La lettre juridique n°291 du 7 février 2008 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Contrat de travail à durée déterminée et office du juge

Réf. : Cass. soc., 23 janvier 2008, n° 05-41.070, M. Mazzoncini, FS-P+B (N° Lexbase : A0889D4P) ; n° 06-44.197, Mme Caroli, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1016D4E) ; n° 06-43.040 (N° Lexbase : A0999D4R).

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Depuis que le législateur s'est intéressé au contrat de travail à durée déterminée, le juge se voit confier une lourde tâche. Dans cette matière, il agit, en effet, en qualité de constructeur mais, également, de contrôleur. Ainsi, c'est lui qui est chargé de combler les vides laissés par le législateur. C'est, également, à lui qu'il appartient de contrôler la légalité du recours au contrat de travail à durée déterminée. Le contrôle du juge, puisque c'est précisément de contrôle dont il était question dans les décisions rendues par la Cour de cassation le 23 janvier dernier, s'exerce tant au niveau du recours au contrat de travail à durée déterminée qu'au niveau de sa rupture.

Résumé

Pourvoi n° 05-41.070 : Lorsqu'un salarié rompt un contrat de travail à durée déterminée en invoquant des manquements de l'employeur, il incombe au juge de vérifier si les faits sont, ou non, constitutifs d'une faute grave.

Pourvois n° 06-44.197 et n° 06-43.040 : S'il résulte de la combinaison des articles L. 122-1 (N° Lexbase : L5451ACU), L. 122-1-1 (N° Lexbase : L9607GQU), L. 122-3-10, alinéa 2, (N° Lexbase : L9643GQ9) et D. 121-2 (N° Lexbase : L8259ADA) du Code du travail que, dans les secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des contrats de travail à durée déterminée, lorsqu'il est d'usage constant de ne pas recourir à un contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère, par nature temporaire, de ces emplois, et que des contrats à durée déterminée successifs peuvent en ce cas être conclus avec le même salarié, l'accord cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999, mis en oeuvre par la Directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 (N° Lexbase : L0072AWL), en ses clauses 1 et 5, qui a pour objet de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à l'utilisation de contrats à durée déterminée successifs est justifié par des raisons objectives, qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi.

Commentaire

C'est, notamment, au juge qu'il appartient de rechercher si les faits invoqués par le salarié au soutien de la rupture anticipée de son contrat de travail à durée déterminée pour faute grave de l'employeur sont constitutifs d'une telle faute, seule à même de justifier une rupture avant terme.

C'est encore au juge qu'il incombe de rechercher, au sujet d'un contrat de travail à durée déterminée d'usage, si l'on se situe bien dans un secteur où il est habituel de recourir au contrat de travail à durée déterminée mais, encore, si l'emploi occupé est l'un de ceux élus au contrat à durée déterminée. Son rôle, dans ce domaine, ne s'arrête pas là. Comme vient le préciser la Haute juridiction dans deux des décisions commentées, en présence de CDD d'usage successifs, le juge doit vérifier que le recours à ce type de contrats successifs est justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi.

Ces deux solutions doivent être approuvées. Elles ont, en effet, le mérite de rappeler et de préciser le régime applicable au contrat de travail à durée déterminée.

1. Office du juge et rupture du contrat de travail à durée déterminée pour faute grave de l'employeur

  • Admission limitative des hypothèses de rupture du contrat de travail à durée déterminée

La rupture d'un contrat de travail à durée déterminée ne peut intervenir que dans les cas expressément et limitativement énumérés par la loi. Toute rupture anticipée pour une autre cause serait irrémédiablement injustifiée.

L'article L. 122-3-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5457AC4) dispose, à cet effet, que le contrat de travail à durée déterminée ne peut cesser de manière anticipée que d'un commun accord des parties, pour faute grave, force majeure ou si le salarié justifie d'un contrat de travail à durée indéterminée.

La faute grave constitue l'une des causes légales de rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée. Elle peut être le fait du salarié mais, également, de l'employeur. Cette faute permet au salarié de rompre unilatéralement le contrat de travail à durée déterminée avant l'échéance du terme. Il n'existe pas de définition légale de la faute grave de l'employeur, c'est la jurisprudence qui a dégagé les contours de cette notion.

  • Encadrement de la rupture du contrat de travail à durée déterminée pour faute grave

Selon la jurisprudence, la faute grave de l'employeur est caractérisée par le fait que celui-ci n'a pas respecté ses obligations (Cass. soc., 8 juin 1988, n° 85-46.502, SA Carepa c./ Melle Sacconi, inédit N° Lexbase : A7019CPN). On ne peut que souligner, une nouvelle fois, le caractère particulièrement large et flou de cette définition. Ce sont donc les juges qui, au cas par cas, déterminent si, dans l'espèce qui leur est soumise, il y a manquement de l'employeur à ses obligations.

Il a, ainsi, été jugé qu'était constitutif d'une faute grave le fait pour l'employeur de ne pas avoir payé les salaires depuis deux mois, de ne pas avoir versé l'indemnité de congés payés (Cass. soc., 8 octobre 1996, n° 93-43.756 N° Lexbase : A2624AGB) ou, encore, ne pas fournir de travail au salarié (Cass. soc., 14 janvier 2004, n° 01-40.489, F-P N° Lexbase : A7762DAQ).

La faute grave de l'employeur était la question que devaient traiter les juges dans la première décision commentée.

  • Espèce

Dans l'espèce commentée, un salarié avait rompu de manière anticipée son contrat de travail à durée déterminée, en se fondant sur la faute grave de l'employeur, ce que les juges du second degré avaient refusé de retenir, relevant corrélativement le caractère injustifié de la rupture.

Comme vient le rappeler la Cour de cassation, lorsque le salarié rompt de manière anticipée son contrat de travail à durée déterminée pour manquements de l'employeur, il incombe aux juges de vérifier si les faits sont, ou non, constitutifs d'une faute grave.

Or, si l'employeur avait effectivement écarté le salarié des sélections et entraînements, c'est en raison de la démotivation de ce dernier et de sa volonté exprimée d'aller jouer dans d'autres clubs ; la rupture était donc injustifiée.

Cette décision confirme que le degré de la faute commise par l'employeur peut se trouver diminué par les agissements du salarié. Ici, la "mise à l'écart du salarié" n'était pas le fait de l'employeur uniquement, mais était la conséquence de l'attitude du salarié. Il n'y avait pas mise à l'écart purement arbitraire, mais mise à l'écart raisonnée du salarié. Ce dernier ne pouvait donc pas rompre son contrat et voir cette rupture considérée comme justifiée.

Cette solution n'est que la confirmation de solutions anciennes et elle s'inscrit dans la droite ligne des décisions rendues en matière de faute grave ; plus novatrice est celle rendue en matière de contrat de travail à durée déterminée d'usage.

2. Office du juge et contrat de travail à durée déterminée d'usage successif

Ces deux décisions (pourvois n° 06-44.197 et n° 06-43.040) viennent tout à la fois compléter et renforcer le contrôle du juge en matière de contrat de travail à durée déterminée d'usage.

  • Rappel

Le contrat de travail à durée déterminée d'usage est un type de contrat de travail à durée déterminée expressément visé et donc expressément admis par le législateur.

Ce type de contrat de travail à durée déterminée est prévu par l'article L. 122-1-1, 3° du Code du travail. Cette disposition vise, en effet, à côté du contrat de travail saisonnier, le contrat de travail pour lequel, dans "certains secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois".

  • Conditions

Plusieurs conditions doivent être cumulativement réunies pour qu'un contrat de travail à durée déterminée d'usage puisse être conclu.

Il faut, en premier lieu, que le contrat soit conclu dans un secteur d'activité dans lequel il existe un usage (constant et ancien) de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée. Ces secteurs sont déterminés par décrets (C. trav., art. D. 121-2) ou par convention collective étendue. Seules les entreprises relevant de ces secteurs d'activités peuvent utiliser cette cause de recours au contrat de travail à durée déterminée. Mais, même dans ces secteurs, tous les emplois ne peuvent être pourvus par contrats de travail à durée déterminée.

Il doit, en second lieu, être d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée pour l'emploi concerné en raison du caractère par nature temporaire de l'emploi à pourvoir.

Dans ce cadre, il appartient au juge de rechercher si, pour l'emploi élu au contrat de travail à durée déterminée, en l'absence de convention collective prévoyant le recours au contrat de travail à durée indéterminée, il est, dans le secteur d'activité, d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée (Cass. soc., 26 novembre 2003, n° 01-44.263, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A2401DA8 ; lire les obs. de Gilles Auzero, Demande de requalification de contrats à durée déterminée d'usage : précisions quant à l'office du juge, Lexbase Hebdo n° 97 du 3 décembre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9618AAH).

Le régime particulier applicable à ce type de contrat de travail à durée déterminée ne s'arrête pas là. Par dérogation au droit commun applicable au contrat de travail à durée déterminée, plusieurs contrats de travail à durée déterminée d'usage peuvent être conclus successivement avec le même salarié (C. trav., art. L. 122-3-19, alinéa 2 N° Lexbase : L2919AWZ).

Traditionnellement, dans ce cas, le seul fait que l'emploi soit par usage temporaire suffisait à légitimer la succession de contrats de travail à durée déterminée d'usage.

La Haute juridiction voit, désormais, les choses d'une manière différente. Après avoir rappelé les conditions traditionnelles et cumulatives entourant le recours au contrat de travail à durée déterminée, elle vient, ici, souligner qu'en application de la Directive 1999/70/CE, le juge doit rechercher, en présence de contrats de travail à durée déterminée d'usage successifs, si cette succession est justifiée par des raisons objectives. Elle précise, en outre, que, par raisons objectives, il faut entendre l'existence d'éléments concrets établissant le caractère, par nature, temporaire de l'emploi.

Cette précision semble recouper la seconde condition de recours au CDD d'usage mais, en réalité, elle vient la compléter, en ajoutant une nouvelle condition au recours au CDD d'usage, lorsque le recours a lieu à plusieurs reprises avec le même salarié : il faut que l'emploi reste un emploi temporaire même si la relation s'inscrit dans la durée. Cette condition nouvelle doit être approuvée même si l'on peut regretter le flou "volontairement" laissé par la Haute juridiction autour des "notions objectives".

Le recours, déjà atypique, à ce type de contrat risque de se révéler encore plus difficile eu égard à ce nouveau contrôle imposé aux juges.... ceci annonce-t-il la volonté de mettre un terme au contrat de travail à durée déterminée d'usage ?

Décisions

Cass. soc., 23 janvier 2008, n° 05-41.070, M. Mazzoncini c./ Société SAOS Sporting Club de Bastia, FS-P+B (N° Lexbase : A0889D4P)

Rejet de CA Bastia, 14 décembre 2004

Mots clefs : Contrat de travail à durée déterminée, rupture anticipée, faute grave de l'employeur, contrôle par le juge de l'existence de la faute grave, absence de faute grave, caractère injustifié de la rupture du contrat de travail par le salarié.

Lien base :

Cass. soc., 23 janvier 2008, n° 06-44.197, CFAI de l'Association pour la formation et la promotion de la métallurgie (AFPM), FP-P+B (N° Lexbase : A1016D4E)

Rejet de CA Lyon, 5ème ch., 31 mai 2006, n° 04/07847, M. José-Luiz Lopez c/ CFAI DE L'AFPM (N° Lexbase : A7501DTY)

Cass. soc., 23 janvier 2008, n° 06-43.040, Mme Caroli c/ Société Sam monégasque des ondes, FP-P+B+R (N° Lexbase : A0999D4R)

Cassation de CA Aix-en-Provence, 17ème ch., 13 mars 2006

Mots clefs : Contrat de travail à durée déterminée, contrat de travail d'usage, conditions, contrats d'usage successifs, contrôle du juge, contrôle de l'existence d'éléments objectifs permettant d'établir le caractère par nature temporaire de l'emploi, recherche par le juge d'éléments concrets et précis.

Lien base :

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