Lexbase Fiscal n°864 du 6 mai 2021 : Fiscalité du patrimoine

[Jurisprudence] Plus-value mobilière, cession simultanée de titres, démembrement de propriété

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 2 avril 2021, n° 429187, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A50324NP)

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 05 Mai 2021


Mots-clés : plus-values mobilières • donation-partage • titres démembrés • imposition de l’usufruitier

En cas de donation-partage avec réserve d’usufruit et clause de remploi suivie de la cession des titres donnés, l’usufruitier est tenu de la plus-value s’il conserve la faculté de remployer ou non. Telle est la solution dégagée par le Conseil d’État dans un arrêt du 2 avril 2021.


 

Par un acte authentique de donation-partage, M. et Mme A… cèdent en 2007 à leurs enfants la nue-propriété de 20 000 actions d’une société dont ils conservent l’usufruit. En 2009, la société rachète – dans le cadre d’une réduction de capital – ces actions, avec cession simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété. Des cotisations supplémentaires d’IR et de contributions sociales sont notifiées aux contribuables en raison de la plus-value relative à la cession des 20 000 actions qu’ils détenaient en usufruit. Selon l’administration fiscale, la plus-value mérite d’être intégralement imposée entre leurs mains et non entre les mains des nus-propriétaires. Contentieux.

Saisi, le TA de Cergy-Pontoise rejette la demande des époux A… La cour administrative d’appel de Versailles annule le jugement et prononce la décharge demandée (CAA Versailles, 29 janvier 2019, n° 16VE022602). Le Conseil d’État – réglant l’affaire au fond en vertu de l’article L. 821-2 du CJA (N° Lexbase : L3298ALQ) – casse l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles à raison d’une erreur de droit.

Dans le cas présent, nous sommes en présence d’une plus-value réalisée à la suite des opérations suivantes : l’usufruitier et le nu-propriétaire de parts sociales - dont la propriété est démembrée – procèdent de concert à la cession desdites parts. L’imposition de la plus-value est censée se répartir entre l’usufruitier et le nu-propriétaire selon la valeur respective de chacun de ces droits.

Dans ses conclusions, le rapporteur public – Mme Guibé [1] – rappelle que « Cette règle de répartition, dégagée par la Cour de cassation (est) aujourd’hui consacrée par l’article 621 du Code civil » qui dispose : « En cas de vente simultanée de l'usufruit et de la nue-propriété d'un bien, le prix se répartit entre l'usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits, sauf accord des parties pour reporter l'usufruit sur le prix. La vente du bien grevé d'usufruit, sans l'accord de l'usufruitier, ne modifie pas le droit de ce dernier, qui continue à jouir de son usufruit sur le bien s'il n'y a pas expressément renoncé ».

Une telle règle de répartition n’est pas d’ordre public ; les parties peuvent y dérogent par le truchement d’une convention. Selon la doctrine (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60, n° 100 N° Lexbase : X8241ALS), en cas de cession en pleine propriété de titres dont la propriété est démembrée sans répartition du prix de vente, la cession à titre onéreux porte sur la pleine propriété des titres.

Le nu-propriétaire et l’usufruitier cèdent les titres démembrés et conviennent (ou ont convenu lors d’une convention antérieure) ensemble du sort du prix de vente, qui peut être soit remployé dans l'acquisition d'autres valeurs, droits ou titres eux-mêmes démembrés, soit attribué en totalité à l’usufruitier dans le cadre d’un quasi-usufruit. Dans cette situation, outre le cas particulier dans lequel l'objet du démembrement est un portefeuille de valeurs mobilières, la plus-value est imposable, soit au nom du nu-propriétaire en cas de remploi, soit au nom de l'usufruitier en cas de quasi-usufruit, et le premier terme de la plus-value de cession est toujours constitué par le prix de cession de la pleine propriété des titres cédés. Pour la détermination du prix ou de la valeur d’acquisition des titres cédés qui constitue le deuxième terme de la plus-value de cession, plusieurs situations peuvent se présenter ».

Les parties peuvent convenir – via les clauses contractuelles en vigueur à la date de la cession – de la chose suivante : reporter le droit d’usufruit, à la suite de la cession, sur le prix issu de celle-ci. Dans cette hypothèse, la plus-value est intégralement imposée entre les mains de l’usufruitier. Si les parties décident que le prix de cession sera nécessairement remployé dans l’acquisition d’autres titres dont les revenus reviennent à l’usufruitier, la configuration est différente : la plus-value réalisée est imposable seulement au nom du nu-propriétaire. Dans sa décision, la cour administrative d’appel de Versailles estime que la plus-value de cession est imposable au nom du nu-propriétaire ; elle retient que l’acte de donation-partage de 2007 prévoit le remploi du produit de la vente des titres, avec report des droits des usufruitiers sur les biens nouvellement acquis.

Mais la Cour d’appel ne recherche pas si ce remploi du produit de cession était une obligation pour les parties ou s’il ne s’agissait que d’une faculté à la main des seuls usufruitiers.

C’est précisément cette absence de quête – obligation ? faculté ? – qui mérite censure aux yeux du Conseil d’État ; censure il y a pour erreur de droit. En effet, lorsqu’il advient que l’usufruitier conserve la faculté de remployer ou non le produit de la cession de titres dont il a l’usufruit, le droit d’usufruit s’entend – s’agissant de l’imposition des plus-values découlant de la cession – comme reporté sur le produit de cette cession. Il s’ensuit alors que l’usufruitier est « intégralement redevable de l’imposition ».

Ainsi que mentionné en amont, le Conseil d’État décide de régler l’affaire au fond. Pour ce faire, il se penche sur la substance de l’acte de donation-partage de 2007 par lequel les requérants font donation entre vifs – au profit de leurs deux enfants – de la nue-propriété de 20 000 titres de la société. Il y est stipulé que « le donateur interdit formellement aux donataires qui s’y soumettent de vendre, aliéner, nantir ou remettre en garantie les titres donnés […] pendant sa vie », à peine de nullité, « sauf accord exprès du donateur ». L’acte de donation-partage dispose encore que « l’usufruit réservé se reportera en vertu des règles de la subrogation réelle conventionnelle sur le prix de cession ». Cela emporte la conséquence suivante en cas d’aliénation des biens présents ou de ceux susceptibles de leur être subrogés ultérieurement : sauf accord exprès des usufruitiers, les nus-propriétaires s’interdisent à demander le partage en toute propriété du prix représentatif de ceux-ci. Obligation sera faite au donataire de « remployer le produit de ces aliénations dans tous les biens dont l’acquisition pourrait être décidée par les seuls usufruitiers, afin de permettre le report des droits de ces derniers sur le ou les biens nouvellement acquis ». L’acte précise que la subrogation s’entend du « remplacement dans le patrimoine du donataire de la nue-propriété des biens par tous biens qui s’y substitueraient par voie de vente suivi d’un remploi ou d’un échange ». Une autre clause de l’acte de donation-partage est mentionnée ; elle renvoie à l’hypothèse de la cession – avec l’accord de l’usufruitier – de tout ou partie des titres donnés sans que le prix de cession soit employé à acquérir de nouveaux titres. Dans ce cas, obligation sera faite aux donateurs de « verser les fonds provenant desdites cessions sur un compte indivis « Nue-propriété au nom des donataires/usufruit au nom des donateurs » à ouvrir dans toute banque au gré de l’usufruitier ». Non seulement les donataires acceptent une telle condition et font engagement de la « remplir expressément » mais de surcroit ils donnent « dès à présent au donateur mandat de gestion exclusif des fonds ainsi placés ».

Le Conseil d’État prend acte que les stipulations de l’acte de donation-partage font interdiction aux nus-propriétaires d’aliéner ou de nantir les titres sans l’aval des usufruitiers, à peine de nullité. Mandat exclusif est donné aux nus-propriétaires afin de gérer les fonds issus de la cession des titres éventuellement décidée – avec leur accord – en l’absence de remploi pour acquérir de nouveaux titres. En outre, en cas d’aliénation des titres, les nus-propriétaires ont interdiction – sauf accord exprès des usufruitiers – de « demander le partage en toute propriété du prix représentatif de ceux-ci ». En vertu de l’acte à l’origine du démembrement des titres, le droit d’usufruit est – en cas de cession – reporté sur le prix issu de celle-ci.

La thèse défendue par les requérants est réputée non valide : ni le procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire de la société en date du 24 décembre 2008 (actant le rachat des titres) ni le protocole transactionnel de la veille (conclu par M. A…avec la société et certains de ses administrateurs afin de préparer le rachat) ne modifient les droits que l’acte de donation-partage confère aux usufruitiers sur les titres en question. Tant le procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire que le protocole transactionnel n’ont eu pour objet ou pour effet une telle modification.

À cela s’ajoute un autre élément, déjà mentionné en amont et souligné par le juge : selon les stipulations de l’acte de donation-partage de 2007, le remploi du prix de vente des titres ne représente qu’une « simple faculté à la main des seuls usufruitiers ». Certes, un pacte adjoint à la donation-partage est advenu en septembre 2008, pacte imposant aux donataires d’apporter à une SCI (à constituer avec les donateurs) une « fraction des titres ». Cependant, on ne saurait voir dans cet acte nouveau une « clause de renvoi à due concurrence de cette fraction » : aucun quantum n’y est en effet défini. Enfin, les requérants ne peuvent à bon droit invoquer l’argument selon lequel le prix de cession des titres aurait été remployé à la suite du transfert de propriété ; il s’agit là d’une circonstance postérieure au fait générateur de l’imposition.

Au regard de ces différents éléments, il appert que l’usufruitier conservait la faculté de reporter son droit d’usufruit sur le prix issu de la cession des actions de la société ; les époux A… - usufruitiers – doivent être considérés comme « redevables de l’intégralité de l’imposition assise, en application de l’article 150-0 A du Code général des impôts (N° Lexbase : L6169LUZ), sur la plus-value résultant de la cession de ces actions ».

Trois ultimes moyens sont soulevés par les requérants, tous rejetés.

  • Premièrement, ils entendaient se prévaloir – sur le fondement de l’article L. 80 du LPF (N° Lexbase : L8732G8W) – de la fiche n°1 de l’instruction 5 C-1-01 du 13 juin 2001 ; celle-ci vise le démembrement de valeurs mobilières et de droits sociaux. Pour le juge, les énonciations de ce document ne donnent aucune interprétation formelle de la loi fiscale qui soit différente de celle retenue dans le cadre de ce litige.
  • Secondement, les requérants ne sont pas fondés à invoquer l’avis n° 2005-8 du Comité consultatif pour la répression des abus de droit ; cet avis concerne un autre contribuable.
  • Troisièmement, les requérant soulignent que la plus-value en question dans la présente affaire a été imposée entre les mains des nus-propriétaires. Le Conseil écarte cette argumentation au motif que les nus-propriétaires sont, par définition, des contribuables distincts.
 

[1] Citée in Fiscalonline.

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