Le Quotidien du 19 juin 2025

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Actualité judiciaire

[A la une] Huit ans après l’éclatement du « Penelope Gate », François Fillon échappe au bracelet électronique

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par Axel Valard

Le 18 Juin 2025

C’est peut-être le point final de toute l’affaire Fillon que la cour d’appel de Paris a posé mardi 17 juin, sur huit années de procédure. L’ancien locataire de Matignon sous Nicolas Sarkozy a échappé au bracelet électronique en écopant, finalement, d’une peine de quatre ans de prison avec sursis pour « détournement de fonds publics » dû aux emplois fictifs de son épouse, Penelope, qu’il avait embauchée comme assistante parlementaire lorsqu’il était député.

Absent lors de l’annonce du délibéré, François Fillon, 71 ans aujourd’hui, a également écopé d’une peine de 375 000 euros d’amende et de cinq ans d’inéligibilité. Il s’agit d’une peine en deçà de celle annoncée le 9 mai 2022 par la même cour d’appel autrement composée. A l’époque, quatre ans de prison dont un an ferme et dix ans d’inéligibilité avaient été prononcés à son encontre.

Une décision partiellement annulée, en 2024, par la Cour de cassation. À l’époque, la plus haute juridiction française avait définitivement confirmé la culpabilité de l’ancien Premier ministre mais estimé, en parallèle, que la peine de prison ferme qui lui avait été infligée n’était pas suffisamment motivée, sur le fondement d’une lecture stricte de l’article 132-19 du Code pénal N° Lexbase : L7614LPP. D’où une nouvelle audience le 29 avril dernier. Et cette décision plus clémente rendue aujourd’hui.

Non, Penelope Fillon n’a pas vraiment travaillé.

« C’est une décision qui après quelques années vient remettre cette affaire à sa bonne place, a sobrement commenté Antonin Lévy qui défend l’ancien candidat de la droite à l’élection présidentielle depuis le départ. Il n’y a pas de prison ferme, pas de bracelet électronique. François Fillon est un homme libre. Et il y a une forme de soulagement à cela… ».

Il paraît loin, en effet, le temps du procès en première instance consacré à cette affaire au cours duquel le parquet de Paris avait tenu à rappeler que « le détournement de fonds publics était puni de la peine de mort sous l’Ancien régime ». Engoncés par la chaleur de ce mois de juin sous la verrière de la cour d’appel de Paris, les journalistes étaient peu nombreux pour découvrir l’épilogue de cette affaire. « Je crois qu’il y a une forme de lassitude, depuis bien longtemps, avec tous les rebondissements de cette affaire », a encore précisé Antonin Lévy.

Car les choses sont désormais dites et définitives, à moins d’un nouveau pourvoi en cassation du prévenu. « La cour a estimé que n’était pas rapportée dans le dossier la preuve d’un travail salarié », a en effet rapidement évacué le président de la cour d’appel, au moment de rendre sa décision. Autrement dit, Penelope Fillon a bien été rémunérée pendant des années pour un travail, qu’elle n’a pas vraiment effectué. En dépit des dénégations de François Fillon depuis huit ans et qui maintient que son épouse a « réellement » travaillé et que son activité ne se cantonnait pas au « rôle social de l’épouse d’un député ».

Rembourser les sommes indûment perçues à l’Assemblée nationale.

Retiré de la vie politique depuis son échec au scrutin suprême en 2017, l’ancien Premier ministre semble avoir un peu assagi sa position vis-à-vis de toute cette affaire mais continue de croire qu’il a été ciblé alors qu’il était sur la dernière marche lui permettant d’accéder à l’Élysée. « J’ai déjà dit à la Cour que j’avais commis des erreurs dans l’organisation de mon équipe. Organisation due au fait qu’on est dans l’action, avait-il ainsi indiqué lors de l’audience. Après, j’ai été traité d’une manière très particulière. Ce traitement a sans doute un peu quelque chose à voir avec le fait que j’ai été éliminé de l’élection présidentielle ».

Jetant ses dernières forces dans la bataille, son avocat Antonin Lévy avait, lui, rappelé que de très nombreux parlementaires avaient embauché leurs épouses à cette époque-là de la vie politique. Ce à quoi, Yves Claisse, avocat de l’Assemblée nationale, avait rétorqué : « Oui, il y a eu des épouses de députés mais elles ont effectivement travaillé pour leurs époux. Or, dans [le dossier qui nous occupe] ce n’est pas le cas ! ».

Conséquence directe : la cour d’appel a alourdi un peu plus la facture que l’ancien Premier ministre, son épouse, et son ancien suppléant Marc Joulaud doivent acquitter solidairement. Déjà condamnés à verser un peu moins de 700 000 euros de dommages-intérêts au Palais Bourbon, les prévenus devront aussi s’acquitter de 126 700 euros supplémentaires, la cour d’appel n’ayant pas trouvé de « traces » d’un quelconque travail de Penelope Fillon sur les années 2012-2013 qui faisaient encore l’objet de discussions.

Rembourser les sommes et passer à autre chose désormais : voilà sans doute ce qui attend François Fillon qui a conclu un accord avec l’Assemblée nationale permettant d’échelonner sa dette sur dix ans, sans l’application d’un taux d’intérêt. Quant à la question d’un éventuel retour en politique : elle ne se pose pas, si l’on en croit Antonin Lévy : « Je crois qu’il a déjà répondu lui-même par la négative. Et ce n’est pas moi qui vais prendre position sur ce sujet ! ».

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Assurances

[Commentaire] Retour sur la liberté de substitution du bénéficiaire d’assurance sur la vie et le rôle dévolu à l’assureur

Réf. : Cass. civ. 2, 3 avril 2025, n° 23-13.803, FS-B N° Lexbase : A52390ER

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N2455B3C

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par Céline Béguin-Faynel, Maître de conférences à l'Université Panthéon-Sorbonne, École de droit de la Sorbonne

Le 18 Juin 2025

Mots-clés : assurance-vie • désignation • bénéficiaire • modification • clause bénéficiaire • testament • connaissance • assureur • effet révocatoire

Résumé : revirement opportun, la Cour de cassation n’exigera plus que l’assureur ait connaissance de la modification de la désignation du bénéficiaire d’assurance sur la vie avant le décès du souscripteur pour lui donner effet. Une désignation modificative pourra toujours être produite post-mortem, sans imposer qu’elle soit sous forme testamentaire. Pour la sécurisation de son paiement au profit du dernier bénéficiaire désigné, l’assureur devra renforcer sa vigilance et ses propres efforts de communication avec son client.


L’affaire jugée le 3 avril 2025 [1] a fait grand bruit. Elle illustre les difficultés liées à la mise en œuvre par l’assureur de la modification de la clause de désignation du bénéficiaire par le souscripteur du contrat d’assurance sur la vie. En l’absence d’avenant rédigé par l’assureur, pour entériner la substitution de bénéficiaire, dûment signé par son contractant, comment garantir la sécurité juridique pour chacun d’eux ? Il n’est pas aisé de concilier souplesse de la modification pour le titulaire du contrat et certitude pour l’assureur qu’il s’acquitte dans les mains du dernier bénéficiaire valablement désigné par le souscripteur. Il faut distinguer la situation du souscripteur et celle de son assureur. En les amalgamant, la jurisprudence récente s’était leurrée.

En l’espèce, le souscripteur de deux contrats d’assurance sur la vie avait modifié par deux fois la clause de désignation des bénéficiaires des garanties. En 2014, il avait sollicité une demande d’avenant attribuant l’ensemble des sommes prévues à une femme, Mme U. Puis, le 27 janvier 2015, le souscripteur remplit des formulaires de demandes d’avenants, qui stipulaient comme bénéficiaires de ses contrats M. Y-U à hauteur de 50 %, tandis que l’autre part de 50 % devait être divisée par parts égales entre neuf personnes, dont Mme U. Après le décès du souscripteur-assuré, le 24 avril 2019, l’assureur régla l’intégralité des capitaux prévus à Mme U.

L’assureur saisit la justice d’une action en remboursement des sommes perçues par Mme U, en invoquant l’erreur qu’il avait commise sur l'identité du bénéficiaire des contrats d'assurance sur la vie. Celle-ci argua du caractère tardif de la transmission à l’assureur des demandes d'avenant établies le 27 janvier 2015, qui n'ont pas été portées à la connaissance de l'assureur avant le décès du souscripteur. Considérant ces demandes d'avenant datant de 2015 comme privées d'effet, la Cour de Bastia débouta l’assureur de l’ensemble de ses demandes, par arrêt du 8 février 2023. Il se pourvut donc en cassation. La deuxième chambre civile, dans une motivation très détaillée, expose qu’elle opère un revirement par rapport à ses arrêts du 13 juin 2019 et 10 mars 2022 (§ 20). Elle censure l’arrêt de la cour de Bastia, qui y avait trouvé appui pour « conditionn[er] la validité de la substitution de bénéficiaire du contrat d'assurance sur la vie à la connaissance de cette modification par l'assureur avant le décès de l'assuré ». Il convient, dès lors, de souligner la solution classique, réaffirmée par la Cour de cassation, admettant que la substitution du bénéficiaire d'un contrat d'assurance sur la vie n'est subordonnée à aucune règle de forme et dépend de la volonté du contractant exprimée d'une manière certaine et non équivoque. Distinguons deux idées phares guidant la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation. D’abord, l’expression de la volonté du souscripteur commande la modification de la désignation du bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie (§ 9). Ensuite, la connaissance par l'assureur de la substitution de bénéficiaire n'est qu'une condition d'opposabilité de cette modification à l'assureur et ne conditionne pas sa validité (§ 13). Changer valablement le bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie implique de caractériser l’intention révocatoire du souscripteur. Mais il faut clarifier la forme requise pour la modification de la clause attribuant les sommes prévues au contrat. Concernant l’assureur, il importe de vérifier qu’il s’acquitte de sa dette à l’égard du bénéficiaire désigné en dernier lieu, l’opposabilité du paiement effectué se trouve alors à examiner.

I. Formalisme simplifié de modification de la désignation du bénéficiaire

L’emprise du droit des obligations en assurance-vie justifie que le souscripteur désigne à l’assureur le tiers bénéficiaire des garanties, auprès duquel il devra s’exécuter au titre de la stipulation pour autrui initiale ou de sa rectification. Par suite, la liberté du souscripteur dans le choix du bénéficiaire est complète, la seule limite est dans l’acceptation ante mortem du bénéfice du contrat, l’assureur ne fait qu’enregistrer les documents lui précisant la personne désignée pour recevoir sa prestation. En outre, la création de l’assurance vie par les praticiens maintient la liberté dans la forme de l’acte, qui véhicule la désignation.

A. Liberté du choix par le souscripteur, seul titulaire de la gestion du contrat

Au visa de l’article L. 132-8 du Code des assurances N° Lexbase : L6141H9C, la Cour de cassation en rappelle la substance. Elle relève la faculté pour le contractant de substituer à la désignation du bénéficiaire, une nouvelle attribution, tant que celle-ci n’a pas été acceptée par le bénéficiaire du contrat (§ 7). De surcroît, « la désignation d'un bénéficiaire est un acte unilatéral de volonté et la faculté de substitution n'exige ni le concours du bénéficiaire ni le consentement de l'assureur, lequel ne peut en aucun cas s'opposer à la volonté du contractant » (§ 14). Cette affirmation sur le rôle de l’assureur tend à clarifier les modalités de la substitution de bénéficiaire.

La désignation du bénéficiaire d’un contrat d’assurance sur la vie ne peut être coupée de ses racines historiques. La jurisprudence du XIXe siècle adossa la stipulation pour autrui sur le contrat d’assurance conclu entre le souscripteur et l’assureur [2]. Ce qu’a consacré la loi du 13 juillet 1930 relative au contrat d’assurance, puis le Code des assurances, qui dispose à l’article L. 132-12 N° Lexbase : L0141AAH que « [l]e bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit [aux sommes assurées] à partir du jour du contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de l'assuré » [3]. Il en ressort le principe de révocabilité ad nutum de l’attribution des sommes libellées au contrat, tant que le bénéfice n’en a pas encore été accepté par la personne désignée. Sans mentionner expressis verbis la stipulation pour autrui, elle transparaît encore dans les articles L. 132-8 N° Lexbase : L6141H9C et L. 132-9 N° Lexbase : L7215IC9 du Code des assurances, qui posent le principe de la libre désignation et révocation du bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie par le souscripteur, tant que les formalités spéciales d’acceptation n’ont pas été accomplies par accord entre le souscripteur et le ou les bénéficiaires [4] ; l’assureur ne fait qu’entériner leur accord, en le matérialisant dans un avenant, ou en en recevant notification. Cette prérogative du souscripteur de substituer un nouveau bénéficiaire pour le contrat est aujourd’hui réaffirmée aux articles 1205 N° Lexbase : L0916KZX et 1206 N° Lexbase : L0915KZW du Code civil. Ces cinq textes n’évoquent que le stipulant ou le contractant, dont l’acte de désignation de la personne qui recevra le bénéfice du contrat d’assurance sur la vie constitue un acte unilatéral de volonté [5]. Ces articles ne confèrent aucun droit de véto ou rôle spécifique à l’assureur, qui, tenu par sa promesse de règlement d’une prestation, à laquelle il s’est engagé en exécution du contrat d’assurance, n’a pas à valider la personne de son attributaire, choisie par le seul souscripteur usant du mécanisme de stipulation pour autrui. Le pourvoi de l’assureur imposait d’éclairer les conditions de validité d'une substitution de bénéficiaire d’un contrat d'assurance sur la vie.

B. Liberté de la forme de la désignation et de sa modification

La deuxième chambre civile réaffirme que l’article L. 132-8 du Code des assurances N° Lexbase : L6141H9C n’établit pas une liste limitative des modalités de substitution de bénéficiaire d’assurance sur la vie. Cet article renvoie aux pratiques antérieures à la loi de 1930 en évoquant les formalités désuètes de la cession de l'article 1690 du Code civil N° Lexbase : L1800ABB, ainsi qu’à l’avenant rédigé par l’assureur et au testament du souscripteur (§ 7). La Cour de cassation souligne qu’est admis comme acte modificatif celui exprimant la volonté du souscripteur d’une manière certaine et non équivoque, sans être « subordonné à aucune règle de forme » (§ 9) [6].

De longue date, la Cour de cassation accepte que la substitution de bénéficiaire résulte d’une simple lettre de l’assuré à l’assureur, sans qu’un avenant n’ait été rédigé [7]. La désignation du bénéficiaire des sommes stipulées au contrat n’est donc pas formaliste, en ce sens qu’elle est possible en dehors des documents contractuels de la compagnie que sont police et avenant [8].

La désignation du bénéficiaire a un caractère précaire en ce qu’elle est révocable ad nutum tant qu’elle n’a pas été acceptée. L’expression de la volonté du souscripteur doit donc être explicite. Les juges du fond saisis d’un acte dont le caractère modificatif est discuté doivent rechercher l’intention révocatoire dans le cadre de leur pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve soumis [9]. Il est constant en jurisprudence que la volonté révocatoire du bénéficiaire doit être exprimée de manière certaine et non équivoque [10], sans qu’un parallélisme des formes ne soit requis [11]. La révocation peut être entachée d’équivoque, si la lettre est rédigée par une personne et signée par une autre [12] ou n’a pas été signée par le stipulant [13]. On notera que la signature manifeste la perfection d’un acte juridique, celui qui l’appose s’oblige (C. civ., art. 1367 N° Lexbase : L1033KZB), y compris pour un acte unilatéral, tel que la désignation de bénéficiaire ; les bénéficiaires en conflit peuvent en demander vérification [14]. Pour corroborer l’intention révocatoire du souscripteur, témoignages et documents pourront être invoqués [15]. L’unique critère reste la volonté du souscripteur, que le juge peut estimer insuffisamment établie par une simple signature au bas d'un avenant pré-rédigé par le nouveau bénéficiaire, celle-ci ne suffisant pas à établir que le souscripteur ait connu sa portée exacte [16].

L’absence d’envoi à l’assureur de la lettre de révocation peut faire planer le doute sur la volonté révocatoire du souscripteur. En 1993, il a pu être admis que son acte modificatif de désignation « traduisait de sa part une manifestation de volonté qui n'était pas mise en cause par le fait que cette correspondance n'avait pas été expédiée par l'intéressé avant son décès » ; cet acte valant testament devait jouer [17]. Il a été jugé en 2020 que si le testament est annulé, les lettres-types non revêtues de la signature de l’intéressé, ne pouvaient y suppléer et n’étaient pas valables[18].

L’arrêt du 3 avril 2025 annonce opérer un revirement par rapport à deux arrêts du 13 juin 2019 et 10 mars 2022 [19]. Il revient sur la double condition qui s’y trouvait posée pour la validité de la modification du bénéficiaire, hors le cas d'une substitution de bénéficiaire par voie de testament olographe. Le juge exigeait non seulement l'expression d'une volonté certaine et non équivoque du contractant, mais encore la connaissance de cette modification par l'assureur avant le décès de l'assuré (§ 11). Cela interrogeait sur la possibilité de modifier de manière efficace la désignation hors de la voie testamentaire !

Depuis plusieurs années, la jurisprudence a entretenu la confusion en tenant compte de la connaissance par l’assureur de la rectification de la désignation, qu’elle mettait sur le même plan que le critère de l’expression de la volonté révocatoire du souscripteur, qu’elle a dégagé de l’article L. 132-8 du Code des assurances N° Lexbase : L6141H9C. La Cour de cassation affirme qu’elle n’avait exigé positivement cette connaissance avant le décès du souscripteur que par les deux arrêts dont elle s’écarte et que leur solution « était justifiée par le souci de s'assurer que la volonté du contractant de modifier le bénéficiaire était résolue et aboutie » (§ 12). Si elle soulignait qu’elle n’en avait pas fait précédemment une exigence de la validité de la modification, elle citait deux affaires (§ 10) dans lesquelles les juges relevaient explicitement « que, comme en l'espèce, l'assureur [en] a eu connaissance », à savoir du changement de bénéficiaire ante mortem [20].

Le juge ne peut ajouter à la loi en exigeant la mention « lu et approuvé » pour valider la substitution de bénéficiaire [21]. Il ne devrait pas plus exiger que la modification de la désignation du bénéficiaire soit portée à la connaissance de l’assureur en la lui indiquant ante mortem pour lui faire produire effet. Par une motivation enrichie, en vingt paragraphes, la Cour de cassation entend se départir de la solution qu’elle a fait ressortir en 2019 et 2022, tranchant d’ailleurs la même affaire ; la solution précédente est dite non conforme aux « dispositions de l'article L. 132-8 du Code des assurances N° Lexbase : L6141H9C, qui ne font pas mention de la connaissance de la substitution par l'assureur ». Exiger que l’assureur ait pu prendre connaissance de la dernière désignation de bénéficiaires effectuée avant que ne décède le souscripteur, ajoute à la loi et procède de la confusion avec l’opposabilité du paiement effectué. D’ailleurs, l’arrêt retient que la solution abandonnée se heurtait à l’article L. 132-25 du Code des assurances N° Lexbase : L0154AAX, qui ne conditionne pas la validité de la substitution de bénéficiaire (§ 13). Il faut rappeler qu’il régit le paiement reçu par l’attributaire du contrat.

II. Opposabilité du paiement effectué par l’assureur

Les actes unilatéraux afférents aux contrats d’assurance – avenants, acceptation du bénéfice, désignation du bénéficiaire – sont opposables à leur date sans les formalités du Code civil pour avoir date certaine [22]. À l’évidence, généraliser l’acte public ou l’enregistrement à fins probatoires manquerait de souplesse. La circulation de l’information entre les parties reste le nœud central du contrat d’assurance-vie.

A. Information par l’assureur

Depuis 2015, parmi les documents contractuels remis au souscripteur figure une information sur les « conséquences de la désignation du ou des bénéficiaires et sur les modalités de cette désignation » [23]. L’objectif est sa compréhension d’un contrat complexe.

Il faudrait que l’assureur l’informe en outre de l’importance de la chaîne d’information quant au règlement des sommes dues au dernier bénéficiaire désigné, ce d’autant qu’un paiement rapide est attendu après décès. Conformément au droit des obligations (C. civ., art. 1342-3 N° Lexbase : L0948KZ7), le droit des assurances présume de bonne foi l’assureur qui paye à un bénéficiaire, alors qu’il n’avait pas « connaissance » « de la désignation d'un bénéficiaire, par testament ou autrement, ou de l'acceptation d'un autre bénéficiaire ou de la révocation d'une désignation » (C. assur., art. L. 132-25 N° Lexbase : L0154AAX). Il pourra se prévaloir de cette ignorance pour ne pas s’acquitter une seconde fois de la somme dans les mains du bénéficiaire désigné en dernier lieu si son attention n’avait pas été alertée par le contexte [24].

Si un acte unilatéral modifiant la désignation du bénéficiaire lui est transmis avant qu’il n’ait payé, la nouvelle jurisprudence impose à l’assureur de lui donner effet, que l’acte transmis post-mortem prenne ou non la forme testamentaire, dès lors que la volonté du souscripteur apparaît suffisamment caractérisée.

B. Information de l’assureur : résurrection d’un formalisme conventionnel ?

Si la volonté du souscripteur de révoquer la stipulation de bénéficiaire est exprimée d'une manière certaine et non équivoque, le juge ne disqualifiera pas l’acte modificatif pour non-respect du formalisme conventionnel imposé par l’assureur, tels l’exigence d’un envoi recommandé [25] de la modification du bénéficiaire ou d’un accusé réception par l’assureur pour lui donner effet [26]. Pour faciliter le paiement au bénéficiaire désigné en dernier lieu, l’assureur doit encourager son client à lui communiquer toute modification.

Le formalisme conventionnel pourrait utilement l’y inciter, en enjoignant le client à lui notifier tout changement de bénéficiaire, y compris testamentaire. Sa valeur n’est toutefois que symbolique et ne permettra pas à l’assureur de nier la validité de la modification ou de récupérer les sommes payées indûment. Engager le souscripteur à rédiger personnellement sa désignation de bénéficiaire pourrait lui faire mieux mesurer ses effets [27].


[1] Dalloz actualités, 11 avril 2025, note A. Bouscavert ; JCP N, 2025, 1077, p. 39, note M. Leroy ; JCP G, 2025, act. 597, obs M. Mignot ; GP, 2025, no 16, p. 27, chron. C. Berlaud ; RGDA, 2025, note L. Mayaux ; bjda.fr 2025, n° 98, note F. Gréau ; RCA, 2025, comm. 112, p. 34, note Ph. Pierre ; RFP, 2025, comm. 9, obs. H. Leyrat ; RJPF, 2025/5, n° 300, obs. A. Olivier ; Defrénois, 5 juin 2025, n° DEF226b6, obs. H Lécuyer, M. Thomas-Marotel ; Dr. Famille, 2025, comm. 94, obs. A. Tani ; Dr. & patr., 2025, no 358, M. Leroy.

[2] Cass. civ., 22 février, 27 mars, 7 août 1888, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, tome 2, 13e éd., 2015, H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette, Dalloz, n° 171 ; C.-J. Berr, H. Groutel, Les grands arrêts du droit de l’assurance, , Sirey, 1978, p. 206 ; J.-M. Do Carmo Silva et D. Krajeski (dir.), Les grandes décisions du droit des assurances, éd. LGDJ, 2022, p. 723.

[3] Cass. Ass. Plén., 12 décembre 1986, n° 84-17.867, Pelletier, Bull. Ass. plén. n° 14 N° Lexbase : A6197AAR ; JCP, 1987, II, p. 20760, concl. A. Cabannes et note L. Boyer ; Rép. Defr., 1987, art. 33932, p. 541, obs. J.-L. Aubert ; D., 1987, p. 269, note J. Ghestin déduisant de ce texte l’autonomie du souscripteur sur son assurance sur la vie, admettant qu’il puisse seul révoquer la clause de désignation sans en référer à son époux, même s’il est marié sous la communauté de biens.

[4] L’acceptation du bénéfice du contrat donnée dans les formes légales précitées empêche la révocation directe de la désignation du bénéficiaire, qui ne peut intervenir que s’il y donne son accord, qui se trouve également requis pour sa révocation indirecte, par l’exercice des facultés de rachat du contrat ou de constitution d’un nantissement (C. assur., art. L. 132-9 N° Lexbase : L7215IC9 et L. 132-10 N° Lexbase : L4411H9A).

[5] P. Pierre, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, p. 1549, n° 2232 ; L. Mayaux, Traité de droit des assurances, (dir. J. Bigot), tome 4, 2007, p. 235, n° 283.

[6] Renvoyant à l’attendu in Cass. civ. 1, 2 décembre 2015, n° 14-27.215, F-D N° Lexbase : A7001NYX.

[7] Req., 1er juillet 1941, D.C. 1943, p. 57, note A. Besson ; RGAT, 1941, p. 593 ; Cass. civ. 1, 3 juin 1958, RGAT, 1959, p. 499, note A. Besson ; Cass. civ. 1,13 mai 1980, RGAT, 1980, p. 527, obs. A. Besson ; JCP, 1980, II, p. 19438, concl. M. Gulphe.

[8] Cass. civ. 1, 16 janvier 2001, n° 98-13.960, inédit N° Lexbase : A3967ARD jugeant valable la désignation des enfants du couple comme bénéficiaires du contrat d’assurance vie dans la convention homologuée de divorce.

[9] Validant la substitution de bénéficiaire, Cass. civ. 1, 29 juin 1999, Bull. I. n° 217 ; RGDA, 1999, p. 1055, note L. Fonlladosa ; Cass. civ. 1, 29 mars 2001, n° 99-16.606, inédit N° Lexbase : A1127ATW ; RGDA, 2001, p. 740, note A. Favre-Rochex. L’écartant comme équivoque, Cass. civ. 1, 30 janvier 2002, n° 99-18.153 N° Lexbase : A8651AXP ; RGDA, 2002, p. 443, note L. Mayaux.

[10] Not. Cass. civ. 1, 5 avril 2023, n° 21-12.875, F-D N° Lexbase : A43939NZ ; Resp. civ. et assur., 2023, com. 196, obs. S. Lambert ; DEF, 2023, n° DEF214r2, p. 21, obs. D. Noguéro ; JCP N, 2023, n° 1, 1149, obs. N. Peterka ; LEDA, 2023, n° DAS201i1, obs. M. Leroy.

[11] Cass. civ. 1, 3 avril 2019, n° 18-14.640, FS-P+B+I N° Lexbase : A3179Y8A, RGDA, mai 2019, n° 116n4, p. 29, obs L. Mayaux ; LEDA, mai 2019, n° 111y4, p. 6, obs. M. Leroy.

[12] CA Paris, Ch. 7 A, 11 septembre 200, Gaz. Pal., 15 janvier 2009, juris. p. 42, note X. Leducq.

[13] Cass. civ. 2,18 février 2010, n° 09-13.321, F-D N° Lexbase : A0583ESE statuant sur un contrat de prévoyance en entreprise. Contra Cass. civ. 1, 8 novembre 1994, RGAT, 1995, p. 142, note J. Kullmann ; Resp. civ. et Ass. 1995, comm. 38 admettant la désignation sur un imprimé rempli de la main du souscripteur mais non signé.

[14] Cass. civ. 2,13 mars 2025, n° 23-16.755, F-B N° Lexbase : A571764I ; Cass. civ. 2,12 juin 2024, n° 22-10.874, F-D N° Lexbase : A37415IE.

[15] Admettant la production d’une photocopie, Cass. civ. 1, 9 mai 1996, Bull. I. n° 190 ; RCA, 1996, comm. 292 ; RGAT, 1996, p. 593, note J. Maury ; rappr. 30 mai 2000, JCP N, 2002, p. 1207, note F. Nizard.

[16] Cass. civ. 1, 25 septembre 2003, n° 12-23.197, F-P+B ; Bull. civ. I, no 177 N° Lexbase : A9529KLI ; RDC, mars 2014, n° RDC110e6, obs. T. Génicon ; RGDA, janvier 2014, n° 110c8, p. 45, obs. L. Mayaux.

[17] Cass. civ. 1, 10 mars 1993, n° 91-15.925, inédit au bulletin N° Lexbase : A7259CQW ; JCP N, 1994, I. 191, note J.-Y. Camoz.

[18] Cass. 2e civ., 26 novembre 2020, n° 18-22.563, F-P+B+IN° Lexbase : A157538T ; RGDA, janvier 2021, n° 118c9, p. 68, obs. L. Mayaux ; LEDA, janvier 2021, n° 113e5, p. 7, obs. C. Béguin-Faynel.

[19] J.-M. Do Carmo Silva et D. Krajeski (dir.), Les grandes décisions de droit des assurances, éd. LGDJ, 2022, p. 738, note M. Robineau ; RGDA, 2019, n° 116s6, p. 32 et 2022, n° 200s1, p. 48, note L. Mayaux ; LEDA, septembre 2019, n° 112c9, p. 6, obs. C. Béguin-Faynel ; Resp. civ. et assur., 2019, comm. 156, obs. M. Gayet ; Resp. civ. et assur., 2022, comm. 142, obs. P. Pierre et 162, obs. S. Lambert ; DEF, 12 mai 2022, n° DEF207s5, note M. Thomas-Marotel.

[20] Cass. civ. 1, 6 mai 1997, n° 95-15.319, Bull. civ. I, n° 136 N° Lexbase : A0508ACS ; Cass. civ. 2, 13 septembre 2007, n° 06-18.199, FS-P+B, Bull. civ. II, n° 215 N° Lexbase : A4301DYX.

[21] Cass. civ. 1, 30 octobre 2008, n° 07-20.001, F-D N° Lexbase : A0662EB7, Contrats, conc. consom., 2009, comm. 1, obs. L. Leveneur.

[22] Cass. 2e civ., 26 mars 2015, n° 14-11.206, FS-P+B,Bull. civ. II, n° 83 N° Lexbase : A6758NEZ ; LEDA, 03 mai 2015, n° 5, p. 6, obs. C. Béguin-Faynel statuant sur l’article 1328 du Code civil devenu 1377 N° Lexbase : L1023KZW.

[23] C. assur., L.132-9-1 N° Lexbase : L9844HEC, L. 132-9 N° Lexbase : L7215IC9 ; loin° 2005-1564, du 15 décembre 2005, portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’assurance N° Lexbase : L5739MSD.

[24] Cass. civ. 1, 31 mars 2021, n° 19-18.951, F-D N° Lexbase : A48214NU ; RGDA, 2021, n° 200d1, p. 28, note L. Mayaux ; Dr. & patr. 2021, n° 318, p. 53, obs. Ph. Delmas Saint-Hilaire ; LEDA, 2021, n° 6, p. 6, obs. M. Leroy ; bjda.fr 2021, n° 75, note F. Gasnier et R. Bigot.

[25] Cass. civ., 7 avril 2005, précité.

[26] Cass. civ. 2, 13 septembre 2007, précité.

[27] J. Aulagnier, Plaidoyer pour une désignation olographe des bénéficiaires des contrats d'assurance, Dr. & patr., n° 144, février 2015, spéc. II.

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Entreprises en difficulté

[Commentaire] La créance non déclarée et la complète exécution du plan

Réf. : Cass. com., 30 avril 2025, n° 23-21.808, FS-D N° Lexbase : A76590QQ

Lecture: 10 min

N2432B3H

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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l’Université Côte d’Azur, Membre du CERDP, Directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la faculté de droit de Nice

Le 18 Juin 2025

Mots-clés : déclaration de créance au passif • absence • effets • adoption d’un plan complètement exécuté • ouverture d’une procédure collective après complète exécution du plan • solution antérieure à l’ordonnance 18 décembre 2008 • possibilité pour le créancier de déclarer sa créance au passif de la seconde procédure collective (oui)

Au regard des dispositions de l'article L. 622-26 du Code de commerce, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2008-345 du 18 décembre 2008, si le créancier qui n'a pas déclaré sa créance n'est pas, sauf à être relevé de la forclusion encourue, admis dans les répartitions et les dividendes, cette créance n'est pas éteinte mais inopposable à la procédure collective de sorte qu'il peut la déclarer à la nouvelle procédure collective de son débiteur, consécutive à la complète exécution de son plan de sauvegarde.


 

Cet arrêt illustre les diverses métamorphoses jurisprudentielles et législatives de la sanction attachée à l’absence de déclaration régulière d’une créance au passif. On a l’habitude du schéma de résolution d’un plan de sauvegarde ou de redressement accompagné ou suivi de l’ouverture d’une seconde procédure collective.

La question ici en débat s’inscrit dans l’hypothèse d’un plan qui est allé jusqu’à son terme, en ayant reçu une complète exécution et que survient ensuite, sans lien avec la première procédure collective, une nouvelle procédure collective. Qu’advient-il de la créance non déclarée au passif de la première procédure collective dans le cadre de cette seconde procédure collective ? Le créancier a-t-il le droit de déclarer cette créance ?

On sait que depuis la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), la créance non déclarée est inopposable à la procédure collective. Cette solution a été posée, dans le silence de la loi, par la Cour de cassation dans un arrêt de principe du 3 novembre 2010 [1].

Depuis l’ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345 N° Lexbase : L7441MSE), applicable aux procédures collectives ouvertes à compter du 12 février 2009, la créance non déclarée est inopposable pendant l’exécution du plan et après sa complète exécution. Le terme d’inopposabilité est particulièrement mal choisi, car la prétendue inopposabilité dont il s’agit est une inopposabilité non à la procédure collective, mais au débiteur, ce qui est évidemment un non-sens, l’inopposabilité désignant l’inefficacité d’un acte juridique à l’égard des tiers et non à l’égard d’une partie, ce que d’évidence est le créancier. Il faut donc opérer une traduction franco-française du texte pour lui donner un sens et comprendre en réalité que la créance non déclarée ne pourra être réclamée au débiteur tant pendant l’exécution du plan qu’après sa complète exécution. Il s’agit donc plutôt d’une privation de la prétention de pouvoir percevoir, pendant l’exécution du plan, des dividendes et de la privation de la prétention de pouvoir, après complète exécution du plan, demander en justice le paiement de la créance. Il est question de supprimer l’action en justice, sans éteindre la créance, en laissant ainsi subsister une simple obligation naturelle à la charge du débiteur. Quoi qu’il en soit, il est extrêmement clair, avec ce texte issu de l’ordonnance du 18 décembre 2008, que, après exécution du plan, le créancier cesse de pouvoir réclamer son dû au débiteur. Par conséquent, si le débiteur est placé à nouveau sous procédure collective, il n’apparaît pas en droit de déclarer sa créance, sauf à priver de tout sens le texte législatif ayant voulu faire perdurer au-delà de l’exécution du plan l’inopposabilité de la créance.

Mais, pour parvenir à ce résultat, il était impératif qu’un texte existât. Or cela n’a pas été toujours le cas.

En l’espèce, la société Adiamix, mise en sauvegarde par un jugement du 24 avril 2008, a bénéficié d'un plan arrêté le 9 septembre 2009.

Le 27 novembre 2009, un comptable public a émis un titre de perception pour parvenir au recouvrement d'une exonération d'impôt dont avait bénéficié la société Adiamix en application d'un régime fiscal déclaré incompatible avec le marché commun par une décision de la Commission européenne du 16 décembre 2003 (n° 2004/343/CE).

Par une ordonnance du 2 mars 2010, devenue irrévocable, le juge-commissaire a rejeté la demande en relevé de la forclusion formée par le comptable public.

Un jugement du 24 novembre 2016 a constaté l'exécution du plan de sauvegarde.

Le 15 mai 2020, la société Adiamix a été mise en redressement judiciaire.

Une ordonnance du juge-commissaire du 23 novembre 2021 a rejeté la créance déclarée par le comptable public à cette procédure au titre du recouvrement de l'aide d'État déclarée illégale. La cour d’appel [2] a confirmé la solution en retenant qu'en l'absence de relevé de forclusion, les dispositions de l'article L. 622-26 alinéa 2, du Code de commerce N° Lexbase : L3746HBD s'opposent à ce que la créance non déclarée puisse donner lieu à poursuite dès lors que le plan a été correctement exécuté. Il en déduit que la créance du comptable public étant inopposable à la société Adiamix, le comptable public n'est pas recevable à solliciter dans le cadre d'une seconde procédure collective l'admission de sa créance.

Un pourvoi est alors formé. La question posée à la Cour de cassation est la suivante : en l’état d’une procédure collective ouverte avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 18 décembre 2008, le créancier peut-il, déclarer une créance au passif d’une procédure ouverte à la suite de l’exécution complète d’un plan alors que le créancier n’avait pas déclaré sa créance au passif de la première procédure collective ?

Au visa de l'article L. 622-26, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2008-345 du 18 décembre 2008, la Cour de cassation va répondre par l’affirmative et, en conséquence, casser la décision des juges du fond : « il résulte de ce texte que si le créancier qui n'a pas déclaré sa créance n'est pas, sauf à être relevé de la forclusion encourue, admis dans les répartitions et les dividendes, cette créance n'est pas éteinte mais inopposable à la procédure collective de sorte qu'il peut la déclarer à la nouvelle procédure collective de son débiteur .

Pour rejeter la créance du comptable public, l'arrêt retient qu'en l'absence de relevé de forclusion, les dispositions de l'article L. 622-26 alinéa 2 du code de commerce s'opposent à ce que la créance non déclarée puisse donner lieu à poursuite dès lors que le plan a été correctement exécuté.

Il en déduit que la créance du comptable public étant inopposable à la société Adiamix, le comptable public n'est pas recevable à solliciter dans le cadre d'une seconde procédure collective l'admission de sa créance.

En statuant ainsi, alors que l'achèvement de l'exécution du plan de sauvegarde de la société Adiamix n'interdisait pas au comptable public de déclarer sa créance au redressement judiciaire ensuite ouvert à l'égard de cette société, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».

Les dates sont fondamentales pour comprendre la solution ici posée par la Cour de cassation.

La première procédure collective ouverte l’a été en 2008 avant l’entrée ne vigueur de l’ordonnance du 18 décembre 2008. À l’époque, le texte de l’article L. 622-26 du Code de commerce se contentait d’indiquer à l’alinéa 1 que « à défaut de déclaration dans les délais fixés par décret en conseil d’État, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion […] ».

Rien de plus, rien de moins, en ce qui concerne la question de la créance non déclarée. Le législateur n’avait donc pas traité la question du sort de la créance après complète exécution du plan. Un auteur s’était interrogé sur cette question et avait indiqué que le droit de poursuite du créancier qui n’avait pas déclaré sa créance « est également maintenu après constat de l’achèvement de l’exécution du plan de sauvegarde ou de redressement » [3].

Cette solution s’impose. En effet, la sanction attachée à l’absence de déclaration de la créance dans les délais est son inopposabilité à la procédure collective. Celle-ci désigne les créanciers et les organes. Par conséquent, les effets de la procédure collective cessent, par l’effet de la décision qui constate la complète exécution du plan. Et puisque la complète exécution du plan marque le terme de la procédure collective, elle marque aussi le terme de l’inopposabilité de la créance non déclarée. 

Dès lors, l’on comprend la solution posée par la Cour de cassation, qui admet la possibilité pour le créancier, qui n’a pas déclaré sa créance au passif de la première procédure collective, de la déclarer à la seconde, alors même que le plan a été complètement exécuté. Pour comprendre la solution, il faut encore apporter une précision relative à l’application de la loi dans le temps. La seconde procédure collective après la complète exécution du plan a été ouverte en 2020. Mais pour déterminer la portée temporelle de la sanction attachée à l’absence de déclaration de la créance dans les délais, il faut appliquer la loi applicable à l’époque de l’ouverture de la première procédure, celle dans laquelle la créance n’a pas été déclarée, c’est-à-dire la loi de sauvegarde des entreprises, dans sa rédaction d’origine. La décision de la Cour de cassation ne peut donc être qu’approuvée.

Pour autant, elle s’inscrit dans une époque révolue. En effet, l’ordonnance du 18 décembre 2008 a modifié les textes et ajouté un alinéa 2 à l’article L. 622-26 du Code de commerce N° Lexbase : L9127L78 venant préciser que « Les créances [ajout de l’ordonnance du 15 septembre 2021 : « et sûretés »] non déclarées régulièrement dans ces délais sont inopposables au débiteur pendant l'exécution du plan et après cette exécution lorsque les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus ».

Par conséquent, aujourd’hui, même si la sanction attachée à l’absence de déclaration des créances dans les délais est toujours l’inopposabilité à la procédure collective, il convient d’appliquer le texte nouveau, qui prolonge temporellement les effets de ce que le législateur a improprement qualifié « d’inopposabilité de la créance non déclarée » : cette inopposabilité persiste après complète exécution du plan. C’en est ainsi fini de la possibilité pour le créancier de prétendre recouvrer son droit de poursuite sur cette créance non déclarée, fût-ce pour la déclarer au passif dans le cadre d’une seconde procédure collective. Par conséquent, si la Cour de cassation avait eu à rendre sa décision au visa de l’actuel article L. 622-26, alinéa 2 du Code de commerce, elle jugerait, pensons-nous, que l'achèvement de l'exécution du plan de sauvegarde de la société débitrice interdit au comptable public de déclarer sa créance au redressement judiciaire ensuite ouvert à l'égard de cette société.

 

[1] Cass. com., 3 novembre2010, n° 09-70.312, FS-P+B N° Lexbase : A5651GDN, D., 2010, 2645, note A. Lienhard ; D., 2011. Pan. 2075, obs. F.-X. Lucas ; Gaz. Pal. entr. diff., 7-8 janv. 2011, n° 7, 8, note E. Le Corre-Broly ; JCP E, 2011. Chron. 1030, n° 10, obs. M. Cabrillac ; Rev. sociétés, 2011. 194, note crit. Ph. Roussel Galle ; Gaz. Pal., 25-26 février 2011, p. 45, note S. Reifegerste ; BJE, juillet/août 2011, comm. 89, p. 186, note Saint-Alary-Houin ; RTD com., 2011. 413, n° 2, obs. A. Martin-Serf ; P.-M. Le Corre, in Chron., Lexbase Hebdonovembre 2010, n° 417 N° Lexbase : N5745BQT.

[2] CA Riom, 13 septembre 2023, n° 21/02520 N° Lexbase : A96351GX.

[3] P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 4ème éd., 2008, n° 665.76

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Propriété intellectuelle

[Podcast] Upcycling et propriété intellectuelle : création durable ou contrefaçon déguisée ?

Lecture: 1 min

N2469B3T

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Le 18 Juin 2025

► Dans cet épisode de LexFlash, Me Agathe Zajdela, avocate en propriété intellectuelle au sein du cabinet DTMV et experte auprès de la Fédération Française du Prêt-à-Porter Féminin, décrypte les limites juridiques de l’upcycling.

Au programme :

  • ce que dit le droit d’auteur sur la transformation d’un produit de seconde main ;
  • l’impact du droit des marques sur les créations upcyclées ;
  • les pratiques tolérées… et celles qui exposent à un contentieux ;
  • la décision récente du Tribunal judiciaire de Paris dans l’affaire « Hermès vs Atelier R&C » ;
  • les conseils clés pour un upcycling responsable et conforme au droit.

Un éclairage indispensable pour les professionnels du luxe, de la mode, les créateurs et toutes celles et ceux qui s’engagent dans une démarche de création durable.

► Retrouvez cet épisode sur Youtube, Deezer, Spotify et Apple Podcasts.

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Urbanisme

[Jurisprudence] Les conditions d’application de l’article L. 600-5-1 relatif à la régularisation des autorisations d’urbanisme à nouveau précisées par le Conseil d’État

Réf. : CE, 1°-4° ch. réunies, 30 avril 2025, n° 493959, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A31450QK

Lecture: 8 min

N2416B3U

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par Claire Douvreleur, Avocate, cabinet Parme Avocats

Le 13 Juin 2025

Mots clés : permis de construire, permis de construire modificatif, régularisation, L. 600-5-1, office du juge

Par un arrêt du 30 avril 2025, le Conseil d’État a jugé qu’il appartient au juge, dès lors qu’il prononce un sursis à statuer sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, d’apprécier, pour statuer sur le litige lorsqu’une mesure de régularisation lui a été notifiée, si cette mesure assure la régularisation du vice relevé, et ce même si les parties n’ont pas présenté d’observations sur ce point.


 

I. Les faits

En l’espèce, un permis de construire avait été accordé le 1er septembre 2021 par le maire d’une commune de Haute-Savoie, portant sur la construction, après démolition de l’existant, de deux immeubles d’habitation collectifs de 25 logements.  

Ce permis a fait l’objet d’un recours devant le tribunal administratif de Grenoble. Ce dernier a sursis à statuer sur la légalité du permis, sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L0034LNL, jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois pour permettre la régularisation du vice tiré de la méconnaissance des dispositions du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) concernant l’implantation des constructions par rapport aux limites séparatives [1].

En effet, le règlement du PLUi imposait que les constructions nouvelles soient implantées en limite séparative, ou bien en retrait de ces limites, à une distance au moins égale à la moitié de la hauteur de la construction, sans être inférieure à trois mètres.

Or, le projet prévoyait que les deux bâtiments seraient implantés, par rapport à la limite ouest du terrain d’assiette du projet, à une distance insuffisante puisqu’inférieure à la moitié de la hauteur de prise au faîtage de la construction.

Le tribunal administratif ayant jugé ce vice susceptible d’être régularisé, il a laissé à la société pétitionnaire un délai de deux mois à compter de son jugement du 27 février 2023, pour solliciter et obtenir un permis de construire de régularisation, en application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme.

Ce permis de construire modificatif correspondant a été délivré à la société pétitionnaire le 5 octobre 2023, et communiqué par les parties au tribunal.

Puis, par un second jugement du 4 mars 2024 [2], le tribunal administratif a finalement rejeté la requête des requérants, en jugeant que, de nouvelles dispositions du PLUi étant entrées en vigueur entre-temps, le permis modificatif avait pu valablement régulariser le vice constaté sous l’empire des dispositions antérieures. Il retient en outre que la circonstance que le permis modificatif n’ait pas été délivré dans le délai initialement imparti par le tribunal dans son jugement avant-dire droit était sans incidence sur sa régularité dans la mesure où aucune disposition législative ou réglementaire n’imposait, sous peine d’annulation du permis de construire, le respect du délai de régularisation indiqué par la juridiction.

Les requérants se sont pourvus en cassation devant le Conseil d’État contre ce jugement du 4 mars 2024.

II. Le pouvoir de régularisation des autorisations d’urbanisme tiré de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme

Pour rappel, l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme prévoit dans les termes suivants, une possibilité de régularisation des autorisations d’urbanisme « dans le prétoire » :

« Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ».

Le Conseil d’État a précisé, à travers plusieurs décisions récentes, les conditions d’application de ces dispositions, comme tel est le cas de l’arrêt ici commenté.

Ainsi, dans un précédent arrêt du 11 mars 2024 [3], le Conseil d’État a jugé que les mécanismes de régularisation en cours d’instance tirés des articles L. 600-5 N° Lexbase : L0035LNM et L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme ne peuvent être utilisés par le juge lorsqu’il est saisi d’un permis entaché de fraude.

Par un arrêt du 17 juin 2024 [4], il a précisé que, pour bénéficier de l’effet « régularisateur » du permis de construire initial attaqué, le permis de construire modificatif qui est communiqué en cours d’instance doit, non seulement avoir pour effet de régulariser le vice identifié, mais également en avoir l’objet. Le contrôle du juge administratif porte donc non seulement sur les effets de la mesure de régularisation, mais également sur son objet.

Le Conseil d’État a également jugé que le mécanisme de régularisation en cours d’instance ne peut être utilisé à plusieurs reprises par un pétitionnaire, pour la régularisation d’un même vice [5]. La mesure de régularisation communiquée au juge en cours d’instance doit donc impérativement régulariser le vice identifié par la juridiction, à peine d’annulation du permis initial. Les dispositions de l’article L. 600-5-1 ne sont susceptibles d’être utilisées une seconde fois que si le permis de régularisation est entaché d’un vice qui lui est propre.

L’arrêt du 30 avril 2025 ici commenté s’inscrit donc dans cette lignée jurisprudentielle précisant les modalités d’application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme.

III. L’absence d’observations par les parties sur la mesure de régularisation en première instance ne les prive pas de la possibilité de la contester en cassation devant le Conseil d’État

La question posée à l’occasion de cette instance au Conseil d’État était la suivante : les parties peuvent-elles contester, par des moyens nouveaux, la mesure de régularisation communiquée dans le cadre de leur pourvoi devant le Conseil d’État, alors même qu’elles n’ont pas présenté d’observations après y avoir été invitées lors de la première instance ?

Après avoir rappelé les dispositions de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, le Conseil d’État en conclut qu’il « résulte de ces dispositions qu’il appartient au juge qui a sursis à statuer sur leur fondement d’apprécier, pour statuer sur le litige lorsqu’une mesure de régularisation lui a été notifiée, si cette mesure assure la régularisation du vice qu’il a relevé quand bien même les parties, invitées à la faire, n’ont pas présenté d’observations devant lui sur ce point ».

Il en déduit, et c’est là l’apport novateur de sa décision, que les moyens dirigés contre le permis de régularisation ne sauraient être regardés comme des moyens nouveaux en cassation, et ce quand bien même les parties se sont abstenues de formuler des observations contre cette mesure en première instance.

En l’espèce, les requérants n’avaient en effet pas formulé d’observations quant à la légalité du permis de construire modificatif délivré en cours d’instance, et le tribunal administratif de Grenoble avait considéré, dans son second jugement du 4 mars 2024, que ce dernier permettait la régularisation du vice identifié dans le permis initial attaqué.

Le Conseil d’État relève néanmoins que si, dans son premier jugement, le tribunal administratif a retenu l’existence d’un vice susceptible d’être régularisé et tiré de la violation des règles d’implantation par rapport aux limites séparatives des deux bâtiments du projet, il ne s’est en revanche prononcé, lors de son second jugement, que sur la régularisation par le permis modificatif communiqué d’un seul de ces deux bâtiments par rapport à la limite séparative.               

Or, une modification des dispositions du règlement du PLUi était intervenue entre le permis de construire initial et le permis de construire modificatif, de sorte que les nouvelles règles du PLUi impliquaient une modification dans la manière dont doit s’apprécier le calcul de la hauteur de la construction. Il appartenait donc aux juges du fond de vérifier si la distance d’implantation de tous les bâtiments par rapport aux limites séparatives était bien respectée au regard de cette nouvelle règle de calcul.

Tel n’ayant pas été le cas, le Conseil d’État annule le jugement attaqué pour ce motif.

Cet arrêt permet de rappeler que, la mesure de régularisation peut non seulement être critiquée pour la première fois en cassation, mais encore que le contrôle dont elle est l’objet de la part des juridictions du fond doit porter sur l’ensemble des éléments caractérisant le vice initialement relevé.

À retenir : Le Conseil d’État précise les dispositions de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme permettant au juge du surseoir à statuer sur la légalité d’un permis de construire dans l’attente de sa régularisation, en jugeant qu’il est loisible pour les parties de contester ladite mesure de régularisation pour la première fois en cassation.

 

[1] TA Grenoble, 27 février 2023, n° 2201135 N° Lexbase : A88979EA.

[2] TA Grenoble, 4 mars 2024, n° 2201135 N° Lexbase : A37732SK.

[3] CE, 11 mars 2024, n° 464257 N° Lexbase : A92942TE.

[4] CE, 17 juin 2024, n° 471711 N° Lexbase : A67315I7.

[5] CE, 14 octobre 2024, n° 471936 N° Lexbase : A877059P.

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