La lettre juridique n°388 du 25 mars 2010 : Propriété intellectuelle

[Chronique] La Chronique de droit de la propriété intellectuelle de Maître Nathalie Biltz, Avocat au Barreau de Paris, Lamy & Associés - Mars 2010

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[Chronique] La Chronique de droit de la propriété intellectuelle de Maître Nathalie Biltz, Avocat au Barreau de Paris, Lamy & Associés - Mars 2010. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212578-chronique-la-chronique-de-droit-de-la-propriete-intellectuelle-de-b-maitre-nathalie-biltz-avocat-au-
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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique en droit de la propriété intellectuelle de Maître Nathalie Biltz, Avocat au Barreau de Paris, Lamy & Associés, rédigée avec la participation d'Helena Renaillé, étudiante à l'Ecole doctorale de l'Université de Paris Ouest Nanterre La Défense. L'auteur a sélectionné deux arrêts importants : le premier, rendu par la cour d'appel de Paris confirme, dans la droite ligne de la jurisprudence actuelle, que les constats des agents assermentés de la SACEM et de la SDRM, concernant les téléchargements illégaux de musique sur internet, ne sont pas des traitements de données à caractère personnel et sont donc dispensés de déclaration à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ; le second arrêt, rendu par le Conseil d'Etat, le 22 février 2010, tranche à nouveau la question de la propriété des droits sur l'invention d'un étudiant au cours d'un stage en établissement public et met fin à l'épique combat engagée par un étudiant-stagiaire.

1 - L'adresse IP au coeur de la tourmente ou le combat entre la protection de l'auteur et celui des personnes "fichées" (CA Paris, Pôle 5, 12ème ch., 1er février 2010, n° 09/02337, Cyrille S. / SACEM, SDRM N° Lexbase : A9354ETM)

De façon attendue, la cour d'appel de Paris a rendu le 1er février dernier un arrêt qui, dans la droite ligne de la jurisprudence actuelle, confirme que les constats des agents assermentés de la SACEM et de la SDRM, concernant les téléchargements illégaux de musique sur internet, ne sont pas des traitements de données à caractère personnel et sont donc dispensés de déclaration à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

En l'espèce, et selon une procédure désormais bien connue du grand public, un agent assermenté de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) a, courant 2005, constaté que le défendeur mettait à disposition et téléchargeait des oeuvres musicales au format MP3, appartenant au répertoire géré conjointement par cette dernière et la Société pour l'administration du droit de reproduction mécanique des auteurs et compositeurs de musique (SDRM), par l'intermédiaire d'un logiciel de peer-to-peer. L'agent en question a pu en quelques clics :
- obtenir l'adresse IP du défendeur par la simple interrogation du logiciel peer-to-peer ;
- déterminer son fournisseur d'accès grâce à un logiciel de traçage d'adresses IP ;
- définir les coordonnées du fournisseur d'accès en interrogeant la base publique de données Whois ;
- et vérifier l'exactitude de l'adresse IP connectée au fournisseur d'accès par le biais d'un pare-feu.

Fort de cette adresse IP, la SACEM a porté plainte auprès des services de gendarmerie, qui ont, après accord du Parquet, déclenché la procédure de réquisition des données d'identification de l'abonné à partir de l'adresse IP relevée.

La perquisition au domicile du défendeur révèlera près de 3 000 morceaux de musique téléchargés par peer-to-peer ainsi que 37 compact-discs gravés, constat déclenchant une assignation pour contrefaçon par reproduction et représentation d'oeuvres protégées de la part de la SACEM et de la SDRM.

Condamné en première instance, le défendeur a été relaxé par la cour d'appel de Rennes, mais le pourvoi en cassation des sociétés de gestion des droits d'auteur a été accueilli par la Cour de cassation (1) qui, statuant en sa défaveur, a renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris. On remarquera, non sans une pointe d'inquiétude, que, dans cette espèce, l'adresse IP a révélé le nom d'un abonné qui s'est avéré ne pas être l'auteur des téléchargements, mais c'est bien ce dernier qui a été assigné devant les juges de première instance, et non le titulaire de l'abonnement internet, à qui correspond pourtant l'adresse IP relevée. Cet état de chose, bien que respectueux de la réalité des faits litigieux, renvoie à une situation antérieure à l'existence du principe de sécurisation de l'accès internet du titulaire de l'abonnement internet, mis en place par la désormais célèbre loi n° 2009-669 du 12 juin 2009, favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (autrement appelée loi "HADOPI" N° Lexbase : L3432IET) dans son article 11, créant un article L. 336-3 dans le Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L8870IEA) qui dispose que "la personne titulaire de l'accès à des services de communication au public en ligne a l'obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l'objet d'une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d'oeuvres ou d'objets protégés par un droit d'auteur ou par un droit voisin sans l'autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu'elle est requise".

Qu'en serait-il aujourd'hui ? Le titulaire de l'abonnement internet pourra-t-il être tenu responsable de sa négligence dans l'absence évidente de sécurisation de son accès internet ? On rappellera au passage que ce principe de sécurisation du poste a été retoqué dans sa forme originelle par le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 10 juin 2009 (Cons. const., décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet N° Lexbase : A0503EIH), ce qui a permis l'introduction d'un alinéa 2 dans ce même article : "le manquement de la personne titulaire de l'accès à l'obligation définie au premier alinéa n'a pas pour effet d'engager la responsabilité pénale de l'intéressé".

Seule une action au civil sera donc envisageable en cas de négligence de la part du titulaire de l'accès internet.

Outre la réalité de l'identité du contrefacteur présumé, la description de la procédure de collecte d'informations a eu son importance dans la décision de la cour d'appel. En effet, la discussion a essentiellement porté non sur la nature de l'adresse IP (donnée à caractère personnel ou pas), mais sur l'existence d'un traitement de données à caractère personnel éventuellement matérialisé par la collecte des adresses IP, qui aurait imposée une autorisation préalable obligatoire (2) de la part de la CNIL, et rendu, par conséquent, illégal le procès-verbal de constatation d'infraction de l'agent assermenté de la SACEM.

Cette position paraît ubuesque car elle admet implicitement que l'adresse IP est bien une donnée à caractère personnel, puisque le "régime CNIL" tend à s'appliquer. Or, ni le législateur, ni le juge n'ont encore tranché de façon claire et définitive la nature réelle de l'adresse IP qui pourrait être qualifié de "donnée mixte" en ce qu'elle identifie une machine à laquelle est rattaché un abonnement internet souscrit par une personne physique ou morale.

On notera que, dans l'arrêt du 13 janvier 2009, la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait pourtant avancé l'idée, dans la même affaire, que ce n'était pas "les relevés de l'adresse IP d'un internaute et l'identité de son fournisseur d'accès, librement accessible à tous sur internet, qui permettaient l'identification dudit internaute mais les réquisitions de l'autorité judiciaire [...], ces données ne présentent donc pas, en elles-mêmes, de caractère personnel".

La Chambre criminelle a eu le mérite d'affirmer de façon explicite que l'adresse IP n'a pas le statut d'une donnée à caractère personnel, même si la justification semble extrêmement légère. On pourra rétorquer qu'un numéro d'immatriculation ou de téléphone, qui sont considérés par la CNIL comme des données à caractère personnel, identifie directement un véhicule ou un domicile et seulement de façon indirecte leur propriétaire personne physique ou morale. Dans le même esprit, un nom de famille, donnée à caractère personnel par excellence, peut également être accessible à tous sur internet et ne permet pas forcément l'identification d'un individu de façon certaine (homonymie, usurpation d'identité, mauvaise orthographe, etc.), alors que l'adresse IP est une donnée plus stable et plus fiable pour identifier une machine et, de ce fait, remonter au titulaire d'un abonnement internet, puisque le fournisseur d'accès connaît l'identité des personnes physiques ou morales à qui il fournit des adresses IP fixes ou dynamiques.

Or, en ce qui concerne notre espèce, la cour ne s'attarde pas sur la nature de l'adresse IP en semblant l'admettre de facto et ne s'interroge que sur l'existence d'un traitement, automatisé ou non, de ces adresses.  La cour fait donc une interprétation contestable des textes qui régissent la matière pour en tirer une conclusion imparable. Elle cite l'article L. 331-2 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L5783IEW) pour justifier l'existence des constatations des agents assermentés des sociétés de gestion de droits d'auteurs, puis les articles 2 (N° Lexbase : L4316AHC), 9 (N° Lexbase : L4360AHX) et 25 (N° Lexbase : L4322AHK) de la loi du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, qui respectivement :
- définit un traitement de données à caractère personnel ;
- précise que les sociétés de gestion des droits d'auteurs sont autorisées à constituer de tels fichiers ;
- et partant soumet ces sociétés à une autorisation préalable de la CNIL.

La cour occulte l'indéniable collecte et la communication par transmission de données à caractère personnel entrant dans la définition du traitement de données, automatisé ou non, sur papier ou sur informatique, pour ne conserver que l'aspect factuel de la procédure mise en oeuvre par l'agent assermenté, en affirmant que "les constatations visuelles effectuées sur internet et les renseignements recueillis en exécution de l'article L. 331-2 du Code de la propriété intellectuelle [N° Lexbase : L5783IEWpar l'agent assermenté de la SACEM [...] rentrent dans les pouvoirs conférés à cet agent par la disposition précitée et ne constituent pas un traitement automatisé de données à caractère personnel relatives à ces infractions, au sens des articles 2 et 25 précités" (sic).

Si l'on en croit la cour d'appel, l'adresse IP est donc bien une donnée à caractère personnel dont l'éventuel traitement doit respecter les dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, mais que la collecte des adresses IP et leur communication par transmission aux services de gendarmerie ne peuvent pas être qualifiées de traitement de données à caractère personnel.

Pour justifier cette assertion, les juges parisiens se retranchent derrière les arguments des sociétés de gestion des droits d'auteur qui ne destinent pas l'adresse IP récoltée à "figurer dans un fichier, cette dernière n'étant contenu que dans le seul procès-verbal dressé par l'agent assermenté, lui-même contenu dans le dossier afférent à la présente affaire nécessaire au suivi de la procédure". Selon toute vraisemblance, les sociétés de gestion de droit d'auteur ne créent pas de fichiers de contrefacteurs, ne conservent pas une copie des procès-verbaux que leurs agents dressent en vue des réquisitions judiciaires, en fonds papier ou numérisés, ne s'appuient pas sur ces données pour réaliser des études statistiques du piratage en France...

Si la collecte d'adresses IP a le goût et la couleur d'un fichier d'infractions, la cour refuse très net de lui reconnaître la qualification de traitement de données à caractère personnel en opposant le droit de la propriété intellectuelle qui autorise la protection des droits d'auteurs par de simples constatations de sociétés gestionnaires aux dispositions légales en matière de données personnelles qui traduit pourtant l'éventuelle collecte de données au cours de ces constatations en fichiers d'infractions soumis à autorisation préalable. Pour conclure sa motivation, la cour d'appel s'appuie une fois encore sur une vision tayloriste de la division du travail : les agents assermentés de la SACEM ne font que constater la matérialité de l'infraction par la collecte de l'adresse IP, le travail d'identification de l'auteur de l'infraction revenant exclusivement aux services de gendarmerie.

Il semble indéniable que la cour, comprenant les limites de l'exclusion du statut de donnée à caractère personnel pour les adresses IP, a voulu contourner habilement la difficulté en fixant le débat sur :
- l'existence ou non d'un traitement des informations recueillies ;
- et la finalité de la collecte de ces informations, qui étaient destinées à constater la matérialité de l'infraction et non à identifier le contrefacteur.

Il eut été plus simple, pour éluder le problème, de reprendre l'argumentaire de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en avançant l'idée que l'adresse IP n'étant pas une donnée à caractère personnel, l'agent de la SACEM avait procédé à une collecte d'informations non soumises à une législation spécifique. Mais la cour d'appel a sans doute estimé que cette interprétation franco-française était instable dans le sens où l'interprétation communautaire de l'adresse IP tend à lui conférer le statut de donnée à caractère personnel. Pour rappel, en janvier 2008, Peter Scharr, alors rapporteur du Groupe de travail "Article 29" sur la protection des données, avait bataillé ferme pour tenter de convaincre la commission des libertés, justice et affaires intérieures du Parlement européen du bien-fondé de la reconnaissance de donnée à caractère personnel pour l'adresse IP. Depuis, de nombreuses initiatives européennes ont agi en ce sens, et notamment la réduction drastique de la durée de conservation des informations sur les internautes par les moteurs de recherches. Il est à noter que la CNIL considère l'adresse IP comme étant une donnée à caractère personnel depuis 2007.

Cet arrêt du 22 février 2010 confirme le pas en arrière de la jurisprudence majoritaire sur le refus de protection donnée aux adresses IP des internautes. Pourtant, quelques juridictions dissidentes avaient tenté d'ouvrir la voie à la reconnaissance du statut de données à caractère personnel, comme le très prolifique tribunal de grande instance de Paris, qui a donné un temps des sueurs froides à la Suisse (3). Cette dernière décision apparaît également comme un véritable affront pour la CNIL qui, forte de plusieurs arrêts annulant des procès-verbaux d'agents assermentés pour absence de déclaration des traitements, s'inquiétait, dès août 2007, de la recrudescence des décisions de cette même cour d'appel de Paris et "des répercussions qu'une telle jurisprudence pourrait avoir sur la protection de la vie privée et des libertés individuelles sur internet, de plus en plus largement utilisé par tous" (4). Pourtant, loin d'empêcher la condamnation des contrefacteurs, la qualification définitive de l'adresse IP en tant que donnée à caractère personnel demeure essentielle pour garantir un cadre judiciaire stable et sain, en harmonie avec les impulsions européennes actuelles.

2 - L'épique combat d'un étudiant-stagiaire enfin reconnu propriétaire de son invention (CE 4° et 5° s-s-r., 22 février 2010, n° 320319, Centre national de la recherche scientifique et autres N° Lexbase : A4383ES7)

Par cet arrêt du 22 février 2010, le Conseil d'Etat tranche à nouveau la question de la propriété des droits sur l'invention d'un étudiant au cours d'un stage en établissement public. Il est à noter que cette ultime décision met fin à un combat acharné entre le Docteur M. P. et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), conflit épique aux multiples rebondissements qui a pris sa source à la fin de la dernière décennie.

En l'espèce, en 1997, M. P., docteur en médecine spécialiste de l'échographie oculaire à l'époque, a effectué un stage non rémunéré dans le cadre d'un diplôme d'études approfondies au sein du laboratoire d'imagerie paramétrique, point de rencontre entre le CNRS et son université. Au cours de ce stage, et alors-même qu'il a le statut d'étudiant, il dépose un brevet à la suite d'une invention réalisée à cette occasion. Trois semaines après, le CNRS dépose également une demande de brevet sur la même invention et engage immédiatement une procédure en revendication de brevet. Débute alors une bataille mémorable sur les droits de propriété qui découlent de cette invention.

D'une part, M. P. soutient que les droits de propriété sur ladite invention lui reviennent de droit, en tant que créateur et déposant du brevet. D'autre part, le CNRS lui oppose l'existence de son règlement intérieur qui prévoit que les brevets correspondants aux inventions réalisées par les stagiaires et par les étudiants au sein du laboratoire d'imagerie paramétrique sont la propriété du CNRS.

Soumise dans un premier temps à tous les degrés de juridictions de l'autorité judiciaire, il faudra une saisine de l'autorité administrative par la cour d'appel de renvoi sur une question préjudicielle pour que le tribunal administratif de Paris déclare le règlement du CNRS illégal et que le Conseil d'Etat mette un point final aux débats en sacralisant comme seul et unique propriétaire de son invention le créateur-stagiaire.

D'une façon générale, l'article L. 611-6 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3555ADZ) concède le titre de propriété d'une invention à son créateur (ou à son ayant-droit). Pourtant, en pratique, les inventions brevetables sont rarement réalisées en dehors de toute structure privée ou publique, ayant pour conséquence directe de faire planer un doute sur la paternité dudit titre de propriété, notamment en raison des investissements et/ou du matériel utilisé n'appartenant pas au créateur, mais sans lesquels l'invention n'aurait pas pu voir le jour. Dès lors, le législateur a rapidement pris en compte cette situation de fait et a créé une liste limitative d'exceptions à ce principe, englobant la question des inventeurs-salariés du secteur privé et celle des inventeurs-fonctionnaires, dont les statuts sont respectivement régis par l'article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3556AD3) et par la loi n° 99-587 du 12 juillet 1999, sur l'innovation et la recherche (dite loi "Allègre" N° Lexbase : L1179AR4).

Mais qu'en est-il pour les situations intermédiaires, dont les faits de la présente affaire font pleinement partie ?

Tour à tour, les juges vont jongler avec le statut de l'étudiant-stagiaire : alors même que le TGI de Paris (5) déboute le CNRS de sa demande, la cour d'appel de Paris (6) réussit le tour de force d'accueillir l'action en revendication de brevet du CNRS tout en reconnaissant la propriété originelle à l'inventeur-stagiaire, mais sans aucune contrepartie ! Dans son arrêt du 25 avril 2006, la Cour de cassation (7), par un magnifique syllogisme juridique, tempère les ardeurs du CNRS en recentrant le débat sur l'interprétation stricte des articles L. 611-6 et L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle. La Haute juridiction estime donc que seule la loi peut définir des exceptions au principe de propriété exclusive de l'inventeur sur son invention. Or le stagiaire-inventeur n'étant ni un agent public, ni un salarié, il ne rentre dans aucune des exceptions légales existantes et conserve donc son droit de propriété exclusif sur son invention.

La cour d'appel de renvoi, dans sa décision du 12 décembre 2007, soulève pour sa part l'incompétence de l'ordre judiciaire pour juger de la licéité du règlement interne propre au laboratoire d'un établissement public. Saisi du problème, le tribunal administratif de Paris, le 11 juillet 2008, déclare illégal l'article intéressant le litige du seul fait que le chef de service du CNRS, rédacteur du règlement interne, n'avait pas la compétence pour édicter une règle en dehors de tout fondement légal et pourtant susceptible d'affecter les droits des usagers du service public que représente le CNRS.

Reprenant le même argumentaire, la Haute juridiction de l'ordre administratif, saisie par le CNRS, clôture cette épopée juridique en rejetant son recours et en suivant le tribunal administratif de Paris sur :

- la juridiction administrative compétente :
"considérant que [l'article 3 du règlement du CNRS], qui édicte une règle générale et impersonnelle s'imposant à l'ensemble des étudiants accueillis en stage au sein de ce laboratoire, présente un caractère réglementaire ; que la circonstance que M. P. a apposé, sur un exemplaire de ce règlement, sa signature au bas d'une formule indiquant qu'il attestait en avoir pris connaissance et déclarait s'y conformer, ne saurait avoir ôté aux dispositions en cause le caractère d'un acte administratif réglementaire pour en faire un contrat de cession de droits de propriété intellectuelle ; qu'ainsi, il appartient au juge administratif de se prononcer sur la question préjudicielle qui lui est soumise par l'autorité judiciaire" ;

- l'illégalité du règlement litigieux :
"considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que la propriété des inventions faites par les étudiants non rémunérés, qui ont la qualité d'usagers du service public, ne saurait être déterminée en application des dispositions de l'article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle, lesquelles sont applicables aux seuls salariés et agents publics ; qu'elle relève donc de la règle posée par l'article L. 611-6 du même code attribuant cette propriété à l'inventeur ou à son ayant cause ; qu'en énonçant néanmoins que les brevets correspondant aux inventions réalisées par les étudiants au sein du laboratoire d'imagerie paramétrique, seraient la propriété du CNRS, le directeur du laboratoire d'imagerie paramétrique a conféré au CNRS la qualité d'ayant-cause des étudiants, au sens des dispositions de l'article L. 611-6 du même code, alors qu'il ne tenait d'aucun texte, ni d'aucun principe, le pouvoir d'édicter une telle règle ; que, dès lors, le CNRS et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a déclaré que les dispositions en litige étaient entachées d'illégalité".

Il convient de souligner que le Conseil d'Etat balaye d'un revers de manche le moyen contestant la compétence de la juridiction administrative et par là même rend vaine la tentative visant à transformer le règlement du CNRS en contrat de cession de droits de propriété intellectuelle conclu par l'étudiant-stagiaire du seul fait de la signature de ce dernier.

Sur la question de fond de ce litige, la Haute juridiction revient à l'interprétation antérieure de sa "consoeur" de l'ordre judiciaire en faisant une application stricte des textes régissant la matière : l'article L. 611-7 du Code de propriété intellectuelle n'est applicable qu'aux salariés. Or le statut juridique de salarié est soumis à l'existence juridique effective d'un contrat de travail et d'une rémunération. L'étudiant-stagiaire, sous convention de stage et non rémunéré, conserve la "qualité d'usager du service public" sans pouvoir être qualifié de salarié, alors même qu'il travaille sous les ordres et pour le compte de son organisme d'accueil.

Il convient donc de s'interroger sur la notion de rémunération du stagiaire et de son impact sur le sens de la décision rendue par le Conseil d'Etat.

Quoiqu'il en soit, la décision de la Haute juridiction, bien que précédée de quelques décisions initiatrices (8) en ce sens, peut être saluée en ce qu'elle a statué en faveur du respect du droit de propriété des inventeurs-stagiaires sur leur invention, en dehors des exceptions légales limitativement énumérées par le Code de la propriété intellectuelle.

Nathalie Biltz, Avocat au Barreau de Paris, Lamy & Associés
Avec la participation d'Helena Renaillé, étudiante à l'Ecole doctorale de l'Université de Paris Ouest Nanterre La Défense


(1) Cass. crim., 13 janvier 2009, n° 08-84.088, Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, F-P+F (N° Lexbase : A7085ECE) ; lire les obs. de N. Martial-Braz, in La Chronique de droit de la propriété intellectuelle de Nathalie Martial-Braz, Maître de conférences, Université Rennes 1 - CDA-PR - Mars 2009, Lexbase Hebdo n° 343 du 26 mars 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N9840BIB).
(2) Pour l'autorisation, cf. TGI Saint-Brieuc, 6 septembre 2007, n° 05003922, Société civile des producteurs phonographiques, SCPP c/ Monsieur Jean Pascal Plumet (N° Lexbase : A5751DYN) ; voir, également, CA Paris, 13ème ch., sect. A, 15 mai 2007, n° 06/01954, Henri Sebaux c/ Société civile des producteurs phonographiques (N° Lexbase : A0737ELU) et CA Paris, 13ème ch., sect. B, 27 avril 2007, n° 06/02334, Gaz. Pal., 13-15 janvier 2008, n° 13 à 15, p. 9.
(3) TGI Paris, référé, 24 décembre 2007, Techland ; voir aussi TGI Paris, référés, 5 mars 2009, n° 09/51770, M. Roland Magdane c/ Société de droit américain Youtube (N° Lexbase : A3711EHW), selon lequel "l'adresse IP est une donnée à caractère personnel qui permet d'identifier une personne en indiquant sans aucun doute possible un ordinateur précis et qui établit la correspondance entre l'identifiant attribué lors de la connexion et l'identité de l'abonné".
(4) CNIL, article du 2 août 2007, L'adresse IP est une donnée à caractère personnel pour l'ensemble des CNIL européennes.
(5) TGI Paris, 2 avril 2002, n° 00/12782, Centre national de la recherche scientifique c/ Monsieur Michel Puech (N° Lexbase : A0212EA4).
(6) CA Paris, 4ème ch., sect. B, 10 septembre 2004, n° 2002/12276, CNRS (N° Lexbase : A5395DEK).
(7) Cass. com., 25 avril 2006, n° 04-19.482, M. Michel Puech c/ Mme Amena Saïed, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A1902DP7) ; et les obs. de G. Auzero, Un stagiaire a droit à la propriété de ses inventions !, Lexbase Hebdo n° 215 du 18 mai 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N8358AKR).
(8) Notamment CA Paris, 4ème ch., sect. B, 7 octobre 2005, n° 04/18442, SA Nice Matin c/ E. Roubtsova (N° Lexbase : A3308DL4), qui condamne le journal pour contrefaçon après que celui-ci ait publié des articles rédigés par une stagiaire non rémunérée sous le nom d'un journaliste sur un site internet dont l'accès était payant.

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