La lettre juridique n°291 du 7 février 2008 : Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences

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[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3209780-chronique-chronique-en-droit-des-assurances-dirigee-par-b-veronique-nicolas-b-professeur-avec-b-seba
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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur de droit privé, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au sommaire de cette chronique, seront abordés l'extension de l'obligation de mise en garde en dehors des seules assurances de personnes, le rôle de l'organe de contrôle de la profession d'assurances et le fait générateur de la créance de l'assureur liée au recouvrement de la franchise contractuelle auprès de son assuré soumis à une procédure collective.
  • Vers une extension inexorable de l'obligation de mise en garde en dehors des seules assurances de personnes : Cass. civ. 1, 19 septembre 2007, n° 05-17.536, M. Roland Weppe, FS-P+B (N° Lexbase : A4163DYT)

Lors de la rédaction de la loi fondatrice et fondamentale du 13 juillet 1930 sur le contrat d'assurance, une place non négligeable fut réservée à l'assurance en cas d'incendie. Huit articles y étaient consacrés, alors que seulement quatre traitaient des assurances de responsabilité. Au-delà de l'évolution de cette dernière dans les proportions que chacun sait, la modernisation des techniques et des bâtiments a été telle que les hypothèses d'incendie se sont raréfiées. Les pourcentages, dans cette branche des assurances, sont parmi les plus faibles qui soient, et l'on ne peut que s'en féliciter. Certes, quelques sinistres spectaculaires, ces toutes dernières années, notamment à Paris, ont démontré que ce risque n'avait pas tout à fait disparu. Pour autant, sur le plan de la théorie juridique, on pouvait penser que plus aucune nouveauté n'était à attendre dans ce secteur.

Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 19 septembre 2007, vient de démentir cette appréciation éventuelle. Assez curieusement, il est passé inaperçu. Pourtant, en cette année 2007, qui fut sans doute celle de la consécration de l'obligation d'information à la charge de l'assureur ou de ses représentants au bénéfice de l'assuré, cette décision aurait pu davantage attirer l'attention. Non pas que les faits aient été originaux. Un incendie était survenu dans un immeuble. Bien que la démarche ne soit pas si fréquente, le propriétaire, M. X, avait confié à une société d'expertise en assurance une mission d'assistance en vue d'évaluer les dommages subis à l'issue du sinistre. Il n'avait sans doute pas une confiance absolue dans le travail de l'expert de son assureur. Quoiqu'il en soit, l'assureur verse à la fois une indemnité au propriétaire et fait démolir l'immeuble endommagé.

Or, peu après, la propriétaire de l'immeuble contigu, Madame Y, estimant être, elle-même, victime d'un préjudice résultant de l'incendie et de la décision de démolition de l'immeuble de M. X, assigne ce dernier en responsabilité et indemnisation. M. X appelle alors en garantie son expert en assurance auquel il reproche un manquement à son obligation de conseil. Pour comprendre la raison de ce grief, il faut savoir que les dommages, dont souffraient Madame Y, n'entraient pas dans le champ d'application du contrat d'assurance de M. X. Celui-ci ne pouvait donc plus espérer voir ce préjudice pris en charge par son assureur. Ce qu'il voulait faire admettre, c'était donc que le silence de son expert, sur ces conséquences de l'incendie, avait changé son attitude vis-à-vis de son propre assureur. En effet, ce dernier avait offert une option à son assuré, M. X. Ou bien, il obtenait le versement immédiat de l'indemnité d'assurance, mais elle était alors minorée en cas de démolition de l'immeuble ; ou bien, l'indemnité versée était calculée en valeur à neuf en cas de reconstruction de l'immeuble. En choisissant la première branche de l'alternative, à défaut de plus amples éléments d'information fournis par l'expert qu'il avait sollicité, M. X considérait qu'il avait fait le mauvais choix.

La décision des premiers juges reste inconnue. La cour d'appel de Douai considère qu'il n'entrait pas dans la mission du cabinet d'expertise, sollicité par M. X, d'évaluer les dommages subis par l'immeuble voisin qui n'étaient pas garantis par le contrat d'assurance et qu'aucun manquement à l'obligation d'information de l'expert ne pouvait être relevée. Autrement dit, les magistrats admettaient volontiers que l'expert était tenu d'une obligation d'information contractuelle ; toutefois ils limitaient celle-là non pas aux termes du contrat d'assistance, de conseil conclu entre l'entreprise et M. X, mais aux dispositions contractuelles issues du contrat d'assurance passé entre l'assureur et M. X. Présentée ainsi, la solution ne faisait plus trop de doutes. La Cour de cassation ne s'y est pas trompée. Elle a décidé que la société d'expertise devait fournir à son mandant "tous les renseignements lui permettant d'exercer, en toute connaissance de cause, l'option offerte par le contrat d'assurance".

Le raisonnement de la Cour de cassation ne peut qu'être approuvé. Il convenait de ne pas confondre les deux contrats conclus par M. X. Tous deux étaient parfaitement distincts ; ils avaient un contenu différent. Surtout, il n'est pas habituel qu'un assuré fasse appel à une société d'expertise. Et lorsqu'il le fait, c'est, à l'évidence, pour recueillir des précisions plus pointues que celles qu'il redoute de recevoir, sommaires, de la part de son assureur. D'ailleurs, la société d'expertise n'arguait pas d'une restriction ou limitation quelconque de ses attributions qui aurait été insérée dans ce contrat d'assistance technique. La mission avait été conçue dans un sens large. C'est donc juridiquement, à juste titre, que la Cour de cassation fondait sa cassation sur l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), et non pas sur un texte quelconque du Code des assurances.

Au-delà de cet aspect de la décision, ce qui appelle une réaction c'est la dernière partie de phrase que la Cour de cassation a jugé bon d'ajouter, alors que rien ne l'y obligeait. Elle précise que la société chargée de l'expertise devait "mettre en garde" son mandant sur les conséquences de son choix. En d'autres termes, l'expert devait assurer une mission technique d'évaluation du dommage, mais celle-ci supposait, également, l'examen du contrat d'assurance, de ses options et de ses limites. L'expression de mise en garde, quelques mois après l'arrêt d'Assemblée Plénière de la Cour de cassation en date du 2 mars 2007 (1), ne laisse pas indifférent. La formule n'est ni accidentelle, ni innocente. Elle signifie, semble-t-il, que la Cour suprême n'entend pas l'utiliser uniquement dans le cadre strict des assurances de groupe conclues avec des organismes financiers. Du domaine des assurances de personnes, on est donc passé aux assurances de dommages ce qui n'est pas rien. Car, si, depuis les années 1980, la jurisprudence a fait preuve de sévérité croissante dans le cadre des assurances vie, aucune répercussion particulière n'avait jusqu'alors été relevée en assurances de dommages.

Plus encore, il est permis de s'interroger pour savoir si cet arrêt ne constitue pas le prélude de la transposition de la jurisprudence appliquée en droit des assurances à celle devant, désormais, être adoptée dans d'autres secteurs du droit, dans d'autres contrats spéciaux. Les illustrations possibles ne manqueraient pas. Et l'occasion serait, ainsi, donnée de démontrer la force créatrice de l'assurance et son influence sur le droit commun des contrats. A l'heure où, tout au moins, son autonomie ne cesse d'être affirmée, un tel rôle (2), même ponctuel, ne serait pas étonnant (3). A suivre....

Véronique Nicolas
Professeur de droit privé
Membre de l'IRDP de la Faculté de droit de Nantes

  • Pas de changement sous la férule de l'organe de contrôle de la profession d'assurance : CE Contentieux, 30 novembre 2007, n° 293952, M. Michel T. et autres (N° Lexbase : A9662DZU)

De tous temps, les entreprises d'assurance ont été l'objet d'un contrôle étatique strict en matière financière (4). Au XVIIIème siècle encore, une autorisation devait être sollicitée du Roi pour créer une société d'assurance et une somme d'argent très importante était versée à la ville de Paris, sorte de garantie envers les divers assurés (5). Les mutuelles, lorsqu'elles furent créées, n'échappèrent pas non plus à la règle. Néanmoins, celles-ci bénéficièrent d'un statut et d'une réglementation propres. Or, au cours de ces dernières années avec l'instauration du droit européen, l'existence de deux régimes distincts régissant les entreprises d'assurance et les mutuelles pouvait être source, notamment, d'atteintes au droit de la concurrence. La décision fut donc prise -pour s'en tenir au contrôle- d'adopter une réglementation commune ou tout au moins un rapprochement le plus intense possible en matière de contrôle de ces diverses entreprises d'assurance au sens large de cette dernière expression.

Comme chacun le sait, l'ordonnance n° 2001-350 du 19 avril 2001, tendant à la fusion des secteurs de l'assurance, de la mutualité et de la prévoyance (N° Lexbase : L2232ASH) avait posé les premières pierres de l'édifice, s'attachant, toutefois, en priorité aux contrats d'assurance eux-mêmes. La loi n° 2003-706 du 1er août 2003, dite de sécurité financière (N° Lexbase : L3556BLB) (6), a poursuivi l'oeuvre entreprise en se préoccupant plus du contrôle des entreprises d'assurance. C'est ainsi qu'elle a opéré la fusion de la Commission de contrôle des assurances (CCA) et de la Commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance (CCMIP). De celle-ci est née la CCAMIP ou Commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance. Sa création effective a été réalisée en juillet 2004 (7). Mais la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005 a simplifié sa dénomination au profit du sigle de l'ACAM, Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (loi n° 2005-1564, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'assurance N° Lexbase : L5277HDS).

Pour mémoire, il n'est peut-être pas inutile de rappeler que l'ACAM comprend deux organes : le collège, qui est l'organe de décision, et les services du secrétariat général, qui constituent l'organe de contrôle matériel et effectif. Composé de neuf membres désignés pour 5 ans, renouvelables une fois, le collège est présidé par un inspecteur général des finances, nommé par décret du Président de la République. Ce collège est composé d'un membre de droit, le Gouverneur de la Banque de France, président de la Commission bancaire et de Hauts magistrats, une vice-présidente, conseiller maître à la Cour des comptes, un conseiller d'Etat, un conseiller honoraire à la Cour de cassation. Les autres membres sont sollicités eu égard à leurs compétences et connaissances. Sinon, l'ACAM est composée de divers services qui sont encadrés par un secrétariat général placé sous l'ancienne directrice de la CCA, Florence Lutsman.

Mais l'important consiste dans les pouvoirs de l'ACAM, qui sont vastes. Son champ d'intervention s'étend à toutes les entreprises relevant du Code des assurances, comme du Code de la mutualité et du Code de la Sécurité sociale. En outre, pour assurer à cette haute institution l'autonomie et l'autorité indispensables, elle a été dotée du statut d'autorité publique indépendante. Ses missions consistent à veiller au respect de l'ensemble de la réglementation, comme notamment les règles prudentielles et de bonne gouvernance applicables aux entreprises d'assurance, aux mutuelles et même aux intermédiaires d'assurance, qui ont été édictées par le législateur afin de protéger les assurés contre les risques de leur défaillance financière. Mais l'ACAM est aussi chargée de la prévention contre le blanchiment des capitaux, comme de la réflexion nécessaire à la proposition de nouvelles règles. Sur le plan matériel, c'est le secrétariat général qui saisit le collège de l'ACAM au moyen d'un rapport, lorsqu'il apparaît qu'une institution relevant de son contrôle a violé la réglementation. Deux principales mesures peuvent être adoptées par l'ACAM : soit des mesures administratives de sauvegarde, soit des sanctions disciplinaires que la décision du 30 novembre 2007 rappelle en détail. Ce souci constant du législateur s'explique par le montant des sommes en jeu, en progression constante.

Depuis sa création, onze affaires au total ont été soumises à la sagacité du Conseil d'Etat. Toutefois, seules certaines décisions ont fait l'objet d'une publication au Recueil Lebon, dont celle émanant de la section du contentieux, sur le rapport de la 8ème sous-section et lue le 30 novembre 2007, qui appelle quelques remarques. Mais à notre connaissance, c'est la première fois que, dans de telles circonstances, le Conseil d'Etat est saisi. En effet, deux sortes de décisions relatives à des demandes de particuliers adressées à l'ACAM avaient pu certes être rendues. Ou bien, en référé, des individus s'étaient plaints d'avoir été l'objet d'une discrimination raciale (CE, 3 mars 2006, n° 289561, Union des mutuelles de prévoyance de la Martinique N° Lexbase : A7841DNQ et même CE, 26 novembre 2007, n° 310813, M. Ekokondzo O. N° Lexbase : A0249D3M). Ou bien, la demande concernait deux décisions de prolongation de placement d'une mutuelle sous administration provisoire (CE, 27 février 2007, n° 301231, M. Sébastien Glane N° Lexbase : A5856DUG). Quant aux décisions du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, elles furent rares. Seule une décision en date du 26 juillet 2006 doit être mentionnée (CE, 26 juillet 2006, n° 289560, UMPM Martinique N° Lexbase : A8066DQS). Cependant, l'affaire était éloignée de celle qui nous intéresse, puisqu'il s'agissait d'une demande d'annulation d'une décision de l'ACAM ayant refusé de renouveler des conventions de substitution conclues avec une quinzaine de mutuelles.

Par conséquent, la décision du 16 novembre 2007, lue le 30 novembre 2007, appelle une attention particulière. D'une part, elle émanait de particuliers ayant sollicité de l'ACAM la mise en oeuvre d'une procédure disciplinaire à l'encontre de la société Aviva vie, sur le fondement de l'article L. 310-18 du Code des assurances (N° Lexbase : L9773HEP). D'autre part, le reproche adressé à l'entreprise consistait en l'existence prétendue d'un provisionnement de sommes insuffisant eu égard aux risques auxquels elle était exposée. En effet, selon les demandeurs, la société d'assurance aurait procédé à une mauvaise exécution de plusieurs types de contrats d'assurance vie offrant la possibilité d'arbitrer à cours connu entre différents supports financiers. Or, le Conseil d'Etat rejette la requête formulée et donne raison à l'ACAM.

Le privatiste qu'est l'auteur de ces quelques lignes ne rentrera pas dans les détails procéduraux pour se concentrer sur le fond de l'affaire. Le Conseil d'Etat prend ainsi le soin de rappeler à la fois l'étendue des pouvoirs d'une autorité administrative indépendante et le contenu de l'article L. 310-18 du Code des assurances. Même si ce n'était pas la première fois, ces rappels étaient vertueux. En effet, les demandeurs, s'ils ne tendaient pas à essayer de faire jouer un rôle excessif à l'ACAM, espéraient néanmoins qu'elle s'octroie une mission plus vaste encore que celle lui ayant été dévolue, ce que les assureurs déplorent toujours, à tort ou à raison. Quoique l'on en pense -et en dépit de la vaste mission dévolue à l'ACAM- le législateur n'a pas souhaité lui donner un blanc seing, en toutes circonstances. On peut louer l'attitude tant de l'ACAM que du Conseil d'Etat. Ayant fait preuve de mesure et, disons le, selon nous, de sagesse. Sans doute pouvait-on conjecturer dès 2006 que la (nouvelle) institution aurait à coeur de ne pas heurter la profession. Il demeure qu'elle aurait pu être contrainte d'adopter, d'entrée de jeu si l'on ose dire, une attitude de sévérité si les faits et circonstances l'avaient exigé. Tel n'est pas le cas et c'est une heureuse opportunité offerte au Conseil d'Etat de fixer les limites du rôle de l'ACAM, tout en rendant une décision empreinte de pragmatisme.

Cette décision plutôt modérée est bienvenue, car il ne sera pas toujours aisé pour l'ACAM de tracer la frontière entre contrôle des décisions prises par une société et immixtion dans la gestion de celle-ci, reproche qui ne manquera pas d'être formulé, fut-il infondé. Tel était le cas dans la présente affaire. Les demandeurs, au-delà du reproche de provisions insuffisantes, étaient dépités des mauvais résultats obtenus eu égard aux décisions de la société Aviva vie que, pour simplifier, nous nommeront décisions de placements. Or, si des opérations périlleuses, voire scabreuses, ne sauraient être admises, tous les résultats peu satisfaisants ne peuvent donner lieu à récrimination. L'ACAM n'a pas vocation à devenir une sorte d'autorité d'arbitrage de tous les mécontentements des assurés vie lorsque la santé financière mondiale n'est pas ce que l'on a pu connaître certaines années ou  certaines périodes. Et à l'heure où ces lignes vont être publiées, savoir raison garder apparaît encore plus que jamais nécessaire.

Dans le cas présent, il est permis de s'interroger sur la réalité de la prétendue mauvaise exécution des contrats d'assurance vie alléguée par les demandeurs. Aviva avait-elle vraiment failli à l'exécution de ses obligations contractuelles, ou bien ses placements avaient-ils été malheureux ? Dans cette dernière hypothèse, le contexte économique mondial n'expliquait-il pas, au moins pour partie, ces résultats ? Ne disposant pas de toutes les données chiffrées et des détails des opérations effectuées, nous nous garderons bien de prendre un parti tranché sur ce point. Mais on ne peut manquer de se demander si les individus, qui ont obtenus des gains conséquents à une époque, n'ont pas tendance à refuser d'admettre toute fluctuation du marché. Sinon, on ne dira jamais assez l'importance d'une information complète, en amont, lorsque les assurés sont de véritables profanes. Là se situe peut-être la véritable difficulté qui relève, elle, d'autres juridictions.

Cette décision a, en outre, donné lieu, à n'en pas douter, à une attention particulière de la part du Conseil d'Etat qui, visiblement, s'est fixé une ligne de conduite. En témoigne, une autre décision du Conseil d'Etat, statuant à nouveau au contentieux, rendue quelques jours plus tard, le 5 décembre 2007 (CE, 5 décembre 2007, n° 297436, Association d'aide contre les abus bancaires N° Lexbase : A0218D3H). Une demande de communication d'un rapport de contrôle relatif à des placements de La Poste avait été effectuée auprès de l'ACAM. Or, cette dernière avait refusé de transmettre ce document. Le Conseil d'Etat l'a approuvée en considérant qu'il n'appartient pas au juge administratif de prononcer des injonctions à l'égard de cette autorité administrative. Au-delà du cas d'espèce, c'est à nouveau une juste délimitation des rôles impartis aux uns et aux autres auxquels veille le Conseil d'Etat, non sans raison. En ces temps où la conjoncture économique n'est plus ce qu'elle a pu être et où la contestation devient permanente, il est de bon aloi de ne pas se laisser aller à quelque débordement que ce soit, d'autant plus qu'il a été rappelé que l'ACAM n'est pas ce que l'on peut nommer un nouvel organe de régulation ou de contrôle, sans expérience et connaissance.

Des années de pratiques, sous d'autres appellations, l'ont aguerrie. Elle connaît parfaitement les missions qui sont les siennes, comme le droit d'intervenir de sa propre initiative ou tout simplement le pouvoir souverain d'appréciation des affaires qui lui sont soumises en se fondant sur la gravité des manquements selon un contexte donné, à une époque précise en fonction des divers intérêts généraux qu'elle doit préserver et protéger. Il demeure que son pouvoir n'est pas sans limites. Ces dernières ne s'entendent pas d'une longue liste d'interdictions et de seuils à ne pas franchir, mais d'un principe érigé en quasi philosophie générale que le Conseil d'Etat rappelle : l'ACAM ne dispose pas que d'un pouvoir de sanction, mais aussi de veille de la sécurité du marché. Certes, le second a besoin du premier pour se faire respecter ; néanmoins, il peut aussi s'exercer sans autres attributs.

Enfin, le juriste, peu familier de ces vérifications financières et comptables, se permet, toutefois, pour conclure, d'indiquer qu'il voit d'un bon oeil le recrutement de juristes depuis plusieurs mois au sein de cette institution. Cette évolution traduit, sans doute, le souci de ne pas laisser se développer sur le marché des contrats susceptibles de créer trop de difficultés et de nuire aux assurés comme à l'image des assureurs. C'est, en effet, en amont, qu'il convient d'intervenir pour éviter d'avoir, a posteriori, à sanctionner des attitudes ayant déjà causé divers préjudices. L'ancienne direction des assurances qui assumait autrefois un rôle plus actif de vérificateur des engagements proposés par les assureurs avait progressivement été plus sollicitée sur le terrain d'autres opérations, dans tous les sens de l'expression. Une reprise effective de cette mission qui, certes, n'est pas énoncée dans la loi de sécurité financière du 1er août 2003, ne serait sans doute pas néfaste pour bon nombre d'assurés auxquels sont soumis des contrats d'adhésion dont ils ne peuvent guère apprécier et encore moins discuter les termes et les clauses. L'assainissement et le bon fonctionnement du marché est à ce prix. Il incombe donc, avant tout, au législateur de savoir intervenir à bon escient....

Véronique Nicolas
Professeur de droit privé
Membre de l'IRDP de la Faculté de droit de Nantes

  • Du fait générateur de la créance de l'assureur liée au recouvrement de la franchise contractuelle auprès de son assuré soumis à une procédure collective : à créance en germe, déclaration à titre conservatoire : Cass. com., 8 janvier 2008, n° 07-10.394, Société Storus, F-D (N° Lexbase : A2749D39)

A la croisée du droit des assurances et du droit des procédures collectives, voici un arrêt de censure qui, s'il n'est pas nouveau du point de vue du droit des procédures collectives (ce qui explique sans doute son absence de publication au Bulletin), surprendra tous ceux qui ne sont pas familiers des logiques propres à cette branche du droit. On ajoutera que les spécialistes de la matière savent, également, combien la détermination de la nature antérieure ou postérieure (par rapport au jugement d'ouverture de la procédure) de la créance, c'est-à-dire l'identification du fait générateur de la créance, pose problème, spécialement pour les contrats à exécution successive (8). Ajoutons qu'il est légitime de s'interroger sur le point de savoir si l'aléa du contrat d'assurance, qui imprime à ce contrat synallagmatique à exécution successive une spécificité supplémentaire, ne serait pas de nature à infléchir l'analyse. La cour d'appel l'avait ici pensé et proposait une inflexion de la jurisprudence de la Cour de cassation fondée sur "la spécificité du contrat d'assurance". La censure indique que la Haute juridiction n'a pas souhaité modifier son analyse, contenue jusqu'alors, semble-t-il, dans un précédent rendu le 5 juillet 2005 (9).

Les faits, tels que la lecture de l'arrêt permettent de les comprendre, étaient les suivants : un assureur de responsabilité décennale couvre un entrepreneur par une police contenant une franchise, ce qui est fort classique. L'entrepreneur est mis en redressement judiciaire et un plan de continuation est arrêté. L'assureur, après avoir indemnisé le maître de l'ouvrage (ou remboursé l'assureur dommages-ouvrage, l'arrêt ne précise pas), auquel la franchise est inopposable, assigne son assuré en paiement de cette franchise.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence a accueilli cette demande bien, qu'elle fût formée longtemps après épuisement du délai de deux mois pour déclarer sa créance (aujourd'hui prévu par l'article R. 622-24 du Code de commerce N° Lexbase : L0896HZ9), en considérant que le fait générateur de "la créance indemnitaire fondée sur le contrat d'assurance ne naît que de la réalisation de l'aléa assuré", de sorte que "à la date du jugement d'ouverture l'assureur n'avait pas la qualité de créancier puisque sa créance, quoiqu'elle trouve sa source dans le contrat d'assurance ne naît que de la réalisation de l'aléa assuré, l'aléa ne s'étant pas concrétisé, la déclaration de sinistre du maître de l'ouvrage étant de loin postérieure au jugement d'ouverture et qu'en juger autrement reviendrait à exiger la déclaration de créances pas même éventuelles mais inexistantes fautes d'être nées tant en leur principe qu'en leur montant et à méconnaître la spécificité du contrat d'assurance lorsque l'obligation de l'assureur repose sur l'aléa".

Comment ne pas voir dans cette analyse un modèle de logique ? Il semble indéniable que la créance de l'assureur à l'endroit de son assuré, pour recouvrer la franchise, n'existe pas au jour de l'ouverture de la procédure collective, puisque à cette date le maître de l'ouvrage (ou son assureur dommages-ouvrage) n'a même pas agit contre l'assureur responsabilité décennale. Comment, dans ces circonstances, envisager l'hypothèse que l'assureur pourrait avoir à recouvrer la franchise dans l'hypothèse où lui-même viendrait à être saisi d'une demande d'exécution de sa garantie ? La créance de franchise est subséquente d'une dette d'indemnité qui n'est même pas née ! Raisonner autrement passe par l'admission d'une créance "en germe" ou "virtuelle". Or, cette analyse a les faveurs de la Cour de cassation, même si l'on doit noter qu'elle ne pousse pas cette logique en toutes circonstances, d'où de légitimes interrogations (10).

C'est, en tout cas, l'analyse qu'elle privilégie ici en censurant, au visa des articles L. 621-43 (N° Lexbase : L6895AI9) et L. 621-46 (N° Lexbase : L6898AIC) du Code de commerce dans leur rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT, il faut aujourd'hui consulter les articles L. 622-24 N° Lexbase : L3744HBB et L. 622-26 N° Lexbase : L3746HBD), au motif que "la créance de l'assureur sur son assuré au titre du paiement de la franchise contractuelle trouve son origine dans le contrat d'assurance". La solution semble entendue : le contrat d'assurance, conclu antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, constitue le fait générateur de la créance. Peu importe donc qu'au moment de l'ouverture de la procédure le contrat n'ait pas même reçu le "début d'un commencement" de nécessité d'une exécution pour l'assureur. Qu'importe la date de l'exécution de la contre-prestation, qu'importe la date de réalisation de l'aléa, seule importe la date de formation du contrat d'assurance. L'assureur doit donc, à l'ouverture de la procédure, déclarer sa créance (le montant de la franchise) pour le cas où celle-ci viendrait à se réaliser..., déclarer sa créance en germe. L'analyse se recommande d'une distinction entre la naissance de la créance et son exigibilité, la créance de l'assureur existant dans son principe dès la conclusion du contrat, seule son exigibilité étant reportée dans le temps et soumise à l'évènement aléatoire.

Pourtant, il est des auteurs qui défendent le principe, appliqué avant de connaître semble-t-il un certain reflux, selon lequel la naissance de la créance procède, en matière de procédures collectives, non de la conclusion du contrat, moment de rencontre des volontés (dite parfois thèse "volontariste"), mais de l'exécution de la prestation (dite parfois thèse "matérialiste"). Ceci vaudrait particulièrement pour les contrats à exécution successive, tel le bail, à propos desquels un auteur a soutenu que "le louage de choses, le contrat de travail, le contrat de rente viagère donnent naissance à des obligations successives de travaux, paiements des salaires à chaque échéance, versement de la rente à chaque terme fixé, n'est pas une fraction de la prestation unique, mais constituant chacune une prestation indépendante" (11). Plus récemment, un auteur a vigoureusement soutenu que "la théorie selon laquelle les obligations contractuelles naissent toujours au moment de la conclusion du contrat pêche par son caractère trop général" (12), défendant l'idée que les créances naissent de l'exécution ou que les créances de réparation naissent de la survenance du fait dommageable. D'autres auteurs partagent cette analyse selon laquelle "le rattachement de la créance de responsabilité à la conclusion du contrat ne peut s'expliquer que par la persistance du préjugé volontariste : même le défaut d'exécution du contrat découlerait de la rencontre des volontés. Sans doute ne peut-il être question de responsabilité contractuelle si un contrat n'a pas été valablement conclu ! Mais la date de passation du contrat est, en soi, peu significative. Dès lors qu'il s'agit de responsabilité civile (délictuelle ou contractuelle, peu importe) rationnellement on ne peut placer la naissance du droit à réparation avant l'arrivée du dommage, comme si le présupposé était que le contrat serait mal exécuté !" (13). Madame Saint-Alary-Houin partage cette opinion selon laquelle "lorsque le contrat est un contrat à exécution successive, le droit des procédures collectives retient [la solution selon laquelle] c'est l'exécution de la créance qui constitue le fait générateur de la créance [...] contrairement au principe habituel selon lequel l'obligation naît du contrat lui-même" (14).

Les partisans de cette thèse ont cherché à convaincre de la compatibilité de cette analyse avec la jurisprudence de la Cour de cassation qui considère, s'agissant de l'action en garantie des vices cachés intentée par l'acheteur contre le vendeur mis en redressement, que "la créance née de la garantie des vices cachés a son origine au jour de la conclusion du contrat et non au jour de la révélation du vice" (15). On a ainsi rétorqué que "le vendeur n'a pas rempli son obligation de délivrer une chose non viciée" (16), de sorte que l'inexécution du contrat serait concomitante à la conclusion du contrat et que cette jurisprudence ne serait pas incompatible avec "l'expression d'un principe de naissance des créances de réparation à la date de l'inexécution de l'obligation" (17). L'effort de justification est louable, bien qu'il puisse être critiqué (n'est-ce pas confondre défaut de conformité -lié, lui, à la délivrance- et vice caché ?). D'autres ont plus directement critiqué cette jurisprudence en matière de vices cachés, tel P. Jourdain (18) qui souligne que ce rattachement de la réparation à l'obligation de garantie qui naît au jour du contrat de vente ne vaut que pour l'obligation de couverture et non pour l'obligation de règlement, qui est seule en cause lorsqu'il s'agit de dater la créance de réparation, et qui n'apparaît qu'avec le dommage. Ce propos, que nous approuvons, est pleinement transposable à la garantie d'assurance, donc à la créance subséquente de l'assureur contre son assuré pour recouvrer la franchise. Se rattacher à ce courant conduit donc à considérer que ce qui donne naissance à la créance de recouvrement de la franchise par l'assureur auprès de l'assuré est la réalisation du sinistre.

Mais tous ces efforts doctrinaux ne doivent pas masquer le fait que le droit positif s'est globalement orienté vers la thèse dite "volontariste" (liée à l'accord de volonté donc à la formation du contrat) plutôt que vers la thèse "matérialiste" (liée à l'exécution de la prestation). Ainsi, pour le recours d'une caution contre son cofidéjusseur, à propos duquel la Chambre commerciale a jugé, en 2004 (19), que la date de naissance de cette créance est la date de naissance de l'engagement de la caution (en l'espèce antérieure au jugement d'ouverture) et non au jour où la caution s'était acquitté de sa dette. C'est, au nom d'une unité de la jurisprudence, que A. Lienhard avait accueilli favorablement le précédent sur la question de la créance de franchise contractuelle de l'assureur constitué par l'arrêt précité du 5 juillet 2005, l'assureur se retournant contre son assuré alors qu'il a dû s'exécuter de son obligation de garantie postérieurement au jugement d'ouverture étant dans une position similaire à celle de la caution susmentionnée.

Le souci d'une ligne jurisprudentielle est certes légitime, mais on n'oubliera pas de mentionner qu'en matière de contrats à exécution successive, cette unité n'est pas de mise, puisque, comme on l'a noté encore tout récemment : "La doctrine civiliste enseigne volontiers que le fait générateur d'une créance contractuelle doit être trouvé dans la conclusion du contrat. Cette solution n'est pas toujours appliquée, en droit des procédures collectives, puisque l'on voit parfois dans la contre-prestation attendue [...] le fait générateur de la créance. La solution est, par exemple, posée en matière de créance de loyers d'un bail. La Cour de cassation estime ainsi que le loyer "à cheval" sur une période antérieure au jugement d'ouverture et sur une période postérieure audit jugement doit être fractionné en deux créances distinctes, l'une antérieure, l'autre postérieure (Cass. com., 28 mai 2002, n° 98-14.259, FS-P N° Lexbase : A7930AYD, D. 2002, AJ p. 2124, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2002, p. 726, obs. A. Martin-Serf ; Act. proc. coll., 2002/13, n° 172, obs. J. Vallansan et C. Golhen ; JCP éd. E, 2003, chron. 231, p. 269, n° 10, obs. P. Pétel ; Rev. proc. coll. 2003, p. 146, n° 4, obs. C. Saint-Alary-Houin), ce qui fait clairement apparaître que le fait générateur de la créance de loyer est trouvé dans la contrepartie fournie au locataire, c'est-à-dire la jouissance procurée. La solution ne manque pas d'ailleurs d'être en contradiction avec les solutions posées en matière de cession Dailly de créance de loyers, de saisie-attribution de créances de loyers ou encore de cautionnement de créances de loyers en cas de fusion-absorption, car, dans tous ces domaines, le fait générateur de la créance de loyer est trouvé dans la conclusion du contrat et non dans la jouissance procurée" (20). L'analyse vient d'être appliquée à la créance d'indemnité de remboursement anticipé incluse dans un prêt, exigible en cas de déchéance du terme, qualifiée de créance antérieure comme étant née du prêt conclu avant le jugement d'ouverture avec un établissement de crédit et devant, comme telle, être déclarée au passif (21).

Pour illustrer les contradictions de la jurisprudence, Mme Béhar-Touchais (22), s'appuie sur la jurisprudence qui, pour un cautionnement indéterminé d'un bail à durée déterminé, retient, en cas de résiliation par la caution au cours du bail, que celle-ci demeure tenue de payer les loyers jusqu'à l'issue du bail en cours (23), et en déduit que "si la caution doit garantie des créances de loyers 'postérieurs' à sa résiliation, c'est que celles-ci sont nées avant et que seule leur exigibilité a été suspendue à chaque échéance", ce qui est consacrer la thèse "volontariste" ; mais cette jurisprudence est en contradiction avec celle qui considère que pour le bail dont le preneur est soumis à une procédure, "les loyers correspondants à la période de jouissance antérieure au jugement d'ouverture doivent être déclarés car ce sont des créances antérieures, alors que les loyers correspondants à la période de jouissance postérieure au jugement d'ouverture bénéficient (du droit de paiement prioritaire de l'ancien article L. 621-32 du Code de commerce) car ce sont des créances postérieures. Donc le droit des procédures collectives considère lui que les créances de loyers naissent de l'exécution de la contrepartie. C'est donc la thèse matérialiste qui est ici appliquée". L'auteur tente d'expliquer cette "contradiction flagrante" par l'idée selon laquelle "la date de naissance ne serait pas un élément objectif du temps, mais serait fixée en fonction de la finalité du texte en cause".

Mais quelle finalité poursuit donc le droit des procédures collectives en contraignant un assureur à déclarer sa créance "en germe" ("embryonnaire" ?) alors qu'elle est si hypothétique qu'il est plus exact de la tenir, comme les juges d'appel aixois dans l'arrêt examiné, pour inexistante dans son principe même ? A quoi répond cette contrainte d'opérer une déclaration de créance "à titre conservatoire", pour le cas où celle-ci viendrait à naître (à devenir exigible dirons les partisans de la thèse "volontariste") ? A la volonté de déclarer cette créance "antérieure" inexistante sous l'empire du droit antérieur à la réforme du 26 juillet 2005 en application de l'ancien article L. 622-26 et, désormais, sanction adoucie par la réforme qui se contente de ne pas admettre cette créance "dans les répartitions et les dividendes" (C. com., art. L. 622-26), ce qui devrait autoriser sa déclaration au passif d'une seconde procédure ouverte à la suite de la résolution du plan de sauvegarde ou de redressement (24) ?

La solution, sévère pour les assureurs qui doivent avoir du personnel chargé de surveiller l'ouverture de procédure collectives (il faudra mettre "infogreffe" dans ses "favoris" !), procède d'une logique, propre au droit des procédures collectives, dont on peut chercher à mesurer la compatibilité avec le droit des assurances. Ramener la créance à la signature du contrat est-il respectueux de l'esprit propre au droit des assurances ? On signalera que, dans les assurances de responsabilité civile professionnelle, la loi du 1er août 2003 a, sauf pour les personnes physiques agissant en dehors de leur activité professionnelle, admis le critère de la réclamation de la victime, préféré par les assureurs au fait dommageable (cf., C. assur., art. L. 124-5 N° Lexbase : L0959G9E). Voilà qui plaide pour considérer que c'est le sinistre, sous forme de réclamation de la victime, qui fait naître la dette de l'assureur de responsabilité à l'égard du tiers victime, donc éventuellement sa créance de recours contre son assuré. Mais, on objectera que la faculté d'option offerte aux assureurs, pour définir le fait déclencheur de la garantie issue de la loi du 1er août 2003, n'est pas applicable en matière d'assurance décennale obligatoire, ici en jeu dans l'arrêt examiné (25). Cette assurance doit être souscrite depuis l'ouverture du chantier et couvre les désordres décennaux jusqu'à l'expiration du délai décennal courant à partir de la réception. La logique du Code des assurances pourrait pousser à considérer que la réception, qui constitue le point de départ de la responsabilité décennale des constructeurs, et, partant, de l'assurance garantissant cette responsabilité, pourrait constituer le "fait générateur" de l'éventuelle dette de l'assureur "RCD", donc de son éventuelle créance liée à la franchise. Mais il n'est pas sûr que l'analyse, transposée au droit des procédures collectives, gagnerait en simplicité (la réception plutôt que la signature du contrat)...

C'est donc qu'il vaut mieux rester sur le terrain du droit des procédures collectives et plaider que dans les contrats à exécution successive, a fortiori aléatoire, la survenance de l'aléa donne naissance à l'obligation de règlement du sinistre puis à la créance de recours contre son assuré, sans qu'il faille "remonter" jusqu'à la conclusion du contrat où seule a pris naissance l'obligation de couverture. Mais cette thèse n'est pas de droit positif. Les assureurs devront le savoir et leurs conseils le leur rappeler.

Sébastien Beaugendre
Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes
Membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)


(1) Cass. Ass. Plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, M. Henri Dailler c/ Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, P+B+R+I (N° Lexbase : A4358DUX) et nos obs., Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 255 du 5 avril 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N6221BAN) ; RGDA, 2007, n° 2, p. 398, note J. Kullmann ; Rev. Banque et droit, juillet-août 2007, p. 20, note Th. Bonneau ; JCP éd. E, 2007, 1375, note D. Legeais et éd. G, 127, note B. Parance ; D. 2007, act. Jurisp., p. 985, note S. Piedelièvre.
(2) Il suffit, pour s'en convaincre, de citer, une fois encore, les arrêts de la Chambre mixte du 23 novembre 2004, au risque de paraître être obnubilée par eux ; mais c'est que leur incidence est récurrente (Cass. mixte, 23 novembre 2004, n° 03-13.673 N° Lexbase : A0919DER ; n° 01-13.592 N° Lexbase : A0225DE3 ; n° 02-11.352 N° Lexbase : A0235DEG ; et n° 02-17.507 N° Lexbase : A0265DEK).
(3) Cass. mixte, 23 novembre 2004, préc., Bull. n° 4, p. 9 ; L. Aynès, Des arrêts politiques, Droit et patrimoine, janvier 2005, n° 133, p. 11 ; F. Leduc et Ph. Pierre, Assurance-placement : une qualification déplacée, RCA février 2005, n° 3, p. 7 ; R. Libchaber, Rép. Défr. 2005, n° 07/05, chron. 38142, p. 607 ; A.-M. Ribeyre, Assurance-vie : le débat se déplace de l'aléa vers la prime excessive, Droit et patrimoine, janvier 2005, n° 133, p. 10. A l'exception de : B. Beignier, D. 2005, p. 1905 ; H. Lécuyer, Promesses jurisprudentielles de longue vie à l'assurance-vie, J. Cl. Droit de la famille, mars 2005, chron. n° 6, p. 11 ; L. Mayaux, RGDA 2005, n° 1.
(4) V. Nicolas, Société et mutuelle d'assurance, Rép. Sociétés, Dalloz, janvier 2005, n° 22, p. 7.
(5) V. Nicolas, Société et mutuelle d'assurance , Rép. Sociétés, Dalloz, janvier 2005, n° 6, p. 5.
(6) JO du 2 août 2003.
(7) V. Nicolas, Société et mutuelle d'assurance, Rép. Sociétés, Dalloz, janvier 2005, n° 6, p. 5.
(8) On consultera, ici, avec profit les actes d'un colloque consacré à la date de naissance des créances, organisé le 25 mars 2004 par le CEDAG (Centre de droit des affaires et de gestion) sous la direction de Madame le Professeur Martine Behar-Touchais, dont les actes ont été publiés à la revue "Les petites Affiches", n° spécial du 9 novembre 2004, notamment les contributions de M. Behar-Touchais, La date de naissance de la créance issue d'un contrat synallagmatique à exécution successive (p. 41 et s.), de C. Saint-Alary-Houin, La date de naissance des créances en droit des procédures collectives (p. 11 et s.), et de P. Jourdain, La date de naissance de la créance d'indemnisation (p. 49 et s.).
(9) Cass. com., 5 juillet 2005, n° 04-12.185, Société Bâtiment du Golfe c/ Compagnie d'assurances Zurich assurances, FS-P+B (N° Lexbase : A8969DIZ), Bull. civ. IV, n° 156 ; D. 2005, AJ 2280, obs. Lienhard.
(10) Cf. les actes du colloque précité.
(11) J.-M. Verdier, Les droits éventuels - Contribution à l'étude de la formation successive des droits, éd. Rousseau, Paris, 1955.
(12) F. Baron, Naissance des créances contractuelles et droit des procédures collectives, RTDCom. 2001, p. 1 et s..
(13) G. Endréo, Fait générateur des créances et échange économique, RTDCom. 1984, spéc. p. 248.
(14) C. Saint-Alaray-Houin, art. préc..
(15) Cass. com., 8 juin 1999, n° 96-18.840, Société Paul Dischamp et autre c/ Société Simon frères et autres (N° Lexbase : A8043AGY), Bull. civ. IV, n° 121.
(16) F. Baron, art. préc., spéc. p. 30.
(17) F. Baron, op. et loc. cit..
(18) P. Jourdain, art. préc..
(19) Cass. com., 16 juin 2004, n° 01-17.199, M. Philippe Jeannerot c/ M. Adine Nevada, FS-P+B (N° Lexbase : A7318DCZ), RTDCom 2004, p809, obs. A. Martin-Serf.
(20) Pierre-Michel Le Corre et François-Xavier Lucas, Chronique de Droit des entreprises en difficulté (juin 2006 - novembre 2006), Recueil Dalloz 2007 p. 42.
(21) Cass. com., 27 juin 2006, n° 05-12.306, M. Philippe Martin, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société civile immobilière (SCI) Cajuge, F-D (N° Lexbase : A1117DQG), commenté par Pierre-Michel Le Corre et François-Xavier Lucas in chronique préc..
(22) M. Béhar-Touchais, art. préc..
(23) Cass. com., 11 mai 1993, n° 90-20.293, M. Gaillard et autres c/ Compagnie d'équipement technique (N° Lexbase : A6330AB3), JCP éd. E, 1993, II, 503, note Ph. Delebecque.
(24) En ce sens, Pierre-Michel Le Corre et François-Xavier Lucas in chronique préc., à propos de la créance de pénalité de remboursement anticipé d'un prêt immobilier qui n'aurait pas été déclarée dans la procédure de sauvegarde ou de redressement venant, par suite, à être résolu.
(25) RD imm., 2003, p. 306, obs. G. Leguay ; JCP éd. G, 2003, act. 537, p. 1965, obs. J. Bigot ; RD imm., 2003, p. 435, obs. L. Grynbaum.

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