », toujours actuelle ?, RDT, 2020, p. 130.

[36] Deux éléments du régime y font encore indirectement allusion au I, F : d’une part, il est fait état d’un « manquement au Code du travail », ce qui couvre évidemment les discriminations dont pourraient être victimes les candidats à un emploi, un stage ou une formation ; d’autre part, la condition de recevabilité posée par le dernier alinéa du F vise aussi l’action menée au bénéfice des candidats à un emploi, à un stage ou à une formation professionnelle, seule référence à l’ancien régime.

[37] On pense à la qualité pour agir des anciennes associations citées dans la lutte contre les discriminations ou de nouvelles associations, comme en matière de lutte contre les violences faites aux femmes ou de défense de l’environnement (les salariés d’une entreprise pouvant faire partie des victimes d’une catastrophe industrielle aux conséquences écologiques et sanitaires majeures, au même titre que la population locale).

[38] Loi n° 2016-1547 N° Lexbase : L1605LB3, art. 64, anc..

[39] En ce sens, A. Bugada, Justice du XXIe siècle : l’action de groupe en matière de discrimination dans les relations de travail, préc..

[40] Cass. soc., 5 février 2025, n° 22-24.601 N° Lexbase : A60636TQ, Droit social, 2025, p. 270, obs. critiques Ch. Radé.

[41] C’est là une différence fondamentale avec l’exercice du droit de grève qui oblige à combiner deux textes, le texte général sur le dépôt d’un préavis de grève dans les entreprises gérant un service public (C. trav., art. L. 2512-2 N° Lexbase : L0240H9R) et un texte spécial sur l’alarme sociale dans les entreprises de transport gérant les services publics de transport terrestre régulier de personnes (C. transp., art. L. 1324-2 N° Lexbase : L8113INS).

[42] Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 N° Lexbase : L1605LB3, art. 64, anc..

[43] B. Allard et J. Jourdan-Marques, L’action de groupe, préc., § 229.

[44] La rédaction du délai de saisine n’a pas été clarifiée par le législateur depuis la loi de 2016. Le dédoublement de la locution « à compter », après la mention « à l’expiration du délai de 6 mois », pourrait laisser penser que ledit délai court soit à compter de la demande, soit à compter du refus de l’employeur, laissant ainsi craindre, dans cette dernière hypothèse, que le délai de 6 mois pourrait s’ajouter au délai que l’employeur prendra à refuser… En vérité, il faut croire que la saisine du juge intervient soit à compter de l’expiration du délai de 6 mois après la demande, soit immédiatement à compter du refus de l’employeur. Cette lecture n’empêchera pas les stratégies dilatoires, un employeur pouvant tarder à exprimer formellement son refus pour rendre irrecevable la saisine du juge…

[45] Précisément, l’action de groupe, qu’elle tende à la cessation du manquement ou à la réparation des préjudices, suspend la prescription des actions individuelles en réparation des préjudices résultant des manquements constatés par le juge ou des faits retenus dans l’accord homologué. Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieur à six mois, à compter de la date à laquelle le jugement n’est plus susceptible de recours ordinaire ou de pourvoi en cassation ou à compter de la date d’homologation de l’accord (art. 16, IX, A).

[46] Pour une présentation plus détaillée de ces règles de procédure, v. J. Aunis et B. Keddouri, préc..

[47] Sur ce rapprochement, v. F. Guiomard, L'action de groupe dans le projet de loi sur la justice du XXIe siècle : un texte d'anesthésie ?, préc. : « Cette procédure n’est en réalité pas une action de groupe […]. Elle n’apporte rien de spécifique par rapport aux actions collectives existantes en droit du travail ». Cette critique rejoint celle, plus large, selon laquelle l’action de groupe étant par principe une action en réparation d’un préjudice individuel, elle ne peut pas se limiter à la cessation du manquement, qui est étrangère à toute idée de réparation (v. not. N. Dupont et M.-J. Azar-Baud, Action de groupe et actions collectives classiques : concurrence ou complémentarité ? Étude à partir du droit de la consommation, CCC, 2018, n° 11, étude 15).

[48] Soc. 22 novembre 2023, n° 22-14.807 N° Lexbase : A664713L et n° 22-11.238 N° Lexbase : A664513I, FS-B, RDT, 2023, 791, note S. Mraouahi ; Bull. Joly Travail, 2024, n° 2, p. 20, obs. A. Martinon. V. égal. Cass. soc., 22 janvier 2025, n° 23-17.782, F-B, F-B N° Lexbase : A39376RA, Droit social, 2025, p. 285, note Ch. Radé. V. aussi plus largement, J.-G. Huglo, Intérêt collectif et trouble social - Questions sensibles de droit du travail, Droit social, 2025, p. 213.

[49] J. Aunis et B. Keddouri, préc..

[50] Cette réforme a été en partie suggérée par un auteur (P. Adam, L’action de groupe discrimination, préc.) qui proposait quant à lui le versement à ce fonds d’un pourcentage du montant global des dommages-intérêts alloués.

[51] En revanche, devraient en être exclues les actions en réparation des AT/MP qui relèvent de la compétence exclusive des juridictions de Sécurité sociale, aux termes de l’article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L4467ADS (en ce sens, F. Guiomard, De nouveaux habits pour l’action de groupe, préc.).

[52] C’est particulièrement vrai lorsque, sous le couvert d'une demande de dommages-intérêts pour absence de répartition des horaires sur le contrat de travail, un salarié demande le paiement d'une créance de rappel de salaire apparemment prescrite (Cass. soc., 28 mars 2018, n° 12-28.606, FS-P+B N° Lexbase : A8681XID ; Cass. soc., 4 novembre 2021, n° 19-21.280, F-D N° Lexbase : A07577BN).

[53] De la même manière, dès l’introduction de l’instance, le juge peut rejeter l’action si elle est manifestement infondée (art. 16, I, G ; CPC, art. 849-2 N° Lexbase : L9266LTD).

[54] Comme prévu antérieurement (loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, art. 78, anc.), le jugement sur la responsabilité a autorité de la chose jugée à l'égard de chacun des membres du groupe dont le préjudice a été réparé au terme de la procédure (art. 16, IX, B). On croit comprendre que si les salariés ayant adhéré au groupe n’ont pas été indemnisés ou ont reçu une indemnisation insuffisante, il leur faut nécessairement se tourner vers le tribunal ayant statué sur la responsabilité dans le délai qu’il a lui-même fixé dans le jugement, à défaut de quoi ils se verraient opposer l’autorité de la chose jugée du jugement sur la responsabilité s’ils venaient à saisir le conseil des prud’hommes de ces demandes. La situation est en revanche différente pour les salariés n’ayant pas adhéré au groupe, ceux-ci restant entièrement libres d’engager une action prud’homale individuelle sans prendre le risque de la voir juger prescrite puisque l’action de groupe « suspend la prescription des actions individuelles en réparation des préjudices résultant des manquements constatés par le juge » (art. 16, IX, A).

[55] La procédure collective est exclue pour la réparation des préjudices corporels (art. 16, III, A, 2).

[56] Somme dont le montant maximal n’aura sans doute pas le même effet dissuasif sur un « petit » syndicat d’entreprise ou une « grande » firme internationale…

[57] Le délai de saisine pour homologation de l’accord ne peut être inférieur au délai fixé pour l’adhésion (art. 16, III, 2, b). C’est donc bien que la négociation de l’accord a vocation à intervenir pendant le temps de l’adhésion.

[58] Pour les y aider, la loi prévoit que le juge peut condamner le défendeur au paiement d’une provision à valoir sur les frais non compris dans les dépens exposés par le demandeur, y compris les frais d’assistance afférents à la gestion des demandes d’indemnisation présentés par les membres du groupe (art. 16, III, A, 2).

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