La lettre juridique n°388 du 25 mars 2010 : Contrats administratifs

[Jurisprudence] Chronique de droit interne des contrats publics - Mars 2010

Lecture: 17 min

N6156BNC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Chronique de droit interne des contrats publics - Mars 2010. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212569-jurisprudence-chronique-de-droit-interne-des-contrats-publics-mars-2010
Copier

par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis

le 21 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit interne des contrats publics, rédigée par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique. Trois arrêts du Conseil d'Etat sont ici mis en évidence. Le premier traite des conditions de création et de gestion d'une activité de service public susceptible de concurrencer l'initiative privée (CE 2° et 7° s-s-r., 3 mars 2010, n° 306911, Département de la Corrèze). Les deuxième et troisième arrêts se fondent sur les principes applicables à la commande publique pour consacrer une obligation d'information des candidats à l'attribution d'un marché public (CE 2° et 7° s-s-r., 24 février 2010, n° 333569, Communauté de communes de l'enclave des Papes) ou d'une délégation de service public (CE 2° et 7° s-s-r., 23 décembre 2009, n° 328827, Etablissement public du musée et du domaine national de Versailles).
  • Les conditions de création et de gestion d'un dispositif départemental de téléassistance destiné à favoriser le maintien à domicile des personnes âgées et handicapées (CE 2° et 7° s-s-r., 3 mars 2010, n° 306911, Département de la Corrèze, mentionné aux tables du Recueil Lebon N° Lexbase : A6434ES4)

Dans la présente affaire, le département de la Corrèze avait décidé de mettre en place un dispositif de téléassistance afin de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées et handicapées, et d'en confier la gestion par voie de délégation de service public. La société X, dont l'offre n'avait pas été retenue, avait saisi le tribunal administratif de Limoges d'un recours pour excès de pouvoir contre la délibération par laquelle la commission permanente du Conseil général avait refusé son offre et avait attribué la délégation de service public au groupement concurrent. Les juges limougeauds ont rejeté son recours (1), mais la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé leur jugement (2) au motif que l'offre présentée par le groupement précité avait été retenue sur la base de critères de choix ne correspondant que très partiellement et incomplètement à ceux que le département s'était lui-même fixés pour l'examen des candidatures, et que l'ordre dans lequel ils ont été retenus ne correspondait pas à la hiérarchisation des critères rendus publics.

Plus précisément, la cour administrative d'appel de Bordeaux reprochait au département de la Corrèze d'avoir indiqué, dans l'avis d'appel à candidatures, que "les offres présentées en vue de l'attribution du contrat litigieux seraient jugées sur : 1° la qualité technique du projet et son adéquation au cahier des charges [...] 2 ° l'aptitude à assurer la continuité du service public et le respect de l'égalité des usagers [...] 3° la qualité, la fiabilité, le respect des normes, la possibilité et la garantie d'évolution technologique du matériel [...] 4° le coût de la prestation", et d'avoir finalement retenu l'offre du groupement au regard, premièrement, de sa proximité, caractérisée par l'existence d'une agence locale équipée d'une centrale informatisée, ensuite, du matériel retenu et de ses perspectives d'évolution à court terme, et enfin, du travail en réseau avec un multipartenariat au regard de la démarche souhaitée dans le département. Saisi d'un recours en cassation, le Conseil d'Etat a logiquement censuré cet arrêt au motif que la cour administrative d'appel de Bordeaux n'avait pas pu légalement se fonder sur le fait que les critères de choix retenus par l'autorité délégante ne correspondaient pas à la hiérarchisation des critères publiés dans l'avis d'appel public à la concurrence, dès lors que celui-ci n'avait pas été soulevé par la société X avant la clôture de l'instruction, et qu'il ne constituait pas un moyen d'ordre public susceptible d'être soulevé à tout moment de la procédure.

Mais ce n'est pas sur ce dernier point précis que se situe l'apport de la solution du Conseil d'Etat. Son intérêt réside, en effet, dans le rappel de la marche à suivre par les collectivités territoriales souhaitant créer, sur leur territoire, une activité de service public susceptible de concurrencer l'initiative privée et sur les conditions dans lesquelles la gestion d'une telle activité peut être confiée à un délégataire.

Concernant, tout d'abord, la création de l'activité à l'origine du litige, le Conseil d'Etat applique sa jurisprudence "Ordre des avocats au barreau de Paris" (3) en reproduisant son considérant de principe, selon lequel "les personnes publiques sont chargées d'assurer les activités nécessaires à la réalisation des missions de service public dont elles sont investies et bénéficient à cette fin de prérogatives de puissance publique [...] en outre, si elles entendent, indépendamment de ces missions, prendre en charge une activité économique, elles ne peuvent légalement le faire que dans le respect tant de la liberté du commerce et de l'industrie que du droit de la concurrence [...] à cet égard, pour intervenir sur un marché, elles doivent, non seulement agir dans la limite de leurs compétences, mais, également, justifier d'un intérêt public, lequel peut résulter notamment de la carence de l'initiative privée [...] une fois admise dans son principe, une telle intervention ne doit pas se réaliser suivant des modalités telles qu'en raison de la situation particulière dans laquelle se trouverait cette personne publique par rapport aux autres opérateurs agissant sur le même marché, elle fausserait le libre jeu de la concurrence sur celui-ci". L'on sait que, par cet arrêt de principe, le Conseil d'Etat a clairement indiqué, contrairement à ce qu'avait pu soutenir une partie de la doctrine, que la liberté du commerce et de l'industrie n'avait pas été absorbée, voire court-circuitée par un principe dit d'égale concurrence, mais avait, au contraire, un rôle essentiel à jouer pour contrôler la légalité du principe même de la création par une personne publique d'une activité économique. Ce n'est qu'une fois admise la légalité de cette création que le principe d'égale concurrence trouve alors à s'appliquer, spécialement pour contrôler les modalités d'intervention de la personne publique dans l'économie.

Appliquant ces règles au cas d'espèce, le Conseil d'Etat estime que la création du service public local de téléassistance aux personnes âgées et handicapées était tout à fait légale. Elle entrait, tout d'abord, dans le chef de compétences du département au titre de son action en matière d'aide sociale (première condition). Cette création répondait ensuite à un intérêt public (seconde condition). A la suite de la jurisprudence "Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers" (4), le juge avait pris l'habitude d'exiger la réunion de deux conditions cumulatives pour admettre la création d'un service public par une personne publique et susceptible de heurter la liberté du commerce et de l'industrie. Il fallait, tout à la fois, qu'il y ait un intérêt public et des circonstances particulières de temps et de lieu tenant, pour l'essentiel, à l'absence ou à une carence de l'initiative privée. L'arrêt "Ordre des avocats au barreau de Paris" (5) a reformulé la jurisprudence de 1930, en faisant de l'existence d'un intérêt public la seule condition nécessaire et suffisante pour justifier l'intervention de la personne publique. Cela ne signifie pas que l'initiative privée n'est plus prise en considération. Elle est simplement reléguée au second plan comme l'un des éléments permettant d'établir l'intérêt public (ce qu'illustre clairement la formule selon laquelle l'intérêt public peut résulter "notamment" de la carence de l'initiative privée).

Afin d'établir l'existence de cet intérêt public, le Conseil d'Etat s'est fondé, dans la présente espèce, sur deux éléments. Il s'est basé, tout d'abord, sur l'objet de l'activité (mise à la disposition des usagers d'un matériel de télétransmission relié à une centrale de réception des appels fonctionnant en continu, identification du problème rencontré par l'usager, et détermination de la réponse appropriée avec possibilité d'intervention au domicile de l'usager). Il a relevé, ensuite, le fait que le financement de ce service était en partie assuré par le département, ce dernier devant, en effet, intervenir en réduction du coût réel de la prestation pour les usagers. Cette dernière considération est essentielle car elle permet d'établir la légalité de la création de ce service par le département, et cela même si des sociétés privées offrent déjà des prestations de téléassistance. Fort logiquement, la question des modalités d'intervention de la personne publique n'est pas évoquée par le Conseil d'Etat, car n'ayant plus d'objet, dès lors que le département de la Corrèze avait décidé de déléguer la gestion du service nouvellement créé.

Concernant, ensuite, le mode de gestion de cette activité, le Conseil d'Etat rappelle classiquement que le choix du groupement par le département de la Corrèze n'était pas contraire au droit de la concurrence. Il confirme, sur ce point aussi, la jurisprudence classique (6), selon laquelle les actes administratifs (unilatéraux ou contractuels) peuvent être saisis par le droit de la concurrence, soit en tant que tels lorsqu'ils concrétisent en une violation des règles de la concurrence par la personne publique, soit par leurs effets lorsqu'ils permettent, par exemple, à une entreprise de se placer en situation d'abus de position dominante. Le Conseil d'Etat rappelle enfin qu'il peut exercer un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation sur le choix opéré par la personne publique délégante (7).

  • Mise en oeuvre de la procédure adaptée : la liberté sous condition (CE 2° et 7° s-s-r., 24 février 2010, n° 333569, Communauté de communes de l'enclave des Papes, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4414ESB)

La procédure adaptée n'en finit plus de faire l'actualité ! Quelques jours seulement après l'annulation par le Conseil d'Etat de la disposition du décret n° 2008-1356 du 19 décembre 2008, relatif au relèvement de certains seuils du Code des marchés publics (N° Lexbase : L3156ICU), relevant de 4 000 à 20 000 euros le seuil des marchés dispensés de publicité et de mise en concurrence (8), la Haute assemblée apporte une nouvelle fois sa pierre à l'édifice de la procédure adaptée en précisant les conditions auxquelles il peut y être recouru, et cela dans le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.

La procédure adaptée, formellement introduite dans notre droit par le Code des marchés publics de 2004 et reprise par celui de 2006, se différencie des procédures formalisées. Elle se caractérise par la liberté laissée au pouvoir adjudicateur de déterminer lui-même les modalités de publicité et de mise en concurrence qui lui semblent susceptibles de garantir le respect des principes fondamentaux de la commande publique. Naturellement, il s'agit donc d'une procédure qui laisse le pouvoir adjudicateur face à ses responsabilités en lui laissant un espace de liberté conséquent et qui se justifie aisément si l'on pense que cette procédure est réservée à des contrats d'un faible montant (C. marchés publ., art. 26 N° Lexbase : L2255IGM), ou présentant un objet spécifique (voir par exemple l'article 30 du Code des marchés publics N° Lexbase : L2220IGC, au sujet des marchés publics portant sur des services "non prioritaires"). Son régime juridique est fixé par l'article 28 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L3183ICU), lequel dispose que les modalités de la procédure adaptée sont fixées par le pouvoir adjudicateur "en fonction de la nature et des caractéristiques du besoin à satisfaire, du nombre ou de la localisation des opérateurs économiques susceptibles d'y répondre, ainsi que des circonstances de l'achat". Le pouvoir adjudicateur peut alors négocier avec les candidats ayant présenté une offre sur tous les éléments de l'offre, y compris le prix. Rien ne lui interdit de s'inspirer des procédures formalisées du Code des marchés publics pour fixer les modalités de la procédure adaptée qu'il entend mener mais il doit savoir que, s'il décide de recourir volontairement et explicitement à l'une de ces procédures formalisées, obligation lui est alors faite d'appliquer les règles fixées par le code précité.

L'affaire en cause devant le Conseil d'Etat était révélatrice du problème récurrent posé par la procédure adaptée tenant aux limites de la liberté reconnue au pouvoir adjudicateur. Dans la présente espèce, la communauté de communes de l'enclave des papes avait lancé un appel d'offres en vue de la passation d'un marché de travaux publics portant sur l'électrification rurale, l'éclairage public et la mise en discrétion de réseaux. Elle avait précisé, dans l'avis d'appel public à la concurrence, que le marché serait passé selon une procédure adaptée, et que seules cinq entreprises seraient, à l'issue de l'examen de leur candidature, admises à présenter une offre. Saisi par une entreprise dont la candidature avait été écartée, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Nîmes a annulé la procédure de passation de ce marché, au motif qu'il appartenait à l'établissement public de coopération intercommunale d'indiquer les conditions de mise en oeuvre des critères de sélection des candidatures. Le Conseil d'Etat a annulé cette ordonnance en indiquant que l'exigence d'information appropriée des candidats n'impliquait nullement que le pouvoir adjudicateur indiquât les conditions de mise en oeuvre des critères de sélection des candidatures. Réglant l'affaire au fond, le Conseil n'a, cependant, pas donné raison à la communauté de communes et a annulé la procédure de passation du marché litigieux au motif que celle-ci n'avait pas porté à la connaissance des entreprises candidates les documents ou renseignements au vu desquels elle entendait procéder, sur la base de ces critères, à la sélection des candidatures. La procédure adaptée offre donc la liberté en matière de mise en oeuvre des critères de sélection des candidatures, mais cette liberté n'a de sens que si le pouvoir adjudicateur a préalablement fourni aux entreprises candidates une information appropriée sur les critères de sélection des candidatures. Cette solution appelle plusieurs remarques.

Il apparaît tout d'abord, et une nouvelle fois, qu'elle est fondée sur les principes généraux de la commande publique, c'est-à-dire sur les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces principes, dont on sait qu'ils sont des principes généraux du droit pour le Conseil d'Etat (9) et des principes à valeur constitutionnelle pour le Conseil Constitutionnel (10), ne sont évidemment pas sans lien avec les règles fondamentales dégagées par la Cour de justice de l'Union européenne à partir des Traités communautaires.

L'arrêt "Communauté de communes de l'enclave des papes" confirme ensuite les règles précédemment consacrées par le Conseil d'Etat dans son arrêt "ANPE" du 30 janvier 2009 (11). Concernant l'attribution d'un marché public en procédure adaptée, la Section du contentieux avait consacré une triple obligation.

Le pouvoir adjudicateur doit respecter, en premier lieu, une obligation d'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution du marché dès l'engagement de la procédure, dans l'avis d'appel public à la concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur décide de retenir d'autres critères d'attribution que celui du prix, obligation lui est faite, en second lieu, d'informer les candidats sur les conditions de mise en oeuvre des critères choisis. L'obligation d'information est alors double puisqu'elle porte, à la fois, sur les critères choisis et sur les modalités de leur mise en oeuvre.

Dans les deux cas (simple ou double obligation d'information), le pouvoir adjudicateur doit, en troisième lieu, déterminer les critères d'attribution du marché et leurs conditions de mise en oeuvre (lorsque d'autres critères que celui du prix ont été choisis) en fixant des modalités appropriées à l'objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné (12).

S'il reproduit les règles posées par son arrêt "ANPE", le Conseil d'Etat ajoute un complément d'importance dans son arrêt du 24 février 2010. Comme nous l'avons souligné, le pouvoir adjudicateur avait souhaité sélectionner les candidatures et ne retenir que cinq d'entre elles au stade de la présentation des offres. N'était donc pas en cause une question de choix des offres, comme dans l'affaire "ANPE", mais une question de sélection des candidatures. Il restait à savoir si la solution dégagée en 2009 concernant le stade ultime de la passation du marché pourrait, également, s'appliquer et dans les mêmes conditions à l'étape antérieure. Le Conseil d'Etat s'en inspire largement sans pour autant la reproduire à l'identique.

Au nom des principes généraux de la commande publique, il exige tout d'abord, comme il l'avait fait en 2009, que le pouvoir adjudicateur procède à une information appropriée des candidats sur les critères de sélection des candidatures dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, soit dans l'avis d'appel public à la concurrence, soit dans le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Cela implique, plus précisément, que le pouvoir adjudicateur indique les documents ou renseignements au vu desquels il entend opérer la sélection des candidatures. En l'espèce, cette information a été jugée insuffisante et a justifié l'annulation de la procédure de passation par le Conseil d'Etat. En indiquant dans l'avis d'appel public à la concurrence que les candidatures seraient sélectionnées sur la base d'un critère tiré de la "conformité administrative des documents exigés à l'appui des candidatures, garanties et capacités techniques, financières et professionnelles", la communauté de communes n'a "aucunement porté à la connaissance des entreprises candidates les documents ou renseignements au vu desquels elle entendait procéder, sur la base de ces critères, à la sélection des candidatures". Une telle solution est assurément logique car le critère retenu n'était pas suffisamment précis et n'avait, à vrai dire, guère de sens.

L'arrêt "Communauté de communes de l'enclave des papes" se distingue, néanmoins, de l'arrêt "ANPE" sur un second point. Contrairement à ce dernier qui exigeait que les conditions de mise en oeuvre des critères de sélection des offres soient précisées, le Conseil d'Etat juge, en l'espèce, que cela n'est pas nécessaire en ce qui concerne les critères de sélection des candidatures. Le pouvoir adjudicateur est donc tenu d'informer les candidats des critères qu'il entend mettre en oeuvre pour sélectionner ceux d'entre eux qui seront admis à présenter une offre, mais n'est pas dans l'obligation de préciser leurs conditions d'application en établissant une hiérarchisation ou une pondération des critères retenus.

  • Moins de liberté dans la passation des délégations de service public : l'obligation d'information des candidats des critères de sélection des offres (CE 2° et 7° s-s-r., 23 décembre 2009, n° 328827, Etablissement public du musée et du domaine national de Versailles, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8416EPE)

Les principes généraux du droit de la commande publique s'appliquent aux délégations de service public et modifient leur régime juridique sur des points essentiels. L'arrêt "Etablissement public du musée et du domaine national de Versailles", lu le 23 décembre 2009, vient, en effet, encadrer la passation des délégations de service public, alors que celles-ci étaient traditionnellement considérées comme offrant une très grande liberté aux personnes publiques et à leurs cocontractants. Plus précisément, il impose, désormais, aux pouvoirs adjudicateurs d'informer les candidats des critères de sélection des offres.

Dans la présente affaire, l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles avait lancé une procédure de passation d'une délégation de service public ayant pour objet la mise en place et la gestion d'un dispositif numérique d'aide à la visite du musée national du château et du domaine national de Versailles. Saisi par un concurrent évincé, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Versailles (13) a annulé la procédure de passation à compter de la phase d'envoi aux candidats admis à présenter une offre du document définissant les caractéristiques des prestations, ainsi que les décisions se rapportant à la procédure et prises à compter de cette phase. Le Conseil d'Etat confirme cette ordonnance au terme du raisonnement suivant. Est, tout d'abord, posé le principe de l'application aux délégations de service public des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures (principes qui ont la valeur de principes généraux du droit selon le Conseil d'Etat). Afin d'assurer le respect de ces principes, la personne publique doit apporter aux candidats à l'attribution d'une délégation de service public, avant le dépôt de leurs offres, une information sur les critères de sélection des offres. A cet égard, l'article 38 de la loi du 29 janvier 1993, dite loi "Sapin" (14), qui impose seulement aux collectivités publiques d'adresser à chacun des candidats un document définissant les caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations ainsi que, s'il y a lieu, les conditions de tarification du service rendu à l'usager, est sans incidence sur l'obligation d'information des candidats des critères de sélection de leurs offres. Cependant, ce même article 38 pose le principe de la libre négociation des offres, et le Conseil d'Etat en déduit que la personne publique n'est nullement tenue, au terme de cette négociation, d'informer les candidats des modalités de mise en oeuvre des critères de jugement des offres. La personne publique peut donc librement choisir le délégataire au regard d'une appréciation globale des critères sans être contrainte par des modalités de mise en oeuvre préalablement déterminées.

Cette solution très complète appelle les observations suivantes.

Au nom des principes généraux de la commande publique, le juge administratif consacre une obligation d'information des candidats sur les critères de sélection des offres qui est désormais commune aux marchés publics (15) et aux délégations de service public. L'unité de ces deux catégories de contrats administratifs spéciaux est ainsi réalisée sur ce point précis, ce qui indique que les principes généraux de la commande publique pourraient servir de fondement, à l'avenir, à l'élaboration d'une véritable théorie des contrats administratifs spéciaux.

Cette obligation d'information implique, ensuite, un certain nombre de contraintes. Les critères de jugement des offres devront, en effet, être préalablement définis par la personne publique délégante et portés à la connaissance des candidats avant le dépôt de leurs offres, ce qui supposera, en pratique, de les faire figurer dans l'avis de publicité et/ou dans le dossier de consultation. Lesdits critères devront être déterminés en fonction de l'objet du contrat et l'information les concernant devra, bien évidemment, être exhaustive.

L'obligation d'information ne concerne que les critères de sélection des offres, mais en aucun cas leurs modalités de mise en oeuvre. Sur ce point encore, les règles applicables aux délégations de service public rejoignent celles applicables aux marchés publics (16).

François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique


(1) TA Limoges, 8 avril 2004, n° 0100712, Société Infocom Service c/ Département de la Corrèze (N° Lexbase : A9735ESD).
(2) CAA Bordeaux, 2ème ch., 24 avril 2007, n° 04BX00911, SARL Infocom Service (N° Lexbase : A2288DWN).
(3) CE, Ass., 31 mai 2006, n° 275531, Ordre des avocats au Barreau de Paris (N° Lexbase : A7224DPA), Rec. CE, p. 272, BJCP, 2006, n° 47, p. 295, concl. D. Casas, AJDA, 2006, p. 1592, chron. C. Landais et F. Lénica, JCP éd. A, 2006, 1133, note F. Linditch, CP-ACCP, 2006, n° 59, p. 78, note L. Renouard, Dr. adm., 2006, comm. 129, note M. Bazex, Contrats Marchés publ., 2006, comm. 202, note G. Eckert, RLC, 2006, n° 641, note G. Clamour, Contrats, conc., consomm. 2006, comm. 188, comm. F. Rolin.
(4) CE Contentieux, 30 mai 1930, n° 06781, Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers et Guin (N° Lexbase : A0744B9G).
(5) Selon le terme employé par S. Nicinski, Droit public des affaires, Montchrestien, 2009, n° 917, p. 396.
(6) CE, S, 3 novembre 1997, n° 165260, Société Intermarbres et Société Million et Marais (N° Lexbase : A5127ASP), Rec. CE, p. 393 et p. 406, concl. J.-H. Stahl, AJDA, 1997, p. 945, chron. T.-X. Girardot et F. Raynaud, AJDA, 1998, p. 247, note O. Guézou, CJEG, 1997, p. 441, concl., RFDA, 1997, p. 1228, concl., JCP éd. I, 1998, 165, chron. J. Petit, RDP, 1998, p. 256, note Y. Gaudemet.
(7) CE 2° et 7° s-s-r., 7 novembre 2008, n° 291794, Département de la Vendée (N° Lexbase : A1733EBS).
(8) CE 2° et 7° s-s-r., 10 février 2010, n° 329100, M. Franck Perez, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7061ERX).
(9) CE Avis, 29 juillet 2002, Société Blanchisserie de Pantin, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3022AZX).
(10) Cons. const., décision n° 2003-473 du 26 juin 2003, loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit (N° Lexbase : A9631C89).
(11) CE, S, 30 janvier 2009, n° 290236, Agence nationale pour l'emploi (N° Lexbase : A7437ECG), BJCP, 2009, n° 64, p. 201, concl. B. Dacosta, p. 211, obs. C.M., Contrats Marchés publ., 2009, comm. 121, note W. Zimmer, RDI, 2009, p. 242, note S. Braconnier, RJEP, 2009, comm. 32, note D. Moreau, RLCT, 2009, n° 46, n° 1342, note E. Glaser.
(12) CE 2° et 7° s-s-r., 7 octobre 2005, n° 278732, Région Nord-Pas-de-Calais (N° Lexbase : A6994DKA), Rec. CE, p. 423, Contrats marchés publ., 2005, chron. 17, étude F. Lichère.
(13) TA Versailles, 28 mai 2009, n° 0904447, Société Antenna Audio (N° Lexbase : A6930ESH).
(14) Loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, art. 38 (N° Lexbase : L7129AHI).
(15) CE, S, 30 janvier 2009, n° 290236, Agence nationale pour l'emploi, précité.
(16) Lire nos obs. sous CE 2° et 7° s-s-r., 24 février 2010, n° 333569, Communauté de communes de l'enclave des Papes, supra.

newsid:386156

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.