Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 3 décembre 2007, n° 300922, M. Scuderim (N° Lexbase : A0224D3P)
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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz
le 07 Octobre 2010
Depuis une dizaine d'années, son utilisation est ainsi devenue plus fréquente, jusqu'à alimenter un contentieux relativement abondant. Régie aujourd'hui par les articles L. 2132-5 (N° Lexbase : L8673AAH) à L. 2132-7 du Code général des collectivités territoriales, cette "autorisation de plaider" oblige le contribuable à un dialogue avec la collectivité. Il lui adresse, en effet, une demande d'exercer une action, qui est examinée par le conseil municipal. Si ce dernier a refusé, explicitement ou implicitement, d'exercer l'action, le contribuable adresse alors un mémoire au tribunal administratif, qui statue comme autorité administrative (6). Le maire soumet ce mémoire au conseil municipal lors de sa plus proche réunion. Le Conseil d'Etat, pour sa part, intervient dans le cadre d'un recours de pleine juridiction dirigé contre la décision du tribunal administratif.
En l'espèce, le requérant demandait l'autorisation d'intenter deux types d'action en justice. La première concernait le dépôt d'une plainte au pénal avec constitution de partie civile pour le compte de la commune, concernant des infractions au Code de l'urbanisme imputées à un agent communal. Etait, notamment, en cause la transformation illégale d'un bâtiment agricole en local à usage d'habitation. La seconde tendait à mettre en cause la responsabilité pour faute personnelle de l'auteur réel ou apparent d'un permis de lotir modificatif.
Le tribunal administratif de Nice lui a refusé l'autorisation d'exercer ces actions au nom de la commune, le Conseil d'Etat rejetant ensuite sa demande d'annulation du jugement du tribunal administratif. Selon la Haute juridiction administrative, les dispositions de l'article L. 2132-5 précité visent les seules actions de la commune que celle-ci refuse ou néglige d'exercer. Or, lorsqu'une collectivité publique estime avoir subi un préjudice en raison de la faute personnelle d'un de ses agents, il lui appartient d'émettre directement, si elle s'y croit fondée, un titre exécutoire à l'effet de fixer le montant des sommes qu'elle estime lui être dues par cet agent. A charge pour ce dernier, s'il conteste son obligation, d'en saisir la juridiction administrative du fait des rapports de droit public. Il suit de là qu'une action en justice tendant à mettre en cause la responsabilité personnelle d'un agent de la commune ne saurait être regardée comme une action appartenant à celle-ci.
A l'appui de sa demande d'autorisation, le contribuable fait aussi valoir que le dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile permettrait d'obtenir la démolition des constructions irrégulières et la réparation des préjudices résultant pour la commune des participations d'urbanisme impayées, ainsi que de la soustraction d'une parcelle de 5 000 m² à sa vocation agricole. Pour le juge, la démolition des constructions litigieuses ne présente pas, pour la commune, un intérêt matériel, seul susceptible de justifier l'action d'un contribuable sur le fondement de l'article L. 2132-5 précité. Il n'est pas davantage établi que le fait d'avoir soustrait 5 000 m² de terrain réservé à l'agriculture par la transformation d'un bâtiment agricole en local à usage d'habitation ait causé un préjudice matériel à la commune. La requête est donc rejetée.
L'arrêt d'espèce est donc un témoignage de plus de l'interprétation stricte des conditions que doit remplir l'action envisagée pour être autorisée. Ces conditions ont notamment été rappelées dans le considérant de principe des décisions précitées d'Assemblée et de Section des 26 juin et 22 juillet 1992 : il faut que l'action demandée présente un intérêt suffisant pour la commune et qu'elle ait une chance de succès (II). Encore faut-il, pour que l'autorisation puisse être accordée, que la commune ait été réellement défaillante à exercer cette action (I).
I - L'interprétation stricte de la négligence de la commune à défendre ses intérêts
Le refus d'agir de la commune est un préalable obligatoire à la saisine du tribunal administratif. Le Conseil d'Etat prend en compte la nature subsidiaire de l'autorisation de plaider. En vertu de l'article L. 2132-2 du code précité (N° Lexbase : L8670AAD), c'est, en effet, au maire qu'il appartient, après délibération du conseil municipal, de représenter en justice la commune, et c'est uniquement par dérogation à cette règle que le contribuable peut plaider au nom de la commune. La saisine du tribunal administratif doit donc être précédée d'un refus ou d'une négligence de la commune. C'est à un véritable contrôle d'opportunité que se livre alors le juge administratif (A), ce dernier allant même jusqu'à adopter, dans certains cas, la jurisprudence du "bilan coût/avantage" (B).
A - Un contrôle d'opportunité
Le mécanisme de l'autorisation de plaider repose sur l'idée d'une substitution des contribuables à une défaillance de la commune, mais encore faut-il, pour que la substitution puisse être autorisée, qu'il y ait eu négligence de la commune à défendre les intérêts de la collectivité.
Ce n'est évidemment pas le cas lorsque la commune a intenté l'action demandée (7), mais le contrôle opéré par le juge administratif s'apparente à un réel contrôle d'opportunité. La négligence n'est pas établie du seul fait de l'absence d'une action juridictionnelle. L'action peut s'exercer par une autre voie, sous réserve, bien sûr, que les chances de sauvegarde des intérêts de la commune soient crédibles compte tenu de la procédure utilisée. Ainsi, le Conseil d'Etat a déjà relevé, dans un cas où il était demandé au conseil municipal de saisir le juge d'une action en déchéance d'un concessionnaire, que le conseil municipal avait engagé des négociations avec la société d'éclairage électrique en vue d'amener celle-ci à une meilleure exploitation, et ne pouvait, dès lors, être accusé d'inertie ou de négligence dans la défense des intérêts de la collectivité (8).
Plus récemment, il a été fait application du même raisonnement concernant, là encore, une action en déchéance d'un concessionnaire qui aurait été omise par la commune pour défendre les intérêts de la collectivité, à la suite de difficultés nées de l'exécution du contrat. Le Conseil d'Etat relève que la commune a pris diverses mesures pour lui permettre d'engager, avec son concessionnaire, la recherche de "solutions rationnelles et équitables" pour remédier aux conditions d'exécution de la convention, et que des pourparlers entre la commune et la société concessionnaire avaient été noués depuis (9). La commune n'était donc pas restée inactive devant les difficultés nées de l'exécution du contrat, et ne pouvait être, ainsi, regardée comme s'étant désintéressée de l'affaire ou comme ayant fait preuve de négligence (10).
L'arrêt d'espèce va dans ce sens, énonçant qu'une action à exercer au nom de la commune n'est pas recevable si celle-ci pourrait être menée directement sans saisir le juge. Les personnes publiques ne peuvent demander au juge de prononcer une mesure qu'elles pourraient prendre elles-mêmes et, précisément, la commune pouvait ici émettre un état exécutoire à l'encontre de l'agent (11). Les personnes publiques disposent, en effet, d'un pouvoir remarquable à l'encontre de ceux dont elles s'estiment, à juste titre ou non, créancières. En présence d'un débiteur récalcitrant, elles ne sont pas, comme les personnes privées, dans la nécessité de faire juger leurs prétentions. Elles ont le pouvoir de le constituer débiteur en émettant, à son encontre, un "ordre de recettes" qui, longtemps désigné par l'expression significative d'"état exécutoire", est actuellement appelé "titre de perception". Dans le cas particulier où il s'agit de recouvrer des deniers publics, la personne publique prendra à l'encontre du détenteur de tels deniers "un arrêté de débet".
B - Un "bilan coût/avantage"
Le juge administratif, dans son contrôle de l'opportunité, va même, mutatis mutandis, jusqu'à adopter la jurisprudence du "bilan coût/avantage" (12). Ainsi, par exemple, et comme c'est le cas en l'espèce, une action en justice n'est pas opportune lorsque la commune dispose d'autres moyens que la voie contentieuse pour voir ses intérêts préservés. Il en va, de même, si le préjudice subi par la commune trouve sa contrepartie dans l'opération délictueuse dont elle a été victime (13), ou encore si l'action envisagée présenterait des inconvénients qui ne sauraient être compensés par les résultats éventuels de la décision à intervenir (14).
Dans le même sens, un particulier qui justifie d'un intérêt pour agir, en son nom propre, ne peut demander l'autorisation d'exercer une action au nom de la commune. Dans un arrêt récent du 28 avril 2006 "Cassinari" (15), un contribuable a demandé, en appel, l'autorisation d'engager pour le compte de sa commune une action en justice, à l'encontre d'une décision préfectorale rejetant la demande d'adhésion de sa commune à une communauté d'agglomération. Le Conseil d'Etat lui oppose une fin de non-recevoir tirée de l'existence d'un recours parallèle. En règle générale, pour la très grande majorité des demandes, on ne peut opposer au contribuable cette exception, puisque dans le cadre de ce recours parallèle, il agirait en son nom propre avec des intérêts qui peuvent être différents de ceux de la commune. Pour autant, le rejet pour irrecevabilité de l'autorisation de plaider s'appuie sur l'existence d'un recours de droit commun, qu'en l'espèce le demandeur pouvait exercer, le contribuable justifiant d'un intérêt à agir lui permettant d'exercer lui-même un recours pour excès de pouvoir contre la décision préfectorale. Le choix du Conseil d'Etat repose alors sur des considérations pratiques qui emportent l'adhésion. L'annulation de l'acte peut être obtenue par l'exercice d'un simple recours pour excès de pouvoir. Elle ne nécessite pas la mise en oeuvre de la procédure d'autorisation de plaider qui doit rester un droit exceptionnel et qui, en tout état de cause, conduit exactement au même résultat.
Le contrôle du Conseil d'Etat statuant au contentieux est ainsi renforcé, le juge administratif exerçant à la fois un contrôle d'opportunité et de légalité. Il peut arriver au Conseil d'Etat d'apporter ainsi des garanties au contribuable. Il a pu affirmer que "les textes qui régissent les actions engagées par les contribuables au nom des collectivités territoriales ne limitent pas les catégories d'action susceptibles d'être engagées par cette voie ; ainsi, rien ne fait obstacle à ce qu'une autorisation de plaider soit sollicitée pour l'engagement d'une procédure de référé expertise. L'action envisagée doit toutefois remplir les conditions habituelles pour que l'autorisation soit accordée, et notamment celle tenant à l'existence d'un intérêt suffisant pour la commune" (16).
Enfin, il arrive au Conseil d'Etat de déjouer les manoeuvres destinées à piéger le contribuable. Dans une décision du 13 octobre 2003 "Ville de Tarascon" (17), le conseil municipal avait autorisé la commune à se constituer partie civile dans l'affaire. Toutefois, selon les termes mêmes de cette délibération, il était expressément demandé à l'avocat mandaté par la commune d'intervenir, afin qu'il soit donné acte que la commune déclare n'avoir subi, dans cette affaire, aucun préjudice. Or, pour le Conseil d'Etat, "il résulte des énonciations mêmes de cette délibération, par laquelle le conseil municipal mandate son avocat pour soutenir que la condition à laquelle l'article 85 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8627HWG) subordonne la constitution de partie civile n'est pas remplie, que la commune ne peut être regardée comme ayant exercé l'action demandée par les intéressés".
II - L'interprétation stricte de l'exigence de l'intérêt de l'action pour la commune
Le juge procède à un contrôle restreint de l'appréciation de la "chance de succès" de l'action envisagée (B), d'autant plus acceptable, en regard même du principe de subsidiarité de l'action considérée, qu'il est contrebalancé par un contrôle très poussé de l'opportunité pratiqué en ce qui concerne la suffisance de l'intérêt de l'action pour la commune (A).
A - Le contrôle renforcé de l'intérêt suffisant de la commune
Il s'agit là de la manifestation la plus révélatrice du caractère subsidiaire, et donc restrictif, de la procédure justifiant le contrôle profond du juge de l'action envisagée. La négligence des autorités municipales ne doit être surmontée par la procédure d'autorisation de plaider, que si celle-ci est de nature à porter une atteinte grave aux droits de la commune. L'examen de la jurisprudence montre que l'intérêt en cause doit, avant tout, être matériel : un simple intérêt moral ne suffit pas pour obtenir une autorisation de plaider, cela suppose donc, a priori, qu'un intérêt pécuniaire de la commune ait été lésé. Le Conseil d'Etat a ainsi déjà pu insister sur "le préjudice matériel" occasionné à la commune, et autoriser une plainte avec constitution de partie civile, en vue de la réparation du préjudice résultant pour la commune de l'octroi à une société de garages d'une indemnité excessive par la société d'aménagement de la ville (18). Il a fait de même concernant l'action en réparation du préjudice résultant pour une commune du fait qu'une société bénéficiaire d'un permis de construire ne s'est pas acquittée de ses obligations financières (19).
Toutefois, l'on peut dire que l'intérêt matériel ne se limite pas exclusivement à un intérêt financier, en témoigne un certain nombre de décisions rendues à propos de demandes tendant à ce qu'il soit mis fin à des occupations irrégulières du domaine public (20). Le préjudice financier ici ne va pas de soi, sauf dans l'hypothèse où les parcelles auraient été endommagées, précisément du fait de cette occupation irrégulière. En l'espèce, était invoqué, à cet égard, un préjudice lié à la soustraction de 5 000 m² de terrain réservés à l'agriculture par la transformation d'un bâtiment agricole en local à usage d'habitation, préjudice non retenu par le juge.
Par ailleurs, il ne suffit plus que cet intérêt existe aujourd'hui (21), encore faut-il qu'il soit "suffisant". L'action ne sera pas autorisée, alors même qu'un préjudice matériel a été causé à la commune, si l'enjeu du litige apparaît trop mince. On peut citer par exemple une demande d'autorisation de dépôt de plainte avec constitution de partie civile, en raison de prise en charge par la commune des frais d'organisation de la fête annuelle, qui, selon le contribuable, devaient incomber à une association (22). En sens inverse, peuvent se révéler d'un intérêt suffisant, par exemple, la demande du contribuable désirant exercer une action en rescision pour lésion. Dans l'arrêt "Lepage-Huglo" précité, il résultait incontestablement, au vu d'un rapport d'expert, que la commune avait ainsi été lésée. La même solution sera retenue dans l'arrêt "Grapin" précité, alors qu'il s'agissait d'une vente à une société d'économie mixte, et que, de surcroît, la commune en était actionnaire à 80 %. A un autre titre, le juge estime qu'est fondée la demande de constitution de partie civile, en tant que l'information judiciaire est susceptible de faire apparaître la participation d'autres personnes au maniement irrégulier des deniers de la ville (23).
B - Le contrôle limité des chances de succès de l'action
L'action que le contribuable envisage d'exercer doit présenter une chance de succès, en ce sens que la commune ne saurait être engagée dans une action qui n'aurait aucune chance d'aboutir, et même qui pourrait se retourner contre elle. S'il fallait à l'origine que l'action présente une chance "sérieuse" de succès, le juge administratif n'exerce plus qu'un contrôle limité à la "chance de succès" de l'action. Ce contrôle est facile à exercer si l'action envisagée relève du juge administratif mais il est, en revanche, plus difficile dans le cadre d'une action judiciaire, qu'elle soit envisagée devant le juge civil ou le juge pénal, la procédure n'étant pas familière au juge administratif. Le rôle du tribunal administratif ne doit pas être confondu avec celui du juge du fond. Saisi en tant qu'autorité administrative, il ne dispose, en effet, pas des mêmes éléments d'appréciation (24), et il ne peut préjuger du fond et empiéter sur les compétences du juge de l'action.
Une jurisprudence très nuancée s'est développée, le juge prenant soin de préciser qu'il ne se substitue pas au juge de l'action, mais qu'il se borne à exercer un contrôle de la vraisemblance ou des probabilités de chance qu'a l'action d'aboutir à un résultat favorable. Dès lors que l'action demandée devant un juge paraît avoir une chance de prospérer, l'action est considérée comme "n'étant pas dépourvue de toute chance de succès", formule doublement négative qui marque la retenue du juge des autorisations de plaider. Dans deux décisions précitées (25), le Conseil d'Etat a accordé l'autorisation d'exercer une action en rescision pour lésion. L'article 1674 du Code civil (N° Lexbase : L1784ABP) prévoit que le vendeur peut demander la rescision s'il a été lésé de plus des 7/12èmes dans le prix d'un immeuble. Dès lors que, dans ces affaires, les contribuables produisaient au dossier des pièces tendant à démontrer que la condition fixée par l'article 1674 pouvait être remplie, le Conseil d'Etat, nonobstant la présence au dossier d'éléments contradictoires, s'est borné à constater que l'action envisagée ne pouvait "être regardée comme dépourvue de chance de succès". Le juge administratif se montre donc relativement prudent.
D'une façon plus générale, c'est "au vu des éléments qui leur sont fournis" que le tribunal administratif, puis le Conseil d'Etat se prononcent. Il ne s'agit pas d'exiger du contribuable qu'il apporte la preuve absolue et définitive de l'existence des faits délictueux, mais les allégations du demandeur doivent être recoupées par des éléments objectifs. Ainsi, dans les affaires précitées concernant la ville de Marseille, les demandeurs se référaient également à "d'autres faits relatifs à divers marchés non spécifiés de la ville de Marseille". L'Assemblée a estimé que ces allégations n'étaient pas assorties des précisions nécessaires pour en apprécier la portée. De même, si le requérant n'appuie sa demande que sur ses propres allégations (26), ou s'il n'apporte pas de précisions suffisantes (27), l'autorisation pourra difficilement être accordée, le juge n'ayant à sa disposition que des éléments purement subjectifs.
L'arrêt d'espèce ne fait que confirmer cette souplesse d'appréciation du juge dans ce cas particulier puisque, s'agissant du préjudice résultant des participations d'urbanisme impayées, censées justifiées le dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile, le juge relève que "le requérant ne fournit aucun élément permettant d'en apprécier la réalité".
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