La lettre juridique n°230 du 5 octobre 2006 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Crédit d'impôt recherche : probatio diabolica...

Réf. : CAA Lyon, 5ème ch., 1er juin 2006, n° 02LY01282, SA Agentis (N° Lexbase : A5690DQS)

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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

le 07 Octobre 2010

La recherche devrait être perçue comme un moteur essentiel de toute économie moderne : la récente attribution à un jeune chercheur français de la médaille Fields, plus haute distinction attribuée à la recherche en mathématiques, a rappelé au grand public toute l'importance qu'il fallait accorder à la recherche eu égard aux retombées pour l'industrie... et pour l'emploi (Le Monde, 24 août 2006).
Pourtant, les soubresauts, qui ont récemment agité le monde de la recherche, rappellent, s'il en était besoin, qu'elle est le parent pauvre des investissements en France : constatant le retard de notre pays dans ce domaine, le Gouvernement a significativement augmenté l'enveloppe budgétaire allouée à la recherche.

Afin d'encourager les entreprises à investir pour l'avenir, le législateur fiscal a récemment adopté des dispositions visant à soutenir l'effort de recherche : la représentation nationale a introduit dans le droit positif le régime des Jeunes Entreprises Innovantes (JEI), des Sociétés Unipersonnelles d'Investissement à Risque (SUIR), et, enfin, le crédit d'impôt recherche, initié en 1983, a été substantiellement remanié par les lois de finances pour 2004 (loi n° 2003-1311 N° Lexbase : L6348DM3) et pour 2006 (loi n° 2005-1719 N° Lexbase : L6429HET) (lire V. Le Quintrec, Fiche n° 2 : les mesures fiscales destinées à améliorer la compétitivité des entreprises, Lexbase Hebdo n° 187, du 27 octobre 2005 - édition fiscale N° Lexbase : N0048AKY).

Ce dispositif permet aux entreprises de constater un crédit d'impôt imputable sur l'impôt dû : il s'agit par conséquent d'orienter l'économie ; ce qui est une illustration concrète de la triple mission assignée à l'impôt dont celle de redistribuer des richesses et d'assurer le financement de l'Etat.

Mais le crédit d'impôt recherche entraîne un contentieux systématique avec l'administration fiscale : il n'est, en effet, pas douteux que son éminente complexité, alliée à de trop nombreux aménagements législatifs et réglementaires préjudiciables pour la sécurité juridique des contribuables (J. de Clausade, JCP éd. E 2006, n° 1485), suscitent de substantielles divergences d'interprétation des textes en vigueur permettant une remise en cause du crédit liquidé par l'entreprise.

Dans la présente affaire portée à la connaissance des conseillers de la cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon, 5ème ch., 1er juin 2006, n° 02LY01282, SA Agentis), la société anonyme Agentis, venant aux droits de la société Groupe Snig qui elle-même venait aux droits de la SNC Snig AB, s'est vue contester le crédit d'impôt recherche imputé sur l'impôt sur les sociétés à hauteur de 3 108 460 francs, soit 473 882 euros.

En effet, la SNC Snig AB, qui exerçait une activité de chaudronnerie et de tuyauterie, a mené deux projets de recherche visant à mettre au point des "techniques pour une nouvelle mise en oeuvre d'appareils destinés à la pharmacie" et un "dessaleur d'eau de mer".

La cour administrative d'appel de Lyon censure les juges du fond à la fois sur le plan de la prise en compte de la qualification des personnels ayant la charge de l'entretien et du fonctionnement des appareils affectés à la recherche (1) ; et sur la preuve de l'affectation du personnel de recherche à des activités éligibles au crédit d'impôt recherche (2).

1. La prise en charge, au titre du crédit d'impôt recherche, des dépenses de personnel de technicien quelle que soit leur qualification

Parmi les charges pouvant faire l'objet d'une prise en compte au titre du crédit d'impôt recherche, figurent notamment les dotations aux amortissements des immobilisations affectées à la recherche, les brevets et leur maintenance puis, à compter du 1er janvier 2004, les frais de défense des brevets ainsi que les dépenses de veille technologique.

Les charges de personnel affecté à la recherche sont, également, prises en compte ; mais, s'agissant de l'interprétation du terme "rémunération" employé par la loi, la jurisprudence l'entend comme le versement d'une contrepartie financière par l'employeur au salarié de l'entreprise requérant le crédit d'impôt recherche et non à l'intention d'un travailleur indépendant (CAA Nantes, 1ère ch., 18 juin 2003, n° 00NT00697, SA Leblanc N° Lexbase : A1795DAQ). Cependant, la doctrine administrative a admis la prise en compte, à certaines conditions, de dépenses afférentes au personnel de recherche mis à la disposition de l'entreprise.

L'article 49 septies G de l'annexe III au CGI précise, alors, que le personnel de recherche s'entend des "chercheurs qui sont les scientifiques ou les ingénieurs travaillant à la conception ou à la création de connaissances, de produits, de procédés, de méthodes ou de systèmes nouveaux. Sont assimilés aux ingénieurs les salariés qui, sans posséder un diplôme, ont acquis cette qualification au sein de leur entreprise", ainsi que des "techniciens, qui sont les personnels travaillant en étroite collaboration avec les chercheurs, pour assurer le soutien technique indispensable aux travaux de recherche et de développement expérimental".

Il s'agit, par conséquent, de retenir les rémunérations versées aux techniciens et aux chercheurs. Ces derniers s'entendent de personnes diplômées, mais également, de salariés qui ont acquis une qualification équivalente dans l'entreprise qui les emploie sans pour autant être titulaires d'un diplôme.

Ainsi, selon la doctrine administrative (DB 4 A 311, n° 37 et 38), les salariés assimilés aux ingénieurs et affectés à la recherche doivent, notamment, avoir reçu une notification écrite de leur promotion par leur employeur, être rémunérés en conséquence et être affiliés au régime de retraite et de prévoyance des cadres.

Cette doctrine est réaliste : elle admet, fiscalement, que la contribution d'un salarié chercheur, même dépourvu du précieux sésame, puisse être prise en compte pourvu qu'elle soit formellement établie par l'employeur.

Cependant, la jurisprudence applique le formalisme à la lettre : les rémunérations d'un chercheur, dont la qualification n'est pas formellement reconnue par l'entreprise, ne peuvent être admises au titre du crédit d'impôt recherche même si, par ailleurs, il possède, en fait, une expérience et des connaissances unanimement reconnues comme équivalentes à celles d'un ingénieur (CAA Lyon, 2ème ch., 2 décembre 2004, n° 01LY00080, SARL STCV Technologie N° Lexbase : A0047DH9).

Cet excès de formalisme ne se justifie pas dès lors que l'entreprise, même si elle ne reconnaît pas expressément la qualification du salarié, bénéficie, en fait, de ses compétences : la formalisation de la qualification d'ingénieur du salarié devrait être indifférente en droit fiscal.

Les faits ayant donné lieu au litige déféré devant les conseillers de la cour administrative d'appel de Lyon rapportent que l'administration fiscale contestait la prise en compte, au titre du crédit d'impôt recherche, de charges de personnel dès lors que ce dernier était affecté à des tâches de simple exécution.

Les juges du second degré écartent cet argument : quelle que soit la qualification professionnelle des intéressés, les charges de personnel de techniciens, affectés à l'entretien et au fonctionnement des appareils et équipements nécessaires à la recherche, peuvent être admises au titre du crédit d'impôt recherche.

Cependant, la cour prend soin de relever que les techniciens doivent s'entendre de personnes travaillant en étroite collaboration avec les chercheurs ; ce qui correspond à la lettre de l'article 49 septies G de l'annexe III au CGI.

En adoptant une telle position, la cour administrative d'appel de Lyon s'inscrit dans la jurisprudence de son homologue parisienne. En effet, la cour de Paris a déjà jugé, à deux reprises, que la collaboration étroite entre les chercheurs et les techniciens devait être rapportée afin de prendre en compte, au titre du crédit d'impôt recherche, les rémunérations qui leur étaient alors versées (CAA Paris, 5ème ch., 11 février 1999, n° 97PA00879, SARL Etablissements Accary, mentionné dans les tables du Recueil Lebon N° Lexbase : A8401AYS ; CAA Paris, 2ème ch., 30 mars 2005, n° 01PA03160, Société Studio Pless N° Lexbase : A1116DI8).

Cependant, la doctrine s'interroge sur la légalité de l'article 49 septies G de l'annexe III au CGI, dès lors qu'il restreint les dispositions de la loi (V. Haïm, concl. sous CAA Paris, 5ème ch., 11 février 1999 n° 97PA00879, SARL Entreprise Accary, BDCF mai 1999).

2. La preuve de l'affectation du personnel de recherche

La doctrine administrative opère une distinction entre les entreprises dotées d'un département de recherche et celles n'en comportant pas : pour les premières, les rémunérations des chercheurs et des techniciens sont intégralement prises en compte pour la détermination du crédit d'impôt recherche dès lors que le personnel est affecté en permanence à de telles opérations ; en revanche, dans les structures plus modestes, dans lesquelles il n'existe pas de département de recherche, l'entreprise doit alors pouvoir établir un prorata du temps effectivement passé à la recherche (instruction du 17 octobre 1983, BOI n° 4 A-8-83 N° Lexbase : X0491ABS ; DB 4 A 4113, 9 mars 2001, n° 6 et 7 ; instruction du 21 janvier 2000, BOI n° 4 A-1-00 N° Lexbase : X6196AAQ).

L'administration fiscale exclut, alors, toute forfaitisation du temps dévolu à la recherche. Elle sera, cependant, désavouée sur ce point par une jurisprudence rendue par le tribunal administratif de Grenoble, dès lors que le mode de calcul retenu "fait ressortir avec une précision et une rigueur suffisante la part consacrée à la recherche" (TA Grenoble, 4ème ch., 22 décembre 1995, n° 91-400, SARL Sisa, RJF mars 1996, n° 276).

La même exigence de précision et de rigueur dans la détermination du temps effectif de travail de salariés affectés à la recherche est requise des magistrats marseillais qui s'appuient, notamment, sur un ensemble de pièces tels que le projet méthodologique des activités de recherche de la société, les listes mentionnant les noms et montant annuel des rémunérations brutes des personnes ayant participé au travail de recherche, les déclarations des données sociales des années en litige, les plannings des années concernées, l'attestation de l'expert-comptable de l'entreprise (CAA Marseille, 3ème ch., 7 juillet 2005, n° 00MA00374, SA Nemausic N° Lexbase : A0560DMP).

Ces documents, fort opportunément élaborés en temps voulu et conservés par l'entreprise, ne peuvent être assimilés à une forfaitisation interdite par la doctrine administrative précitée : cette précision jurisprudentielle doit être approuvée.

La preuve du temps effectivement passé à la recherche peut être difficile à rapporter dans la pratique des entreprises françaises : la jurisprudence est sévère avec les contribuables qui se contentent de produire des tableaux "sans justifier la réalité et le détail du temps [que les membres du personnel] auraient effectivement passé à de telles opérations" (CAA Lyon, 4ème ch., 1 décembre 1996, n° 95LY00251, Société Sigem N° Lexbase : A0460BG7)

Dans ces circonstances, la requérante saura gré à la juridiction lyonnaise d'avoir su formuler une réponse pragmatique, au cas d'espèce, en relevant qu'elle avait produit des états "faisant apparaître le nom des salariés concernés, leur qualification, la nature des travaux de recherche auxquels ils ont été employés et le nombre d'heures de travail consacré par chaque agent à ces travaux".

Pour la cour administrative d'appel, l'entreprise justifie avec une précision suffisante la réalité des rémunérations versées dès lors que l'administration ne conteste pas les temps indiqués par le contribuable, soit qu'ils seraient excessifs ; soit qu'ils ne se rapporteraient pas à des travaux de recherche.

Autant ce dernier critère est acceptable en l'état et peut être soulevé par l'administration fiscale aidée par les agents du ministère de la Recherche pour les aspects techniques qui sont hors de sa compétence ; autant nous émettons des réserves quant à l'utilisation de la notion de "temps excessif", évoquée par la cour administrative d'appel dans la présente affaire, et qui se révèlerait être particulièrement dommageable pour le contribuable.

En effet, ce critère ne devrait pas pouvoir être opposé par l'administration fiscale à l'entreprise bénéficiant du crédit d'impôt recherche : il porte en germe sa propre contradiction dès lors que, par essence, la recherche demande un investissement en temps considérable.

Par conséquent, le besoin en ressources humaines affecté à un département de recherche est nécessairement important. A ce titre, il ne peut être excessif.

Enfin, le raisonnement de la cour administrative d'appel de Lyon laisse perplexe sur un dernier point : la juridiction relève que l'administration n'a pas invoqué d'éléments "donnant à penser" que les mentions portées sur les états fournis par l'entreprise ne correspondraient pas à la réalité.

Le justiciable ne peut se contenter de subjectivisme en matière de preuve : ce devrait être à l'administration fiscale d'apporter des éléments, non pas "donnant à penser", mais établissant la preuve que les mentions portées sur les états fournis par l'entreprise ne correspondent pas à la réalité.

Au gré des circonstances de fait soumises à la sagesse des juges du fond dont les décisions, d'un ressort à l'autre des juridictions, sont susceptibles de différer, voire de s'opposer, la justification suffisamment précise et rigoureuse par l'entreprise du temps de travail consacré à la recherche peut se révéler être une probatio diabolica...

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