Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 30 décembre 2015, n° 374816, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1017N33)
Lecture: 12 min
N1282BWE
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Edouard Crépey, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat et Rapporteur public
le 11 Février 2016
C'est une question touchant à la régularité de la procédure d'imposition qui nourrit principalement le pourvoi en cassation qu'a régulièrement formé la société contre l'arrêt du 8 novembre 2013 par lequel la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 8 novembre 2013, n° 12PA00198 N° Lexbase : A1531MPE), confirmant le jugement de première instance du tribunal administratif de Paris (TA Paris, 10 novembre 2011, n° 0915655), a maintenu à sa charge les impositions qui en ont résulté. La requérante soutient, en effet, n'avoir pas bénéficié des garanties qui doivent s'attacher à l'exercice par l'administration de son droit de communication et impute à la cour deux séries d'erreurs pour avoir jugé le contraire.
Il ressort en effet des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les impositions litigieuses procèdent notamment de l'exploitation par le vérificateur des procès-verbaux d'audition des gérants des fournisseurs de la société requérante, qui se plaint en substance de ne pas avoir eu intégralement accès à ces documents en dépit de la demande qu'elle aurait présentée en ce sens.
Pour le Conseil d'Etat, fréquemment confrontés à cette problématique, dès avant l'entrée en vigueur de l'article 27 de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 (N° Lexbase : L4620HDH) d'où est issu l'article L. 76 B du LPF (N° Lexbase : L7606HEG) qui consacre cette garantie, il est exigé de l'administration fiscale, lorsqu'elle se fonde, pour établir l'imposition, sur des renseignements et documents obtenus de tiers, qu'elle informe le contribuable de leur origine et de leur teneur (CE 8° et 9° s-s-r., 14 mai 1986, n° 59590, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3877AMK, RJF, 7/86, n° 719, concl. P.-F. Racine, Dr. fisc., 40/86, c. 1674, et CE 8° et 9° s-s-r., 9 juillet 1986, n° 30770, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3898AMC, RJF, 10/86, n° 917, concl. P.-F. Racine, Dr. fisc., 52/86, c. 2393 ; CE 8° et 9° s-s-r., 13 octobre 1999, n° 181010 et 181209, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5023AXC, RJF, 12/99, n° 1582) ceci d'ailleurs quelle que soit la procédure d'imposition mise en oeuvre (CE 8° et 9° s-s-r., 3 décembre 1990, n° 103101, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4680AQE, RJF, 2/91, n° 200, concl. J. Arrighi de Casanova, Dr. fisc., 7/91, c. 259).
L'objet de cette formalité est de permettre à l'intéressé de demander que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent et, ainsi, de contester l'objectivité de la source, voire son authenticité et la teneur exacte des renseignements qu'elle contient (CE 3° et 8° s-s-r., 31 juillet 2009, n° 297308, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1251EKK, RJF, 12/09, n° 1131, concl. E. Glaser, BDCF, 12/09, n° 141).
Le Conseil d'Etat marque fermement l'importance que revêt l'obligation de communiquer les documents si le contribuable en fait la demande ; son omission entache dans tous les cas la procédure d'irrégularité (par exemple, CE 8° et 9° s-s-r., 10 juin 1998, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7339ASM, RJF, 8-9/98, n° 983, concl. G. Bachelier, BDCF, 4/98, n° 91, ou, à propos d'un document qui n'avait pourtant été mentionné dans la réponse aux observations du contribuable que pour confirmer une position qui reposait dans la notification de redressements sur d'autres éléments : CE 3° et 8° s-s-r., 7 novembre 2008, n° 300662, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1738EBY, RJF, 1/09, n° 55, avec chron. p. 3, concl. L. Olléon, BDCF, 1/09, n° 10). Il en va ainsi alors même, comme le Conseil l'a déjà précisé, que l'intéressé avait par ailleurs connaissance des renseignements qui lui sont opposés (CE 3° et 8° s-s-r., 31 juillet 2009, n° 297308, préc.) ; autrement dit, la souplesse qui est parfois celle de la Haute juridiction s'agissant de l'information sur la teneur et l'origine (CE 3° et 8° s-s-r., 29 juin 2005, n° 256163, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9587DIW, RJF, 10/05, n° 1067 ; CE 9° et 10° s-s-r., 27 avril 2009, n° 300760, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6410EGI, RJF, 7/09, n° 663, concl. J. Burguburu, BDCF, 7/09, n° 92) n'est jamais de mise pour la communication subséquente du document. Au demeurant, lorsque l'administration n'a pas, ou n'a plus, la disposition des documents en cause, elle doit en informer le contribuable afin que celui-ci puisse s'adresser à l'autorité qui les détient (pour un point récent sur cette question : CE 9° et 10° s-s-r., 18 mars 2015, n° 370128, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1286NED, et CE 3° et 8° s-s-r., 27 mars 2015, n° 375409, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6857NEP, RJF, 6/15, n° 507, concl. F. Aladjidi, BDCF, 6/15, n° 81).
Il est évident, par ailleurs, que, bien qu'élaborée antérieurement, cette jurisprudence n'est nullement affectée par une décision de 2012 consacrant de manière générale l'idée qu'une irrégularité de procédure ne vicie la décision d'imposition que pour autant que le contribuable ait été privé d'une garantie (CE Sect., 16 avril 2012, n° 320912, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8471IIL, RJF, 7/12, n° 679, concl. D. Hedary, BDCF, 7/12, n° 81, chron. C. Raquin, RJF, 6/12, p. 491, obs. G. Goulard, BGFE, 5/12, p. 9, obs. O. Fouquet, Dr. fisc., 27/12, c. 366). Le droit d'accès aux documents que l'administration a obtenus auprès de tiers par l'exercice de son droit de communication est bien une garantie au sens de cette jurisprudence.
Or, en l'espèce, la société requérante a demandé la communication de cinq procès-verbaux et ne s'en est vu adresser en réponse par le service que des extraits alors que tout, selon elle, laisse à penser que ce dernier disposait de l'intégralité des documents. Le Conseil d'Etat a ainsi l'occasion de trancher une question qui n'a, à ce jour, été traitée que par la Cour de cassation pour les impôts relevant du juge judiciaire.
Par un arrêt du 9 juin 2009 (Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-14.806, FS-P+B N° Lexbase : A0698EIP, RJF, 10/09, n° 890), la Chambre commerciale a en effet jugé, à propos d'un rapport d'expertise dont le service avait exploité certains éléments pour établir le caractère professionnel de parts sociales détenues par un contribuable assujetti à l'ISF, qu'il y avait lieu pour l'administration de communiquer l'intégralité du document alors même qu'elle ne s'y était référée que pour partie. Il faudrait de très solides arguments pour retenir une solution contraire pour les impôts qui relèvent de la juridiction administrative ; or, il n'y en a pas, tout plaidant au contraire pour que le Conseil d'Etat reprenne cette jurisprudence à son compte.
Sans doute pourrait-il paraître séduisant d'établir un parallèle entre l'obligation d'information sur la teneur et l'origine des renseignements recueillis et l'obligation de communiquer, sur demande, les documents qui les contiennent. Pour les premiers, en effet, l'obligation ne vaut qu'à l'égard des renseignements qui ont été effectivement utilisés pour procéder aux redressements (CE 8° et 9° s-s-r., 30 septembre 1996, n° 139846, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0756APP, RJF, 11/96, n° 1325, concl. G. Bachelier, BDCF, 6/96, p. 38, puis une jurisprudence abondante ; par exemple CE 3° et 8° s-s-r., 27 avril 2009, n° 295346, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6397EGZ, RJF, 7/09, n° 667, avec chron. V. Daumas, p. 547, concl. N. Escaut, BDCF, 7/09, n° 81), de sorte qu'on pourrait imaginer de ne soumettre, de la même façon, à l'obligation de communication que la partie des documents qui contiennent les renseignements ainsi délimités.
Mais l'exigence de loyauté sous-jacente à la jurisprudence sur le droit de communication (en ce sens la chronique d'E. Glaser à la RJF, 8-9/08, p. 787) commande d'écarter cette tentation. L'un des intérêts pour le contribuable d'accéder aux documents au sein desquels figurent les informations qui lui sont opposés est précisément de contextualiser ces derniers et de faire des rapprochements ; ce qui a été dit à un moment au cours d'une audition peut avoir ensuite été nuancé ou contredit, et ce qui, le cas échéant de bonne foi d'ailleurs, a été isolé par l'administration peut prendre une signification différente à la lumière d'autres éléments du même document. Le contribuable doit être mis à même de discuter l'interprétation faite par le vérificateur des documents que celui-ci lui oppose.
Il n'existe pas de véritable inconvénient à cette obligation étendue, qui est gage de simplicité. Le seul, mais il doit être surmonté, tient à ce qu'il n'est naturellement pas question d'affaiblir l'interdiction faite au service de porter à la connaissance du contribuable, fût-ce pour satisfaire aux exigences inhérentes à l'exercice du droit de communication, des informations couvertes par un secret protégé par la loi ou le respect de la vie privée, sauf consentement du tiers intéressé (avis CE 3° et 8° s-s-r., 21 décembre 2006, n° 293749, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1476DTT, RJF, 3/07, n° 314, concl. P. Collin, BDCF, 3/07, n° 32), si bien qu'avec l'obligation de communiquer le document dans son intégralité, le service sera astreint à une vérification étendue pour procéder aux occultations qui s'avéreraient nécessaires à cet égard.
Si le Conseil d'Etat suit cet argumentaire, il donnera raison, en droit, à la société requérante, mais il convient de penser que la cour n'a pas commis l'erreur de raisonnement qui lui est imputée. Il résulte, en effet, de l'ensemble des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour écarter le moyen d'irrégularité de la procédure d'imposition, les juges d'appel, sans énoncer de règle de droit aussi claire que celle qu'il a été proposé de consacrer, ne se sont pas fondés sur ce que l'administration aurait eu la faculté de ne transmettre que les extraits pertinents des procès-verbaux contenant les informations dont procédaient les impositions en litige ; ils ont simplement estimé que rien n'établissait, en l'espèce, que l'administration ait eu en sa possession l'intégralité des documents dont elle n'a transmis que des extraits.
Ce motif est certes également critiqué sous l'angle de la dénaturation et de l'insuffisance de motivation. Mais, pour étayer son argumentation, la contribuable se fondait essentiellement sur ce que, dans ses propositions de rectification, l'administration s'était prévalue de déclarations qu'aurait faites le gérant de l'un des fournisseurs et qui ne figuraient pourtant pas dans les extraits de procès-verbaux qui ont été communiqués. Mais ces propos se rattachent au seul PV d'audition, en date du 10 septembre 2007, que la société requérante avait, comme l'a relevé la cour, omis de demander à se faire communiquer, de sorte que la critique devenait inopérante. Et si, par ailleurs, la vraisemblance ne plaide pas pour l'administration, car on peine à imaginer que les procès-verbaux lui aient été communiqués par l'autorité judiciaire en l'état, c'est-à-dire déjà occultés ou expurgés dans l'exacte mesure de ce qui a ensuite été transmis à la contribuable, la Haute juridiction n'a pas d'éléments suffisants pour censurer une dénaturation dans le motif par lequel la cour a jugé que le service n'avait pas disposé de l'intégralité des documents. Quant à l'insuffisance de motivation invoquée, elle n'est pas établie puisque, comme il a été démontré, le Conseil d'Etat est en mesure d'exercer son contrôle de cassation.
Il faudra donc suivre la position prise par la cour sur le bien-fondé des impositions en litige, qui ne paraît pas se heurter à des contestations sérieuses.
Le cadre général, dûment rappelé par la cour, est connu. On sait en effet qu'un contribuable n'est pas en droit de déduire de la TVA dont il est redevable à raison de ses propres opérations la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucun bien ou aucune prestation de service et que, dans le cas où l'auteur de la facture était régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés et assujetti à la TVA, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y était mentionnée, d'établir qu'il s'agissait d'une facture fictive ou d'une facture de complaisance ; mais si l'administration apporte des éléments suffisants permettant de penser que la facture ne correspond pas à une opération réelle, c'est au contribuable qu'il appartient alors d'apporter toutes justifications utiles sur la réalité de cette opération (cf. CE 8° et 9° s-s-r., 18 septembre 1998, n° 149341, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8147ASK, RJF, 11/98, n° 1330, avec concl. G. Goulard, p. 844, obs. J. Turot, BGFE, 6/98, p. 16, et, pour un exemple plus récent, CE 3° et 8° s-s-r., 16 avril 2010, n° 316186, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0152EWK, RJF, 7/10, n° 676, concl. L. Olléon, BDCF, 7/10, n° 75).
Or, au cas d'espèce, les juges d'appel auraient, en premier lieu, dénaturé les pièces du dossier en jugeant que la société n'avait pas produit les bons de livraison correspondant à l'ensemble des factures litigieuses. Mais le pourvoi joue sur les mots. La cour, contrairement à ce qui est suggéré, n'a pas jugé, par cette rédaction à laquelle seule une lecture orientée peut prêter une ambiguïté, qu'aucun bon n'avait été versé aux débats mais que ce versement n'avait été que partiel, ce qui correspond à la réalité du dossier.
La cour aurait, en second lieu, commis une erreur de droit en refusant la déduction de la TVA à proportion du moins des bons de livraison fournis.
Mais, d'une part, il a été expressément jugé, pour un schéma de type carrousel, que lorsque l'administration a établi la réalité d'un réseau de fraude à la TVA et démontré que les fournisseurs directs de la société constituaient de simples intermédiaires de facturation qui, tout en remplissant leurs obligations fiscales, étaient dépourvus d'activité réelle et servaient d'écran aux sociétés éphémères défaillantes à la TVA en établissant des factures de complaisance, les juges du fond n'ont pas à rechercher si l'administration avait procédé au contrôle de chaque facture d'achat dont la déduction de la TVA a été remise en cause (CE 3° et 8° s-s-r., 30 décembre 2011, n° 316738, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8286H8E, RJF, 4/12, n° 354, concl. L. Olléon, BDCF, 4/12, n° 354). Des raisonnements globalisants peuvent donc, dans une certaine mesure, être admis, du moins pour transférer le fardeau de la preuve sur les épaules du contribuable. Mais il est bien évident que, pour autant, ce raisonnement globalisant doit, le cas échéant, s'effacer si, devant le juge, le contribuable apporte la preuve de la réalité d'une partie des prestations ; il faut alors procéder à une appréciation au cas par cas.
Contrairement à ce qui est soutenu, la cour n'a toutefois pas jugé le contraire. Elle a seulement estimé, en substance, que les éléments produits devant elle, y compris donc les bons de livraison, n'étaient pas suffisamment probants pour établir la réalité même d'une partie des prestations. Des bons de livraison avaient certes été, pour certaines factures, versés aux débats mais, compte tenu du contexte d'ensemble et en particulier du caractère contradictoire, qu'elle a expressément relevé, des déclarations des fournisseurs quant aux conditions de livraison des marchandises, elle a considéré que la contribuable n'apportait pas la preuve qui lui incombait. Il n'y a d'ailleurs là aucune dénaturation, et en tout cas pas d'erreur de droit.
La société requérante conteste enfin les pénalités qui lui ont été infligées pour infraction aux règles de facturation. Mais c'est ici encore le versement au dossier de certains bons de livraison qui fonde l'argumentation de l'intéressé et, dès lors que le Conseil d'Etat aura été écarté les moyens de dénaturation et d'erreur de droit exposés à l'instant, il ne pourra qu'écarter toute dénaturation et toute erreur de droit dans l'application de l'article 1737 du CGI.
Par ces motifs, il convient dès lors de conclure au rejet de la requête.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:451282