Lexbase Avocats n°147 du 11 avril 2013 : Avocats

[Focus] RSE et avocats : quelles interactions ?

Réf. : Rapport du Conseil des barreaux européens, 7 février 2013

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N6651BTI

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

le 11 Avril 2013

Le 7 février 2013, le Conseil des barreaux européens a publié un rapport consacré à "La responsabilité des entreprises et le rôle de la profession d'avocat". En 2003 déjà, le CCBE avait publié des lignes directrices sur ce thème, conscient des incidences croissantes de la responsabilité sociale des entreprises sur la profession d'avocat. Compte tenu des évolutions importantes au niveau international, européen et national en matière de RSE, il était indispensable, pour cette institution, d'élaborer un état des lieux de la situation qui sera prochainement suivi d'un guide de bonnes pratiques. L'évolution de la RSE

La Commission européenne définit la responsabilité des entreprises (RE) comme étant "la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu'elles exercent sur la société".

Sur le fond, la RE repose généralement sur trois facteurs -populations-planète-profits-, qui regroupent des sujets de préoccupations sociaux, environnementaux, éthiques, relatifs aux droits de l'Homme et à la lutte contre la corruption, notamment la gouvernance.

L'aspect "populations" renvoie à la responsabilité sociale des entreprises vis-à-vis de leurs employés et des personnes extérieures qui sont (potentiellement) touchées par les conséquences des affaires de l'entreprise. Il comprend notamment l'interdiction de l'esclavage, du travail forcé ou obligatoire, du travail des enfants, du droit à la vie privée et à la vie de famille, l'égalité des sexes, la diversité et la protection des droits des minorités.

L'aspect "planète" comprend la responsabilité envers l'environnement, qui consiste en particulier à éviter, à prévenir et à réduire ou à résoudre les répercussions négatives des activités des entreprises sur le climat, l'eau, les sols et la nature.

L'aspect "profits" renvoie essentiellement à la lutte contre la corruption et les pots-de-vin, la prévention des conflits d'intérêts, la lutte contre le blanchiment de capitaux et les délits d'initiés, ainsi que d'autres dimensions relatives à la conduite éthique des affaires dans le respect de la légalité.

Enfin, une bonne gouvernance requiert un système interne de vérifications, de rapports et de contrôles afin de garantir que les comportements illégaux ou contraires à l'éthique soient découverts, résolus et sanctionnés pour éviter lesdits comportements ainsi que le risque que l'entreprise et ses dirigeants ne soient reconnus responsables.

Le CCBE souligne que le débat relatif à la RE s'est accéléré très récemment en raison d'un grand nombre d'évolutions à l'échelle internationale, européenne et nationale affectant les avocats européens aussi bien dans leur rôle de conseillers professionnels auprès de leurs clients et de prestataires de services que concernant la désignation des cabinets d'avocats et des barreaux comme "entreprises", voire "entreprises multinationales", tenues de respecter les exigences de RE.

Au niveau mondial, la RSE a été concrétisée par différentes normes s'inscrivant dans la sphère juridique de la soft law, le droit souple dont la seule force contraignante est la pression sociale qui en appuie la mise en oeuvre. Une force qui n'est pas négligeable et n'est pas exclusive de certains aspects contraignants. Le Pacte Mondial en est l'une des premières expressions universelles. A l'époque, le Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, avait évoqué l'idée du Pacte Mondial dans un discours prononcé au Forum économique mondial de Davos, le 31 janvier 1999. La phase opérationnelle du Pacte a été lancée le 26 juillet 2000. L'idée était de rassembler les entreprises et les organismes des Nations Unies, le monde du travail et la société civile autour de neuf principes universels relatifs aux droits de l'Homme, aux normes du travail et à l'environnement. Depuis le 24 juin 2004, le Pacte Mondial compte un dixième principe relatif à la lutte contre la corruption.

En 2004, un projet de norme de l'ONU sur la responsabilité en matière de droits de l'Homme des sociétés transnationales et autres entreprises, élaboré par la sous-commission des droits de l'Homme, composée d'experts, a été rejeté par la Commission des droits de l'Homme composée, elle, d'Etats. L'un des points les plus critiques était la volonté de lui donner un caractère contraignant sans toutefois identifier de différence entre les obligations des Etats et celles des entreprises. La Commission n'a cependant pas abandonné la question. Elle a exigé, dans une résolution de juin 2005, la nomination d'un représentant spécial chargé de cette question. Le Professeur John Ruggie a été nommé fin 2005 à ce poste par le Secrétaire général de l'ONU, avec pour mandat d'identifier et de clarifier des normes relatives à la responsabilité sociale et à la transparence des entreprises au regard des droits de l'Homme. Son rapport de fin de premier mandat, présenté en 2008 au Conseil des droits de l'Homme (qui avait pris la suite de la Commission), a proposé un cadre politique construit autour des trois principes fondamentaux suivants :

- l'obligation pour les Etats d'assurer une protection contre les abus commis par les entreprises ;

- la responsabilité des entreprises de respecter l'ensemble des droits de l'Homme ;

- la nécessité d'offrir des voies de recours aux victimes d'abus commis par les entreprises.

Le Conseil a demandé au représentant spécial, d'ici la fin de son mandat en 2011, "d'opérationnaliser ces trois principes par le biais d'un ensemble de recommandations claires, ainsi que par des directives concrètes sur la responsabilité des entreprises". Et, le 17 juin 2011, les Nations Unies ont adopté les "Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'Homme", issus de son travail.

Par ailleurs, il existe aussi une norme ISO (Organisation internationale de normalisation) dont l'élaboration a été initiée en 2004 par des associations de consommateurs et qui vise à responsabiliser tous types d'organisations au niveau de leur impact sur la société et l'environnement : la norme ISO 26000. Cette norme définit cette responsabilité comme basée sur le respect des lois, la conformité aux normes internationales fondamentales, et la contribution au développement durable.

En octobre 2011, la Commission européenne a présenté une nouvelle stratégie sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE).

Elle soutient que, pour s'acquitter pleinement de leur responsabilité sociale, les entreprises doivent avoir "engagé, en collaboration étroite avec leurs parties prenantes, un processus destiné à intégrer les préoccupations en matière sociale, environnementale, éthique, de droits de l'Homme et de consommateurs dans leurs activités commerciales et leur stratégie de base".

La nouvelle stratégie de la Commission définit un programme d'action pour la période 2011-2014.

Le programme contient les huit objectifs suivants :

- renforcer la visibilité de la RSE et diffuser les bonnes pratiques. Cet objectif comprend le lancement d'un prix européen pour la RSE et la mise en place de plateformes sectorielles encourageant les entreprises et les parties prenantes à prendre des engagements et à assurer ensemble le suivi des progrès ;

- mesurer et améliorer le degré de confiance dans les entreprises. La Commission organisera un débat public sur le rôle et le potentiel des entreprises et réalisera des études sur la confiance des citoyens à l'égard des entreprises ;

- améliorer les processus d'autorégulation et de corégulation. La Commission propose d'élaborer un code des bonnes pratiques encadrant à l'avenir les initiatives en faveur de l'autorégulation et de la corégulation ;

- renforcer l'attrait de la RSE pour les entreprises. Pour cela, l'UE devra s'appuyer sur ses politiques en matière de consommation, d'investissement et de marchés publics pour encourager le marché à récompenser le comportement responsable des entreprises ;

- améliorer la communication par les entreprises d'informations sociales et environnementales ;

- poursuivre l'intégration de la RSE dans les domaines de l'éducation, de la formation et de la recherche ;

- souligner l'importance des politiques nationales et infranationales en matière de RSE ;

- et approcher les conceptions européenne et mondiale de la RSE.

Le rôle de l'avocat

Compte tenu de la définition donnée par la Commission de la responsabilité des entreprises, englobant le respect du droit applicable, de la législation non contraignante et des codes de conduite volontaire, il semble évident pour le CCBE que les compétences des avocats sont pleinement mises en jeu. La maîtrise de la RE/RSE par les avocats est nécessaire à double titre : d'une part, en sa qualité de conseil, et, d'autre part, en sa qualité de prestataire de services et/ou d'entreprises.

Le conseil en matière de RE/RSE

La portée traditionnelle des conseils que l'avocat donne à son client doit être étendue car, comme le relève le CCBE, les instruments non contraignants et les codes de conduite et stratégies volontaires ont tendance à être intégrés à des instruments qui peuvent avoir des effets juridiques. Ainsi, par exemple, dans le secteur des marchés publics, les facteurs de responsabilité des entreprises peuvent jouer un rôle décisif dans l'admission à une procédure de passation de marchés publics et dans l'attribution d'un contrat.

Il est ainsi recommandé aux avocats de former des groupes d'audit pour le respect des réglementations et du droit locaux applicables ainsi que des politiques des cabinets applicables mondialement. Parallèlement, les avocats sont fortement encouragés, en matière de RE, à s'informer dans le cadre de leur devoir de formation permanente.

Dans ce domaine, encore, le secret professionnel joue un rôle spécial et unique. Si le contenu et la structure du secret professionnel peut varier d'un pays à l'autre, il existe toutefois un élément commun applicable à travers tous les Etats membres : la correspondance, la documentation et les informations que le client confie à l'avocat ou qui sont rassemblées dans le cadre de la relation du client avec l'avocat doivent être traitées de manière confidentielle et doivent dans l'ensemble être protégées afin d'empêcher leur divulgation.

Enfin, les clients attendent de leur avocat qu'il les conseille quant à l'évolution du droit dans le cadre de la gestion de leurs risques. Cet aspect doit prendre en compte la RE.

L'avocat en qualité de prestataire de service et/ou d'entreprises

Les sociétés qui s'engagent en matière de responsabilité des entreprises imposent de plus en plus d'exigences à leurs fournisseurs. Et les cabinets d'avocats étant souvent considérés comme des prestataires de services, il peut leur être demandé de respecter le code de conduite de leurs clients. Ainsi, il est constaté que les cabinets commencent de plus en plus à élaborer leur propre politique en matière de RE/RSE. Les clients demandent également de plus en plus aux cabinets de remplir des questionnaires de diligences en matière de corruption ou de politiques qu'ils ont mises en place. Or, le CCBE constate que les cabinets ne répondent pas souvent correctement à ce type de demande : en effet, renvoyer aux règles du barreau et aux normes de déontologie ne répond, en général, pas correctement aux demandes de RE des clients car les points concernés ne sont pas les mêmes.

Les cabinets d'avocats sont considérés comme des entreprises commerciales au sens des instruments internationaux, européens et nationaux. Certains cabinets adhèrent au Pacte mondial des Nations Unies, d'autres publient des rapports de RE tous les ans, et quelques-uns ont adopté des politiques en matière de RE. Les barreaux sont, tout comme d'autres organisations et associations professionnelles, considérés comme des entreprises et sont au sens large soumis à des exigences en matière de RE. Enfin, le CCBE souligne que l'adoption de politiques intelligentes en matière de RE offre aux cabinets un attrait supplémentaire et leur permet d'améliorer leur capacité à recruter de jeunes avocats talentueux.

Pour conclure, et avant de livrer ses lignes directrices à l'intention de la profession, le CCBE dresse la liste des éléments fondamentaux de la responsabilité des entreprises au sein de la profession d'avocat.

Il s'agit :

- des législations nationales et des règles des barreaux qui régissent les responsabilités et les normes déontologiques des avocats ;

- de la Charte des principes essentiels de l'avocat européen et du Code de déontologie des avocats européens qui comprend l'aspect économique et de gouvernance des responsabilités des avocats ;

- de la responsabilité environnementale ;

- de la responsabilité sociale ;

- de la gouvernance ;

- de la gestion de la chaîne d'approvisionnement des cabinets d'avocats et des barreaux ;

- du Pro bono et services communautaires ;

- de la philanthropie et des oeuvres caritatives.

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