La lettre juridique n°230 du 5 octobre 2006 : Sociétés

[Jurisprudence] L'action sociale ut singuli et la sollicitation de mesures conservatoires tendant à garantir le paiement des dommages-intérêts

Réf. : Cass. civ. 2, 14 septembre 2006, n° 05-16.266, M. Jean-Claude Bally, FS-P+B (N° Lexbase : A3121DRZ)

Lecture: 6 min

N3384ALW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] L'action sociale ut singuli et la sollicitation de mesures conservatoires tendant à garantir le paiement des dommages-intérêts. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208580-jurisprudence-laction-sociale-i-ut-singuli-i-et-la-sollicitation-de-mesures-conservatoires-tendant-a
Copier

par Vincent Téchené, SGR - Droit des affaires

le 07 Octobre 2010

Aux termes de l'article 1843-5 du Code civil (N° Lexbase : L2019ABE), "outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, un ou plusieurs associés peuvent intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants". Ce texte permet donc aux associés d'attraire en justice le dirigeant de la société, lorsque celui-ci a causé un préjudice à cette dernière et que les représentants légaux de la société se sont abstenus d'agir. Or, il est très peu probable voire impensable, que le gérant, s'il est le seul représentant légal de la société, agisse au nom de la société pour se voir personnellement condamner à réparer le préjudice qu'il aura causé à la société. L'action sociale ut singuli -exercée par les associés, par opposition à l'action sociale ut universi, exercée par les dirigeants de la société- trouve, donc, toute sa raison d'être dans de telles circonstances. C'est dans le cadre d'une telle action que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a statué sur un pourvoi tendant à faire annuler la décision ayant autorisé des associés, à la suite de l'exercice d'une action sociale ut singuli, à pratiquer une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sur les biens immobiliers du dirigeant social. En l'espèce, le demandeur au pourvoi, gérant d'une société civile immobilière, demandait à la cour d'appel la rétractation de la décision ayant autorisé la mesure conservatoire, soutenant que les demandeurs de celle-ci, c'est-à-dire, les consorts R., associés de la société, n'avaient pas qualité pour la mettre en oeuvre. La cour d'appel de Fort-de-France, dans un arrêt du 22 octobre 2004, pour rejeter cette demande, relève que "les associés, habilités à agir en réparation contre le gérant, sur le fondement de l'article 1843-5 du Code civil, avaient qualité pour prendre toute mesure de nature à garantir le paiement de l'action qu'ils exercent". La Haute juridiction casse cette décision, au visa des articles 67 de la loi du 9 juillet 1991 (loi n° 91-650, portant réforme des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L4669AHE), 210 du décret du 31 juillet 1992 (décret n° 92-755, instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d'exécution pour l'application de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L3620AHK) et 1843-5 du Code civil, retenant qu'"en statuant ainsi, alors que les consorts [R.] n'avaient pas sollicité la mesure conservatoire au nom de la société, la cour d'appel a violé les articles susvisés".

Pour comprendre la solution retenue par la Cour de cassation, il convient de rappeler les principes applicables à l'action sociale et, notamment, les conditions devant être remplies pour qu'un associé soit recevable à l'exercer, ces principes étant transposés à la demande de pratiquer des mesures conservatoires sur les biens du débiteur.

L'exercice par les associés de l'action sociale, suppose tout d'abord, on l'a vu, une inaction des représentants de la société. Ensuite, comme le précise l'article 1843-5 du Code civil, l'action sociale ne tend pas à réparer un préjudice subi personnellement par l'associé (cf. la formule "outre le préjudice subi personnellement"), mais celui subi par la société. D'ailleurs, l'alinéa 1, in fine de l'article 1843-5 du Code civil précise que, en cas de condamnation, les dommages-intérêts sont alloués à la société et non pas au demandeur. La distinction entre préjudice personnel de l'associé et préjudice de la société n'est pas toujours aisée. Il en est, notamment, ainsi, lorsque l'associé agissant sur le fondement de l'action individuelle, allègue un préjudice personnel, résidant dans la perte de la valeur de ses droits sociaux, due à des fautes commises par le dirigeant de la société. On pourrait, en effet, y voir un préjudice par ricochet. Or, la Cour de cassation refuse une telle approche ; il existe deux actions distinctes, chacune ayant pour objet la réparation de préjudices distincts. Elle a, par conséquent, jugé que l'actionnaire qui se plaint d'avoir cédé ses titres à perte, en raison d'une baisse de leur valeur consécutive à une mauvaise gestion de la société, ne fait pas valoir un préjudice qui lui soit spécial mais un préjudice subi par la société elle-même (Cass. com., 26 janvier 1970, n° 67-14.787, Fouilly c/ Sodiva et autres, publié N° Lexbase : A6532AGZ). Cette solution a été rappelée récemment, la Haute juridiction ayant retenu que les fautes commises par le gérant avaient conduit à une réduction de l'activité de la société au profit d'une autre société en créant une confusion dans l'esprit de la clientèle entre les deux sociétés, permettant à la seconde société d'absorber l'activité voire les actifs de la première, ce dont il résultait que le préjudice subi par l'associé n'étant que le corollaire du dommage causé à la société, n'avait aucun caractère personnel (Cass. com., 4 juillet 2006, n° 05-13.171, F-D N° Lexbase : A3755DQ7).

De plus, l'article 38 du décret du 3 juillet 1978 (décret n° 78-704, relatif à l'application de la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 modifiant le titre IX du livre III du Code civil N° Lexbase : L1798A4D) précisant que "lorsque l'action sociale est intentée par un ou plusieurs associés [d'une société civile], le tribunal ne peut statuer que si la société a été régulièrement mise en cause par l'intermédiaire de ses représentants légaux", impose une autre condition à la recevabilité de l'exercice de l'action sociale ut singuli.

Pour terminer sur ce point, on rappellera que l'action en responsabilité à l'encontre du gérant de société civile est soumise à un délai de prescription de trente ans. Le délai triennal prévu pour les SARL (C. com., art. L. 223-23 N° Lexbase : L5848AIG) et les sociétés anonymes (C. com., art. L. 225-254 N° Lexbase : L6125AIP) n'est pas applicable (Cass. com., 17 avril 1972, n° 70-10.872, Héron c/ Société bretonne d'abattage avicole, et autres, publié N° Lexbase : A8363AH9). De même, la possibilité offerte par les articles L. 223-22 (N° Lexbase : L5847AIE) et L. 225-252 (N° Lexbase : L6123AIM) du Code de commerce, aux associés de SARL et de SA de se grouper, n'est pas prévue pour les sociétés civiles. Ils devront donc agir séparément.

L'ensemble de ces conditions remplies, l'associé de société civile peut attraire, au nom de la société, le gérant pour le voir condamné à réparer le préjudice subi par cette dernière. C'est le point de départ de l'affaire soumise, à l'appréciation des magistrats de la Cour de cassation.

En retenant que les associés n'avaient pas, en l'espèce, qualité pour prendre toute mesure de nature à garantir le paiement des actions qu'ils exercent, dans la mesure où lesdites mesures n'avaient pas été sollicitées au nom de la société, la Cour de cassation combine, en toute logique, les règles du droit des sociétés relatives à l'action sociale, que nous venons de rappeler, et les règles du droit des procédures civiles d'exécution. Dans l'arrêt du 14 septembre 2006, les juges de la deuxième chambre civile visent les articles 67 de la loi du 9 juillet 1991 et 210 du décret du 31 juillet 1992. Ces deux textes exposent une règle identique, selon laquelle un créancier, qui se prévaut d'une créance qui paraît fondée en son principe et si des circonstances sont susceptibles d'en menacer le recouvrement, peut demander au juge de l'exécution l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur.

Pour obtenir l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire, la créance du demandeur doit paraître fondée en son principe. Ceci exclut la nécessité que celle-ci soit exigible et liquide. La formule très large employée par les textes comprend, ainsi, les créances conditionnelles et même celles qui sont contestées. Bien sûr, la créance ne sera pas fondée en son principe si sa contestation est vraiment sérieuse. En l'espèce, on peut estimer que sa contestation est vraiment sérieuse dans la mesure où le demandeur à l'autorisation de pratiquer une hypothèque judiciaire provisoire n'est pas le créancier du gérant de la société.

En effet, la Cour de cassation relève, à juste titre, que la demande a été effectuée par l'associé, apparemment en son nom, et non au nom de la société. Or, comme nous l'avons rappelé, l'action sociale permet d'obtenir la réparation du préjudice subi par la société. Les dommages-intérêts sont versés à cette dernière et non à l'associé ayant exercé l'action. Seul un créancier étant recevable à solliciter des mesures conservatoires pour garantir le paiement de son action ; dans le cadre de l'action sociale, seule la société peut agir sur le fondement des articles 67 de la loi du 9 juillet 1991 et 210 du décret du 31 juillet 1992. Bien sûr, les demandeurs seront physiquement les associés ayant agi en responsabilité du gérant, mais ceux-ci doivent le faire au nom de la société.

A notre sens, cette solution doit être approuvée ; au même titre que celle retenue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui avait précisé, dans un arrêt du 12 décembre 2002 (Cass. crim., 12 décembre 2000, n° 97-83.470, Geniteau Alain N° Lexbase : A9289AT9), que l'actionnaire qui exerce l'action sociale a qualité pour saisir les juges de demandes au profit de la société et pour exercer au nom de celle-ci les voies de recours.

Par conséquent, l'arrêt du 14 septembre 2006 est dans la même logique : l'associé qui agit dans le cadre de l'action sociale ut singuli a un droit propre de présenter des demandes au profit de la société, mais doit les présenter au seul nom de la personne titulaire du droit à réparation, c'est-à-dire, la société.

newsid:93384

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.