La lettre juridique n°230 du 5 octobre 2006 : Marchés publics

[Jurisprudence] Le Conseil d'Etat apporte des précisions sur les modalités de sélection des candidatures en matière de marchés publics

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., n° 281976, 10 mai 2006, Société Bronzo (N° Lexbase : A3393DPD)

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par Marie-Hélène Sanson, Juriste marchés publics au sein d'un organisme national de protection sociale

le 07 Octobre 2010

Par une décision des 7ème et 2ème sous-sections réunies du 10 mai dernier, le Conseil d'Etat a précisé plusieurs principes applicables en matière de sélection des candidatures dans le cadre d'un marché public. Ces précisions sont relatives, d'une part, au choix des éléments à produire par les candidats et, d'autre part, au traitement de ces informations par les collectivités publiques. Rendu à propos du Code des marchés publics 2004 désormais abrogé, cet arrêt du Conseil d'Etat comporte, cependant, de nombreux enseignements transposables au Code des marchés publics issu du récent décret n° 2006-975 du 1er août 2006 (N° Lexbase : L4612HKZ). En l'espèce, la communauté urbaine de Marseille-Provence-Métropole avait lancé un appel d'offres ouvert relatif à la fourniture d'équipements de stockage pour les déchetteries communautaires de la zone Est ainsi que la collecte, le transport et le traitement des déchets. Une des sociétés candidates, la société Bronzo, a été admise par la commission d'appel d'offres à présenter une offre qui a, par la suite, été rejetée au profit de l'offre de la société Queyras. La société Bronzo a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Marseille dans le cadre d'un référé précontractuel, sur la base d'un manquement de la collectivité aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Le juge ayant rejeté sa demande, la société Bronzo a saisi le Conseil d'Etat en cassation.

Le Conseil d'Etat rappelle, tout d'abord, dans sa décision, les principes applicables en matière d'éléments à produire par les candidats à l'appui de leur candidature. Ces éléments sont énumérés par l'article 45 du Code des marchés publics (même numéro d'article pour les codes des 7 janvier 2004 N° Lexbase : L1026G9U et 1er août 2006 N° Lexbase : L2705HPU).

L'article 45 du Code des marchés publics 2004, examiné par le Conseil d'Etat, dispose que "à l'appui des candidatures, il ne peut être exigé que :

1. des renseignements permettant d'évaluer les capacités professionnelles, techniques et financières du candidat...

[...]

La liste de ces renseignements et documents est fixée par arrêté du ministre chargé de l'Economie".

Ces dispositions ont ainsi été précisées par l'arrêté du 26 février 2004 du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, pris en application de l'article 45, alinéa premier, du Code des marchés publics et fixant la liste des renseignements et/ou documents pouvant être demandés aux candidats aux marchés publics (N° Lexbase : L1865DPR). L'article 1er fixe la liste des renseignements et documents pouvant être demandés aux candidats :

- déclaration concernant le chiffre d'affaires global et le chiffre d'affaires concernant les fournitures, services ou travaux auxquels se réfère le marché, réalisés au cours des trois derniers exercices ;

- déclaration indiquant les effectifs du candidat et l'importance du personnel d'encadrement pour chacune des trois dernières années ;

- présentation d'une liste des principales fournitures ou des principaux services fournis au cours des trois dernières années ou présentation d'une liste des travaux en cours d'exécution ou exécutés au cours des cinq dernières années, indiquant notamment le montant, la date et le destinataire public ou privé ;

- indication des titres d'études et/ou de l'expérience professionnelle du ou des responsables et des exécutants de la prestation de service envisagée ;

- déclaration indiquant l'outillage, le matériel et l'équipement technique dont le prestataire ou l'entrepreneur dispose pour l'exécution des services ou de l'ouvrage et déclaration mentionnant les techniciens ou les organismes techniques dont l'entrepreneur disposera pour l'exécution de l'ouvrage ;

- certificats de qualification professionnelle ; l'acheteur doit dans ce cas préciser que la preuve de la capacité de l'entreprise peut être apportée par tout moyen, notamment par des certificats d'identité professionnelle ou des références de travaux attestant de la compétence de l'entreprise à réaliser la prestation pour laquelle elle se porte candidate ;

- certificats établis par des services chargés du contrôle de la qualité et habilités à attester la conformité des fournitures ou des services à des spécifications ou des normes ; l'acheteur public acceptera toutefois d'autres preuves de mesure équivalentes de garantie de la qualité produites par les prestataires de services, si ceux-ci n'ont pas accès à ces certificats ou n'ont aucune possibilité de les obtenir dans les délais fixés ;

- échantillons, descriptions et/ou photographies des fournitures ;

- renseignements relatifs à la nationalité du candidat pour les marchés passés dans le domaine de la défense et portant sur les armes, munitions et matériels de guerre.

Cette liste est limitative. Les acheteurs publics ne peuvent ainsi pas demander de renseignements supplémentaires.

Le Code des marchés publics issu du décret n° 2006-975 du 1er août 2006, ainsi que l'arrêté du 28 août 2006 fixant la liste des renseignements et des documents pouvant être demandés aux candidats aux marchés passés par les pouvoirs adjudicateurs (N° Lexbase : L6697HKA), reprennent très largement ces dispositions. L'article 45 du nouveau code ajoute simplement aux renseignements ou documents permettant d'évaluer les capacités professionnelles, techniques et financières des candidats, ceux permettant d'évaluer "leur expérience". L'arrêté du 28 août 2006, quant à lui, comporte une liste de documents et informations très proche de celle de l'arrêté du 26 février 2004. Le dispositif réglementaire de 2006 se distingue, en réalité, principalement du précédent sur le point très spécifique du traitement des références relatives à l'exécution de prestations de même nature, dont l'absence ne peut désormais seule justifier l'élimination du candidat sans un examen de ses capacités professionnelles, techniques et financières.

Quoi qu'il en soit, aux termes de la nouvelle réglementation comme de l'ancienne, ces éléments ne peuvent pas être systématiquement demandés sans un examen précis des caractéristiques de chaque marché. Ils ne peuvent en effet être demandés que "dans la mesure où ils sont nécessaires à l'appréciation des capacités des candidats" (article 1er de l'arrêté du 26 février 2004 et article 1er de l'arrêté du 28 août 2006). C'est d'ailleurs bien ce que rappelle le Conseil d'Etat dans sa décision "Société Bronzo", lorsqu'il indique que s'il est possible à "l'acheteur public d'exiger la détention, par les candidats à l'attribution d'un marché public, de documents comptables et de références de nature à attester de leurs capacités, cette exigence, lorsqu'elle a pour effet de restreindre l'accès au marché à des entreprises de création récente, doit être objectivement rendue nécessaire par l'objet du marché et la nature des prestations à réaliser".

Cette hypothèse n'est pas rare. Ces demandes ont fréquemment pour effet de limiter l'accès des entreprises nouvellement créées aux consultations puisque, précisément, à travers elles, les acheteurs cherchent à identifier les sociétés disposant d'expériences antérieures dans la réalisation des prestations objets de la consultation, afin d'en sécuriser l'exécution. Le Conseil d'Etat rappelle, alors, le moyen d'éviter que l'accès aux marchés publics ne soit systématiquement refusé aux sociétés au cours de leurs deux ou trois premières années d'existence, conduisant ainsi à leur fragilisation et comportant un risque d'étouffement de la création d'entreprise (cette méthode étant d'ailleurs contenue dans l'article 1er, alinéa 5, de l'arrêté du 26 février 2004). Il est en effet possible pour les acheteurs publics d'autoriser les candidats "qui ne sont pas en mesure de produire les références demandées, à justifier de leurs capacités financières et professionnelles par d'autres moyens et notamment par la présentation de titres ou de l'expérience de professionnelle du ou de leurs responsables".

La condition que doit alors remplir la demande de renseignements formulée par la personne publique est donc d'être rendue nécessaire objectivement par l'objet du marché et la nature des prestations à réaliser. C'est donc une appréciation au cas par cas qui sera vraisemblablement nécessaire sur cette question. Dans chaque espèce qui lui sera soumise, le juge examinera si les renseignements demandés permettaient réellement d'apprécier la capacité des candidats à réaliser la prestation demandée, au regard des caractéristiques, du contexte, de la technicité de la prestation.

Cette adaptation de la demande des collectivités publiques aux caractéristiques du marché est d'ailleurs reprise par le Code des marchés publics 2006 dans son article 45.I, dernier alinéa : "il ne peut être exigé des candidats que des niveaux minimaux de capacités liés et proportionnés à l'objet du marché".

Une illustration de ce principe est par exemple donnée par une décision de la cour administrative d'appel de Douai "Société Thermotique c/ OPAC Oise Habitat" (CAA Douai, 1ère ch., n° 02DA00889, 31 mars 2005 N° Lexbase : A2376DK9). Dans cette espèce, l'OPAC Oise Habitat avait lancé une consultation relative à une prestation de contrôle administratif, technique et financier des chaufferies de l'OPAC qui étaient affermées. La collectivité avait alors demandé dans l'avis d'appel public à la concurrence aux candidats de justifier de références sur les trois dernières années attestant de leur spécialisation dans le contrôle administratif, technique et financier des contrats d'affermage. La cour administrative a sanctionné les décisions de rejet fondées sur ces dispositions en relevant que "la spécificité du régime de l'affermage n'entraînait pas des modalités de contrôle substantiellement différentes suivant le mode de délégation". Le contrôle d'une gestion concédée n'est pas substantiellement différent du contrôle d'une gestion affermée, l'expérience demandée par l'acheteur public ne peut alors être aussi spécifique. L'exigence relative aux références en matière d'affermage n'est donc, pour le juge, pas justifiée par l'objet du marché ou ses conditions d'exécution ; elle est irrégulière.

Cette référence aux caractéristiques du marché est, du reste, une condition constante posée par le Conseil d'Etat sur la question des éléments demandés à l'appui des candidatures.

Ainsi, dans une deuxième espèce du 10 mai 2006, le Syndicat Intercommunal des Services de l'Agglomération Valentinoise avait lancé un appel d'offres pour la collecte et l'évacuation des déchets ménagers de l'agglomération (CE 2° et 7° s-s-r., n° 286644, 10 mai 2006, Syndicat Intercommunal des Services de l'Agglomération Valentinoise N° Lexbase : A3398DPK). Le juge relève à cette occasion que l'obligation posée par la personne publique d'utiliser les imprimés Cerfa DC4 et DC5 pour présenter une candidature n'est pas irrégulière. Il constate, en effet, d'une part, que ces deux imprimés comportent les mêmes éléments que ceux figurant dans l'article 45 du Code des marchés publics et l'arrêté du 26 janvier 2004 et, d'autre part, que ces imprimés sont aisément accessibles, sans frais particuliers, sur le site du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie. Le juge souligne alors que, dans ces conditions, ces imprimés peuvent être imposés par l'acheteur public aux candidats, sous peine d'irrecevabilité de leur candidature et ajoute la condition "que les caractéristiques du marché le justifient".

Dans la décision "Société Bronzo", le juge rappelle enfin que les termes du dossier de consultation et, notamment, ceux du règlement de la consultation relatifs au traitement des candidatures, lient la personne publique. La collectivité publique se doit ainsi d'appliquer les règles qu'elle a elle-même fixées et l'absence de l'une des pièces réclamées aux candidats doit la conduire nécessairement au rejet de la candidature. Le Conseil d'Etat relève ainsi, qu'en l'espèce, la société Queyras, retenue par la commission d'appel d'offres, n'avait pas remis à l'appui de sa candidature les documents relatifs au chiffre d'affaires réalisé au cours des trois derniers exercices et aux références concernant des prestations similaires, exécutées ou en cours d'exécution, datant de moins de trois ans, requis par le règlement de la consultation. La candidature de la société aurait donc dû être rejetée, quand bien même la création récente de la société lui interdisait la production de ces documents, le règlement de la consultation n'ayant pas prévu la production d'informations alternatives, telles que des références relatives aux dirigeants de la société. Le juge sanctionne la décision de la commission d'appel d'offres qui n'a pas appliqué les dispositions du règlement de la consultation et qui a, ainsi, méconnu les obligations de mise en concurrence auxquelles était soumise la passation du marché.

On peut noter, enfin, que le Conseil d'Etat confirme sa position de principe relative à l'antériorité des éléments qui peuvent être réclamés aux candidats. En l'espèce, le juge relève que les références à produire par les candidats devaient dater de moins de trois ans, alors que l'arrêté du 26 janvier 2004 indique la durée de trois années concernant les fournitures et services (et cinq années concernant les travaux, ces deux délais étant par ailleurs repris par l'arrêté du 28 août 2006). Le juge ne formule aucun commentaire sur cette disposition du cahier des charges. Il confirme ainsi que si ces durées ne peuvent pas être allongées par les acheteurs publics, elles peuvent, en revanche, être réduites, à la condition d'être en rapport avec l'objet du marché et d'être applicables à tous les candidats (CE 2° et 7° s-s-r., n° 280406, 4 novembre 2005, Commune de Bourges N° Lexbase : A2816DLU).

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