Jurisprudence : TA Montpellier, du 04-05-2023, n° 2024938

TA Montpellier, du 04-05-2023, n° 2024938

A84099SA

Référence

TA Montpellier, du 04-05-2023, n° 2024938. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/95745777-ta-montpellier-du-04052023-n-2024938
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Abstract

► L'État est condamné en raison de maltraitances des animaux en abattoir.


Références

Tribunal Administratif de Montpellier

N° 2024938

Formation plenière
lecture du 04 mai 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n°462171 du 4 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis au tribunal administratif de Montpellier, en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative🏛, la requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Toulouse, présentée par l'association L. 214.

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 1er octobre 2020, le 16 juillet 2021 et le 17 mars 2023, l'association L. 214, représentée par Me Thouy, demande au tribunal :

1°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices que lui ont causés les conditions d'abattage des animaux à l'abattoir de Rodez et révélées par une vidéo diffusée le 24 juin 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Elle soutient que :

- la responsabilité de l'Etat est engagée en raison de la carence fautive des services vétérinaires de l'Aveyron dans la surveillance et le contrôle de l'abattoir dans lequel de graves manquements à la règlementation en matière de protection animale ont été constatés ;

- ces manquements avaient déjà été constatés dans un rapport d'inspection de 2016, notamment des non-conformités majeures dans la connaissance et l'application des bonnes pratiques de protection animale, de l'immobilisation des animaux, de leur étourdissement et de leur mise à mort, du contrôle interne par l'abattoir et de l'absence de mesures correctives ;

- dans sa vidéo du 24 juin 2020, les mêmes manquements sont relevés, plus de quatre ans après ;

- elle justifie d'un préjudice moral de 10 000 euros et d'un préjudice matériel de 20 000 euros de frais d'enquête, dès lors qu'elle est à l'origine de la suspension de l'abattoir ;

- le lien de causalité est établi.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 20 avril 2021 et le 19 octobre 2021, la préfète de l'Aveyron conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- concernant les préjudices : l'Etat n'intervient qu'en deuxième intention, la responsabilité principale incombe en premier lieu à l'établissement et à ses opérateurs ; le préjudice moral est disproportionné ;

- le préjudice matériel n'est pas justifié ; par ailleurs, rien n'oblige l'association a réaliser des vidéos, qu'elle fait en amont et qui lui font gagné en notoriété ; par ailleurs, le délai de trois mois entre la capture des images et la diffusion des vidéos interroge sur les motivations réelles de l'association.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement n°1099/2009 du 24 septembre 2009 ;

- le règlement UE n°2017/625 du 15 mars 2017 ;

- le règlement UE 2019/627 du 15 mars 2019 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'arrêté du 12 décembre 1997 relatif aux procédés d'immobilisation, d'étourdissement et de mise à mort des animaux et aux conditions de protection animale dans les abattoirs ;

- l'arrêté du 8 juin 2006 relatif à l'agrément sanitaire des établissements mettant sur le marché des produits d'origine animale ou des denrées contenant des produits d'origine animale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A ;

- les conclusions de M. Lauranson, rapporteur public ;

- les observations de Me Thouy, représentant l'association L. 214.

Considérant ce qui suit :

1. L'association L. 214 a diffusé le 24 juin 2020 une vidéo, dont les images ont été captées en février de cette même année, de la chaine d'abattage des ovins de l'abattoir de Rodez, dit L'Arsac, exploitée par une société du groupe Arcadie. A la suite de cette diffusion, le ministre de l'Agriculture a suspendu temporairement l'agrément de la chaine ovine de l'abattoir et ordonné une inspection. Par sa requête, l'association L. 214 demande l'indemnisation de son préjudice moral et de son préjudice matériel résultant des carences des services vétérinaires de l'Etat dans son contrôle des règles relatives à la protection et au bien-être animal.

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne le cadre réglementaire :

S'agissant de l'agrément délivré par l'Etat :

2. Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 8 juin 2006🏛 : " L'agrément des établissements préparant, transformant, manipulant ou entreposant des produits d'origine animale ou des denrées contenant des produits d'origine animale destinés à la consommation humaine, prévu à l'article L. 233-2 du code rural et de la pêche maritime🏛, est délivré préalablement à la mise sur le marché de ces produits ou denrées, par le préfet, dans les conditions prévues au présent chapitre. L'agrément précise la catégorie de produits et la nature de l'activité pour laquelle il est accordé, en indiquant pour chaque catégorie de produits et/ ou nature de l'activité le texte réglementant les conditions sanitaires de préparation et de mise sur le marché qui s'applique dans le cadre de cet agrément. ". Aux termes de l'article 11-4 de ce même arrêté, relatif aux dispositions particulières applicables aux abattoirs : " () Les pièces constitutives du dossier d'agrément doivent comprendre : () - les modes opératoires normalisés conformément à l'article 6 du règlement (CE) n° 1099/2009 et tels que définis à l'annexe II, alinéa 7° () ".

S'agissant de la protection du bien-être animal :

3. Aux termes de l'article L. 214-1 du code rural et de la pêche maritime🏛 : " Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. ". Aux termes de l'article L. 214-3 du même code🏛 : " Il est interdit d'exercer des mauvais traitements envers les animaux domestiques ainsi qu'envers les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité. Des décrets en Conseil d'Etat déterminent les mesures propres à assurer la protection de ces animaux contre les mauvais traitements ou les utilisations abusives et à leur éviter des souffrances lors des manipulations inhérentes aux diverses techniques d'élevage, de parcage, de transport et d'abattage des animaux. () ".

4. Aux termes de l'article 3 du règlement CE du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort : " 1. Toute douleur, détresse ou souffrance évitable est épargnée aux animaux lors de la mise à mort et des opérations annexes () ". Aux termes de son article 4 sur les méthodes d'étourdissement : " 1. Les animaux sont mis à mort uniquement après étourdissement selon les méthodes et les prescriptions spécifiques relatives à leur application exposées à l'annexe I. L'animal est maintenu dans un état d'inconscience et d'insensibilité jusqu'à sa mort. Les méthodes visées à l'annexe I qui n'entraînent pas la mort instantanée (ci-après dénommées " simple étourdissement ") sont suivies aussitôt que possible d'un procédé provoquant infailliblement la mort, comme la saignée, le jonchage, l'électrocution ou l'anoxie prolongée. () ". L'article 5 de ce même règlement relatif au contrôle de l'étourdissement prévoit : " 1. Les exploitants veillent à ce que les personnes chargées de l'étourdissement ou d'autres membres désignés du personnel procèdent à des contrôles réguliers pour s'assurer que les animaux ne présentent aucun signe de conscience ou de sensibilité pendant la période comprise entre la fin de l'étourdissement et la mort. ". L'article 6 de ce règlement prévoit que : " Modes opératoires normalisés : 1. Les exploitants planifient à l'avance la mise à mort des animaux et les opérations annexes et effectuent celles-ci selon des modes opératoires normalisés. () ".

5. Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 12 décembre 1997 relatif aux procédés d'immobilisation, d'étourdissement et de mise à mort des animaux et aux conditions de protection animale dans les abattoirs : " L'immobilisation des animaux doit satisfaire aux dispositions énoncées en annexe II du présent arrêté. ". Selon l'article 2 bis de ce même arrêté : " Dans le cas d'un abattage sans étourdissement, l'immobilisation des animaux des espèces bovine, ovine et caprine est assurée au moyen d'un procédé mécanique appliqué préalablement à l'abattage et est maintenue jusqu'à la perte de conscience de l'animal conformément aux dispositions de l'annexe II bis du présent arrêté. ". L'article 3 ajoute " Les procédés autorisés pour l'étourdissement des animaux sont les suivants : () c) électronarcose, () " et l'article 5 indique " La saignée des animaux doit être réalisée conformément aux conditions énoncées à l'annexe V du présent arrêté. ". Enfin l'article 9 de cet arrêté précise : " Dans les abattoirs, les opérations d'immobilisation, d'étourdissement, d'abattage et de mise à mort des animaux sont placées sous la surveillance continue des agents du service d'inspection qui s'assurent notamment de l'absence de défectuosité des matériels utilisés et de l'utilisation conforme de ces matériels par le personnel. Le vétérinaire officiel responsable de l'établissement est habilité à intervenir sur l'utilisation des équipements ou des locaux et à prendre toute mesure nécessaire pouvant aller jusqu'à réduire la cadence de production ou suspendre momentanément la procédure de production lorsqu'un manquement caractérisé aux règles de protection animale est constaté. "

S'agissant des contrôles du respect du bien-être animal :

6. Aux termes de l'article 1er du règlement UE du 15 mars 2017 concernant les contrôles officiels et les autres activités officielles servant à assurer le respect de la législation alimentaire et de la législation relative aux aliments pour animaux ainsi que des règles relatives à la santé et au bien-être des animaux () : " () 2. Le présent règlement s'applique aux contrôles officiels effectués pour vérifier le respect des règles, qu'elles aient été établies au niveau de l'Union ou par les États membres, aux fins de l'application de la législation de l'Union, dans les domaines: a) des denrées alimentaires et de leur sécurité, leur intégrité et leur salubrité à tout stade de la production, de la transformation et de la distribution de ces denrées, y compris les règles visant à garantir des pratiques commerciales loyales et la protection et l'information des consommateurs, ainsi que la fabrication et l'utilisation des matériaux et articles destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires () f) des exigences en matière de bien-être des animaux; () ". Aux termes de l'article 21 de ce règlement : " 1. Les contrôles officiels portant sur le respect des règles visées à l'article 1er, paragraphe 2, point f), sont effectués à tous les stades pertinents de la production, de la transformation et de la distribution, tout au long de la chaîne agroalimentaire. () ". Aux termes de l'article 138 de ce règlement : " 1. Lorsque le manquement est établi, les autorités compétentes prennent : a) toutes les dispositions nécessaires pour déterminer l'origine et l'étendue du manquement et pour déterminer les responsabilités de l'opérateur; et b) les mesures nécessaires pour faire en sorte que l'opérateur concerné remédie au manquement et empêche qu'il se répète. Lorsqu'elles décident des mesures à prendre, les autorités compétentes tiennent compte de la nature de ce manquement et des antécédents de l'opérateur en matière de respect des règles. () ". Aux termes de l'article 7 de ce règlement : " La mise à mort et les opérations annexes sont effectuées uniquement par des personnes possédant le niveau de compétence approprié à cet effet sans causer aux animaux de douleur, détresse ou souffrance évitables ". Le chapitre III de ce règlement prévoit ensuite des prescriptions supplémentaires applicables aux abattoirs, quant à la configuration, construction et équipement des abattoirs à l'article 14, aux opérations de prise en charge et d'immobilisation à l'article 15, les procédures de contrôle interne aux articles 16 et 17.

7. Selon une instruction du 13 novembre 2019 du ministère de l'Agriculture portant sur l'organisation des contrôles officiels relatifs à la protection animale en abattoir au moment de la mise à mort et des opérations connexes, qui reprend et complète des instructions précédentes portant sur les obligations de contrôle des services vétérinaires : " () La présente instruction précise les modalités spécifiques des différents niveaux du contrôle officiel concernant la protection des animaux à l'abattoir au moment de la mise à mort et des opérations annexes telles que définies dans le règlement (CE) n°1099/2009 et l'article 44 du règlement délégué (UE) n°2019/625 complétant le règlement (UE) n°2017/625⚖️. () ". Le point 2.1 de cette instruction prévoit que : " Il est indispensable de réaliser quotidiennement des contrôles inopinés portant sur un ou plusieurs points suivants : le respect des conditions de protection des animaux lors du déchargement, de l'hébergement et de l'amenée des animaux au poste de mise à mort ; l'efficacité de l'étourdissement sur un échantillon significatif5 en recherchant directement l'absence de signes de conscience des animaux sur au moins deux indicateurs et en vérifiant la persistance de l'inconscience jusqu'à la mort ; l'absence de signe de vie avant les opérations d'habillage ou d'échaudage. () Aucun enregistrement dans le système d'information RESYTAL n'est exigé pour ces inspections inopinées du fonctionnement. Néanmoins, les non-conformités identifiées doivent être systématiquement relevées a minima dans un cahier de liaison ou une fiche de relevé de non-conformités permettant la mise en place rapide d'actions correctives par l'exploitant () ". Le point 2.3 de cette instruction prévoit que " () deux inspections complètes de la protection animale sont réalisées annuellement pour chaque chaîne d'abattage qu'elle soit mono ou multi-espèces. Au cours de ces inspections, toutes les espèces et catégories d'animaux abattus et tous les modes d'abattage doivent être contrôlés (i.e avec et sans dérogation à l'obligation d'étourdissement le cas échéant). () Ces inspections se font à l'aide des grilles et des vademecum " Protection animale en abattoir de boucherie " / " Protection animale en abattoir de volailles/lagomorphes " et " Abattoirs d'animaux de boucherie " / " Abattoirs de volailles et de lagomorphes ". Elles font obligatoirement l'objet d'un enregistrement et d'un rapport RESYTAL via la grille " protection animale " dédiée pour chaque chaîne d'abattage. () ". Le point 2.3.3 Catégorisation : " () En application de l'instruction technique DGAL/SDSSA/2016-879 du 14/11/2016 concernant la modulation de la redevance sanitaire d'abattage, il est demandé aux SVI de réaliser une inspection complète de l'établissement qui inclut un volet sanitaire et un volet protection animale. La note globale de cette inspection permet de déterminer la catégorie d'une chaîne d'abattage. () ". Enfin le chapitre III de cette instruction indique que toute non-conformité constatée, que ce soit dans le cadre d'un contrôle inopiné ou d'une inspection programmée, doit faire l'objet de suites administratives systématiques et proportionnées, éventuellement assorties de suites pénales.

En ce qui concerne les manquements de l'abattoir de l'Arsac du district de Rodez :

8. Il résulte de l'instruction que l'association L. 214 a diffusé, le 24 juin 2020, une vidéo tournée en février de la même année dans l'abattoir de l'Arsac, montrant sur le poste de mise à mort des manipulations violentes et des actes de violences, notamment des ovins tirés par la queue, les oreilles ou les pattes alors qu'ils ne sont pas étourdis, l'absence d'immobilisation des ovins qui sautent à l'extérieur du restrainer ou au-dessus de congénères, l'absence d'immobilisation pendant toute la durée de l'abattage rituel, l'absence d'étourdissement systématique lors de l'abattage traditionnel, l'absence de vérification de l'inconscience de l'animal et de réalisation d'étourdissement de secours et des mauvais gestes de saignée. Bien que cette vidéo ne précise pas la date exacte de la prise de vue ni la durée de captation des images, elle révèle des manquements aux règles relatives au bien-être animal dont la réalité n'est pas contestée en défense et qui ont d'ailleurs conduit le ministre de l'agriculture à suspendre l'agrément de la chaine ovine de l'abattoir. Dans ces conditions, et en admettant même que la mauvaise manipulation de la pince " trois points " enserrant le cou de l'animal plutôt que le cerveau ou le non-respect de certaines règles d'hygiène soient sans incidence sur le bien-être animal, les manquements à la réglementation relative au bien-être animal par la société gestionnaire de l'abattoir de Rodez sur la chaine ovine, visibles sur la vidéo de l'association requérante, sont établis. Il résulte également de l'instruction que des manquements similaires avaient déjà été constatés lors d'une inspection des services vétérinaires en matière de protection animale réalisée les 4 et 5 avril 2016.

En ce qui concerne les contrôles réalisés par les services vétérinaires en matière de protection du bien-être animal :

S'agissant des inspections complètes annuelles :

9. Il résulte de l'instruction que, à la suite du rapport d'inspection complète en matière de protection animale des 4 et 5 avril 2016 de la chaine ovine de l'abattoir de l'Arsac à Rodez, une mise en demeure de mise en conformité a été adressée le 11 mai 2016 par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) de l'Aveyron eu égard au nombre important de non-conformités majeures ou moyennes en laissant des délais différents selon les mesures correctrices à réaliser. Toutefois, il résulte également de l'instruction, et en particulier du rapport d'inspection de la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP) du 8 octobre 2020, qu'aucun document sur le suivi de cette mise en demeure n'a été mis en place et que les non-conformités constatées en avril 2016 sont encore quasiment toutes observées en novembre 2016 par le référent national abattoir (RNA), témoignant d'une absence d'actions correctrices dans les délais impartis, ou à tout le moins de leur inefficacité. En outre, malgré la persistance de ces non-conformités, la DDCSPP de l'Aveyron a levé la mise en demeure par un courrier du 30 décembre 2016 et n'a réalisé aucune inspection complète dédiée à la protection animale en 2017 et 2018 contrairement à l'instruction technique du 14 novembre 2016 qui imposait alors à minima une inspection de ce type par année, malgré les nombreuses non-conformités constatées en 2016. Une nouvelle inspection complète n'a ensuite été conduite qu'en mars 2019 qui sera suivie d'un avertissement par un courrier du 16 avril 2019. Enfin, pour l'année 2020, il est constant qu'aucune inspection complète sur la protection animale n'a été prescrite avant le mois de juin et que celle du mois de juillet n'est intervenue qu'en réaction à la diffusion de la vidéo de l'association requérante. Par ailleurs, ainsi que le relève également le rapport de la BNEVP, il résulte de l'instruction, notamment des cahiers de liaison, que des non-conformités ([0]quant à l'absence de mise à jour des modes opératoires normalisés (MON), l'absence de vérification des signes de conscience, l'absence de connaissance des opérateurs de ces signes de conscience, l'insuffisance du contrôle interne et un nombre de personnel insuffisant par rapport à la cadence) similaires à celles présentes sur la vidéo, étaient régulièrement constatées en 2019 et reportées dans le cahier de liaison sans qu'elles ne motivent une nouvelle inspection complète, des mesures administratives ou la transmission d'un procès-verbal au procureur de la République, à la différence de ce qui a été décidé en juillet 2020 à la suite de la diffusion de la vidéo. Dans ces conditions, les contrôles de l'Etat, prescrits tant par la réglementation européenne que par la réglementation nationale en matière de protection du bien-être animal, sur la chaine ovine de l'abattoir de l'Arsac à Rodez au titre des inspections complètes annuelles, ont été insuffisants pour prévenir le risque de maltraitance animale alors même qu'à raison des non-conformités majeures relevées en 2016 une vigilance et un suivi particuliers s'imposaient.

S'agissant des inspections quotidiennes inopinées :

10. Il résulte des textes mentionnés aux points ci-dessus que les réglementations européenne et nationale imposent une présence continue du service d'inspection vétérinaire pendant les horaires de fonctionnement de l'abattoir pour assurer les diverses missions de contrôle, dont celle portant sur la protection du bien-être animal, en particulier des inspections inopinées quotidiennes. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport de la BNEVP, que de nombreux manquements à la protection animale ont été consignés dans le cahier de liaison, notamment en 2019, en particulier pour les difficultés d'immobilisation le 12 novembre 2019, mais n'ont pas fait l'objet de suites administratives appropriées ou le cas-échéant de signalement au procureur de la République pour les plus graves d'entre eux. Par ailleurs, eu égard au rapport d'avril 2016 relevant un nombre significatif de non-conformités majeures, il revenait au service vétérinaire d'assurer une vigilance particulière de cet abattoir quant au bien-être animal. Enfin, si la préfète indique que les caméras installées dans l'abattoir sans autorisation ont filmé de nombreuses heures d'affilées et que le montage sous forme de " rush " accentue la fréquence des manquements alors que ces agents ne peuvent assurer un contrôle continu, il résulte toutefois de l'instruction que des non-conformités, y compris sur le début de l'année 2020, période de captation de ce film, ont bien été consignées, mais sans leur donner aucune suite. Dans ces conditions, la carence fautive des services vétérinaires lors des contrôlés inopinés quotidiens, par l'absence de mesures correctrices suffisantes, a contribué à l'absence de respect de la réglementation relative au bien-être animal par la société exploitante.

11. Il résulte de tout ce qui précède que l'insuffisance des contrôles exercés par les services de l'Etat, alors qu'ils avaient déjà eu connaissance de manquements graves à la réglementation relative à la protection animale sur la chaine ovine de l'abattoir de l'Arsac à Rodez, constitue une faute susceptible d'engager sa responsabilité.

Sur les préjudices :

12. Eu égard à son objet social dédié à la protection animale et étant à l'origine de la diffusion de la vidéo ayant conduit à la suspension de l'agrément de la chaine ovine de l'abattoir par le ministre de l'agriculture, les carences fautives de l'Etat doivent être regardées comme ayant directement préjudicié aux intérêts que l'association L. 214 défend.

13. En premier lieu, si l'association soutient subir un préjudice matériel au titre des frais mis en œuvre pour réaliser les films clandestins tournés dans les abattoirs, ce préjudice n'est toutefois établi par aucune pièce et ne saurait par suite être indemnisé.

14. En second lieu, et dès lors d'une part que l'association requérante justifie de l'atteinte portée aux intérêts qu'elle s'est donnée pour mission de défendre, tenant notamment au respect du bien-être animal dans les abattoirs et, d'autre part, du caractère personnel d'un tel préjudice en l'espèce en raison de son implication directe, il sera fait une juste appréciation de son préjudice moral lié à la faute de l'Etat dans l'insuffisance de ses contrôles de la réglementation relative à la protection animale par l'abattoir de l'Arsac, en lui allouant une indemnité de 3 000 euros.

Sur les frais liés au litige :

15. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à l'association L. 214 d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser la somme de 3 000 euros à l'association L. 214.

Article 2 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à l'association L. 214 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association L. 214 et à la préfète de l'Aveyron.

Délibéré après l'audience du 14 avril 2023, à laquelle siégeaient :

M. Denis Besle, président du tribunal,

M. Eric Souteyrand, président,

M. Jérôme Charvin, président,

M. Hervé Verguet, premier conseiller,

M. Nicolas Huchot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mai 2023.

Le rapporteur,

N. A

Le président,

D. BesleLa greffière,

M.-A Barthélémy

La République mande et ordonne au ministre de l'Agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Montpellier le 4 mai 2023,

La greffière,

M.-A Barthélémy

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