La lettre juridique n°298 du 27 mars 2008 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Les conditions de renouvellement du CDD : entre classicisme et évolution potentielle

Réf. : Cass. soc., 12 mars 2008, n° 07-40.093, Mme Christel Katz, FS-P+B (N° Lexbase : A4095D7S)

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Les conditions et le régime juridique des contrats de travail à durée déterminée ont été fortement encadrés dans le Code du travail, notamment afin d'éviter qu'il puisse y être fait recours dans le dessein de pourvoir à des emplois durables de l'entreprise. Pourtant, certaines activités nécessitent que ces règles soient aménagées, si bien que le législateur a, parfois, introduit des régimes dérogatoires au "droit commun" des CDD. C'est sur l'un de ces statuts particuliers, celui des contrats à durée déterminée conclus entre un médecin et un établissement de soin privé à but non lucratif, que la Chambre sociale de la Cour de cassation était amenée à se prononcer, par un arrêt rendu le 12 mars 2008. Il lui était posé la question de savoir si les règles habituelles du renouvellement du contrat à durée déterminée étaient applicables à ce contrat dérogatoire. La Cour tire des conclusions des plus classiques du caractère exceptionnel de ce contrat à durée déterminée (I), même si l'on peut percevoir, dans son raisonnement, les germes d'une évolution potentielle s'agissant, d'une manière plus générale, des règles gouvernant le renouvellement de tout CDD (II).
Résumé

Si les établissements de santé privés à but non lucratif peuvent, par dérogation aux dispositions des articles L. 122-1 (N° Lexbase : L5451ACU), L. 122-1-1 (N° Lexbase : L9607GQU) et L. 122-1-2 (N° Lexbase : L9608GQW) du Code du travail, recruter des praticiens par contrat à durée déterminée pour une période égale, au plus, à quatre ans, les conditions de renouvellement de ces contrats doivent donner lieu à un avenant soumis au salarié avant le terme initialement prévu et répondre, à l'exception de la disposition relative à l'énonciation du motif du recours, aux exigences de l'article L. 122-3-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9625GQK).

Commentaire

I - Les médecins engagés par des établissements de santé privés à but non lucratif : un CDD d'exception

  • Les conditions classiques des contrats à durée déterminée

Le législateur a doté le contrat de travail à durée déterminée de conditions relativement strictes, surtout si on les compare au consensualisme et la liberté contractuelle persistants du contrat de travail à durée indéterminée.

Ainsi, les articles L. 122-1-1 et L. 122-2 (N° Lexbase : L5454ACY) du Code du travail prévoient un nombre restreint de motifs que l'employeur peut invoquer, afin de conclure un tel contrat, l'ensemble s'inscrivant dans l'objectif que ce contrat ne puisse "avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise" (1). De la même manière, le législateur impose que le contrat à durée déterminée soit rédigé par écrit et comporte un certain nombre de clauses obligatoires (2). Le Code a, enfin, encadré la durée de ces contrats de travail qui, habituellement, ne peuvent dépasser une durée de dix-huit mois (3).

  • Les contrats à durée déterminée dérogatoire des médecins employés par des établissements de soin à but non lucratif

Il advient, pourtant, de manière exceptionnelle, que cette durée maximale ait été aménagée. Tout d'abord, l'article L. 122-1-2, II, du Code du travail prévoit certaines hypothèses dans lesquelles cette durée maximale peut être, selon les cas, réduite ou accrue. Ensuite, la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation a permis, dans le cas de contrats de travail assortis d'un terme dit incertain ou de renouvellement de contrats permettant de parer l'absence d'un salarié, que la durée totale d'exécution du contrat excède les dix-huit mois (4). Enfin, certains secteurs spécifiques ont amené le législateur à introduire des exceptions particulières pour certaines relations de travail.

Cela fut, notamment, le cas pour les médecins engagés par des établissements de santé privés à but non lucratif, pour lesquels l'ancien article L. 715-7 du Code du travail devenu, au gré d'une ordonnance du 2 mai 2005 (ordonnance n° 2005-406, simplifiant le régime juridique des établissements de santé N° Lexbase : L3453G8E), l'article L. 6161-7, alinéa 4, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9911G8L), prévoit une durée maximale de quatre années (5).

Ce texte comporte, en réalité, une double dérogation au régime des contrats à durée déterminée de droit commun puisque, en sus de l'allongement de la durée maximale à quatre ans, le Code de la santé publique permet expressément de déroger aux articles du Code du travail imposant l'existence d'un cas de recours précis au contrat à durée déterminée. L'énumération des dérogations au régime de droit commun s'arrête, cependant, là et il n'est, par exemple, pas permis à ces entreprises de déroger aux dispositions de l'article L. 122-3-1, exigeant que le contrat soit rédigé par écrit et qu'il comporte certaines clauses obligatoires.

  • En l'espèce

Dans cette affaire, un praticien hospitalier avait été recruté par un établissement de soin à but non lucratif en remplacement d'une salariée en congé parental. Le contrat initial avait donné lieu à deux renouvellements portant la durée totale de la relation de travail à un peu moins de trois ans. L'exigence d'une durée maximale de quatre ans était bien respectée. La salariée saisit, néanmoins, le conseil de prud'hommes, afin de voir requalifiée la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée, principalement en raison du non-respect des règles relatives au renouvellement des contrats de travail à durée déterminée.

Adoptant une interprétation particulièrement large des dispositions du Code de la santé publique, la cour d'appel de Versailles estima que "les dérogations générales, ainsi prévues, aux principes fondamentaux du régime du contrat de travail à durée déterminée permettent de déroger au formalisme du renouvellement du contrat à durée déterminée prévu par l'article L. 122-1-2 [du Code du travail], selon lequel les conditions de renouvellement sont stipulées dans le contrat ou font l'objet d'un avenant soumis au salarié avant le terme initialement prévu".

  • Le formalisme du renouvellement applicable à ces contrats dérogatoires

La Chambre sociale de la Cour de cassation sanctionne, fort logiquement, une telle argumentation, en estimant que, si ces relations de travail spécifiques bénéficient d'un régime dérogatoire en matière de durée du contrat et de cas de recours, "les conditions de renouvellement des contrats à durée déterminée ainsi conclus doivent donner lieu à un avenant soumis au salarié avant le terme initialement prévu et répondre, à l'exception de la disposition relative à l'énonciation du motif du recours, aux exigences de l'article L. 122-3-1 du Code du travail".

Les règles relatives au renouvellement du contrat de travail à durée déterminée sont édictées par l'article L. 122-1-2 du Code du travail, lequel est, également, le siège de la détermination de la durée maximale de droit commun. Un raisonnement un peu rapide pouvait laisser penser que, puisque le Code de la santé publique dérogeait à ces limites maximales de durée, c'était, en réalité, une dérogation intégrale à l'article du Code du travail qui était opérée, excluant ainsi le formalisme du renouvellement. Néanmoins, deux arguments très nets inclinaient à ne pas exclure ces règles.

  • Retour à l'interprétation des règles édictées par le législateur

Le premier argument relève d'une lecture exégétique du quatrième alinéa de l'article L. 6161-7 du Code de la santé publique. Le texte dispose, en effet, que les établissements de santé peuvent "par dérogation aux dispositions des articles L. 122-1, L. 122-1-1 et L. 122-1-2 du Code du travail, recruter des praticiens par contrat à durée déterminée pour une période égale au plus à quatre ans". Le législateur fait donc référence, d'un côté, à des articles du Code du travail intégralement exclus du régime de ces contrats et, de l'autre, à une simple règle de fond relative à la durée maximale. S'il avait souhaité exclure l'intégralité des règles comportées par l'article L. 122-3-1 du Code du travail, il ne se serait pas limité à préciser que la durée était allongée jusqu'à un délai de quatre ans (6).

Le second argument relève des règles classiques d'interprétation. Les juges d'appel avaient, en effet, probablement omis, à l'occasion de leur décision, que l'une des règles les plus élémentaires de l'interprétation des lois réside dans l'adage exceptio est strictissimae interpretationis, en vertu duquel les exceptions doivent toujours s'interpréter strictement. Autrement dit, si le législateur avait souhaité cantonner le régime dérogatoire des contrats à durée déterminée de ces médecins à l'existence d'un motif et à une durée maximale étendue, il n'était pas du ressort du juge d'étendre ce régime exceptionnel au formalisme imposé par le régime de droit commun en cas de renouvellement du contrat.

II - D'une interprétation stricte des textes vers un renforcement du formalisme du renouvellement des CDD ?

  • Les règles du Code du travail relatives au renouvellement du contrat

Il reste que la formule employée par la Chambre sociale de la Cour de cassation peut paraître, à l'analyse, un peu insuffisante en ce qu'elle pourrait donner l'impression qu'elle comporte, en germe, une évolution du régime du renouvellement des contrats de travail à durée déterminée.

En effet, les Hauts magistrats estiment que le renouvellement doit "donner lieu à un avenant soumis au salarié avant le terme initialement prévu". Par le caractère restrictif de cette formule, la Chambre sociale laisse de côté l'autre hypothèse habituellement reconnue aux parties pour prévoir un renouvellement, celle d'une clause spécifique prévue dans le contrat initial (7). Cette faculté est aussi bien prévue par l'article L. 122-1-2, I, du Code du travail, que par la circulaire relative au contrat de travail à durée déterminée et au travail temporaire édictée en application de la loi du 12 juillet 1990 ayant introduit ce texte dans le code.

Au sujet du contrat initial, la Cour se contente de rappeler que l'article L. 122-3-1 impose qu'une telle clause soit présente dans le contrat de travail initial pour qu'il puisse être renouvelé, à l'image de ce qui se produit en matière de période d'essai, qui ne peut être renouvelée que si le principe initial d'un tel renouvellement avait été envisagé (8). Mais la formulation alternative de l'article L. 122-1-2, I, laissait jusqu'ici penser qu'une telle clause pouvait se suffire à elle-même, sans que la conclusion d'un avenant soit indispensable.

  • Un potentiel renforcement du formalisme des renouvellements de contrats à durée déterminée

Il n'est évidemment pas question de considérer qu'une argumentation si restrictive soit le signe de l'évincement de l'obligation de prévoir le principe du renouvellement dans le contrat de travail initial, d'autant que la Chambre sociale fait expressément référence à ces clauses impératives.

En revanche, il est possible d'interpréter la solution en ce que la Chambre sociale entendrait renforcer, à l'avenir, le formalisme du renouvellement du contrat à durée déterminée en exigeant systématiquement qu'un avenant soit conclu avant l'expiration de la durée initiale.

On sait que, jusqu'à présent, la Cour de cassation, comme les juridictions du fond, n'exigeaient pas, de manière indispensable, qu'un tel avenant soit conclu (9). Là encore, le mécanisme du renouvellement de la période d'essai pourrait être imité, puisqu'il est conditionné par l'accord exprès du salarié (10). La rationalité de l'encadrement du renouvellement du contrat de travail à durée déterminée et de la période d'essai sont très proches puisqu'il s'agit, dans les deux cas, de se prémunir contre une forme de fraude à la durée maximale de ces périodes. Ce double formalisme aurait, alors, pour principale vertu, de s'assurer que le contrat de travail initial ne comporte pas une durée bien plus longue qu'il ne le prévoit, le renouvellement étant finalement décidé dès le départ de la relation.


(1) C. trav., art. L. 122-1.
(2) C. trav., art. L. 122-3-1.
(3) C. trav., art. L. 122-1-2, II.
(4) Sur ce dernier point, v., Cass. soc., 28 octobre 1997, n° 95-43.101, Société Nice Matin c/ Mme Vaché Irjud, publié (N° Lexbase : A1155AAZ), D., 1998, p. 126, note J. Mouly ; Cass. soc., 8 février 2006, n° 04-41.279, Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Centre France c/ Mlle Sandrine Larue, FS-P+B (N° Lexbase : A8510DM7) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Réduction du champ de la requalification en matière de contrat à durée déterminée : illustration, Lexbase Hebdo n° 203 du 23 février 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N4848AKR).
(5) Ordonnance n° 2005-406 du 2 mai 2005, simplifiant le régime juridique des établissements de santé (N° Lexbase : L3453G8E).
(6) Lequel texte prévoit que "ce contrat peut être renouvelé une fois pour une durée déterminée [...]. Les conditions de renouvellement sont stipulées dans le contrat ou font l'objet d'un avenant soumis au salarié avant le terme initialement prévu".
(7) V., circulaire DRT n° 18/90 du 30 octobre 1990, travail, emploi et formation professionnelle (N° Lexbase : L2859AIQ).
(8) Cass. soc., 10 novembre 1998, n° 96-41.579, Mme Champion c/ M. Zowczak (N° Lexbase : A4570AGD), RJS, 1998, p. 881, n° 1442 ; Cass. soc., 17 février 1999, n° 97-41.012, Mme Christine Journois c/ Société Les Airelles, société à responsabilité limitée (N° Lexbase : A3071AGT).
(9) Pour la Cour de cassation, v., Cass. soc., 10 juin 1992, n° 88-43.688, ECOFIH c/ Mme Pierron (N° Lexbase : A1556AAU). Pour les juridictions du fond, v., CA Aix-en-Provence, 16 mai 1988 ; CA Paris, 30 septembre 1988 ; CA Paris, 6 octobre 1989.
(10) Cass. soc., 15 mars 2006, n° 04-46.406, Mlle Andrea Guidoni c/ Société Générale, F-P+B (N° Lexbase : A6142DNS) et nos obs., L'accord exprès du salarié au renouvellement de la période d'essai, Lexbase Hebdo n° 208 du 30 mars 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N6317AK8).

Décision

Cass. soc., 12 mars 2008, n° 07-40.093, Mme Christel Katz, FS-P+B (N° Lexbase : A4095D7S)

Cassation partiellement sans renvoi, CA Versailles, 17ème ch., 27 octobre 2006

Textes visés : C. trav., art. L. 122-1-2 (N° Lexbase : L9608GQW), L. 122-3-1 (N° Lexbase : L9625GQK), L. 122-3-10 (N° Lexbase : L9643GQ9) ; C. santé publ., art. L. 6161-7 (N° Lexbase : L9911G8L)

Mots-clés : contrat de travail à durée déterminée ; régime dérogatoire ; médecins employés par des établissements de santé à but non lucratif ; renouvellement ; formalisme.

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