La lettre juridique n°278 du 25 octobre 2007 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Nullité d'un accord négocié avec une partie seulement des syndicats : nouveau principe

Réf. : Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 06-42.721, Société SEB, F-P+B (N° Lexbase : A7452DYN)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

La nullité des conventions et accords collectifs de travail reste un contentieux récent et jusqu'à présent rare, ce qui s'explique, en partie, par l'objet traditionnel de ces actes qui est l'obtention d'avantages pour les salariés. Les conventions et accords collectifs de travail ne contenant, désormais, plus seulement des avantages pour les salariés, les syndicats non signataires contestent de plus en plus fréquemment leur contenu. A quelles conditions un syndicat peut-il obtenir la nullité d'un accord collectif de travail ? Dans l'espèce commentée du 10 octobre 2007, des syndicats convoqués à une négociation qui n'avait pas abouti (aucun accord n'ayant été conclu, aucun procès-verbal de désaccord n'ayant été signé), entendaient obtenir l'annulation d'un accord signé postérieurement par deux syndicats, au motif qu'ils ne l'avaient pas négocié, ce dernier étant différent de celui qui leur avait été présenté lors de la première réunion. La Cour de cassation vient, ici, affirmer, dans un attendu de principe, que la nullité d'une convention ou d'un accord collectif de travail est encourue lorsque toutes les organisations syndicales n'ont pas été convoquées à sa négociation, ou si l'existence de négociations séparées est établie, ou, encore, si elles n'ont pas été mises à même de discuter les termes du projet soumis à la signature en demandant, le cas échéant, la poursuite des négociations jusqu'à la procédure prévue pour celle-ci. Ces hypothèses de nullité, bien qu'elles soient pour la première fois, à notre connaissance, affirmées de manière aussi catégorique, doivent pleinement être approuvées.

Résumé

La nullité d'un accord ou d'une convention collective est encourue lorsque toutes les organisations syndicales n'ont pas été convoquées à sa négociation, ou si l'existence de négociations séparées est établie, ou encore si elles n'ont pas été mises en mesure de discuter les termes du projet soumis à la signature en demandant, le cas échéant, la poursuite des négociations jusqu'à la procédure prévue pour celle-ci.

1. Encadrement de la nullité des accords collectifs de travail

  • Notion et formation de la convention collective de travail

L'accord collectif de travail est un acte juridique conclu entre des syndicats de salariés, d'une part, et un ou plusieurs employeurs, d'autre part (C. trav., art. L. 132-2 N° Lexbase : L5680ACD). Il se distingue de la convention collective par son objet.

La convention, tout comme l'accord, est un acte écrit à peine de nullité. Il doit être rédigé en français et doit, une fois conclu, être déposé à la fois à la direction du Travail et de l'Emploi et au secrétariat greffe du conseil de prud'hommes.

  • Causes de nullité des conventions et accords collectifs de travail

Les accords collectifs se formant comme des contrats, ils sont soumis aux conditions de validité des actes juridiques définies par les articles 1108 et suivants du Code civil (N° Lexbase : L1014AB8).

La nullité de la convention ou de l'accord collectif peut être ainsi, par exemple, obtenue en cas d'incapacité de conclure. Tel est le cas lorsque la représentativité du syndicat est contestée ou lorsqu'il y a défaut d'habilitation des signataires (C. civ., art. 1108).

La convention ou l'accord collectif de travail peut, encore, être touchée par un vice du consentement (C. civ., art. 1109 N° Lexbase : L1197ABX). La jurisprudence a toujours fait application des règles du droit commun, admettant, notamment, la violence pour prononcer la nullité de l'accord collectif conclu (T. civ. Nantes, 6 janvier 1956, Dr. soc. 1956, 87)

Si, en application du droit commun, le défaut de consentement, de capacité, un objet ou une cause illicite sont des causes de nullité, elles ne sont pas les seules. La nullité est, également, encourue lorsque les clauses de la convention dérogent aux dispositions d'ordre public absolu de la loi. L'article L. 132-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5683ACH) dispose, à cet effet, que, si la convention et l'accord collectif de travail peuvent comporter des dispositions plus favorables aux salariés que celles des lois et règlements, ils ne peuvent déroger aux dispositions d'ordre public de ces lois et règlements. La convention et l'accord doivent donc, à peine de nullité, se conformer aux dispositions d'ordre public absolu contenues dans les lois et règlements.

Ces cas de nullité concernent le fond des conventions et accords collectifs de travail. La nullité est, également, encourue en cas de non-respect des conditions de forme prescrites par le législateur.

La nullité est ainsi prononcée lorsque l'employeur n'invite pas à la négociation tous les syndicats représentatifs de l'entreprise (C. trav., art. L. 132-19 N° Lexbase : L5672AC3), voire lorsqu'il ne négocie pas avec l'ensemble des syndicats représentatifs dans l'entreprise.

Quid lorsque les syndicats ont tous été convoqués mais que tous n'ont pas participé à l'intégralité des négociations ? L'accord conclu est-il annulable ?

C'est à cette question que devait répondre la Cour de cassation dans la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, la société et différentes organisations syndicales avaient signé, le 14 décembre 1998, un accord sur la réduction du temps de travail concernant l'ensemble des salariés de l'entreprise, à l'exception des cadres pour lesquels les négociations avaient été ouvertes au deuxième semestre 2000.

A cet effet, une réunion de négociation s'était tenue, au cours de laquelle les diverses organisations syndicales avaient indiqué qu'elles ne signeraient pas le projet d'accord proposé et avaient refusé de signer un procès-verbal de désaccord.

Un accord sur ce sujet avait été, néanmoins, signé ultérieurement avec deux syndicats seulement. La CFDT, syndicat non signataire, avait saisi le tribunal de grande instance d'une demande d'annulation de cet accord, faisant valoir que ses termes n'avaient pas été soumis à la négociation de l'ensemble des organisations représentatives.

L'accord avait été annulé par la cour d'appel, qui avait condamné la société SEB à payer des dommages et intérêts au syndicat CFDT.

La Cour de cassation confirme cette nullité.

Dans un attendu qui a toutes les caractéristiques d'un attendu de principe, elle affirme que la nullité d'une convention ou d'un accord collectif de travail est encourue lorsque toutes les organisations syndicales n'ont pas été convoquées à sa négociation ou si l'existence de négociations séparées est établie ou, encore, si elles n'ont pas été mises à même de discuter les termes du projet soumis à la signature demandant, le cas échéant, la poursuite des négociations jusqu'à la procédure prévue pour celle-ci.

Or, comme le relève la Haute juridiction dans cette espèce, aucun accord ni aucun projet de désaccord n'avait été signé à l'issue de la première réunion, ce qui signifiait que la négociation était seulement interrompue. Aucune signature n'ayant été prévue et le texte signé ultérieurement par deux syndicats étant différent de celui discuté lors de la première réunion, l'accord négocié et signé par une partie seulement des syndicats représentatifs était nul.

Cette solution doit pleinement être approuvée.

2. Logique de nullité des conventions et accords collectifs d'entreprise

Les hypothèses de nullité relatées dans la décision commentée sont parfaitement logiques. Elles sont conformes à la lettre et l'esprit des textes applicables à la négociation et étaient annoncées par la jurisprudence. Néanmoins, on peut regretter ce ralentissement apporté à la négociation collective.

  • Précédents jurisprudentiels

L'article L. 132-19 du Code du travail dispose que la convention ou, à défaut, les accords d'entreprise sont négociés entre l'employeur et les organisations syndicales de salariés représentatives dans l'entreprise au sens de l'article L. 132-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5680ACD). La nullité, en cas de défaut de convocation individuelle à la négociation de tous les syndicats représentatifs dans l'entreprise, n'est pas douteuse. Elle a, d'ailleurs, été expressément prononcée par les juges. Cette nullité a été étendue par la jurisprudence.

La Cour de cassation a déduit de l'article L. 132-19 du Code du travail, l'illicéité de l'accord négocié avec une partie seulement des syndicats représentatifs dans l'entreprise (Cass. soc., 9 février 2000, n° 97-22.619, Union syndicale des personnels de la société Lyonnaise des eaux Dumez c/ Société Lyonnaise des eaux et autres, publié N° Lexbase : A4721AGX). Dans la décision du 9 février 2000, les juges avaient, ainsi, prononcé la nullité de l'accord négocié et conclu avec une partie des syndicats représentatifs de l'entreprise, et ce malgré le fait que les syndicats non signataires avaient délibérément quitté la table des négociations.

Cette déduction est logique. Si le législateur souhaite que l'employeur convoque à la table des négociations tous les syndicats représentatifs de l'entreprise, c'est en vue de négocier et d'aboutir à un accord qui satisfasse tout le monde et qui ait été soumis à toutes les mouvances syndicales de l'entreprise.

La solution retenue dans la décision commentée est respectueuse de la lettre des textes applicables en la matière. Elle constitue, toutefois, un frein à la conclusion de conventions et accords collectifs de travail.

  • Une solution respectueuse de la lettre des textes

L'article L. 132-19 du Code du travail impose, en effet, que les accords soient négociés entre l'employeur et les organisations syndicales représentatives dans l'entreprise. Cette disposition ne limite donc pas les obligations de l'employeur à la convocation des syndicats représentatifs de l'entreprise. Elle lui impose de négocier avec ces derniers. Dès lors, tant qu'un accord négocié avec tous ces syndicats n'est pas intervenu, aucun accord ne peut valablement être signé.

On peut trouver la jurisprudence -et donc le texte sur lequel elle se fonde- un peu radicale et peu propice à la conclusion de conventions et accords collectifs de travail. Que doit faire l'employeur lorsque certains syndicats mécontents avec les termes du projet quittent la table des négociations ?

Si l'on suit cette jurisprudence, il doit attendre qu'ils se décident à bien vouloir venir négocier la convention s'il veut qu'un accord soit conclu et soit donc applicable dans son entreprise. L'interruption des négociations n'est pas un motif lui permettant de conclure un accord avec ceux qui sont restés... Ce système risque de bloquer la négociation, du moins de la ralentir....

Décision

Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 06-42.721, Société SEB, F-P+B (N° Lexbase : A7452DYN)

Rejet (CA Nancy, 1ère chambre civile, 28 février 2006)

Textes concernés : néant

Mots-clefs : convention et accords collectifs de travail ; négociation ; interruption ; nullité de l'accord signé par une partie des syndicats représentatifs.

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