La lettre juridique n°291 du 7 février 2008 : Famille et personnes

[Jurisprudence] Adoption par une personne célibataire homosexuelle : la sévérité de la Cour européenne des droits de l'Homme à l'égard de la France

Réf. : CEDH, 22 janvier 2008, req. n° 43546/02, E. B. c/ France (N° Lexbase : A8864D3P)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Opérant un revirement de jurisprudence, la Cour européenne des droits de l'Homme condamne, dans l'arrêt "E. B. c/ France" du 22 janvier 2007, le refus d'agrément fondé sur l'orientation sexuelle d'un candidat à l'adoption, dans une affaire dans laquelle le caractère déterminant du motif fondé sur l'homosexualité paraissait discutable... I - La condamnation de principe de la différence de traitement fondée sur l'orientation sexuelle du candidat à l'adoption
  • Requête

A la suite du refus opposé à sa demande d'agrément en vue de l'adoption d'un enfant dont elle prétendait qu'il était lié à son homosexualité, Mademoiselle B. a saisi la Cour européenne des droits de l'Homme d'une requête fondée sur les articles 14 (N° Lexbase : L4747AQU) et 8 (N° Lexbase : L4798AQR) de la Convention, après avoir, comme il se doit, épuisé les voies de recours internes (1). La démarche semblait avoir peu de chances de succès au regard de la position très indulgente que la Cour européenne des droits de l'Homme avait, peu de temps auparavant, adoptée à l'égard de la France sur cette question.

  • L'arrêt "Fretté c/ France"

Dans l'arrêt "Fretté c/ France" du 26 février 2002 (2) qui concernait des faits similaires, la CEDH avait, en effet, considéré que le refus d'agrément d'un demandeur homosexuel poursuivait un but légitime : la protection de la santé et des droits des enfants susceptibles d'être concernés par une procédure d'adoption. En se fondant sur l'absence de consensus dans les Etats européens à propos de l'adoption par une personne homosexuelle, elle avait affirmé que les Etats devaient bénéficier en la matière d'une large marge d'appréciation et que l'Etat français pouvait légitimement considérer que l'intérêt des enfants susceptibles d'être adoptés justifiait le refus d'agrément sollicité par une personne homosexuelle.

  • Revirement de jurisprudence

Six ans plus tard, la Cour modifie du tout au tout la solution posée dans l'arrêt "Fretté" en affirmant dans l'arrêt "E. B." que "les autorités internes ont, pour rejeter la demande d'agrément en vue d'adopter présentée par la requérante, opéré une distinction dictée par des considérations tenant à son orientation sexuelle, distinction qu'on ne saurait tolérer selon la Convention".

Dès lors que la loi française permet l'adoption par une personne célibataire, l'accès à l'adoption ne peut être limité en raison de l'orientation sexuelle du demandeur. Les autorités françaises ne font pas état, selon la Cour, "d'arguments particulièrement graves et convaincants" pour justifier la différence de traitement à laquelle elles procèdent selon que le candidat à l'adoption est hétérosexuel ou homosexuel. Autrement dit, les justifications qui paraissaient suffisantes à la Cour en 2002 ne le sont plus en 2008, alors que, selon ses propres termes, "il n'y a [toujours] pas de consensus européen en la matière".

  • Absence de discrimination dans les droits parentaux

La Cour européenne suit, à propos de l'adoption d'un enfant par une personne homosexuelle, le même raisonnement qu'elle a adopté dans l'arrêt "Salgeiro da silva Mouta c/ Portugal" du 21 décembre 1999 (3), à propos des modalités d'exercice de l'autorité parentale par un parent homosexuel. Celles-ci ne doivent pas être déterminées en fonction de l'orientation sexuelle du parent. La même solution a été posée par la Cour à propos de l'orientation religieuse d'un parent dans l'arrêt "Hoffman c/ Autriche" du 23 juin 1993 (4). En elle-même, l'orientation sexuelle (ou religieuse) d'un parent ou d'une personne souhaitant être parent, ne doit pas être un élément décisif pour déterminer ses droits dans le cadre d'une vie familiale établie ou d'un projet de vie familiale. Encore faut-il, cependant, que l'homosexualité de la requérante soit véritablement le motif déterminant de la décision, ce qui paraissait quelque peu discutable dans l'affaire "E. B.".

II - Le caractère déterminant du motif fondé sur l'homosexualité du candidat à l'adoption

  • Caractère déterminant du motif tiré de l'homosexualité

A la lecture de l'arrêt "E. B.", on ne peut se départir de l'impression -quelque peu désagréable- que la Cour européenne voulait faire un exemple ...

S'il faut se féliciter de cette nouvelle condamnation d'une discrimination dont étaient victimes les personnes homosexuelles, on peut sérieusement s'interroger sur le fait de savoir si, en l'espèce, Mademoiselle B. devait véritablement être rangée dans cette catégorie. Alors que dans l'arrêt "Fretté", le caractère déterminant du motif tiré de l'homosexualité du requérant était indiscutable, il n'en allait pas vraiment de même à propos du refus d'agrément opposé à Mademoiselle B..

  • L'absence de référent masculin

Le premier motif de refus de l'agrément était fondé sur l'absence de référant paternel dans l'entourage de la requérante ; il pouvait, selon la Cour européenne, servir de prétexte pour écarter la demande en raison de l'homosexualité de la requérante. Le raisonnement paraît un peu court. On peut certes considérer qu'un tel argument est un peu contradictoire au regard de la possibilité donnée aux personnes célibataires d'adopter un enfant, mais cette critique semble valable quelle que soit l'orientation sexuelle du candidat à l'adoption.

  • L'attitude de la compagne de la requérante

Quant au second motif de refus de l'agrément, tiré du défaut d'investissement de la compagne de la requérante dans le projet d'adoption, la Cour, elle-même, reconnaît qu'il était étranger à toute considération sur l'orientation sexuelle de l'intéressée. Il était, en effet, tout à fait légitime et conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant, que les autorités françaises prennent en compte l'attitude d'une personne qui, de fait, va participer à l'accueil de l'enfant adopté. Il en résulte que l'un -au moins- des deux motifs principaux fondant le rejet de l'agrément était à l'abri de toute critique. On aurait pu penser qu'il "sauverait" la décision française. Il n'en est rien, puisque la Cour européenne des droits de l'Homme, au prix d'un raisonnement pour le moins renversant, considère, au contraire, que "le caractère illégitime de l'un des motifs a pour effet de contaminer l'ensemble de la décision". Estampillé comme déterminé par l'homosexualité de la requérante, le refus d'agrément pouvait difficilement échapper à la condamnation d'une Cour bien décidée à ne pas laisser échapper l'occasion de procéder à un revirement de jurisprudence et d'affirmer le principe selon lequel les Etats ne peuvent traiter différemment les candidats à l'adoption selon leur orientation sexuelle...


(1) Le Conseil avait confirmé le refus dans un arrêt du 5 juin 2002 : CE 1° et 2° s-s-r., 5 juin 2002, n° 230533, Mlle Berthet (N° Lexbase : A8690AYI), AJDA, 2002, p. 615, concl. P. Frombert ; D fam. 2003, comm. n° 19, obs. P. Murat.
(2) CEDH, 26 février 2002, req. n° 36515/97, Fretté c/ France (N° Lexbase : A0562AYH), A. Gouttenoire-Cornut et F. Sudre, JCP éd. G, 2002, II, 10074 ; J.-P. Marguénaud, RTDciv., 2002, p. 389 ; A. Debet, Dr. fam., 2002 , chron. n° 19.
(3) CEDH, 21 décembre 1999, req. n° 33290/96, Salgueiro da Silva Mouta c/ Portugal (N° Lexbase : A7386AWH), Dr. fam., 2000, comm. n° 145, obs. A. Gouttenoire.
(4) CEDH, 23 juin 1993, req. n° 15/1992/360/434, Hoffmann c/ Autriche (N° Lexbase : A6566AW4), F. Sudre, J.-P. Margénaud, J. Andriantsimbazovina, A. Gouttenoire, M. Levinet, Les grands arrêts de la jurisprudence européenne des droits de l'Homme, PUF, coll. Thémis, 3ème éd. 2007, comm. n° 50 ; dans le même sens, CEDH, 16 décembre 2003, req. n° 64927/01, Palau-Martinez c/ France (N° Lexbase : A5611DA3), JCP éd. G, 2004, II, 10122, note A. Gouttenoire.

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