Lexbase Public n°284 du 11 avril 2013 : Urbanisme

[Questions à...] Travaux d'extension de Roland-Garros : premier set pour les riverains ! - Questions à Muriel Fayat, cabinet Stasi Chatain & Associés

Réf. : TA Paris, 28 février 2013, n° 1200787 (N° Lexbase : A8120I8A)

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N6551BTS

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 12 Avril 2013

Dans un jugement rendu le 28 février 2013, le tribunal administratif de Paris a annulé la délibération de la Ville de Paris portant sur la modernisation du site de Roland-Garros. Les juges ont donc donné raison aux associations requérantes qui demandaient au tribunal d'annuler la délibération du Conseil de Paris en date du 12 juillet 2011, portant sur la signature d'une convention avec la Fédération française de tennis (FFT), pour lui conférer un droit d'occuper une emprise du domaine public municipal et lui permettre de moderniser, étendre, rénover, exploiter et valoriser le site du nouveau stade Roland-Garros. Ils se sont fondés, notamment, sur le risque d'atteinte à des éléments historiques protégés, sur une information insuffisante des élus du conseil de Paris, mais aussi sur un taux de redevance anormalement bas de la convention d'occupation domaniale. Pour faire le point sur cette décision, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Muriel Fayat, cabinet Stasi Chatain & Associés, qui représentait les associations devant le tribunal administratif. Lexbase : Les promoteurs du projet estimaient avoir respecté l'intégrité des serres historiques d'Auteuil. De quelle manière avez-vous contesté cette position ?

Muriel Fayat : Les serres d'Auteuil sont un jardin botanique de la ville de Paris qui abritent des collections florales dont une partie constitue des espèces remarquables. Ce jardin botanique a été conçu par l'architecte Jean Camille Formigé. Les serres bénéficient, à ce titre, d'une double protection. Elles sont classées, d'une part, en tant que site naturel, puisqu'elles font partie du bois de Boulogne classé site naturel par un arrêté ministériel de 1957, et, d'autre part, en tant que site inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques par arrêté préfectoral de 1998.

L'atteinte à l'intégrité des serres d'Auteuil a été contestée de deux façons :

- d'une part, en invoquant l'incompatibilité entre l'affectation des serres d'Auteuil et la nature de l'occupation projetée par la ville de Paris et la FFT.

Le jardin des serres d'Auteuil est la propriété de la ville de Paris qui est affectée à un intérêt général. Ce site est, jusqu'à présent, un jardin botanique et un lieu de promenade ouvert à tous. Il fait donc partie du domaine public de la ville, ce qui implique que toute occupation privative de ce domaine doit être compatible avec son affectation. En l'occurrence, la convention conclue entre la ville de Paris et la FFT prévoit l'occupation permanente au profit de la FFT d'une partie (neuf hectares) du jardin des serres d'Auteuil pour son activité tennistique, en particulier pour construire, puis exploiter durant 99 ans, un cours de tennis de 4 950 places impliquant la destruction des serres chaudes, lesquelles renferment des collections botaniques d'une valeur inestimable. Compte tenu de son objet, l'affectation initiale des serres d'Auteuil n'est pas respectée puisque la construction et l'exploitation d'un stade de cette taille portent, par elles-mêmes, atteinte à ce site protégé.

En effet, il n'est pas possible, à notre sens, de séparer l'occupation d'un site des règles de protection dont il est l'objet. Pour reprendre l'expression du Professeur Jacqueline Morand Deviller, "l'affectation domaniale doit être compatible avec la vocation historique ou artistique d'un monument". Les dispositions du Code de l'environnement et du Code du patrimoine relatives à la protection des monuments historiques ou naturels ne s'appliquent pas aux seuls travaux qui pourraient y être entrepris, mais aux autres actes qui peuvent menacer cette protection. Dans ce sens, le Code du patrimoine prévoit une procédure d'agrément pour la cession des biens classés relevant du domaine public, sous peine de nullité de la vente. La consultation préalable du ministre doit donc être requise lors de la conclusion d'une convention d'occupation d'une dépendance domaniale lorsque l'activité autorisée est de nature à remettre en cause la protection du monument. Il s'agit d'une question juridique qui n'a pas encore été jugée ;

- d'autre part, en invoquant l'absence d'information suffisante des conseillers municipaux lors de l'adoption de la délibération du Conseil de Paris approuvant la convention d'occupation du domaine public.

L'information transmise aux conseillers municipaux avant l'adoption de la délibération ne leur précisait pas la double protection dont bénéficie le jardin des serres d'Auteuil et, plus particulièrement, les conseillers n'ont pas été informés que le jardin est un site naturel classé. Ils n'ont, également, pas été informés que la totalité du sol (couvert et non couvert) du jardin est inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Or, le projet prévoit la démolition d'une partie des serres chaudes pour permettre la construction d'un stade de 4 950 places dans ce jardin, ce qui va immanquablement porter atteinte à ce site, même si les serres chaudes qui seront détruites ne sont pas inscrites en tant que tel à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, contrairement aux cinq serres principales que le projet ne concerne pas. Dans les deux cas, les autorisations auprès des autorités compétentes pour la protection des sites auraient dû être préalablement sollicitées.

Or, les conseillers municipaux n'ont pas été informés de l'ensemble de ces éléments. Le tribunal, dans son jugement, a même décidé que le projet portait une atteinte telle au site qu'il constituait une dénaturation de celui-ci, nécessitant son déclassement préalable avant la réalisation des travaux, ce qui est une procédure lourde à mettre en oeuvre. Autant d'éléments susceptibles de bloquer le projet d'extension de Roland-Garros. La convention d'occupation attaquée intègre ce risque de blocage de l'opération par des évènements extérieurs qui contraindraient la ville de Paris à verser à la FFT une indemnité de 20 millions d'euros. Compte tenu des risques financiers auxquels la ville de Paris s'exposait en approuvant la convention, il était nécessaire que les conseillers municipaux soient informés de l'étendue de la protection du jardin des serres d'Auteuil afin de se prononcer en toute connaissance de cause.

Lexbase : En quoi les règles de publicité et de mise en concurrence ont été méconnues selon vous ?

Muriel Fayat : La convention accordée à la FFT est une convention d'occupation du domaine public qui n'est pas, en l'état actuel du droit, soumise à des règles de publicité et de concurrence. Compte tenu de son objet, à savoir la réalisation de travaux de rénovation et l'extension du site de Roland Garros, la convention accordée à la FFT peut être requalifiée de concession de travaux publics au sens du droit interne et du droit communautaire, puisque les trois critères posés par la jurisprudence communautaire "Helmut Müller", laquelle précise les éléments matériels de définition des marchés publics de travaux et des concessions de travaux publics portant sur des opérations d'urbanisme au sens de la Directive (CE) 2004/18 du 31 mars 2004 (N° Lexbase : L1896DYU) (1), sont réunies.

Dans cette décision, la Cour de Luxembourg a estimé que la notion de marché public de travaux implique que "les travaux faisant l'objet du marché soient exécutés dans l'intérêt économique direct du pouvoir adjudicateur", que la réalisation de l'ouvrage réponde aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur et que l'attributaire s'engage à exécuter les travaux objets du marché. C'est le cas en l'espèce, puisque les travaux d'extension du site de Roland-Garros répondent incontestablement à un intérêt général, la ville de Paris a participé en grande partie dans le choix des sites et dans le programme de travaux et, enfin, l'absence de réalisation de ces travaux par la FFT peut être sanctionnée juridiquement par la résiliation de la convention, dans la mesure où ce pouvoir existe même dans le silence du contrat.

Lexbase : Sur quels éléments vous fondiez-vous pour contester le montant de la redevance ?

Muriel Fayat : Le principal argument sur lequel nous nous sommes fondés pour caractériser l'insuffisance de la redevance est l'article L. 2125-3 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L4561IQY), selon lequel la redevance pour l'occupation du domaine public tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation. Or, en mai 2008, l'inspection générale de la ville de Paris a conclu, dans son rapport d'audit, au caractère anormalement bas de la redevance perçue par la ville pour l'ancienne emprise de Roland-Garros, puisqu'elle représentait 1,25 % du chiffre d'affaires réalisé par la FFT sur le site, alors que les autres concessions parisiennes d'équipements sportifs étaient soumises à un taux de 15 % du chiffre d'affaires hors taxes. La convention attaquée augmente le taux de la redevance de 2 et 4 % lors de la réalisation des travaux, puis de 3 et 6 % après la mise en exploitation des ouvrages. Cependant, le taux reste néanmoins très faible par rapport aux autres conventions d'occupation, d'autant plus que la durée de la convention est de 99 ans sans qu'aucune clause de revalorisation du taux ne soit inscrite dans la convention.

Ceci pourrait se comprendre si la ville n'assumait aucune charge pour l'occupation du site, mais ce n'est pas le cas. En effet, la ville de Paris assumera le coût de reconstruction des équipements sportifs du stade Hébert et du Fonds des Princes, dont le coût représente 20 millions d'euros. L'indemnité de deux millions d'euros que versera la FFT à la Ville pour compenser cette charge est donc insuffisante, ce à quoi il convient d'ajouter les autres charges assumées par la ville, résultant de l'occupation par la FFT des serres d'Auteuil, à savoir l'entretien du jardin botanique et le coût du transfert des collections botaniques au Parc Floral. Au vu de ces éléments, la redevance d'occupation présente un caractère anormalement bas.

Lexbase : Comment envisagez-vous la suite de ce dossier ?

Muriel Fayat : Il est certain que le jugement rendu le 28 février 2013 par le tribunal administratif de Paris est extrêmement important pour la suite du dossier, non seulement en raison de sa motivation, mais aussi de son dispositif, la ville de Paris ayant été enjointe de résilier la convention dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Cette échéance arrive début mai. Or, à ce jour, la ville de Paris n'a pas saisi le Conseil de Paris pour soumettre à son vote la résiliation de la convention. Elle a interjeté appel du jugement et a assorti sa requête d'une demande de sursis à exécution du jugement. Tout va donc dépendre de la décision de la cour administrative d'appel de Paris. C'est une course contre la montre. A tel point que, sans attendre la décision du juge, la ville de Paris a, d'ailleurs, décidé de délivrer à la FFT le permis de construire du nouveau centre national d'entraînement (CNE), qui va être réalisé sur le stade Hébert quelques jours avant la lecture du jugement du tribunal administratif qui a jugé illégale la convention qui autorise justement la FFT à occuper le stade Hébert pour réaliser le CNE.


(1) CJCE, 25 mars 2010, aff. C-451/08 (N° Lexbase : A9884ETA).

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