La lettre juridique n°335 du 29 janvier 2009 : Urbanisme

[Jurisprudence] Le principe du droit à reconstruction face à l'exception de sécurité

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 17 décembre 2008, n° 305409, M. Falcoz (N° Lexbase : A8857EBN)

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par Frédéric Dieu, commissaire du Gouvernement près la cour administrative d'appel de Marseille

le 07 Octobre 2010

Par une décision en date du 17 décembre 2008, le Conseil d'Etat s'est prononcé, pour la limiter, sur l'étendue du droit de reconstruction à l'identique garanti par les dispositions de l'article L. 111-3 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L1960DKS). Cette décision s'inscrit dans un courant jurisprudentiel qui conduit, depuis que ce droit a été instauré, à l'encadrer strictement. C'est ainsi qu'après avoir rappelé que cet article n'a ni pour objet, ni pour effet, de faire obstacle à l'application des dispositions d'urbanisme qui ont pour but d'éviter aux occupants du bâtiment, objet d'une demande de reconstruction, d'être exposés à un risque certain et prévisible de nature à mettre gravement en danger leur sécurité, le Conseil d'Etat a considéré que les prescriptions des plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP), qui doivent être annexés aux plans locaux d'urbanisme (PLU), étaient au nombre des dispositions d'urbanisme susceptibles de faire obstacle à la reconstruction à l'identique d'un bâtiment détruit par un sinistre. Le droit de reconstruction à l'identique d'un bâtiment sinistré est ainsi, plus que jamais, limité par la possibilité, pour les autorités locales, d'invoquer l'exception de sécurité de ses occupants pour y faire obstacle.

I - Bien que les propriétaires bénéficient, en principe, du droit de reconstruire à l'identique leurs immeubles involontairement détruits...

A - En affirmant en principe le droit à reconstruction, la "loi SRU" a fait de l'exception la règle

1 - La situation antérieure à l'adoption de la "loi SRU"

Antérieurement à la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains (N° Lexbase : L9087ARY), dite "loi SRU", la question de la reconstruction d'un bâtiment ayant subi un sinistre ne faisait l'objet d'aucune disposition expresse dans le Code de l'urbanisme : seules les dispositions relatives à certaines contributions d'urbanisme visaient à exonérer le propriétaire ayant procédé à la reconstruction d'un certain nombre de taxes et contributions d'urbanisme (1). Ainsi, puisque l'existence antérieure d'une construction ne créait aucun droit au profit de son propriétaire, le permis de construire sollicité par ce dernier en vue de la reconstruction d'un bâtiment sinistré était instruit comme une demande ordinaire, ce qui signifie que toutes les dispositions législatives et réglementaires en vigueur à la date d'instruction de la demande de reconstruction lui étaient opposables. Or, entre la date d'édification de la construction en cause et la date de la demande de reconstruction de celle-ci, les dispositions d'urbanisme avaient pu évoluer défavorablement pour le propriétaire.

2 - Origine et objet du droit de reconstruction à l'identique

Le droit de reconstruction à l'identique, issu de l'article 207 de la "loi SRU" et d'un amendement déposé par le sénateur Hérisson (amendement n° 804 adopté par le Sénat lors de la séance du 18 mai 2000), a d'abord eu pour but de remédier aux conséquences de la tempête qui avait dévasté une grande partie de la France à la fin du mois de décembre 1999 : il s'agissait d'éviter que les propriétaires de maison détruites par un évènement climatologique exceptionnel se voient opposer des dispositions nouvelles plus restrictives.

Aux termes du nouvel article L. 111-3 du Code de l'urbanisme, "la reconstruction à l'identique d'un bâtiment détruit par un sinistre est autorisée nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire, sauf si la carte communale ou le plan local d'urbanisme en dispose autrement, dès lors qu'il a été régulièrement édifié". L'article L. 111-3 met donc en place un système de hiérarchie des normes à la fois complexe et paradoxal puisqu'il affirme -et il s'agit d'un principe énoncé dans un texte de loi- que la reconstruction à l'identique d'un bâtiment détruit par sinistre est un droit, que ce droit s'applique "nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire" (ce qui signifie que les autres dispositions législatives et, à plus forte raison, réglementaires, ne peuvent y faire obstacle) aux constructions "qui ont été régulièrement édifiées" (c'est-à-dire édifiées en vertu d'un permis de construire définitif ou avant l'instauration des autorisations de bâtir), tout en réservant aux autorités locales la possibilité d'interdire le droit de reconstruire. En effet, ce droit s'applique "sauf si la carte communale ou le plan local d'urbanisme en dispose autrement".

Si donc le législateur n'a pas voulu que des dispositions d'urbanisme -aussi bien de valeur législative que réglementaire- fassent échec, en règle générale, au droit de reconstruire, et s'il a, ainsi, institué une disposition spéciale qui déroge à toutes les autres, il n'a pas voulu, non plus, que le principe spécial se développe alors que des situations locales peuvent nécessiter des restrictions, voire une interdiction pure et simple.

B - Les conditions et le champ d'application du droit de reconstruction à l'identique

1 - Les conditions d'application du droit de reconstruction à l'identique

Comme on l'a vu, le droit de reconstruction à l'identique ne peut s'appliquer qu'à des constructions (initialement) régulièrement édifiées. Il importe donc de distinguer la construction irrégulièrement édifiée de la construction non conforme, c'est-à-dire de la construction édifiée conformément aux prescriptions d'un permis de construire, mais devenue non conforme aux nouvelles règles d'urbanisme. L'appréciation de la régularité d'une construction nécessite de remonter à l'origine de son édification, tandis que l'appréciation de sa conformité s'effectue, le cas échéant, au regard de l'évolution des normes d'urbanisme, de sécurité ou d'environnement, qu'elles soient locales ou nationales. Une construction est donc irrégulière lorsqu'elle a été édifiée sans permis de construire et qu'elle n'a pas été régularisée, ou lorsqu'elle a été édifiée en vertu d'un permis de construire qui a été annulé par le juge administratif ou retiré par l'administration. Le droit de reconstruction vise en outre une reconstruction "à l'identique", ce qui signifie, selon une réponse ministérielle, que le bâtiment devra être reconstruit "tel qu'il avait été initialement autorisé, malgré les évolutions plus restrictives des règles d'urbanisme postérieures à son autorisation" (QE n° 7447 de M. Bouvard Michel, JOANQ du 2 décembre 2002, p. 4549, réponse publ. 17 mars 2003, p. 2040, 12ème législature N° Lexbase : L6395ICT), la même réponse ajoutant que si le projet est différent de la construction d'origine, il "sera apprécié compte tenu des règles d'urbanisme en vigueur lors de la reconstruction".

Au total, dès lors que ses conditions d'application sont réunies, le droit de reconstruction à l'identique bénéficie au propriétaire, nonobstant l'évolution des règles d'urbanisme après la date de construction, et donc malgré le caractère non conforme de cette construction à ces règles en vigueur à la date de la demande de reconstruction. La jurisprudence "Sekler" (CE, 27 mai 1988, n° 79530, Mme Sekler N° Lexbase : A7698APS, au Recueil, p. 223), selon laquelle le permis ayant autorisé des travaux sur une construction non conforme au plan d'occupation des sols est légal si ces travaux rendent l'immeuble plus conforme aux dispositions méconnues, ou sont étrangers à ces dispositions, est donc ainsi écartée. En conséquence, le maire ne pourra pas refuser le permis autorisant la reconstruction au motif que les travaux projetés ne rendent pas l'immeuble plus conforme aux nouvelles dispositions d'urbanisme, ou qu'ils ne sont pas étrangers à ces nouvelles dispositions.

2 - Le champ d'application matériel du droit de reconstruction à l'identique

Le champ d'application matériel du droit de reconstruction à l'identique dépend de l'appréciation portée par le juge sur l'existence, ou non, d'un "sinistre" ayant occasionné la destruction du bâtiment en cause. Le terme de "sinistre" implique, en fait, une destruction involontaire d'un immeuble qui n'était pas en ruine (2). Ainsi, entrent dans la catégorie des sinistres les dégâts causés par des tempêtes (3), des avalanches (4), un attentat (5) ou encore par un incendie (6). En revanche, le fait de procéder volontairement à la démolition d'un édifice existant exclut la qualification de sinistre, et donc le bénéfice du droit de reconstruction à l'identique (7), et il en est de même lorsque la destruction est imputable au préposé du pétitionnaire (8).

Le champ d'application temporel du droit de reconstruction à l'identique est, par ailleurs, étendu, puisque les dispositions de l'article L. 111-3 du Code de l'urbanisme s'appliquent même si le sinistre est intervenu antérieurement à l'entrée en vigueur de la "loi SRU" (CE, 5 mars 2003, n° 252422, M. Lepoutre et autres N° Lexbase : A5057A7G). Ainsi que l'indique le commissaire du Gouvernement dans ses conclusions sous cette décision, "la loi permet simplement, sans disposer pour le passé, de tirer les conséquences pour l'avenir de situations passées".

S'agissant, enfin, du champ d'application personnel du droit de reconstruction à l'identique, il faut souligner que le permis de construire étant attaché à un terrain, et non à une personne, le bénéfice de l'article L. 111-3 peut être revendiqué par le nouveau propriétaire du terrain en cause (QE n° 66640 de Mme Zimmermann Marie-Jo, JOANQ du 7 juin 2005, p. 5729, réponse publ. 20 septembre 2005, p. 8816, 12ème législature N° Lexbase : L6394ICS).

II - ...ce droit s'efface dès lors qu'une disposition d'urbanisme locale fait apparaître que son application pourrait porter atteinte à la sécurité des occupants

A - Outre les dispositions des documents d'urbanisme locaux, les décisions individuelles du maire peuvent faire obstacle à la mise en oeuvre du droit de reconstruction à l'identique

1 - Les dispositions des plans d'occupation des sols ou des plans locaux d'urbanisme peuvent faire obstacle au droit de reconstruction à l'identique

Le droit de reconstruction à l'identique n'est pas absolu, dès lors que le plan local d'urbanisme (9) et la carte d'urbanisme peuvent interdire la reconstruction dans une zone considérée (les documents locaux d'urbanisme ne pouvant, en revanche, désigner les bâtiments pour lesquels la reconstruction est prohibée). Le POS ou le PLU peut, non seulement, interdire totalement la reconstruction après sinistre, mais aussi se contenter de la restreindre en déterminant les secteurs et les cas où la reconstruction est admise et les conditions auxquelles elle est alors soumise : condition tenant au délai de reconstruction (l'article L. 111-3 n'en fixant pas) et au volume des bâtiments, à leur aspect (ce qui revient à accepter la reconstruction, mais pas à l'identique).

Ainsi, selon la jurisprudence, un POS ou un PLU peut, non seulement, exclure le droit de reconstruire mais aussi l'encadrer, notamment en le limitant dans le temps (10). Par ailleurs, le plan d'occupation des sols peut valablement encadrer le droit de reconstruire à l'identique en subordonnant son application à l'absence de changement de destination des bâtiments dont la reconstruction est projetée (CAA Lyon, 2 février 2006, 02LY02286, Préfet de la Savoie N° Lexbase : A6571ECD). Le juge administratif a, également, eu l'occasion de préciser que l'obligation de reconstruire à l'identique s'appliquait aux constructions implantées sur des terrains situés en zone agricole, "alors même que les besoins de l'exploitation impliqueraient la modification des bâtiments" (11). Cet arrêt confirme, ainsi, l'interprétation stricte qui est faite par le juge administratif des conditions présidant à l'application du droit de reconstruction à l'identique : le texte de l'article L. 111-3 ne fait l'objet d'aucune interprétation "progressiste" ou dynamique, ce qui signifie qu'un permis de reconstruire ne peut être délivré pour un bâtiment, certes différent de celui détruit qui existait auparavant sur les lieux, mais mieux adapté aux nécessités de l'entreprise qu'il abrite. Il est vrai qu'en adoptant une telle interprétation, le juge administratif serait, nécessairement, conduit à s'immiscer dans l'appréciation et l'action de l'administration locale.

2 - Lorsqu'elles sont motivées par les risques pesant sur la sécurité des occupants, les décisions individuelles du maire peuvent, également, y faire obstacle

Par un avis de section du 23 février 2005 (CE 1° et 6° s-s-r., 23 février 2005, n° 271270, Mme Hutin N° Lexbase : A8486DGE), le Conseil a précisé et limité par voie jurisprudentielle la portée du dispositif de reconstruction à l'identique. Il résulte de cet avis que les servitudes et règles d'urbanisme de sécurité font obstacle au droit de reconstruire, à la condition qu'elles soient justifiées par la prévention d'un "risque certain et prévisible" (ce qui ne signifie pas "prévu"), et que ce risque "soit de nature à mettre gravement en danger" (et non pas "simplement" en danger) les occupants de l'immeuble dont la reconstruction est projetée. Autrement dit, le critère déterminant est la sécurité des occupants du bâtiment et non celle de ce bâtiment lui-même : ainsi, la seule circonstance qu'un bâtiment coure, par exemple, un risque d'inondation ou d'incendie ne suffit pas à justifier le bénéfice du droit de reconstruction, puisqu'il faut encore s'interroger sur l'ampleur de ce sinistre et sur les conséquences qu'il peut emporter sur la sécurité des occupants.

En outre, le refus du bénéfice de l'article L. 111-3 n'est pas, nécessairement, dépendant de l'approbation préalable d'un document sécuritaire couvrant la zone de situation de l'immeuble sinistré (de type, par exemple, plan de prévention des risques naturels ou technologiques). C'est, d'ailleurs, dans l'hypothèse d'un défaut d'application par le maire de l'article R. 111-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7368HZW) dans l'instruction du permis que le conseil a été interrogé. Or, ce texte du règlement national d'urbanisme ne suppose aucune "pré-délimitation" d'une zone de risque dans un quelconque document, d'urbanisme ou non, puisqu'il peut être appliqué même en l'absence de plan local d'urbanisme ou de carte communale. Par ailleurs, la reconstruction est radicalement impossible si le sinistre la motivant résulte précisément du risque qu'il faut désormais prévenir (ce qui peut être le cas des immeubles situés dans les zones d'avalanches ou dans certaines zones inondables). Toutefois, et bien entendu, si la reconstruction peut être refusée "notamment" lorsque le risque à prévenir est celui qui est la cause du sinistre ayant motivé la demande, elle peut, également, l'être lorsque l'immeuble a été détruit pour une autre cause que celle qui engendre, désormais, le danger grave à prévenir.

B - Le Conseil d'Etat opte pour une interprétation souple, extensive et finaliste de la faculté d'opposition au droit de reconstruction à l'identique

1 - Une interprétation souple et extensive des dispositions d'urbanisme pouvant faire obstacle au droit de reconstruction à l'identique

Dans la décision "Falcoz" du 17 décembre 2008, le Conseil d'Etat a fait prévaloir une interprétation souple et extensive de la faculté d'opposition au droit de reconstruction à l'identique, sur une interprétation stricte de l'article L. 111-3. Le Conseil a, en effet, estimé que les dispositions d'un PPRNP peuvent faire obstacle à ce droit, alors même qu'elles se prononcent uniquement sur le caractère inconstructible de la zone dans laquelle est implanté le bâtiment sinistré. Autrement dit, dès lors que la sécurité publique est en jeu, une assimilation est faite entre construction nouvelle et "construction reconstruite", l'interdiction d'ériger une construction nouvelle valant interdiction de reconstruire une construction sinistrée.

Une interprétation stricte et littérale de l'article L. 111-3, en particulier des termes selon lesquels aucune disposition d'urbanisme contraire ne peut être opposée au droit à reconstruction "sauf si la carte communale ou le plan local d'urbanisme en dispose autrement", aurait conduit à exiger que le PLU eût explicitement écarté le droit à reconstruction (en faisant, en quelque sorte, "écran" à l'application de l'article L. 111-3). C'est, selon nous, cette interprétation qu'a retenue le Conseil dans la décision "Commune de Bagnères-de-Bigorre" (CE 1° et 6° s-s-r., 23 novembre 2005, n° 279721, Commune de Bagnères-de-Bigorre N° Lexbase : A7372DLM), puisque le Conseil considère qu'il résulte des dispositions de l'article L. 111-3 du Code de l'urbanisme que "seuls la carte communale ou le plan local d'urbanisme d'une commune peuvent faire obstacle, par des dispositions expresses, à la reconstruction à l'identique des bâtiments après sinistre" et, qu'en revanche, "alors même qu'une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager constitue une servitude d'utilité publique devant être annexée au plan local d'urbanisme en application de l'article L. 642-2 du Code du patrimoine (N° Lexbase : L3982HCH), un tel document [...] ne peut légalement contenir des dispositions interdisant de telles reconstructions".

Toutefois, dans la décision du 17 décembre 2008, le Conseil d'Etat a été sensible à l'objet de ces plans et à leur dimension de sécurité publique, laquelle, dans la ligne de l'avis "Hutin", justifiait donc qu'un sort particulier leur fût accordé à raison de leur objet même. Le Conseil d'Etat a, ainsi, adopté une interprétation souple et extensive de la faculté d'opposition au droit de reconstruction en considérant que cette opposition pouvait résulter, non seulement, d'une disposition du PLU mais encore d'une disposition du PPRNP annexé à ce PLU.

Dans la décision du 17 décembre 2008, le Conseil d'Etat a estimé que la réserve du PLU ou de la carte communale fixée à l'article L. 111-3 exigeait, simplement, que l'une des dispositions du PLU fît obstacle à la reconstruction à l'identique, cette disposition figurât-elle dans une annexe à ce PLU. Le critère "formel" de cet article (l'opposition explicite au droit à reconstruction dans le document d'urbanisme) est donc apprécié de façon souple, notamment lorsque, comme en l'espèce, l'interdiction de construire est motivée par l'atteinte à la sécurité publique. Dès lors que le PPRNP déclare une zone inconstructible, il fait obstacle au droit à reconstruction de l'article L. 111-3, même s'il n'a pas pris le soin de préciser que le droit à reconstruction était, également, interdit.

2 - Une interprétation finaliste, justifiée par le but de sécurité publique assigné à ces dispositions

Dans ses conclusions sous l'avis "Hutin", Yann Aguila, commissaire du Gouvernement, estimait que "la véritable justification de cette réserve (figurant à l'article R 111-2) tient à la nature même du motif tiré de la sécurité publique. Un tel motif a, au sens propre du terme, un caractère d'ordre public : c'est un impératif auquel on ne peut déroger. L'autorité administrative ne peut pas prendre une décision qui mettrait en danger la sécurité des personnes. Dans cet esprit, le législateur doit être présumé avoir entendu concilier le droit à reconstruire, inspiré par des motifs d'équité, avec les impératifs de la sécurité publique, qui sont de valeur constitutionnelle et dont l'article R. 111-2 se borne à tirer des conséquences dans la partie réglementaire du Code de l'urbanisme".

Or, si la jurisprudence "Hutin" permet de déroger au droit garanti par l'article L. 111-3 en dehors de toute disposition du PLU, dès lors qu'il y a un risque certain et prévisible pour la sécurité des occupants, une telle dérogation doit nécessairement, et à plus forte raison, pouvoir résulter des dispositions spécifiques intégrées au PLU en vue de prévenir de tels risques, telles que les dispositions du PPRNP. La doctrine a, d'ailleurs, tôt fait de considérer que "les servitudes d'utilité publique liées à la sécurité doivent pouvoir s'opposer au droit de reconstruire l'immeuble sinistré" (D. Dutrieux, Reconstruction après sinistre et bâtiment régulièrement édifié, JCP éd. N, 2003, n° 1635). En outre, dans une réponse ministérielle du 28 janvier 2002 (QE n° 65052 de M. Goulard François, JOANQ du 6 août 2001, p. 4468, réponse publ. 28 janvier 2002, p. 472, 11ème législature N° Lexbase : L6393ICR), le ministre de l'Equipement, après avoir indiqué que "le fait qu'un document d'urbanisme rende une zone inconstructible ne suffit pas, en soi, à faire obstacle au droit à reconstruire à l'identique un bâtiment détruit par un sinistre", ajoutait que cela valait "sauf si l'interdiction générale de construire est motivée par une atteinte grave à la sécurité publique". Il est donc toujours loisible à l'autorité locale de refuser une demande de reconstruction sur le fondement de "dispositions générales" justifiées par un motif de sécurité, ce qui signifie que l'administration peut restreindre ce droit, soit en prévoyant une disposition expresse à cet effet (figurant dans le PLU), soit, via, notamment, un PPRNP, en procédant à un classement en zone inconstructible pour des motifs de sécurité. Comme l'indique Isabelle de Silva dans ses conclusions sous la décision "Falcoz" du 17 décembre 2008, "dès lors que la sécurité publique est en jeu, l'interdiction d'ériger une construction nouvelle vaut interdiction de reconstruire une construction sinistrée".

La solution retenue par le Conseil d'Etat est tout à fait cohérente avec l'avis "Hutin" et relève même du bon sens : comment, en effet, pourrait-on imposer, et même permettre, à l'administration d'autoriser le propriétaire d'un bâtiment sinistré à le reconstruire, alors que cette reconstruction ferait courir à ce dernier des dangers pour sa sécurité ? Non seulement l'administration peut, pour des motifs tenant à la sécurité des occupants du bâtiment, refuser la demande de reconstruction mais il nous semble qu'elle doit le faire, sous peine d'engager sa responsabilité, tant administrative que pénale, puisque la responsabilité pénale de l'autorité administrative risquerait d'être engagée en cas d'atteinte à la sécurité des biens et des personnes, seul un ordre express de la loi pouvant, alors, exonérer l'administration de cette responsabilité (C. pén., art. 122-4 N° Lexbase : L7158ALP). En effet, en autorisant une reconstruction dangereuse pour la sécurité des occupants, l'administration peut engager sa responsabilité vis-à-vis de ceux-ci dans le cas où, à l'occasion de cette reconstruction, ils subiraient un quelconque préjudice.

Toutefois, en permettant à des dispositions issues de servitudes d'utilité publique de déroger au principe du droit à reconstruction, l'arrêt du 17 décembre 2008 n'ouvre-t-elle pas une brèche encore plus importante dans l'extension de ce droit ? Autrement dit, cette décision ne conduit-elle pas à rendre opposables à ce droit toutes les servitudes d'utilité publique ?

On le voit, la portée de la décision "Falcoz", et l'ampleur donnée à l'encadrement et à la limitation du droit de reconstruction à l'identique, dépendront largement de la portée qui sera donnée à la condition de risque certain et prévisible mettant gravement en danger la sécurité des occupants du bâtiment. L'on peut, cependant, prévoir que l'exception de sécurité constituera fréquemment un frein à la reconstruction, dès lors que la destruction du bâtiment en cause aura elle-même manifesté l'existence d'un danger pour ses occupants.


(1) Taxe locale d'équipement, participation pour dépassement du coefficient d'occupation des sols, taxe additionnelle pour le financement des conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement ; Cf. loi n° 73-1128 du 21 décembre 1973, de finances rectificative pour 1973 N° Lexbase : L6412ICH).
(2) B. Pavy, La reconstruction à l'identique d'un bâtiment détruit par sinistre après la loi SRU, Répertoire Defrénois, 2001, p. 1230.
(3) CA Colmar, 12 avril 2001, Commune de Wolfisheim c/ Koegler et Rohfritch, RDI, 2001, p. 397, note Soler-Couteaux.
(4) CE 1° et 6° s-s-r., 23 novembre 2005, n° 279721, Commune de Bagnères-de-Bigorre (N° Lexbase : A7372DLM), aux Tables, Construction-Urbanisme, 2006, n° 94, note Godfrin, BJDU, 2006, p. 92, conclusions Devys ; CE 1° et 6° s-s-r., 17 décembre 2008, n° 305409, M. Falcoz, à paraître au Recueil.
(5) CE, 5 mars 2003, n° 252422, M. Lepoutre et autres (N° Lexbase : A5057A7G), Construction-Urbanisme, 2003, n° 188, note Cornille, BJDU, 2003, p. 13, conclusions Stahl, RDI, 2003, p. 371, note Robineau-Israël, JCP éd. A, 2003, n° 1709, note Billet.
(6) CE 3° et 8° s-s-r., 20 février 2002, n° 235725, Plan (N° Lexbase : A1521AYY), BJDU, 2002, conclusions Mignon ; CE 5° et 7° s-s-r., 30 décembre 2002, n° 214850, M. Boissard (N° Lexbase : A6513A4Y), BJDU, 2003, p. 82, conclusions Chauvaux.
(7) CAA Marseille, 21 mars 2002, n° 98MA01738, Commune de Nîmes c/ M. Salivet (N° Lexbase : A4672AZ3), BJDU, 2002, p. 318.
(8) TA Strasbourg, 1er juin 2004, n° 0202228, M. Wagner c/ Commune de Herrlisheim-près-Colmar.
(9) Et les POS approuvés avant l'entrée en vigueur de la "loi SRU" qui comporteraient une interdiction explicite de reconstruire les bâtiments sinistrés dans certaines zones (QE n° 65052 de M. Goulard François, JOANQ du 6 août 2001, p. 4468, réponse publ. 28 janvier 2002, p. 472, 11ème législature N° Lexbase : L6393ICR).
(10) CAA Bordeaux, 21 novembre 2005, n° 02BX01600, Mme Silvana Assier de Pompignan c/ Commune de Saint-Romain-de-Benet (N° Lexbase : A5192DMA), Construction-Urbanisme, 2006, n° 94, note Godfrin, BJDU, 2006, p. 11, conclusions Pouzoulet : limitation du droit de reconstruction aux bâtiments détruits depuis moins de deux ans.
(11) CAA Versailles, 2ème ch., 6 avril 2006, n° 05VE00396, Jannez (N° Lexbase : A1298DPR), Construction-Urbanisme, 2006, n° 199, note Cornille.

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