Lexbase Social n°872 du 8 juillet 2021 : Social général

[Actes de colloques] Vieillissement et départ anticipé

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N8113BY7

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par Sophie Rozez, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Paris Nanterre

le 22 Juillet 2021

 


Le 13 avril 2021, s'est tenu à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, un colloque sur le thème « Le vieillissement, à l’épreuve des choix », sous la direction scientifique de Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lille. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Social vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.

Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N8213BYT).

Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.


 

Aborder la question du vieillissement et des départs anticipés du point de vue du droit social pose un double défi en raison du flou qui entoure ces deux notions.

Il est entendu que la vieillesse correspond à un état physiologique, susceptible d'évoluer vers la perte d'autonomie y compris économique. Le vieillissement évoque quant à lui un processus qui opère dès le commencement de la vie. Mais le vieillissement n’est pas défini en droit. La définition donnée dans le dictionnaire juridique de Cornu de la vieillesse « l’état d’une personne qui, ayant dépassé un certain âge, est présumé ne plus pouvoir travailler, et peut bénéficier, à ce titre, d’un régime de pension retraite et d’une aide éventuelle à défaut d’un minimum de ressources » [1]. L'auteur renvoie à une conception dans laquelle l'âge joue une fonction centripète en référence à la retraite du travailleur.

Qu’il s’agisse de protéger, ou d’exclure, l’âge est une référence constante en droit. En situant le temps écoulé depuis la naissance, il est un critère suffisamment objectif pour rendre compte du vieillissement d'une personne. L'âge délimite le champ d'application de la règle qu'il s'agisse de reconnaître des droits ou d'exclure...

Précisément, le droit social - entendu ici dans la coexistence du droit de la protection sociale et du droit du travail opère en se fondant des cycles de vie organisée par âges à partir des capacités productives. La perspective d’un déclin économique lié à l’inactivité a justifié, la mise en place des retraites par répartition. Aujourd’hui confronté à un chômage de masse affectant les plus jeunes et les plus âgés et un allongement de la durée de la vie, ce modèle est remis en cause aux deux bornes : par les difficultés que rencontrent les jeunes dans l’accès au marché du travail - le phénomène Tanguy - et dans la sortie précipitée des plus vieux dont l’espérance de vie augmente.

Ensuite, la notion de « départ anticipé » n'est pas une catégorie juridique clairement définie. Rapportée à son expression étymologique anticepare, « prendre les devants », elle évoque une sortie de l'activité professionnelle, avant même que les conditions d'ouverture de la retraite ne soient réunies. En effet, la retraite, qui signait auparavant la fin de la carrière professionnelle ne coïncide plus avec le moment auquel le travailleur quitte son emploi, brouillant ainsi les frontières entre activité et inactivité. De fait, le taux d’emploi des 60-64 ans est de 33,9 %, laissant la France loin derrière l’Allemagne (60 %), la Suède ou le Japon (70 %) [2].

Les raisons de cette faiblesse sont multiples. Tout d'abord, le retrait d’activité des plus âgés a été pendant longtemps la solution apportée à la contraction du marché du travail. En réponse aux difficultés d'insertion professionnelle des plus jeunes, les politiques sociales conduites depuis la fin des années 70 jusqu’à récemment ont encouragé le développement des préretraites en réponse à la crise de l'emploi, notamment des plus jeunes. L'éviction des travailleurs les plus âgés, qui perçoivent les salaires les plus élevés, a également reçu un accueil chaleureux de la part des entreprises. Mais non seulement, ces politiques de l’emploi n’ont pas réussi à résorber le chômage des plus jeunes, elles ont également contribué à une déconsidération de l’emploi des plus âgés. Ce n’est que dans les quinze dernières années, que les politiques du vieillissement actif, impulsées par Bruxelles, ont été encouragées dans le sens d’un partage générationnel du travail. Mais les effets de cette réhabilitation des travailleurs les plus âgés paraissent encore insuffisants si l'on en juge la situation française.

Ensuite, l'abaissement de l'âge de la retraite à soixante ans issu de l'ordonnance du 26 mars 1982 a contribué à nourrir une conception âgiste de la retraite [3]. L'âge polarise le passage de l'activité à la retraite. Privés d’horizon professionnel, les plus âgés seraient moins enclin à se former, à s’adapter, les directions de ressources humaines étant peu disposées à investir cette catégorie de travailleurs [4]. À cela il faut ajouter que l’état de santé des travailleurs tributaires des conditions de travail, notamment de la pénibilité est un facteur discriminant pour une carrière longue [5]. Les risques psychosociaux liés à des politiques de ressources humaines parfois délétères conduisent les salariés eux-mêmes à voir dans leur départ de l’entreprise une aubaine.

Curieusement ce phénomène de cessation anticipée d’activité est facilité par le droit, alors même, que celui-ci s'efforce dans le même temps de reculer l'âge de départ à la retraite. Dans cette zone grise se profilent des catégories de personnes qui transitent de l'emploi vers la retraite, sans que leur statut soit clairement défini, au risque d'un appauvrissement économique et d'une déconsidération sociale. Comment dès lors adapter les dispositifs de protection sociale à une désynchronisation des temps d’activité et d’inactivité ?

Ce brouillage des frontières entre activité et retraite (I.) invite à un changer de paradigme, en esquissant un droit social de la longévité (II).

I. Activité et retraite : des frontières brouillées

Le recul de l'âge de la retraite (A) entre en tension avec la multiplication des dispositifs de cessation anticipée d'activité (B), source d'insécurité sociale.

A. Le recul de l'âge de la retraite en droit de la Sécurité sociale

Alors que le droit de la Sécurité sociale fixe les conditions préalables à la liquidation de la pension retraite, le droit du travail encadre la rupture du contrat de travail. Cette délimitation de leur domaine respectif a justifié l'adoption de règles d'articulation. Ainsi que la loi n° 87-588 du 30 juillet 1987, portant diverses mesures d'ordre social (N° Lexbase : L2996AIS) a substitué au licenciement et à la démission la mise à la retraite à l'initiative de l'employeur ou le départ à la retraite par le salarié, accentuant la spécialisation du droit social.

De même, les dispositions relatives à la retraite font l’objet, depuis la recodification du Code du travail de deux sous-sections, l’une consacrée au départ à la retraite à l’initiative du salarié, l’autre à la mise à la retraite à l’initiative de l’employeur.

Pour obtenir une pension retraite à taux plein, l'article L. 161-17-3 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2586IZS) prévoit une double condition d’âge relevé à soixante-deux ans et de durée de cotisation dont la durée augmente progressivement selon les générations concernées [6]. En portant cette dernière à quarante-trois annuités pour les générations nées à partir de 1975, la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014, garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, dite loi « Touraine » (N° Lexbase : L2496IZH) ambitionnait de porter l’âge de la liquidation de la retraite aux alentours de soixante-quatre ans. C’est ce même âge encore l'âge de soixante-quatre ans qui est retenu par l’article 56 bis du projet de loi de 2020 portant réforme des retraites. Cet âge appelé « pivot » est présenté comme un point d’équilibre en deçà duquel la pension serait assortie d’une décote. Cette disposition revient à jouer sur le taux plein, sans que l’âge légal de départ à la retraite de soixante-deux ans ne soit formellement remis en cause. Ainsi envisager les départs à la retraite à l’initiative des salariés devrait être de plus en plus tardif compte tenu de l’allongement de la durée de cotisation. Il faut en effet tenir compte du fait d'une part que les plus jeunes entrent plus tardivement sur le marché du travail et d'autre part que les carrières des travailleurs, en particulier celle des femmes peuvent connaître des interruptions impactant le montant de leur pension. Ce recul de l’âge de la retraite, inscrit dans toutes les lois paramétriques de réforme des retraites depuis 1993, s’accompagne d’une incitation financière. La poursuite de l’activité professionnelle au-delà de cette période minimale de cotisation génère une majoration du montant de la pension. À l’inverse, une décote s’applique si le salarié ne remplit pas cette durée minimale de cotisation.

Malgré tout, actuellement l’âge moyen de départ à dépasser soixante-trois ans [7].

À contre-courant, de ces efforts du législateur tendant à relever l’âge d’entrée dans la retraite, de nombreux dispositifs légaux consacrent dans le même temps des départs anticipés.

B. Consécration de dispositifs légaux de départ anticipés

Non seulement, le Code de la Sécurité sociale prévoit des dispositifs de retraites anticipées, mais les mesures de préretraites fleurissent dans les entreprises.

La loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, de financement de la Sécurité sociale pour 1999 (N° Lexbase : L5411AS9) a instauré pour les travailleurs exposés à l’amiante [8], qui ne sont pas atteints d’une maladie professionnelle consécutive à cette exposition, un dispositif de préretraite leur permettant de quitter leur emploi dès l'âge de cinquante ans. Une allocation de cessation anticipée d'activité est versée jusqu'à ce que le bénéficiaire remplisse les conditions pour bénéficier d'une retraite à taux plein [9]. La rupture du contrat de travail est assez singulière puisqu'elle est assimilée à une démission assortie d'une indemnité de cessation d'activité dont le montant est équivalent à celui de l'indemnité de licenciement. Par la suite, la réforme du 21 août 2003 a créé une retraite anticipée « carrière longue » au profit des assurés ayant travaillé avant l’âge de vingt ans. Ces derniers peuvent liquider leur pension de retraite à taux plein s'ils justifient d’une durée d’assurance suffisante [10]. Peuvent également liquider leur pension jusqu’à deux ans avant l’âge de départ à la retraite, les salariés exposés à des facteurs de risque liés à des contraintes physiques, à un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail [11]. Une autre dérogation est prévue pour les personnes atteintes d’une incapacité permanente d’au moins 50 % ou reconnue au titre d’une maladie professionnelle ou accident du travail et qui justifie d’un nombre minimal de trimestres de cotisations [12].

On observera que ces dispositifs prévus par le Code de la Sécurité sociale s’adressent à des travailleurs qui ont leur part de cotisations ou dont l’état de santé, l'exposition à certains risques impactent leur espérance de vie [13]. À côté de ces dispositifs légaux de cessation anticipés d'activité, fondés sur l'équité, il faut tenir compte de la pratique des relations collectives de travail.

Face à un travailleur âgé, l'employeur dispose de différents moyens pour rompre le contrat de travail. En toute hypothèse, l'âge de soixante-dix ans sonne le glas pour le salarié, l'employeur pouvant librement le mettre à la retraite [14]. Mais, il faut aller au japon ou en Corée pour observer des départs à la retraite aussi tardifs [15]. Avant cet âge honorable l'employeur ne peut, conformément à l'article L. 1237-5 du Code du travail (N° Lexbase : L3091INS), que proposer, la mise à la retraite dès lors que le salarié peut bénéficier d'une retraite à taux plein [16], soixante-sept ans au plus tard et soixante-deux ans au plus tôt [17].

La mise à la retraite du salarié relève d'un régime hybride combinant les dispositions du Code de la Sécurité sociale pour les conditions d'ouverture et celles du Code du travail en ce qui concerne la rupture du contrat de travail. Le respect d'un certain formalisme a été imposé par la jurisprudence laquelle exige une notification écrite de la mise à la retraite, sous peine d’une requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse [18]. Néanmoins l’employeur est dispensé de toute justification, contrairement à ce qui se passe en matière de licenciement. De sorte que les dispositions du Code de la Sécurité sociale constituent un bouclier contre la démonstration d’une discrimination fondée sur l’âge. Si une mesure liée à l’âge peut donner lieu à discrimination - sauf à être objectivement et raisonnablement justifiée et à poursuivre un objectif légitime - tel n’est pas le cas, lorsque la mise à la retraite remplit les conditions légales. Elle constitue une dérogation à l’interdiction faite à l’employeur de prendre en considération l’âge du salarié. C'est en ce sens que s'est prononcé le Conseil constitutionnel dans sa décision QPC du 4 février 2011. Selon lui, l'article L. 1237-5 du Code du travail qui relève de la compétence du législateur en matière de politique d’emploi est fondé sur des « critères objectifs et rationnels » [19].

La mise à la retraite peut encore être happée par le régime du licenciement collectif économique. Specialia generalibus derogant. Ainsi, lorsque le licenciement donne lieu à l’élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi, la mise à la retraite des salariés est alors considérée comme une mesure visant à limiter le nombre des licenciements, ce qui fait des plus âgés une population cible en cas de compression des effectifs. Le droit de la Sécurité sociale est ici soluble dans le droit du licenciement. Telle Pénélope qui détricote la nuit, ce qu’elle réalise, le jour, les dispositions spécifiques au droit du licenciement économique condamnent les efforts de ce même législateur à allonger la durée d’activité.

Le plus remarquable des dispositifs offrant la possibilité d’un départ anticipé réside la préretraite. Différentes formes ont été encouragées par les politiques sociales à partir des années soixante-dix. Ces préretraites, qui permettaient aux salariés de quitter leur emploi dès l’âge de soixante ans - l’âge de départ légal était alors de soixante-cinq ans - ont servi de rampe de lancement à l’ordonnance de 1982 qui a fixé l'âge légal de la retraite à soixante ans. Par la suite, les différents dispositifs de préretraite ont poursuivi le mouvement en abaissant l’âge d’adhésion à cinquante-cinq ans, parfois moins. Sous-tendue par une logique de partage intergénérationnel du travail, il s'agissait de libérer le marché du travail afin de favoriser l'embauche des jeunes [20] . Abrogées en 2012, elles continuent d'imprégner les cultures d'entreprise.

Aujourd’hui mises en place, par voie d’accord collectif ou sur décision unilatérale de l’employeur, à l'occasion notamment d'un plan de sauvegarde de l'emploi, associées à un plan de départ volontaire, les préretraites d'entreprise reposent sur l'adhésion du salarié dont le contrat de travail est soit rompu, soit suspendu jusqu'à la liquidation de la retraite. Ce caractère volontaire les fait également échapper au principe de non-discrimination fondée sur l'âge [21]. Elles donnent lieu à une indemnisation financée par l'entreprise.

On le voit la conjugaison des dispositifs légaux et de préretraite d'entreprise tend à raccourcir la durée d'activité des travailleurs vieillissants. Ils constituent, pour ces dernières des passerelles vers la retraite. Cette situation est soutenue par un régime d’indemnisation du chômage relativement favorable les salariés âgés de plus de 57 ans échappant à la dégressivité des allocations [22]. De plus, le demandeur d’emploi, ayant épuisé ses droits à indemnisation peut bénéficier du versement de l’allocation de solidarité spécifique [23] ou éventuellement du revenu de solidarité active [24]. Mais ces périodes de transition ne manqueront pas d'avoir des répercussions sur le montant de la pension. Bien que comptabilisé en tant que période d’assurance, le niveau des revenus de remplacement perçus joue défavorablement le montant de la pension retraite. Elles exposent les travailleurs dont la durée de cotisation est insuffisante – en particulier aux femmes - à des situations de pauvreté, notamment lorsque l’exclusion de l’activité est précoce.

Les politiques sociales en direction des personnes âgées ont été construites à partir d’un découpage des âges de la vie axées sur la capacité productive des personnes qui montre ses limites. La notion de longévité pourrait ouvrir d'autres perspectives.

II.  Pour un droit social de la longévité

En écho avec son étymologie longus aevum, « le grand âge », la longévité met l'accent sur la continuité des parcours de vie en ouvrant la voie d'une citoyenneté sociale.

A. Une protection sociale de la continuité

Assurer une meilleure transition entre activité et inactivité est une piste à privilégier. Elle repose sur une meilleure information des assurés sociaux.

1) Promouvoir la retraite progressive

Crée par la loi n° 88-16 du 5 janvier 1988, relative à la Sécurité sociale, la retraite progressive assure une transition entre l’activité professionnelle et la retraite [25]. Elle permet de liquider une pension retraite dès soixante ans en justifiant de cent cinquante trimestres de cotisation tout en poursuivant une activité professionnelle à temps partiel. En tant que période travaillée, elle donne lieu au versement des cotisations retraite et permet ainsi d’optimiser le montant de la pension retraite. Elle permet également d’écarter le coefficient de solidarité applicable aux pensions de retraite complémentaires AGIRC-ARRCO qui sanctionne les salaires les plus élevés [26] [27].

Pourtant, la retraite progressive ne représente que 2 % de l’ensemble des attributions de droit direct [28]. Méconnaissance du dispositif, frilosité des employeurs à la mettre en oeuvre en raison de la réorganisation du temps de travail expliquent sa désaffection. À cela s'ajoute la complexité de mise en œuvre du dispositif entretenu par la Cour de cassation. La Chambre sociale a jugé dans deux arrêts du 3 novembre 2016 [29] que la retraite progressive ne pouvait bénéficier aux salariés en convention de forfait-jours. L’article L. 3123-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6834K9Y) auquel renvoie l’article L. 351-15 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8417LTW) envisage une activité à temps partiel inférieure à la dure légale ou conventionnelle exprimée en heures et non en jours. En retenant l’incompatibilité entre convention de forfait jour et temps partiel la deuxième chambre civile s'est en quelque sorte conformée à la jurisprudence consacrant le régime dérogatoire des conventions de forfait-jour [30]. Mais cette conception travailliste est un coup de frein supplémentaire au déploiement de la retraite progressive des salariés cadres. Cette solution vient toutefois d'être invalidée par le Conseil constitutionnel, récemment saisi d’une QPC portant sur la conformité à la Constitution de l’interprétation jurisprudentielle donnée à la combinaison des dispositions de l’article L 351-15 du Code de la Sécurité sociale et de l’article L. 3123-1 du Code du travail [31]. Il est reproché à cette jurisprudence d’introduire une rupture d’égalité devant la loi ainsi qu'une discrimination indirecte, les femmes étant majoritairement plus nombreuses à conclure des conventions de forfait d’une part et à opter pour des retraites progressives d’autre part. Le Conseil constitutionnel a considéré que bien que ces salariés sont dans une situation différente le législateur a cependant entendu faire bénéficier aux travailleurs exerçant une activité réduite d’une portion de leur retraite afin d’organiser la cessation progressive de leur activité. Les sages ont ainsi frappé d’inconstitutionnalité les dispositions de l’article L. 3123-1 du Code du travail, redonnant aux dispositions de l’art. L 351-15 du Code de la Sécurité sociale toute leur plénitude. La solution retenue consacre ainsi les préconisations du rapport « Delevoye » [32].

2) Information

La loi n° 2003-775 du 21 août 2013, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L9595CAM) a consacré un droit pour toute personne à être informée sur sa future retraite. En pratique, les assurés bénéficient d'un relevé individuel de situation téléchargeable en ligne retraçant l'ensemble des droits obtenus dans les différents régimes de retraite et présentant une estimation de la pension retraite. Les assurés âgés de quarante-cinq ans et plus, bénéficient également de la possibilité d'obtenir un entretien personnalisé [33]. Aux termes de l'article L. 161-17 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L0396I7S), cet entretien porte « sur les droits constitués dans les régimes de retraite obligatoires, sur les perspectives d'évolution de ces droits, compte tenu des choix et des aléas de carrière éventuels, sur les possibilités de cumuler un emploi et une retraite, tels que des périodes d'étude ou de formation, de chômage, de travail pénible, d'emploi à temps partiel, de maladie, d'accident du travail ou de maladie professionnelle ou de congé maternité, ainsi que sur les dispositifs leur permettant d'améliorer le montant futur de leur pension de retraite ». Mal connu, celui-ci est associé à 11 % des retraites liquides.   De plus, on peut regretter que l'énumération n’inclue pas explicitement le dispositif de retraite progressive.

B. Vers une citoyenneté sociale

S’interrogeant sur la question « qu’est-ce qu’être protégé ? », le sociologue Robert Castel exprimait que la protection sociale est la condition sine qua non pour « faire société » avec ses semblables. Historiquement fondée sur une conception professionnelle, la protection sociale est aujourd'hui confrontée à une crise identitaire. Doit-elle cibler principalement des populations rencontrant des difficultés particulières, telles que les personnes âgées, en se concentrant sur les plus démunies économiquement ou doit-elle s’inscrire dans une logique universaliste ? Cette dernière conception, d’inspiration béveridgienne, apporte une couverture sociale généralisée à l’ensemble de la société, ouvrant la voie d’une citoyenneté sociale [34].

En effet, se déploient depuis une trentaine d’années des dispositifs d'assistance venus colmater des brèches, en assurant des minimas vitaux aux plus démunis [35]. En revanche ceux en ont la possibilité sont invités à compléter leur revenu de replacement en recourant à des assurances privées, comme en témoigne l’ordonnance n° 2019-766 du 24 juillet 2019, portant réforme de l'épargne retraite [36]. Cette « stratégie de la soustraction » selon l’expression de Robert Castel est directement liée à la fragilisation financière des comptes sociaux mais également à un changement conceptuel à l'oeuvre en droit de la protection sociale. On observe ainsi un glissement d’une protection fondée sur la démocratie sociale, de nature collective vers une conception plus individualisée dans laquelle l’aide sociale tente de combler les situations de fragilités économique et sociale essentiellement imputables à l'exclusion du travail ou à des formes d’emploi précaire.

Seule une réforme systémique pourrait permettre de concilier protection et différenciation des parcours individuels. Elle suppose également de combattre les stéréotypes affectant les plus âgés. La notion de longévité apparaît comme le cadre structurant d’une telle voie. Elle permet de se recentrer sur l’individu envisagé dans son parcours de vie en l'émancipant de sa capacité productive.

 

[1] Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 2000.

[2] Dares, Les seniors et le marché du travail, Les tableaux de bords trimestriels, 26 janvier 2021 [en ligne]. 

[3] V. Réforme des retraites : la préservation des droits acquis soumise au vote des députés, Les Echos, 25 février 2020 [en ligne].

[4] A.-M. Guillemard, D. Vichien, La gestion de l’emploi selon les âges, Rapport du Haut Conseil de la population et de la famille, janvier 2007, p. 14 . V. M. Lubi, R.-P. Savary, Rapport d’information sur l’emploi des seniors, Commission des affaires sociales, Sénat, 26 septembre 2019, pp. 38-39.

[5] L’état de santé des plus de cinquante ans devrait justifier la cessation d’activité pour plus de 10 % d’entre eux V. Enquête, santé et vie professionnelle après 50 ans, Dares, 18 décembre 2005 [en ligne]. V. également, J.-L. Pommer, M.-C. Bardouillet, M. Gilles, A.-F. Molinié, Ce salarié devrait cesser de travailler : une approche de l’usure professionnelle des 50 ans et plus, in Retraite et Société, 2006/5 (n° 49), pp. 39-59.

[6] CSS, art. L. 161-17-2 (N° Lexbase : L4506IRC) et art. D. 161-2-1-9 (N° Lexbase : L5621IRM).

[7] Il s’agit de l’âge moyen de départ hors retraite anticipé. Statistiques de la CNAV, 2020 [en ligne]. 

[8] La liste des établissements ou des métiers concernés est fixé par l'arrêté ministériel du 3 juillet 2000 modifiant la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante.

[9] loi n° 98-1194, du 23 décembre 1998, de financement de la Sécurité sociale pour 1999 (N° Lexbase : L5411AS9), art. 41 ; décret n° 99-247, du 29 mars 1999, relatif à l'allocation de cessation anticipe d'activité des travailleurs de l'amiante (N° Lexbase : L3871IZE).

[10] Ainsi, un assuré né en 1958 peut partir dès l’âge de cinquante-sept ans et quatre mois s’il a cotisé 175 trimestres et commencé son activité avant seize ans.

[11] V. C. trav., art. L. 4163-7 (N° Lexbase : L4494LKN) et s..

[12] V. CSS, art. L. 351-1-3 (N° Lexbase : L2696IZU), D. 351-1-5 (N° Lexbase : L4531I7X) et s. Lorsque le taux d’incapacité atteint 80 % l’assuré peut également demander un examen de sa situation et valider 30 % de la durée d’assurance requise (CSS, art. L. 351-1-4 N° Lexbase : L8046LG4 ; Circ. CNAV n° 2018/24 du 23 octobre 2018 N° Lexbase : L6063LMI).

[13] V. également pour le préjudice d'anxiété : Ass. plén., 5 avril 2019, n° 18-17.442 (N° Lexbase : A1652Y8P).

[14] C. trav., art. L. 1237-4 (N° Lexbase : L1394H9I).

[15] OCDE, Vieillissement et politiques de l’emploi - Statistiques sur l'âge effectif moyen de la retraite [en ligne].

[16] V. CSS, art. L. 351-8, 1° (N° Lexbase : L2698IZX) renvoyant aux articles L. 161-17-2 (N° Lexbase : L4506IRC) et L. 161-17-3 (N° Lexbase : L2586IZS) et s. du même code.

[17] L’article L. 1237-5 du Code du travail (N° Lexbase : L3091INS) prévoit cependant des dérogations.

[18] Cass. soc., 9 mars 1999, Bull. civ. V, n° 109.

[19] Cons. const., décision n° 2010-98 QPC, du 4 février 2011 (N° Lexbase : A1691GR3), SSL, n° 1479/2011, p. 6.

[20] G. Esping-Anderson, Why deregulate Lalour Markets ?, Oxford University Press, 2010.

[21] Cass. soc., 20 avril 2017, n° 15-28.304, FS-P+B (N° Lexbase : A3152WAY), G. Loiseau, Le mystère de l'arrêt n° 15-28.304, SSL, 1768, 9 mai 2017.

[22] Décret n° 2021-346, du 30 mars 2021, portant diverses mesures relatives au régime d'assurance chômage (N° Lexbase : L8885L3H).

[23] C. trav., art. R. 5423-2 (N° Lexbase : L0417IAP) à R. 5423-8 (N° Lexbase : L0398IAY).

[24] S. Beck, J. Brednler, G.Salmon, J. Vidalenc, Quitter le chômage, un retour à l’emploi plus difficile pour les seniors, INSEE premier, n° 1661, 25 juillet 2017 [en ligne] ; C. Daniel, L. Eslous, A. Karvar, Retour à l’emploi des seniors, Rapport d’évaluation, Inspection générale des affaires sociales (IGAS), juin 2013 [en ligne].

[25] CSS, art. L. 351-15 (N° Lexbase : L8417LTW).

[26] Accord national interprofessionnel AGIRC ARRCO-AGFF relatif aux retraites complémentaires visant à faire face article 12-1-1 du 30 octobre 2015 [en ligne].

[27] Sont exemptées du malus, les retraités handicapés justifiant d'un taux d'incapacité permanente partielle d'au moins 50 %, les retraités inaptes justifiant d'un taux d'incapacité d'au moins 50 %., les mères ayant élevé au moins trois enfants. les anciens déportés ou internés et les anciens prisonniers de guerre ou combattants, les retraités ayant secouru leur enfant handicapé, aidants familiaux ayant interrompu leur activité professionnelle, les retraités concernés par le dispositif « amiante ». 

[28] CNAV, Retraite progressive, Données statistiques, 18 juin 2020 [en ligne].

[29] Cass. civ. 2, 3 novembre 2016, n° 15-26.275 et n° 15-26.276, F-D (N° Lexbase : A9022SEU).

[30] Cass. civ. 2, 28 mai 2015, n° 14-15.695, F-D (N° Lexbase : A8344NIU) ; Cass. civ. 2, 3 novembre 2016, n° 15-26.276, F-P+B (N° Lexbase : A9194SEA).

[31] Cons. const., décision n° 2020-885 QPC, du 26 février 2021 (N° Lexbase : A21584IR).

[32] Rapport « Delevoye », Pour un système de retraite universel, 2019, p. 44 [en ligne]. 

[33] CSS, art. L. 161-17 (N° Lexbase : L0396I7S).

[34] R. Castel, Qu’est-ce qu’être protégé ? La dimension socio-anthropologique de la protection sociale, in A.-M. Guillemard, Où va la protection sociale ?, PUF, Le Lien social, 2008, p. 101,

[35] Création du RMI en 1989, du RSA en 2009.

[36] Ordonnance n° 2019-766, du 24 juillet 2019, portant réforme de l'épargne retraite (N° Lexbase : L3019LRA).

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