Réf. : Cass. soc., 12 mars 2008, n° 07-60.282, Syndicat Sud commerces et services Ile-de-France c/ Société Lehwood Montparnasse et a., F-P+B (N° Lexbase : A4115D7K)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Il appartient au tribunal saisi d'une demande d'annulation des élections par un syndicat, qui ne bénéficie pas de la présomption légale de représentativité et qui fait valoir que ses candidats ont été écartés au premier tour des élections, d'apprécier la représentativité de ce syndicat, seule de nature à avoir une influence sur la régularité des élections, à la date du dépôt des listes de candidatures. |
Commentaire
1. L'exigence de représentativité
Si les syndicats ont le monopole de la présentation des listes de candidats au premier tour des élections professionnelles, cette prérogative est réservée aux seuls syndicats représentatifs (C. trav., art. L. 423-2 N° Lexbase : L6360ACK, L. 423-14 N° Lexbase : L6374AC3, L. 433-2 N° Lexbase : L9121HD8 et L. 433-10 N° Lexbase : L6427ACZ).
De manière fort classique, il convient de distinguer selon que le syndicat est affilié, ou non, à une confédération reconnue représentative sur le plan national. Dans le premier cas, le syndicat est, de plein droit, considéré représentatif, tandis que, dans le second, il doit faire la preuve de sa représentativité.
Il importe, tout d'abord, de rappeler qu'un syndicat n'a à prouver sa représentativité qu'en cas de contestation. En d'autres termes, le syndicat n'est jamais tenu de l'établir a priori (1) et, si elle n'est pas contestée, il n'aura jamais à la prouver (2).
Ensuite, et pour en venir au cas particulier qui nous intéresse, la preuve de la représentativité doit, conformément au principe de concordance, être établie dans l'entreprise ou l'établissement (3) et dans chacun des collèges où le syndicat présente des candidats (Cass. soc., 8 novembre 1988, n° 87-60.326, Syndicat national des cadres supérieurs de la SNCF et autre c/ M. Durand et autres N° Lexbase : A1487AAC).
En outre, il est de jurisprudence constante que la représentativité doit être appréciée à la date du dépôt des candidatures (v., notamment, Cass. soc., 21 septembre 1993, n° 92-60.253, Syndicat démocratique des banques BNP Paris c/ Syndicat CFDT du personnel de banques et sociétés financières de la région parisienne N° Lexbase : A2471CY8). Il en résulte que le juge doit se placer avant les élections pour déterminer si une organisation peut présenter des candidats à cette élection et non tirer du résultat de ces élections la preuve de la représentativité.
Si les règles qui viennent d'être évoquées sont claires, leur mise en oeuvre pratique suscite d'importantes difficultés. Celles-ci sont, principalement, liées au fait que, bien souvent, les opérations électorales s'ouvrent alors que le juge ne s'est pas encore prononcé sur la représentativité du syndicat. La tentation peut être grande, alors, pour l'employeur d'écarter purement et simplement la liste de candidats présentée par le syndicat.
C'est, semble-t-il, ce qui s'était passé dans l'espèce rapportée. En effet, consécutivement à la mise à l'écart, par l'employeur, de la liste de candidats qu'il avait présentée dans le cadre des élections de délégués du personnel et du comité d'entreprise, le syndicat Sud commerces et services avait saisi le tribunal d'instance, après le déroulement du scrutin, d'une demande en annulation des élections.
2. L'annulation des élections pour défaut de représentativité
Pour débouter le syndicat de sa demande en annulation, le tribunal d'instance avait énoncé que, à la date du dépôt des candidatures, le syndicat Sud commerces et services n'avait pas encore été déclaré judiciairement représentatif et qu'il ne pouvait donc présenter de listes de candidats, ni solliciter sur ce moyen l'annulation des élections. Il est, pour le moins, difficile de se satisfaire d'une telle décision qui, d'une part, conduit, éventuellement, à dénier à un syndicat représentatif le droit d'exercer une prérogative légale et qui, d'autre part, revient à valider le comportement d'un employeur qui, en quelque sorte, se fait justice à lui-même.
Aussi, ne s'étonnera-t-on pas que la Cour de cassation vienne censurer le jugement déféré au visa des articles L. 133-2 (N° Lexbase : L5695ACW), L. 433-11 (N° Lexbase : L6428AC3), L. 435-6 (N° Lexbase : L6451ACW) et L. 423-15 (N° Lexbase : L6375AC4) du Code du travail et sur le fondement du motif de principe reproduit ci-dessus. Ce faisant, la Chambre sociale vient préciser l'office du juge de l'élection saisi d'une demande d'annulation par un syndicat ne bénéficiant pas de la présomption de représentativité et qui fait valoir que ses candidats ont été écartés au premier tour des élections.
Dans une telle hypothèse, le tribunal d'instance se doit d'apprécier la représentativité de ce syndicat à la date du dépôt des listes de candidatures, qui est seule de nature à avoir une influence sur la régularité des élections. Cette solution n'est pas nouvelle et avait déjà été énoncée, dans des termes très proches, dans une décision en date du 13 septembre 2005 (Cass. soc., 13 septembre 2005, n° 04-60.449, Société Renault c/ Syndicat Sud Renault Cergy Pontoise N° Lexbase : A4543DKH, Dr. soc., 2006, p. 235, obs. P.-Y. Verkindt). Elle n'en suscite, pas moins, d'importantes interrogations.
On peut, de prime abord, se satisfaire de la solution retenue par la Cour de cassation, dans la mesure où, à l'évidence, elle préserve les prérogatives des syndicats représentatifs lors des élections professionnelles. Toutefois, on peut juger critiquable l'affirmation selon laquelle seule la représentativité du syndicat à la date du dépôt des listes de candidats est de nature à avoir une influence sur la régularité des élections. En effet, et sauf à se méprendre sur le sens de la solution retenue, la Cour de cassation tend, par là même, à signifier que le fait pour un employeur de retirer les listes présentées par un syndicat ne bénéficiant pas d'une représentativité par affiliation n'entraîne pas nécessairement l'annulation des élections.
Ainsi que n'ont pas manqué de le souligner certains auteurs, cette position paraît difficile à concilier avec l'affirmation antérieure qu'un syndicat ne peut être écarté du processus électoral tant qu'il n'a pas été statué sur sa représentativité (4). Au vu de l'arrêt rapporté, on est, en réalité, tenté de considérer que cette dernière jurisprudence n'a plus lieu d'être aujourd'hui (5).
Cela est quelque peu gênant, dans la mesure où l'on peut se demander si cela ne revient pas à autoriser, peu ou prou, l'employeur à se faire juge de la validité d'une candidature (6). Sans doute, n'est-ce pas le sens de la jurisprudence de la Cour de cassation puisque, en tout état de cause, le dernier mot reviendra au juge.
Il n'en reste pas moins vrai que, dans l'hypothèse où un employeur écarterait une liste de candidats présentée par un syndicat ne bénéficiant pas de la présomption de représentativité, les élections ne seront pas annulées si le juge de l'élection constate lui-même que, au moment du dépôt de la liste de candidats, ce syndicat n'était pas représentatif (7). Dans une telle situation, l'employeur fait, en quelque sorte, un "pari sur l'avenir". Aussi serait-il, sans doute, préférable qu'il saisisse le juge d'une contestation de la représentativité de ce syndicat et attende la décision de ce dernier avant de lancer le processus électoral.
(1) C'est-à-dire avant d'exercer la prérogative qui y est attachée. Appliqué à l'hypothèse qui nous intéresse, cela signifie que le syndicat n'a pas à prouver sa représentativité avant de déposer une liste de candidats. Cette preuve ne sera exigée que si l'employeur ou une autre organisation syndicale conteste cette représentativité.
(2) V., en ce sens, J. Pélissier, A. Supiot et A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, p. 670 et la jurisprudence citée.
(3) En fonction du niveau auquel les élections sont organisées.
(4) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, ouvrage préc., § 621, qui citent : Cass. soc., 9 février 2000, n° 98-60.599, Syndicat Sud Eurest c/ Société Eurest France et a. (N° Lexbase : A6323AGB), Bull. civ. V, n° 61, et Cass. soc., 13 octobre 2004, n° 03-60.236, Société Onyx Languedoc Roussillon c/ Syndicat Sud Collecte Propreté urbaine (N° Lexbase : A6183DDD), RJS, 1/05, n° 60.
(5) Sauf à considérer qu'il faille distinguer selon que la représentativité a été contestée en justice, auquel cas, il conviendrait d'attendre la décision du juge ou que l'employeur s'est contenté d'écarter la liste de candidats présentée par le syndicat sans que sa représentativité ait été contestée.
(6) Alors que la Cour de cassation affirme, par ailleurs, le contraire. V., en dernier lieu, Cass. soc., 26 avril 2006, n° 05-60.285, Société Experian c/ M. Jacques Fritz (N° Lexbase : A2211DPL).
(7) Il est vrai que l'on peut, également, considérer que cette solution découle de la règle prétorienne selon laquelle l'annulation des élections ne peut être prononcée que si l'irrégularité a pu directement influencer les résultats (v., par ex., Cass. soc., 7 mai 2003, n° 01-60.905, Syndicat CGT Aventis Propharm c/ Société Aventis Propharm (N° Lexbase : A7967BSU). Si l'employeur a commis une irrégularité en écartant de son propre chef la liste litigieuse, cette irrégularité n'a pas eu d'effet direct sur les résultats, puisque le juge a, lui-même, constaté que le syndicat n'était pas représentatif.
Décision
Cass. soc., 12 mars 2008, n° 07-60.282, Syndicat Sud commerces et services Ile-de-France c/ Société Lehwood Montparnasse et a., F-P+B (N° Lexbase : A4115D7K) Cassation de TI Paris, 13ème (contentieux des élections professionnelles), 3 mai 2007 Textes visés : C. trav., art. L. 133-2 (N° Lexbase : L5695ACW), L. 433-11 (N° Lexbase : L6428AC3), L. 435-6 (N° Lexbase : L6451ACW) et L. 423-15 (N° Lexbase : L6375AC4) Mots-clefs : élections professionnelles ; premier tour ; listes de candidats ; syndicat représentatif ; preuve de la représentativité ; annulation des élections ; rôle du juge. Lien base : |
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