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N3863BTA
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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)
le 01 Novembre 2013
Il en résulte, précisément, que lorsque plusieurs personnes sont coresponsables d'un dommage, la victime peut en demander réparation pour la totalité à l'une d'entre elles. Dès 1892, la chambre civile de la Cour de cassation affirmait en effet que " quand il y a participation de plusieurs à un fait dommageable, la réparation doit en être ordonnée pour le tout contre chacun ". Le principe a, par la suite, été précisé : "chacun des coauteurs d'un même dommage conséquence de leurs fautes respectives, doit être condamné in solidum à la réparation de l'entier dommage, chacune de ces fautes ayant concouru à le causer tout entier, sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité auquel les juges du fond ont procédé entre coauteurs, et qui n'affecte que les rapports réciproques de ces derniers, mais non le caractère et l'étendue de leur obligation au regard de la partie lésée" (4). Il est, depuis, d'application constante : dans tous les cas de préjudice indivisiblement causé par des délits ou quasi-délits civils (avec ou sans concours de fautes contractuelles) (5), il y aura obligation in solidum (6).
Sous cet aspect, la structure de la responsabilité in solidum, qui justifie que l'un des coresponsables puisse être condamné à réparer l'entier préjudice, mérite d'être mise en évidence.
- On rappellera, d'abord, que la responsabilité pour le tout des coauteurs tient au concours, pour produire le dommage, de plusieurs faits générateurs. Le dommage se rattache par hypothèse à l'activité de plusieurs individus. Il faut, en effet, considérer que "chaque coauteur a individuellement posé une condition propre à le causer. La réunion de ces diverses conditions, ce que l'on pourrait nommer le fait générateur complexe du dommage, est constitué par la combinaison de plusieurs faits générateurs simples" (7). Chaque coauteur du dommage a posé une condition nécessaire à la survenance de celui-ci ; la somme des conditions, la cause du dommage, n'est pas susceptible de division (8).
- A cette première condition tenant au concours de plusieurs faits générateurs, dont on a démontré qu'elle était, en l'espèce, remplie, s'en ajoute, ensuite, une autre : la responsabilité pour le tout des coauteurs est subordonnée à l'existence d'un seul et même dommage -on parle parfois de l'indivisibilité du dommage- ; ce qui explique d'ailleurs que la jurisprudence refuse de consacrer une obligation in solidum lorsque les coauteurs ont causé des dommages distincts quoique connexes (9). On a ainsi pu dire que "la cause immédiate de cette dette globale de réparation réside dans le dommage. La cause médiate de celle-ci doit être recherchée dans le fait générateur complexe composé de l'ensemble des faits générateurs simples posés par chaque coauteur. En liant le dommage unique à divers faits générateurs simples, le lien de causalité désigne plusieurs responsables tenus pour une même dette" (10).
Or, lorsque la victime du dommage transige avec l'un des coresponsables, elle se prive par hypothèse de la possibilité de rechercher leur responsabilité afin d'obtenir réparation de son préjudice. La transaction a précisément pour objet de régler une situation litigieuse. L'article 2044 du Code civil (N° Lexbase : L2289ABE), qui définit la transaction, dispose d'ailleurs que "la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître". En mettant fin à la contestation réglée, la transaction éteint alors le droit d'agir en justice qui lui correspond. On dit qu'elle produit un effet extinctif, ce qu'exprime l'article 2052 (N° Lexbase : L2297ABP) en lui reconnaissant, comme à un jugement, "l'autorité de chose jugée". Elle s'oppose à l'introduction d'une demande en justice pour faire juger du litige objet de la transaction.
Le fait qu'il ne soit plus possible d'agir en responsabilité contre l'un des responsables du dommage au motif que la victime a transigé avec lui n'empêche cependant pas celle-ci d'agir en responsabilité contre un co-responsable. Il faut ici rappeler, en effet, que, dans les rapports avec les tiers, la transaction est dominée par la règle de la relativité : en principe, elle n'a pas d'effet à l'égard des tiers. Cela tient tant à son caractère "judiciaire" -la chose jugée en matière civile n'ayant qu'une autorité relative- qu'à son caractère contractuel -la règle de l'article 1165 du Code civil (N° Lexbase : L1267ABK) conduit alors à ne lui prêter effet "qu'entre les parties contractantes"-.
Sans doute la jurisprudence décide-t-elle, en présence de codébiteurs solidaires, que si l'un d'eux transige avec le créancier, les autres peuvent choisir, selon leur intérêt, d'invoquer ou non cette transaction (11). Ainsi, il est classiquement jugé que "si le mandat que les débiteurs solidaires sont censés se donner entre eux ne saurait avoir pour effet de nuire à leur situation respective, il leur permet, en revanche, de l'améliorer" (12). Assez récemment encore, la Cour de cassation a pu rappeler qu'"un codébiteur solidaire peut invoquer la transaction intervenue entre le créancier commun et l'un de ses coobligés, dès lors qu'il en résulte un avantage dont il peut lui-même bénéficier" (13). Il est ainsi acquis que la transaction conclue entre un codébiteur solidaire et le créancier est, si elle leur est favorable (non ad augendam), opposable à celui-ci par les autres débiteurs solidaires. La jurisprudence décide, en effet, que "la chose jugée avec l'un des codébiteurs solidaires est opposable à tous les autres" (14), du moins s'il n'en résulte pas une aggravation de leur situation.
Mais cette solution se justifie par l'idée selon laquelle, lorsqu'il y a solidarité entre les codébiteurs -et non obligation in solidum-, ceux-ci se représentent mutuellement au regard du créancier commun. Voilà ce qui explique que la jurisprudence admet que les codébiteurs solidaires, lorsqu'il y va de leur intérêt, puissent se prévaloir de la transaction intervenue entre l'un d'eux et le créancier commun (15). La solution s'explique, en effet, par l'idée de représentation mutuelle entre les coobligés solidaires : ils se seraient donnés mutuellement mandat d'agir les uns au nom des autres dans leurs relations avec le créancier, sous réserve que l'obligation des uns ne puisse pas être augmentée du fait des autres.
Il en va dès lors, logiquement, différemment en présence de codébiteurs tenus in solidum. Ils ne sont précisément liés par aucun mandat de représentation dans leurs rapports avec le créancier. La solution est bien connue. On l'évoque en soulignant que les effets secondaires de la solidarité ne se produisent pas en présence d'une obligation in solidum (16). L'opposabilité de la chose jugée en présence de codébiteurs solidaires n'a plus lieu en présence de codébiteurs tenus non plus solidairement, mais in solidum puisque, précisément, il n'y a pas, entre coobligés in solidum, de représentation mutuelle entre eux (17).
Partant, si une transaction intervient entre l'un d'eux et le créancier commun, elle n'a aucun effet envers les autres codébiteurs, qui sont des tiers par rapport à elle.
Tel est ce que décide, de manière constante, la jurisprudence : une transaction entre la victime d'un dommage et l'un des responsables n'empêche pas de mettre en jeu la responsabilité des autres.
- Un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 14 février 1989 a ainsi affirmé que "la transaction faite par un coobligé ne lie pas les autres intéressés" et qu'"elle ne peut être opposée par ceux-ci pour se soustraire à leur propre obligation" (18). Alors que la victime avait transigé avec l'auteur du dommage et agi en réparation contre le coresponsable, la Cour relève, à la charge du coresponsable, une "faute [...] ayant concouru à la réalisation du dommage" pour décider que "la transaction litigieuse n'était pas de nature à faire échec à la recevabilité de cette action en responsabilité".
- Plus récemment, un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, rejetant un moyen qui soutenait que, dans l'hypothèse de coobligés in solidum, l'extinction de la dette à l'égard de l'un des coobligés (par l'effet d'une transaction) produisait effet à l'égard des autres coobligés, a, dans le même sens, jugé que "chacun des responsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer dans sa totalité [...], la transaction faite par un coobligé ne pouvant être opposée par les autres intéressés pour se soustraire à leur propre obligation" (19).
- De même, dans un affaire où il était soutenu que "le créancier qui a divisé ses recours en transigeant avec certains de ses débiteurs ne saurait agir pour le tout à l'encontre de l'un de ses codébiteurs qui n'a pas été partie à la transaction, lequel ne peut être condamné que dans la mesure de sa part dans la dette définitive fixée en considération des responsabilités des codébiteurs partie à la transaction", la première chambre civile de la Cour de cassation a décidé, pour rejeter ce moyen, que "chacun des responsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer dans sa totalité, la transaction conclue par l'un des coobligés, qui ne peut être opposée par les autres, tiers à cette transaction, pour se soustraire à leur propre obligation, n'impliquant pas que le créancier ait consenti à la division de la dette" (20).
Aussi bien, le codébiteur doit-il indemniser la victime de son préjudice, "après déduction du montant des sommes reçues au titre des transactions [...] conclues".
Ainsi, la jurisprudence est-elle ici sans équivoque : la transaction avec l'un des codébiteurs in solidum ne peut être opposée par les autres. Ils restent tenus à la dette, sous déduction du montant déjà perçu par la victime.
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