La lettre juridique n°673 du 20 octobre 2016 : Urbanisme

[Jurisprudence] Le juge des référés et les permis de construire provisoires : naissance d'un nouveau régime juridique

Réf. : CE Sect., 7 octobre 2016, n° 395211, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4517R7G)

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N4790BWC

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par Arnaud Le Gall, Maître de conférences en droit public, Université de Caen Normandie et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de l'urbanisme"

le 08 Novembre 2016

Dans une décision rendue le 27 octobre 2016, la Haute juridiction administrative a notamment indiqué que le délai de trois mois pour procéder au retrait des permis de construire aux permis délivrés à titre provisoire ne s'applique pas aux permis délivrés à titre provisoire. Le Conseil d'Etat a encore frappé ! La décision rapportée crée un nouveau régime juridique en s'appuyant sur certains éléments issus de la jurisprudence antérieure et fait donc oeuvre prétorienne. Les faits sont particulièrement complexes et le Conseil d'Etat a manifestement été confronté à des circonstances qui n'avaient, apparemment, jamais donné lieu à un procès devant la juridiction administrative. Le maire de Bordeaux, par un arrêté du 16 octobre 2013, avait refusé de délivrer à la société X un permis de construire pour la construction d'une maison et d'un garage. La société avait donc saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'un excès de pouvoir dirigé contre ce refus et avait saisi le juge des référés d'une demande de suspension de cet arrêté. Par ordonnance du 7 mars 2014, le juge des référés avait fait droit à la demande de suspension et avait enjoint au maire de Bordeaux d'instruire à nouveau la demande de permis de construire et de se prononcer sur cette demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance. Jusque là, rien de particulier. Par un arrêté du 28 juillet 2014, pris en visant cette ordonnance, le maire de Bordeaux avait, assez étrangement dès lors qu'on ne connaît pas les circonstances exactes du dossier, délivré un permis de construire à la société pétitionnaire, une telle circonstance étant, il faut bien l'avouer, un peu intrigante au vu du scénario ordinaire en la matière.

La société avait alors commis l'erreur fatale de se désister de son recours au fond, désistement dont il lui a été donné acte par une ordonnance du 5 août 2015. Saisissant l'occasion, le maire de Bordeaux avait alors retiré le permis délivré le 28 juillet 2014, par un arrêté du 8 octobre 2015. La société avait donc saisi une nouvelle fois le juge des référés qui, par une ordonnance du 26 novembre 2015, avait, une nouvelle fois, ordonné la suspension de l'exécution de l'arrêté de retrait sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS). Les motivations pour lesquelles la commune a refusé le permis, puis l'a accordé pour, enfin, le retirer nous sont inconnues. Aucun motif de fond n'est donc ici abordé.

En revanche, cet imbroglio va conduire le Conseil d'Etat à confirmer certains principes qui régissent la matière des référés administratifs (I), mais également à élaborer un nouveau pan du régime juridique du référés en matière de permis de construire (II).

I - La confirmation des principes régissant les décisions du juge des référés

1 - Depuis la réforme opérée par la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000, relative au référé devant les juridictions administratives (N° Lexbase : L0703AIU), le juge des référés du tribunal administratif peut suspendre l'exécution des actes administratifs. Le régime général de la suspension, aux côtés duquel figurent les régimes en matière de passation des contrats et marchés, en matière fiscale et de communication audiovisuelle ainsi que les régimes spéciaux de suspension, est régi par les articles L. 521-1 à L 523-1 du Code de justice administrative. Il s'agit d'une procédure qui est désormais entrée dans les moeurs et dont les requérants font grand usage.

L'article L. 521-1 prévoit donc que, "quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision".

Les décisions du juge des référés sont par nature provisoires dès lors qu'il ne peut statuer sur le fond du litige. Ce principe essentiel est rappelé par l'article L. 511-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3043ALB) dans les termes suivants : "Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais".

L'arrêt du 7 octobre 2016 rappelle, au visa de ces deux articles, ainsi que des articles L. 11 (N° Lexbase : L2618ALK) et R. 522-13 (N° Lexbase : L2540AQ7) du même code, les limites qui encadrent les mesures que le juges des référés peut prononcer : "le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 précité, ne peut, sans excéder son office, ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative d'un jugement annulant la décision administrative contestée". Le principe a déjà été affirmé par la jurisprudence et a conduit le juge de cassation à analyser les effets de la mesure prononcée par le juge des référés au regard du contentieux.

C'est, pour la première fois, à l'occasion d'un référé liberté de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS) que le Conseil d'Etat a procédé à ce contrôle, rejetant comme irrecevable la demande d'injonction du requérant visant à obtenir communication de son dossier aux renseignements généraux. Le Conseil d'Etat avait estimé que cette mesure n'avait pas de caractère provisoire et qu'elle "aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative de la décision par laquelle le juge de l'excès de pouvoir viendrait, le cas échéant, à prononcer l'annulation de la décision de refus de communication du dossier pour un motif reposant sur une fausse application de la loi" (CE, 1er mars 2001, n° 230794 N° Lexbase : A2699AT7).

Le juge des référés ne peut ainsi enjoindre au directeur d'un centre hospitalier de laisser un médecin exercer les fonctions de résident en médecine générale pour lesquelles il avait été affecté dans ce centre hospitalier alors que son affectation dans ce centre a été refusée (CE, 2 août 2002, n° 249189 N° Lexbase : A9762R7P), à un maire de retirer une décision (CE, 2 juillet 2003, n° 257971 N° Lexbase : A2257C9H), à un ministre de publier la vacance d'un poste de directeur (CE, 9 juillet 2001, n° 232818 N° Lexbase : A5520AUY), au Président de la République de prononcer par décret la fin de l'état d'urgence (CE, 9 décembre 2005, n° 287777 N° Lexbase : A1194DM8), au président d'une CCI de réintégrer un cadre et de lui verser ses traitements (CE, 14 mai 2003, n° 245628 N° Lexbase : A0408B7A), au ministre de procéder à la réinscription d'un requérant sur la liste des experts (CE, 15 décembre 2005, n° 288024 N° Lexbase : A1197DMB) ou au directeur d'un service déconcentré de faire procéder à une enquête (CE, 23 octobre 2015, n° 386649 N° Lexbase : A0336NUY).

De telles conclusions d'injonctions sont irrecevables, dès lors qu'elles auraient le même effet que celui d'une décision d'annulation au fond. Le pouvoir du juge des référés se limite donc à enjoindre à l'autorité de réinstruire la demande du requérant dans un délai qu'il fixe et, au besoin, sous la menace d'une astreinte qui n'est d'ailleurs pas toujours prononcée.

On notera que la décision du 7 octobre 2016 consacre la formulation plus générale déjà retenue dans certaines décisions (CE, 2 août 2002, n° 249189, précité ; CE, 23 octobre 2015, n° 386649, précité) alors que la plupart des décisions antérieures semblaient restreindre leur propre champ d'application à des motifs spécifiques d'annulation tel que la fausse application de la loi (CE, 1er mars 2001, n° 230794, précité ; CE, 14 mai 2003, n° 245628, précité) ou le défaut de base légale (CE, 9 décembre 1005, n° 287777, précité ; CE, 15 décembre 2005, n° 288024, précité).

2 - Ce premier rappel est suivi d'un second qui fait l'objet d'un long considérant de principe, lequel vient opérer une synthèse de la jurisprudence antérieure : "Considérant, d'autre part, que si, eu égard à leur caractère provisoire, les décisions du juge des référés n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée, elles sont néanmoins, conformément au principe rappelé à l'article L. 11 du Code de justice administrative, exécutoires et, en vertu de l'autorité qui s'attache aux décisions de justice, obligatoires ; qu'il en résulte que lorsque le juge des référés a prononcé la suspension d'une décision administrative et qu'il n'a pas été mis fin à cette suspension -soit, par l'aboutissement d'une voie de recours, soit dans les conditions prévues à l'article L. 521-4 du Code de justice administrative, soit par l'intervention d'une décision au fond- l'administration ne saurait légalement reprendre une même décision sans qu'il ait été remédié au vice que le juge des référés avait pris en considération pour prononcer la suspension".

Les décisions du juge des référés, bien que dépourvues de l'autorité de la chose jugée, sont donc non seulement exécutoires mais également obligatoires pour l'administration. La jurisprudence antérieure l'avait déjà énoncé : "si les ordonnances par lesquelles le juge des référés fait usage de ses pouvoirs de juge de l'urgence sont exécutoires et, en vertu de l'autorité qui s'attache aux décisions de justice, obligatoires, elles sont, compte tenu de leur caractère provisoire, dépourvues de l'autorité de chose jugée" (CE, 28 décembre 2012, n° 353459 N° Lexbase : A6873IZL). On ne saurait imaginer le contraire, sauf à ôter au juge sa légitimité, en privant ses décisions de force obligatoire et à ouvrir aux requérants une procédure conduisant à une décision que l'administration ne serait pas obligée de respecter, c'est-à-dire une procédure parfaitement inutile. Le rappel est donc sans surprises.

Conséquence de ces caractères de la décision du juge des référés, la jurisprudence antérieure avait précisé "qu'il en résulte notamment que lorsque le juge des référés a prononcé la suspension d'une décision administrative et qu'il n'a pas été mis fin à cette suspension, l'administration ne saurait légalement reprendre une même décision sans qu'il ait été remédié au vice que le juge des référés avait pris en considération pour prononcer la suspension" (CE, 24 février 2015, n° 374726 N° Lexbase : A0772NCL ; CE, 5 novembre 2003, n° 259339 N° Lexbase : A1062DAL ; CE, 10 avril 2014, n° 376266 N° Lexbase : A8235MIT). L'arrêt du 5 novembre 2003, relatif à la chasse au gibier d'eau, avait également précisé que la fin de la suspension pouvait survenir "soit, par l'aboutissement d'une voie de recours, soit dans les conditions prévues à l'article L. 521- 4 du Code de justice administrative, soit par l'intervention d'une décision au fond".

Cette contrainte imposée à l'administration ne peut surprendre : ce serait faire fi d'une décision de justice, fût-elle prise par le juge des référés, que de reprendre la même décision sur les mêmes motifs. La méconnaissance de cette contrainte emporte donc l'illégalité de la décision de l'administration intervenue en violation des caractère exécutoires et obligatoires des décisions du juge des référés, dès lors qu'elle n'a pas remédié au vice sur lequel le juge a fondé sa décision de suspension (CE, 5 novembre 2003, n° 259339, précité). Lorsque le juge des référés a suspendu l'exécution d'un décret, ajoutant à titre provisoire les magasins de bricolage à la liste des établissement autorisés à ouvrir le dimanche, en estimant, eu égard au caractère temporaire de ce décret, que le moyen tiré de ce qu'il aurait été pris pour un motif ne figurant pas au nombre de ceux prévus par l'article L. 3132-12 du Code du travail (N° Lexbase : L0466H97), le Gouvernement ne méconnaît pas le caractère exécutoire et obligatoire de cette décision en prenant un nouveau décret inscrivant de manière permanente les établissements de commerce de détail de bricolage sur la liste fixée par l'article R. 3132-5 du même code (N° Lexbase : L6772IZT), au motif que leur ouverture était rendue nécessaire par les besoins du public (CE, 24 février 2015, n° 374726, précité).

En matière de contentieux contractuel, le caractère exécutoire et obligatoire des décisions du juges des référés s'étend naturellement plus loin que dans le régime de droit commun des référés. C'est ainsi que, "lorsque le juge des référés a ordonné de suspendre la signature d'un contrat, l'administration ne saurait légalement conclure le contrat en cause" (CE, 6 mars 2009, n° 324064 N° Lexbase : A5824ED3).

Toutefois, le Conseil d'Etat n'avait pas eu l'occasion d'expliciter la portée exacte de cette contrainte lorsqu'une décision de refus est en cause. L'arrêt du 7 octobre 2016 vient combler cette lacune en précisant "que, lorsque le juge des référés a suspendu une décision de refus, il incombe à l'administration, sur injonction du juge des référés ou lorsqu'elle est saisie par le demandeur en ce sens, de procéder au réexamen de la demande ayant donné lieu à ce refus ; que lorsque le juge des référés a retenu comme propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de ce refus un moyen dirigé contre les motifs de cette décision, l'autorité administrative ne saurait, eu égard à la force obligatoire de l'ordonnance de suspension, et sauf circonstances nouvelles, rejeter de nouveau la demande en se fondant sur les motifs en cause".

Ces précisions définissent la conduite à tenir en cas de suspension d'une décision de refus.

D'une part, l'administration est tenue de statuer de nouveau si le juge lui adresse une telle injonction ou si le requérant lui présente une telle demande. L'injonction juridictionnelle n'appelle pas de commentaire particulier dès lors qu'elle découle des termes mêmes de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative. En revanche, on notera que l'arrêt du 7 octobre 2016 permet au requérant de combler une lacune de sa requête : s'il a omis de saisir le juge des référés d'une demande d'injonction visant à contraindre l'administration à réinstruire sa demande, il peut néanmoins, et à la seule condition d'avoir obtenu la suspension de la décision de refus, saisir l'administration de cette demande, sans que celle-ci puisse lui opposer le caractère de demande nouvelle, comme telle irrecevable.

D'autre part, l'arrêt formule les conséquences précédemment rappelées du caractère obligatoire et exécutoire des décisions du juge des référés qui interdisent à l'administration de reprendre la même décision sur les mêmes motifs. En revanche, dès lors que celle-ci doit statuer sur une demande en prenant en compte les circonstances de fait et de droit existantes à la date de cette demande, cette contrainte peut être levée si des nouvelles circonstances sont apparues.

Faisant application de ces principes à l'hypothèse complexe de la présente affaire, le Conseil d'Etat va créer un nouveau régime juridique.

II - La création d'un nouveau régime juridique

L'arrêt du 7 octobre 2016 procède à une extension significative de la notion de décision provisoire et en fait application au permis de construire.

1 - Le Conseil d'Etat étend de manière significative la notion de décision provisoire. L'arrêt énonce la chose en ces termes : "Considérant, enfin, qu'une décision intervenue pour l'exécution de l'ordonnance par laquelle le juge des référés d'un tribunal administratif a suspendu l'exécution d'un acte administratif revêt, par sa nature même, un caractère provisoire jusqu'à ce qu'il soit statué sur le recours en annulation présenté parallèlement à la demande en référé ; qu'il en est notamment ainsi lorsque l'administration décide, à l'issue du réexamen faisant suite à la décision de suspension d'un refus prise par le juge des référés, de faire droit à la demande ; qu'eu égard à son caractère provisoire, une telle décision peut être remise en cause par l'autorité administrative".

Le caractère provisoire des décisions du juge des référés découle des termes mêmes de l'article L. 511-1 du Code de justice administrative. Un récent arrêt du 23 octobre 2015 avait rappelé le caractère provisoire des mesures que le juge des référés peut prescrire, relevant que, lorsque le juge des référés prescrit des mesures ou indique les obligations qui découleront, pour l'administration, de la décision de suspension, "les mesures qu'il prescrit ainsi, alors qu'il se borne à relever l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige, doivent présenter un caractère provisoire" (CE, 23 octobre 2015, n° 386649 N° Lexbase : A0336NUY).

La seule exception au caractère provisoire de ces mesures intervient en matière de référé-liberté. En effet, "lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte ; que ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte ; que ce caractère provisoire s'apprécie au regard de l'objet et des effets des mesures en cause, en particulier de leur caractère réversible" (CE, 31 mai 2007, n° 298293 N° Lexbase : A5282DWK).

Ce caractère provisoire de la décision de référé emporte des conséquences procédurales.

Il en résulte "que le fait que le juge des référés ait donné acte d'un désistement, même qualifié de désistement d'action, ne peut faire obstacle à ce que la même partie réitère ultérieurement devant le juge des référés une demande tendant aux mêmes fins, si elle s'y estime fondée" (CE, 28 décembre 2012, n° 353459 N° Lexbase : A6873IZL). La procédure de référé offre donc une souplesse d'action relativement significative au requérant qui, sous réserve du dépôt simultané d'une requête au fond recevable contre la décision attaquée, peut réagir aux manoeuvres auxquelles l'administration peut être tentée de recourir pour faire échec au recours, par des moyens procéduraux de mauvaise foi. En revanche, ainsi qu'on le verra dans la précédente affaire, l'étroite articulation entre la procédure de référé et la procédure au fond peut ouvrir des chausse-trappes sous les pieds d'un requérant maladroit. La portée de la décision du 28 décembre 2012 est donc limitée aux désistements devant le juge des référés et non à ceux opérés devant le juge du fond, dès lors que la recevabilité du référé dépend du dépôt d'un recours au fond recevable contre la décision litigieuse.

De même, la décision intervenue en application du jugement de référé ne prive pas d'objet le pourvoi du requérant (CE, 26 septembre 2005, n° 255656 N° Lexbase : A6044DK3) ou du ministre dirigé contre ce jugement (CE, 26 novembre 2003, n° 259120 N° Lexbase : A4162DAE). Le fait que l'administration respecte le caractère obligatoire et exécutoire de la décision du juge des référés ne la prive pas de son droit de contester ce jugement et ne peut valoir acquiescement à ce jugement.

2 - Toutefois, le caractère provisoire de la décision du juge des référés vient contaminer la décision administrative prise sur son fondement et qui ne peut alors qu'être, elle-même, provisoire.

La jurisprudence avait eu l'occasion de reconnaître l'existence de cette notion de décision provisoire dans le droit de la fonction publique. C'est le cas en matière de pensions. En application de l'article L. 55 du Code des pensions civiles et militaires de retraite (N° Lexbase : L9923HEA), une décision d'attribution est, par nature, quasiment irréversible. La pension est, en effet, définitivement acquise et ne peut être révisée ou supprimée que dans les conditions prévues par cet article, notamment, en cas d'erreur de droit, dans le délai d'un an à compter de la notification de la décision de concession initiale de la pension. Par conséquent, la décision par laquelle l'administration, en application d'un jugement de référés suspendant un refus tacite, a inclu la bonification sollicitée le requérant les bases de liquidation de sa pension revêt, par nature, un caractère provisoire et ne peut donc être regardée comme lui concédant une pension "définitivement acquise", au sens de l'article L. 55 précité. Les conditions dans lesquelles l'administration peut remettre en cause une telle décision ne sont donc pas régies par cet article (CE, 21 mars 2008, n° 281995 N° Lexbase : A5015D7U). Il en va de même de la décision par laquelle l'administration accorde, sur injonction du juge des référés une pension à jouissance immédiate, "décision, qui revêt par sa nature même un caractère provisoire" (CE, 26 novembre 2003, n° 259120 N° Lexbase : A4162DAE ; CE, 26 septembre 2005, n° 255656 N° Lexbase : A6044DK3).

C'est également le cas lorsque le fonctionnaire se trouve dans des circonstances statutaires particulières. C'est ainsi que, lorsque le comité médical supérieur est saisi d'une contestation de l'avis du comité médical, l'employeur doit prendre une décision provisoire dans l'attente de cet avis pour placer le fonctionnaire dans l'une des positions prévues par son statut. Si l'agent a épuisé ses droits à congé de maladie ordinaire et ne peut reprendre le service en raison de l'avis défavorable du comité médical, la saisine du comité médical supérieur ne fait donc pas obstacle à ce qu'il soit placé, par une décision à caractère provisoire et sous réserve de régularisation ultérieure, en disponibilité d'office (CE, 28 novembre 2014, n° 363917 N° Lexbase : A5451M4N ; CAA Nancy, 22 septembre 2016, n° 15NC00245 N° Lexbase : A0870R4Y ; CAA Versailles, 8 octobre 2015, n° 14VE01325 N° Lexbase : A2070NTT).

Le domaine de la décision provisoire était donc étroitement délimité. L'arrêt du 7 octobre 2016 reconnaît, dans les termes précédemment rappelés, un champ d'application général à cette notion de décision provisoire ce qui ne va pas sans poser de questions.

Dans la plupart des cas, la demande de suspension adressée à l'autorité administrative vise des décisions positives. Dans ce cas, il n'y a pas lieu de remplacer la décision suspendue dès lors que le requérant n'a, le plus souvent, aucun intérêt à ce que l'administration reprenne une nouvelle décision. C'est le cas des référés dirigés contre les autorisations, notamment d'urbanisme, accordée à des tiers ou des référés libertés intentés par les personnes visées par les mesures contestées.

En revanche, lorsque l'administration a rendu une décision négative, il est particulièrement rare qu'elle modifie sa position entre la décision initiale et la décision prise sur injonction du juge des référés. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, le Conseil d'Etat n'avait pas eu à se prononcer sur de telles circonstances. C'est encore plus rare en matière de permis de construire. Il faudrait, et c'est d'ailleurs peut-être le cas dans la présente espèce, que le refus ait été pris sur un seul motif susceptible de le justifier légalement et que, les caractères obligatoire et exécutoire du jugement de référé faisant interdiction à l'administration de s'appuyer, une nouvelle fois, sur ce motif pour opposer un nouveau refus, l'autorité se trouve alors contrainte de délivrer l'autorisation refusée.

Mais de telles circonstances sont particulièrement rares, dès lors que la complexité du droit de l'urbanisme fait que plusieurs motifs sont souvent susceptibles d'être invoqués par l'administration pour refuser une autorisation. Et une gestion prudente des demandes de permis peut ainsi conduire l'administration à garder en réserve, pour le cas d'une annulation par le juge du fond ou d'une suspension par le juge des référés, un ou plusieurs motifs susceptibles de justifier légalement d'un nouveau refus. La substitution de motifs en cours d'instance est admise en droit de l'urbanisme (CE, 7 juillet 1976, n° 00034 N° Lexbase : A5155B73 ; CE, 30 décembre 2009, n° 319942 N° Lexbase : A0419EQL ; CE, 15 décembre 2010, n° 331671 N° Lexbase : A6728GNI).

Le caractère provisoire du jugement de référé vient donc littéralement contaminer la décision prise par l'administration en application de ce jugement. Si l'on replace le phénomène dans le contexte général de l'acte administratif unilatéral, le caractère provisoire d'un acte n'est pas, en lui-même, intrinsèquement étranger au régime de ces actes. L'administration est amenée à prendre, en permanence, une importante quantité de décisions de cette nature, lesquelles, de par leur caractère provisoire, passent sous le niveau de détection ordinaire que constitue le contentieux, seules les décisions définitives faisant l'objet d'un recours effectif. En effet, les prises de position provisoires sont des actes non décisoires insusceptibles de recours (CE, 30 décembre 2003, n° 230947 N° Lexbase : A6359DAR, concl. Guyomar, LPA, 16 novembre 2004, n° 229). En revanche, la situation est radicalement différente, dès lors que la décision provisoire devient un acte faisant grief et donc susceptible de recours pour excès de pouvoir. Il faut, alors, notamment définir un régime de retrait de ces actes dès lors qu'ils peuvent être créateurs de droit.

3 - C'est précisément ce à quoi s'est employé le Conseil d'Etat dans l'arrêt du 7 octobre 2016, en élaborant un régime du retrait du permis de construire provisoire.

Dans un premier temps, l'arrêt fait application de la jurisprudence traditionnelle relative à l'appréciation de l'urgence à ce cas de figure dans les termes suivants : "Considérant que les règles rappelées [...] sont notamment applicables aux décisions portant refus de permis de construire ; qu'en ce qui les concerne, il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi d'une demande de suspension, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets du refus de permis litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence s'apprécie objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, en tenant compte, notamment, des conséquences qui seraient susceptibles de résulter, pour les divers intérêts en présence, de la délivrance d'un permis de construire provisoire à l'issue d'un réexamen de la demande ordonné par le juge des référés".

Au-delà de l'application des critères classiques d'appréciation de l'urgence, on notera que le juge des référés se trouve dans l'obligation de faire de la prospective : il ne doit pas seulement apprécier l'urgence au vu de la situation qui lui est présentée lorsqu'il statue, mais également au vu des conséquences de l'édiction d'un permis de construire provisoire, dont, pourtant, rien ne dit qu'il sera nécessairement édicté.

La démarche imposée au juge des référés est pour le moins étonnante : alors que l'urgence doit s'apprécier concrètement, c'est-à-dire au regard des éléments de fait et de droit dont le juge peut avoir connaissance au moment où il se prononce, elle doit également s'apprécier sur la base de considérations hypothétiques. Ces considérations étant nécessairement futures et donc incertaines, il semble difficile d'apprécier la manière dont elles pourraient rétroagir à la date du jugement pour permettre au juge d'apprécier l'urgence qu'il y a à suspendre, à cette date, un refus de permis de construire. On peut également s'interroger sur ce que peuvent recouvrir "les divers intérêts en présence", dès lors que, dans le cas d'un refus de permis de construire, le contentieux n'oppose nécessairement que le pétitionnaire et l'administration.

De manière générale, la méthode laisse sceptique : en exigeant du juge des référés qu'il s'interroge, pour apprécier l'urgence, non sur les conséquences directes de sa décision mais sur d'éventuelles conséquences indirectes, on semble mettre la charrue avant les boeufs. Les conséquences que le juge doit prendre en considération ne seront susceptibles de survenir que si l'urgence, et l'existence d'un moyen de nature à jeter un doute sur la légalité de la décision, sont reconnues : comment, dès lors peuvent-elles être un critère de cette urgence ? L'arrêt, en statuant au fond n'apporte, d'ailleurs, aucune précision utile puisque le Conseil d'Etat, rejetant la requête sur le fondement de l'absence de moyen, n'a pas statué sur l'urgence.

Dans un second temps, l'arrêt énonce le régime du retrait d'un permis provisoire pris sur injonction après suspension d'un refus de permis de construire.

Tout d'abord, le permis provisoire, dont la notion est donc consacrée par le Conseil d'Etat, "peut être retiré à la suite du jugement rendu au principal sur le recours pour excès de pouvoir formé contre la décision initiale de refus sous réserve que les motifs de ce jugement ne fassent pas par eux-mêmes obstacle à ce que l'administration reprenne une décision de refus". Le retrait peut donc intervenir pour tenir compte de la décision du juge du fond. Si la légalité du refus de permis est confirmée, le retrait n'est subordonné à aucune condition de fond et le permis provisoire perd toute base légale. Si le refus est annulé, le permis peut également être retiré, sauf si les motifs de l'annulation s'y opposent et conduisent donc à maintenir la décision provisoire.

L'arrêt n'a statué que sur le régime du retrait mais on peut cependant s'interroger sur le statut de la décision provisoire avant son retrait. Son caractère opérationnel est peu convaincant : il semble risqué, en effet, de construire sur la base d'une telle décision et le pétitionnaire prudent choisira de patienter. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un acte créateur de droit puisqu'il est soumis à un régime de retrait.

D'autres questions surgissent lorsque le jugement au fond reconnaît l'illégalité du refus de permis et confirme, cas rare mais non pas invraisemblable, l'obligation de l'administration de délivrer le permis du fait de l'illégalité de tous les motifs de refus possibles. Quelle est la pérennité de la décision provisoire : perd-elle automatiquement ce caractère, ou doit-elle être confirmée par une nouvelle décision ? Cette seconde hypothèse est peu conforme à la sécurité juridique du pétitionnaire puisqu'elle conduit à ouvrir à nouveau des délais de recours. Néanmoins, elle est conforme à l'intérêt des tiers car le régime des délais de recours contre ce permis provisoire demeure inconnu. Or, si les tiers ne sont pas intéressés à exercer un recours contre la décision initiale de refus de permis de construire, en revanche, ils peuvent avoir intérêt à agir contre le permis délivré à titre provisoire, en conséquence de l'injonction du juge des référés, et confirmé par la décision du juge du fond. Par conséquent, si le Conseil d'Etat a voulu étouffer le contentieux initié par le pétitionnaire en donnant à l'administration la possibilité de contenter ce dernier par un permis provisoire et éviter ainsi un recours contre une nouvelle décision de refus intervenant sur injonction du juge des référés, il a, simultanément, ouvert la voie au recours des tiers contre le permis provisoire.

Ce régime de décision provisoire porte donc en germe des contentieux ultérieurs particulièrement subtils qui ne vont pas dans le sens d'une simplification et d'une clarification du contentieux de l'urbanisme.

Ensuite, la rigueur de la solution retenue par le Conseil d'Etat le conduit à définir les modalités de ce retrait : "cette décision de retrait doit toutefois intervenir dans un délai raisonnable, qui ne peut, eu égard à l'objet et aux caractéristiques du permis de construire, excéder trois mois à compter de la notification à l'administration du jugement intervenu au fond". Il faut donc en déduire que le permis provisoire qui n'est pas retiré dans ce délai devient définitif. Ce retrait est également entouré de garanties procédurales, qui, certes, ne conduisent généralement pas l'administration à modifier ses positions mais qui ont le mérite d'exister et d'assurer une certaine transparence. Le retrait du permis provisoire ne peut ainsi être prononcé "qu'après que le pétitionnaire a été mis à même de présenter ses observations".

Enfin, le même mécanisme s'applique dans deux hypothèses autres que celle du jugement au fond. C'est le cas lorsque le "bénéficiaire du permis se désiste de son recours en annulation, mettant ainsi un terme à l'instance engagée au fond, auquel cas le délai court à compter de la notification à l'administration de la décision donnant acte du désistement". C'est également le cas lorsqu'il "est mis fin à la suspension par une nouvelle décision du juge des référés dans les conditions prévues à l'article L. 521-4 du Code de justice administrative ou du fait de l'exercice d'une voie de recours contre la décision du juge des référés". La possibilité du retrait est donc ouverte dans de multiples hypothèses.

Ce nouveau régime de retrait des permis de construire provisoire qui, espérons-le, n'aura pas vocation à s'appliquer très souvent, constitue, par nature, une dérogation au régime de droit commun du retrait du permis prévu par l'article L. 424-5 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9322IZB), même si le Conseil d'Etat ne pouvait fixer un délai différent de celui prévu par le législateur. Le juge de cassation censure donc l'erreur de droit commise par le juge des référés qui avait retenu la méconnaissance de cet article comme moyen pour prononcer la suspension du retrait du permis provisoire. Dès lors que le Conseil d'Etat décidait de créer un nouveau régime, la censure était inéluctable. La même solution conduit, le Conseil, statuant au fond, à rejeter la requête en référé, dès lors que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 424-5 n'est pas susceptible de justifier l'annulation du retrait de permis.

Le pétitionnaire se trouve ainsi victime de l'erreur ayant consisté à se désister de son recours au fond contre le refus de permis de construire. Une circonstance qui vient rappeler que le désistement doit être utilisé avec la plus grande prudence. On peut également s'interroger sur ce genre de créations de régime ex-nihilo qui se font toujours au détriment de l'une des parties et, en l'espèce, récompense la commune dont le comportement semble avoir été assez discutable. A posteriori, les parties réalisent qu'elles ont évolué dans l'univers juridique le plus incertain...

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