La lettre juridique n°298 du 27 mars 2008 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Régime applicable au salarié inapte : principes et conditions

Réf. : Cass. soc., 12 mars 2008, n° 07-40.039, Société JP Ryckaert, FS-P+B (N° Lexbase : A4093D7Q)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Il est de principe d'affirmer que le salarié déclaré inapte est soit licencié, soit reclassé, soit payé... Ce principe supporte, cependant, des exceptions, comme en témoigne la décision rendue par la Cour de cassation le 12 mars dernier. N'est pas salarié inapte au sens de l'article L. 122-24-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1401G9R) qui veut... Pour bénéficier des dispositions protectrices, il faut que l'inaptitude ait été régulièrement déclarée. Cela ne veut pas dire que le salarié inapte ne peut prétendre à rien. Cela signifie que, en étant soumis à une procédure irrégulière, le salarié se trouve écarté du champ d'application des règles propres à l'inaptitude et ne peut obtenir la reprise du versement de son salaire, en application de l'article L. 122-24-4 du Code du travail. La Haute juridiction affirme, en effet, que, si l'employeur a commis une faute en ne faisant pas passer à la salariée de second examen médical, cette faute ouvre droit, au profit de celle-ci, à une indemnisation en fonction du préjudice subi, sur le fondement du droit commun de la responsabilité. Le fait pour la salariée de ne pas avoir subi une seconde visite médicale de reprise n'a pas permis de fixer la date à laquelle la période de suspension du contrat de travail prenait fin et, corrélativement, interdit toute condamnation de l'employeur au versement des salaires entre la visite et la rupture, sur ce fondement. Cette solution, malgré son caractère peu favorable au salarié, doit, en tous points, être approuvée.
Résumé

Le dommage subi par une salariée, déclarée inapte à son emploi, qui n'a pu, pendant un an, ni travailler, ni obtenir la rupture de son contrat, lui ouvre droit à une indemnité dont le montant est calculé en fonction du préjudice subi.

Cette indemnisation est due lorsque l'inaptitude n'a pas fait l'objet d'une déclaration régulière et conforme aux prescriptions des articles L. 122-24-4 et R. 241-51 (N° Lexbase : L9928ACP) du Code du travail et, notamment, lorsque la salariée n'a pas été convoquée à une seconde visite médicale à la suite de la première ayant conclu à son inaptitude.

Commentaire

I - Indemnisation du salarié régulièrement déclaré inapte

  • Retour du salarié d'une période de suspension visée par l'article R. 241-51 du Code du travail

L'employeur est tenu, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail pour cause de maladie professionnelle, après un congé maternité, après une absence d'au moins 8 jours pour cause d'accident du travail, après une absence d'au moins 21 jours pour cause de maladie ou d'accident non professionnel et en cas d'absences répétées pour raison de santé, de faire pratiquer un examen médical de reprise. Cet examen, qui a pour seul objet d'apprécier l'aptitude du salarié à reprendre son emploi, doit être pratiqué au moment de la reprise du travail ou, au maximum, dans les 8 jours de cette reprise (C. trav., art. R. 241-51).

Cette visite peut aboutir à deux situations distinctes. Soit le salarié est déclaré apte à reprendre son poste, dans ce cas, il retrouve son emploi. Soit il est déclaré inapte, s'engage, alors, une procédure particulière.

Lorsque le médecin conclut, à l'issue de cette visite, à l'inaptitude du salarié, il doit, en effet, sauf danger immédiat pour la santé du salarié, effectuer une seconde visite dans les deux semaines (C. trav., art. R. 241-51-1 N° Lexbase : L9929ACQ). Si, à l'issue de cette seconde visite, le médecin maintien son avis d'inaptitude, l'employeur n'a que deux solutions : reclasser ou licencier. Cette seconde visite fixe, en effet, la date à laquelle le contrat de travail cesse d'être suspendu et, partant, le point de départ des délais impartis à l'employeur pour déterminer le sort du salarié.

  • Conséquence de la déclaration d'inaptitude délivrée par le médecin du travail


L'article L. 122-24-4 du Code du travail dispose que, lorsqu'à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail pour cause d'accident ou de maladie, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer un autre emploi approprié à ses nouvelles capacités, compte tenu des conclusions du médecin et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé.

Si le salarié n'est pas reclassé dans le délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur est tenu de verser à l'intéressé, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi qu'il occupait avant la suspension de son contrat de travail.

L'employeur n'a donc que deux solutions, le reclassement du salarié dans un emploi compatible avec ses nouvelles capacités ou le licenciement du salarié inapte pour impossibilité de reclassement. Le cas échéant, passé le délai d'un mois, si l'employeur ne reclasse pas ou ne licencie pas, il devra reprendre le versement des salaires.

Quid lorsque cette seconde visite fait défaut ? Est-il possible, pour un salarié, d'obtenir, néanmoins, la reprise du versement de ses salaires ?

Non, vient répondre la Cour de cassation, la faute de l'employeur consistant à ne pas avoir convoqué à une seconde visite médicale ouvre droit, au profit du salarié, non pas au paiement de salaires sur le fondement de l'article L. 122-24-4 du Code du travail, mais à une indemnisation, fonction du préjudice subi, sur le fondement du droit commun de la responsabilité.

  • Espèce

Dans cette espèce, une salariée, qui avait été victime d'un accident du travail, était en arrêt maladie. Quelques jours avant l'expiration de son dernier arrêt de travail, l'employeur lui avait fait passer une visite médicale au cours de laquelle la salariée avait été déclarée définitivement inapte à son poste de travail, le médecin du travail précisant n'y avoir pas lieu à une seconde visite, mais ne visant pas l'article R. 241-51 du Code du travail.

Un an plus tard, après deux procédures de licenciement qui n'avaient pas abouties, l'employeur avait demandé à la salariée de se rendre à une nouvelle visite médicale, puis à une seconde.

A l'issue de ces deux visites médicales, la salariée avait été déclarée, par le médecin du travail, inapte à son poste, mais apte à un poste sans port de charges. Quelques jours plus tard, l'employeur l'avait licenciée pour impossibilité de reclassement.

La salariée avait, alors, saisi la juridiction prud'homale d'une demande de paiement des salaires pour la période allant de la fin du mois suivant la première convocation à la date de la rupture du contrat de travail. La cour d'appel avait fait droit à sa demande.

La Cour de cassation ne voit pas les choses de cette façon. Elle considère, en effet, que, si l'employeur a commis une faute en ne faisant pas subir à la salariée un second examen médical, comme le prescrit l'article R. 241-51-1 du Code du travail, le fait de ne pas lui avoir fait subir ce second examen exclut l'application de l'article L. 122-24-4 du Code du travail et, partant, interdit aux juges de se fonder sur cette disposition pour condamner l'employeur à verser à la salariée l'intégralité des salaires entre l'expiration du mois suivant la première visite et la rupture. La salariée a uniquement droit à une indemnisation en fonction du préjudice subi.

Cette solution, qui semble a priori injuste, doit être pleinement approuvée.

II - Indemnisation du salarié irrégulièrement déclaré inapte

Force est de constater que la Haute juridiction a raison. Il est, en effet, impossible, dans ce cas, pour le salarié, de se prévaloir des dispositions de l'article L. 122-24-4 du Code du travail, l'absence de seconde visite empêchant de fixer la date à laquelle la période de suspension du contrat de travail prend fin, tout comme l'omission par le médecin des mentions prescrites par la jurisprudence en cas d'examen unique.

  • L'exception de la visite unique

La solution aurait pu être totalement différente, si le médecin n'avait pas omis de faire référence à l'article R. 241-51 du Code du travail dans l'avis délivré. Si tel avait été le cas, la salariée aurait été fondée à demander, et obtenir, le paiement des salaires allant jusqu'à la rupture.

Par exception au principe de la double visite, l'article R. 241-51-1 du Code du travail prévoit que, en cas de danger immédiat pour la santé du salarié, la seconde visite est facultative. La jurisprudence impose, toutefois, dans cette hypothèse, que le médecin du travail précise le caractère unique de la visite et vise l'article R. 241-51-1 du Code du travail dans son avis (Cass. soc., 11 mai 2005, n° 03-45.174, F-P+B N° Lexbase : A2359DI9, D., 2005, IR 1587, obs. Chevrier). Lorsque le document établi par le médecin du travail fait état de ces deux éléments, s'engage la procédure normale, c'est-à-dire que l'employeur dispose d'un mois à compter de cette visite pour licencier, reclasser ou, le cas échéant, verser la rémunération.

Lorsque, au contraire, l'un ou l'autre de ces deux éléments fait défaut, l'exception de la visite unique ne peut être retenue et, donc, la date d'expiration de la période de suspension du contrat de travail fixée. C'était tout le problème de la décision commentée, puisque, faute pour le médecin d'avoir fait figurer dans l'avis d'inaptitude les mentions impératives, une seconde visite devait avoir lieu dans les 15 jours de la première, seule cette seconde visite pouvant permettre le déclenchement de l'application des règles protectrices du salarié inapte.

  • L'objet de la seconde visite

L'objet de la visite médicale de reprise est de mettre un terme à la période de suspension du contrat de travail, et ce, quelle que soit la situation dans laquelle se trouve le salarié et, singulièrement, même si celui-ci continue à bénéficier d'un arrêt de travail (Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 03-41.479, F-P+B N° Lexbase : A0933DGN, RJS, 2005, n° 267 ; lire nos obs., L'inaptitude corrompt tout, Lexbase Hebdo n° 153 du 2 février 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4457ABP). En présence d'un avis d'inaptitude, c'est la seconde visite de reprise qui fixe la date à laquelle prend fin la période de suspension du contrat de travail. Si cette seconde visite n'a pas lieu, le contrat est toujours suspendu ; le salarié ne peut donc pas, logiquement, se prévaloir des dispositions de l'article L. 122-24-4 du Code du travail.

Il est, de principe, en effet, que le délai d'un mois imparti à l'employeur pour licencier ou reclasser court à compter de la date de la seconde visite de reprise. Or, c'est le fait que la période de suspension du contrat de travail soit terminée qui emporte l'obligation pour l'employeur de reprendre le versement des salaires. Tant que le contrat de travail est suspendu, ce dernier ne peut y être tenu.

Comme vient justement le souligner la Cour de cassation, la faute de l'employeur ne pouvait que, dans ce cas, trouver son fondement dans le droit de la responsabilité civile. Ce dernier n'ayant pas exécuté ses obligations, il devra verser au salarié des dommages et intérêts dont le montant sera déterminé en fonction du préjudice subi par le salarié. Cette solution devrait aboutir à une somme peu éloignée de celle qu'il aurait touché si l'inaptitude avait régulièrement été déclarée...

Décision

Cass. soc., 12 mars 2008, n° 07-40.039, Société JP Ryckaert, FS-P+B (N° Lexbase : A4093D7Q)

Cassation partielle de CA Versailles, 5ème ch., sect. B, 26 octobre 2006

Textes visés : C. trav., art. L. 122-24-4 (N° Lexbase : L1401G9R) et R. 241-51 (N° Lexbase : L9928ACP)

Mots clefs : salarié inapte ; seconde visite médicale ; omission de la référence à l'article L. 241-51 du Code du travail ; poursuite de la suspension du contrat de travail ; impossibilité de faire application de l'article L. 122-24-4 du Code du travail ; refus de verser au salarié ses salaires ; faute de l'employeur ; indemnisation du salarié.

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