La lettre juridique n°278 du 25 octobre 2007 : Famille et personnes

[Jurisprudence] L'établissement posthume de la filiation par la possession d'état

Réf. : Cass. civ. 1, 19 septembre 2007, n° 06-21.061, M. Jean-François Ponama, F-P+B (N° Lexbase : A4344DYK)

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par Nathalie Baillon-Wirtz, Maître de conférences à l'Université de Reims Champagne-Ardenne

le 07 Octobre 2010

De même que la possession d'un bien permet de présumer le droit de propriété en la personne du possesseur, la possession de l'état d'enfant permet de présumer le lien de filiation. Le Code civil définit cette présomption comme étant issue de la "réunion suffisante de faits" qui indiquent avec une certaine permanence et de façon habituelle le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. Les principaux de ces faits sont la manière dont l'enfant est traité par ses parents prétendus et réciproquement (tractatus), sa situation aux yeux de la famille et des étrangers (fama), ainsi que son nom (nomen). En application des dispositions antérieures à la réforme du droit de la filiation par l'ordonnance du 4 juillet 2005 (ordonnance n° 2005-759, portant réforme de la filiation N° Lexbase : L8392G9P), l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 19 septembre 2007, ici commenté, confirme la décision de la cour d'appel de déduire de déclarations du père prétendu, décédé au jour de l'instance, et de divers témoins l'existence d'une possession d'état et d'autoriser l'enfant à changer de nom. Vérité affective tout aussi respectable que la vérité officielle des registres de l'état civil ou même que la vérité biologique, la possession d'état "répond parfaitement aux tendances du droit contemporain à intégrer les données de la sociologie et à son souci constant de l'intérêt de l'enfant" (1). Aussi les dispositions des lois du 3 janvier 1972 et, surtout, du 25 juin 1982 (lois relatives à l'établissement de la filiation) furent-elles bien accueillies, la possession d'état produisant des effets importants dans l'établissement du lien de filiation aussi bien légitime que naturelle. Mais c'est surtout dans le cadre de l'établissement de la filiation naturelle qu'elle s'est révélée particulièrement utile, en venant pallier l'absence de reconnaissance de l'enfant par le père ou la mère.

Bien que rien dans la loi du 25 juin 1982 n'autorisait à limiter l'application de l'ancien article 334-8 du Code civil (N° Lexbase : L2804ABH) au seul cas où l'auteur de l'enfant était décédé sans l'avoir reconnu, il faut bien avouer que c'était précisément dans cette hypothèse que la possession d'état présentait le plus d'intérêt.

Cependant, si la possession d'état est, à elle seule, le "plus puissant de tous les titres" (2), encore faut-il qu'elle soit elle-même établie.

Celle-ci s'établit, selon l'article 311-1 du Code civil (N° Lexbase : L8856G9U), par des faits dont les principaux sont le comportement respectif des parents et de l'enfant, l'image sociale que renvoie le rapport de filiation ainsi que le nom. Cette énumération légale, étant indicative et non limitative, n'a, toutefois, que "la valeur d'un exemple" (3). Aussi est-il possible, le cas échéant, de s'appuyer sur d'autres faits que ceux déjà énumérés (4). Inversement, rien ne s'oppose à ce que certains éléments, pourtant mentionnés par l'article 311-1 du Code civil, soient purement et simplement retranchés. Il appartient, en effet, aux juges du fond d'apprécier si les éléments de faits retenus suffisent à établir la possession d'état.

En l'espèce, les juges du fond ont considéré que les éléments de faits présentés par le demandeur à l'action en constatation de la possession d'état constituaient à eux seuls un "faisceau d'indices" (5) indiquant de manière significative le lien de filiation. En effet, M. François H., né au Vietnam en 1954 de père inconnu, fit établir en 2001 par le juge des tutelles du tribunal de grande instance de Marseille un acte de notoriété établissant sa possession d'état d'enfant naturel à l'égard de Antoine P., décédé en 1992. Défendeur à l'action en constatation de la possession d'état, le fils légitime du défunt fit grief à l'arrêt ici attaqué d'avoir constaté le lien de filiation entre M. H. et le défunt au vu de déclarations de ce dernier et de divers témoins ; attestations par ailleurs corroborées par la production de correspondances échangées avec les membres de la famille, ainsi que de 52 photographies prises à l'occasion de fêtes familiales. De plus, en application de l'article 334-3 du Code civil (N° Lexbase : L6512DIZ), dans sa rédaction antérieure à la réforme du droit de la filiation par l'ordonnance du 4 juillet 2005, et compte tenu des liens ayant manifestement existé entre le père prétendu et l'enfant, ce dernier est admis à changer de nom.

De l'existence de la fama et du tractatus, les juges du fond ont donc déduit la possibilité pour l'enfant d'avoir le nomen qui lui manquait encore, l'action en changement de nom lui étant par ailleurs ouverte dans les deux années qui suivent la modification apportée à son état, en vertu de l'ancien article 334-3.

Le décès du parent est, en outre, totalement indifférent. La solution est logique sachant que, dans la plupart des hypothèses, la preuve de la possession d'état sert à faire connaître la qualité d'héritier. C'est d'ailleurs en ce sens que la loi du 25 juin 1982, dans son article 2, a autorisé tous les enfants naturels, nés avant l'entrée en vigueur de la loi, à se prévaloir de leur possession d'état dans toutes les successions, quelle que soit la date à laquelle elles se sont ouvertes, sous la réserve, toutefois, de ne pas remettre en cause les successions déjà liquidées à la date de l'entrée en vigueur de la loi.

Cette mesure de droit transitoire constitue, cependant, un véritable danger pour la sécurité des règlements successoraux (6), déjà fragilisée par l'existence de modes de preuve de la possession d'état particulièrement avantageux pour l'enfant. Ainsi, l'action en constatation de la possession d'état était, antérieurement au 1er janvier 2006, soumise à la prescription trentenaire qui commençait à courir, selon l'ancien article 311-7 du Code civil (N° Lexbase : L2742AB8), à compter du jour où l'individu avait été privé de l'état qu'il revendiquait, c'est-à-dire quand sa possession d'état avait pris fin, ce moment se situant le plus souvent au jour du décès du parent prétendu (7).

Sans remettre en question les rôles que les lois de 1972 et 1982 ont assignés à la possession d'état et pour satisfaire les objectifs de sécurité et de stabilité de la filiation de l'enfant, l'ordonnance du 4 juillet 2005 pose, dorénavant, une limite temporelle plus courte à l'usage de l'acte de notoriété ou encore à l'action constatant la possession d'état. Ainsi, la délivrance de l'acte de notoriété ne peut être demandée "que dans un délai de cinq ans à compter de la cessation de la possession d'état alléguée" (C. civ., art. 317, al. 3 N° Lexbase : L8818G9H) et une fois ce premier délai expiré, la constatation de la possession d'état par un jugement est également enfermée dans un délai de dix ans, en application des dispositions combinées des nouveaux articles 330 (N° Lexbase : L8832G9Y) et 321 (N° Lexbase : L8823G9N) du Code civil.

La constatation de la possession d'état a, également, subi quelques modifications importantes avec l'ordonnance du 4 juillet 2005.

Sous l'ancienne législation, rien dans les textes n'imposait que la possession d'état ait été formellement constatée pour produire effet : celui qui s'en prévalait pouvait évidemment être appelé à justifier de l'existence des faits constitutifs, ce qu'il pouvait faire librement (8), notamment, d'une manière non contentieuse en se faisant délivrer par le juge des tutelles un acte de notoriété (9) ou d'une manière contentieuse, soit en défendant à une contestation, soit en agissant aux fins de constater sa possession d'état.

Depuis le 1er janvier 2006, date d'entrée en vigueur de la réforme, l'article 310-1 du Code civil (N° Lexbase : L8852G9Q) prévoit que "la filiation est légalement établie [...] par la possession d'état constatée par un acte de notoriété. Elle peut l'être aussi par un jugement". De même, le nouvel article 310-3, alinéa 1er (N° Lexbase : L8854G9S), affirme que "la filiation se prouve [...] par l'acte de notoriété constatant la possession d'état". Selon ces nouvelles dispositions, la possession d'état ne suffit plus, par sa seule existence, à constituer une présomption du lien de filiation : pour qu'elle puisse produire ses effets, l'enfant doit finalement démontrer l'existence d'une réunion suffisante de faits qui indiquent le rapport de filiation par un acte de notoriété (C. civ., art. 317 N° Lexbase : L8818G9H) ou par un jugement (C. civ., art. 330 N° Lexbase : L8832G9Y). Ce n'est donc plus qu'à cette condition que la filiation de l'enfant se trouvera rétroactivement établie au jour de la naissance, voire de la conception, comme dans l'hypothèse d'une reconnaissance.


(1) J. Hauser et D. Huet-Weiller, Traité de droit civil, La famille, Fondation et vie de la famille, ss. la dir. de J. Ghestin, LGDJ, 2ème éd., 1993, p. 257, n° 494.
(2) Portalis, cité par H., L., J. Mazeaud, F. Chabas, Leçons de droit civil, La famille, par L. Leveneur, 7ème éd., Montchrestien, 1995, p. 361, n° 945.
(3) C. Colombet, La famille, PUF, 6ème éd., 1999, p. 132, n° 91.
(4) A pu ainsi être retenu le fait que l'enfant détienne des photographies de membres de la famille à laquelle il prétend appartenir (Cass. civ. 1, 1er décembre 1987, n° 86-11.156, Conseil départemental des médecins du Rhône c/ Mme Colin N° Lexbase : A1801AH8, Bull. civ. I., n° 317).
(5) M. Rémond-Gouilloud, La possession d'état d'enfant, RTD. civ., 1975, p. 459.
(6) V. pour l'ensemble des critiques formulées : M. Beaubrun, La sécurité des règlements successoraux à l'épreuve de l'établissement de la filiation naturelle par la possession d'état (article 334-8, alinéa 2, du Code civil), D. 1997, chron., p. 387.
(7) Ceci impliquait, dans l'hypothèse où la possession d'état avait cessé peu de temps après la naissance, par le décès du père ou de la mère, que l'enfant pouvait agir pendant 48 ans puisque le délai de prescription se trouvait suspendu pendant sa minorité : Cass. civ. 1, 10 janvier 1990, n° 88-14.404, M. X c/ M. Y et autres (N° Lexbase : A0072ABB), D. 1990, p.193, note D. Huet-Weiller ; CA Paris, 11 octobre 2001, D. 2001, IR, p. 3251, obs. B. Bossu.
(8) Cass. civ. 1, 11 juillet 1988, n° 86-18.372, M. X c/ Consorts Y et autres (N° Lexbase : A2138AHN), Bull. civ. I., n° 238 ; Cass. civ. 1, 6 décembre 2005, n° 03-15.588, M. Ernest Schoettel c/ M. Jean-Pierre Kaster, FS-P+B (N° Lexbase : A9112DL3), RJPF-2006-3/46, obs. T. Garé.
(9) L'ancien article 311-3 du Code civil prévoyait que, en dehors de tout procès, la preuve de la possession d'état pouvait résulter d'un acte de notoriété que délivrait le juge des tutelles sur la déclaration de trois témoins, au besoin après enquête, permettant ainsi d'établir légalement la filiation naturelle. L'acte de notoriété a généralement été critiqué en raison de son peu de fiabilité. Comme l'ont soulevé certains, l'importance pratique d'un tel acte aurait dû conduire le juge des tutelles à une plus grande prudence lors de l'examen des déclarations formulées par les témoins que présentent les requérants, ce qui n'était apparemment pas toujours le cas : M. Dagot, La preuve de la qualité d'héritier ou plaidoyer pour une réforme des actes de notoriété, JCP éd. N, 1974, I., 2618.

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