La lettre juridique n°291 du 7 février 2008 : Responsabilité

[Jurisprudence] Responsabilité d'une association éducative au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil

Réf. : Cass. crim., 8 janvier 2008, n° 07-81.725, Association du Foyer Beyrus, F-P+F (N° Lexbase : A1082D4T)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

L'importance du contentieux intéressant la responsabilité du fait d'autrui ne se dément pas et explique que, depuis quelques années déjà, cette matière fait l'objet de toutes les attentions de la doctrine. A supposer même, en effet, que l'on s'en tienne, ici, à la seule responsabilité délictuelle et qu'on laisse de côté les discussions relatives à la responsabilité que le débiteur encourt, sur le terrain contractuel, par le fait d'un tiers qui aurait participé à l'inexécution dans la mesure où, à nos yeux en tout cas, ce n'est pas à proprement parler une responsabilité du fait d'autrui qui est alors mise en cause mais, fondamentalement, la responsabilité personnelle du débiteur (1), les interrogations demeurent particulièrement vives. Il faut dire que, sous l'impulsion de la jurisprudence, les solutions du droit positif ont été, à une époque relativement récente, profondément modifiées. Ainsi, près de quinze ans pourtant après l'admission, par l'arrêt "Blieck" de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation du 29 mars 1991, en dehors des cas spéciaux du Code civil, d'une responsabilité du fait d'autrui sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS) (2), de nombreuses questions continuent de se poser auxquelles la jurisprudence s'efforce, tant bien que mal et au fur et à mesure, de répondre. En dehors d'ailleurs de savoir s'il existe véritablement, à l'instar du principe général de responsabilité du fait des choses (3), un principe général de responsabilité du fait d'autrui (4), c'est surtout la détermination du régime de cette responsabilité qui demeure quelque peu incertaine. Les précisions apportées à la mise en oeuvre de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, sont ainsi toujours utiles, ce qui justifie de prêter attention à un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 8 janvier dernier. En l'espèce, un mineur avait été placé par mesure d'assistance éducative dans un établissement géré par une association, l'ordonnance du juge des enfants prévoyant un droit de visite et d'hébergement au profit de la mère. L'enfant ayant violé sa soeur au cours d'un séjour chez sa mère à l'occasion de fêtes de Noël, il a été condamné par une cour d'assises. Au plan civil, la cour d'appel de Pau a décidé que l'association serait tenue, in solidum, de payer des dommages et intérêts à la victime, aux motifs que cet organisme avait pour mission de contrôler et d'organiser à titre permanent le mode de vie du mineur et que le retour de celui-ci dans sa famille ne résultait ni d'une décision judiciaire, ni même d'un accord transférant la garde à sa famille.

La Cour de cassation rejette le pourvoi et approuve les juges du fond d'avoir statué ainsi, affirmant, dans un attendu de principe, "qu'en effet, une association, chargée par décision du juge des enfants d'organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d'un mineur, demeure, en application de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, responsable de plein droit du fait dommageable commis par ce mineur, même lorsque celui-ci est hébergé par ses parents, dès lors qu'aucune décision judiciaire n'a suspendu ou interrompu cette mission éducative".

Au plan des principes, l'arrêt confirme d'abord, bien entendu, l'existence d'une responsabilité du fait d'autrui sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil. La question est suffisamment connue pour qu'il soit inutile d'y insister davantage. Nul n'ignore plus, en effet, que, à la suite de l'arrêt "Blieck" ayant déclaré civilement responsable des dommages causés par un handicapé mental une association ayant accepté la charge d'organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie de cet handicapé (5), la Cour de cassation a non seulement jugé que les associations auxquelles sont confiés par le juge des enfants des mineurs en danger par application de l'article 375 du Code civil (N° Lexbase : L8338HWQ) sont responsables des dommages causés par ceux-ci (6), mais aussi, donnant un élan certain à l'admission d'une responsabilité du fait d'autrui sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, considéré que les associations sportives ayant pour mission d'organiser, de diriger et de contrôler l'activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent sont responsables, au sens de ce texte, des dommages qu'ils causent à cette occasion (7). Et l'on sait que la Cour a même encore amplifié ce mouvement en décidant, pour retenir la responsabilité d'une association de majorettes pour le dommage causé par l'un de ses membres au cours d'une manifestation qu'elle avait organisée, qu'il n'y a pas lieu, pour mettre en oeuvre l'article 1384, alinéa 1er, de tenir compte de la dangerosité potentielle de l'activité exercée (8).

On ajoutera, ensuite, que la responsabilité du fait d'autrui au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, parait supposer, bien que l'arrêt de la Chambre criminelle n'y insiste pas, qu'une faute puisse être imputée à l'auteur du dommage. La jurisprudence entend même subordonner la mise en oeuvre de la responsabilité des associations sportives du fait de leurs joueurs en application de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil à l'existence d'une faute caractérisée de l'un d'entre eux (9), l'exigence d'une faute qualifiée, autrement dit non pas seulement d'une faute "de" jeu mais bien d'une faute "contre" le jeu, s'expliquant ici non pas tellement, comme on le prétend parfois, par la théorie de l'acceptation des risques (10), dont on a justement fait observer qu'elle paraissait "plus verbale que technique" (11), mais, plus vraisemblablement, par les nécessitées de l'activité sportive qui risquerait de se trouver paralyser par une application pure et simple du droit commun. Une faute parait, en tout cas, nécessaire, et l'on peut penser que si la Chambre criminelle n'en fait pas explicitement mention en l'espèce, c'est bien parce que la faute ne faisait absolument aucun doute et que le principe même de la faute n'était pas discuté.

L'arrêt présente, enfin, l'intérêt de confirmer l'approche purement objective de la "garde" d'autrui -autrement dit du pouvoir exercé sur autrui et de la mission assumée envers autrui- qui justifie la responsabilité. En jugeant en effet que l'association, qui avait accepté la mission de contrôler et d'organiser à titre permanent le mode de vie du mineur, demeure, en dépit du fait qu'au moment du dommage, l'enfant était hébergé chez sa mère, responsable de plein droit au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, la Chambre criminelle répète une solution aujourd'hui acquise : la responsabilité subsiste "dès lors qu'aucune décision judiciaire n'a suspendu ou interrompu cette mission éducative" (12). La "garde" est ainsi une garde non pas matérielle, comme en matière de responsabilité du fait des choses où ce qui importe, c'est de savoir qui, au moment du dommage, exerçait un pouvoir de fait sur la chose (usage, contrôle et direction), mais juridique, de droit. Sans doute la question est-elle aujourd'hui parfaitement entendue. L'arrêt a, au moins, le mérite de le rappeler.


(1) Comp. G. Durry, Rapport de synthèse, in La responsabilité du fait d'autrui, Actualité et évolutions, Resp. civ. et assur. 2000, n° 11 bis, p. 63.
(2) Ass. plén., 29 mars 1991, n° 89-15.231, Consorts Blieck (N° Lexbase : A0285AB8), Bull. civ. n°1 ; JCP éd. G, 1991, II, 21673, concl. D.-H. Dontenwille, note J. Ghestin ; D. 1991, p. 324, note Ch. Larroumet ; RTDCiv. 1991, p. 541, obs. P. Jourdain ; Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz, 11ème éd. par F. Terré et Y. Lequette, n° 218.
(3) Sur cette question, voir déjà R. Savatier, La responsabilité générale du fait des choses que l'on a sous sa garde a-t-elle pour pendant une responsabilité générale des personnes dont on doit répondre ?, D.H. 1933, chron. p. 81.
(4) Voir not. P. Jourdain, Existe-t-il un principe général de responsabilité du fait d'autrui ?, in La responsabilité du fait d'autrui, Actualité et évolutions, préc. p. 5 et s..
(5) Ass. plén., 29 mars 1991, préc..
(6) Cass. crim., 10 octobre 1996, n° 95-84.186 (N° Lexbase : A0906ACK), JCP éd. G, 1997, II, 22833, note F. Chabas ; Cass. crim., 26 mars 1997, n° 95-83.956 (N° Lexbase : A0528CKR), Bull. crim. n° 124 ; JCP éd. G, 1997, II, 22868, note F. Desportes ; Les grands arrêts de la jurisprudence civile, op. cit., n° 219 ; Cass. civ. 2, 9 décembre 1999, n° 97-22.268, Association Montjoie et autre c/ Groupe des assurances nationales (GAN) et autre (N° Lexbase : A5342AWR), Bull. civ. II, n° 189 ; Cass. civ. 2, 20 janvier 2000, n° 98-17.005, Mlle X c/ Mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF) et autre (N° Lexbase : A5508AWW), Bull. civ. II, n° 15 ; Cass. civ. 2, 6 juin 2002, n° 00-12.014, Association de la sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence c/ Mme Elodie Dominguez, épouse Deberge, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8500AYH), Bull. civ. II, n° 120, D. 2002, p. 2750, note Huyette ; Cass. civ. 2, 7 mai 2003, n° 01-15.607, Fabien Sdao c/ Association Foyer Matter, FS-P+B (N° Lexbase : A8259BSP), Bull. civ. II, n° 129 ; Cass. civ. 2, 7 octobre 2004, n° 03-16.078, Société Azur assurances c/ Mme Christiane Rivoallan, épouse Sallafranque, FS-P+B (N° Lexbase : A5763DDS), Bull. civ. II, n° 453.
(7) Cass. civ. 2, 22 mai 1995, deux arrêts, n° 92-21.197, Union des assurances de Paris (UAP) et autre c/ M. Rendeygues et autre (N° Lexbase : A7402ABR) et n° 92-21.871, Union sportive du personnel électricité gaz de Marseille c/ Fédération française de rugby et autres (N° Lexbase : A5655CIB), Bull. civ. II, n° 155, JCP éd. G, 1995, II, 22550, note J. Mouly, RTDCiv. 1995, p. 899, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 2, 3 février 2000, n° 98-11.438, Association Amicale sportive et culturelle d'Aureilhan c/ M. Dubarry et autre (N° Lexbase : A5426AWU), Bull. civ. II, n° 26, JCP éd. G, 2000, II, 10316, note J. Mouly.
(8) Cass. civ. 2, 12 décembre 2002, n° 00-13.553, Société Axa assurances IARD c/ Mlle Nathalie Yvon, FS-P+B (N° Lexbase : A4005A44), Bull. civ. II, n° 289 ; JCP éd. G, 2003, I, 154, n°49, obs. G. Viney ; RTDCiv. 2003, p. 305, obs. P. Jourdain ; Comp., sur la responsabilité d'une association de scouts, CA Paris, 9 juin 2000, Resp. civ. et assur. 2001, comm. 74, obs. L. Grynbaum.
(9) Cass. civ. 2, 20 novembre 2003, n° 02-13.653, M. Jean-Philippe Le Grouiec c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2103DA7), Bull. civ. II, n° 356 ; JCP éd. G, 2004, II, 10017, note J. Mouly ; RTDCiv. 2004, p. 106, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 2, 13 mai 2004, n° 03-10.222, Comité régional de rugby du Périgord d'Agenais c/ M. Frédéric Marcos, FS-P+B (N° Lexbase : A2031DC9), Bull. civ. II, n° 232 ; Cass. civ. 2, 21 octobre 2004, n° 03-17.910, précité ; adde Ch. Radé, La résurgence de la faute dans la responsabilité civile du fait d'autrui, Resp. civ. et assur. 2004, chron. 15.
(10) Sur laquelle voir not. F. Millet, L'acceptation des risques réhabilitée ? Une application aux responsabilités du fait d'autrui, D. 2005, chron. p. 2830 et s., spéc. p. 2833.
(11) G. Durry, L'adéquation des notions classiques du droit de la responsabilité au fait sportif, in Les problèmes juridiques du sport, Economica, 1984, p. 19 et s., spéc. p. 27.
(12) Voir déjà, en ce sens, Cass. civ. 2, 6 juin 2002, préc. ; Cass. civ. 2, 7 mai 2003, préc. ; Cass. civ. 2, 7 octobre 2004, préc..

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