La lettre juridique n°741 du 17 mai 2018 : Fiscalité immobilière

[Jurisprudence] Déduction des déficits fonciers et jouissance privative partielle d’un immeuble (classé monument historique)

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 6 avril 2018, n° 405509, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4103XK8)

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 16 Mai 2018

Il résulte des articles 156 du Code général des impôts (N° Lexbase : L0428IPK) et 41 E de l'annexe III à ce Code (N° Lexbase : L6971HLR) que les charges foncières liées aux immeubles classés monuments historiques ou inscrits à l'inventaire supplémentaire, qui ne procurent aucune recette, ne sont admises en déduction du revenu global de leur propriétaire qu'à la condition que celui-ci se réserve la jouissance de l'immeuble. Lorsque cette utilisation personnelle ne porte que sur une partie du bien, sont déductibles les charges foncières dont le contribuable justifie le lien existant avec cette partie. Lorsque les charges ne peuvent être affectées à une partie spécifique de l'immeuble, il appartient au contribuable de répartir ces dépenses entre les différentes parties de l'immeuble selon une clef de répartition adaptée à l'objet de ces charges.

 

Telle est la solution d'un arrêt du Conseil d’Etat en date 6 avril 2018.

Régime dérogatoire en matière de déduction des charges foncières, le régime des monuments historiques mérite notable intérêt quand bien même il ne concerne qu’une partie modeste des contribuables (pas toujours modestes). Pour mémoire, les charges foncières supportées par les propriétaires de monuments historiques ou assimilés peuvent être admises en déduction :   

- soit en totalité du revenu foncier procuré par l'immeuble lorsque celui-ci donne lieu à la perception de recettes imposables et n'est pas occupé par son propriétaire,

- soit du revenu global du propriétaire dans les conditions et limites fixées par la loi,

- soit pour partie du revenu foncier et pour partie du revenu global, lorsque l'immeuble procure des recettes mais est occupé en partie par son propriétaire.

 

En raison même du caractère dérogatoire institué, l’administration est particulière vigilante quant à la possibilité de déduire les charges foncières du revenu global du propriétaire. Souvent, contentieux il y a quand l’administration conteste les déductions opérées par des propriétaires d’un bien dont certaines parties (façades, toiture, escalier extérieur, murs de clôture et jardin) sont inscrites à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. L’administration remet alors en cause la déduction des charges correspondant à des travaux ne concernant pas, selon elle, les parties de l'immeuble inscrites à l'ISMH (cf. aussi si l'immeuble est, durant les années visées, ouvert au public). Ainsi, dans un arrêt du 18 mai 2005 (CE 9° et 10° ch.-r., 18 mai 2005, n° 249950, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3373DIR), le Conseil d’Etat rejette les prétentions des propriétaires d’un domaine (partiellement ouvert au public) dont une partie est inscrite à l'ISMH.

 

L’administration pouvait remettre en cause le calcul des déficits fonciers résultant des dépenses engagées pour la remise en état du domaine : en isolant les charges déductibles afférentes à la partie classée de leur propriété, en les imputant sur une proportion déterminée forfaitairement des recettes procurées par l'ouverture au public de leur domaine.

 

Dans le cas présent, le contexte est autre et tout aussi -voire davantage- complexe : l’immeuble fait l’objet d’une jouissance privative partielle. Par cette décision du 6 avril 2018, le Conseil d’Etat rappelle un principe simple, parfois remis abusivement en question par l’administration (et les juges du fond) : si les charges foncières inhérentes à un immeuble classé monument historique (ou inscrit à l’inventaire supplémentaire) ne produisent aucune recette, elles sont admises en déduction du revenu global du propriétaire dès lors que ce dernier se réserve la jouissance de l’immeuble. Certes.

 

Mais certaines questions ne peuvent manquer aussitôt de poindre.

 

Question 1 : qu’en est-il lorsque l’utilisation personnelle du bien immeuble porte seulement sur une partie de celui-ci ? Réponse : les charges foncières déductibles sont celles dont le contribuable justifie le lien existant avec cette partie.

 

Question 2 : qu’en est-il dans l’hypothèse où les charges ne peuvent être affectées à une partie spécifique de l’immeuble ? Réponse : le contribuable doit «répartir les dépenses entre les différentes parties de l’immeuble selon une clé de répartition adaptée à l’objet de ces charges». Après avoir ainsi rappelé sa politique jurisprudentielle, le Conseil d’Etat censure l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille, 29 septembre 2016, n° 15MA00694 N° Lexbase : A9838R47) soumis à son examen. La cour administrative d’appel avait en effet estimé qu’aucune charge n’était déductible (sur le fondement de l’article 41 E, annexe III du Code général des impôts précité) au motif que l’immeuble n’était pas intégralement réservé à la jouissance des propriétaires. Erreur de droit selon le juge de cassation.

 

Les faits. La SCI A. est propriétaire d’un ensemble immobilier classé à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. Une partie du château est utilisée comme résidence principale par les associés -M. et Mme B.- de la SCI. Entre 2005 et 2010, des travaux de réparation et d’entretien sont réalisés, ces charges étant imputées sur les revenus fonciers obtenus. L’administration conteste une telle opération et assujettit les contribuables à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales.

 

Les textes. Il s’agit ici de cogiter sur la lecture croisée des articles 156, 41 E (annexe III) et 29 (N° Lexbase : L1068HL7) du Code général des impôts. En vertu de l’article 156 (I, 3°) du Code général des impôts, l’impôt sur le revenu est établi d’après le montant total du revenu net annuel, sous déduction du déficit constaté pour une année dans une catégorie de revenus. Si le revenu global est insuffisant pour opérer imputation intégrale, il est possible de reporter successivement l’excédent du déficit sur le revenu global des années suivantes (jusqu’à la 6ème inclusivement). Cependant, n’est pas autorisée l’imputation des déficits fonciers qui s’imputent exclusivement sur les revenus fonciers des dix années suivantes ; toutefois, une telle disposition n’est pas applicable aux propriétaires de monuments classés monuments historiques, inscrits à l’inventaire supplémentaire. Quant à l’article 41 E (annexe III), il dispose que les charges foncières afférentes à de tels immeubles -dont le propriétaire se réserve la jouissance- peuvent être admises en déduction du revenu global servant de base à l’impôt sur le revenu. Les dépenses en question peuvent être déduites du revenu foncier si : les charges alléguées sont dûment justifiées, se rapportent à des immeubles dont les revenus sont imposables dans la catégorie des revenus fonciers, sont effectivement supportées par les propriétaires, sont engagées en vue de l’acquisition ou de la conservation du revenu.

 

La cour administrative d’appel de Marseille suit la position de l’administration fiscale, estimant que les diverses dépenses relatives au bien immobilier ont été, à tort, portées en déduction des revenus fonciers ; selon le juge, il n’a pas été justifié que les dépenses ont été engagées en vue de l’acquisition ou la conservation des revenus. Nombre d’éléments semblent militer en faveur de la thèse soutenue par l’administration. Le bien immobilier en question -«Château de Martinet»- est pour partie occupé à titre privatif et pour partie exploité commercialement (entreprise «Château de Martinet», activité de chambres d’hôtes). Or, aucun contrat de location n’a été produit par les contribuables quant à la nature de la location (nue ou meublée) ou quant au descriptif des locaux donnés en location à l’entreprise. Or, aucune justification du versement effectif de loyers par l’entreprise n’a été apportée ; certes, la SCI a fourni des extraits de comptabilité mais ils ne sauraient constituer, à eux seuls, d’idoines justificatifs de paiement. Quant à l’existence d’une conversation verbale susceptible d’être retenue au profit des contribuables -sur le fondement de la documentation administrative 5 D-207 (du 23 mars 2007)- elle n’est pas réputée établie selon le juge. L’administration n’est point contredite lorsqu’elle invoque des courriers de la SCI indiquant : que le château est «réservé à notre habitation et ne sera pas donné en location» (lettre du 10 janvier 2006), que les parties du château données en location «n’étaient pas délimitées» (lettre du 16 septembre 2009). Les charges évoquées ont été, selon la cour administrative d’appel de Marseille, portées à tort en déduction des revenus fonciers ; elles n’ont pas été engagées en vue de l’acquisition ou la conservation des revenus. Enfin, les requérants ne sont pas fondés à invoquer le bénéfice de la doctrine administrative (5 B-2428 ; 13 D-574) admettant une réduction des revenus fonciers à hauteur de 75 % des charges supportées et de 25 % au titre du revenu global ; il n’est pas justifié que l’immeuble soit productif de revenus.

 

En dépit de ces divers éléments pouvant rendre cohérente l’argumentation de l’administration fiscale et justifiée la décision de la cour administrative d’appel de Marseille, le Conseil d’Etat annule cette dernière. Il est possible d’imputer les dépenses foncières sur le revenu global alors même que l’immeuble est occupé partiellement par les contribuables et ne génère aucune recette. En présence de charges affectées à une partie spécifique de l’immeuble, les contribuables doivent «répartir les dépenses entre les différentes parties de l’immeuble selon une clé de répartition adaptée à l’objet de ces charges». La formule est censée valoir modus operandi pour distinguer les différentes parties de l’immeuble et les charges afférentes ; reste que l’opération de répartition s’avère faussement simple et propice à de futures contestations et futurs contentieux.

 

 

 

 

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