La lettre juridique n°278 du 25 octobre 2007 : Social général

[Jurisprudence] Prestation sociale jeune handicapé : entre Sécurité sociale des travailleurs migrants et liberté de circulation des travailleurs

Réf. : CJCE, 11 septembre 2007, aff. C-287/05, D. P. W. Hendrix c/ Raad van Bestuur van het Uitvoeringsinstituut Werknemersverzekeringen (N° Lexbase : A0742DY7)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

le 07 Octobre 2010



Comment arbitrer entre deux droits fondamentaux régis par le droit social européen, la Sécurité sociale des travailleurs migrants et la libre circulation des travailleurs ? C'est à cet exercice délicat que la CJCE s'est livrée, optant pour une primauté du second sur le premier.




Résumé

Une prestation (versée au titre de la loi sur l'assurance contre l'incapacité de travail des jeunes handicapés) doit être considérée comme une prestation spéciale à caractère non contributif, au sens de l'article § 2 bis du Règlement (CEE) n° 1408 /71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de Sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (N° Lexbase : L4570DLT).

Seule la règle de coordination de l'article 10 bis de ce Règlement doit être appliquée à des personnes qui sont dans la situation du requérant : le versement de cette prestation peut valablement être réservé aux personnes qui résident sur le territoire de l'Etat membre qui sert cette prestation.

Mais, le Règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs (N° Lexbase : L9271BHT) ne s'oppose pas à une législation nationale (hollandaise), conformément au Règlement n° 1408/71, qui prévoit qu'une prestation spéciale à caractère non contributif ne doit être accordée qu'aux personnes qui résident sur le territoire national. Toutefois, la mise en oeuvre de cette législation ne doit pas porter aux droits d'une personne une atteinte qui aille au-delà de ce qu'exige la réalisation de l'objectif légitime poursuivi par la loi nationale. Il appartient au juge national de tenir compte du fait que le travailleur en cause a conservé l'ensemble de ses attaches économiques et sociales dans l'Etat membre d'origine.

En l'espèce, M. H., de nationalité néerlandaise, handicapé mental, a bénéficié d'une prestation octroyée au titre de l'"AAW" (loi sur l'indemnisation des handicapés), transformée le 1er janvier 1998 en une prestation au titre de la "Wajong" (loi sur l'incapacité de travail des jeunes handicapés, qui garantit une allocation financière notamment aux handicapés de naissance). En 1999, il déménage en Belgique tout en continuant à travailler aux Pays-Bas. Par une décision du 28 juin 1999, l'UWV (Institut pour la gestion des assurances des salariés) a décidé de mettre fin à la prestation versée au titre de la "Wajong" à M. H. à partir du 1er juillet 1999, parce que cette loi prévoit que la prestation prend fin à compter du jour où le jeune handicapé a établi sa résidence en dehors des Pays-Bas.

Estimant que la solution du litige nécessite une interprétation du droit communautaire, le Centrale Raad van Beroep a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes : faut-il considérer l'allocation payée au titre de la "Wajong", qui est mentionnée à l'annexe II bis du Règlement n° 1408/71, comme une prestation spéciale à caractère non contributif, au sens de l'article 4 § 2 bis du même Règlement, de sorte que seule la règle de coordination établie en son article 10 bis devra être appliquée à M. H. ? Un travailleur peut-il invoquer l'article 39 du Traité CE (N° Lexbase : L5348BC3) (Règlement n° 1612/68, art. 7), à l'encontre d'un Etat membre dont il est ressortissant alors qu'il n'a travaillé que dans cet Etat membre, mais qu'il réside sur le territoire d'un autre Etat membre ? L'article 39 du Traité CE (Règlement n° 1612/68, art. 7 § 2) est-il compatible avec une disposition d'un régime légal qui fait dépendre l'octroi ou le maintien d'une prestation de la résidence de l'intéressé sur le territoire de l'Etat membre où le régime légal est applicable alors que le régime prévoit une prestation non contributive au sens de l'article 4 § 2 bis du Règlement n° 1408/71 ? Peut-on trouver, dans les caractéristiques de la "Wajong", une justification suffisante pour opposer une condition de résidence à un citoyen de l'Union, qui se trouve pleinement dans les liens d'un contrat d'emploi aux Pays-Bas et qui, de ce fait, est exclusivement soumis à la législation néerlandaise ?

M. H. conteste le refus de lui attribuer la prestation servie au titre de la loi sur l'assurance contre l'incapacité de travail des jeunes handicapés, au motif qu'il ne réside pas aux Pays-Bas. La CJCE lui donne raison, donnant ainsi plein effet au principe de libre circulation des travailleurs (2), même si le régime juridique de la Sécurité sociale des travailleurs migrant n'autorisait pas cette solution (1).

1. Notion de prestation spéciale à caractère non contributif, au sens du Règlement n° 1408/71 sur la Sécurité sociale des travailleurs migrants

La prestation versée au titre de la "Wajong" constitue une prestation spéciale à caractère non contributif soumise au Règlement n° 1408/71 (art. 4 § 2 bis et art. 10 bis), ce dont il résulte que son versement pourrait valablement être subordonné à une condition de résidence.

1.1. Qualification juridique de prestation sociale à caractère non contributif

Il faut rappeler que le Règlement n° 1408/71 s'applique à toutes les législations relatives aux branches de Sécurité sociale qui concernent les prestations de maladie et de maternité ; les prestations d'invalidité, y compris celles qui sont destinées à maintenir ou à améliorer la capacité de gain (Règlement n° 1408/71, art. 4). Le Règlement n° 1408/71 s'applique aux prestations spéciales à caractère non contributif relevant d'une législation ou d'un régime autres que ceux qui sont visés (supra), lorsque ces prestations sont destinées soit à couvrir les branches maladie, maternité, invalidité, soit uniquement à assurer la protection spécifique des handicapés. Le Règlement n° 1408/71 ne s'applique pas à l'assistance sociale (art. 2 bis).

S'agissant des prestations spéciales à caractère non contributif (Règlement n° 1408/71, art. 4 § 2 bis), l'article 10 bis § 1 de ce Règlement prévoit que les travailleurs migrants bénéficient des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif (visées à l'article § 2 bis) exclusivement sur le territoire de l'Etat membre dans lequel ils résident et au titre de la législation de cet Etat. Les prestations sont servies par l'institution du lieu de résidence et à sa charge.

En l'espèce, à l'annexe II bis, sous J, du Règlement n° 1408/71, les prestations qui, aux Pays-Bas, sont accordées en vertu de la "Wajong" sont qualifiées de prestations spéciales à caractère non contributif. La "Wajong" prévoit le versement d'une prestation d'un niveau minimal aux jeunes qui sont déjà atteints d'une incapacité de travail totale ou partielle de longue durée avant leur entrée sur le marché du travail.

La prestation prévue par la "Wajong" est versée par le Fonds pour les jeunes handicapés frappés d'incapacité de travail et est financée par le Trésor public. La prestation servie au titre de la "Wajong" ne peut être versée si le bénéficiaire ne réside pas aux Pays-Bas. L'article 17 § 1 de la "Wajong" prévoit, en effet, que le droit à la prestation d'incapacité de travail s'éteint le jour où le jeune handicapé a établi sa résidence en dehors des Pays-Bas. Il peut, toutefois, être dérogé à cette règle lorsque l'extinction du droit à la prestation conduit à une situation d'"injustice majeure" (art. 17 § 7 de la "Wajong"). Par décision du 29 avril 2003, l'UWV a précisé qu'il existe une "injustice majeure" lorsque le jeune handicapé a des raisons impérieuses d'établir sa résidence en dehors des Pays-Bas et lorsqu'il y a lieu de s'attendre à ce que l'interruption du paiement de cette prestation le lèse de manière significative.

Sont considérés comme des raisons impérieuses, le fait de suivre un traitement médical d'une certaine durée, l'acceptation d'un emploi offrant une certaine perspective de réintégration ou le besoin de suivre les personnes dont le jeune handicapé dépend, lorsque ces personnes sont contraintes de quitter les Pays-Bas.

M. H. soutient que seules les prestations ne relevant pas des législations visées à l'article 4 § 1 du Règlement n° 1408/71 peuvent être considérées comme des prestations spéciales à caractère non contributif. Il fait valoir qu'une prestation octroyée sur le fondement d'un besoin constituerait une prestation spéciale. Il avance, ainsi, que la prestation prévue par la "Wajong" est destinée à couvrir une baisse de revenus découlant de la réalisation de l'un des risques visés à l'article 4 § 1 du Règlement n° 1408/71.

Le Gouvernement hollandais considère que la prestation prévue par la "Wajong" constitue une prestation spéciale, dans la mesure où elle vient en remplacement non pas d'une perte de revenus (en ce cas, il s'agirait d'une prestation de Sécurité sociale), mais d'une présomption de perte de revenus, les jeunes handicapés n'étant pas assimilés à des travailleurs. Le Gouvernement néerlandais considère que cette prestation constitue une prestation de remplacement destinée aux personnes ne remplissant pas les conditions d'assurance pour obtenir une prestation d'invalidité normale.

La Commission des Communautés européennes estime que la prestation prévue par la "Wajong" est une prestation mixte relevant à la fois de la Sécurité sociale et de l'assistance sociale. Cette prestation constituerait une prestation spéciale puisque, bien que couvrant la même éventualité, elle concernerait des personnes qui, n'ayant pas d'antécédents professionnels, n'ont jamais été assurées en application de la "WAO" ou de la loi sur l'assurance contre l'incapacité de travail des travailleurs indépendants, du 24 avril 1997, et n'auraient d'ailleurs jamais pu l'être.

1.2. Conséquence attachée à cette qualification : non exportabilité des prestations

La CJCE (arrêt rapporté, point 35) tranche le débat qui, sur le fond, ne pose guère de difficulté. Dans un arrêt du 6 juillet 2006 (CJCE, 6 juillet 2006, aff. C-154/05, J. J. Kersbergen-Lap c/ Raad van Bestuur van het Uitvoeringsinstituut Werknemersverzekeringen N° Lexbase : A2714DQL) (1), la Cour a dit pour droit qu'une prestation servie au titre de la "Wajong" doit être considérée comme une prestation spéciale à caractère non contributif au sens de l'article 4 § 2 bis du Règlement n° 1408/71.

Dans l'arrêt "Kersbergen-Lap et Dams-Schipper", précité (point 43), la Cour a jugé qu'une personne dans la situation du requérant au principal ne saurait se prévaloir d'aucun droit à la conservation des avantages acquis au titre de l'"AAW" antérieurement à l'adoption de la "Wajong". Les conséquences juridiques (le caractère exportable ou non de la prestation servie au titre de la "Wajong") engendrées par l'établissement de la résidence en dehors des Pays-Bas doivent, par voie de conséquence, être examinées à la lumière des règles applicables au moment de ce nouvel établissement, c'est-à-dire à la lumière des nouvelles dispositions.

Bref, pour la CJCE, une prestation telle que celle servie au titre de la "Wajong" doit être considérée comme une prestation spéciale à caractère non contributif, au sens du Règlement n° 1408/71 (article 4 § 2 bis). Seule la règle de coordination de l'article 10 bis de ce Règlement doit être appliquée à M. H.. Le versement de cette prestation peut valablement être réservé aux personnes qui résident sur le territoire de l'Etat membre qui sert cette prestation. La circonstance que l'intéressé recevait auparavant une prestation pour jeunes handicapés qui était exportable est sans incidence sur l'application de ces dispositions.

2. Notion de prestation spéciale à caractère non contributif, au sens du Règlement n° 1612/68 sur la liberté de circulation des travailleurs

L'article 7 du Règlement n° 1612/68, édicté pour l'application des dispositions du Traité CE relatives à la libre circulation des travailleurs, dispose que le travailleur ressortissant d'un Etat membre ne peut, sur le territoire des autres Etats membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d'emploi et de travail, notamment, en matière de rémunération, de licenciement, et de réintégration professionnelle ou de réemploi s'il est tombé en chômage. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.

La juridiction de renvoi demande si M. H. peut se prévaloir de l'article 39 du Traité CE (Règlement n° 1612/68, art. 7) et si ces textes s'opposent à ce que le versement de la prestation servie au titre de la "Wajong" soit interrompu au motif qu'il a quitté les Pays-Bas.

2.1. Qualité de travailleur migrant

M. H. estime qu'il doit être considéré comme un travailleur ayant exercé son droit de libre circulation au sens du droit communautaire. Il s'appuie, notamment, sur l'affaire "Terhoeve" (CJCE, 26 janvier 1999, aff. C-18/95, F.C. Terhoeve c/ Inspecteur van de Belastingdienst Particulieren/Ondernemingen buitenland N° Lexbase : A1934AWK), dans laquelle la Cour a jugé que tout ressortissant communautaire qui fait usage de son droit à la libre circulation des travailleurs et qui exerce une activité professionnelle dans un autre Etat membre relève du champ d'application du Règlement n° 1612/68, indépendamment de son lieu de résidence et de sa nationalité.

Il souligne, également, que dans l'affaire "Meints" (CJCE, 27 novembre 1997, aff. C-57/96, H. Meints c/ Minister van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij N° Lexbase : A0354AWZ), la Cour a jugé que le Règlement n° 1612 /68 ne permet pas de subordonner l'octroi d'un avantage social à la condition que le bénéficiaire réside sur le territoire de l'Etat membre qui doit lui servir la prestation.

En l'espèce, M. H. était employé dans un magasin de bricolage aux Pays-Bas. Le 1er juin 1999, il a déménagé en Belgique, mais a, toutefois, conservé son emploi aux Pays-Bas, dans le même magasin où il percevait une rémunération inférieure au salaire minimal légal (cette rémunération était complétée par la prestation servie au titre de la "Wajong"). L'UWV a, par décision du 28 juin 1999, suspendu le service de ces prestations, à compter du 1er juillet 1999. Selon la CJCE (arrêt rapporté, point 46), M. H. doit être considéré comme une personne qui, tout en conservant une activité salariée dans son Etat d'origine, a transféré sa résidence dans un autre Etat membre, puis a retrouvé une autre activité salariée dans son Etat d'origine. La circonstance que M. H., après s'être installé en Belgique, a continué à travailler aux Pays-Bas puis a changé d'employeur dans ce même Etat lui donne la qualité de travailleur migrant et l'a fait entrer, pendant toute la période en cause dans le litige au principal, soit du mois de juin 1999 à l'année 2001, dans le champ d'application du droit communautaire, et, en particulier, dans le champ d'application de celles de ses dispositions qui concernent la liberté de circulation des travailleurs (CJCE, 21 février 2006, aff. C-152/03, Hans-Jürgen Ritter-Coulais c/ Finanzamt Germersheim N° Lexbase : A0043DNW, points 31 et 32 ; CJCE, 18 juillet 2007, aff. C-212/05, Gertraud Hartmann c/ Freistaat Bayern N° Lexbase : A4370DX7, point 17).

En vertu de l'article 7 du Règlement n° 1612/68, un travailleur migrant bénéficie des mêmes avantages sociaux que ceux qui sont accordés aux travailleurs nationaux. Selon une jurisprudence constante, la notion de "travailleur" visée par cette disposition couvre les travailleurs frontaliers qui peuvent s'en prévaloir au même titre que tout autre travailleur visé par cette disposition (voir, en ce sens, CJCE, 27 novembre 1997, aff. C-57/96, H. Meints c/ Minister van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij N° Lexbase : A0354AWZ, point 50 ; CJCE, 8 juin 1999, aff. C-337/97, C.P.M. Meeusen c/ Hoofddirectie van de Informatie Beheer Groep N° Lexbase : A0539AWU, point 21 et CJCE 18 juillet 2007, Hartmann, précité, point 24) (2).

2.2. Reconnaissance de la qualité de travailleur migrant et bénéfice de l'"avantage social"

- La notion d'"avantage social" (Règlement n° 1612/68, art. 7 § 2) couvre tous les avantages qui, liés ou non à un contrat d'emploi, sont généralement reconnus aux travailleurs nationaux en raison, principalement, de leur qualité de travailleurs ou du simple fait qu'ils ont leur résidence ordinaire sur le territoire national et dont l'extension aux travailleurs migrants apparaît, dès lors, comme de nature à faciliter leur mobilité à l'intérieur de la Communauté (CJCE, 27 mars 1985, aff. C-249/83, Vera Hoeckx c/ Centre public d'aide sociale de Kalmthout N° Lexbase : A8217AUU, point 20 ; CJCE, 12 mai 1998, aff. C-85/96, María Martínez Sala c/ Freistaat Bayern N° Lexbase : A1877AWG, point 25) (3).

Selon la CJCE (arrêt rapporté, point 49), la prestation servie au titre de la "Wajong" est un avantage qui est reconnu aux travailleurs qui, du fait d'une maladie ou d'une infirmité, ne sont pas en mesure de gagner, par leur travail, ce qu'une personne en bonne santé d'un même niveau de formation et d'expérience gagne habituellement par son travail. Ainsi que l'estime le juge de renvoi, la prestation en cause constitue donc un avantage social au sens de l'article 7 § 2 du Règlement n° 1612/68. Or, la CJCE a jugé qu'un Etat membre ne saurait subordonner l'octroi d'un avantage social au sens de l'article 7 à la condition que les bénéficiaires de l'avantage aient leur résidence sur le territoire national de cet Etat membre (arrêts précités, CJCE, 27 novembre 1997, aff. C-57/96, "Meints", point 51 et CJCE, 8 juin 1999, aff. C-337/97 "Meeusen", point 21) (4).

La CJCE reconnaît que la prestation servie au titre de la "Wajong" fait partie des prestations spéciales à caractère non contributif (Règlement n° 1408/71, article 4 § 2 bis, et 10 bis), dont le bénéfice peut légalement être réservé aux personnes qui résident sur le territoire de l'Etat membre dont la législation prévoit une telle prestation. Le Règlement n° 1612/68 portant sur la libre circulation des travailleurs (article 42 § 2) dispose que celui-ci ne porte pas atteinte aux dispositions prises conformément à l'article 51 du Traité (devenu, après modification, article 42 du Traité CE), ce qui est le cas s'agissant d'un Règlement de coordination, tel que le Règlement n° 1408 /71.

Toutefois, ainsi que la CJCE l'a jugé de façon constante, les dispositions du Règlement n° 1408/71 doivent être interprétées à la lumière de l'objectif de cet article qui est de contribuer à l'établissement d'une liberté de circulation des travailleurs migrants aussi complète que possible (CJCE, 8 mars 2001, aff. C-215/99, Friedrich Jauch c/ Pensionsversicherungsanstalt der Arbeiter N° Lexbase : A0284AWG, point 20) (5). En effet, l'article 7 § 2 du Règlement n° 1612/68 est l'expression particulière, dans le domaine spécifique de l'octroi d'avantages sociaux, de la règle de l'égalité de traitement consacrée à l'article 39 § 2 CE et doit être interprété de la même façon que cette dernière disposition (CJCE, 23 février 2006, aff. C-205/04, Commission des Communautés européennes c/ Royaume d'Espagne N° Lexbase : A1458DNC, point 15).

- Il en résulte, pour la CJCE (arrêt rapporté, point 52) que la condition de résidence pour le bénéfice de la prestation servie au titre de la "Wajong" ne peut être opposée à M. H. que si elle est objectivement justifiée et proportionnée à l'objectif poursuivi. Or, selon la CJCE, la prestation servie au titre de la "Wajong" est étroitement liée au contexte socio-économique de l'Etat membre concerné, puisqu'elle dépend du salaire minimal et du niveau de vie aux Pays-Bas. De plus, cette prestation fait partie des prestations spéciales à caractère non contributif visées aux dispositions combinées des articles 4 § 2 bis, et 10 bis du Règlement n° 1408/71, dont les personnes auxquelles ce Règlement est applicable bénéficient exclusivement sur le territoire de l'Etat membre dans lequel elles résident et au titre de la législation de cet Etat. Il s'ensuit que la condition de résidence, en tant que telle, prévue par la législation nationale, est objectivement justifiée (arrêt rapporté, point 55).

- Encore faut-il que la mise en oeuvre de ladite condition ne porte pas aux droits qu'une personne dans la situation de M. H. tient de la libre circulation des travailleurs une atteinte qui aille au-delà de ce qu'exige la réalisation de l'objectif légitime poursuivi par la loi nationale.

Or, la législation hollandaise prévoit expressément qu'il peut être dérogé à la condition de résidence lorsque celle-ci conduit à une "injustice majeure". Selon une jurisprudence bien établie, il appartient aux juridictions nationales d'interpréter, dans toute la mesure du possible, le droit national dans un sens qui soit compatible avec les exigences du droit communautaire (CJCE, 13 novembre 1990, aff. C-106/89, Marleasing SA c/ La Comercial Internacional de Alimentacion SA N° Lexbase : A7475AHC (6), Rec. p. I, 4135, point 8, et CJCE, 5 octobre 2004, aff. C-397/01, Bernhard Pfeiffer, Wilhelm Roith, Albert, Michael Winter, Klaus Nestvogel, Roswitha Zeller, Matthias Döbele c/ Deutsches Rotes Kreuz, Kreisverband Waldshut eV N° Lexbase : A5431DDI, point 113, (7)).

Le juge de renvoi doit donc s'assurer que, dans les circonstances de l'affaire concernée, l'exigence d'une condition de résidence sur le territoire national ne conduit pas à une telle injustice compte tenu du fait que M. H. a exercé son droit à la libre circulation des travailleurs et qu'il a conservé ses attaches économiques et sociales aux Pays-Bas.

Au final, selon la CJCE, les articles 39 du Traité CE et 7 du Règlement n° 1612/68 doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une législation nationale qui fait application des articles 4 § 2 bis et 10 bis du Règlement n° 1408/71 et prévoit qu'une prestation spéciale à caractère non contributif figurant à l'annexe II bis de ce dernier Règlement ne peut être accordée qu'aux personnes qui résident sur le territoire national. Toutefois, la mise en oeuvre de cette législation ne doit pas porter aux droits de M. H. une atteinte qui aille au-delà de ce qu'exige la réalisation de l'objectif légitime poursuivi par la loi nationale. Il appartient au juge national, qui doit donner à la loi nationale, dans toute la mesure du possible, une interprétation compatible avec le droit communautaire, de tenir compte du fait que le travailleur en cause a conservé l'ensemble de ses attaches économiques et sociales dans l'Etat membre d'origine.


(1) L. Idot, Non exportabilité des prestations spéciales à caractère non contributif, Europe 2006, octobre, nº 278, p.18-19.
(2) Ch. Willmann, Liberté de circulation des travailleurs et bénéfice d`un avantage social, Lexbase Hebdo n° 273 du 20 septembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N4733BCB).
(3) L. Idot, Europe 1998, juillet, Comm. nº 241, p.14 ; P. Cabral, La jurisprudence de la Cour de justice et du Tribunal de première instance, Revue du marché unique européen 1998 nº 3 p. 254-256 ; A. Whelan, Revue des affaires européennes 1999, p. 228-238.
(4) L. Idot, Europe 1999, août-septembre, Comm. nº 296, p. 19 ; M. Luby, Chronique de jurisprudence du Tribunal et de la Cour de justice des Communautés européennes, Journal du droit international 2000, p. 477-478 ; J.-P. Lhernould, Avantages sociaux et égalité de traitement, Dr. Soc. 1999, p. 938-939.
(5) F. Kessler, L'exportation de prestations non contributives de Sécurité sociale : du nouveau, Droit social 2001, p. 751-753 ; J.-P. Lhernould, Exportation des prestations sociales non contributives dans l'espace communautaire: acte III, RJS 2001, p. 387-390.
(6) M. Coipel, Revue de droit commercial belge, 1991, p.878-879 ; Y. Chaput, Absence d'annulation d'une société anonyme dont l'objet réel est illicite, Revue des sociétés 1991 p. 535-538.
(7) J.-M. Belorgey, S. Gervasoni et C. Lambert, Absence d'effet direct horizontal des directives, AJDA 2004 p. 2265-2267 ; L. Idot, Application des directives sur la sécurité et la santé du travail à des secouristes, Europe 2004, décembre, Comm. nº 404, p.17-18 ; J.-P. Lhernould, Le temps de travail en quête de nouveaux repères, RJS, 2004, p. 871-881 ; F. Meyer, Droit communautaire du travail, D. 2005, Pan. p. 2783-2789.
Décision

CJCE, 11 septembre 2007, aff. C-287/05, D. P. W. Hendrix c/ Raad van Bestuur van het Uitvoeringsinstituut Werknemersverzekeringen (N° Lexbase : A0742DY7)

Textes visés : Traité CE, art. 12 , 17 , 18 et 39 (N° Lexbase : L5348BC3) ; Règlement (CEE) n° 1408/71, articles 4 § 2 bis, et 10 bis ainsi que annexe II bis (N° Lexbase : L4570DLT) ; Règlement (CEE) n° 1612/68, article 7 § 1 (N° Lexbase : L9271BHT).

Mots-clefs : prestations spéciales à caractère non contributif ; prestation néerlandaise pour jeunes handicapés ; caractère non exportable.

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