La lettre juridique n°230 du 5 octobre 2006 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Les propositions de reclassement écrites et précises : formalisme ou condition de fond ?

Réf. : Cass. soc., 20 septembre 2006, n° 04-45.703, M. Michel X. c/ Association Revivre, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2799DR4)

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le 07 Octobre 2010

L'écrit a, depuis bien longtemps, détrôné l'aveu comme "reine des preuves". L'importance de ce mode de preuve concerne bien entendu le droit du travail, et plus particulièrement dans cette affaire, les propositions de reclassement préalable à un licenciement économique. Ainsi, par un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation rendu le 20 septembre 2006, les magistrats mettent en pratique, pour la première fois, les conditions de forme de l'obligation de reclassement préalable à un licenciement économique insérées dans le Code du travail par la loi de modernisation sociale (1) : les propositions de reclassement doivent être écrites et précises. La manière dont la Cour met en application l'article L. 321-1, alinéa 3, du Code du travail (N° Lexbase : L6105AC4) nous paraît illustrer un mouvement de renforcement du contrôle des juges sur l'effectivité du droit au reclassement des salariés licenciés pour motif économique (2).
Résumé

Les propositions de reclassement préalablement à un licenciement pour motif économique doivent, conformément à l'article L. 321-1, alinéa 3, du Code du travail, être écrites et précises. A défaut, le licenciement sera dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Décision

Cass. soc., 20 septembre 2006, n° 04-45.703, M. Michel X. c/ Association Revivre, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2799DR4)

Cassation partielle (CA Angers, chambre sociale, 15 juin 2004)

Textes cités : C. trav., art. L. 321-1, alinéa 3 (N° Lexbase : L6105AC4), dans sa rédaction issue de la loi du 17 janvier 2002 (loi n° 2002-73 de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9)

Mots-clés : Licenciement. Motif économique. Offre de reclassement. Propositions précises et écrites

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Faits

1. Un salarié de l'association Revivre, employé d'abord comme comptable, puis comme directeur administratif, est licencié le 21 février 2002. Reprochant, notamment, à l'employeur de ne pas avoir exécuté son obligation de reclassement, le salarié contestait en justice le bien fondé du licenciement.

2. La cour d'appel d'Angers, saisie de l'affaire, déboute le salarié de ses demandes estimant que l'employeur pouvait démontrer par tout moyen qu'il avait satisfait à son obligation de reclassement, preuve apportée en l'espèce par des attestations produites d'offres à temps partiel, refusées par le salarié.

3. Le salarié se pourvoit en cassation.

Solution

1. Rejet de plusieurs moyens de procédure.

2. Sur le troisième moyen : l'arrêt qui retient que l'employeur peut démontrer par tous moyens qu'il a satisfait à l'obligation de reclassement préalablement au licenciement et qu'il est justifié par les attestations produites d'offres à temps partiel refusées par le salarié "sans constater l'existence d'offres écrites et précises proposées au salarié" viole l'article L. 321-1, alinéa 3, du Code du travail.

3. Cassation partielle.

Commentaire

1. Les conditions de forme de la proposition de reclassement

  • Des conditions imposées par le législateur

La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 a été l'occasion, pour le législateur, de s'adonner à l'une de ses pratiques favorites, à savoir la légalisation de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation. C'est à cette occasion qu'est entrée dans le Code du travail l'obligation pour l'employeur de tenter de reclasser le salarié préalablement au licenciement économique.

Cependant, il serait sévère de considérer que la loi, en matière de reclassement, n'ait rien apporté. C'est ainsi, notamment, que la fin de l'alinéa 3 de l'article L. 321-1 du Code du travail fut agrémenté de la phrase suivante : "Les offres de reclassement proposées au salarié doivent être écrites et précises".

Sans entrer dans le débat concernant la nature juridique de l'offre (V. J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, Droit civil, Les obligations. 1. L'acte juridique, éd. A. Colin, 11ème éd., pp. 90 et s.), l'existence de propositions de reclassement, en tant que faits juridiques, devait jusque là pouvoir être prouvée par tout moyen par l'employeur. Seul le législateur pouvait donc restreindre les modes probatoires liés à ces propositions (en ce sens, v. S. Koleck-Desautel, La charge de la preuve en matière de licenciement pour motif économique, Lexbase Hebdo n° 84 du 4 septembre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N8558AA9).

D'ailleurs, et en l'absence d'intervention du législateur en ce sens, la preuve par tout moyen reste la règle en matière de preuve de l'effectivité des recherches de possibilité de reclassement à l'initiative de l'entreprise (V. en ce sens Cass. soc., 16 septembre 2003, n° 01-45.127, F-D N° Lexbase : A5423C9Q).

Ainsi, et pour la première fois, la Cour de cassation a l'occasion de mettre en application la règle instituée en 2002 : les propositions de reclassement doivent être écrites et précises.

  • Des propositions écrites

Cette condition ne devrait pas poser trop de difficultés. En l'espèce, l'employeur avait fourni des attestations d'offres à temps partiel refusées par le salarié. Mais l'attestation peut être verbale. Seule l'attestation écrite aura donc valeur probatoire suffisante.

L'écrit est défini par l'article 1316 du Code civil (N° Lexbase : L1427ABH) comme une "suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible, quels que soient leur support et leurs modalités de transmission". Il faudra, bien entendu, tenir également compte de l'existence de l'écrit électronique introduit aux articles 1316-1 et suivants du même code (N° Lexbase : L0627ANK) même si cette procédure n'a pas été expressément envisagée par le Code du travail.

En revanche, les propositions doivent être adressées individuellement aux salariés (V. Cass. soc., 17 janvier 2001, n° 98-46.111, Société Imprimerie Bussière N° Lexbase : A9307ASI). Si bien que le refus apporté par la Chambre sociale en matière d'information par intranet sur les emplois à temps plein disponibles dans l'entreprise (Cass. soc., 20 avril 2005, n° 03-41.802, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9303DHZ et les obs. de Ch. Radé, Information des salariés et usage de l'intranet, Lexbase Hebdo n° 166 du 5 mai 2005 - édition sociale N° Lexbase : N3898AI9) devrait se voir étendu aux propositions de reclassement dans le cadre du licenciement économique.

Outre qu'elles doivent être écrites, les propositions de reclassement doivent donc également être précises.

  • Des propositions précises

La seconde condition de forme concerne donc la précision de l'offre de reclassement. La Chambre sociale ne donne aucune information sur ce qu'elle entend par "précis".

On peut rechercher des indices des éventuelles exigences de la Chambre sociale en la matière à travers d'autres obligations de reclassement, spécialement celle qui est imposée au retour dans l'entreprise d'un salarié déclaré inapte à la suite d'un accident du travail (V. Cass. soc., 10 décembre 2002, n° 00-46.231 N° Lexbase : A4157A4Q et les obs. de Ch. d'Artigue, La précision de la proposition de reclassement : une notion difficile à manier, Lexbase Hebdo n° 54 du 16 janvier 2003 - édition sociale N° Lexbase : N5451AA7). Dans cette affaire, les Hauts magistrats avaient considéré comme insuffisamment précise une proposition se contentant d'indiquer la nature de l'emploi proposé telle que définie par les règles de classification applicables à l'entreprise. Un autre arrêt, concernant cette fois une inaptitude d'origine non professionnelle, avait ainsi estimé comme trop imprécise l'offre d'un emploi à temps partiel sans aucune indication sur la structure de l'effectif, la nature des postes existant dans l'entreprise ou les possibilités de mutations ou de transformations des postes de travail (V. Cass. soc., 6 février 2001, n° 98-43.272, Société Autocars Martinken c/ M. Robert Bindler N° Lexbase : A3614ARB).

On peut imaginer que l'offre doit être aussi précise que le serait, par exemple, une offre d'emploi, quoiqu'il faut bien reconnaître qu'il n'existe que peu de règles particulières en la matière, à part bien sûr les règles générales applicables à l'offre de contracter. Elle devrait donc comporter mention du poste, de l'emploi, du lieu de travail, des horaires ou encore de la rémunération proposée. Le salarié doit avoir en main toutes les données lui permettant d'accepter ou de refuser la proposition en connaissance de cause.

Quoique l'application faite par la Chambre sociale de l'article L. 321-1, alinéa 3, in fine paraisse tout ce qu'il y a de plus orthodoxe, cet arrêt s'insère malgré tout dans une mouvance qui semble chercher à revigorer l'obligation de reclassement dans le paysage juridique du droit du licenciement économique.

2. Le renforcement implicite de l'obligation de reclassement

  • Condition de forme ou condition de fond ?

A première vue, la question peut paraître saugrenue. L'obligation de faire des propositions de reclassement par écrit et contenant des informations suffisamment précise est une condition de forme et, pourrait-on dire pour l'écrit, la condition de forme par excellence. Seulement voilà, comme souvent lorsqu'il s'agit de reclassement, la sanction du défaut de cette formalité ne va pas correspondre aux sanctions habituellement utilisées pour le non-respect d'une formalité. Au contraire, en décidant que la preuve du licenciement n'est pas apportée, la Cour de cassation parvient à sa solution traditionnelle selon laquelle le licenciement se trouve alors dépourvu de cause réelle et sérieuse (parmi d'autres arrêts, v. Cass. soc., 10 octobre 2002, n° 00-43.922, F-D N° Lexbase : A9710AZN).

La formalisation par un écrit suffisamment précis ne peut cependant pas tout à fait être considéré comme étant une condition de fond, mais plutôt comme un mode probatoire. La preuve ne peut être faite qu'au moyen de l'écrit. On conviendra, malgré tout, que le résultat est identique, et ce malgré l'appel de certains auteurs visant à mettre en oeuvre une sanction spécifique concernant justement le non-respect des obligations de reclassement (v. par ex., J.-E. Ray, Loi pour la cohésion sociale, continuité et contournements, Dr. soc. 2005, spéc. p. 365).

L'obligation de présenter les propositions dans ces formes n'est pas contestable puisque prévue par le texte. En revanche, la sanction peut-elle être remise en question ? Est-elle véritablement trop lourde ? Il nous semble qu'il s'agit, en réalité, du prix à payer pour être sûr que les employeurs qui licencient pour un motif économique mettront tout en oeuvre pour que les salariés concernés soient reclassés. C'est d'ailleurs le sens que souhaite donner la Cour de cassation à cet arrêt puisque, par un communiqué ayant accompagné l'arrêt sur le site internet de la Cour, l'explication sommaire de l'arrêt va bien en ce sens. Il s'agit de prendre en considération la finalité de la disposition de l'article L. 321-1 du Code, "qui tend à assurer l'effectivité du droit du salarié au reclassement et la certitude de la réalité des offres de reclassement" (1).

Demeure une question : pourquoi avoir visé l'article L. 321-1 "dans sa rédaction issue de la loi du 17 janvier 2002" alors que, si la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 (N° Lexbase : L6384G49) modifie bien le premier alinéa de cet article, elle n'a pas remanié l'alinéa 3 concerné en l'espèce. Peut-être est-ce le moyen d'appuyer sur le fait qu'il s'agisse d'une interprétation "globale", comme cela existe pour l'interprétation du contrat (v. C. civ., art. 1161 N° Lexbase : L1263ABE), impliquant donc que l'interprétation serait différente si la Cour avait appliqué le texte pour une affaire sous l'empire de la loi de 2005. Les conséquences sur la sanction de l'inexécution de l'obligation de reclassement, interprétées à la lumière de la loi de cohésion sociale raviraient, soyons en sûrs, les tenants de la minimisation du formalisme en droit du travail.

Ce formalisme a d'autres conséquences puisqu'il permettra de s'assurer que certaines conditions ont été respectées.

  • Les conséquences sur les autres conditions de l'obligation de reclassement

Nous commentions la semaine passée, dans ces colonnes, un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation au sujet, déjà, du reclassement du salarié licencié pour motif économique (V. Cass. soc., 13 septembre 2006, n° 04-43.763, F-D N° Lexbase : A0242DRE et nos obs., Hiérarchie des propositions de reclassement dans le cadre du licenciement économique, Lexbase Hebdo n° 229 du 28 septembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N3173AL4). Par cette décision, la Cour de cassation rappelait, à sa manière, qu'il existait une hiérarchie entre les différentes offres de reclassement pouvant être proposées à un salarié. Ainsi, selon elle, il faut proposer au salarié un emploi équivalent au sein du groupe avant de lui proposer un emploi de qualification inférieure dans l'entreprise.

L'écrit comme formalité indispensable à la proposition d'un reclassement est, à notre sens, seul à même de permettre aux juges d'estimer si cette condition liée à l'ordre des différentes propositions de reclassement a bien été respectée. Tout cela traduit un mouvement de la Cour de cassation visant à renforcer son contrôle sur l'effort de reclassement effectué par l'entreprise.

Enfin, nous l'avons déjà évoqué, l'écrit paré d'informations précises permettra au salarié d'apprécier s'il doit ou non accepter l'offre de reclassement qui lui est proposée. Le principe selon lequel le salarié peut toujours refuser l'offre de reclassement, comme nous l'avons déjà envisagé, devrait être limité aux cas où l'employeur n'a pas effectué toutes les efforts possibles en vue d'exécuter son obligation (V. nos obs., article précité). Il nous semble que ces jurisprudences successives tendant à renforcer l'effectivité du droit au reclassement du salarié, mais comportant également en leur sein des contraintes plus importantes pour les employeurs, devraient être équilibrées par une politique jurisprudentielle différente en matière de refus du salarié d'une proposition de reclassement. Car, si tout est fait pour le reclasser, le refus discrétionnaire du salarié peut devenir abusif... mais seulement si tout est fait pour le reclasser !

Sébastien Tournaux
Ater à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) V. le communiqué de la Cour de cassation.

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