La lettre juridique n°741 du 17 mai 2018 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Constat de la résiliation du bail commercial par le juge-commissaire : la délivrance préalable d’un commandement est obligatoire !

Réf. : CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 4 avril 2018, n° 17/199289 (N° Lexbase : A0170XKI)

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N3943BXC

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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université Côte d'Azur, Co-directrice du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre du CERDP (EA 1201), Avocate au barreau de Nice

le 17 Mai 2018

Procédures collectives / Bail commercial / Résiliation du bail par le juge-commissaire / Clause de résiliation de plein droit du bail / Nécessité de la délivrance d'un commandement 

La coordination des règles relatives à la résiliation du bail des locaux utilisés pour l’activité de l’entreprise, posées par le livre IV du Code de commerce, et de celles ayant trait à la résiliation du bail commercial, prévues par le livre 1er du même code, suscite nombre de questions.

 

La première est celle de savoir si le prononcé ou le constat de la résiliation du bail peut indifféremment être l’œuvre du juge-commissaire ou celle du juge des référés.

La réponse est négative lorsque le bailleur sollicite non pas la constatation de l’acquisition de la clause résolutoire insérée au contrat de bail mais le prononcé de la résiliation elle-même. Dans cette hypothèse, seul le juge du bail commercial, c’est-à-dire le tribunal de grande instance, est compétent. Il peut alors, contrairement à la solution en matière de constat d’acquisition de la clause résolutoire, décider d’accepter ou non cette demande en fonction de la gravité du manquement contractuel du preneur [1]. La résiliation est alors judiciaire.

 

Le Code de commerce n’a pas accordé au juge-commissaire la possibilité de prononcer la résiliation du bail commercial. En revanche, il peut constater celle-ci car, en matière de constat de la résiliation, une dualité de compétence apparait à la lecture des textes.

 

D’une part, le tribunal de grande instance, ou son président en référé, a compétence pour statuer sur la mise en œuvre de la clause résolutoire insérée au bail, clause dont il peut suspendre la réalisation ou les effets (C. com., art. L. 145-41, al. 2 N° Lexbase : L1063KZE).

 

D’autre part, l’article R. 622-13, alinéa 2 (N° Lexbase : L9319IC7), applicable en sauvegarde et en redressement judiciaire, énonce que «le juge-commissaire constate, sur la demande de tout intéressé, la résiliation de plein droit des contrats dans les cas prévus […] à l’article L. 622-14 (N° Lexbase : L9341ICX) […], ainsi que la date de cette résiliation». Une disposition analogue est reprise, en liquidation judiciaire, à l’article R. 641-21, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L9312ICU).

 

Sous l’empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L4126BMR), la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait jugé que le bailleur qui souhaitait faire constater le jeu de la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers et charges postérieurs pendant plus de trois mois après l’ouverture de la procédure pouvait saisir soit le juge-commissaire soit le juge des référés du tribunal de grande instance [2].

 

La doctrine s’accorde à considérer que cette solution doit être reconduite sous l’empire de la loi du 26 juillet 2005 [3] (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT).

 

Une fois cette question résolue, d’autres plus épineuses encore, surgissent.

 

La première est celle de savoir si le constat de la résiliation par le juge-commissaire suppose la délivrance préalable d’un commandement de payer resté infructueux. On sait en effet qu’en application de l’article L. 145-41 du Code de commerce, toute clause résolutoire insérée dans le bail commercial prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux.

En matière de bail des locaux affectés à l’activité professionnelle, l’article L. 622-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L8845INW) écarte l’application des cas de résiliation légale de plein droit visés au III de l’article L. 622-13 du Code de commerce (N° Lexbase : L7287IZW), siège du «droit commun» de la continuation des contrats en cours. En conséquence, le défaut de paiement des loyers et charges postérieurs, même en présence d’un contrat continué, ne peut entraîner résiliation légale du contrat. Il autorise seulement le cocontractant à faire constater l’acquisition de la résiliation conventionnelle par application de la clause résolutoire insérée au contrat ou à faire prononcer la résiliation par le juge, une fois écoulé le délai d’attente de trois mois prévu par le livre VI du Code de commerce (cf. C. com. art. L 622-14, 2°, en sauvegarde et redressement, et L.  641-12, 3° N° Lexbase : L8859ING, en liquidation).

 

Dès lors que la résiliation intervient par le jeu d’une clause résolutoire, si le bailleur souhaite faire constater son acquisition, ce ne pourra donc être que dans le respect des dispositions de l’article 145-41 du Code de commerce dont il n’est dérogé par aucun texte du livre VI du Code de commerce. Ainsi, en application de ce texte, la clause de résiliation de plein droit ne pourra produire effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux, que le constat de la résiliation soit demandé au juge «naturel» du bail commercial ou au juge-commissaire.

 

Telle est la solution prônée par la doctrine [4] et aujourd’hui très clairement posée par un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 4 avril 2018. Cette juridiction énonce ainsi une solution qui doit emporter pleine approbation : «les dispositions de l’article L. 622-14 du Code de commerce ne dérogent pas aux dispositions de l’article L. 145-41 du même code prévoyant, en cas de clause résolutoire, la délivrance préalable d’un commandement, le liquidateur pouvant se prévaloir des dispositions de l’article L. 145-41 susmentionnés et solliciter des délais de paiement, ainsi que la suspension des effets de la clause résolutoire, tant que la résiliation du bail n’est pas constatée par une décision ayant acquis l’autorité de la chose jugée. Il s’ensuit que la résolution de plein droit du bail commercial pour défaut de paiement des loyers et charges pendant plus de trois mois après le jugement d’ouverture n’est pas acquise tant qu’il n’y a pas eu, en application de l’article L. 145-41 du Code de commerce, délivrance par acte d’huissier d’un commandement de payer au preneur, l’écoulement d’un délai d’un mois pendant lequel ce commandement est demeuré infructueux, et, enfin, l’écoulement des délais de grâce éventuellement octroyés au preneur».

 

Ainsi, le fait pour le bailleur d’opérer le choix procédural de saisir le juge-commissaire plutôt que le juge des référés d’une demande de constat de la résiliation du bail ne le dispense-t-il pas de la délivrance préalable d’un commandement de payer visant la clause résolutoire.

 

Une fois cette question résolue, d’autres surgissent. Elles ont trait à l’étendue des pouvoirs du juge-commissaire saisi d’une demande en constat de la résiliation du bail.

 

Le juge-commissaire peut-il accorder des délais de grâce ? En cette matière [5], l’article 510, alinéa 1er, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6639H7Z) prévoit que «sous réserve des alinéas suivants, le délai de grâce ne peut être accordé que par la décision dont il est destiné à différer l’exécution», l’alinéa 2 poursuivant en indiquant qu’«en cas d’urgence, la même faculté appartient au juge des référés».

A la lecture du premier alinéa de ce texte, il apparaît que l’ordonnance de constat de la résiliation rendue par le juge-commissaire est susceptible de prévoir des délais de grâce. D’autres auteurs préfèrent, pour arriver au même résultat, considérer que le juge-commissaire qui statue en matière de constat d’acquisition de la clause résolutoire statue comme le ferait le président du TGI statuant en référé [6], juge des référés auquel l’alinéa 2 de l’article 510 accorde la faculté d’octroyer des délais de grâce.

 

Il reste une dernière question essentielle en pratique : le juge-commissaire, constatant la résiliation, a-t-il le pouvoir d’ordonner l’expulsion du preneur ? Il doit être répondu à cette question par la négative. En effet, aux termes de l’article R. 211-4 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L6555LEI), seul le tribunal de grande instance est compétent pour ordonner l’expulsion d’un local affecté à une activité, en matière de baux commerciaux, professionnels et de convention d’occupation précaire en matière commerciale [7]. On aperçoit alors que, même si le bailleur dispose d’un choix procédural, il lui est préférable de saisir non pas le juge-commissaire mais le juge du bail commercial (en pratique, le président du TGI en référé) de la demande de constat de la résiliation du bail afin de pouvoir obtenir également l’expulsion de son locataire [8].

 

[1] V sur ce point F. Kendérian, La clause résolutoire du bail commercial, JCP éd. E, 2017, 1258, spéc. n° 1.

[2] Cass. com., 10 juillet 2001, n° 99-10.397, P (N° Lexbase : A1717AU7) ; D., 2001, AJ 2830, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2001/14, n° 177, obs. C. Régnaut-Moutier ; JCP éd. E, 2001, Pan. 1602 ; Gaz. Pal., 8-9 février 2002, 31, note Brault ; JCP éd. E, 2002. Chron. 175, p. 174, n° 14, obs. Ph. Pétel  ; Cass. com., 13 mars 2007, n° 05-21.117, F-D (N° Lexbase : A6892DUS).

[3] P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 2018/2019, 10ème éd. à paraître, n° 433.257; F. Kendérian, Le sort du bail commercial dans les procédures collectives, 4ème éd., LexisNexis, 2015, n° 91.

[4] F. Kendérian, Le sort du bail commercial dans les procédures collectives, préc., n° 94 ; Ph. Pétel, obs. ss. Cass. com., 21 février 2012, n° 11-11.512, F-P+B (N° Lexbase : A3275IDN),  JCP éd E, 2012, 1227, n° 10 in fine ; P.-M. Le Corre, préc. n° 433.255. 

[5] V. O. Staes, J-cl proc. civ, Fasc. 520 : délai de grâce, spéc. 25.

[6] P.-M. Le Corre, préc., n° 433.256.

[7] V. Ch. Blondel-Angebault et R. Simhon, J.-Cl Voies d’exécution, Fasc. 1015 : Expulsion, spéc. n° 9.

[8] V. égal. F. Kendérian, Le sort du bail commercial dans les procédures collectives, préc., n° 94, in fine.

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