La lettre juridique n°278 du 25 octobre 2007 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La date de la transaction et la démission

Réf. : Cass. soc., 9 octobre 2007, n° 06-41.406, F-D (N° Lexbase : A7427DYQ)

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 02 Février 2024


S'il est fréquent qu'une transaction soit conclue entre l'employeur et son ancien salarié après qu'un licenciement ait été prononcé, cette convention est bien plus rare dans l'hypothèse où la rupture du contrat est intervenue à l'initiative du salarié. Ainsi, la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 9 octobre 2007, avait à s'interroger sur les conditions de qualification et de validité d'une transaction conclue préalablement à une démission. Comme on pouvait s'y attendre, elle étend les conditions de validité liées à la date de la transaction à l'hypothèse où celle-ci intervient dans le cadre d'une rupture du contrat de travail par démission (1). Cette solution mérite d'être approuvée (2).

Résumé

La transaction qui comporte, outre des concessions réciproques, un accord des parties pour une démission ultérieure du salarié, ne s'analyse pas en un accord de rupture amiable. Il s'agit bien d'une transaction dont le juge doit apprécier la validité au regard de la date de sa conclusion.

1. L'extension confirmée des conditions de validité liées à la date de la transaction dans le cadre d'une démission

  • Retour sur les conditions de validité de la transaction

La transaction est une convention par laquelle les parties "terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître". Le Code du travail étant demeuré silencieux sur l'application de ce contrat aux relations de travail, ce sont aux articles 2044 et suivants du Code civil (N° Lexbase : L2289ABE) qu'il convient de se référer pour en déterminer les conditions de validité. Mais, ces dispositions demeurant minimalistes, le régime de la transaction a, peu à peu, été complété par la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Ainsi, l'objet de la transaction doit exclusivement porter sur la résolution d'un litige entre les parties. Elle ne peut, par exemple, avoir pour objet de revenir sur les causes de la rupture du contrat de travail (1). S'il n'y a pas de désaccord entre les parties, la transaction n'est donc pas valable (2).

Afin de régler le litige, la transaction doit comporter, de la part de chacune des parties, un certain nombre de concessions réciproques (3).

Mais, la plus importante construction échafaudée par la Cour de cassation concernen, incontestablement, la date à laquelle peut être conclue la transaction (4).

  • Une condition fondamentale : la date de la transaction

En effet, la Chambre sociale a posé comme règle que, la transaction ayant pour objet de mettre fin au litige résultant d'un licenciement, elle ne peut valablement être conclue qu'une fois la rupture intervenue et devenue définitive. Cette règle s'explique, en général, par la nécessité que les parties puissent négocier le contrat "d'égal à égal", situation de fait impossible à mettre en oeuvre tant que le salarié se trouve sous la subordination de l'employeur.

On appuie, également, cette disposition sur l'influence portée par l'article L. 122-14-7 du Code du travail (N° Lexbase : L5572ACD), lequel interdit au salarié de renoncer à une partie de ses droits résultant du licenciement, tant que ceux-ci ne sont pas nés (5).

Régulièrement réitérée par les juges, cette condition n'avait pourtant été posée clairement qu'en matière de licenciement (6).

  • En l'espèce : l'extension nette de la règle à la démission

Dans l'affaire commentée, les parties avaient conclu une transaction qui avait la particularité de prévoir, outre diverses concessions de la part de l'employeur et des salariés, la démission de ces derniers à une date ultérieure à la conclusion du contrat. La cour d'appel avait, dès lors, cru voir, dans cette convention, un simple accord de rupture amiable, lequel n'était, à ses yeux, sujet à aucune critique.

La Cour de cassation casse l'arrêt des juges d'appel au visa des articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 2044 du Code civil. Elle estime, en effet, "qu'au regard des stipulations qu'elles contenaient, les conventions conclues entre la société l'Est Républicain et ses salariées ne constituaient pas des conventions de rupture amiable des contrats de travail mais des transactions, comportant des concessions réciproques, dont il lui appartenait de vérifier la validité en considération de la date de leur conclusion".

En effet, la transaction se différencie de la rupture amiable en ce que la première a pour objet de résoudre un litige, alors que la seconde n'a simplement pour objet que de rompre le contrat de travail. L'existence de concessions dans l'accord suffisait à démontrer, de manière très classique, qu'il s'agissait bien d'une transaction et non d'une rupture négociée.

Requalifiant ainsi la convention, la Cour de cassation estime que les juges d'appel devaient en apprécier la validité au regard de la date de leur conclusion. La date de la conclusion de l'accord intervenant dans le cadre d'une démission constitue donc une condition de validité de la transaction, cette règle n'étant clairement plus réservée à la rupture du contrat de travail par licenciement.

Il importe de s'interroger sur l'opportunité et la justification d'une telle extension.

2. L'extension justifiée des conditions de validité liées à la date de la transaction dans le cadre d'une démission

  • Les questions relatives à l'existence d'un litige

Si la transaction ne peut intervenir préalablement au licenciement, comme nous l'avons déjà évoqué, c'est principalement parce qu'il n'existe, alors, pas encore de litige entre les parties. Le litige naît des conditions de la rupture, de l'appréciation de la régularité, de la justification du licenciement, voire de sa licéité.

On peut, dès lors, se demander si l'extension de la règle à la rupture à l'initiative du salarié présentait une véritable cohérence. En effet, la démission traduit bien moins l'existence d'un litige que le licenciement. Le salarié qui quitte l'entreprise, à son initiative, dans le cadre de relations litigieuses avec son employeur invoque généralement la technique, désormais courante, de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail. Ce n'est que s'il n'existe pas de contestation que le salarié optera pour une démission.

En outre, l'argument tiré de l'interdiction de la renonciation au droit du licenciement fondé sur l'article L. 122-14-7 du Code du travail paraît, lui aussi, inopérant. Outre qu'il ne s'agit pas dans ce cas d'un licenciement, aucune disposition du Code n'interdit au salarié de renoncer à des droits qu'il tirerait de sa démission, à l'exception, bien entendu, du préavis auquel les parties peuvent parfaitement renoncer.

La démission n'étant théoriquement pas porteuse d'un litige, c'est la technique même de la transaction qui devrait être repoussée dans une telle hypothèse. Ce raisonnement trouve, malgré tout, ses limites dans la recherche des motivations pouvant pousser un employeur et un salarié à conclure une transaction dans le cadre d'une démission.

  • Une protection contre la fraude au licenciement ?

A la réflexion, il nous semble qu'il est tout à fait opportun d'admettre la technique de la transaction dans le cadre d'une rupture du contrat de travail par démission et, partant, de respecter les conditions de successivité des deux actes.

En effet, c'est raisonner de manière trop rapide que de considérer que la démission ne puisse donner lieu à une situation litigieuse. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer les possibilités offertes au salarié de contester le caractère clair et non équivoque de sa démission. Plus encore, on sait que le juge accepte, aujourd'hui, de revenir sur la qualification de cette démission. Si le salarié, après avoir démissionné, remet en cause l'acte en invoquant des faits ou manquements imputables à l'employeur, le juge pourra requalifier la démission en prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur (7).

Dès lors qu'il peut exister un litige dans le cadre d'une rupture du contrat par démission, il redevient possible de conclure une transaction entre l'employeur et le salarié démissionnaire. La condition que le salarié ne se situe plus sous la subordination de l'employeur explique, à nouveau, la nécessité que la transaction soit postérieure à la rupture du contrat.

Enfin, si la jurisprudence avait refusé d'étendre la condition de date jusqu'ici réservée aux ruptures par licenciement, on aurait pu craindre que ne soit ainsi verrouillée toute velléité de contestation ultérieure de la démission. Par ce jeu de dates successives, le juge préserve au salarié la faculté, s'il estime que la négociation de la transaction postérieure à la démission ne mène pas à des résultats suffisants, de contester la qualification même de l'acte afin qu'il soit requalifié en prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur.


(1) Cass. soc., 14 juin 2000, n° 98-41.710, inédit (N° Lexbase : A6982AH3).
(2) Cass. soc., 19 juin 1968, n° 67-40.269 (N° Lexbase : A2895AUR).
(3) V., par ex., Cass. soc., 1er décembre 2004, n° 02-46.341, F-P+B (N° Lexbase : A1259DED) et les obs. de Ch. Radé, Démission et transaction : des précisions utiles, Lexbase Hebdo n° 146 du 9 décembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3851ABA).
(4) Cass. soc., 29 mai 1996, n° 92-45.115, publié (N° Lexbase : A3966AA7), Dr. soc. 1996, p. 684, note J. Savatier ; RJS, 1996, chron. p. 407, par D. Corrignan-Carsin ; D. 1997, Jurispr., p. 49, note J.-P. Chazal.
(5) V. J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Dalloz, 23ème éd., p. 625.
(6) V. G. Auzero, La transaction : un régime juridique stabilisé, Lexbase Hebdo n° 61 du 6 mars 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N6240AAD) ; V., néanmoins, les prévisions déjà énoncées par le Professeur Radé, Démission et transaction : des précisions utiles, préc..
(7) Cass. soc., 9 mai 2007, 4 arrêts, n° 05-40.315 (N° Lexbase : A0908DWK) ; n° 05-40.518 (N° Lexbase : A0909DWL) ; n° 05-41.324 (N° Lexbase : A0910DWM) et n° 05-42.301, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0925DW8), et les obs. de Ch. Radé, Clarifications (?) sur la distinction entre prise d'acte et démission, Lexbase Hebdo n° 260 du 17 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0691BB9) ; RDT 2007/07-08, p. 452, obs. G. Auzero ; V. contra J.- Y. Frouin, Les ruptures du contrat de travail à durée indéterminée à l'initiative du salarié (démission, prise d'acte et demande en résolution judiciaire), RDT 2007/03, p. 150, qui considère que, "à partir du moment où, désormais, le salarié dispose avec la prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur d'un mode de rupture autonome alternatif à la démission et qui repose précisément sur l'imputation à l'employeur de la cessation du contrat de travail, il ne paraît plus justifié qu'une démission puisse être ultérieurement remise en cause si ce n'est, comme tout acte juridique, pour une altération des facultés mentales ou un vice du consentement".

Décision

Cass. soc., 9 octobre 2007, n° 06-41.406, F-D (N° Lexbase : A7427DYQ)

Cassation partielle (CA Nancy, chambre sociale, 16 janvier 2006)

Textes visés : C. civ, art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 2044 (N° Lexbase : L2289ABE)

Mots-clés : transaction ; démission ; conditions de validité.

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