La lettre juridique n°298 du 27 mars 2008 : Informatique et libertés

[Jurisprudence] Illégitimité d'un site de notation de professeur au regard de la loi "informatique et liberté"

Réf. : TGI Paris, 3 mars 2008, n° RG 08/51650, Syndicat National des Enseignements du Second degré - Fédération Syndicale Unitaire (SNES-FSU) c/ SARL Note2be.com (N° Lexbase : A1955D7K)

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[Jurisprudence] Illégitimité d'un site de notation de professeur au regard de la loi "informatique et liberté". Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3209958-jurisprudence-illegitimite-dun-site-de-notation-de-professeur-au-regard-de-la-loi-informatique-et-li
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par Anne-Laure Blouet Patin, Rédactrice en chef du pôle "Presse"

le 07 Octobre 2010

Le 29 janvier dernier, à l'instar de ce qui se fait outre-Manche (Ratemyteacher.com), outre-Atlantique (Ratemyprofessor.com) et outre-Rhin (Spickmich.com), un site internet gratuit et dédié aux enfants et adolescents était mis en ligne, afin de leur permettre de noter et de porter des appréciations sur les professeurs et les établissements scolaires, avec pour slogan "Prends le pouvoir, note tes profs !". Les élèves y sont allés et ont donc donné à leurs enseignants une note allant de 0 à 20 et portant sur six catégories différentes (intéressant, clair, disponible, équitable, respecté et motivé), et un forum était mis à disposition sans modération préalable. Mais, et c'était là le problème, les élèves -comme il leur était demandé- dévoilaient l'identité des professeurs ainsi que l'établissement et la classe où ils travaillent... La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a reçu près de 17 plaintes et 160 signalements émanant de syndicats et d'enseignants. Elle a, dès lors, effectué, en urgence, des contrôles sur place les 13 et 18 février 2008 en vertu de son pouvoir de contrôle conformément à l'article 44 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés telle que modifiée (N° Lexbase : L8794AGS). Et tant le syndicat national des enseignements de second degré que la fédération syndicale unitaire sont allés plus loin et ont assigné, le 18 février 2008, la société Note2be.com et l'un de ses co-gérants. Le jugement a été rendu le 3 mars dernier et le tribunal a ordonné la cessation des traitements de données nominatives. Et, trois jours plus tard, le 6 mars 2008, c'était au tour de la CNIL de rendre sa décision, à savoir que le site était illégitime au regard de la loi "informatique et liberté". Le SNES et la FSU, rejoints par d'autres syndicats intervenants volontaires à l'action, considéraient que le principe de fonctionnement du site Note2be.com constituait un trouble manifestement illicite au regard des dispositions de la loi "informatique et libertés". En effet, le site procédait à la constitution d'un fichier nominatif de personnes objets d'appréciations, sans avoir obtenu le consentement des personnes dont les données étaient ainsi utilisées. Les demandeurs invoquaient, également, une violation de l'article 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY), relatif au droit au respect de la vie privée. Enfin, il était reproché au site de procéder à l'évaluation des professeurs de manière subjective et potentiellement préjudiciable puisque les appréciations pouvaient être accompagnées de commentaires à connotation favorable ou défavorable sans aucune modération préalable à la mise en ligne au public.

De leur cotés, la société et le co-gérant justifiaient le fonctionnement de leur site par la possibilité laissée aux personnes dont les données étaient utilisées d'exercer leurs droits d'accès, de rectification et d'opposition conformément aux articles 38 à 40 de la loi "informatique et libertés". Toute atteinte au droit au respect à la vie privée des enseignants et professeurs ainsi notés était contestée par les défendeurs qui, s'appuyant sur une décision rendue par la justice allemande, faisaient valoir que les appréciations portées par les élèves ne concernaient que la vie professionnelle et n'emportaient pas de jugement de valeur à l'encontre des enseignants, de nature à porter atteinte à leur vie privée (à noter que cette décision allemande n'ayant pas été traduite elle n'a pu être retenue). De plus, ils affirment que, contrairement à ce qu'invoquent les demandeurs, le procédé de notation mis en place n'a pas pour objectif de se substituer au système organisé au sein de la fonction publique.

Dans son jugement du 3 mars, le tribunal de grande instance va donner raison aux syndicats d'enseignants et à la trentaine d'enseignants. Il a ainsi estimé que le traitement des données nominatives opéré par le site Note2be.com violait les dispositions de la loi "informatique et libertés" dans la mesure où le dispositif mis en place présentait, "faute de précautions suffisantes, un risque de déséquilibre au détriment de la nécessaire prise en compte du point de vue des enseignants".

Le tribunal rappelle qu'aux termes de l'article 7 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, le traitement de données à caractère personnel à défaut d'avoir reçu le consentement de la personne concernée doit satisfaire à des conditions précisément et strictement définies. Si le tribunal reconnaît que les élèves disposent d'une liberté d'expression et d'information (C. éduc., art. L. 511-2 N° Lexbase : L9641ARI), il énonce que cette liberté a pour limite de ne pas porter atteinte aux activités d'enseignement. En conséquence, le tribunal estime que la liberté d'expression des élèves, dans la mesure où elle se trouve déjà assurée au sein des établissements, peut, de ce fait, subir sur le site en cause une limitation raisonnable en présence des droits et intérêts légitimes des enseignants. Ainsi, le tribunal a ordonné à la société Note2be.com de suspendre sur son site toute utilisation de données nominatives d'enseignants "aux fins de leur notation et leur traitement, ainsi que leur affichage sur les pages du site en question, y compris sur le forum de discussion qui devra comporter une modération préalable".

De son côté, la CNIL, dans sa décision en date du 6 mars 2008, a adopté une position similaire en considérant que le site était illégitime au regard de la protection des données personnelles dans la mesure où la société Note2be.com poursuivait une activité commerciale reposant sur l'audience d'un site internet dont le principe était susceptible de créer une confusion dans l'esprit du public avec un système officiel de notation des enseignants. Il est, par ailleurs, relevé que les notes étaient attribuées de façon subjective par des tiers dont la qualité ne pouvait être vérifiée. Conformément à ce que prévoit l'article 7 de la loi informatique et libertés, les enseignants doivent, en effet, être en mesure d'exprimer leur consentement. Dès lors, selon la CNIL, la société note2be.com ne saurait se prévaloir d'un "intérêt légitime" pour justifier l'absence de recueil du consentement des enseignants dont les données seraient diffusées sur son site internet. Ceci étant, tenant compte de la publication de l'ordonnance du juge des référés du 3 mars 2008, la formation contentieuse de la CNIL, lors de sa séance du 6 mars 2008, n'a pas jugé utile de faire usage de son pouvoir de sanction. Néanmoins, la mise en ligne sur internet de la notation d'enseignants et de leur établissement d'activité étant susceptible de porter atteinte à leur vie privée en diffusant une affectation qu'ils ont pu souhaiter conserver confidentielle pour protéger leur vie privée, leur famille ou leur intégrité physique, la CNIL se réserve la possibilité d'user de son pouvoir de sanction en cas de nouveau manquement constaté.

La société Note2be.com a immédiatement fait savoir qu'elle interjetait appel de cette décision. Pour cela, elle envisage de s'appuyer notamment sur la décision allemande qu'elle avait invoquée devant le juge des référés (concernant le site Spickmich.com) et qui autorisait des sites allemands de même nature sans retenir de violation du droit au respect de sa vie privée ou au respect de ses données personnelles.

Mais ce phénomène de notation s'étend dorénavant à d'autres domaines... Le 15 mars dernier, était lancé le site dénommé www.note2bib.com proposant aux internautes de pouvoir noter leur médecin. Mais Note2bib.com a pris soin de ne pas donner la possibilité aux internautes d'évaluer les compétences professionnelles d'un médecin. Il demande à ses utilisateurs de renseigner des champs très objectifs comme le fait de savoir si le médecin accepte la CMU (couverture médicale universelle), la télétransmission par carte vitale ou encore la carte bancaire. Des informations utiles qui pourraient  permettre à un patient de s'orienter vers un professionnel de santé plutôt qu'un autre. 3 jours avant, le 11 mars, c'était au tour du site demedica.com -toujours sur la notation de médecin- de se lancer sur la toile avec comme petites spécificités, d'une part, d'être hébergé à l'île Maurice, échappant par là même au droit français. Un contournement de la loi "informatique et libertés" que les fondateurs comptent bien exploiter, puisqu'ils prévoient le lancement, dans les semaines à venir, de deux nouveaux sites, DeJuridica et DeDomestica, qui permettent respectivement la notation des professions juridiques et administratives (avocat, comptable, expert-comptable...), et des métiers de la maison et du bâtiment (plombier, électricien...).

Les sites de notation n'ont décidemment pas fini de faire parler d'eux...

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