Lexbase Public n°266 du 15 novembre 2012 : Fonction publique

[Jurisprudence] Les fonctionnaires syndicalistes ne bénéficient pas d'un droit automatique à l'avancement de grade

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 29 octobre 2012, n° 347259, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1174IWE)

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 15 Novembre 2012

Dans un arrêt rendu le 29 octobre 2012, le Conseil d'Etat a dit pour droit que les fonctionnaires bénéficiant d'une décharge totale de service pour l'exercice de mandats syndicaux et dont l'ancienneté de grade excède l'ancienneté moyenne des agents titulaires du même grade ne bénéficient pas d'un droit automatique à l'avancement au grade supérieur. A cette occasion, il a rappelé qu'il résulte de l'ensemble des articles 77, 79 et 80 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L7448AGX), qu'il appartient à l'autorité territoriale, sous le contrôle du juge, de veiller à ce que les fonctionnaires bénéficiant d'une décharge totale de service pour l'exercice de mandats syndicaux bénéficient effectivement d'un déroulement de carrière équivalent à celui des autres fonctionnaires du cadre d'emploi, en se fondant, pour les inscrire, après avis de la commission administrative paritaire, au tableau annuel d'avancement, sur l'avancement moyen au cours des années précédentes des fonctionnaires du cadre d'emploi, emploi ou corps de la collectivité territoriale ou, si les effectifs de celle-ci sont insuffisants, des fonctionnaires du cadre d'emploi, emploi ou corps des collectivités territoriales et établissements affiliés au centre de gestion de la fonction publique territoriale compétent. Un tribunal administratif, en jugeant qu'un fonctionnaire, en décharge totale de service pour l'exercice d'un mandat syndical, bénéficie d'un droit automatique à être promu sur le fondement des dispositions de l'article 77 de la loi du 26 janvier 1984, au motif que son ancienneté excède celle d'un fonctionnaire "ordinaire", commet donc une erreur de droit. I - Les décharges d'activité de service consistent en une autorisation donnée à un agent public d'exercer, pendant ses heures de service, une activité syndicale en lieu et place de son activité administrative normale. L'article 103 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012, relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique (N° Lexbase : L3774ISL), a étendu le bénéfice des règles relatives à l'avancement des fonctionnaires territoriaux bénéficiant d'une mise à disposition ou d'une décharge totale de service pour l'exercice d'un mandat syndical aux fonctionnaires déchargés à temps partiel pour l'exercice d'un tel mandat. Il a été jugé qu'une décision d'octroi ou de refus de décharge de service constitue une décision faisant grief (CE 1° et 6° s-s-r., 17 mars 2004, n° 262659, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6158DBP, CE 1° et 6° s-s-r., 13 juillet 2006, n° 281219, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6551DQP) et que l'égalité de traitement à laquelle ont droit les agents d'un même corps ou d'un même cadre d'emplois fait obstacle à l'établissement de règles d'avancement discriminatoires au détriment de certains d'entre eux, à moins que des circonstances exceptionnelles n'en justifient l'établissement dans l'intérêt du service (CE Ass., 27 octobre 1989, n° 95511, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1728AQ3). Dans un même souci d'équité, la Haute juridiction administrative a déjà sanctionné des dispositions règlementaires ayant introduit une discrimination dans les conditions d'avancement entre agents du même cadre d'emplois placés dans des situations identiques en réservant ces possibilités de promotion aux agents détachés dans certains emplois au sein de la même collectivité, et en excluant de leur bénéfice les agents détachés dans ces mêmes emplois auprès d'une autre collectivité (CE 3° et 5° s-s-r., 3 avril 1998, n° 179197, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7567AS3).

Dans tous les cas, les décharges d'activité de service ne peuvent être octroyées à des organisations qui ne sont pas présentes dans la collectivité ou l'établissement (CE 3° et 5° s-s-r., 14 mars 1997, n° 108380, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8724ADH), ni faire l'objet d'un report, aucun texte ne prévoyant les conditions d'un éventuel report des heures de décharge d'activité non utilisées, ni les modalités du dépôt des demandes de décharge (CE 3° s-s., 28 décembre 2007, n° 304384, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2183D3A). En outre, le fonctionnaire qui bénéficie d'une décharge de service pour l'exercice d'un mandat syndical doit être regardé comme exerçant effectivement les fonctions de l'un des emplois correspondant au grade qu'il détient et peut, dès lors, percevoir l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires (CAA Lyon, 3ème ch., 19 septembre 2006, n° 03LY00458, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9855DRG) sur la base d'un temps plein (CE 3° s-s., 26 août 2009, n° 299107, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5759EKI). De manière générale, le juge administratif s'est montré plutôt clément envers l'agent public se trouvant dans cette situation, énonçant encore récemment que le fonctionnaire qui bénéficie d'une décharge totale de service pour l'exercice d'un mandat syndical a droit à ce que lui soit maintenu le bénéfice de l'équivalent des montants et droits de l'ensemble des primes et indemnités légalement attachées à l'emploi qu'il occupait avant d'en être déchargé pour exercer son mandat (CE Sect., 27 juillet 2012, n° 344801, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0737IRQ, CE 1° et 6° s-s-r., 7 juillet 2008, n° 295039, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6059D9B). Par ailleurs, le Conseil d'Etat a confirmé l'annulation de la décision d'un maire d'effectuer une retenue sur le traitement de responsables syndicaux, au motif que l'action à laquelle ils avaient participé dans le cadre d'une décharge d'activité de service était dépourvue d'utilité pour les agents de la commune (CE 3° et 5° s-s-r., 10 juillet 1995, n° 127746, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4992AN9).

Toutefois, cette position d'activité n'implique pas que des avantages pour l'agent concerné, puisque le fonctionnaire territorial bénéficiant d'une décharge totale d'activité pour l'exercice d'un mandat syndical ne remplissant plus la condition d'exercice effectif des fonctions qui ouvraient précédemment droit au bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire (NBI) ne peut prétendre au maintien de celle-ci (CE 9° et 10° s-s-r., 27 juillet 2005, n° 255395, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1303DKH, CAA Lyon, 3e ch., 16 janvier 1998, n° 94LY21618, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1238BGX). Il perd celle-ci dans le cas où il la percevait à raison de ses précédentes fonctions, car le bénéfice de la NBI ne constitue pas un avantage statutaire et n'est lié ni au cadre d'emplois, ni au grade mais dépend seulement de l'exercice effectif des fonctions qui y ouvrent droit (CE Sect., 6 novembre 2002, n° 223041, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7473A38, CAA Bordeaux, 4e ch., 20 janvier 2005, n° 04BX00689, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0409DHM), un remplaçant ne pouvant donc prétendre au bénéfice de ce versement (CE 3° et 8° s-s-r., 13 juillet 2012, n° 350182, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8419IQU).

II - Dans leur décision du 29 octobre 2012, les juges du Palais-Royal ont souligné "que les dispositions de l'article 77 de la loi du 26 janvier 1984 ont pour objet de garantir aux fonctionnaires bénéficiant d'une décharge totale de service pour l'exercice de mandats syndicaux un déroulement de carrière équivalent à celui des autres fonctionnaires du cadre d'emploi, emploi ou corps auquel ils appartiennent et visent à les prémunir contre des appréciations défavorables qui pourraient être liées à l'exercice de leur mandat syndical". Dans un arrêt rendu le 16 mai 2012, ils avaient rappelé le régime de la décharge de service s'appliquant aux fonctionnaires de l'Etat que fixent l'article 59 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (N° Lexbase : L7077AG9), et l'article 19 du décret n° 82-447 du 28 mai 1982, relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique (N° Lexbase : L0991G89). Ces dispositions consacrent un droit à l'avancement pour un fonctionnaire bénéficiant d'une décharge totale d'activité pour l'exercice d'un mandat syndical qui est déterminé, chaque année, par référence à l'avancement moyen de l'ensemble des fonctionnaires du corps auquel il appartient, cet avancement moyen étant apprécié en calculant la moyenne de l'ancienneté des agents du corps auquel il appartient et qui ont été promus à ce grade au titre du ou des précédents tableaux d'avancement. En revanche, il ne saurait être apprécié par référence à l'avancement moyen des seuls agents qui appartenaient au même corps que lui à la date à compter de laquelle il a bénéficié d'une décharge totale d'activité (CE 3° s-s., 16 mai 2012, n° 337850, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7182ILL). De manière générale, le juge exerce toujours un contrôle restreint sur l'appréciation à laquelle procède l'administration pour accorder à un fonctionnaire un avancement d'échelon à l'ancienneté minimale (CE 3° et 5° s-s-r., 11 mars 1992, n° 89272, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5554AR7).

Un peu auparavant, le Conseil d'Etat avait rappelé, dans un souci de protection de ces agents syndicalistes, par une décision rendue le 24 février 2011, "qu'il appartient à l'autorité investie du pouvoir hiérarchique de prendre à l'égard des fonctionnaires placés sous sa responsabilité les décisions, notamment d'affectation et de mutation, répondant à l'intérêt du service" et que "ces décisions doivent tenir compte à la fois de l'intérêt du service et des exigences propres à l'exercice normal du mandat dont il est investi", tout ceci sous la surveillance du juge administratif (CE 2° et 7° s-s-r., 24 février 2011, n° 335453, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7017GZW). La notion d'intérêt du service s'apprécie en fonction des besoins, des contraintes, ainsi que de la mission du service, tels qu'ils ont été définis ou voulus par l'autorité compétente. Comme la notion d'intérêt général, elle n'a donc pas de contenu prédéterminé. Ce sont les faits de l'espèce qui permettront de déterminer si la décision a bien été prise dans l'intérêt du service. En règle générale, l'intérêt du service est invoqué en justification d'une décision prise à l'égard d'un agent et qui lèse les intérêts particuliers de cet agent. L'autorité administrative, et éventuellement le juge, doivent donc concilier ces intérêts divergents.

La décision prise aura un rapport avec le mandat représentatif quand sa motivation fera ressortir que c'est en raison de l'existence même de ce mandat, ou de la façon qu'il a été exercé, que la décision a été prise. Cette motivation pourra être explicite ou ressortir des circonstances de l'espèce. Des indices, tels que le fait que des reproches aient été adressés à l'agent en raison de son mandat, ou que les motifs avancés paraissent factices, exagérés ou non prouvés, peuvent inciter le juge à considérer que ce n'est pas l'intérêt du service, ou encore le comportement de l'agent dans le cadre de l'exercice strict de ses fonctions (la perturbation liée à la mobilisation de l'agent pour l'exercice du mandat ne pouvant être prise en considération), qui ont justifié la décision, mais bien le mandat représentatif. A titre d'illustration des considérations qui sont retenues comme relevant de l'intérêt du service, une mesure de licenciement peut être prise, non seulement en raison d'une faute ou de l'insuffisance professionnelle de l'agent concerné, mais aussi dans ce but. Une telle mesure de licenciement est considérée comme justifiée par l'intérêt du service lorsqu'il est démontré que l'emploi a été supprimé à la suite d'une réorganisation du service (CAA Paris, 4ème ch., 24 juin 1999, n° 97PA02404, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1643BIP), que la mesure ait été prise par mesure d'économie (CAA Douai, 3ème ch., 4 décembre 2008, n° 07DA00558 N° Lexbase : A6812ECB), ou encore que le comportement de l'agent ait nui au bon fonctionnement du service (CE 4° s-s., 30 janvier 2008, n° 296406, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5949D44).

En revanche, le licenciement motivé en fait par l'appartenance politique de l'intéressé est considéré comme pris sur le fondement de considérations étrangères à l'intérêt du service (CE 3° et 5° s-s-r., 8 juillet 1991, n° 80145, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0433ARH). Dans le cas d'un agent investi d'un mandat, la justification de l'intérêt du service devra être renforcée dans la mesure où une conciliation doit être opérée avec les "exigences propres à l'exercice normal du mandat" dont l'agent est investi, et qui découlent du principe de représentation, dont la valeur est, aux termes de l'arrêt commenté, constitutionnelle. Cet exercice de conciliation n'est pas sans rappeler celui imposé par le juge en matière de règlementation du droit de grève par le chef de service, cette conciliation s'opérant entre les deux principes constitutionnels que sont le droit de grève et le principe de continuité du service public, comme cela ressort de la jurisprudence initiée par l'arrêt "Dehaene" du Conseil d'Etat (CE, 7 juillet 1950, n° 01645, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5106B7A). En outre, l'arrêté par lequel un maire mute un agent, ayant pour objet de faire obstacle à ce que l'intéressé continue à exercer les fonctions de délégué syndical au sein d'un service dans lequel il avait contribué à créer une section syndicale, est illégal (CE 3° et 5° s-s-r., 28 avril 1989, n° 85664, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3042AQQ).

Comme on le voit, le fonctionnaire syndicaliste bénéficie légitimement d'un statut relativement protecteur assuré à la fois par le législateur et le juge. Il est donc logique que ce dernier pose une simple limite, à savoir celle de l'égalité de tous les agents publics devant la procédure d'avancement, surtout en ces temps troublés ou le secteur public devra affronter de nombreuses restrictions budgétaires.

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